Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

Mais elle a remis son haut et le coince dans son jean, qui monte jusque dans le voisinage de sa cage
thoracique. Oui. Elle porte un jean. Un jean en denim foncé, doux et brillant, taille haute. Assorti de hauts
talons dignes d’une prostituée. Ses cheveux, en ce moment teints d’un blond cuivré, sont ramassés sur le
dessus de sa tête et elle a appliqué du maquillage — ombre à paupières bleu comprise.
Un moment, je regrette qu’elle ne soit pas une mamie standard — une douce petite vieille aux
cheveux blancs avec une blouse et des savates, les poches pleines de bonbons.
Comprenez-moi bien. J’adore ma grand-mère. C’est juste qu’elle est… un sacré personnage les bons
jours, une cinglée les mauvais. On a l’impression que son filtre aux comportements choquants s’est
désintégré. Peut-être est-ce un signe de l’âge.
Soudain, j’éprouve davantage de nostalgie que d’embarras.
Mamie ne sera pas toujours là.
Ma mère non plus.
Même cette maison familière, un jour, sera vendue à quelqu’un, comme la maison de Hank et Marge
nous a été vendue à Jack et moi.
C’est chez moi maintenant, mon propre chez-moi, à presque six cents kilomètres de distance.
Maintenant, c’est ma vie. Un jour, je serai la matriarche qui s’active partout dans la maison en tablier
ou — que Dieu me vienne en aide ! — en exhibant mon sein à la belle-mère de ma petite-fille.
— Quel genre de soutien-gorge portez-vous, Wilhelmina ? demande Mamie.
Oh, pour l’amour de Dieu…
— Vous savez quoi, Wilma, dis-je à toute vitesse, vous devez être épuisée après ce trajet en voiture.
Vous voulez que je vous emmène là-haut, afin que vous puissiez vous rafraîchir avant le dîner ?
— C’est une bonne idée, répond-elle, reconnaissante.
Quand nous quittons la pièce, je lui murmure :
— Je suis désolée au sujet de ma grand-mère.
Elle balaie mes paroles d’un geste de sa main manucurée.
— Nous avons tous une grand-mère excentrique.
J’en doute un peu, mais c’est gentil de sa part de le dire.
Dans l’escalier, nous croisons Stefania.
— Hé, Tracey ! Hé, Wilma !
Elle agite la main en nous gratifiant d’un grand sourire, comme pour dire « L’amérique, c’est
super », et l’espace de quelques secondes, je me reproche de lui en vouloir.
Puis je me souviens qu’elle dort dans ma chambre et que moi je cohabite avec Wilma au bout du
couloir.
— Comment ça va, Stefania ? dis-je.
Puis diabolique, j’ajoute :
— Pourquoi ne pas tenir compagnie à ma grand-mère ? Elle se trouve dans la salle à manger.
— Okay ! Okay, Tracey !
Et la voilà partie.
— C’est une gentille fille, commente Wilma tandis que nous montons l’escalier.
— Très gentille.
— J’adore ta famille, tellement chaleureuse et accueillante. Et j’adore voir tes parents ensemble,
ajoute-t-elle avec un voile de tristesse dans la voix. Ils me rappellent Jack et toi.
Et tout ce qu’elle a raté, en étant mariée — puis divorcée — à mon défunt beau-père.
Pauvre Wilma. Je m’en veux vraiment d’avoir envisagé de la projeter du haut d’une falaise.
Jusqu’à ce que — au moment de déguster le tiramisu maison confectionné par ma mère en
dessert — Wilma ne transforme mon avenir immédiat en enfer.
Il faut avouer qu’elle est puissamment aidée et que cela commence en toute innocence, au moment où