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Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

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Raphael, qui est chaussé de bottes noires au bout aussi fin que la pointe d’une pince à épiler,<br />

approuve les sabots en plastique, mais condamne les Aerosoles.<br />

Dans le Strand, nos voies se séparent : Raphael se dirige vers la section « parents », <strong>et</strong> moi<br />

« horticulture ».<br />

Et là je tombe sur — parmi tous les hommes qui peuplent la planète — examinant avec attention une<br />

rangée de livres sur le jardinage : Will McCraw.<br />

Rafraîchissons nos souvenirs, vous voulez bien ?<br />

A l’époque où j’étais jeune <strong>et</strong> célibataire à New York, mon ex-p<strong>et</strong>it ami narcissique est parti pour<br />

un festival de théâtre <strong>et</strong> n’est jamais revenu. Enfin, il est revenu à New York, mais pas vers moi.<br />

Cela dit, il n’avait jamais été vraiment « avec moi » avant — ça, je l’ai compris bien plus tard,<br />

quand j’ai enfin appris, grâce à Jack, ce qu’une « vraie » relation impliquait.<br />

Je dois reconnaître que Will — un jour surnommé « beau gosse malchanceux » dans une critique<br />

théâtrale (croyez-moi, comparé au reste de la critique, c’était un compliment) — vieillit plutôt bien. Le<br />

visage lisse, sans la moindre ride, il ne semble pas avoir perdu le moindre de ses épais cheveux noirs. Il<br />

porte son éternel col roulé noir, <strong>et</strong> l’odeur familière de son eau de toil<strong>et</strong>te flotte autour de lui.<br />

Heureusement, je le vois la première — je peux donc prendre la fuite si je le désire.<br />

Que faire, que faire…<br />

Les pieds vissés au sol, j’observe Will qui se caresse le menton en passant l’étagère en revue.<br />

Notre dernier contact remonte à un échange téléphonique, presque trois ans auparavant. Il revenait<br />

de Transylvanie, où il avait joué La cage aux folles, <strong>et</strong> appelait pour savoir si son invitation à mon<br />

mariage tout proche s’était perdue dans le courrier.<br />

Elle ne s’était pas perdue.<br />

Je dois reconnaître que j’avais éprouvé un certain plaisir à l’informer qu’il n’était pas sur la liste<br />

des invités.<br />

Will avait été offensé.<br />

Ce qui avait enfin fini par nous m<strong>et</strong>tre à égalité, parce que moi, j’étais — avec du r<strong>et</strong>ard — blessée<br />

par l’ensemble de son comportement durant notre soi-disant relation.<br />

Quand je lui avais dit au revoir ce jour-là, avant de raccrocher, j’ai su qu’il était sorti de ma vie<br />

pour de bon. J’attendais ce moment depuis longtemps <strong>et</strong> depuis, je n’ai pas beaucoup pensé à lui.<br />

Maintenant que je l’observe, que je respire son odeur, certains souvenirs enfouis dans ma mémoire<br />

se bousculent dans ma tête.<br />

Je me rappelle avoir respiré c<strong>et</strong>te même eau de toil<strong>et</strong>te qui imprégnait le sweat-shirt qu’il avait<br />

oublié chez moi après notre rupture. J’y enfouissais mon visage <strong>et</strong> rêvais que Will soit près de moi.<br />

Encore que, dans ce cas, il m’aurait probablement enjointe de cesser de baver sur lui. Il ne supporte pas<br />

qu’on bave.<br />

Je me souviens que Will avait toujours des plantes, même à la fac. Pas des plantes en pot, ou des<br />

cactus minables, mais des plantes réelles, des vraies de vraies, du genre qui nécessitent de la lumière, de<br />

l’engrais <strong>et</strong> des soins attentifs. J’étais jalouse de l’amour qu’il prodiguait à ses plantes, amour qu’il était<br />

incapable d’éprouver envers les êtres humains. Du moins envers moi.<br />

Je me rappelle que j’aimais laisser courir le bout de mes doigts sur la foss<strong>et</strong>te de son menton,<br />

exactement comme il le fait en ce moment, <strong>et</strong> probablement avec autant de tendresse.<br />

Il faut savoir qu’il n’y a qu’une seule personne qui n’a jamais été aussi follement amoureuse de Will<br />

McCraw, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te personne est Will McCraw.<br />

En ce moment même, il est tellement absorbé par lui-même — pour être juste, peut-être aussi par les<br />

livres sur les plantes — qu’il ne m’a pas encore remarquée. Si je m’éclipse maintenant, il ne me verra<br />

pas, moi <strong>et</strong> mon jean débraillé <strong>et</strong> mes Aerosoles.<br />

Mais cela m’ennuierait-il qu’il me voie ? Ce qu’il pense de moi m’importe-t-il toujours après toutes

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