Talons aiguilles et peinture fraîche (Harlequin Red Dress Ink) - Free

le spectacle de l’école.
— Vous allez venir voir le spectacle ? demande Ashley.
— Bien sûr qu’ils vont venir, lui répond Wilma. Maintenant qu’ils habitent ici, tante Tracey et oncle
Jack vont pouvoir venir à tous vos spectacles. N’est-ce pas génial ?
— Et comment, je murmure.
Pourquoi ai-je jamais pensé que la famille de Jack était saine d’esprit comparée à la mienne ?
Tous les membres de nos deux familles sont totalement lunatiques. Absolument tous, sans exception.
Y compris Wilma, qui vient de sortir un pipeau de sa poche et demande aux filles de reprendre les
paroles de la chanson du gourou, plus fort, et avec davantage de sentiment.
Quand nous réintégrons la cuisine, Kathleen est prise de faiblesse, soulagée de voir ses bébés saines
et sauves.
— Je t’avais bien dit que nous ne devrions nous déplacer nulle part sans Sam pour garder un œil sur
les filles, déclare-t-elle à Bob.
— La prochaine fois, nous viendrons avec Sam, approuve-t-il.
Ou — idée ! — laissez le duo de gourous à la maison, ai-je envie de suggérer. Qu’en pensez-vous ?
Meilleure idée encore : ne passez plus sans prévenir jusqu’à ce que nous ayons rénové entièrement la
maison.
Jack fait visiter les lieux à tout le monde, tandis que j’essaie de m’y retrouver dans la cuisine, à la
recherche de la cafetière, de filtres et de tasses pour demain matin. Je ne trouve rien de tout ça, mais je
tombe sur une boucle d’oreille esseulée — peut-être une de celles dont j’ai emballé la partenaire quelque
part ailleurs —, le suspensoir de Jack disparu depuis si longtemps et une photo encadrée de nous deux au
début de notre rencontre.
Des gouttelettes d’humidité se sont infiltrées dans le cadre, collant la photo sur le verre. Un jour,
j’ai essayé de la décoller et elle s’est un peu déchirée. Dommage, parce que c’est une superbe photo.
Nous paraissons si jeunes, si heureux et insouciants.
Aujourd’hui nous sommes devenus un couple de futurs vieux croûtons, avec un emprunt immobilier à
rembourser et un trajet quotidien de deux fois une heure pour nous rendre à des boulots que nous avons
peut-être perdus.
Je fixe la photo. Dans ma tête, j’entends Barbra Streisand chanter Est-il possible que tout ait été si
simple alors ? et je manque éclater en sanglots dans le suspensoir de Jack.
Des pas résonnent dans l’escalier et je fourre vivement la photo dans un tiroir avant que Jack et la
belle-famille ne reprennent la cuisine d’assaut.
— Il va vraiment vous falloir réparer ce porte-serviette dans la salle de bains avant qu’il ne tombe
sur la tête de quelqu’un et ne le tue, dit Bob à Jack.
— Sur la tête de qui ? D’un nain ? demande Jack.
J’ai l’impression qu’il souhaite que le porte-serviette — ou peut-être un rocher — tombe sur la tête
de Bob.
— Tracey… tu pleures ? demande Wilma qui m’observe.
— Non ! C’est juste la poussière, j’ai sorti des trucs…
— Tu es épuisée, dit-elle avec gentillesse. Pourquoi ne pas en rester là pour aujourd’hui et venir
dormir à la maison ? Vous n’avez même pas encore installé de lit.
Elle a raison. Matelas, sommier, lattes, têtes de lit sont arrivés, mais aucun dans la même pièce ou
même au même étage. Je sais que j’ai emballé les draps et les oreillers. Quelque part. Ou alors non, et ils
sont partis à la poubelle.
Note : tu délires.
— Rentrez avec moi, insiste Wilma, et demain toute la famille reviendra pour vous aider à vider ces
cartons en un clin d’œil.