Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free
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penses-tu de cela ?<br />
— J’ignorais tout de c<strong>et</strong>te histoire, dis-je à ma grand-mère, ébahie.<br />
— Tu ne devrais pas l’ignorer. C’est ton histoire.<br />
J’acquiesce d’un air solennel, contemplant la statue <strong>et</strong> Ellis Island dans le lointain.<br />
— Tu sais, elle n’a jamais revu ses parents, ni ses sœurs ou ses frères, me dit Mamie. Quand j’étais<br />
p<strong>et</strong>ite, elle pleurait parfois en parlant d’eux. Ils se sont écrit pendant des années, jusqu’à ce qu’ils<br />
meurent tous, là-bas en Italie, un par un, <strong>et</strong> qu’il ne reste plus qu’elle.<br />
Le seul souvenir que je conserve de mon arrière-grand-mère est celui d’une vieille dame ratatinée,<br />
en blouse <strong>et</strong> cardigan, avec des bas qui plissaient <strong>et</strong> des chaussures à semelles épaisses. Elle ne parlait<br />
pas anglais <strong>et</strong> nous pinçait les joues en nous donnant des carambars. Elle est morte quand j’étais p<strong>et</strong>ite.<br />
J’avoue qu’avant sa mort, comme après, je n’ai jamais beaucoup pensé à elle.<br />
Maintenant, je tente de l’imaginer, debout sur le pont d’un navire, dans ce même port, embarquant<br />
pour une existence nouvelle dans un pays étrange, loin de son pays <strong>et</strong> de sa famille.<br />
— Comment s’appelait-elle ? dis-je à Mamie. Ta mère.<br />
— Carlotta. Ce qui signifie « celle qui est forte » en italien. Et elle l’était…<br />
Ma grand-mère hausse les épaules.<br />
— … Nous le sommes tous. Surtout toi.<br />
— Moi ? dis-je, surprise. Pourquoi ?<br />
Elle rit.<br />
— Tu es la seule qui ait quitté le foyer, poursuivi un rêve, comme elle. Nous… nous restons dans le<br />
secteur. Près les uns des autres. C’est plus facile. Plus confortable. Nous préférons la sécurité.<br />
Je n’avais jamais considéré les choses sous c<strong>et</strong> angle, jamais pensé qu’ils m’admiraient. Je croyais<br />
qu’ils se contentaient de m’en vouloir. J’ai toujours eu l’impression d’être le mouton noir de la famille.<br />
Peut-être que je me trompais.<br />
Tandis que le bateau glisse le long de la Statue de la Liberté, Mamie passe son bras autour de mon<br />
épaule <strong>et</strong> m’attire contre elle, me caressant les cheveux comme le font les grand-mères.<br />
Je pense à mon ancienne vie <strong>et</strong> à ma nouvelle existence.<br />
Je pense à Carlotta, qui construisait une nouvelle vie, seule dans un nouveau pays, <strong>et</strong> je me dis que,<br />
sans elle, je ne serais pas là.<br />
Je ne parle pas d’ici ou de Glenhaven Park. Je veux dire ici, sur terre.<br />
Elle était forte.<br />
Oui, j’ai bien plus d’expérience que Carlotta en avait quand elle s’est mariée <strong>et</strong> est arrivée en<br />
Amérique. Et mon mari n’est pas un étranger. Pourtant…<br />
Peut-être suis-je forte, moi aussi. Plus forte que je ne croyais.<br />
* * *<br />
Ce soir-là, avant de me coucher, en ouvrant un tiroir à la recherche de mon fil dentaire, je tombe sur<br />
tous ces sach<strong>et</strong>s de graines que j’ai entassés là la semaine dernière.<br />
Inutiles, selon Mamie.<br />
Je les porte à la poubelle <strong>et</strong> appuie sur la pédale, prête à les j<strong>et</strong>er.<br />
Quel gâchis.<br />
Que se passerait-il si je les plantais quand même maintenant ?<br />
Et si c<strong>et</strong>te année était la première sans gelée ?<br />
Ce n’est pas gagné, je le sais… mais tout est possible, n’est-ce pas ? Avec le réchauffement de la<br />
planète <strong>et</strong> tout ça.<br />
Je me glisse dehors en pyjama <strong>et</strong> tennis, armée d’une truelle <strong>et</strong> des paqu<strong>et</strong>s de graines.