Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free
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Il m’enlace.<br />
— … Tu vas t’habituer. Hé, regarde — une famille de cerfs !<br />
Je me tourne vers deux adultes <strong>et</strong> deux faons reniflant gentiment le rhododendron en fleur à côté de<br />
la véranda. Je me sens tout de suite mieux. C’est comme s’ils venaient nous souhaiter la<br />
bienvenue — encore qu’ils ne semblent pas du tout remarquer notre présence. Je m’avance jusqu’au bout<br />
de la véranda <strong>et</strong> me penche au-dessus de la balustrade à quelques centimètres d’eux.<br />
— Hé, les amis, n’est-ce pas que vous êtes beaux ?<br />
Je jure que je pourrais les caresser sans qu’ils bougent d’un poil.<br />
— Incroyable comme ils sont apprivoisés, dis-je à Jack, en reniflant encore un peu. C’est comme si<br />
nous vivions dans notre réserve animale personnelle, tu ne trouves pas ?<br />
Le plus grand des cerfs arrache une large brassée de rhododendrons en fleur.<br />
Je fixe la branche ravagée.<br />
— Jack ? Tu as vu ça ? Ces cerfs mangent les fleurs.<br />
— Oui, ils sont herbivores.<br />
— Et mon jardin ? Ils vont manger ce que je vais y planter ?<br />
Jack se contente de hausser les épaules.<br />
— Viens, nous avons beaucoup à faire.<br />
Je le suis dans la maison tout en m’essuyant le nez sur l’épaule de mon T-shirt. Je sais, mais je n’ai<br />
aucune idée de l’endroit où se trouvent les Kleenex. Ni du reste d’ailleurs.<br />
Dès que nous m<strong>et</strong>tons un pied dans la maison, mes appréhensions me submergent de nouveau.<br />
Pour quelle raison nous trouvons-nous ici, dans une maison étrangère, vide (si l’on excepte un<br />
milliard de cartons, un canapé à trois pieds <strong>et</strong> quelques misérables échantillons de meubles bas de gamme<br />
qui ne paraissent pas à leur place) ? Une maison qui résonne quand on parle <strong>et</strong> où flotte une odeur de<br />
tabac froid…<br />
Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve particulièrement déprimants les trous laissés par les clous<br />
ainsi que les traces rectangulaires sur les murs, là où sont restés suspendus toute une vie les photos d’une<br />
autre famille. Les photos de famille de Hank <strong>et</strong> Marge.<br />
Oui. Il s’agit de la maison de Hank <strong>et</strong> Marge. Pas de la nôtre.<br />
Plus maintenant.<br />
C’est notre maison. Hank <strong>et</strong> Marge, eux, doivent être en train de s’installer dans leur confortable<br />
appartement tout neuf de Putnam County, <strong>et</strong> leur banque a encaissé le plus gros chèque que quiconque ait<br />
jamais rédigé.<br />
D’accord, peut-être que j’exagère un tout p<strong>et</strong>it peu, mais c’est réellement la sensation que j’ai<br />
éprouvée en le signant.<br />
Et tous ces autres chèques, nos signatures qui s’étalent à n’en plus finir au bas de contrats où nous<br />
nous engageons à payer une somme astronomique chaque mois, pour le reste de nos jours.<br />
D’accord, peut-être que j’exagère encore un tout p<strong>et</strong>it peu. Nous allons payer la maison durant trente<br />
ans. Ce qui me semble le reste de nos jours parce qu’au fond, ensuite, l’existence n’est plus qu’une longue<br />
descente vers la mort.<br />
Je sais. Vous voyez ? Je vous avais bien dit que j’étais déprimée.<br />
— Tu te rends compte que jusqu’à ce que nous ayons soixante ans, nous ne connaîtrons plus un seul<br />
mois sans remboursement à effectuer ? dis-je à Jack tandis que le bruit de nos pas résonne sur le linoléum<br />
usé de la cuisine. Nous serons alors de vieux croûtons. Je ne supporte pas c<strong>et</strong>te idée.<br />
— J’aurai soixante ans. Pas toi, dit-il avec son bon sens typique.<br />
Il s’approche d’un carton marqué FRAGILE — ASSIETTES ET VERRES, tâtonne à la recherche de<br />
l’interrupteur <strong>et</strong> allume la lumière, repoussant en partie, mais pas en totalité, la lumière glauque de la fin<br />
de journée.