Les visages du cauch.. - Free

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14.07.2013 Views

Je sortis de l’école maternelle, Lucy blottie dans mes bras. La nouvelle concernant l’incident dans la cour de récréation avait dû se répandre entre-temps, parce que, lorsque je traversai le hall, toutes mes amies femmes réussirent tant bien que mal à regarder de l’autre côté, ou à far-fouiller dans leurs sacs à main, ou à avoir des problèmes avec leurs lentilles de contact. Quand vos enfants ont des ennuis, vous découvrez très vite qui sont vos véritables amis. Ma Caprice blanche flambant neuve était garée sous un arbre et une volée d’étourneaux l’avait copieusement éclaboussée. A en juger par l’aspect des fientes, ils avaient déjeuné au Lutèce. J’installai Lucy sur le siège arrière, bouclai sa ceinture de sécurité, et je pris la direction de la maison. Notre appartement se trouvait à neuf rues seulement de là, mais posséder une voiture était encore une nouveauté pour moi, et j’étais prêt à affronter n’importe quel embouteillage uniquement pour savourer mon envi-ronnement climatisé, avec une cassette de musique soul, et mon petit lapin en sucre assis à l’arrière, qui me racontait avec volubilité ce qu’elle avait fait à l’école maternelle. Si ce n’est que, aujourd’hui, mon petit lapin en sucre n’était guère volubile. En fait, elle ne prononçait pas un mot. Elle regardait fixement par la vitre, sa tête tristement penchée d’un côté, et tout ce que je lui disais n’y changeait rien. Pour une raison inconnue, je n’arrêtais pas de penser

à l’histoire que la jeune stagiaire lui avait lue. ” Petit à petit, la jeune fille subit un changement. Ses dents s’allon-gèrent, ses ongles devinrent des griffes, et bientôt tout son corps fut recouvert d’une épaisse fourrure noire. “ Je regardai dans le rétroviseur. C’était la première fois que j’étais père, mais, jusqu’à présent, tout s’était passé au poil. Un estomac était vide, vous le remplissiez. Une couche était pleine, vous la changiez. Vous appreniez à votre petite fille à ne pas dire ” un dada ” ou ” une meu-meu “, et vous essayiez de lui enseigner des rudiments de mathématiques, comme papa + maman + petit lapin en sucre = grand contentement. Je ne voudrais pas avoir l’air trop sentimental à ce sujet, mais épouser Karen et avoir Lucy m’avait comblé plus que tout ce que j’avais fait auparavant. C’était comme si j’étais resté assis dans une pièce sombre, jusqu’à l’âge de quarante-trois ans, et puis Dieu avait brusquement ouvert la porte et laissé le soleil entrer à flots, et il m’avait dit: ” Qu’est-ce que tu as fait dans cette pièce sombre durant toutes ces années, Harry ? Ta vie t’attendait dehors ! “ Nous arrivâmes devant notre immeuble dans la 82’ Rue Est, et je réussis à me garer sur un emplacement qui était juste assez grand pour une charrette à bras. Mais cela n’avait rien d’étonnant… autrefois, je m’appelais l’Incroyable Erskine ! Je sortis Lucy de la voiture et gravis les marches, mais lorsque nous atteignîmes la porte d’entrée, elle dit:

Je sortis de l’école maternelle, Lucy blottie dans mes<br />

bras. La nouvelle concernant l’incident dans la cour de<br />

récréation avait dû se répandre entre-temps, parce que,<br />

lorsque je traversai le hall, toutes mes amies femmes<br />

réussirent tant bien que mal à regarder de l’autre côté, ou à<br />

far-fouiller dans leurs sacs à main, ou à avoir des<br />

problèmes avec leurs lentilles de contact. Quand vos<br />

enfants ont des ennuis, vous découvrez très vite qui sont<br />

vos véritables amis.<br />

Ma Caprice blanche flambant neuve était garée sous un<br />

arbre et une volée d’étourneaux l’avait copieusement<br />

éclaboussée. A en juger par l’aspect des fientes, ils<br />

avaient déjeuné au Lutèce. J’installai Lucy sur le siège<br />

arrière, bouclai sa ceinture de sécurité, et je pris la<br />

direction de la maison. Notre appartement se trouvait à<br />

neuf rues seulement de là, mais posséder une voiture était<br />

encore une nouveauté pour moi, et j’étais prêt à affronter<br />

n’importe quel embouteillage uniquement pour savourer<br />

mon envi-ronnement climatisé, avec une cassette de<br />

musique soul, et mon petit lapin en sucre assis à l’arrière,<br />

qui me racontait avec volubilité ce qu’elle avait fait à l’école<br />

maternelle.<br />

Si ce n’est que, aujourd’hui, mon petit lapin en sucre<br />

n’était guère volubile. En fait, elle ne prononçait pas un mot.<br />

Elle regardait fixement par la vitre, sa tête tristement<br />

penchée d’un côté, et tout ce que je lui disais n’y changeait<br />

rien. Pour une raison inconnue, je n’arrêtais pas de penser

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