Les visages du cauch.. - Free

Je sentis que je me penchais en avant. Karen était
encore plus près. J’essayai de me retourner, et pendant
tout ce temps j’implorais ce train, je l’implorais, prendsmoi,
espèce de fils de pute, un train est plus fort que le vent
et plus fort que l’eau et plus fort que tous les faiseurs de
prodiges jamais réunis, depuis les Ute jusqu’aux Iroquois,
alors donne-moi une chance, tu veux, et prends-moi.
Karen se tourna brusquement et leva les yeux vers moi.
Je ne savais pas si elle pouvait me voir ou non, mais sa
bouche était grande ouverte et elle semblait surprise. Au
même moment, le train se mit à rouler vers nous, et les
voitures dans Park Avenue se mirent à klaxonner et le ciel
se mit à bouger, et tout revint à la normale. Si ce n’est que
je fus ballotté et emporté loin de Karen, et que je m’aperçus
que je plongeais dans de l’aluminium et du plastique.
J’étais littéralement aspiré vers l’esprit conscient de ce
train, et au lieu de me retrouver épaule contre épaule avec
Karen, deux esprits confinés dans le même corps jusqu’à
ce que la mort nous sépare, je me retrouvai…
Calme, décontracté et calculateur, rempli d’informations
d’aiguillages, de vitesses maximales et de distances de
freinage. J’étais le train et le train était moi, et nous
tanguions et cahotions sur les rails à la hauteur de la 97e
Rue, et il y avait nom de Dieu ! une petite fille sur les rails,
et un homme, et c’était Lucy et c’était moi.