Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

Du moins, c’est ce que ne cessent de me répéter mes amis. Y compris Raphael, enfin sur le point de
devenir père. Mais pas via les bonnes vieilles méthodes, puisque son conjoint — Donatello, son
mari — est lui aussi handicapé au niveau des ovaires.
Pas non plus via une mère porteuse, l’un de leurs premiers projets. Quand moi — et toutes les
femmes qu’ils ont croisées au moins une fois dans leur vie, plus un certain nombre qu’ils ont jamais
croisées — avons refusé de leur prêter notre utérus (même si j’approuve et soutiens leurs efforts de tout
mon cœur), Raphael et Donatello se sont résolus à emprunter la voie passée de mode la plus récente :
l’adoption à l’étranger.
C’est triste, mais ça n’a pas marché non plus. Vous seriez surpris du nombre de pays qui interdisent
à un couple homosexuel monogame, sain et prospère d’adopter l’un des enfants de leurs orphelinats
surpeuplés.
Ou alors vous n’êtes pas surpris. Peut-être n’approuvez-vous pas, vous non plus. Mais je crois que
Raphael et Donatello ont droit aux mêmes chances que tout autre couple aimant et stable et qu’ils feront
des papas formidables. Je le sais avec certitude, parce qu’ils ont subi un entraînement intensif avec le
défilé d’enfants en difficulté placés temporairement chez eux par les services sociaux ces dernières
années. Aujourd’hui, l’un de ces enfants, Georgie, va devenir leur fils.
Quant à moi…
— Mon horloge biologique ne sonne pas encore, dis-je à mon mari.
Avant de demander avec prudence.
— … Et la tienne ?
— Nan. Mais je me disais que tu allais aborder le sujet tôt ou tard. Ou maintenant.
Peut-être vous demandez-vous pourquoi le sujet n’est évoqué qu’après deux ans de mariage…
En réalité, le sujet a déjà été évoqué (par moi) et enterré (par Jack) auparavant. A l’époque de notre
mariage, j’ai cru un moment être enceinte parce que je n’avais pas eu mes règles. Ma gynéco m’a dit que
c’était probablement dû au stress de la préparation du mariage. J’avais quand même fait un test de
grossesse durant notre lune de miel. Bien entendu, il s’est révélé négatif.
Pourtant, je n’étais pas convaincue. Quand mes règles avaient fait leur apparition, j’ai vraiment été
déçue. La première année de notre mariage, l’idée de créer une famille m’avait obsédée un moment.
N’avais-je pas toujours désiré des enfants ? Mon infernal ex-petit ami ne m’avait-il pas assez répété que
j’avais des hanches de bonne reproductrice ? N’avais-je pas un jour gagné le trophée de la Meilleure
baby-sitter du Kiwani Club de Brookside ? (J’avais dix-sept ans, cela vous donne une idée de ma vie
sociale de lycéenne.)
Alors oui, pour toutes ces raisons légitimes, j’ai toujours voulu créer une famille.
Toutefois, à l’époque, la raison principale était plutôt que je détestais mon job au service
Comptabilité et cherchais désespérément une échappatoire.
Au point que n’importe quoi — et je dis bien n’importe quoi — nausées perpétuelles, accouchement
sans péridurale, nuits sans sommeil en série, peloton d’exécution — aurait été préférable à monter chaque
matin dans le métro en direction de midtown et supporter un boss fasciste — le directeur des comptes
Adrian Smedly — et une flopée de Clients désagréables.
Heureusement pour moi, Jack n’était pas persuadé que la perspective de jouir d’un congé maternité
de huit semaines était une motivation suffisante pour se lancer dans la maternité. A l’époque, j’avais été
un peu froissée. Mais comme, pour faire un bébé selon la bonne vieille méthode, il faut être deux, et que
je ne trouvais pas de donneur de sperme consentant (je plaisante !), j’ai différé à contrecœur mon rêve de
bébé — assez superficiel il est vrai.
Peu de temps après, le salut est arrivé — du moins l’ai-je cru avant de faire la connaissance de
Crosby Courts — et j’ai enfin été mutée dans le département Création.
Jack et moi avons cessé d’aborder la question bébé. Je supposais que le sujet resurgirait un jour,