Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

chaussettes dépareillées solitaires, de cartes de crédit expirées et quelques-unes des boîtes presque vides
dans le frigo. Oui, j’en ai aussi conservé quelques-unes — comme celle qui contient mon baba ghanoush
préféré de chez Abraham, dont j’ignore si je pourrai me le procurer à Glenhaven Park. Et oui, j’ai
conservé quelques chaussettes solitaires, de même qu’un nombre choisi de boucles d’oreilles elles aussi
sans partenaire, au cas où a) leur partenaire refait surface un jour, ou b) le look asymétrique revient à la
mode.
Je ne dis pas que c’est souhaitable. Mais si cela arrivait, je serais équipée.
Jack, lui, s’est jeté sans pitié dans l’action dès la seconde où il est sorti du lit ce matin. Il s’est
réveillé, prêt à exécuter sa mission : débarrasser le monde de plusieurs cardigans chers et en parfaite
condition ; d’une pile de romans brochés qu’il prétend avoir déjà lus ; d’une pile de C.D. qu’il prétend ne
jamais écouter — exact, mais comment sait-il qu’il n’aura pas envie de les écouter un jour ? Et même de
son vieux téléphone portable que je repêche dans la poubelle quand je l’y trouve.
— Que fais-tu ? demande Jack, relevant la tête de mon tiroir fourre-tout dans la cuisine.
— On ne jette pas un téléphone.
— Pourquoi pas ? Je ne m’en sers plus.
J’attends que s’éloigne la sirène assourdissante qui retentit dehors.
— Pour commencer, ce n’est pas un acte citoyen.
— Hein ?
— Au niveau écologique, c’est irresponsable. Il va finir dans une décharge et empoisonner la terre.
Je ne suis pas certaine à cent pour cent de ce que j’avance, mais je crois avoir vu quelque chose sur
le sujet dans Dateline, à moins qu’ils n’aient parlé d’ordinateurs.
— De plus, tous tes correspondants sont enregistrés là-dedans.
— Et alors ? Il n’a même pas de batterie.
— Qu’est-ce qui empêcherait un escroc de se procurer une batterie, remettre ce téléphone en
fonction et se faire passer pour Jack Candell ?
Il renifle.
— Seuls de vieux numéros sont enregistrés.
— C’est ce que tu crois. Les voleurs d’identité comptent sur ce genre de choses.
Je lève les yeux vers le plafond dont les lustres tremblent à cause des triples sauts de l’un des fous
du cirque.
Jack l’ignore et demande :
— Tu crois honnêtement qu’un voleur d’identité va fouiller dans ce sac d’ordures à la recherche
d’un portable alors qu’il pourrait voler un portefeuille en se donnant beaucoup moins de mal ?
— Oui, ça se produit constamment. J’ai vu ça dans Dateline aussi, dis-je pour faire bonne mesure.
Je n’en suis pas certaine, mais c’est fort probable. Je vois beaucoup de trucs dans Dateline.
Jack grommelle quelque chose et se penche de nouveau sur le tiroir, qui ne va pas être épargné car il
est rempli de… eh bien de fouillis.
Je le vois jeter plusieurs paquets de ficelles qui servent à fermer les sachets que je me promets de
récupérer dès qu’il aura le dos tourné. On n’a jamais assez de ficelles sous la main.
En attendant, j’entreprends de vider le placard sous l’évier qui contient deux bacs à recycler,
plusieurs vases sans valeur livrés en même temps que des fleurs et un tas de produits d’entretien.
— Attends, pourquoi tu jettes ça ? demande Jack en me voyant porter une demi-douzaine de
bouteilles de bière vides vers la poubelle. Elles sont consignées, on peut les rendre.
— Non, ce sont des Corona, celles de notre dîner du Cinco de Mayo mexicain.
Ce soir-là, nous avions invité Buckley. A l’origine, Jack avait envisagé une liste d’invités plus
fournie, mais j’avais (intérieurement) décidé qu’elle devrait se limiter aux personnes qui ne s’appelaient
pas Mitch et à ceux qui étaient ravis pour nous de notre proche déménagement.