Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

Jack consulte sa montre en se demandant où en est le match de basket et ce qu’il y a pour dîner.
Faites-moi confiance, je lis ses pensées.
— Si nous visitions la dernière maison ? dis-je à Verna. Je pense qu’ensuite, nous en aurons fini
pour aujourd’hui.
— Absolument.
Elle aussi consulte sa montre, se demandant si elle parviendra à caser dans son emploi du temps un
autre couple de jeunes mariés désireux d’acheter une maison — mais disposant d’un budget plus élevé et
d’un mari plus enthousiaste.
Non, je ne peux pas lire ses pensées, mais ses intentions sont évidentes. Peut-on lui en vouloir ?
Pendant qu’elle nous conduit vers la maison numéro six, j’étudie le descriptif.
Quatre chambres, deux salles de bains, véranda pour rocking-chair, un demi-hectare de terrain.
Construite dans les années 20, une maison du catalogue Sears.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? dis-je à Verna. Une maison du catalogue Sears ?
— Exactement ce que cela semble vouloir dire.
Je n’en ai aucune idée. A moins que…
— Euh… elle a été choisie dans un catalogue Sears ? dis-je d’un air de doute.
A mon grand étonnement, elle acquiesce.
La dernière fois que je me suis plongée dans un catalogue Sears, j’avais huit ans, et c’était pour
écrire ma dernière lettre au Père Noël. Qui avait en gros consisté à entourer tout ce qui avait trait à
Barbie, arracher les pages du catalogue et les fourrer dans une enveloppe adressée au Pôle Nord.
Adulte, la seule chose que j’ai jamais achetée dans ce catalogue — emprunté à ma grandmère
— est un robot-marie. Pas une maison.
J’ai dû rater un épisode, car je ne me souviens pas avoir vu de maisons de cinq pièces en vente
entre les outils Black et Decker et les aspirateurs Kenmore.
Ça doit être un truc datant des années folles : commandez votre manteau de sconse, votre robe taillebasse,
votre gramophone et votre maison de cinq pièces en même temps.
— A l’époque, explique Verna, on pouvait commander par correspondance chez Sears une maison à
bâtir en kit.
A l’époque — pas les années folles, mais il y a quand même un bout de temps — on pouvait aussi
commander chez Sears la maison de Barbie. Je me rappelle mon père qui jurait en assemblant la mienne
par un matin neigeux de décembre.
Gardant en tête l’image d’éléments de plastique impossibles à détacher de leur grille, et de pages et
de pages d’instructions énigmatiques, je demande :
— Cela vaut-il réellement la peine de la visiter ?
Je parle à Jack, mais c’est Verna qui répond :
— Elle est un peu démodée, mais elle possède un vrai potentiel.
Tout comme le papier peint à fleurs possède une vraie personnalité.
Je suis sur le point de lui dire de laisser tomber quand Jack intervient.
— J’aimerais la voir. Ma grand-mère paternelle habitait une maison Sears, à Mamaroneck, quand
j’étais gosse.
Grand-mère Candell n’a pas occupé dans l’existence de mon mari une importance primordiale,
puisqu’elle s’entend avec son fils adulte, Jack Senior, à peu près aussi bien que Jack Senior s’entend
avec Jack Junior. Mais dans un sens, nous lui devons notre mariage de rêve — nous avons pu nous offrir
la réception au Shorewoood uniquement parce que Jack a vendu les actions Disney que sa grand-mère lui
avait offertes pour son anniversaire lorsqu’il était petit garçon.
Quand il m’a raconté l’histoire, je me souviens l’avoir plaint. Brookside connaîtra un mois de
janvier torride et ensoleillé avant que ma grand-mère n’ait l’idée de m’offrir des actions pour mon