Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

qu’ils pourraient…
Quoi ?
Vivre avec toi ?
Ouais. C’est ça. Je suis jalouse. Je déteste le reconnaître, mais je ne peux pas m’en empêcher.
Peut-être est-ce parce que j’ai toujours été la plus jeune de la famille. C’est ce que devaient
ressentir mes frères et sœurs chaque fois que mes parents ramenaient un nouveau bébé sur lequel
s’extasier.
Sauf que Stefania n’est pas un bébé et que je ne vis plus ici.
En observant mes parents, je remarque que ma mère paraît un peu pâle et fatiguée et que les tempes
de mon père ont encore grisonné.
Ils vieillissent et me manquent désespérément.
Nous pénétrons dans la maison, où flotte, comme d’habitude, l’odeur de notre restaurant italien
préféré, et qui déborde d’un mic-mac de meubles, anciens et neufs (c’est-à-dire achetés durant ce
millénaire) et de souvenirs de toute une vie. Partout s’affichent des photos encadrées : certaines toutes
récentes et d’autres vieilles de plusieurs dizaines d’années, certaines de simples clichés maison, d’autres
des portraits réalisés par des professionnels. Les jouets de mes neveux et nièces sont partout, tout comme
les enfants qui rampent, courent, grimpent et sautent sur les coussins.
C’est le chaos, c’est encombré, c’est chez moi.
Non, ce n’est pas chez toi. Tu possèdes ta propre maison. Tu te souviens ?
Prise d’une impulsion, je me tourne vers ma mère.
— Maman, tu devrais venir avec moi quand je vais rentrer dimanche. Cela te changerait les idées, tu
verrais la nouvelle maison, tu passerais quelques jours avec moi.
— Tracey, tu viens juste d’emménager. Tu n’es pas prête à recevoir des invités. Ta chambre d’amis
est-elle meublée au moins ?
— Bien sûr, dis-je en me demandant si un matelas pneumatique sans doute troué fait l’affaire. De
toute façon, tu prendrais notre chambre.
— Je ne ferais pas ça. Et tu n’as probablement pas encore défait tes cartons, alors…
Elle a raison. Des cartons traînent toujours partout.
Pourtant…
— Jack et moi aimerions vraiment que tu viennes, maman. Nous jouissons de toute la place
nécessaire.
— Pas cette fois, répond ma mère en me tapotant l’épaule. D’ailleurs, ta belle-mère est là pour te
tenir compagnie durant le trajet de retour.
— Oui, mais ce serait super que tu viennes avec nous. Trois filles parties à l’aventure sur les
routes… Ça ne te plairait pas ?
— Une autre fois, dit ma mère. Quand papa pourra venir lui aussi.
— Je suis sûre qu’il peut survivre quelques jours sans toi, maman.
Elle secoue la tête. Dans ma famille, ces choses ne se font pas. Les femmes ne partent pas courir les
routes en abandonnant leur mari.
Je soupire intérieurement, sachant que cela ne changera jamais. C’est ainsi. Pourquoi ne puis-je
l’accepter ?
Pourquoi dès que je passe le seuil de cette maison, suis-je envahie de sentiments de nostalgie,
culpabilité, frustration et jalousie ?
— La présence de Stefania est tellement agréable, commente ma belle-sœur Katie tandis que nous
nous dirigeons vers le salon. Dommage que son visa expire. Elle doit regagner la Pologne dans deux
semaines.
Tant mieux.