Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

Dans le train qui nous conduit à New York, plusieurs personnes examinent Mamie d’un œil méfiant.
Je me surprends à regretter de ne pas être partie à l’heure de pointe. Trouver trois sièges côte à côte
aurait été impossible et nous aurions dû nous asseoir séparément. Je m’empresse de placer Stefania entre
nous deux et me plonge dans mon magazine de jardinage afin que personne ne devine que nous voyageons
ensemble.
Surtout quand Mamie annonce, très fort, à portée de voix de tous, y compris du contrôleur petit et
sympa :
— Le contrôleur souffre d’un horrible problème de peau, pauvre petit.
Puis Mamie se penche par-dessus les genoux de Stefania.
— Que lis-tu, Tracey ? demande-t-elle.
Je lui montre la couverture.
— Tu vas planter un jardin ?
— Oui, dès que je le pourrai.
— Quel genre de jardin ?
— Tu sais… comme celui de maman. Et du tien. Des herbes, des fleurs, des légumes…
Mamie a l’air contente.
— Quelle belle idée !
Stefania aussi.
— Belle idée ! répète-t-elle.
— Oui. J’ai déjà acheté toutes les graines.
— Des graines ? Nous sommes déjà en juin. Trop tard pour débuter un jardin avec des graines !
Je fronce les sourcils.
— Trop tard ? Vraiment ?
— Oh, oui.
Elle secoue la tête en agitant la main d’un geste méprisant.
— On plante les graines en hiver, dans de petits pots à l’intérieur.
— Ma mère n’a jamais fait ça !
— C’est parce qu’elle achète des plants en magasin. Comme la plupart des gens.
— On fait ça ? Ma mère le fait ?
— Oui, confirme Mamie.
— Oui, confirme Stefania à tout hasard.
Vraiment. Comment le savoir ? Je n’ai jamais dû prêter attention à la façon ni à l’époque où les
plantes apparaissaient dans le jardin. Tout ce que j’ai jamais remarqué, c’est le résultat final. Les tomates
d’août, toutes chaudes du soleil.
— Bien sûr, reprend Mamie. Tu dois planter les plants dès le début de la saison. Rends-toi dans un
magasin de jardinage, il se peut qu’il soit encore temps.
— Je veux planter des graines, dis-je, têtue.
— Non.
C’est Stefania, têtue elle aussi. Elle recommence à me taper sur le système. J’aurais dû la placer
côté couloir.
— Que se passerait-il si je plantais les graines maintenant ? Elles ne pousseraient pas ?
— Si elles pousseraient, me dit Mamie. Et à l’automne les premiers gels les tueraient, avant que tes
tomates n’aient eu la chance de mûrir ou tes fleurs de fleurir.
Mon Dieu, que c’est déprimant !
— Si tu veux planter des graines, attends l’année prochaine, dit Mamie avec fermeté.
— L’année prochaine, approuve Stefania avec fermeté.
L’année prochaine ? Je voulais planter un jardin cette année. Je voulais planter des graines et les