Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

Tous les autres habitants se déplacent en Mercedes-Benz, Jaguar, Lexus ou Hummer, si j’en juge par
la file de voitures garées le long de la rue.
Je rappelle Jack. Toujours sans succès.
— Où es-tu ? dis-je dans sa boîte vocale, tentant de ne pas geindre. Je suis de retour à Westchester
et je me suis arrêtée pour acheter cette poupée géante pour l’anniversaire de ma nièce. Appelle-moi
quand tu reçois mon message. Bisous.
Je suis à mi-chemin de la porte de la boutique quand je me rappelle que je dois verrouiller la
voiture avec la clé télécommandée. Le bip-bip me répond, confirmant le verrouillage des portes, et je me
sens vaguement ridicule.
Je ne crois pas qu’un gang de délinquants rôdent ici en plein jour.
— Hé, les mecs, faut qu’on se fasse cette super Hyundai vert petit pois.
Je parie que j’aurais pu la laisser non verrouillée, les clés sur le contact, moteur en marche, et
personne ne s’en serait approché.
Dans la vitrine de « La souris sur le tapis », le futur cadeau d’anniversaire de ma nièce semble me
faire signe et dire : S’il te plaît, achète-moi et emmène-moi dans une belle maison où une gentille petite
fille me bercera tous les soirs.
Parfait. Hayley va adorer cette poupée.
Elle va fêter son anniversaire à Brookside le week-end prochain. Jack et moi espérions être
présents, mais il est probable maintenant qu’il doive travailler. Comme les jours de congés ne sont plus
un problème pour moi, j’irai peut-être seule.
Même si, en ce qui concerne ma mère, tout danger immédiat semble écarté, je veux vérifier par moimême
qu’elle va bien, et peut-être discuter avec les médecins de ses examens.
Par contre, un trajet de six cents kilomètres en solo peut se révéler un projet ambitieux pour une
conductrice qui a du mal à entrer et sortir des places de parking.
Quand j’entre dans la boutique pour enfants, la petite cloche de la porte tinte gaiement. L’endroit est
feutré. De la musique classique joue en sourdine et la boutique sent les fleurs et les bougies à la cannelle.
Charmant.
Derrière le comptoir, une femme coiffée d’un chignon serré, avec d’étroites lunettes de lecture
perchées au bout du nez lève les yeux, une expression moins accueillante sur le visage.
— Bonjour, dit-elle avec méfiance.
— Bonjour ! dis-je de ma voix la plus amicale, qui résonne tant qu’elle manque faire trembler les
jolies petites figurines de verre sur l’étagère près de moi.
On dirait que la vendeuse grimace. Peut-être qu’elle essaie de sourire mais que son chignon trop
serré l’en empêche. Je décide de lui accorder le bénéfice du doute.
— Je peux vous aider en quoi que ce soit ?
Autant aller droit au but. Je ne suis pas venue examiner ce qu’elle a en magasin, et même si j’en
avais envie, j’ai l’impression qu’elle n’autoriserait pas mes mains poisseuses à tripoter les portants
chargés de vêtements aux délicates teintes de rose et bleu pastel — encore qu’après un premier coup
d’œil, je n’aperçoive rien de rose, de bleu ou de pastel.
Les vêtements affichent quantité de nuances inhabituelles comme chartreuse ou citrouille et recèlent
même une grenouillère imprimée léopard pour faire bonne mesure.
De toute évidence, il ne s’agit pas de la première boutique pour enfants venue. Je ferais bien
d’acheter la poupée géante et de sortir de là.
— La poupée de chiffon dans la vitrine me plaît, dis-je à la dame au chignon. Je peux les regarder ?
— Les regarder ?
— Les poupées.
— Je n’en ai qu’une. Et c’est un modèle unique.