Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

Une maison qui… n’est pas si mal. Sérieusement. Au premier coup d’œil, elle ne m’emballe pas,
mais…
— Elle est sympa, dis-je, m’arrachant un semblant d’enthousiasme.
— N’est-ce pas ?
Tout à fait. Surtout si on aime les petites maisons basses, datant de 1971, tapissées de vinyle d’un
jaune passé.
Voilà ce que nous autorise notre budget. Cela pourrait être pire.
Ou beaucoup mieux.
Je n’ose pas regarder Jack. Verna nous ouvre le chemin, évitant avec précaution de salir ses
mocassins de cuir noir brillant en marchant dans une flaque de pluie de la nuit précédente.
— Dans deux semaines, cette azalée sera somptueuse.
Elle désigne le buisson qui obscurcit la majeure partie de la baie vitrée du salon.
Je hoche la tête et murmure avec l’enthousiasme approprié quelques mots concernant l’avenir
somptueux de l’azalée, tout en parcourant le descriptif qu’elle vient de me transmettre.
Construite en 1972 — qu’est-ce que je vous avais dit ? — la maison est présentée comme le lieu
parfait pour un jeune couple débutant dans la vie, ce qui, aussitôt — pour moi en tout cas — suggère que
vous n’aurez probablement pas envie d’y rester longtemps. La maison, deux cent quatre-vingts mètres
carrés, possède un large vestibule et « s.à m. avec chem., gde cuis. am., 2 ch., 1 SDB + gar. att ».
Ce qui se traduit, si j’ai bien appris ma leçon, par salle à manger avec cheminée, grande cuisine
aménagée, deux chambres, une salle de bains et un garage attenant.
On parle aussi d’un « terrain plat arboré, à la végétation mature », accroche que j’ai repérée dans
pas mal d’autres annonces. Je dois avouer ne m’être jamais beaucoup souciée de terrains plats et de
végétation mature, mais certains doivent le faire. Et c’est vrai qu’un terrain escarpé et une végétation
immature ne semblent pas très attirants. D’ailleurs qu’est-ce qu’une végétation immature ? Des boutures ?
Je ne sais pas.
J’espère seulement que l’intérieur est plus prometteur que l’extérieur, parce que, parfaite maison
pour jeune couple qui débute ou pas, je ne l’aime pas.
Verna ouvre la porte d’un bois jaune-orange, percée tout en haut d’une fenêtre en demi-lune. Nous
entrons et foulons un sol dont les dalles dessinent un drapeau.
Je suppose qu’il s’agit du large vestibule, séparé de la salle à manger moquettée par une barre de
seuil en métal doré. J’ai l’impression de me tenir sur un affreux quai de simili-pavés se jetant dans une
mer de poils turquoise sentant fortement le pipi de chat.
Le bon côté, c’est qu’il n’y a probablement aucun rat dans cette maison.
Le mauvais côté : en plus de la forte odeur de chat, les boiseries sont gondolées, la cheminée est
recouverte de fausses briques et les vitres des fenêtres s’ouvrent à l’aide d’une manivelle.
La grande cuisine rénovée n’est pas mieux. Equipement électroménager vert avocat, moquette
lavable d’une nuance différente de vert — émeraude peut-être — placards bruns affaissés aux poignées
de métal noir. D’accord… Rénovée. En quelle année ? 1973 ? Le recoin minuscule destiné aux repas,
dépourvu de table et de chaises, est occupé par une poubelle en plastique à pédale et une litière pour
chat. Impossible de déterminer lequel sent le plus mauvais.
Nous continuons péniblement notre visite, croisant un chat noir à l’air renfrogné qui ne semble pas
du tout apprécier notre présence.
Salle de bains : baignoire bleue, lavabo bleu, carrelage bleu et une fenêtre encore plus minuscule et
étroite que les autres, située au-dessus de la baignoire, juste au niveau des seins. Pas de rideaux, store ou
autre. La ravissante demeure Tudor voisine bénéficie d’un peepshow permanent. Super.
Chambres : petits rectangles, à peu près de tailles égales, même si la chambre principale se
distingue par un placard double, peu profond, dont les portes sont loin d’être aussi coulissantes qu’elles