Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free
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egarder germer, <strong>et</strong> cueillir des tomates mûres <strong>et</strong> des poivrons sur leurs branches devant ma porte de<br />
derrière en août, comme ma mère <strong>et</strong> ma grand-mère l’ont toujours fait.<br />
Pourquoi personne ne m’a jamais dit qu’elles se procuraient des plants au magasin de jardinage ?<br />
Pourquoi les choses ne se déroulent-elles jamais comme je l’espère ?<br />
Et pourquoi ce fichu jardin est-il si important pour moi ?<br />
Aucune idée. C’est ainsi, c’est tout.<br />
Enfin, c’était ainsi.<br />
Peu importe. C’est raté.<br />
— J’imagine que je vais garder les graines pour l’année prochaine, dis-je à Mamie dans un soupir.<br />
— Oh, les graines ne se gardent pas. Tu vas devoir en ach<strong>et</strong>er de nouvelles.<br />
Je suis de nouveau consternée. Quel gâchis ! Je ne peux dilapider ainsi le budg<strong>et</strong> graines.<br />
Pour commencer, le budg<strong>et</strong> graines n’a jamais existé.<br />
Qui aurait cru que le jardinage comportait tant de règles ?<br />
Qui aurait cru que j’échouerais aussi lamentablement avant même d’avoir commencé ?<br />
Je repousse mon magazine <strong>et</strong> termine le traj<strong>et</strong> en regardant défiler le paysage d’un air sombre.<br />
Nous finissons enfin par arriver au terminus de Grand Central. Je rassemble mes brebis <strong>et</strong> dirige<br />
Mamie <strong>et</strong> Stefania dans le hall central, où elles s’extasient avec des Oh ! <strong>et</strong> des Ah ! devant le plafond<br />
d’un bleu ciel chatoyant peint de constellations, puis les fais descendre <strong>et</strong> les pousse dans le métro.<br />
Me r<strong>et</strong>rouver à Manhattan après presque une semaine d’absence me donne une impression un peu<br />
étrange. Je foule un territoire familier <strong>et</strong> chaque geste s’impose comme un réflexe. Pourtant, je<br />
n’appartiens plus à c<strong>et</strong>te ville. C’est peut-être pourquoi ses inconvénients me semblent s’être amenuisés,<br />
comme par miracle. La foule, les prix élevés, les sans-abri, le bruit… Rien de tout cela ne m’irrite<br />
aujourd’hui. Je me sens émotionnellement protégée. A moins que ce ne soit émotionnellement isolée.<br />
Quand le train express se transforme en omnibus le reste du traj<strong>et</strong>, je hausse les épaules. Même<br />
réaction lorsque nous émergeons sur Canal Stre<strong>et</strong> <strong>et</strong> qu’un taxi m’éclabousse en passant dans une flaque<br />
de boue.<br />
L’atmosphère, lourde <strong>et</strong> humide, charrie les odeurs de cuisine exotique, de l’East River <strong>et</strong> des corps<br />
étrangers qui se collent à vous.<br />
Pour faire plaisir à Stefania, nous déjeunons dans un p<strong>et</strong>it restaurant polonais du Lower East Side.<br />
Pour faire plaisir à Mamie, nous prenons le dessert <strong>et</strong> un espresso dans une pâtisserie italienne, à<br />
quelques rues de Mulberry Stre<strong>et</strong>.<br />
Puis nous partons pour Battery Park <strong>et</strong> prenons le ferry, duquel nous pourrons admirer la Statue de la<br />
Liberté.<br />
C’est drôle. Durant toutes ces années passées à Manhattan, je ne l’ai vue que deux fois. On ne peut<br />
pas dire que je navigue dans le port de New York au quotidien.<br />
— Je ne peux pas croire je me trouve ici !<br />
Je me tourne vers Stefania, qui se tient à mes côtés, les cheveux au vent, des larmes coulant sur ses<br />
joues.<br />
Mamie la regarde, puis se tourne vers moi. A ma grande surprise, des larmes brillent aussi dans ses<br />
yeux.<br />
— C’est la première chose que ma mère a vue quand elle est arrivée d’Italie, dit-elle en s’essuyant<br />
les yeux. Ce n’était qu’une gamine.<br />
— Quel âge avait-elle, Mamie ?<br />
Stefania se déplace le long du pont, appareil photo en main, prenant cliché sur cliché depuis des<br />
angles différents.<br />
— Quinze ans. C’était une jeune mariée. Mon père vivait déjà ici. Il avait fait le voyage un an plus<br />
tôt, puis il l’a fait venir. Il s’agissait d’un mariage arrangé au pays, aussi se connaissaient-ils à peine. Que