Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

sommes cernés d’étrangers, dont certains sont des dingues de cirque, des pickpockets ou des pervers. Je
n’en peux plus. Je veux vivre dans une petite ville.
— Tu as grandi dans une petite ville.
— Je sais, mais…
— A la seconde où tu as terminé tes études, tu as quitté ta petite ville pour t’installer à New York,
parce que tu ne voulais pas vivre dans une petite ville. Tu te souviens ?
Evidemment que je me souviens, mais lui ne peut pas se souvenir. Quand je l’ai rencontré, j’habitais
New York depuis plusieurs années. Je déteste qu’il se serve de mon passé contre moi. D’accord, il ne l’a
jamais fait auparavant. Mais il le fait en ce moment, et je déteste ça.
— … Et tu es en train de me dire que tu veux y retourner ? demande-t-il.
— A Brookside ? Seigneur, non !
— Bien. Parce que je ne crois pas que je pourrais y vivre. Rien à voir avec la présence de ta
famille.
— Je sais que tu ne peux pas vivre là-bas. A cause de ma famille.
Comprenez-moi bien — j’adore ma famille. Les Spadolini présenteraient-ils quelques légères
bizarreries et spécificités ? Absolument. Par exemple, ils ont une dent contre les stéréotypes concernant
les Siciliens et la mafia. Mais eux-mêmes utilisent une filière ultra-secrète pour se procurer des
saucisses.
En quoi diable peut bien consister une filière ultra-secrète pour se procurer des saucisses, vous
demanderez-vous peut-être ? A moins que vous ne le sachiez déjà. Mais si vous n’êtes pas un affilié
Spadolini, j’en doute.
Mon frère Danny connaît un type, Lou, qui vend en douce des saucisses fabrication maison à
l’arrière de sa voiture. Et ce sont les foutues meilleures saucisses que vous goûterez jamais, vous voyez ?
Elles sont même meilleures que les saucisses maison d’oncle Cosmo, qui contiennent trop de
fenouil. Un jour, l’un de mes neveux en a fait la remarque, déclenchant ainsi par inadvertance ce qui dans
le jargon Spadolini est maintenant connu comme la Grande Guerre des Saucisses.
Oui. Nous avons nos bizarreries et spécificités, comme toutes les autres familles.
Enfin, pas exactement comme la famille de Jack. Les Candell ont peut-être une filière pour se
procurer des produits bio, mais leur arbre généalogique (probablement bio) est vierge de membres
pittoresques tels que Snooky, Gros Nez et oncle Cosmo — mais qui vous assurera, de préférence en
dégustant un bon sandwich à la saucisse, que les deux choses ne sont pas liées ? Moi, je n’en jurerais pas.
Oh, et les Candell ne discutent pas non plus du fonctionnement — ou dysfonctionnement de leur
intestin — autour de la table du dîner dominical. D’ailleurs, ils se réunissent rarement autour d’une table,
pas plus le dimanche que tout autre jour qui n’est pas une fête. Quand cela se produit, ils commandent des
plats chez le traiteur. Souvent du poulet. Mais pas de chez Kentucky Fried Chicken. Les Candell ne
consomment pas de nourriture panée et frite.
Les Spadolini seraient capables de paner et frire de la laitue — hydroponique bien sûr. En privé. Ils
parlent des Candell comme d’obsédés de l’alimentation saine, et ils ne l’entendent pas comme un
compliment. Quand mon frère, Frankie Junior, a découvert à l’occasion de notre mariage que la sœur de
Jack, Rachel, était végétalienne, il l’a, à peu de chose près, secouée par les épaules en criant :
— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Avale un cheeseburger, ma fille !
Donc, j’ai beau aimer ma famille, je ne tiens pas à vivre dans leur voisinage, ni nulle part ailleurs
dans l’ouest de l’Etat de New York réputé pour son blizzard.
Vous avez entendu parler des blizzards historiques de Buffalo, à soixante kilomètres au nord de ma
ville d’origine ? Ce n’est rien à côté de ceux que nous affrontons tous les ans à Brookside quand la
machine à neige se déclenche — et ils durent des mois. Il a neigé plus d’une fois sur nos pique-niques de
Columbus Day en octobre, et de Memorial Day en mai.