Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

compréhensible, je ressens une certaine jalousie envers cette intruse polonaise polie et si bien élevée à
l’ancienne. C’est plus fort que moi.
Ma mère continue de me renseigner sur la formation de Stefania, mais je n’écoute plus.
Un e-mail de Kate vient d’apparaître sur l’écran de mon ordinateur avec en guise d’objet :
AU SECOURS !
Les e-mails de Kate s’intitulent souvent ainsi, donc inutile de s’affoler prématurément. En général,
elle désire simplement savoir si vous vous souvenez du nom de la teinte de rouge à lèvres qui lui allait si
bien chez Saks le samedi précédent, ou bien où elle peut acheter de la Veuve Clicquot à 8 heures du matin
parce qu’elle a une envie impérieuse d’un Bellini.
Hmm. Ce message-là dit :
« Viens prendre un verre avec moi après le boulot. A quelle heure sors-tu ? »
Oh, oh.
Plutôt succinct. Il se pourrait qu’il y ait un problème au pays de Kate.
Mais le degré d’importance du problème ne saurait être déterminé via l’électronique. La dernière
fois que j’ai été convoquée à une urgence cocktail par e-mail, c’était parce que Lancôme venait de cesser
la fabrication de son rouge à lèvres préféré — le rouge Absolu Satin Romance.
Je me rends compte que ma mère en a terminé avec la biographie de Stefania de Cracovie.
— Bon, maman, bonne Saint-Joseph ! Toi aussi, papa, j’ajoute un peu plus fort.
Comme s’il pouvait m’entendre. Comme s’il pouvait entendre quoi que ce soit.
Tandis que je tape une courte réponse au message de Kate, j’entends ma mère crier :
— Frank, Tracey te souhaite une bonne Saint-Joseph. Frank ! Frank !
Avant de reprendre le combiné pour soupirer :
— Il est sourd comme un pot.
Quarante ans passés à travailler dans une aciérie ont parfois ce résultat.
Pauvre papa.
Pauvre maman.
Depuis au moins une semaine, elle doit se tuer à la tâche afin de préparer le traditionnel festin sans
viande pour — oh, disons sept ou huit douzaines de convives affamés. Non qu’elle reçoive autant de
monde lors de la Saint-Joseph, mais elle cuisine toujours de quoi nourrir une armée de soldats mourant de
faim — de préférence bons chrétiens.
Selon la tradition, ce jour-là, vous êtes censé inviter à votre table les gens moins fortunés, tels que
les veuves, les orphelins et les pauvres.
Or ces catégories ne courent pas les rues, même dans ma ville natale. Qui sait, peut-être la cousine
de Cracovie de Josie Lupinelli est-elle une veuve pauvre. Ou orpheline. Allez savoir.
Dommage que Jack et moi ne puissions pas y participer cette année, car si on se fie au budget qu’il a
établi hier soir à l’aide d’une feuille de calcul d’Excel, nous frôlons la pauvreté.
Pour résumer, jusqu’ici nous dépensions la somme nécessaire à nous procurer ce qui nous était
nécessaire.
Maintenant, nous avons un budget fixé pour tout, depuis les timbres-poste jusqu’à l’essence pour la
voiture que nous allons acheter. Quand Jack a suggéré que notre budget mensuel restaurant/plats à
emporter/loisirs serait fixé à cent dollars, j’ai souligné que cela représentait vingt-cinq dollars par
semaine, ce qui ne nous permettrait même pas de nous offrir deux places de cinéma, du pop-corn et des
esquimaux.
— Nous allons devoir sacrifier certaines choses pour en payer d’autres, a-t-il déclaré.
Il a fini par monter le budget restaurant/plats à emporter/loisirs à cent cinquante dollars, piochant la