ECOLE POLYTECHNIQUE CREA - Centre de Recherche en ...
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<strong>ECOLE</strong> <strong>POLYTECHNIQUE</strong><br />
— C R E A —<br />
CENTRE DE RECHERCHE EPISTIOLOGIE AUTONOMIE<br />
Programme “RprotIuctions et ruptures culturelles”<br />
L’ EMERGENCE DES NORMES<br />
Cahier publié avec le concours du<br />
Programme doctoral<br />
<strong>de</strong> I’Ecole <strong>de</strong>s Hautes Etu<strong>de</strong>s Commerciales<br />
et <strong>de</strong> l’institut Supérieur <strong>de</strong>s Affaires<br />
CAIlIIItS 1)0 CHEA N°3<br />
1, rue 1)escartos Mai 1984<br />
75005 I’ARIS
LA TIIFX)RIE CRITIQUE DE LA<br />
TRADITION<br />
DE F. —A. ITAYEK<br />
par I’hillppe NI*tU
CAIJ1 811S DU CllIA<br />
TADLE 13ES MAPIERES<br />
L’EMERGENCE DES N0iMES<br />
Cahier n°1 Modèles formels do La philosophie<br />
sociale et politique — Mechorches<br />
pour un siminaire. Octobre 1982. 1. La théorie critique <strong>de</strong> la tradition<br />
<strong>de</strong> F. —A. Ilayek, par Philippe Nemo p 5<br />
Cahier n°2; Jleproductions et ruptures culturel— 2. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne Juridique,<br />
les. 1tu<strong>de</strong>s girardi<strong>en</strong>nas. Systèmes par Christian Atian p 103<br />
à auto—organisation. Mai 1983.<br />
3. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne médicale. Le<br />
cas <strong>de</strong> 1.”insémjnatjon artificielle<br />
avec donneur”, par G<strong>en</strong>eviève Delaini<br />
<strong>de</strong> Paroeval et Jean—François Malberbe p 129<br />
ACTEURS gi’ INSTITUTIONS CULTURELS<br />
1. Les Intellectuels et la “prophétie”,<br />
par Philippe Nomo p 143<br />
2. La revue. <strong>en</strong>tre te prophétique et le<br />
clérical, par Jean—Marie Doin<strong>en</strong>ach p 243<br />
pa.
Introduction<br />
1 — Descartes et la critique <strong>de</strong> la<br />
tradition w<br />
§ 2 — L’erreur sci<strong>en</strong>tifique do Descartes 17<br />
§ 3 — Le concept <strong>de</strong> règle 24<br />
§ £4 — Ler5lo <strong>de</strong>s rôglos abstraites 33<br />
7<br />
LA THFURIE CRITIQUE DE LA TRADITION’<br />
DE F.—A. RAY<br />
§ 5 — L’origine <strong>de</strong>s ràgles abstraites p Philippe N4O<br />
§ 6 — La culture, savoir incorporé<br />
dans les traditions 56<br />
séance du 27 octobre 1983<br />
§ 7 — Dogmatisme et critique <strong>de</strong>s rùgles 6!, Rhyelc, oonnu comme économiste et philosophe politique, est<br />
§ R — L’émerg<strong>en</strong>ce do la nonne Jtirkllque. peut—tre avant tout un épistémologue. Ses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> psychologie et<br />
Epistéinologie <strong>de</strong> la Jurispru<strong>de</strong>nce 72 d’économie l’ont conduit très tt à une réflexion sur la méthodologie<br />
§ 9 — Un “conservatisme dynamique” 83 <strong>de</strong>s soi<strong>en</strong>oes et singulièrem<strong>en</strong>t sur la spécificité <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> la con—<br />
Conclusion<br />
naissanoe <strong>en</strong> univers indéterministe. Là où un très grand nombre d’élé—<br />
m<strong>en</strong>ts et <strong>de</strong> paramètres interui<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans la formation d’un phénomène,<br />
le déterminisme mécaniniste eut inaccessible. Cep<strong>en</strong>dant la connaissance<br />
est possible, si on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par “connaissance” un rapport déterminé à<br />
un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t.<br />
Hayek, <strong>en</strong> étudiant les “ordres spontanés” économiques, puis<br />
généralem<strong>en</strong>t sociaux, a analysé ce g<strong>en</strong>re spécifique <strong>de</strong> connaissance,<br />
étrange au regard <strong>de</strong>s paradigmes dominants <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong>s sot<strong>en</strong>—<br />
ces, mais familier à chacun, à certains égards — et déjà pris <strong>en</strong> compte<br />
dans la philosophie anci<strong>en</strong>ne — parce que ce type do connaissance n’est<br />
pas lexoeptjofl, maie bi<strong>en</strong> la règle dans la praxis humaine.<br />
Cette connaissance est la “culture” — le mot étant pris ici<br />
<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s très précis. La théorie <strong>de</strong> la tradition morale et juridique<br />
élaborée par llayek pour éviter le apories du positivisme juridique est<br />
ext<strong>en</strong>sible à l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> ce qu’on appelle “culture”. La culture pour—
— H—<br />
rait n’ ra pas autre chose que l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s savoirs incorporés dans<br />
les traditions, savoirs auxquels na peut htre substituée aucune théorie<br />
déterministe, nomothétique, a fortiori formelle et quantifiée. Ce qui<br />
vali<strong>de</strong> o4s savoirs est leur caractère traditionnel même et ce caractère<br />
seul — et non une situation expérim<strong>en</strong>tale provoquée. Dans une toile<br />
oonceptin, la culture est néanmoins, ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, un savoir, mtme<br />
mi ce saoir n’est pas, le plus eouv<strong>en</strong>t, théorique et consiste <strong>en</strong> schè<br />
mes incotsci<strong>en</strong>ts ou <strong>en</strong> normes expliaites guidant la p<strong>en</strong>sée et l’action<br />
et permetftant d’adapter les comportem<strong>en</strong>ts dans la conting<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la vie<br />
pratique (<strong>de</strong>s pratiques professionnelles et spéoialiséos ou <strong>de</strong> la “vie<br />
tout cour).<br />
5<br />
La culture, qui est mémoire, serait donc ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, et<br />
contrair<strong>en</strong><strong>en</strong>t à l’opinion ordinaire, tournée vers l’av<strong>en</strong>ir. Elle serait<br />
le savoir ouvert qui permet d’?,tre préparé ou adapté au nouveau <strong>en</strong>tant<br />
que tel, ans une certaine mesure du moins; cette adaptation n’étant<br />
pas carta.ne, mais optimale.<br />
La théorie <strong>de</strong> la formation du droit proposée par 1Taek parait,<br />
<strong>de</strong> mèse, jouvoir éclairer le problème <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> la culture ain<br />
si conçue. Dans la inssure où le savoir culturel est validé par- le oarao—<br />
tèi’e coilotif et traditionnel <strong>de</strong>s expéri<strong>en</strong>ces qu’il incorpore, il ne<br />
peut, par définition, ètre réformé délibérécn<strong>en</strong>t par <strong>de</strong>s théorici<strong>en</strong>s im-.<br />
posant à oua, et du coup, un nouveau systèmo <strong>de</strong> valeurs. Le change<br />
m<strong>en</strong>ts culturelm doiv<strong>en</strong>t se faire sur un mo<strong>de</strong> spécifique, non intégrale<br />
m<strong>en</strong>t théorique et logique.<br />
r.a théorie <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, comme formulation créatrice<br />
d’un droit implicite spontaném<strong>en</strong>t formé, peut servir <strong>de</strong> repère, sinon.<br />
<strong>de</strong> modèle,pour une articulation plus générale du problème <strong>de</strong> l’évolu<br />
tion cultuielle. Cette théorie permet <strong>de</strong> dépasser, dans le cas du droit,<br />
i’oppoaiti4n dogmatisme/révolution. Elle fournit <strong>de</strong> concepts à umo thé<br />
orie critique <strong>de</strong> traditions culturelles.<br />
on propos dans le prés<strong>en</strong>t texte ont <strong>de</strong> dégager cette thorio<br />
<strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l’évolution culturelle <strong>de</strong> l’oeuvre maitresse <strong>de</strong> Ha—<br />
yek, Droit Législation et Liberté. En un s<strong>en</strong>s, je ne ferai que pré—<br />
—9—<br />
s<strong>en</strong>tez’ les élém<strong>en</strong>ts du texte où figure oette théorie, <strong>en</strong> ajoutant para<br />
phrases explicatives et<br />
oosm<strong>en</strong>rtairos(2). Maie alors que Hayek gar<strong>de</strong> cons—<br />
tamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vue le problème <strong>de</strong> la péoifioité <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> la Société<br />
ouverte ou société <strong>de</strong> droit, je m’attar<strong>de</strong>rai sur la théorie <strong>de</strong> la culture<br />
<strong>en</strong> eile—mme, qui intéresse principalem<strong>en</strong>t les recherches <strong>de</strong> notre Sémi—<br />
naire.
§1<br />
Descartes et la critique do la tradition.<br />
Le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> llayek est la critique du ‘construc—<br />
tivism rationaliste”, don-t l’origine ou du moins la mise <strong>en</strong> forme<br />
philoecphique la plus nette est le cartésianisme. Comme Descartes<br />
a critqué les savoirs traditionnels, la critique <strong>de</strong> Descartes<br />
conduiza à une sorte <strong>de</strong> réhabilitation — cous conditions — <strong>de</strong> la<br />
tradition telle qu’elle était valorisée, avant Descartes, par la<br />
echolasftiue et 1 ‘ariatotélico—thomisme.<br />
L’erreur <strong>de</strong> Descartes est due à ce quj1 a cru qu’il n’y<br />
avait q1’une seule figure <strong>de</strong> la vérité, ce qui est clair et dis—<br />
tinot 011 produit par la raison déductive à partir <strong>de</strong> prémisses<br />
olaires et distinctes. Il n donc invalidé 2es savoirs dont les<br />
fon<strong>de</strong>metts ne sont pas, par principe, explicitahies, e’est—à—djre<br />
les savîirs traditionnels, et parmi eux la morale et le droit.<br />
“Le doute radical qui faisait refuser (à Descartes) d’ac<br />
cepter cuoi que ce soit pour vrai qui ne puisse être logiquem<strong>en</strong>t<br />
déduit 4.<br />
partir <strong>de</strong> prémisses explicites qui soi<strong>en</strong>t clairos et dis.—<br />
tinctea et par conséqu<strong>en</strong>t hors <strong>de</strong> doute possible, privait <strong>de</strong> -irali—<br />
dité ta4tes celles d’<strong>en</strong>tre les règles <strong>de</strong> conduite qui ne pouvai<strong>en</strong>t<br />
être jumtifié<strong>en</strong> <strong>de</strong> cette manière” (Droit, Législation et Liberté,<br />
trad. fi<br />
1., tome I, P.U.F., 1980, p.II).<br />
Par conséqu<strong>en</strong>t, le fait d’accepter la tradition est ir—<br />
rationnl. C’est ce que dit Descartes au début du Discours <strong>de</strong> la<br />
Métho<strong>de</strong> uand il fait le bilan <strong>de</strong> l’éducation qu’il a reçue dans<br />
les mei2leures écoles d’Europe. De ces savoirs transmis, pas un<br />
n’est totalem<strong>en</strong>t certain, parce que pas un ‘ne se prés<strong>en</strong>te si<br />
clairem<strong>en</strong>t et distinctem<strong>en</strong>t à (i’) esprit qu’ (On n’e1t) aucune<br />
—<br />
—<br />
— 11 —<br />
occasion <strong>de</strong> le mettre <strong>en</strong> doute”. Les “langues”, les “fables”, les<br />
“histoires”, les “livres”, l”éloqu<strong>en</strong>ce”, la “poésie”, les “mathé<br />
matiques”, les “écrits qui trai-t<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s moeurs”, la “théologie”,<br />
la “philosophie”, la “jurispru<strong>de</strong>nce”, la “mé<strong>de</strong>cine” et les “autres<br />
sci<strong>en</strong>ces”, sont do savoirs fragm<strong>en</strong>taires, mal ajustés, qui ne se<br />
suiv<strong>en</strong>t pas “par ordre” et sont parfois directem<strong>en</strong>t contradiotoi—<br />
res. Il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> les rejeter. comme simples opinions.<br />
“J’appr<strong>en</strong>ais à ne ri<strong>en</strong> croire trop fermem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce qui ne<br />
m’avait été persuadé que par l’exemple et par la coutume, et ainsi<br />
je me délivrais peu à peu <strong>de</strong> beaucoup d’erreurs, qui peuv<strong>en</strong>t offus<br />
quer notre lumière naturelle, et noue r<strong>en</strong>dre moine capables d’<strong>en</strong><br />
t<strong>en</strong>dre raison” “Il est presque impossible que nos jugem<strong>en</strong>ts<br />
soi<strong>en</strong>t si pure, ni mi soli<strong>de</strong>s qu’ils aurai<strong>en</strong>t été, ai noua avions<br />
eu l’usage <strong>en</strong>tier <strong>de</strong> notre raison dès le point <strong>de</strong> notre naissance,<br />
et que noua n’eussions jamais été conduits que par elle”<br />
Descartes, on le sait, généralise et radicalise ce doute<br />
(il l’ét<strong>en</strong>d même aux mathématiques, malgré leur plus grands olire—<br />
té); et c’est dans la “nuit” ainsi oréée qu’il trouvera la lumière<br />
inextinguible du Cogito, à partir <strong>de</strong> laquelle tout l’édifice <strong>de</strong> la<br />
sci<strong>en</strong>ce pourra être rep<strong>en</strong>sé à neuf. L’arbre <strong>de</strong> la philosophie (qui<br />
pour l’ess<strong>en</strong>tiel reste à bêtir, au prix <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> temps) sera<br />
soli<strong>de</strong>, dans la seule mesure où il aura été fondé sur le Cogito,<br />
sur la connaissance <strong>de</strong> Dieu, sur les mathématiques. Toute connais<br />
sance <strong>de</strong>vra sortir <strong>de</strong> celles—là, par les règles <strong>de</strong> la Métho<strong>de</strong>, pour<br />
être vraie. Elle <strong>de</strong>vra avoir été p<strong>en</strong>sée pour la première fois ou<br />
reponnée intégralem<strong>en</strong>t sur ces bases; elle ne peut v<strong>en</strong>ir, telle<br />
quelle, do la tradition.<br />
Ce qui signifie, pour les cartési<strong>en</strong>s, que <strong>de</strong>s institutions<br />
et autres oidres sociaux non élaborés <strong>de</strong> cette façon sont mauvais;<br />
ou que, s’ils sont bons, ils ne le mont que par hasard. Tant qu’<br />
on n’aura pas justifié, par la rationalité logico—mathémati<br />
0ue,<br />
unu institution donnée, on ne pourra sy fier. Elle pas <strong>de</strong>
— 12 —<br />
légiti,ité propre. lIn corollaire, toute institution nouvelle logi<br />
quem<strong>en</strong>t fondée sur <strong>de</strong>s prémisses évi<strong>de</strong>ntes par soi doit se révéler<br />
bénéficue, pourvu quon. l’établisse effectivem<strong>en</strong>t et quofl ait au<br />
préalalle supprimé les intitutiono anci<strong>en</strong>nes qui pourrai<strong>en</strong>t inter<br />
férer arec elle. Le cartésianisme est révolutionnaire, même si Dan—<br />
oartes lui—même, comme on sait, s’est défié <strong>de</strong> l’application inté<br />
grale cu précipitée do ses propres principes.<br />
Evoquons ici les textes du Discours sur les maisons et<br />
les villes, sur les coutumes et les lois. “Je m’avisai <strong>de</strong> consi<br />
dérer qie souv<strong>en</strong>t il n’y a pas tant <strong>de</strong> perfection dans les ouvra<br />
ges composés <strong>de</strong> plusieurs pièces, et faits <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> divers<br />
maîtres, quefl ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit—on que<br />
les bât.m<strong>en</strong>rts qu’un seul architecte a <strong>en</strong>trepris et achevés ont cou<br />
tume d’tre plus beaux et mieux ordoanés quo ceux que plusieurs ont<br />
tâché <strong>de</strong> raocomo<strong>de</strong>r, <strong>en</strong> faisant servir <strong>de</strong> vieilles murailles qui<br />
avai<strong>en</strong>t été bâties à d’autres fins. Ainsi ces anci<strong>en</strong>nes cités, qui,<br />
n’ayant été au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>s bourga<strong>de</strong>s, aont. <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues, par<br />
suoceasion <strong>de</strong> temps, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s villes, sont ordinairem<strong>en</strong>t si mal<br />
compassées, au prix <strong>de</strong> ces places régulières qu’un ingénieur trace<br />
à sa fantaisie dans une plaine, qu<strong>en</strong>oore que, considérant leurs<br />
édificea chacun à part, on y trouve souv<strong>en</strong>t autant et plus d’art<br />
quea ooix <strong>de</strong>s autres; toutefois, à voir comme ils sont arrangés,<br />
ici un grand, là un. petit, et comme ils r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt les rues courbées<br />
et inégales, on. dirait quo c’est plutêt la fortune, que la volonté<br />
<strong>de</strong> quelqpes hommes usant <strong>de</strong> raison, qui les a ainsi disposés. lIt<br />
si l’on onsidèrs qu’il y a eu néanmoins <strong>de</strong> tout temps quelques<br />
offioier, qui ont eu charge <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre gar<strong>de</strong> aux bâtim<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s<br />
particuliers pour les faire servir à l’ornem<strong>en</strong>t du public, ôn con—<br />
naîtra b<strong>en</strong> qu’il est malaisé, <strong>en</strong> ne travaillant que sur les ouvra<br />
ges d’au1rui, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses fort accomplies”<br />
De même, les lois d’un pays sont ordinairem<strong>en</strong>t confuses,<br />
inadéquaes, contradictoires, parce qu’elles ont été établies à <strong>de</strong>s<br />
— ri —<br />
époques différ<strong>en</strong>tes par <strong>de</strong>s législateurs différ<strong>en</strong>ts, ayant eu,<br />
chacun, <strong>de</strong>s int<strong>en</strong>tions propres. Comme les anci<strong>en</strong>nes lois n’ont pas<br />
dté abrogées à mesure que les nouvelles étai<strong>en</strong>t établies, le résul<br />
tat est un fouillis <strong>de</strong> règles disparates qui ne peut que se révéler<br />
inefficace. Seules <strong>de</strong>s villes comme Sparte, dii Descartes, ont été<br />
“florissantes “ et “bi<strong>en</strong> polioéee”, dans la mesure où leurs lois<br />
leur ont été données par <strong>de</strong>s hommes comme l4rcurgue, agissant meula<br />
et selon une int<strong>en</strong>tion cohér<strong>en</strong>te.<br />
Tout le tome I <strong>de</strong> “Droit, Légidlation et Liberté” est <strong>en</strong><br />
un s<strong>en</strong>s une longue et pati<strong>en</strong>te réfutation <strong>de</strong> ces textes remarqua<br />
bles <strong>de</strong> Descartes.<br />
Dans l’idéal, poursuit <strong>en</strong>, substance Descartes, il faudrait<br />
pouvoir reconstruire la morale, les coutumes, les lois, à partir’<br />
d’une table rame, et pour cela détruire celles qui exist<strong>en</strong>t. Certes,<br />
Descartes lui—même n’a pas été révolutionnaire. “Il est vrai que<br />
nous ne voyons point qu’on jette par terre toutes les maisons d’une<br />
ville, pour le seul <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> les refaire d’autre façon, et d1<strong>en</strong><br />
r<strong>en</strong>dre les rues plus belle&’ Il a s<strong>en</strong>ti que la sci<strong>en</strong>ce n’était<br />
pas assez avancée pour fournir <strong>de</strong> facto une intelligibilité logico—<br />
mathématique suffisante <strong>de</strong>s phénomènes sociaux, justifiant une re<br />
construction complète <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s lois. Il a même s<strong>en</strong>ti<br />
le danger extrême <strong>de</strong> telles reconstructions arbitraires: “Je ne<br />
saurais aucunem<strong>en</strong>t approuver’ ces humeurs brouillonnnes et inquiètes<br />
qui, n’étant appelées, ni par leur naissanoe, ni par leur fortune,<br />
au maniem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s affaires publiques, ne laiss<strong>en</strong>t pam d’y faire tou—<br />
,(8)<br />
jours, <strong>en</strong> idée, quelque nouvelle réformation • D ailleurs il<br />
admet que l”umage” a èq “adoucir” les imperfections <strong>de</strong>s lois; “et<br />
même il <strong>en</strong> a évité ou corrigé ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t quantité, auxquelles<br />
on ne pourrait mi bi<strong>en</strong> pourvoir par pru<strong>de</strong>nce” (dans cette <strong>de</strong>r<br />
nière phrase, Deecartes va un peu plus loin dans le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> llayek<br />
que celui—ci ne veut bi<strong>en</strong> le reconnaître...). C’est pourquoi il a
— I ‘I —<br />
prêné a •‘morale provisoire”, c’est—à—dire le respect <strong>de</strong>s coutumes<br />
et traiitions, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant que l’arbre <strong>de</strong> la philosophie ait potis—<br />
sé, pour ainsi s’exprimer, ses branches morales.<br />
Il n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>meure pas moins que, <strong>en</strong> droit, l’intelligibilité<br />
logico<br />
4nathématjque doit être recherchée dans ce domaine comme dans<br />
les autea; la morale et les traditions, si elles gar<strong>de</strong>nt, pour<br />
Descart s, leur validité, per<strong>de</strong>nt leur rationalité: “Je me persua<br />
dai qu’ 1 n’y aurait véritablem<strong>en</strong>t point d’appar<strong>en</strong>ce (i.e. il ne<br />
serait pas raisonnable) qu’un particulier fit <strong>de</strong>s:,ein <strong>de</strong> réformer<br />
un Etat <strong>en</strong> y changeant tout dès les fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts, et <strong>en</strong> le r<strong>en</strong>ver<br />
sant poir le redresser; mais que, pour toutes les opinions que j’a<br />
vais reues jusques alors <strong>en</strong> ma créanoe, je ne pouvais mieux faire<br />
que d’er.trepr<strong>en</strong>dre, une bonne fois, <strong>de</strong> les <strong>en</strong> êter, afin d’y re<br />
mettre ar après, ou meilleures, ou bi<strong>en</strong> les mêmes, lorsque<br />
je les uraia ajustées au niveau <strong>de</strong> la raison”.<br />
Les oartéoi<strong>en</strong>u, nomine llobbe ou Spinoza, flofl pas eu la<br />
pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Descarteo. Ils ont, on matière socio—politique et <strong>en</strong><br />
morale, critiqué non aeulomont la rationalité do la tradition, maie<br />
son con4nu même. Les théories du Contrat aocial sont significatives<br />
<strong>de</strong> cet ctimiame <strong>de</strong> la raison que Hayek appelle •‘constructivisme<br />
rational ste”.. Tout ce qui est rationnel au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l’jntujtjon<br />
intellec uelle claire et distincte est bénéfique, et tout ce qui<br />
est béné ique doit pouvoir être justifié colon le mêmo type do ra<br />
tionalité: voilà l’équation du “constructivisme’: “Je crus quo par<br />
ce moy<strong>en</strong> je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je<br />
bâtissaj sur <strong>de</strong> vieux fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>tsII(hi.<br />
Ce que Hayek résume ainsi:<br />
Pour Descartes, est rationnel ce qui est déduit à partir<br />
<strong>de</strong> prémj mea explicites.<br />
Une action rationnelle est donc une action déterminée <strong>en</strong><br />
tièrem<strong>en</strong>t par une vérité connue et démontrable.<br />
— 15 —<br />
Seulem<strong>en</strong>t ce qui est vrai <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s—là peut conduire à<br />
une action réussie.<br />
Tout ce qui est humainem<strong>en</strong>t et socialem<strong>en</strong>t réussi est un<br />
produit du raisonnem<strong>en</strong>t logique (Hayelc,. cii., p.II).<br />
Par conséqu<strong>en</strong>t, dans les données <strong>de</strong> la tradition, ou bi<strong>en</strong><br />
on saura retrouver la rationalité qui y était implicitem<strong>en</strong>t à l’oeu<br />
vre (ainsi Spinoza décrivant lappareil <strong>de</strong>s passions, ou llobbes ex<br />
pliquant la g<strong>en</strong>èse <strong>de</strong> l’institution monarchique); ou bi<strong>en</strong> on aban<br />
donnera effectivem<strong>en</strong>t la tradition au profit d’une organisation nou<br />
velle.<br />
A partir <strong>de</strong>s cartési<strong>en</strong>s, l’attitu<strong>de</strong> à l’égard <strong>de</strong> la tra<br />
dition se r<strong>en</strong>verse. Pour Aristote, pour Saint Thomas, il était ra<br />
tionnel <strong>de</strong> suivre la tradition. Ce que les Anci<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t fait, il<br />
était rationnel <strong>de</strong> continuer à le faire; c’est pour s’écarter <strong>de</strong><br />
la tradition qu’il fallait avoir une raison spéciale. Le plus sou<br />
v<strong>en</strong>t l’écart par rapport à la -tradition apparaissait dommageable.<br />
Si la “pru<strong>de</strong>noe” est la vertu qui, pour Saint Tho,nas, permet à<br />
l’homme <strong>de</strong> pondérer- per une référ<strong>en</strong>ce à ce qui eat conv<strong>en</strong>able et<br />
habituel, la rationalité appar<strong>en</strong>te qui le pousserait à agir selon<br />
son avantage immédiatem<strong>en</strong>t visible, le vioe opposé est laprécipi—<br />
tation: “La précipitation se dit métaphoriquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aotes <strong>de</strong> l’â<br />
me à la ressemblance du mouvem<strong>en</strong>t corporel. En mouvem<strong>en</strong>t corporel,<br />
le mot e’emploie pour désigner ce qui passe <strong>de</strong> haut <strong>en</strong> bas par son<br />
propre mouvem<strong>en</strong>t ou mous l’effet impulsion reçue, sans obser<br />
ver l’ordre et les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>te. Or le haut <strong>de</strong> l’êjne est<br />
la raison, le bas l’action exercée par le corps; les <strong>de</strong>grés inter<br />
médiaires, par lesquels il faut <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> bon ordre, sont la<br />
mémoire du passé, l’intallig<strong>en</strong>oe du prés<strong>en</strong>t, la sagacité à l’égard<br />
<strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts futurs, le raisonnem<strong>en</strong>t qui compare une chose avec<br />
l’autre, la docilité qui acquiesce aux avis <strong>de</strong>s Anci<strong>en</strong>s (majorum)”<br />
(12). La précipitation est une innovation intempestive.
Après Descartes, au contraire, la rationalité consiste à<br />
rejeter lia tradition comme “simple opinion”. C’est dès lors pour<br />
se fier à la tradition qu’il faut une raison spéciale. Ce qui u<br />
lieu quanii une théorie est parv<strong>en</strong>ue à faire apparaître un compor<br />
tem<strong>en</strong>t habituei comme rationnellem<strong>en</strong>t justifia.<br />
Dans cette optique, on <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d <strong>de</strong> chercher quand, par<br />
qui et selon quels <strong>de</strong>sseins ont été inv<strong>en</strong>tés la religion, la morale,<br />
le inngaçe et l’écriture, la monnaie et le marché, les institutions<br />
poiitiqu s les usages et coutumes. Hayok souligne ainsi le rêlo<br />
positif au début, <strong>de</strong> ce mouvem<strong>en</strong>t qui suppose <strong>de</strong>s causes délibé-.<br />
rées aux ordres sociaux. Il provoque la recherche <strong>de</strong> ces causes et<br />
détermin ainsi iapparjj <strong>de</strong>s premières sci<strong>en</strong>ces sociales aux<br />
XVIIème et XVIIIème siècles.<br />
— 16 —<br />
II<br />
I<br />
I,<br />
L’erreur soi<strong>en</strong>tifique <strong>de</strong> Descartes<br />
Le cartésianisme, ainsi euccintem<strong>en</strong>t défini, passe, <strong>de</strong><br />
fait, pour typique <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité et <strong>de</strong> l’esprit sci<strong>en</strong>tifique.<br />
Mais Jlnyek affirme maint<strong>en</strong>ant, ce prét<strong>en</strong>du rationalisme est, ni<br />
plus ni moins, une “rechute dans les mo<strong>de</strong>s anthropomorphiques<br />
<strong>de</strong> jadis” (p. 12).<br />
— 17 —<br />
Dire que tout ce qui. “marche” et dure socialem<strong>en</strong>t est le<br />
résultat d’un plan rationnel, <strong>de</strong>ssein humain, cela revi<strong>en</strong>t à<br />
l!anthropomorphieme ou à l’animisme qui voyai<strong>en</strong>t dans la foudre<br />
ou la tempête lexpreesion <strong>de</strong> la colère dieu. Cela revi<strong>en</strong>t à<br />
chercher <strong>de</strong>s responsables humains ou anthropomorphiques pour tou—<br />
tes les régularités constatables dans la nature.<br />
Les faite oblig<strong>en</strong>t à dire que cette assignation est faits-.<br />
se, “Tout essai. <strong>de</strong> cantonner les actions (<strong>de</strong> l’homme) dans ce qui<br />
peut être justifié (par déduction logique à partir <strong>de</strong> prémisses<br />
explicites) le priverait <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong>s plus efficaces moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />
succès dont il a disposé” (p. 12).<br />
Si la société fonctionne, c’eet que noue—mêmes et nos<br />
semblables sommes <strong>en</strong>cadrée par <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s règles qui<br />
résult<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> et dànt souv<strong>en</strong>t noue ne savons même pas<br />
qu’elles exist<strong>en</strong>t. “Il fl’eSt tout simplem<strong>en</strong>t pas vrai que nos no—<br />
ti<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t leur efficacité seulem<strong>en</strong>t, ou prinoipalem<strong>en</strong>t, au sa<br />
voir que noue pouvons exprimer <strong>en</strong> mots, et qui par suite peut cons<br />
tituer les prémisses explicites d’un syllogisme” (p. 12).<br />
§2<br />
Pour qu’il y ait complète rationalité <strong>de</strong> l’action au s<strong>en</strong>s<br />
cartési<strong>en</strong>, il faudrait une complète connaissance <strong>de</strong> tous les faits<br />
qui la concern<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> tous les t<strong>en</strong>ants et aboutisaantm <strong>de</strong> chacun<br />
<strong>de</strong> nos actes. Il faudrait que l’homme agissant soit dans la socié—
té cornue le <strong>de</strong>ssinateur...projete. <strong>de</strong>vant sa table à <strong>de</strong>sj OU coin—<br />
me le démon <strong>de</strong> Laplace <strong>de</strong>vant l’univers, c’est—à_dire dans une po-.<br />
sition<br />
Il pottrrj alors “fabriquer” son action, com<br />
me l’irgénieur, ayant la oonnajssance <strong>de</strong>s lois déterministes du do<br />
maine onsidéré, obti<strong>en</strong>t tel résultat souhaité <strong>en</strong> réunissant les<br />
condit ons initiales adéquates.<br />
Cet usage <strong>de</strong> la technique <strong>de</strong> l’ingénieuu. n’est Concevable<br />
que dan certaine secteurs <strong>de</strong> la réalité, précisém<strong>en</strong>t ceux dont<br />
D1OCOU5 l’Ingénit Mais <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> ppue sociale, et même<br />
<strong>en</strong> physique dans certaines autres conditions, “la sci<strong>en</strong>ce r<strong>en</strong>oontre<br />
la mmabarrjère d’ignorance <strong>de</strong>s faits” (p. 18).<br />
D’abord, autre chose est l’exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> savoirs vrais mir<br />
les divers aspects d’une réalité, autre chose la possession <strong>de</strong> ce<br />
savoir ar un seul esprit omnisoj<strong>en</strong>t visant à agir globalem<strong>en</strong>t sur<br />
tous le aspects <strong>de</strong> la réalité.<br />
La société mo<strong>de</strong>rne se caractérise justem<strong>en</strong>t par le fait<br />
que l’échange et la division du travail permett<strong>en</strong>t à chacun <strong>de</strong><br />
nous <strong>de</strong> rofte <strong>en</strong> pratique <strong>de</strong> savoirs qu’il ne possè<strong>de</strong> pas à ti<br />
tre peraçinnel. Donc un savoir déterministe <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>ants et aboutis<br />
sants <strong>de</strong> l’action peut bi<strong>en</strong> exister “<strong>en</strong> droit”, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que cha<br />
cun <strong>de</strong> o s t<strong>en</strong>ants et aboutissants est connu <strong>de</strong> quelqu’un; il<br />
te pas e core pour cela <strong>en</strong> fait, car ces savoirs ne sont jamais ras<br />
semblés ans un même esprit omnisci<strong>en</strong>t (ou un sème “ordinateur c<strong>en</strong><br />
tral”).<br />
— 18 —<br />
‘Nais il y a plus. llayek dit maint<strong>en</strong>ant que l’omnisci<strong>en</strong>ce<br />
n’est pas seulem<strong>en</strong>tnon réalisée <strong>en</strong> fait, mais impossible <strong>en</strong> droit.<br />
Supposons qu’un pouvoir omnisoj<strong>en</strong>t connaisse toutes les int<strong>en</strong>tions<br />
d&tous 1 s acteurs. Un acteur, Sachant que ses int<strong>en</strong>tions sont<br />
connues, hangera ses int<strong>en</strong>tions et r<strong>en</strong>dra faux le modèle construit<br />
dans l”ordjnateur c<strong>en</strong>tral”. Dans cc s<strong>en</strong>s, c’est par principe qu’<br />
on ne pewi connaltre tous les fajt concourrant à l’émerg<strong>en</strong>ce d’un<br />
ordre social. C’est une barrière épistémologique. Hayek parle <strong>de</strong><br />
“complexité”, mais on peut au s<strong>en</strong>s fort d”hyper—comple—<br />
xitél’, ces_à_dire d’une “complexité” qui ne pourra jamais, par<br />
principe, se résoudre <strong>en</strong> “complication” On ordre p<strong>en</strong>sable et<br />
fabricable.<br />
— 19 —<br />
Maie on aurait tort <strong>de</strong> croire que cette situation épis<br />
témologique est spécifique à la pratique humaine et sociale. A<br />
vrai dire elle est la situation <strong>de</strong> toute sci<strong>en</strong>ce, même déterminis<br />
te et mécaniciste, dont, selon Itayek, on s’exagère <strong>en</strong> général les<br />
pouvoirs. Il est vrai que la sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>rne progresse à grands<br />
pas mais cette progression même atteste spectaculairem<strong>en</strong>t, ai<br />
l’on peut dire, sa non—omnisci<strong>en</strong>ce.<br />
Quand bi<strong>en</strong> même <strong>de</strong>s théories sont conaidérées comme vraies<br />
<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’elles ne sont pas réfutées (Ilayelc sa réfère explici-.<br />
tem<strong>en</strong>t à lbpper), il ne s’<strong>en</strong>suit nullem<strong>en</strong>t que ces théories puis<br />
s<strong>en</strong>t permettra <strong>de</strong>s prédictions sur tous les événem<strong>en</strong>ts particuliers<br />
<strong>de</strong>squels va dép<strong>en</strong>dre la réussite <strong>de</strong> l’action, tout simplem<strong>en</strong>t “par—<br />
oe qu’il n’est jsznais possible dvojr toutes les données spéciales<br />
qui1 nous faudrait possé<strong>de</strong>r, salon ces théories, pour parv<strong>en</strong>ir à<br />
<strong>de</strong> telles conclusions” (p. 18). Ilayek donne l’exemple <strong>de</strong> la thdorie<br />
<strong>de</strong> l’évolution, qui permet certes d’expliquer, <strong>en</strong> principe, l’évo<br />
lution mais non <strong>de</strong> la prédire, faute <strong>de</strong> pouvoir rassembler les<br />
données nécessaires sur tous les faits particuliers qui intervi<strong>en</strong>—<br />
n<strong>en</strong>di au dire même <strong>de</strong> la théorie. Il s’agit dans ce cas d’un phéno<br />
mène “très complexe”. D’autres phénomènes, étudiés par les sci<strong>en</strong>ces<br />
<strong>de</strong> la nature, sont plus simples et peuv<strong>en</strong>t être mieux connus. Mais<br />
il semble que toua les phénomènes dont s’occup<strong>en</strong>t les sci<strong>en</strong>ces so<br />
ciales ont ce caractère <strong>de</strong> complexité.<br />
Dans ce cas, la présomption que fournit la<br />
sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>rne relève d’une “illusion synoptique”; l’idée dfle<br />
transpar<strong>en</strong>ce du corps social (et du réel <strong>en</strong> général) est fausse.<br />
Non seulem<strong>en</strong>t le réel flest pas intégralem<strong>en</strong>t connu ( ii est “o—
paque”), maie il n’est pas possible <strong>de</strong> délimiter un champ clos pour<br />
nos acti, ns au s<strong>en</strong>s d’un ‘système clos” physiques et les faite par—<br />
ticuljar,<br />
inconnu<br />
8 intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans le <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> nos actions, y<br />
créant as e ess<strong>en</strong>tielle conting<strong>en</strong>ce.<br />
On a prie consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> oette “limitation inéluctable <strong>de</strong><br />
notre con naissance <strong>de</strong>s faits” (dont flayek dit qu’elle est “désa.gré—<br />
able” COm pte—t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> nos préjugés), d’abord <strong>en</strong> économie. Les faite<br />
économiqu s sont, chacun, connus <strong>de</strong> quelqu’un (par définition, puis—<br />
que chaqu fait économique suppose une déoisjon d’uni ag<strong>en</strong>t). Maie<br />
les milli ns <strong>de</strong> faits économiques ne sont jamais connus, <strong>en</strong> totalj—<br />
té, d’un ;eul ag<strong>en</strong>t. D’ailleurs ces “faits” n’advi<strong>en</strong>m<strong>en</strong>b, précisé—<br />
m<strong>en</strong>t, que dans un rapport complexe avec le Bavoir que les ag<strong>en</strong>ts<br />
économiqw s <strong>en</strong> ont. Je ne lance un produit, par exemple, que si je<br />
•j•• que n es Concurr<strong>en</strong>ts ne sav<strong>en</strong>t ias ce que je saie. En économie,<br />
on peut p rier proprem<strong>en</strong>t d’hyper_complexité.<br />
ayek cite Schuinpeter, “La vie économique d’une société<br />
nonsociai iste consiste <strong>en</strong> <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> relations ou flux <strong>en</strong>tre<br />
<strong>de</strong>s firmes individuelles et <strong>de</strong>s ménages. Noue pouvons établir cer—<br />
tains théo ‘èmes à leur sujet, nous ne pouvons jamais les observer<br />
tous” (Hie ory 0f Economic Analysie, 1954), sauf si la société est<br />
“soojaljst “ et si “socialisme” signifie privation absolue <strong>de</strong> l’au—<br />
tonomje <strong>de</strong>;<br />
infinim<strong>en</strong>t<br />
ag<strong>en</strong>ts, condition que le totalitarisme lui—même est<br />
éloigné <strong>de</strong> réaliser.<br />
C tte non—omnisci<strong>en</strong>ce est vraie, surtout, dans la “Great<br />
sooiety” ot société <strong>de</strong> marché au s<strong>en</strong>s d’Adas, Smith, c’est—à—dire<br />
dans une sa ciété où l’échange <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s et <strong>de</strong> services se fait <strong>en</strong>tre<br />
ag<strong>en</strong>ts qui ne se connaiss<strong>en</strong>t pas (qui échang<strong>en</strong>t au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s “fron—<br />
tières”, re ridant celles—ci, par le fait même, floues et artificjel..<br />
les, d’où 1 ‘expression <strong>de</strong> “Société ouverte” que T!ayek repr<strong>en</strong>d à<br />
Popper <strong>en</strong> 1 ii donnant ce s<strong>en</strong>s économique précis). Dans une telle<br />
société, le<br />
— 2() —<br />
faits et gestes <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts avec lesquels j’échange<br />
• I<br />
I<br />
<strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et <strong>de</strong>s services me sont évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t inconnus par principe.<br />
En revanche, dann une société primitive, “la collaboration <strong>en</strong>tre<br />
les membres du groupe peut reposer <strong>en</strong> gros sur le fait qu’à tout<br />
mom<strong>en</strong>t ils ont plus ou moins connaissance <strong>de</strong>s mêmes circonstances<br />
particulières” (p. 15—16). Mais une telle connaissance mutuelle<br />
et mie telle surveillance réciproque suppos<strong>en</strong>t un groupe très limité,<br />
un ordre limité <strong>de</strong> coopération humaine. Pour que chacun puisse cmn—<br />
naître tous ceux qui lui r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt service et à qui il r<strong>en</strong>d service,<br />
pour que, par conséqu<strong>en</strong>t, le marché et l’arg<strong>en</strong>t soi<strong>en</strong>t inutiles<br />
pour assurer la coopération et la ooordination, il faut un groupe<br />
restreint. Qui dit petit groupe dit faible division du travail,<br />
donc fàible productivité, faible richesse, et limite <strong>de</strong> la connais<br />
sance .à un nouveau point do vue.<br />
Hayek souligne <strong>en</strong> effet un fait ess<strong>en</strong>tiel, d’ordre écono<br />
mique et épistémologique à la fois (c’est dans la perception <strong>de</strong>s<br />
articulations <strong>en</strong>tre ces <strong>de</strong>ux ordres que Ttaek est peut—être le plus<br />
fort et la plus original).<br />
— 21 —<br />
L’économie a mi <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce jusquà prés<strong>en</strong>t, au sujet e<br />
la Gran<strong>de</strong> Société, la division du travail. Elle ne s’est pas avisée<br />
que celle—ci exprimait un fait plus originaire <strong>en</strong>core, qui est la<br />
fragm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la connaissance. “C’est la mise <strong>en</strong> oeuvre <strong>de</strong> beau<br />
coup plus <strong>de</strong> connaissances que chacun ne peut <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>ir — et par<br />
conséqu<strong>en</strong>t le fait que chacun. se meut au sein d’une structure cohé<br />
r<strong>en</strong>te dont presque toua les déterminants sont inconnus do lui — qui<br />
constitue le trait distinctif <strong>de</strong> toutes les civilisations avancées”<br />
(p. 16). Par le marché, nous sommes <strong>en</strong> contact avec <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et<br />
<strong>de</strong>s services qui ne sont produits qu’<strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> connaissances<br />
que nous n’avons pas nous—mêmes. En d’autres termes, nous profitons<br />
connaissance que nous ne possédone pas, et cela grâce au mar<br />
ché. D’où l’idée suivante sur la mo<strong>de</strong>rnité (qui modifie s<strong>en</strong>sible<br />
m<strong>en</strong>t l’opinion dominante à non sujet).<br />
L’homme mo<strong>de</strong>rne n’est pas plus savant que le sauvage. Sa
“tête” ne oonti<strong>en</strong>t pas “plus” <strong>de</strong> connaissances que celle du<br />
tif<br />
primi—<br />
(c mme fortem<strong>en</strong>t souligné Lévi—Strauns).<br />
n’a re<br />
!Ie!a<br />
gu évolué biologiquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis quelques dizaines <strong>de</strong><br />
d’ mm,<br />
milliers<br />
es (pour autan-t qu’on <strong>en</strong> puisse Juger). Ce qui a changé,<br />
revano<br />
<strong>en</strong><br />
e c’est l’échelle sur laquelle s’organjse la<br />
et<br />
coopération<br />
l’éc [lange <strong>en</strong>tre les hommes, donc le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> la division<br />
Voir<br />
du sa—<br />
et du travail. Lors du passage <strong>de</strong> la Société primitive à la<br />
société <strong>de</strong> marché, un seuil quantjtatjf est franchi. Chaque<br />
du<br />
indjvj...<br />
posa <strong>de</strong> la même quantité <strong>de</strong> savoir, mais la société, prise gb—<br />
balem<strong>en</strong> ;, possè<strong>de</strong> N fois plus <strong>de</strong> savoir, N étant le nombre d’ag<strong>en</strong>ts<br />
économic ues. Le progrès sci<strong>en</strong>tifique est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t lié à<br />
société<br />
la<br />
<strong>de</strong> marché. C’est le marché qui assure la coordination <strong>de</strong><br />
ces savc ire qui ne sont ni sommablea (dans le chef d’un seul<br />
vidu)<br />
mdi—<br />
ni synthétjsable<br />
5 (dans un seul système cognitif cohér<strong>en</strong>t)(14).<br />
C’est ce qui fait dire à liayek que le vrai paramètre propre<br />
à la soc [été mo<strong>de</strong>rne n’est ni la “sci<strong>en</strong>ce” on tant que telle, ni<br />
l’indugt ialisation et la technique, mais bi<strong>en</strong> l’ouverture et le<br />
marché. C’est le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s échanges qui a r<strong>en</strong>du notre socjé-.<br />
té “scje tifique”, c’est lui qui constitue la mutation dans la cul-.<br />
ture qui définit la mo<strong>de</strong>rnité comme telle. L’échange généralisa n<br />
permis li • division du travail, donc la spécialisation, dono l’aug—<br />
m<strong>en</strong>tatjor • expon<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> la somme globale <strong>de</strong> savoir existant dans<br />
la sodé-t é.<br />
Ainsi, à capacité sci<strong>en</strong>tifique égale pour chaque individu,<br />
la soojét peut <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir infinjm<strong>en</strong>t plus riche <strong>en</strong> savojr Mais ceci<br />
ne peut s faire que grâce au marché, qui me permet dobt<strong>en</strong>jr,<br />
<strong>en</strong><br />
échange d ce que je produis avec mon savoir, tout ce que produis<strong>en</strong>t<br />
les autrej i ag<strong>en</strong>te avec leurs savoirs respectifs. Cotte coordination<br />
<strong>de</strong>a savoi s sans synthèse os-t un mécanisme remarquable quo Jîayok<br />
analysera<br />
<strong>en</strong> détail au tome 2 <strong>de</strong> Droit, Législation et Liberté.<br />
oun Pouvons conclure <strong>de</strong> ceci que, pour l’individu <strong>de</strong> la<br />
— 23 —<br />
Gran<strong>de</strong> Société, la connaissance <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s faits interv<strong>en</strong>ant<br />
<strong>en</strong> amoirt ou ami aval <strong>de</strong> ses actions est impossible et que, partant,<br />
sa praxis ne saurait être déterminée par une rationalité <strong>de</strong> type<br />
•‘cartési<strong>en</strong>”.<br />
Précisons que ce fait est particulièrem<strong>en</strong>t pat<strong>en</strong>t dans la<br />
Gran<strong>de</strong> Sooiété mais il est vrai déjà <strong>en</strong> principe pour la société<br />
close elle—même, à un moindre <strong>de</strong>gré. Dans une telle société, l’exis-.<br />
tance d’une “vie privée” et d’une autonomie <strong>de</strong>s individus, si ré<br />
duite qu’elles soi<strong>en</strong>t, suffit à créer <strong>de</strong> la complexité, à faire que<br />
les prédictions sont prises <strong>en</strong> défaut, que la pratique r<strong>en</strong>contre<br />
aléas et conting<strong>en</strong>ces. Néanmoins il reste que les différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre<br />
les petite groupes primitifs et les. premières sociétés où existe <strong>en</strong><br />
marché, et a fortiori la société mo<strong>de</strong>rne, sont plus que quantitatives<br />
et détermin<strong>en</strong>t un changem<strong>en</strong>t qualitatif dans les caractères <strong>de</strong> l’or<br />
ganisation sociale et singulièrem<strong>en</strong>t dans le type djnfojofl5<br />
qui gui<strong>de</strong>nt l’action.<br />
En conclusion, l’épistémologie cartési<strong>en</strong>ne est un leurra.<br />
Il est faux que nos actions puiss<strong>en</strong>t être guidées par une ra-tiona—<br />
té déductive, à partir <strong>de</strong> prémisses <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t explicites. Les<br />
branches supérieures <strong>de</strong> l’arbre <strong>de</strong> la philosophie ne pousseront<br />
jamais. Partant, l’<strong>en</strong>treprise connistant à rebâtir social<br />
<strong>de</strong> façon cohér<strong>en</strong>te, comme l’ingénieur bâtit une machine sur plans,<br />
est un rêve. Pour rebâtir Qr<strong>de</strong> social, il faudrait pouvoir le<br />
“mettre à plat”, <strong>en</strong> voir simultaném<strong>en</strong>t -toua les élém<strong>en</strong>ta ou du<br />
moins tous ceux qui sont les t<strong>en</strong>ants et aboutissants <strong>de</strong>s actions<br />
humaines. Or cela n’a jamais lieu, non seulem<strong>en</strong>t, nous l’avons vu,<br />
à cause d’une limite <strong>de</strong> fait <strong>de</strong> notre connaissance, mais à cause<br />
d’une “barrière” épitémobogique.<br />
La sci<strong>en</strong>ce a—t—elle elle—même trouvé ici sa limite? L’ao—<br />
tion sociale doit—elle être purem<strong>en</strong>t aveugle, aléatoire, empirique,<br />
et absolum<strong>en</strong>t parlant non—sci<strong>en</strong>tifique?
Le concept <strong>de</strong> rè1e<br />
L’action sociale, pour Hayek, n’est pas purem<strong>en</strong>t aveugle,<br />
même dans l’univer8 complexe. Elle est guidée par <strong>de</strong>s rè qui<br />
cons itu<strong>en</strong>t, d’une manière spécifique, une connaissance. Et ce sont<br />
elle qui assur<strong>en</strong>t l’adaptation <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> l’homme à son <strong>en</strong>viron<br />
nem<strong>en</strong>t, tant naturel que social. Dans ce <strong>de</strong>rnier s<strong>en</strong>s, elles assu<br />
r<strong>en</strong>t <strong>en</strong> particu1ier la coordination <strong>de</strong>s actions, <strong>en</strong> indiquant à<br />
chac,a comm<strong>en</strong>t agir <strong>de</strong> telle façon que son action ne contrarie pas<br />
oell d’autrui, mais se compose avec elle <strong>de</strong> manière à permettre<br />
l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ce que Hayek appelle un ordre spontané.<br />
Nous allons prés<strong>en</strong>ter le concept <strong>de</strong> “règles” et les concepts<br />
connees <strong>en</strong> résumant les indications données par Hayek dans le tome<br />
I et dans l’important “Epilogue” qui clêt le tome 3<br />
Cet “Flpilogue” a pour titre, “Les trois sources <strong>de</strong>s valeurs<br />
(valups) humaines”. llayek s’oppose aux sociobiologistes qui ne voi<strong>en</strong>t<br />
dans a société humaine que <strong>de</strong>ux typos <strong>de</strong> lois déterminant les compor—<br />
tem<strong>en</strong> s: celles qui sont biclogiquem<strong>en</strong>t dans la nature <strong>de</strong> l’espèce<br />
humai e et colles qui sont délibérém<strong>en</strong>t crées par la raison humaine.<br />
Pour es sociobiologistes, lea Secon<strong>de</strong>s sont notiv<strong>en</strong>t arbitraires et<br />
contr4ires aux intérêts <strong>de</strong> la vie.<br />
— —<br />
Cette Opposition, pour JEayek, est primaire. Elle revi<strong>en</strong>t à<br />
ignorer les traditions culturelles, qui sont ce que l’espèce humaine<br />
<strong>de</strong> 1ropre (bi<strong>en</strong> quil existe aussi <strong>de</strong>s embryons <strong>de</strong> traditions cul—<br />
tureil s animales, cf. t.I, pp. 89—92). Elle revi<strong>en</strong>t à poser que la<br />
cultur se réduit à ce que produit la rationalité consci<strong>en</strong>te au s<strong>en</strong>s<br />
<strong>de</strong> Des artes. Or cela est faux. Il n’y a pas <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> lois ou<br />
•‘l<br />
<strong>de</strong> règles, mais trois:<br />
“Il y a évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t au point <strong>de</strong> départ le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t soli<strong>de</strong>,<br />
c’est—à—dire peu changeant, <strong>de</strong> l’héritage génétique, celui <strong>de</strong>s pul<br />
sions inetinctivee déterminées par la structure physiologique.<br />
“Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite tous les vestiges <strong>de</strong>s traditions acquises<br />
dans les types successifs <strong>de</strong> structures sociales, avec leurs règles<br />
cate l’homme n’a pas délibérém<strong>en</strong>t choisies mais qui se sont répandues<br />
parce que certaines pratiques accroissai<strong>en</strong>t la prospérité <strong>de</strong>s groupes<br />
qui les suivai<strong>en</strong>t, ce qui conduisait & une expansion <strong>de</strong> 0es groupes<br />
— moins peut—être par une plus gran<strong>de</strong> rapidité <strong>de</strong> procréation que<br />
par l’adhésion d’étrangers.<br />
“Enfin, au—<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout cela, une troisième couche, mince,<br />
celle <strong>de</strong>s règles délibérém<strong>en</strong>t adoptées ou modifiées pour répondre à<br />
<strong>de</strong>s visées communes” (t. 3, p. 191).<br />
Ceci fait au total “trois types <strong>de</strong> règles issues <strong>de</strong> trois<br />
processus distincts”, mais ces processus aboutiss<strong>en</strong>t à une ‘uperpo—<br />
sition non pas seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> trois étages <strong>de</strong> règles, mais <strong>de</strong> bi<strong>en</strong><br />
davantage, selon que telles ou telles traditions ont été conservées<br />
p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s sta<strong>de</strong>s successifs traversés par l’évolution culturelle”<br />
(pp. 190—191).<br />
Ilayek peu sur les règles et les ordres du premier<br />
type, qui relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la pure biologie et d’irn mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transmission<br />
purem<strong>en</strong>t génétique. Il ne nie pas leur importance et salue à plusieurs<br />
reprises le travail considérable accompli par les biologistes, et <strong>en</strong><br />
particulier les éthologistes, <strong>de</strong>puis quelques déca<strong>de</strong>s. Ce qui l’in<br />
téresse surtout cep<strong>en</strong>dant, ce sont les <strong>de</strong>ux autres types. Ce sont eux<br />
qui sont les plus importants dans l’hunanité développée et dans l’hu<br />
manité la plus réc<strong>en</strong>te, la “civilisation”. Voici comm<strong>en</strong>t il définit<br />
plus précisém<strong>en</strong>t ces <strong>de</strong>ux tynes <strong>de</strong> règles et les <strong>de</strong>ux types d’ordres<br />
qu’ils <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t:<br />
— 25 —
— 26 —<br />
u11<br />
faut distinguer <strong>en</strong>tre un ordre qui s’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> lui—<br />
même ou ordre spontané (self—g<strong>en</strong>erating or spontaneou<br />
yak iira aussi self—oranizjng 8truotUres) et une<br />
Ce q xi les différ<strong>en</strong>cie se rapporte aux <strong>de</strong>ux sortes djff,5r<strong>en</strong>tea<br />
<strong>de</strong> r<br />
ou <strong>de</strong> lois qui s’y établiss<strong>en</strong>t” (t. I, p. 2).<br />
Les ordres spontanés (ce5t__j<br />
8 or<strong>de</strong>r; Ha—<br />
0, qui se constitu<strong>en</strong>t d’une<br />
ra qui n’est voulue ou délibérée par aucun sujet humain, d’une<br />
re non—int<strong>en</strong>tionnelle) résult<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce que leurs élém<strong>en</strong>ts ohé-.<br />
t à certajn règles <strong>de</strong> conduite ayant un caractère particulier,<br />
doiv<strong>en</strong>t être non—finalisées et universelles, c’ost—à-.djre o’ap-.<br />
er pour tout élém<strong>en</strong>t dans toute situation d’un certain type,<br />
ris considération d’un objectif particulier que <strong>de</strong>vrait attein—<br />
‘ordre d’<strong>en</strong>semble. Chaque élém<strong>en</strong>t s’y soumet sans “savoir” ni<br />
iir” ni $Ivoj11 mani<br />
manU<br />
is ser<br />
ellex<br />
pliqri<br />
et sa<br />
dre 1<br />
“prév<br />
ce qui <strong>en</strong> résultera. Ces caractères <strong>de</strong>s règles<br />
propr s aux ordres spontanés les distingu<strong>en</strong>t nettem<strong>en</strong>t d’une autre<br />
sorte<br />
<strong>de</strong> règles, colles qui r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt po5siblo les orpanjeations.<br />
“Ce qui caractérise les règles qui dirigeront l’action au<br />
sain ‘une organisation, c’est qu’elles doiv<strong>en</strong>t être <strong>de</strong>s règles pour<br />
1 ‘mccc ‘nplissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tâches (tasks) assignées. Elles impliqu<strong>en</strong>t au<br />
départ que la place <strong>de</strong> chaque individu dans une structure fixe est<br />
détars inée par voie <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t et que les règles auxquelles<br />
chaque individu doit obéir dép<strong>en</strong><strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la place qui lui n été ansi—<br />
guée e <strong>de</strong>s ecti.fs (<strong>en</strong>ds) particuliers que liii n indiqus l’auto—<br />
rité qi ii comman<strong>de</strong>• Les règles d’une organisatjon sont donc necessaj—<br />
rem<strong>en</strong>t subsidiaires Par rapport aux comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts, coiriblant les lacu.-.<br />
fles 1a ssées par le comrqan<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts. Ces règles seront différ<strong>en</strong>tes<br />
selon<br />
les du<br />
prétée:<br />
p. 58).<br />
es différ<strong>en</strong>ts membres <strong>de</strong> lorgflj5jQfl, <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s r—<br />
fér<strong>en</strong>ts qui leur ont été assignés, et elles <strong>de</strong>vront être inter—<br />
à la lumière <strong>de</strong>s Objectifs fixés par les comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts” (t. I,<br />
L’idée ess<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> Hayek, ici, est que ces règles<br />
d’un savoir détermjnjte sur l’univers qu’elles<br />
— 27 —<br />
doiv<strong>en</strong>t régler—à certaines lacunes près, sans quoi il suffirait <strong>de</strong><br />
“comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts” particuliers <strong>de</strong> l’autorité. Maie ces lacunes ne<br />
sont pas <strong>de</strong> nature à compromettre le modèle déterministe présupposé.<br />
Nous sommes ici dans <strong>de</strong> la technique déterministe. L’ingé<br />
nieur, lui aussi, quand il construit une machine mécanique, na pro<br />
duit pas un. “comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t” particulier pour chaque événem<strong>en</strong>t qui se<br />
produira dans la machine. Il s’appuie, lui aussi, sur <strong>de</strong>s règles,<br />
qui sont les lois <strong>de</strong> la nature. L’autorité qui conçoit une organisa—<br />
ti<strong>en</strong> est, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, dans la position exacte <strong>de</strong> l’ingénieur qui<br />
conçoit une machine. Par conséqu<strong>en</strong>t, ces règles dorganjsatjon ne<br />
répon<strong>de</strong>nt nullem<strong>en</strong>t au problème épistémologique que nous avons posé<br />
au paragraphe précé<strong>de</strong>nt. Elles suppos<strong>en</strong>t la sci<strong>en</strong>ce, elles ne sau<br />
rai<strong>en</strong>t se substituer à elle là où elle fljte pas. C’est le cas,<br />
au contraire, du second type <strong>de</strong> règles:<br />
“Par contraste, les règles gouvernant un ordre spontané<br />
doiv<strong>en</strong>t être indép<strong>en</strong>dantes <strong>de</strong> tout objectif, et i<strong>de</strong>ntiques — si ce<br />
n’est nécessairem<strong>en</strong>t pour tous les membres — au moins pour <strong>de</strong>s caté<br />
gories <strong>en</strong>tières <strong>de</strong> membres anonymes. Elles doiv<strong>en</strong>t être <strong>de</strong>s règles<br />
applicables à un nombre inconnu et indéterminé <strong>de</strong> personnes et <strong>de</strong><br />
cas. Elles <strong>de</strong>vront être appliquées par les individus à la lumière<br />
<strong>de</strong> leurs connaissances et <strong>de</strong> leurs int<strong>en</strong>tions respectives; et leur<br />
application sera sans li<strong>en</strong>s avec un quelconque intérêt commun dont<br />
l’individu peut même n’avoir aucune connaissance” (ibid.)<br />
On ne sait pas à quoi elles serv<strong>en</strong>t, sinon à un objectif<br />
lui—même général, lémerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> spontané”, c’est—à—dire<br />
la coordination <strong>de</strong>s actions dans une société (ou d’autres <strong>en</strong>sembles<br />
d’élém<strong>en</strong>ts) complexe, ce qu’on appelle la “paix”, l”ordre”, la “vie”,<br />
un bi<strong>en</strong>. indéterminé mais que tous vis<strong>en</strong>t, parce qui1 est la condi<br />
tion nécessaire pour que chacun obti<strong>en</strong>ne les bi<strong>en</strong>s particuliers<br />
qu’il espère.<br />
D’où ce trait remarquable: les règles <strong>de</strong> ce typo, que lfayek<br />
appelle “abstraites”, n’ont jamais fini applicables, puis—
— 2h —<br />
qu’lles n’ont pas <strong>de</strong> but déterminé tel qu’une fois ce but atteint<br />
la iègle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>drait sans objet:<br />
“Une règle <strong>de</strong> juoto conduito (autre terme employé par lia—<br />
yek pour désigner les règles abstraites dans les sooiétés humaines)<br />
ne put être “accomplie” comme on exécute un ordre ou accomplit une<br />
tâch. On peut lui obéir ou la faire respecteri mais une règle <strong>de</strong><br />
condiita limite simplem<strong>en</strong>t le champ <strong>de</strong>s actions licites et, d’ordi<br />
naire, n’as.igne pas une action définiel ce qUelIe prescrit n’est<br />
jama1s terminé, cela <strong>de</strong>meure une obligation perman<strong>en</strong>te pour tous.<br />
Ghaq4e fois que nous parlons <strong>de</strong> “mettre à exécution” une décision <strong>de</strong><br />
la lgislature qui a “force <strong>de</strong> loi”, il ne s’agit pas d’un nomos<br />
(i.e.’ une règle <strong>de</strong> droit, abstraite, formelle, règle <strong>de</strong> droit privé),<br />
mais è’une thesis commandant à que lqii’un <strong>de</strong> faire quelque chose<br />
(i.eJ une règle d’organisation, une règle <strong>de</strong> droit administratif ou<br />
publij)”(t. I, p. 153).<br />
Avec les règles <strong>de</strong> ce type, nous avons la solution <strong>de</strong> notre<br />
problme épistémologique.<br />
Car ces règles permett<strong>en</strong>t la coordination <strong>de</strong>s aotions dans<br />
une scciété complexe, bi<strong>en</strong> que cette ooordination ne soit pas au<br />
préalable conçue dans le cadre d’une organisation présupposant la<br />
sci<strong>en</strong>e, Il n’y a pas <strong>de</strong> sci<strong>en</strong>ce, au s<strong>en</strong>s d’une théorie existant<br />
dans ui esprit omnisci<strong>en</strong>t, dans un “ordinateur c<strong>en</strong>tral”. 1t cep<strong>en</strong><br />
dant ls règles abstraites “ntvcnt op5i’or la coordination ds<br />
actions dcg élém<strong>en</strong>ti:. C ‘ci t un vx’ t tau le :iavo ir, ptiieque I ‘univers<br />
complee pourrait tre un pur chaos. 3’il ne l’<strong>en</strong>t pas, si ion ac<br />
tions ont effectivem<strong>en</strong>t coordonnées, c’est donc qu’il y a un “savoir”<br />
oont<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> quelque sorte, dans les règles elles—mêmes, ce qui, évi—<br />
<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>, pose le problème <strong>de</strong> l’origine <strong>de</strong> ces règles. Un tel savoir,<br />
un rapport déterminé à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, permettant une<br />
adaptaion, no peut apparaître n’importe comm<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> manière arbi—<br />
trairo.<br />
I<br />
Que <strong>de</strong> telles règles soi<strong>en</strong>t tout simplem<strong>en</strong>t pqbles,<br />
Hayek <strong>en</strong> voit la preuve dans<br />
xi5t<strong>en</strong>CO dans la nature et dans<br />
la société, d’ordres spfl!, non—organisés, non—dirigés, non—<br />
p<strong>en</strong>sés. C’est à ce point qu’est consacré tout le eh. 2, “JCosmos<br />
et taxis”. Taxis désigne l’ordre organisé, arrangé (ma<strong>de</strong>), artifi<br />
ciel, exogène (fait <strong>de</strong> l’extérieur par un organisateur). Les Grecs<br />
emploi<strong>en</strong>t le mot taxis pour désigner, par exemple, un ordre <strong>de</strong><br />
bataille. Les ordres <strong>de</strong> l’autre type sont “mûrie” (grown), auto—<br />
organisés, <strong>en</strong>dogènes. Il y n aussi un mot grec pour les désigner:<br />
Icosmos, lequel terme ne désigne pas originairem<strong>en</strong>t, précise liayek,<br />
l’ordre du mon<strong>de</strong>, l’ordre astronomique, mais “l’ordre juste dans<br />
un Iitat ou une communauté” (Werner Jaeger, !iaZteI<strong>de</strong>al50!<br />
Greek culture), la dikè, ordre dont Anaximnfld.re repr<strong>en</strong>d l’image<br />
pour désigner l’ordre <strong>de</strong> la nature.<br />
Donc le premier exemple d”ordre spontané”, c’est bi<strong>en</strong><br />
l’ordre <strong>de</strong> la vie sociale, du moins dans un Etat ou une Cité où rè<br />
gne la “justice”. Maie il existe aussi <strong>de</strong>s “ordres spontanés” dans<br />
la nature (cf. t. I, pp. 46—47), par définition, peut—on dire, puis<br />
que la nature et précisém<strong>en</strong>t le domaine <strong>de</strong> ce qui n’est pas orga<br />
nisé par une sci<strong>en</strong>ce et une int<strong>en</strong>tion humaines.<br />
Le point important est que dans la nature comme dans la so<br />
ciété, il y a un rapport <strong>en</strong>tre le type <strong>de</strong> régularités que suiv<strong>en</strong>t<br />
les élém<strong>en</strong>ts et le type d’ordre collectif qui on résulte ou <strong>en</strong> “émer<br />
ge”. Il o, dirons—noue, un rapport “local—lObal” danS lee!!B<br />
0croscopiquC”, n’émerge, que<br />
spontanés. Un certain ordre global, I’<br />
si, au niveau local,<br />
“microscopique”, les élém<strong>en</strong>ts se comport<strong>en</strong>t<br />
d’une certaine manière. S’ils se comport<strong>en</strong>t d’une autre manière,<br />
l’ordre émergeant sera différ<strong>en</strong>t. C’est ce quuimpli(P10 l’idée m—<br />
me <strong>de</strong> spontanéité. S’il n’y n pas un prinoipe organisateur exté<br />
rieur, il fautbiefl qu’il y ait quelque chose qui détermine l’ordre<br />
<strong>de</strong> leintérieur. Ce quelque chose, c’est la règle que suiv<strong>en</strong>t les<br />
élém<strong>en</strong>ts.<br />
— 29 —
Les exemples physiques et chimiques donnés par Unyek (produo-.<br />
tion<strong>de</strong> cristaux, ou <strong>de</strong> composés organiques, ou mise <strong>en</strong> ordre <strong>de</strong> la<br />
linia4lie <strong>de</strong> fer sur une feuille <strong>de</strong> papier par la création d’un champ<br />
ma,ntique) liii permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> préciser son idée.<br />
Ces élém<strong>en</strong>ts Physico_chimiques obéiss<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s “lois <strong>de</strong> la<br />
naturfe”, qui <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong>ce sont connues. En y obéissant, locale—<br />
m<strong>en</strong>t “chacun pour soi”, les élém<strong>en</strong>ts produis<strong>en</strong>t un ordre global.<br />
Mais ans ce cas <strong>de</strong> systmes complexes, compr<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> très nombreux<br />
élém<strong>en</strong>ts, aucun ingénieur ne pourrait lui—même, <strong>en</strong> disposant les u—<br />
tomeu un à un, produire le même ordre. Il ne connaît pas la place<br />
initile <strong>de</strong> chaque élém<strong>en</strong>t et l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t précis <strong>de</strong> cet élém<strong>en</strong>t,<br />
<strong>en</strong>vjr,nneme avec lequel l’élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vra interagir. L’ingénieur<br />
peut Seulem<strong>en</strong>t ‘créer les conditions dans lesqueijes (les élém<strong>en</strong>ts)<br />
se diposeront eu.x—mâmcs <strong>de</strong> cette façon’ (p. 46). FIt alors le sys<br />
tème e mettra <strong>de</strong> lui—même dans un état que l’ingénieur ne pouvait<br />
pas pif évoir exactem<strong>en</strong>t, mais dont<br />
— iu —<br />
il aura pu au moins prévoir l’aspect général. “flous pouvûn prédire<br />
(dans l’e,:emple <strong>de</strong> la limajfle <strong>de</strong> fer) l’allure gnéralo <strong>de</strong>s chaînct_.<br />
tes qun formeront les particules m’accrochant les unes aux autresj<br />
mais n us ne pouvons prédire su long <strong>de</strong> quelles courbes, <strong>en</strong> nombre<br />
infini qui détermin<strong>en</strong>t le champ magnétique, ces chaînettes vont se<br />
placer” (p. 47). f.’ingminieur, dans ce cas, laissa se produire un or<br />
dre mp<strong>en</strong>tané, par différ<strong>en</strong>ce avec d’autres cas, <strong>en</strong> mécanique classique,<br />
où il aîtriae tous les paramètres et peut prévoir exactem<strong>en</strong>t l’état<br />
que pr ndra une machine à l’instant t<br />
Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même — sous certaines réserves que nous allons<br />
voir — pour la sociétd. L’ordre social résulte <strong>de</strong> ce que chaque hom<br />
me obéi-t auxes abstraites que nous avons définies, les “règles<br />
<strong>de</strong> just conduite”. Eelon le cont<strong>en</strong>u particulier <strong>de</strong> ces règles, l’or<br />
dre résfaitant pr<strong>en</strong>dra tel ou tel !J Et 4néral diflér<strong>en</strong>t, que l’on<br />
pourra révojr. IIi revanche, on ne pourra jamais prévoir<br />
ticuliei’ du système social à l’instant t, car cet état résultera<br />
.4.<br />
4r .<br />
• mi<br />
k,<br />
“noa seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s règles gouvernant les actions <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts, mais<br />
<strong>en</strong> outre <strong>de</strong>s positions initiales et <strong>de</strong> toutes les circonstances par<br />
ticulières <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t immédiat, circonstances auxquolles cha<br />
que élém<strong>en</strong>t réagira au cours <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> l’ordre. En d’autres<br />
termes, mera toujours une adaptation à un grand nombre <strong>de</strong><br />
faits particuliers qui ne seront connus <strong>en</strong> totalité par personne”<br />
(p. 47).<br />
— 31 —<br />
L’ingénieur sait qu’<strong>en</strong> créant le champ magnétique il créera<br />
un. ordre d’une certaine forme; <strong>de</strong> mme le sociologue saura—t—il quu<br />
certain état du droit créera un certain type <strong>de</strong> société. l4ais il ne<br />
pourra pas déterminer la position <strong>de</strong> chaque humain dans cette socié<br />
té — <strong>en</strong> particulier ses rev<strong>en</strong>us — à l’instant t. Cela dép<strong>en</strong>d dam p0—<br />
citions initiales <strong>de</strong> chacun et d’un nombre <strong>de</strong> circonstances particu<br />
lières si grand quo personne no peut les connaître.<br />
Apparaît toutefois ioi une différ<strong>en</strong>ce s<strong>en</strong>sible <strong>en</strong>tre les<br />
exemples d’ordres spontanés naturels donnés par Tlayek et l’ordre<br />
spontané <strong>de</strong> la société humaine.<br />
Les atomes <strong>de</strong> fer se comport<strong>en</strong>t selon <strong>de</strong>s règles qui sont<br />
<strong>de</strong>a lois <strong>de</strong> la nature. Ils ne peuv<strong>en</strong>t y échapper. Alors que les<br />
règles que suiv<strong>en</strong>t les humaine sont <strong>de</strong> normes, dont ils peuv<strong>en</strong>t<br />
év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t s’écarter, et qui d’autre part peuv<strong>en</strong>t être modifiées<br />
dans le temps, <strong>de</strong> façon. elle—même spontanée ou <strong>de</strong> façon délibérée<br />
(dès qu’il existe une puissance publique légitimée à le faire). Les<br />
règles qui produis<strong>en</strong>t les ordres sociaux spontanés n’ont pas cette<br />
gran<strong>de</strong> fixité qu’ont les lois biologiques (et a fortiori les lois <strong>de</strong><br />
la nature physico—chimiques). Dono non seulem<strong>en</strong>t résultant<br />
n’est pas déterminé et représ<strong>en</strong>te une adaptation à un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />
aléatoire, comme dans les exemples physico—chimiques, mais le corps<br />
même <strong>de</strong>s règles évolue <strong>en</strong> partie spontaném<strong>en</strong>t. Il y a, si l’on peut<br />
dire, <strong>de</strong>ux niveaux hiérarchiques <strong>de</strong> spontanéité. L’ordre r<strong>en</strong>du pos<br />
sible par les règles abatrait<strong>en</strong> est spontané. T,es règles abstraites<br />
apnaraiss<strong>en</strong>t elles—mêmes <strong>en</strong> partie spontaném<strong>en</strong>t, modifiant d’autant
— 32 —<br />
l’ordre spontané résultant, L’évolution dcii règles est aussi à in<br />
terpréter, nous le verrons, comme un phénomène d’adaptajo<br />
0 un<br />
univers aidataire et ohangeant, et comme une <strong>de</strong>s dim<strong>en</strong>sions <strong>de</strong>l<br />
Volation historique elie—me.<br />
C’est un os <strong>de</strong>rnier s<strong>en</strong>s surtout, emble_.t..41, qùe le ordres<br />
aooj spontanés déorjis par flayek relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> l”au—<br />
to—o ganisaijon” <strong>de</strong> von Foero-Ler et Atltui, logique qui consiste pré<br />
cis eut, pour un système organisé, dans la oapacjté <strong>de</strong><br />
règi s d’organisj<br />
changer les<br />
0 elles—,,<br />
55 Il est vrai que l’auto...organjsa<br />
tjon est caraotérisée par J.—P. I)upuy oomme une situation où les ni—<br />
vea logiques hiérarchiques sont “<strong>en</strong>chevtréa” Les règles déter—<br />
minou un ordre, mais elles sont elles—,,,<br />
555 un produi <strong>de</strong> l’ordre.<br />
l y là un problème formel fondwn<strong>en</strong>tai dont il faudra Poursuivre<br />
l’ex <strong>en</strong> dans un autre contexte.<br />
— —<br />
§4<br />
Le rMa <strong>de</strong>s règles abstraites<br />
Si, dans la société, le savoir peut tre dispersé et le tra<br />
vail. être divisé, c’est parce que les ag<strong>en</strong>ts sont coordonnée et le sont<br />
autrem<strong>en</strong>t que par une organisation globale consci<strong>en</strong>te, laquelle suppo<br />
serait une impossible omnisci<strong>en</strong>ce. Tlayek fait donc l’hypothèse que ce<br />
la se réalise gi4ce à <strong>de</strong>s règles abstraites.<br />
Mais cette hypothèse n’est pas arbitraire. Elle est fondée<br />
sur une analyse <strong>de</strong> l’action humaine élém<strong>en</strong>taire, qui va se révéler -<br />
ire gouvernée <strong>en</strong> effet par <strong>de</strong> telles règles.<br />
Les actions <strong>de</strong> l’homme, dit lfayek (p. 13), sont adaptées à<br />
<strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> faitei I) Lors faits particuliers qu’il connaît; et 2) un<br />
grand nombre faits qu’il ne connaît pas et ne peut connaître.<br />
L’adaptation n°1 est réalisée par la raison déductive, Si<br />
nous savons que nous <strong>de</strong>vons arriver quelque part à telle heure, et<br />
que le trajet dure tel temps, nous <strong>en</strong> déduisons que noue <strong>de</strong>vons par<br />
tir à telle heure. la rationalité “cartési<strong>en</strong>ne” dans<br />
(et cela correspond à la “délibération” dans l’analyse aristotélico—<br />
scholastique <strong>de</strong> humain).<br />
L’adaptation n°2 est réalisée “par l’obéisuanco à <strong>de</strong>s rè<br />
gles que (l’homme) n’a pas imaginées et que souv<strong>en</strong>t il ne connaît m—<br />
me pas explicitem<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> qu’il soit Capable <strong>de</strong> les respecter <strong>en</strong> agis<br />
sant” (p. 13),. à <strong>de</strong>s règles “qu’il ne connaît pas et ne peut connaî<br />
tre au s<strong>en</strong>s cartési<strong>en</strong> du mot” (p. 21).<br />
Une “adaptation” à <strong>de</strong>s faits qu’on ne connaît pas grace à
— j —<br />
<strong>de</strong>s règles qu’on ne connt pno est vi<strong>de</strong>mtn<strong>en</strong>t un singuj paradoxe. -<br />
Voioi comm<strong>en</strong>t ii réaoud. Las faits et le règles <strong>en</strong> question sont<br />
fl0fl-Coflnu8 “au e<strong>en</strong> cartési<strong>en</strong> du mot”, c’est_.à_dire sous la forme<br />
d1..! et <strong>de</strong> éores, “affich<br />
exjt<br />
85» <strong>en</strong> Consci<strong>en</strong>ce En revanohe, il<br />
5 une forme <strong>de</strong> connajssanoe non_Consci<strong>en</strong>te non_délibérative<br />
1<br />
a agi avant qu’il ne p<strong>en</strong>sât et non pas compris avant d’agir.<br />
Ce que noua appelons r<strong>en</strong>dre est <strong>en</strong> <strong>de</strong>rnier res:,ort la capaojtd<br />
<strong>de</strong> rdpondre à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t !ounscémItj<br />
of actions) qui ai<strong>de</strong>nt à subsieter” (P. 20).<br />
(_prn<br />
En effet, dans une socj,té complexe, il y a, pour l’individu,<br />
<strong>de</strong> I aléatoire et du conting<strong>en</strong>t. Mais cela ne signifie pas que ce mon<br />
<strong>de</strong> et totalem<strong>en</strong>t dépoui- <strong>de</strong> r larités et qu’il change à tout ma—<br />
tunt <strong>en</strong> toutes ses purtjes Las situations <strong>de</strong> la pratique ne se ré—<br />
pètrt jamajs exactem<strong>en</strong>t à l’i<strong>de</strong>ntique et c’est ce qui inter(Iit <strong>de</strong><br />
les abor<strong>de</strong>r avec <strong>de</strong>s procédures techniquesj maie <strong>de</strong>s <strong>de</strong> situa...<br />
tian revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> façon récurr<strong>en</strong>te. Et pour ces types <strong>de</strong> situations,<br />
la méoire sociale sélectionne et transmet aux individus<br />
sont donc à ces types <strong>de</strong> situations<br />
te, UI<br />
Ces<br />
et qui<br />
ou £i!! <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sé5 ou <strong>de</strong> condui<br />
0 pas pour but <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s effets particuliers prévjsj<br />
55<br />
pour es g<strong>en</strong>s déterminés mais constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s inetru,,<strong>en</strong>ts polyval<strong>en</strong>ts<br />
(multi r ose) élaborés comme autant d’ aptations à certain<br />
5<br />
<strong>de</strong>j onnem<strong>en</strong>ts, parce qu’ils sont Utiles pour faire face à certaine<br />
6e Situation (...) Cette adaptation a<br />
<strong>de</strong><br />
pour<br />
besinm<br />
base<br />
précis,<br />
non la<br />
maie lezpj5fl<br />
prévjsj<br />
00<br />
05 Passée <strong>de</strong> certains g<strong>en</strong>res <strong>de</strong> si_<br />
atione dont ndus savons qu’elias se E! duiroiit avec <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés va—<br />
0 <strong>de</strong> probabji Et le résultat <strong>de</strong> telles expéri<strong>en</strong>ces passées<br />
riab1<br />
acquis s à force d’ess<br />
5 et d’échecs est<br />
moire ‘événem<strong>en</strong>ts articUliSrs, ni Comme une<br />
du geare <strong>de</strong> situation ausceptj<br />
5 <strong>de</strong> se prés<strong>en</strong>ter, mais sous la forme<br />
du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t (s<strong>en</strong>se; oe que lTayek appellera souv<strong>en</strong>t aussi intuition,<br />
au s<strong>en</strong>s d’une connaissance non explicite, semi—consci<strong>en</strong>te) <strong>de</strong> l’in—<br />
partance que revât observatjon <strong>de</strong> certaines règles” (t. 2, p. 5).<br />
Ainsi les règles sont “<strong>de</strong>s adaptations à <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> situ<br />
ation que l’expéri<strong>en</strong>oe pase<strong>de</strong> a montrées récurr<strong>en</strong>tes dans le mon<strong>de</strong><br />
où nous vivons. Tout comme la connaissance qui incite (un) prom<strong>en</strong>eur<br />
à se munir <strong>de</strong> son couteau <strong>de</strong> poche (afin d’âtre outillé <strong>en</strong> vue <strong>de</strong><br />
diverses occasions possibles), la connaissance incorporée dann les<br />
règles est oelle <strong>de</strong> certains caractères généraux <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />
non celle <strong>de</strong> faits particuliers. Autrem<strong>en</strong>t dit, les règles <strong>de</strong> con<br />
duite appropriées ne sont pas dérivées d’une connaissance explicite<br />
d’événem<strong>en</strong>ts concrets que nous rancontreronej elles sont plutàt une<br />
adaptation à notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t...” (ibid.)<br />
“Comme toue lee outils à usages multiples, Les règles ser<br />
v<strong>en</strong>t paroe qu’elles ont été adaptées à la solution <strong>de</strong> situations<br />
diffloilea qui me prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> façon répétée (...) La connaissance<br />
qui leur n donné leur forme n’est pas la connaissance d’effets parti<br />
culiers à v<strong>en</strong>ir, mais la connaissance du retour récurr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> certai<br />
nes eituations problématiques ou <strong>de</strong> certaines tâches” (t. 2, p. 24).<br />
Ladaptation ne sera dono pas réalisée, comme dans le cas<br />
n°1, par une vision, claire et distincte, <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> cause à<br />
effet <strong>en</strong>tre les faits et les actes particuliers qui sont <strong>en</strong> jeu dans<br />
la pratique. Elle le sera par l’exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> nous <strong>de</strong> diepositions ou<br />
<strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances qui font que, <strong>de</strong>vant une certaine classe <strong>de</strong> faits parti<br />
culiers, nous mobilisone un oertain <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts. Cela sup<br />
pose que noue reconnaissions ces classes <strong>de</strong> faits à certains traits<br />
formels quils ont <strong>en</strong> commun.<br />
— 35 —<br />
Or le point capital est que cette reconnaissance n’est pas<br />
un effet <strong>de</strong> la “délibération”, <strong>de</strong> la réflexivité, <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée con<br />
sci<strong>en</strong>te et explicite. Elle est immédiate et “intuitive”. Elle est<br />
une reconnaissance <strong>de</strong> forme, une “pattern recognition”.
Ici, la théorie <strong>de</strong> l’ordre social °pofltané s’artjci,e avec<br />
une thorje du P5yOhim<br />
0• S’il y a un ordre social émerg<strong>en</strong>t, c’est<br />
que le élém<strong>en</strong>ts obéiss<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s règles communesj mais ils le font<br />
parce ue leur PSychisme individuel cogiporte certains calactères<br />
qui le permett<strong>en</strong>t<br />
du rat onaljse<br />
Pour introduire cette notion, Uayek revi<strong>en</strong>t à sa critique<br />
cartési<strong>en</strong> (pp. 20—21). Pour que<br />
Descartes ait conçu un esprit imposant ses propres constructions lo<br />
giques à la nature et à la société, ii fallait, rappelle_t....il, qu’il<br />
conçUt ans substance p<strong>en</strong>sante distincte <strong>de</strong> la substance ét<strong>en</strong>due. Alu-.<br />
si une uborc1jnatjon <strong>de</strong> l’une à l’autre était concevable Mais <strong>en</strong><br />
fait, dt Uayek, l’esprit n’existe pas, <strong>en</strong> soi, avant la société.<br />
Lespj se construit par adaptation progressjve à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />
Physique et social, comme l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t lui—mémo es-t progressjv<br />
6...<br />
m<strong>en</strong>t mqué et modifié par l’esprit (thèse anti_idéaliste classique,<br />
qui est le thème premier, nOtoflsle au passage, du Marx <strong>de</strong><br />
C’est bi<strong>en</strong> parce que l’esprit n’a pas<br />
la société qu’on ne peut dire que ce sont leu institutions conçues<br />
par lui qui ont forgé la société. Le constructivisme est la négation<br />
<strong>de</strong> ce pr cessus adaptatif (quo Marx qualifiait <strong>de</strong> “dialectiquee; les<br />
construc ivjst<strong>en</strong> sont plus “cartési<strong>en</strong>s» que “marxi<strong>en</strong>s”)<br />
Ce qu’on appelle<br />
— ï, —<br />
est le résultat complexe do ce<br />
processu Il n’ezrt pas seulem<strong>en</strong>t oofl5tjtué dûs idées ou dû connais<br />
sances d stinctas et consoj<strong>en</strong>tas qui peuv<strong>en</strong>t être utilisées comme<br />
outils p ur p<strong>en</strong>ser le mon<strong>de</strong> Il eut constitué, d’abord, <strong>de</strong>s schémao<br />
‘V<br />
:1<br />
I<br />
-“j<br />
j<br />
do p<strong>en</strong>sée et d’action grîtce auxquels se représ<strong>en</strong>te son <strong>en</strong>vi<br />
ronnem<strong>en</strong>t. La manière <strong>de</strong> structurer le champ perceptif,<br />
importance et signification à telle ou telle information <strong>en</strong> prove<br />
nance <strong>de</strong> 1eflvjroflne5fl, d’att<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s antres hommes tel ou tel<br />
comportem<strong>en</strong>t, tout ceci est un “a priori”, prés<strong>en</strong>t dans la psychisme<br />
autrem<strong>en</strong>t que sous la forme d’idées claires et distinctes. Ces struc<br />
tures “a priori”, reconnues <strong>en</strong> un m<strong>en</strong>s par Kant, ne aon-t pourtant pas<br />
“transo<strong>en</strong>dantalea”. Elles sont un héritage constitué progessivein<strong>en</strong>t<br />
dans le temps.<br />
<strong>de</strong> ces structures “a priori” que l’esprit est non seu<br />
lem<strong>en</strong>t “plein”, mais “fait”: “L’esprit ne fabrique pas tant <strong>de</strong>s rè—<br />
glas qu’il ne se compose <strong>de</strong> règles pour l’action” (p. 21).<br />
Si le concept évoque quelque chose <strong>de</strong> déterminé,<br />
clair et distinct, consci<strong>en</strong>t (comme l’indique l’étymologie d’i<strong>de</strong>a:<br />
ce qui se voit), celui <strong>de</strong> “schème” ou <strong>de</strong> “pattern” évoque une réali<br />
té psychique autre, inconnoi<strong>en</strong>te ou serni—connoi<strong>en</strong>te (telle, <strong>en</strong> tout<br />
cas, qu’il faille un effort délibéré pour <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre consoi<strong>en</strong>ce; il<br />
ne sagjt pas, notons—le tout <strong>de</strong> suite, dfl “inconsci<strong>en</strong>t” freudi<strong>en</strong>).<br />
Comm<strong>en</strong>t peut—on appr<strong>en</strong>dre, ou, inversem<strong>en</strong>t, transmettre, <strong>de</strong>s<br />
règles dont on n’a pas consci<strong>en</strong>ce et qu’on est incapable <strong>de</strong> formuler?<br />
J{ayek évoque à cet égard l’exemple <strong>de</strong> l’appr<strong>en</strong>tissage du langage par<br />
les <strong>en</strong>fants (p. 22). Les jeunes <strong>en</strong>fante peuv<strong>en</strong>t inv<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s phrases<br />
correctea, mme complexes, qu’ils n’ont jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dues auparavant<br />
(ils flot <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du que l<strong>en</strong> mots qui compos<strong>en</strong>t ces phrases). C’est<br />
donc quile ont appris la syntaxe alors que, bi<strong>en</strong> évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, person<br />
ne ne la leur a jamais <strong>en</strong>seignée expressém<strong>en</strong>t. .Ce qui revi<strong>en</strong>t à dire<br />
qu’ils ont appris les règles nana la médiation <strong>de</strong> leur énonciation<br />
(ajoutons que dans ce cas les règles mont bi<strong>en</strong> “culturelles”, elles<br />
ne sont pas programmées génétiquem<strong>en</strong>t: tout <strong>en</strong>fant peut appr<strong>en</strong>dre toute<br />
langue). De mme, dans les arts manuels, “nous sommes guidés par <strong>de</strong>s<br />
règles que nous savons appliquer mais que nous nommes incapables d’é-.<br />
foncer” (p. 22).<br />
37 —
— 3h —<br />
“Le point important est que tout homme qui grandit dans une<br />
cultue donnée trouvera <strong>en</strong> lui—même <strong>de</strong>s règles — ou peut découvrir<br />
qu’il agit <strong>en</strong> accord avec <strong>de</strong>s règles — et reconnaîtra semblablem<strong>en</strong>t<br />
que les actions <strong>de</strong>s autres sont conformes ou flOfl—conformes à diver-.<br />
rgles” (ibid.).<br />
Donc, les règles, bi<strong>en</strong> que flOncoflscj<strong>en</strong>tes sont connues,<br />
dans la mesure ou ellan peuv<strong>en</strong>t être reconnues. Les <strong>de</strong> faite<br />
ou leZ.! d’actes <strong>en</strong> jeu dans la pratiqua sont reconnaissables<br />
au a<strong>en</strong> d’une “pattern reoognitionI, une”reconnaisuance do formec”<br />
Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> cette capacité <strong>de</strong> reconnaissance, pouvonanos<br />
dire e.. repr<strong>en</strong>ant l’exemple du langage, comme <strong>de</strong> ce que les lingujse<br />
5<br />
appe11nt “Compéteflce’ Tout locuteur parlant une langue est “compé-.<br />
tant” dans cette langue, même s’il n’a aucune connaissance linguja...<br />
tique (aucun savoir do la langue, considérée comme objet do nci<strong>en</strong>ce)<br />
Cette “oomp6t<strong>en</strong>oe’ se traduit simpleme par le fait qu’il reconnaît<br />
immédja amant si une phrase prononcée <strong>de</strong>vant lui est correcte ou in-.<br />
correct . Cette reconnajscftnoe peut être parfaitem<strong>en</strong>t accomplie par<br />
un anal habète.<br />
Hayek dit qu’il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même pour d’autres domaines <strong>de</strong><br />
normes. i je séjourne à létrag, je trouve le comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />
g<strong>en</strong>s dans la rue, surtout relativem<strong>en</strong>t aux rapports humain<br />
5, aux at<br />
titu<strong>de</strong>s, etc., sinon incorrect, du moins “bizarre”, alors que jo suiu<br />
intégré tout naturellem<strong>en</strong>t dans mon propre pays. Autrem<strong>en</strong>t dit je<br />
parfaitem<strong>en</strong>t la conformité ou la non—confO.,,ité dos compor...<br />
tem<strong>en</strong>ts certaines normas. Mais là <strong>en</strong>core ii no s’agit pas d’une con—<br />
naiesanc consci<strong>en</strong>te et déterminée. Je ne pourrais pas, le plus souv<strong>en</strong>t,<br />
dire préc sém<strong>en</strong>t le comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s étrangers est bizarre ou<br />
anormal ( f. t. 2, PP. 13—14). Si je comm<strong>en</strong>ce une telle analyse, c’est<br />
du fait d une j sition réflexjve que je pr<strong>en</strong>ds délibérém<strong>en</strong>t posjtion<br />
qui fait ne je ne suis plus dans les conditions normales <strong>de</strong> la pra—<br />
tiquo au $ei du milieu considéré<br />
— 39 —<br />
Ainsi l”esprit” est normalem<strong>en</strong>t constitué <strong>de</strong> schèmes abe—<br />
traits non—consci<strong>en</strong>ts, qui d’ailleurs ne détermin<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t<br />
nos’réponmem”au.x stimulations <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, maie bi<strong>en</strong> notre<br />
perception <strong>de</strong> cet <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t même et <strong>de</strong>s”questions” qu’il nous<br />
pose. Nous sommes adaptés à cet <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que nous<br />
oj5<br />
ne percevons <strong>de</strong> lui (sauf exception, source <strong>de</strong> 11<br />
1 cf. t. 2,<br />
p. 25) que le type d’informations auxquellem flous sommes pré<br />
parés à répondre par les sohèmes que noue avons <strong>en</strong> nous.<br />
Précisons la nature <strong>de</strong> ces schèmes et la façon dont ils<br />
intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans l’action humaine. Ils sont à rapprocher <strong>de</strong> la<br />
notion aristotélico—thomiste d’exis, habitus, diepositionm tempo<br />
raires ou perman<strong>en</strong>tes à agir ou à p<strong>en</strong>ser dans tel s<strong>en</strong>s, notion par<br />
laquelle cette tradition complétait son analyse <strong>de</strong> l’aote humain et<br />
montrait qu’il n’était pas déterminé par la meule nature d’un côté<br />
ou par le seul intellect déductif <strong>de</strong> l’autre.<br />
“Chaque fois qu’un <strong>de</strong> situation réveille dans un indi<br />
vidu une t<strong>en</strong>dance.à répondre selon un schéma d’actions déterminé<br />
(pattarn 0f response), cette relation fondam<strong>en</strong>tale qu’on désigne par<br />
le mot abstrait est prés<strong>en</strong>te” (t. I, p. 34).<br />
En d’autres termes, <strong>de</strong>s stimuli définis ne suscit<strong>en</strong>t pas<br />
directem<strong>en</strong>t, dana le système nerveux concerné, <strong>de</strong>s réponses définies,<br />
selon le schéma behavioriste stimulus—réponse. Mais “certaines sortee<br />
et configuration <strong>de</strong> stimuli mobilisant certaines t<strong>en</strong>dances à agir dans<br />
<strong>de</strong>s s<strong>en</strong>s voisina” (ibid.), et cette mobilisation as fait par ‘pattcmrn<br />
recognition”. Mais comme est varié, il doit y avoir<br />
plusieurs formes reconnues dans chaque <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> circonstances, sus<br />
citant autant <strong>de</strong> types <strong>de</strong> réponses. De sorte que uniquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
la surimposition <strong>de</strong> nombreuses t<strong>en</strong>dances <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re que se dégage<br />
finalem<strong>en</strong>t l’action précise qui intervi<strong>en</strong>dra” (ibid.).<br />
Il y a donc indéterminisme, pluralité <strong>de</strong>s issues possibles;<br />
et néanmoins détermination <strong>de</strong> certains typas <strong>de</strong> réponses possibles.
- 1:0 —<br />
Les :ohèmes Prés<strong>en</strong>ts dans l’esprit <strong>de</strong> l’individu ne<br />
pas<br />
l’empêcheront<br />
L’être libre (il n’y a pas <strong>de</strong> déterminisme mécanique)<br />
fero: t<br />
mais<br />
qu’il se comportera d’une certaine manière dans un<br />
type <strong>de</strong><br />
Certain<br />
circona-tanoes, au lieu d’être indifféremm<strong>en</strong>t porté<br />
n’ im orte<br />
vers<br />
quel comportem<strong>en</strong>t Nais C’est Cela même qui<br />
une<br />
constjtu 5<br />
s iaptatjon La limitation <strong>de</strong> l’év<strong>en</strong>tail da réponses<br />
expri ne<br />
possibles<br />
une Connaissance, exactem<strong>en</strong>t comme on dit, <strong>en</strong><br />
l’jnf<br />
théorie<br />
rmation,<br />
<strong>de</strong><br />
qu’une information est d’autant plus riche<br />
est p us<br />
qu’elle<br />
improbable. La prop<strong>en</strong>sion à se comporter dans<br />
têt<br />
un<br />
qt e<br />
s<strong>en</strong>s<br />
dans<br />
plu—<br />
un autre, alors que tous les comportem<strong>en</strong>ts sont égale—<br />
m<strong>en</strong>t<br />
et cor<br />
ossibleu, correspond à une information sur l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />
une connaiasanoe incorporée dans le schèmes<br />
L’action dans le temps prés<strong>en</strong>t consiste à trouver<br />
p0fl5g<br />
les<br />
les<br />
ré—<br />
plus adéquates dans <strong>de</strong>s situations Chaque<br />
ras,<br />
fois<br />
c<br />
singiljè..<br />
‘est—à—dire qui comport<strong>en</strong>t chaque fois un élém<strong>en</strong>t<br />
t<strong>en</strong>du,<br />
inédit,<br />
qui r<strong>en</strong>d<br />
mat-.<br />
inadéquate toute répétition mécanique<br />
portem,<br />
d’un<br />
nt.<br />
même<br />
Si,<br />
coin—<br />
dans la la fabrication, une<br />
peut<br />
même<br />
êl re<br />
procédure<br />
indéfinim<strong>en</strong>t répétée et aboutir chaque fois<br />
duit,<br />
au même<br />
ans<br />
pro—<br />
laJ!, l’action <strong>en</strong> univers complexe,<br />
détermj<br />
aucune<br />
née<br />
conduite<br />
ne peut être répétée à l’i<strong>de</strong>ntique (sauf dans les •‘ilêts”<br />
exemple<br />
serait<br />
la prob<br />
dans un<br />
réussie<br />
organisé existant dans l’océan d’ordre social spontané: par<br />
la procéduro judiciaire, cf. t. I, P. 150). L’acteur sooial<br />
Lono totalem<strong>en</strong>t désarmé s’il n’avait pas <strong>en</strong> mémoire, <strong>de</strong>vant<br />
ème singulier et inédit qui se pose à lui 1i<strong>en</strong>t!<br />
un certain type <strong>de</strong> réponses correspondantes<br />
Et l’action a d’autant p’us <strong>de</strong> chances d’être adaptés et<br />
que cette mémoire est plus riche.<br />
“Comme la plupart <strong>de</strong>s 2ls, les règles ne sont pas<br />
lém<strong>en</strong>t<br />
un<br />
d ‘un<br />
é—<br />
plan d’aotion, mais plutùt un équipem<strong>en</strong>t pour<br />
hasards<br />
certains<br />
:.n<strong>en</strong>eo) inconnus. De la même façon, une<br />
tie <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong><br />
n<br />
par—<br />
s activités est guidée non par une cormaissance <strong>de</strong>s besdins<br />
— 41 —<br />
particuliers que serv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> définitive cas activités, maie par un<br />
désir une réserve et <strong>de</strong> connaissances, ou <strong>de</strong><br />
manoeuvrer pour être <strong>en</strong> position favorable, <strong>en</strong> bref d’amasser du<br />
“capital” au plus large s<strong>en</strong>s du terme, <strong>en</strong> p<strong>en</strong>sant qu’il vi<strong>en</strong>dra<br />
bi<strong>en</strong> à point dans le type <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> où nous vivons. Et ce g<strong>en</strong>re d’ac<br />
tivités semble <strong>en</strong> vérité <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir prépondérant au fur et à mesure que<br />
nous <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ons plus intellig<strong>en</strong>te. Nous noue adaptons <strong>de</strong> plna <strong>en</strong> plus,<br />
non à <strong>de</strong>s ciroonstanoes particulières, maie <strong>de</strong> façon à accroltre no<br />
tre adaptabilité à <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> circonstances qui peuv<strong>en</strong>t se prés<strong>en</strong><br />
ter. L’horizon <strong>de</strong> nos visées (the horizon 0f oui’ sight) consiste sur<br />
tout <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>s, non <strong>en</strong> buts ultimes déterminés” (t. 2, p. 27).<br />
Certains schémas stimulus—réponse sont <strong>en</strong> nous <strong>de</strong> façon in<br />
née par la sélection naturelle qui aboutit à notre génome. La sooio—<br />
biologie et l’éthologie ont mis <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce l’exist<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> nous,<br />
<strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances, égalem<strong>en</strong>t innées, à adopter certains types <strong>de</strong> comporte<br />
m<strong>en</strong>t. Néanmoins ltayelc ne s’intéresse ici quaux schèmes qui sont <strong>en</strong><br />
nous au terme d’une sélection oulturella et sans inscription géné<br />
tique connue. Une réalité culturelle miii g<strong>en</strong>eris, un <strong>en</strong>semble <strong>de</strong><br />
schèmes complexe, stratifié, doté d’une certaine inertie, maie d’une<br />
durés sans commune mesure avec le temps nécessaire à l’évolution bio<br />
logique.<br />
Ces schèmes sont pour nous une “secon<strong>de</strong> nature” (comme di<br />
sait précisém<strong>en</strong>t Aristote au sujet <strong>de</strong>s dispositions perman<strong>en</strong>tea8)),<br />
ou <strong>en</strong>core un <strong>en</strong>semble d”instincts” ou (termes que<br />
Hayek admet l’un et l’autre). Mais il ne faut pas pr<strong>en</strong>dre “instinct”<br />
au s<strong>en</strong>s d”instinot naturel” génétiquem<strong>en</strong>t programmé. Et si<br />
tion” est une connaissance non consci<strong>en</strong>te, elle ne se situe dans au<br />
cun “inooneci<strong>en</strong>t” <strong>de</strong> type freudi<strong>en</strong>, pour une raison précisez l’in<br />
consci<strong>en</strong>t freudi<strong>en</strong> suppose <strong>de</strong>s int<strong>en</strong>tions cachées. La règle hay-eki<strong>en</strong>—<br />
ne, elle, n’a pas d’int<strong>en</strong>tion, puisqu’il n’y a pas, dans ce cas, <strong>de</strong><br />
représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la relation <strong>en</strong>tre une cause et un effet. Prêter une<br />
int<strong>en</strong>tion à une réalité inconsci<strong>en</strong>te relève, selon Ilayek, <strong>de</strong> la “mys—
tique”<br />
- 112 — — “3 —<br />
laquelle il r<strong>en</strong>voie l’inconsci<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la Psychanalyse.<br />
“Il sera peut—être clair maint<strong>en</strong>ant que notre insistance<br />
cOnsta: te sur le caractère non—rationnel (au s<strong>en</strong>s “cartési<strong>en</strong>”) <strong>de</strong><br />
beaucot p <strong>de</strong> nom actions n’a pas pour int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> minimiser ou <strong>de</strong><br />
critiqa er cette façon d’agir, mais au contraire <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> relief<br />
l’une è es raisons qui la r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt efficace; non pas <strong>de</strong> suggérer<br />
flous <strong>de</strong><br />
que<br />
irions essayer <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre pleinem<strong>en</strong>t pourquoi nous<br />
ce<br />
faisons<br />
que ious faisons, mais <strong>de</strong> montrer que cola n’est pas possible et<br />
que nou pouvons faire usage d’une aussi riche expéri<strong>en</strong>ce, non<br />
que<br />
parce<br />
flou I possédoii nette expéri<strong>en</strong>ce, mais parce que, sans que nous le<br />
sachioni<br />
p<strong>en</strong>sée<br />
i, elle s’est incorpor,e ( cor orated) dans les schémas <strong>de</strong><br />
qui nous conduis<strong>en</strong>t” (t. I, p. 35).<br />
+<br />
++<br />
Les schèmes sont <strong>en</strong> nous et détermin<strong>en</strong>t notre action <strong>de</strong> ma<br />
nièra no l—consci<strong>en</strong>te. Mais certains <strong>de</strong> ces schèmes peuv<strong>en</strong>t être pris<br />
<strong>en</strong> coflsc .<strong>en</strong>ce et verbalisés. L’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s “sci<strong>en</strong>ces normatives”,<br />
la moral,<br />
dologie<br />
le droit, mais aussi la grammaire, l’esthétique, la métho—<br />
es sci<strong>en</strong>ces, etc., vis<strong>en</strong>t à formuler les règles <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et<br />
ce qui facilite leur mémorisation, leur évolution et leur<br />
Oomp1exj ication, sans jamais aboutir à la formulation <strong>de</strong> théories<br />
dont las actes humains ne serai<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>s applications, déterminées<br />
par la ra Eson déductive.<br />
lans examiner ici cette question, complexe <strong>en</strong>tre toutes, du<br />
“Va et vi’ int” <strong>en</strong>tre schèmes inconsci<strong>en</strong>ts et normos explicites,<br />
un<br />
notons<br />
fait r ‘marquable, que flayek souligne à plusieurs reprises. L’abstrac.<br />
tion <strong>de</strong>s<br />
exprimés<br />
chèmes se marque dans la forme <strong>de</strong> ceux d’<strong>en</strong>tre eux qui sont<br />
erbalem<strong>en</strong>t.<br />
etto forme eut toijoura g,n,irao, CO fiont, préci<br />
règles, c<br />
dos<br />
est—à—dire doo prolcrIptjonø c<strong>en</strong>u,5<br />
0,j s’appliquer à un noie—<br />
bre indéterminé <strong>de</strong> cas. Mais une manière radicale, pour une règle<br />
énoncée verbalem<strong>en</strong>t, générale, est d’être exprimée sous une<br />
forme négative. Dire ce qu’il ne faut faire, c’est laisser ouver<br />
te la possibilité d’une infinité d’actes positifs particuliers à ac<br />
complir. Par les règles négatives (les interdite) on est donc seule<br />
m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cadré, canalisé dans l’action, mais celle—ci n’est pas déter<br />
minée. Les règles “sont à peu près toutes négatives, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’<br />
elles prohib<strong>en</strong>t plutt que11es n’<strong>en</strong>joign<strong>en</strong>t certains g<strong>en</strong>res d’actes”<br />
(t. 2, p.42).<br />
Soit les Dix Comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts: tu ne tueras pas, tu ne voleras<br />
pas, tu ne commettras pas l’adultère... Ou la morale courante: ne pas<br />
m<strong>en</strong>tir, ne pas reculer face au danger... Ou l’hygiène: ne pas abuser<br />
<strong>de</strong> la nourriture ou <strong>de</strong> la boisson.. • Ou <strong>de</strong>s textes énonçant <strong>de</strong>s “prin<br />
cipes généraux du droit”: ne pas emprisonner quelqu’un sans raison, no<br />
pas lui faire subir <strong>de</strong> rigueurs qui ne serai<strong>en</strong>t pas nécessaires...<br />
Il est typique, dit Hayek, que le droit commun britannique<br />
traditionnel ne connaisse qu’un seul cas où une règle impose positive<br />
m<strong>en</strong>t un <strong>de</strong>voir, “celui d’assistance aux personnes <strong>en</strong> péril <strong>en</strong> haute<br />
mer” (t. 2, p. 43). Toutes les autres règles sont <strong>de</strong>s limitations<br />
ou <strong>de</strong>s prohibitions.<br />
Quand la forme <strong>de</strong>s règles n’est pas explicitem<strong>en</strong>t négative,<br />
elle reste générale: respecter ses par<strong>en</strong>ts, aimer Dieu, la patrie,<br />
supporter etoquem<strong>en</strong>t le malheur, disposer ses argum<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> allant du<br />
plus faible au plus fort, rechercher l’élégance, etc.<br />
“Des règles qui ne dépén<strong>de</strong>nt pas dé la fin poursuivie, <strong>en</strong> ce<br />
s<strong>en</strong>s qu’elles ne sont pas spéciales aux individus qui vis<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />
objectifs spécifiquem<strong>en</strong>t désignés, ne peuv<strong>en</strong>t non plus prescrire net—<br />
t<strong>en</strong><strong>en</strong>t une action déterminée, mais seulem<strong>en</strong>t borner le champ <strong>de</strong>s g<strong>en</strong><br />
res d’action qui sont permis, et laisser la décision quant aux choix<br />
do la démarche à l’acteur, <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> ses propres buts” (t. 2,<br />
p. 44).
Le règles aonL générale<br />
5 Parcs quo c’est seulem<strong>en</strong>t ainsi<br />
qu’al e peuv<strong>en</strong>t servir <strong>de</strong> base aux Prévisions, et par oonséque di<br />
minue la complexité <strong>de</strong> l’univers eoojag “Le filtrage que les règles<br />
<strong>de</strong> jus e conduit<br />
5 ont dI subir dans le processus <strong>de</strong> leur évolution<br />
pour d v<strong>en</strong>ir générae<br />
5 (et habituellem<strong>en</strong>t négatives) est celui d’un<br />
test négatjf il a été néceSsaire do reformuler graduelle...<br />
m<strong>en</strong>t Ces règles<br />
effets I artili<br />
ui ne auv<strong>en</strong>t être Connus <strong>de</strong> Ceux uj doiv<strong>en</strong>t<br />
les Seules peuv<strong>en</strong>t satisfaire à ce critère les règles<br />
qui ne iép<strong>en</strong>dsnt d’aucune int<strong>en</strong>tion Concrète et se réfèr<strong>en</strong>t unique<br />
m<strong>en</strong>t à les faits que connaiss<strong>en</strong>t ou peuv<strong>en</strong>t aisém<strong>en</strong>t vérifier ceux<br />
qui doi’front les respecter11 (t. 2, p. 47), o’est_à...dire à <strong>de</strong>s<br />
récur,.- ta <strong>de</strong> faite qui constitu<strong>en</strong>t l’univers commun <strong>de</strong>s oc—acteurs<br />
Montrons <strong>en</strong> effet maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> quoi lexjflfl<br />
00 <strong>de</strong> aahème<br />
abstraits dans l’esprit do chaque individu peut r<strong>en</strong>dre Possible un<br />
ordre global, autrem<strong>en</strong>t dit permettre une<br />
dans<br />
coordination<br />
l’univers<br />
<strong>de</strong>s<br />
non_organj<br />
activités<br />
muns mimpljfj<br />
— 1111<br />
5 complexe. L’exist<strong>en</strong>ce do ses schèmes Com<br />
5 cet univers et y rétablit une certaine prévisibilité<br />
+<br />
++<br />
social “ne signifie pas forcém<strong>en</strong>t que les différ<strong>en</strong>...<br />
tes peranines, placées dans <strong>de</strong>s circonstances semblables, agiront<br />
exactemet <strong>de</strong> nime; mais simplem<strong>en</strong>t que, pour la formation d’un<br />
tel ordr, il est nécessaire que sous certains rapports tous l<strong>en</strong><br />
indjvidu suiv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s règles déterminées ou que leurs actions<br />
ne débor<strong>de</strong>nt pas certaines limites. Autrem<strong>en</strong>t dit, pour qu’un cer<br />
tain ordre d’<strong>en</strong>semble S’établisse, il suffit que les réponses <strong>de</strong>s<br />
ifldjyjdu aux événem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> leur milieu soi<strong>en</strong>t semblables dans un<br />
certain rombre d’aspecte abstraits” (t. i, p. 52).<br />
:<br />
:v.<br />
‘, 1•<br />
,.. e...<br />
l;<br />
Il faut que chacun puisse antioiper sur les comportem<strong>en</strong>ts<br />
d’autrui, les prévoir jusqu’à un certain point, et pouvoir compter<br />
qu’ils seront tels quelles que soi<strong>en</strong>t les circonstances particuliè<br />
res futures inconnues. C’est cette capacité d’anticipation <strong>de</strong>s con<br />
duites d’autrui qui diminue la complexité du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la praxis et<br />
fait que nous y sommes adaptés.<br />
“Nous p<strong>en</strong>sons d’habitu<strong>de</strong> que ce qui noue est familier et<br />
bi<strong>en</strong> connu, c’est le concret et le tangible, et il faut faire quel<br />
que effort pour noue r<strong>en</strong>dre compte que ce que nous avons <strong>en</strong> commun<br />
avec nos semblables n’est pas tant la connaissance <strong>de</strong>s mmem faits<br />
précis, que la connaissance <strong>de</strong> quelques omraotères (features)<br />
raux, et souv<strong>en</strong>t fort abstraits, d’un certain <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t” (t. 2,<br />
p. 13).<br />
“Plus la société s’ét<strong>en</strong>d, plus il est vraisemblable que le<br />
savoir que ses membres auront <strong>en</strong> commun portera sur <strong>de</strong>s caractères<br />
abstraits <strong>de</strong> choses et d’actions; et dans la Gran<strong>de</strong> Société ou 50—<br />
ciété Ouverte, l’élém<strong>en</strong>t commun dans la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> tous sera presque<br />
<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t abstrait. Ce n’est pas l’attachem<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s choses parti<br />
culières, maie aux règles abstraites qui préval<strong>en</strong>t<br />
dans cette société, qui gui<strong>de</strong>ra ses membres dans leurs actions”<br />
(ibid.)<br />
— “5 —<br />
“Go qui r<strong>en</strong>d les hommes membres <strong>de</strong> la mime civilisation et<br />
ion met à mme <strong>de</strong> vivre <strong>en</strong>semble pacifiquem<strong>en</strong>t, c’est que dans la<br />
poursuite <strong>de</strong> leurs fins propres, les mobiles particuliers du mom<strong>en</strong>t<br />
qui décl<strong>en</strong>ch<strong>en</strong>t leurs efforts vers <strong>de</strong>s rédultats dberminés sont<br />
guidée et cont<strong>en</strong>us par les mimes règles abstraites. Si l’émotion et<br />
l’impulsion leur die<strong>en</strong>t ce qu’ils désir<strong>en</strong>t, les règles conv<strong>en</strong>tionnel<br />
les leur dis<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t il leur sera poanible et permis d’y parv<strong>en</strong>ir.<br />
L’acte, ou la volition, est toujours un événem<strong>en</strong>t particulier, concret<br />
et individuel, tandiB que les règles communes qui le gui<strong>de</strong>nt sont so<br />
ciales, générales et abstraites. si<strong>en</strong> que les hommec, individuellem<strong>en</strong>t,
ai<strong>en</strong> <strong>de</strong>s déeirs imilajres <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’ils recherch<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cho<br />
ses Similaires, les objets <strong>en</strong> eux—mêmes seront <strong>en</strong> général distincts<br />
et dffér<strong>en</strong>ts Ce qui concilie le individu<br />
5 <strong>en</strong>tre eux et les lie<br />
<strong>en</strong>se,rble dans u tissu Social commun et durable, c’est qu’à ces dit—<br />
tér<strong>en</strong> es Situations Particulières ils di!t <strong>en</strong> Suivant les<br />
rè le abstraites” (t. 2, p. 14).<br />
condition<br />
Le “li<strong>en</strong> social”, c’est donc le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />
0e mot au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> dikè et <strong>de</strong> kosmos (cf.<br />
p. 29. La justice n’est pas seulem<strong>en</strong>t un reoours, elle est la réfé-.<br />
r<strong>en</strong>ce Oommune qui fait que nous nous Vivons bi<strong>en</strong> comme appart<strong>en</strong>ant<br />
au m e mon<strong>de</strong> que nos part<strong>en</strong>aires, que nous Voyons le mon<strong>de</strong> avec les<br />
mêmes catégories Notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t humain nous est connu <strong>en</strong> ce<br />
s<strong>en</strong>s, na1gré sa complexité.<br />
“Toute notre conception <strong>de</strong> la justice reporte sur la convic<br />
tion qe <strong>de</strong>s diverg<strong>en</strong>ces sur <strong>de</strong>s cas d’espèce sont susceptibles d’ê<br />
tre rémolues par la découverte <strong>de</strong> règles qui, une fois formulées,<br />
<strong>en</strong>tralr<strong>en</strong>t un ass<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t général. N’était le fait qu’il nous arrive<br />
souv<strong>en</strong> <strong>de</strong> découvrir que nous sommes d’aocord sur <strong>de</strong>s principes géné-.<br />
raux qii mont applicables, alors même que nous avons comm<strong>en</strong>cé par ê—<br />
tre <strong>en</strong> désaccord sur le cas d’espèce, l’idée même <strong>de</strong> justice perdrait<br />
toute 5ignifjcatjo (t. 2, p. 18).<br />
prév<strong>en</strong>j<br />
taines<br />
“Ainsi les règles <strong>de</strong> juste conduite serv<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t à<br />
le conflit ot à faciliter la coopération <strong>en</strong> éliminant cer—<br />
ources d’incertjtu<strong>de</strong>I (t. 2, p. 45).<br />
+<br />
—<br />
—<br />
:<br />
q<br />
I<br />
•1<br />
Maia<br />
flirnporte quel comportem<strong>en</strong>t<br />
régulier <strong>de</strong>s individus ne suffirait• à assurer une coordina<br />
tion effective <strong>de</strong>s activités. Tout dép<strong>en</strong>d du cont<strong>en</strong>u même <strong>de</strong>s<br />
règles,<br />
“Ce n’est pas n’importe quelle régularité dans le compor<br />
tem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts qui procure un ordre générali. Certaines règles<br />
gouvernant la conduite individuelle peuv<strong>en</strong>t clairem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dre im<br />
possible la formation d’un ordre général. Notre problème est <strong>de</strong><br />
savoir quelle sorte <strong>de</strong> règles <strong>de</strong> conduite proourera un ordre <strong>de</strong><br />
société, et quelle sorte d’ordre produiront certaines règles défi<br />
nies.<br />
“L’exemple classique <strong>de</strong> règles <strong>de</strong> conduite <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts<br />
qui ne produiront auoun ordre provi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>oes physiques t o’est<br />
la eeoon<strong>de</strong> loi <strong>de</strong> la thermodynamique, ou loi d’<strong>en</strong>tropie, selon la<br />
quelle la t<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s molécules d’un gaz à se mouvoir <strong>en</strong> ligne<br />
droite à une vitesse constante produit un état pour lequel on a for<br />
gé l’expression <strong>de</strong> “démordre panfait”. Similairem<strong>en</strong>t, il est évi<strong>de</strong>ttt<br />
que certains comportem<strong>en</strong>ts parfaitem<strong>en</strong>t réguliere <strong>de</strong>s individus ne<br />
pourrai<strong>en</strong>t provoquer que du désordre: si la règle était que tout un<br />
chacun doive essayer <strong>de</strong> tuer quiconque se trouve sur sa route, ou<br />
doive fuir dès qu’il voit quelqu’un d’autre, le résultat serait évi<br />
<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t l’impossibilité complète d’un ordre dans lequel les activi—<br />
tés <strong>de</strong>s individus soi<strong>en</strong>t fondées sur la collaboration avec autrui”<br />
(p. 51).<br />
Un ordre spontané optimal “ne peut évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t être réalisé<br />
qu’<strong>en</strong> protégeant certaines antioipation et non toutes; et le pro<br />
blème c<strong>en</strong>tral est <strong>de</strong> savoir lesquelles doiv<strong>en</strong>t être garanties pour<br />
porter au maximum la possibilité que les att<strong>en</strong>tes soi<strong>en</strong>t générale<br />
m<strong>en</strong>t satisfaites” (p. 128).<br />
— “7 —<br />
C’est ici que nous retrouvons, dans toute sa force, le pro<br />
blème épistémologique que nous posions tout—à—l’heure.
d<br />
—<br />
—<br />
Puisque l’univers est complexe, les bonnes règles, à la<br />
ifféonce <strong>de</strong>s règles d ‘organisi dans un univers déterministe<br />
ne pe v<strong>en</strong>t otre établies â partir d’une théorie donnant<br />
un modèle exact <strong>de</strong> l’univers social. Comm<strong>en</strong>t peuv<strong>en</strong>t_elles donc<br />
,, ;<br />
s Com,nont le savoir qu’elles constituant peut—il u’Lla— § ‘<br />
borer’ Comm<strong>en</strong>t vont être déLer,m:jné at discriminées parmi tous le<br />
Comportem<strong>en</strong>ts possibles Ce11<br />
5 <strong>de</strong>s règles dont la va1orjsitjo et<br />
la prtectjon sont nécessaires, parce que1 0e trouvo, CulIOO1—<br />
rjr eifectivem<strong>en</strong>t à la coordjflatjon <strong>de</strong>s aotjono humaines? -<br />
i<br />
I<br />
L’origine <strong>en</strong> règles abstraites<br />
![ayek dit que les règles sont “sélectionnées”, au s<strong>en</strong>s m—<br />
me — à une réserve près, d’autours ess<strong>en</strong>tielle—<strong>de</strong> la sélection<br />
naturelle dc Darwin.<br />
tlnonçons d’abord la thèse dans ma généralité. Au départ,<br />
cortains comportem<strong>en</strong>ts nouveaux sont <strong>en</strong>nayés par hasard (ou dans<br />
une certaine int<strong>en</strong>tion, mais qui peut tre très différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’ef—<br />
fet réellem<strong>en</strong>t produit; peu importe à ce sta<strong>de</strong>) par certains mdi—<br />
vidiis. Si ces types <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t me révèl<strong>en</strong>t bénéfiques, pour<br />
l’individu ou pour ses part<strong>en</strong>aires, ils sont, <strong>de</strong> proche <strong>en</strong> proche,<br />
imités. Ie groupe qui les adopte se trouve ainsi <strong>en</strong> position <strong>de</strong> mu—<br />
périorité mur les autres groupes. Soit qu’il les élimine, soit qu’il<br />
soit Imité par eux, le comportem<strong>en</strong>t bénéfique <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t préval<strong>en</strong>t.<br />
flo sorte qu’à un mom<strong>en</strong>t donné do l’évolution culturelle, tous tes<br />
comportem<strong>en</strong>ts valorisés eubsitanta, toutes loe règles abstraites<br />
acluellem<strong>en</strong>t vali<strong>de</strong>s et inscrites dans les psychismes individuels<br />
sous forme dc “patterns” do poneée ou d’sction, peuv<strong>en</strong>t être consi—<br />
dârée comme ayant triomphé dans le passé d’autres comportem<strong>en</strong>ts moins<br />
bénéfiques. Ainsi est effectivem<strong>en</strong>t produit un savoir, qui n’a jamais<br />
existé soue forme <strong>de</strong> théories dans la oonsoj<strong>en</strong>ce d’aucun individu.<br />
“Il y n, dit cep<strong>en</strong>dant iiayok, d’importantos différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong><br />
tre la façon dont opère le processus <strong>de</strong> sélection dans la transmis—<br />
eton culturelle qui conduit è la formation <strong>de</strong>s institutions sociales,<br />
et dans la aéleotion <strong>de</strong>s caractèrem biologiques innée et leur trans—
missjo par héritage biologique. L’erreur du “8ocja1_darwjflisme.<br />
fut <strong>de</strong> ne conc<strong>en</strong>trer sur la sélection d’individus pltitt que sur<br />
celle Ies institutjo et <strong>de</strong>s pratiques, et sur la sélection <strong>de</strong>s<br />
aptjtu,es innées <strong>de</strong>s individus plutôt que sur celle <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s<br />
trans,,,jses aultiiroltem<strong>en</strong>tu (p. 27).<br />
La sélection culturelle, comme la sélection naturelle, est<br />
un ‘r4oessus concurr<strong>en</strong>tje1e (proceos oC competitjon) (t.), p. 185),<br />
“oompaxage au vanage et au filtrage” (t.), p.186), mais qui prés<strong>en</strong>te<br />
par ra port à la sélection naturelle la différ<strong>en</strong>ce suivante:<br />
h La “réussite” qui va assurer à la règle d’être mémorisés<br />
“n’est pas, le plus eouv<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> procurer un avantage discernable à<br />
1’indjvjdu qui (agit), maie plutôt d’accroitre les chances <strong>de</strong> survie<br />
duuquel ii (apparti<strong>en</strong>t)” (t.I, p. 22I). “La sélection<br />
oPérerai <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s sociétés <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>ts types, c’est_idire sera<br />
guidée ar les propriétés <strong>de</strong> leurs ordres respectifs” (p. 52).<br />
Il n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>meure pas moins que “les propriétés sur lesquelles<br />
ces ordi-es repos<strong>en</strong>t seront <strong>de</strong>s caractères <strong>de</strong>s individus, à savoir la<br />
prop<strong>en</strong>sion à obéir à certaines règles <strong>de</strong> conduite sur lesquelles<br />
s’appuj l’ordre d’aotjon d groupe dans eon <strong>en</strong>semble (ibid.)<br />
Ainsi, l’ordre <strong>de</strong>s activités du groupe “doit être nettem<strong>en</strong>t<br />
dietjngé <strong>de</strong>s régularj4<br />
3 observées dans les actions individuelles,<br />
bi<strong>en</strong> quq cet ordre résulte <strong>de</strong> ces régularjt<br />
3• Car c’est <strong>de</strong> l’effi<br />
cacité e résultant <strong>de</strong> activités que découlera la supérjo...<br />
rité <strong>de</strong>q groupes dont les membres observ<strong>en</strong>t certajnea règles <strong>de</strong> con—<br />
.dujte” (p. 90).<br />
— 51) -<br />
Il faut dono conoevoir un prooessus complexe d’innovation,<br />
<strong>de</strong> diffusion dam pratiques, <strong>de</strong> contacts avec d’autres groupes, <strong>de</strong><br />
valorjsatjon et d’dljmatjon <strong>de</strong> ces Pratiques, etc., qui soit sponta<br />
né dans l’<strong>en</strong>semhle, ce qui ne signifie pas que les volontés individuel...<br />
les n’izttervj<strong>en</strong>neflt pas à divers sta<strong>de</strong>s du procesmjs, à la faveur <strong>de</strong><br />
diverses représ<strong>en</strong>tations que se font les individus. Ce proceauus doit<br />
I<br />
FN.<br />
ètre tel que <strong>de</strong>s groupes, ayant adopté oertains types <strong>de</strong> conduite,<br />
se trouv<strong>en</strong>t favorisés par rapport à d’autres; et soit qu’ils se re<br />
trouv<strong>en</strong>t seuls à survivre, soit qu’ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>oe à quelque<br />
<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> leur supériorité per rapport nux autres, ils valoris<strong>en</strong>t et<br />
reproduis<strong>en</strong>t ces pratiques—là.<br />
Dmz point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’individu, nul ne peut <strong>en</strong>visager les<br />
normes comme <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s déterminés <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> fins déterminées. L’in<br />
dividu adopte les normes du groupe “<strong>en</strong> bloc”. “La raison pour laquel<br />
le tous las individus membres du groupe font telle chose d’une certai<br />
ne manière ne sera souv<strong>en</strong>t pas que cette manière soit la seule qui<br />
conduise au résultat qu’ils cherch<strong>en</strong>t; la raison est alors que l’ordre<br />
du groupe dans le cadre duquel leurs actions individuelles ont <strong>de</strong>s<br />
chances <strong>de</strong> réussir ne peut tre préservé que s’ils agiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette<br />
manière exclusivem<strong>en</strong>t. Il se peut que le groupe ait subsisté seule<br />
m<strong>en</strong>t parce que les membres ont élaboré et transmis <strong>de</strong>s façons do faire<br />
les choses qui ont r<strong>en</strong>du le groupe plus efficaoe que d’autres; maie<br />
la raison pour laquelle certaines choses sont faites certaine<br />
façon n’a pas besoin d’être connue par l’un quelconque <strong>de</strong>s membres<br />
du groupe” (p. 97). Les règlee sont précisém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, pour les<br />
individus, <strong>de</strong>s “valeurs”, que Tlayek qualifie, <strong>en</strong> une expression re<br />
dondante qui r<strong>en</strong>force le s<strong>en</strong>s, <strong>de</strong> “valeurs finales” (p. 133): da<br />
injonctions qui justifi<strong>en</strong>t les actes, maie qui n’ont pas besoin<br />
d’être elles—mmes justifiées; <strong>de</strong>s “principes” d’action, les prémis<br />
ses du syllogisme pratique, comme dit Aristote, qui simpos<strong>en</strong>t d’eux-.<br />
mmee sans justification et màma, le plus souv<strong>en</strong>t, sans réflexion.<br />
Ce qui fait, d’ailleurs — noue le verrons plus loin — que les règles<br />
val<strong>en</strong>t chacune pour elle-.mme, sans avoir besoin d’tre déductible<br />
d’uns autre et reliée à toutes les autres par un système logique ou<br />
une dootrine culturelle<br />
— 51 —<br />
Ainsi, lorsqu’un individu dévie <strong>de</strong> la norme préval<strong>en</strong>te, on<br />
peut supposer qu’il le fait <strong>en</strong> vue d’un avantage particulier, ou<br />
plutêt <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> l’avantage réciproque d’un petit groupe <strong>de</strong> parte—
naire C’est cet avantage qui est susceptible d’tre consciemm<strong>en</strong>t<br />
perçupar d’autres part<strong>en</strong>aires, qui imiteront le comportem<strong>en</strong>t nou—<br />
veau, et seront eux—mêmes imités <strong>de</strong> proche <strong>en</strong> proche, jusqu’à ce que<br />
le groupe <strong>en</strong>tier l’ait adopté, et que la règle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>ne par exemple<br />
une rgle juridique édictée par une instance Politique représ<strong>en</strong>tant<br />
La toaljté du groupe. Il n’<strong>en</strong> reste pas moins vrai que, d’une part,<br />
l’indjjvidu innovant n’a pas agi <strong>en</strong> ayant pour fin la prospérité du<br />
groupe <strong>en</strong>tier; et, d’autre part, que quand bi<strong>en</strong> nième ii aurait eu <strong>en</strong><br />
vuS scr1 propre avantage, cet avantage n’est nullem<strong>en</strong>t i<strong>de</strong>ntique, ni<br />
même Cpmm<strong>en</strong>surable, avec celui qui pourra év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t résulter<br />
pour li <strong>de</strong> ce que la nouvelle pratique aura été adoptée par l’<strong>en</strong>sem<br />
ble dugroupe. Dans les <strong>de</strong>ux cas intervi<strong>en</strong>t la même barrière épité—<br />
mologiue <strong>de</strong> la complexité.<br />
Il y- a là un problème qu’on <strong>de</strong>vrait pouvoir traiter dane<br />
le cadie <strong>de</strong> l’individualisme méthodologique lîayelc <strong>en</strong> donne un curieux<br />
exemple.<br />
— 52 —<br />
“Quelqu’un peut parfaitem<strong>en</strong>t adopter une règle qui, à l’in<br />
térieur du système <strong>de</strong> règlos existant, conduit moins souv<strong>en</strong>t à do<br />
débojre que les règles établies et ainsi, introduisant une nouvelle<br />
règle, l accroIt la probabilité <strong>de</strong> non—échec <strong>de</strong>s prévisions <strong>de</strong>s au<br />
tres me,bres <strong>de</strong> la société (...) Il peut être habituel dane une so<br />
ciété dOnnée <strong>de</strong> permettre que l’écoulem<strong>en</strong>t ds eaux, ou d’autres euh—<br />
ntanceg, <strong>de</strong> la terre qu’on pOnèdo è la terra du voj 5m <strong>en</strong>dn<br />
511<br />
,51.5 oet—<br />
te <strong>de</strong>rnièrej une telle néglig<strong>en</strong>ce peut alors être tolérée bi<strong>en</strong> quo<br />
fréqueme elle perturbe les plana légitimes <strong>de</strong> quelqu’un• Si alors<br />
un propziétaire, par égard pour non VOisiN, adopte une nouvelle règle<br />
prév<strong>en</strong>a,t cet écoulem<strong>en</strong>t dommageable, ii wnènera, par le fait qu’il<br />
<strong>de</strong> la pratique courante, une réduction <strong>de</strong> la fréqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />
cas où g<strong>en</strong>s voi<strong>en</strong>t g.cher une chance <strong>de</strong> réaliser leurs plana; et<br />
une tell règle nouvelle, inaugurée par un seul, peut être adoptée <strong>de</strong><br />
proche e proche parce qu’eje S’ajuste micux au système <strong>de</strong> règles<br />
établi q’e la pratique prévalant jusqu’alors” (t. 2, PP. 29—30).<br />
1-<br />
++<br />
,..;<br />
,<br />
-î9 ‘<br />
:<br />
-.<br />
Après avoir dit comm<strong>en</strong>t, d’une façon générale, les règles<br />
sont sélectionnées, Tlayek examine laocjrajofl ess<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> ce<br />
processus que représ<strong>en</strong>te le passage <strong>de</strong>s sociétés archaïques aux so<br />
ciétés <strong>de</strong> droit.<br />
— 53 —<br />
“Certaines règles <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dront dominantes parce qu’elles<br />
gui<strong>de</strong>nt mieux les anticipations dans les relations avec d’autres per<br />
sonnes qui agiss<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t. De fait, la supériorité <strong>de</strong> cer<br />
taines règles <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dra évi<strong>de</strong>nte <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie parce qu’elles<br />
créeront un ordre efficace non seulem<strong>en</strong>t au sein groupe fermé,<br />
aussi <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s qui se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t per hasard et ne se<br />
connaiss<strong>en</strong>t pas personnellem<strong>en</strong>t” (p. 119). Ainsi les sociétés <strong>de</strong><br />
droit l’emporteront—elles peu à peu sur les sooiétém primitives,<br />
les sociétés où sont valorisées et garanties par une<br />
autorité politique <strong>de</strong>s règles non seulem<strong>en</strong>t abstraites au s<strong>en</strong>s dé<br />
fini plus haut, maie <strong>en</strong>core purem<strong>en</strong>t anonymes et universelles, <strong>de</strong>s<br />
règles “formelles”. Ces règles <strong>de</strong> droit permett<strong>en</strong>t donc <strong>de</strong>s antici<br />
pations correctes dans une société où l’on ne se connait pas, dans<br />
la”uociété oui’erte”, dans la (i<strong>en</strong>ellsOhaft opposée à la Gemeinnchaft.<br />
Elles permett<strong>en</strong>t donc la coordination <strong>de</strong>s actions sur une bi<strong>en</strong> plus<br />
vaste échelle. Donc une plus gran<strong>de</strong> division <strong>de</strong> la connaissance et<br />
du travail, donc une expon<strong>en</strong>tielle supériorité économique. D’où le<br />
succès <strong>de</strong>s groupes qui les ont adoptéea.<br />
Or les sociétés <strong>de</strong> droit sont celles qui ont adopté l’indt—<br />
vidualinme. ;,‘évolution <strong>de</strong>s règles dép<strong>en</strong>d <strong>de</strong> l’exist<strong>en</strong>ce d’individua<br />
lités originales, capables <strong>de</strong> se comporter <strong>de</strong> façon déviante, et <strong>de</strong><br />
la liberté qui leur est laissée d’une telle déviance. D’où le proces<br />
sus d’évolution culturelle littéralem<strong>en</strong>t expon<strong>en</strong>tiel qui s’est produit<br />
à nartir <strong>de</strong> cette émerg<strong>en</strong>ce historique décisive. Le droit permet le<br />
diss<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, le diss<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t permet la déviance et l’innovation,<br />
les expéri<strong>en</strong>ces, s’étant révélées bénéfiques, permett<strong>en</strong>t l’évolution<br />
rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture et l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la “civilisation” dans la pé<br />
rio<strong>de</strong> la plus réc<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’humanité.
“La plupart <strong>de</strong>s étapes dans l’évolution <strong>de</strong> la culture ont 443<br />
I .<br />
éte frnchiee grace a quelques individus rompant avec certaines r? glee<br />
tradit.onnelles et pratiquant <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t”<br />
(t. 3, p. 192). “Ces changem<strong>en</strong>ts (<strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> conduite) ont r<strong>en</strong>du<br />
l’évoljtion possible surtout <strong>en</strong> relâchant les interdictions, <strong>en</strong> dé—<br />
veiopp4nt la liberté individuelle avec <strong>de</strong>s règles protégeant l’indi—<br />
vidu plutt que lui ordonnant <strong>de</strong> faire telLe ou telle chose. Il ne<br />
fait gère <strong>de</strong> doute qu’à partir <strong>de</strong> la tolérance du troc avec l’étran<br />
ger, l. reconnaissance d’une propriété privée du sol, la sanction<br />
aooor<strong>de</strong> aux obligations contractuelles, la concurr<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre g<strong>en</strong>s du<br />
mime métier, la variabilité <strong>de</strong>s prix, le prit d’arg<strong>en</strong>t, spécialem<strong>en</strong>t<br />
moyonnait intért, fur<strong>en</strong>t, au début, <strong>de</strong>s infractions aux règles cou—<br />
tumièr4, autant do pertes <strong>de</strong> la grace. Et les transgresseurs, qui<br />
fur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s pionniers par la suite, n’introduisir<strong>en</strong>t certes pas <strong>de</strong>s<br />
règles iouvelles parce qu’ils reconnaissai<strong>en</strong>t qu’elles serai<strong>en</strong>t avan—<br />
tageuse pour la collectivité; ils inaugurèr<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s façons<br />
<strong>de</strong> fair qui leur étai<strong>en</strong>t avantageuses, lesquelles se montrèr<strong>en</strong>t hé—<br />
néfiqus pour le groupe lorsqu’elles se répandir<strong>en</strong>t” (t.j, p. 193).<br />
Ont été valorisés alors <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts non seulem<strong>en</strong>t non<br />
inetincifs qui ne faisai<strong>en</strong>t pas partie du génome biologique, main<br />
opposés à eux.<br />
<strong>de</strong>s principales fonctions <strong>de</strong>s règles apprises (dans<br />
les 500 générations les plus réc<strong>en</strong>tes, après peut—être 5000 généra<br />
tions djévolution culturelle) fut <strong>de</strong> bri<strong>de</strong>r les instincts innés ou<br />
naturelE, <strong>de</strong> la manière qui était requise pour r<strong>en</strong>dre possible la<br />
Société élargie. Nous sommes <strong>en</strong>core <strong>en</strong>clins à t<strong>en</strong>ir pour certain que<br />
ce qui st naturel doit tre bon; maie ce peut tre fort éloigné <strong>de</strong><br />
oc qui et bon dans la Société ouverte” (t. 3, p. 191).<br />
La civilisation n brimé la nature, mais il le fallait pour<br />
passer à une forme <strong>de</strong> vie supérieure. Les collectivismes et unanimis<br />
mes <strong>de</strong> guohe (socialisme) ou <strong>de</strong> droite (fascisme) sont, dit Hayek,<br />
<strong>de</strong>s protstations <strong>de</strong>s instincts animaux contre cette “émerg<strong>en</strong>ce” évo—<br />
lutiosnare (ii rejoint ainsi le thènea d K. Popper dans “La 50—<br />
—<br />
5’ —<br />
t,<br />
t,.<br />
ciété ouverte et ses <strong>en</strong>nemis”, quoiqu’il argum<strong>en</strong>te autrem<strong>en</strong>t ces<br />
thèses). Depuis lore, toute une série d’expéri<strong>en</strong>ces ont été faites,<br />
et c’est elles qui ont abouti à notre héritage culturel actuel <strong>en</strong><br />
tant que groupe oiviliaé.<br />
— 55 —<br />
En corollaire, l’unanimisme et l”égalitarisme” doiv<strong>en</strong>t<br />
avoir néoessairem<strong>en</strong>t pour effet <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre impossibles les déviances<br />
et les expéri<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong> bloquer l’évolution oulturollet “Dans une<br />
culture dégagée par la sélection <strong>de</strong>s groupes, l’imposition <strong>de</strong> l’éga<br />
litarisme arrte forcém<strong>en</strong>t l’évolution ultérieure” (t. 3, p. 205).
— 56 —<br />
Il <strong>en</strong> résulte une conséqu<strong>en</strong>ce ess<strong>en</strong>tielle. L’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s<br />
normes et valeurs d’une calture donnée n’est nullem<strong>en</strong>t irrationnel,<br />
au cont raire <strong>de</strong> ce que p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t les cartési<strong>en</strong>s. Il a cette rationa—<br />
lité pr ,pre d’être l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts “ohojsjs” à un mom<strong>en</strong>t<br />
§6<br />
La culture, savoir incorpor dans les tradition<br />
autre par le groupe, <strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce à d’autres. Il est ration—<br />
‘y conformer, si “raison” signifie pesée du pour et du contre,<br />
on, optimisation, choix du meilleur.<br />
5<br />
A un mom<strong>en</strong>t donné <strong>de</strong> l’évolution culturelle, disions—nous,<br />
tous I es comportem<strong>en</strong>ts valorisés subsistants, toutes les règles<br />
ab stra ites inscrites dans les psychismes individuels sous forme <strong>de</strong><br />
“patta rns” <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action ou d “valeura’, peuv<strong>en</strong>t tre con-.<br />
dérés omme le produit <strong>de</strong> la sélection culturelle. Ils ne sont pas<br />
là par hasard ou à la faveur <strong>de</strong> mutations purem<strong>en</strong>t arbitraires. Il<br />
y a ce, tes <strong>de</strong> la conting<strong>en</strong>ce dans l’évolution culturelle et historj—<br />
que, a us au point <strong>de</strong> départ seulem<strong>en</strong>t j la sélection reti<strong>en</strong>t les cas—<br />
portem nts seuls qui se sont révélés bénéfiques et au sujet <strong>de</strong>Bquels<br />
cxi ste t <strong>de</strong>s témoignages oonverg<strong>en</strong>ts et indép<strong>en</strong>dants parce que dia—<br />
chronjc uem<strong>en</strong>t répartis au long <strong>de</strong> plusieurs générations. Toutes les<br />
valeur, d’une société donnée peuv<strong>en</strong>t tre consjdérea comme <strong>de</strong>s<br />
I<br />
types e p<strong>en</strong>sée et d’aotion ayant triomphé dans la passé d’autres<br />
compori em<strong>en</strong>ts moine bénéfiques.<br />
ou à un<br />
nel <strong>de</strong><br />
estimat<br />
Nul ne saurait s’y- soustraire totalem<strong>en</strong>t sans pr<strong>en</strong>dre un très<br />
gros ru que, oelui <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir refaire lui—mime toutes les expéri<strong>en</strong>ces<br />
antériet res qui ont abouti à la eélection <strong>de</strong>s bons comportem<strong>en</strong>ts.<br />
S’ agisse nt collective et millénaire, c’est évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />
impossil le pour l’individu. La philosophie <strong>de</strong> la oonaoi<strong>en</strong>ce, le phi—<br />
losophèr e “phénoménologique” allant <strong>de</strong> Desoartes à Kant et à Husseri,<br />
parait j ai <strong>en</strong> défaut. Il n’y a pas d”aperception transc<strong>en</strong>dantale”<br />
posib1c<br />
<strong>de</strong> la totalitd du savoir incorporé par la culture. Aussi<br />
.1<br />
bi<strong>en</strong>, noue l’avons vu, ce savoir flefl_j pas incorporé dans <strong>de</strong>s<br />
idées, mais dans <strong>de</strong>s schèmes, que l’on peut certes traduire <strong>en</strong><br />
idées et <strong>en</strong> mots, mais qui ne s’i<strong>de</strong>ntifi<strong>en</strong>t pas à eux.<br />
Le véritable rationalisme consiste à reconnaître ce carac—<br />
tère du psychisme connaissant. Le cartésianisme apparaît a contrario<br />
comme irrationnel. L’idéal d’omnisci<strong>en</strong>ce est, littéralem<strong>en</strong>t, un pro<br />
duit <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée animiste ou magique. Le rationalisme qui consiste<br />
à reconnaître les limites d’un type <strong>de</strong> connaissance à la lumière d’un<br />
autre type <strong>de</strong> connaissance, qui parvi<strong>en</strong>t donc à augm<strong>en</strong>ter concrètem<strong>en</strong>t<br />
la connaiesince à la faveur flfl détour méthodologiue, mérite le<br />
nom <strong>de</strong> rationalisme critique. T{ayek repr<strong>en</strong>d à mon compte cette expres<br />
sion <strong>de</strong> Popper qui exprime la fin <strong>de</strong> l’idéal <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong> dans la<br />
sci<strong>en</strong>ce.<br />
“Les prét<strong>en</strong>dus anti—rationalistes (Man<strong>de</strong>ville, hume, Smith,<br />
Ferguson, flurke, Il, von Humboldt, F.O. von Savigny, H. Mains, C.M<strong>en</strong>—<br />
ger..,) soulign<strong>en</strong>t que pour r<strong>en</strong>dre la raison aussi efficace que pos<br />
sible il faut avoir consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s limites du pouvoir <strong>de</strong> la raison,<br />
et <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> que nous recevons <strong>de</strong> processus qui échapp<strong>en</strong>t à notre<br />
att<strong>en</strong>tion; c’est cela qui fait défaut au rationalisme constructivis<br />
te. Par conséqu<strong>en</strong>t, si l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par rationalisme le souci <strong>de</strong> r<strong>en</strong><br />
dre la raison aussi efficace que possible, je suis moi—i4me un ra<br />
tionaliste. Si, toutefois, le terme signifie que la raison consci<strong>en</strong>te<br />
<strong>de</strong>vrait déterminer chaque action particulière, je ne suis pas rationa<br />
liste et un tel rationalisme me paraît fort déraisonnable. Stirem<strong>en</strong>t,<br />
l’une <strong>de</strong>s tâches <strong>de</strong> la raison met <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r jusqu’où elle doit<br />
ét<strong>en</strong>dre son contrôle et dans quelle msure elle doit s’<strong>en</strong> remettre<br />
à d’autres forces (to rely on other forces) quel1e ne peut complè<br />
tem<strong>en</strong>t contrMer. Il est dono préférable, dans un tel oontexte, <strong>de</strong><br />
ne pas opposer rationalisme et anti—rationalisme, mais <strong>de</strong> distinguer<br />
<strong>en</strong>tre le rationalisme constructiviste et lévolutioflnisme, ou, selon<br />
les termes <strong>de</strong> Karl Popper, <strong>en</strong>tre un rationalisme naïf et un ratio<br />
nalisme critique”(t. I, p. 34).<br />
— 57 —
Ces “autres forces”, ce sont les savoirs produits par la<br />
sélefrtion culturelle, qui permett<strong>en</strong>t l’ajustem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s actions sana<br />
l’unvera Social complexe, et qui constitu<strong>en</strong>t non pas <strong>de</strong>s idées,<br />
mais les Schèmes dont l’”esprjt” est Constitd. “L’expéri<strong>en</strong>ce noqui-.<br />
se par les observations <strong>de</strong>s génération<br />
8 plus <strong>de</strong> connais-.<br />
sancs que n’<strong>en</strong> possè<strong>de</strong> aucun individu” (p. rii). T.’héritage cultu<br />
rel est fait <strong>de</strong> schèmes, <strong>de</strong> normes, <strong>de</strong> valeurs, réserve <strong>de</strong> réponses<br />
à apprter, directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t, à la faveuj. <strong>de</strong> “réorganjma_<br />
tions’ créatrices, aux stimulations nouvelles <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />
dono apacjté adaptative et condition <strong>de</strong> l’autonomie<br />
Cette mémo3re est un savoir au s<strong>en</strong>s fort du terme, l’idée<br />
même e “connaissance» implique <strong>en</strong> effet un rapport déterminé avec<br />
un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et c’est bi<strong>en</strong> Ce que conti<strong>en</strong>t la mémoire sociale<br />
ioi oc sidérée.<br />
Nous avons ici la Solution définitive du problème épist_<br />
mologj us posé par la Critique hayékj<strong>en</strong>ne du Cartésianisme Ce sont<br />
les sa oire Culturels qui rempliss<strong>en</strong>t la laCune laissée par leu<br />
théories et les idées Claires et distinctes.<br />
r<br />
Ce mot <strong>de</strong> “culture”, si chargé d’ambiguïté,<br />
trouve<br />
dans la théorie <strong>de</strong> llayek uns intelligibjljté nouvelle, la “culture”<br />
— d’une civilisation, d’une nation, maie aussi d’une catégorie so.<br />
ciale, ‘un groupe Professionnel, d’une institution, etC., c’est la<br />
mémoire <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> Comportem<strong>en</strong>t bénéfiqi,es sélecijonnées par le<br />
groupe, r<strong>en</strong>dant possible la “vie”, c’eSt_à_dir<br />
timale <strong>de</strong>s actions, au sein du groupe.<br />
6 la Coordination op<br />
La culture, notons—le au passage, n ainsi ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />
affaire vec la le domaine <strong>de</strong>s actions, qu’il s’agisse<br />
d’actjon physiques ou <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée el)e—mme Ce<br />
ci est p adoxal, la culture pass<strong>en</strong>t d’ordinaire pour spéculative<br />
La culture est savoir <strong>de</strong> l’action parce<br />
représ<strong>en</strong>•<br />
qu’elle est<br />
‘atian <strong>de</strong><br />
d’abor(l<br />
l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t Cette représ<strong>en</strong>tation, elle aussi,<br />
t.<br />
‘ &<br />
:‘..<br />
., ,<br />
est héritée. flayek propose — suocintem<strong>en</strong>t — une version évolutio-’<br />
naire <strong>de</strong> l’a priorisme kanti<strong>en</strong>. Ce que noue recevons <strong>en</strong> héritant<br />
<strong>de</strong> la culture, c’est certaines catégories m<strong>en</strong>tales qui nous font<br />
nous intéresser et nous att<strong>en</strong>dre à certaine types d’informations<br />
v<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et non à d’autres. Noue percevons, dans<br />
notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, ce qui noue est utile pour l’action. “Toute<br />
notre civilisation repose sur le fait que nous présumons bi<strong>en</strong> plus<br />
<strong>de</strong> choses que nous n’<strong>en</strong> pouvons connaltre au s<strong>en</strong>s cartési<strong>en</strong> du ter<br />
me” (t. I, p. 14). Or ceci, noue le <strong>de</strong>vons aux expéri<strong>en</strong>ces antérieu<br />
rem<strong>en</strong>t faites et transmises.<br />
“Les objets extérieurs fur<strong>en</strong>t à l’origine définis pour<br />
(1homme) à travers la façon appropriée <strong>de</strong> se comporter à leur égard.<br />
Un répertoire <strong>de</strong> règles apprises, qui lui disai<strong>en</strong>t la bonne et la<br />
mauvaise façon d’agir dans telle ou telle circonstanoe, lui donnè<br />
r<strong>en</strong>t son aptitu<strong>de</strong> croissante à s’adapter à <strong>de</strong>s conditions ohangean—<br />
te — et notamm<strong>en</strong>t à coopérer avec les autres membres <strong>de</strong> son groupe<br />
C...) Ce fut lorsque les règles apprises, comportant <strong>de</strong>s classifica<br />
tions <strong>de</strong> diverses sortes d’objeta, comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à inclure une sorte<br />
<strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation (mo<strong>de</strong>l) <strong>de</strong> permettant à l’homme<br />
<strong>de</strong> prévoir <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts extérieurs et <strong>de</strong> les prév<strong>en</strong>ir par l’ac<br />
tion (predict and anticipate in action exterrial ev<strong>en</strong>ts), quapparu<br />
ce que nous appelons la raison. Il y eut alors probablem<strong>en</strong>t beau<br />
coup plus djntellig<strong>en</strong>oeI incorporée dans le système <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong><br />
conduite que dans isa p<strong>en</strong>eées <strong>de</strong> l’homme au sujet <strong>de</strong> ce qui l’<strong>en</strong>tou<br />
rait’ (t.3, p. 188).<br />
— 59 —<br />
Ainsi “l’esprit est <strong>en</strong>robé dans une structure traditionnelle<br />
impersonnelle <strong>de</strong> règles apprises, et ma oapaoité à mettre <strong>en</strong> ordre<br />
mon expéri<strong>en</strong>ce est une répliqua héritée <strong>de</strong>s schèmes oulturele que<br />
chaque esprit individuel trouve tout faits (mn acquired replioa cf<br />
oultural patterna which every individual mmd finds giv<strong>en</strong>). Le cer<br />
veau est un organe qui noua r<strong>en</strong>d capables d’absorber (abaorb) la<br />
culture, maie non <strong>de</strong> la forger (<strong>de</strong>sign). Ce “mon<strong>de</strong> 3”, comme l’a
appeé Sjr karl Popper, bi<strong>en</strong> qu’à tout mom<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>u <strong>en</strong> exist<strong>en</strong>ce :1<br />
par es millions <strong>de</strong> cerveaux distincte qui y partjoip<strong>en</strong>t sot le<br />
réauitat d’un processus d’évolution distinct <strong>de</strong> l’droiutj bio]ogjqu.<br />
du cerveau, dont la structure élaborée <strong>de</strong>vint utile lorsqujJ y eut<br />
une t’aditjon culturelle à absorber” (ibid.)<br />
S’il <strong>en</strong> est ainsi, on compr<strong>en</strong>d la profon<strong>de</strong> erreur sci<strong>en</strong>ti...<br />
figue que commett<strong>en</strong>t les psychologues t pédagogu<br />
55 mo<strong>de</strong>rnes, dans<br />
la <strong>de</strong>c<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> Freud (qui fut lul—meme, remarque flayek, beaucoup<br />
plus ru<strong>de</strong>nt, vers la fin <strong>de</strong> sa vie, dans !al!sedalivil.<br />
tion) lorsqu’ils pran<strong>en</strong>t la “spontanéité», la délivrance par rapport<br />
au “pjds” et aux “contraintes’ <strong>de</strong> la culture héritée. Bi<strong>en</strong> loin que<br />
l’éracicatjon <strong>de</strong> cet héritage et la tabula rasa <strong>de</strong> la mémoire soit<br />
facte,n. <strong>de</strong> créativité et <strong>de</strong> liberté, elle supprime la réserve <strong>de</strong> ré—<br />
ponse à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t que la culture avait peu à peu conStituée,<br />
et sing’uljère<br />
5 les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dant possjbi<br />
5 la 00cr—<br />
dinatijn <strong>de</strong>s actions ‘Jans une société non—organisée complexe. Elle<br />
suppripe tout à la fois les Coflditjons nécessaires <strong>de</strong> l’autonomie<br />
0 e-t celles <strong>de</strong> l’émerg<strong>en</strong>ce d’un ordre social développé.<br />
indivjuell<br />
Pour avoir voulu supprimer la contraints que constitue pour eux li<br />
tâche 4e transmettre effectivem<strong>en</strong>t à l’individu l’héritage <strong>de</strong>s siècles,<br />
et pouj l’individu la tâche <strong>de</strong> l’acquérir, ces psychologues et pédagugu..<br />
le liv<strong>en</strong>t déSarmé à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, où Il ne sait plus comm<strong>en</strong>t se<br />
conduire et comm<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>se Si<br />
— (M —<br />
pouvait tre vrajmet mdi-..<br />
cale, ‘individ ne saurait mâme plus se situer dans l’univers social.<br />
“Par 8es profon<strong>de</strong>s répercussj<br />
05 sur l’dducation (mo<strong>de</strong>rne),<br />
Sigmund Freud est probablem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u le plus grand démolisseur <strong>de</strong><br />
la culttirele (t. 3, p. 208). En effet, si la culture es-t un héritage<br />
<strong>de</strong> savor, et si cet héritage n’est pas blologi<br />
transmj , il faut le transmettre effectivem<strong>en</strong>t<br />
9ue e-t biologique<br />
5e<br />
da e. C’est oe que ne fait fl5 “l’éducation permissive qui se dé<br />
robe au <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> tranBmettre le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> la culture et se fj<br />
instInc-s naturels qui sont les instinots du sauvage” (t. 3, p. 209).<br />
‘t<br />
lTayek fait compr<strong>en</strong>dre la par<strong>en</strong>té théorique du freudisme et<br />
du marxisme. L’un veut délivrer jdjvjd du surmoi et <strong>de</strong> cet orga<br />
nisme <strong>de</strong> valeurs moralem qui brime effeotivem<strong>en</strong>t — nous l’avons ‘ru —<br />
les instincts animaux; partant il le fait régresser effectivem<strong>en</strong>t,<br />
sinon vers l’animal, du moins, comme dit Hayek, vers le “sauvage”<br />
(c’est exactem<strong>en</strong>t la crainte exprimée par Freud dans Malaise dans<br />
la Civilisation, où Freud doit admettre 1 raie positif du refoule<br />
m<strong>en</strong>t dans la “sublimation” <strong>de</strong>a instincts et la conetruotion d’un or<br />
dre civilisé).<br />
L’autre, Marx, veut délivrer la soolété <strong>de</strong>s “muperatruotu-.<br />
res” du droit et <strong>de</strong>s formelles”, c’est—à—dire <strong>de</strong>s “règles<br />
<strong>de</strong> juste conduite” abstraites. Or elles sont elles aussi un acquis<br />
<strong>de</strong> l’expérionoe et représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t cette émerg<strong>en</strong>ce quasi—miraculeuse<br />
qui a r<strong>en</strong>du possible la Société élargie, l’ordre <strong>de</strong> marohé, et l’ex<br />
plosion expon<strong>en</strong>tielle du progrès soi<strong>en</strong>tifique et <strong>de</strong> la riohesse maté<br />
rielle. Le droit représ<strong>en</strong>te lui aussi une contrainte par rapport aux<br />
vieux instincts. Mais cette contrainte a r<strong>en</strong>du possible la civilisa—<br />
tion,(of. t. 3, pp. 202—207).<br />
Marx a donc “fabriqué une nouvelle morale pour servir <strong>de</strong><br />
vieux instincts”. Il me veut un révolutionnaire dans l’histoire, mais<br />
il est un réactionnaire danB l’évolution (thème strictem<strong>en</strong>t parallèle<br />
à celle <strong>de</strong> Popper dans la Sooiété ouverte). lAit aussi doit praner<br />
l”homme nouveau”, c’est—à—dire linterruptiofl <strong>de</strong> la transmission do<br />
l’héritage culturel. Il est à la sooiété os que Freud est à l’indivi<br />
du: un décerveleur.<br />
— 61 —<br />
C’émt ainsi à la lumière do l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> Ha—<br />
yek qu’il faut lire les dix <strong>de</strong>rnières pages <strong>de</strong> l’Epilogue, qui n’ont<br />
paru extrames ou caricaturales à certaine critiques que parce que,<br />
sans compr<strong>en</strong>dre les principes <strong>de</strong> la théorie, ils constatai<strong>en</strong>t seule<br />
m<strong>en</strong>t qu’elle égratignait les dieux <strong>de</strong> la paroisse. Il y a là, comme<br />
si souv<strong>en</strong>t dans l’histoire <strong>de</strong>s idées, un mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du.
Marx et Freud ne sont pas à récuser pour leur critique du<br />
dogma isr,,e <strong>de</strong>s idéologies ou <strong>de</strong>s morales traditionnelles, t1 qu’il<br />
est p oduit à travers la structure <strong>de</strong>s institutions culturelles à<br />
monople comme les Eglises ou les Académies. Ce dogmatisme est effec—<br />
tivemnt oppressif. Mais être anti—dogmatique n’implique hullem<strong>en</strong>t<br />
d’êtr spontanéjete. Ce sont <strong>de</strong>ux problèmes disjoints. Vouloir re—<br />
transis ttre la mémoire, ce n’est pas vouloir retransmettre telle ou<br />
telle rganjsatjon rigi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mémoire. Ta mémoire, telle qu’elle<br />
est co çue par le rationalisme critique, doit être elle—même trans-.<br />
mise d façon critique et pluraliste.<br />
C’est la question qu’il nous faut examiner à prés<strong>en</strong>t. Com<br />
m<strong>en</strong>t l théorie anti—cartési<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> l’incorporation du savoir dans<br />
les trditjons peut—elle intégrer l’exig<strong>en</strong>ce critique? A supposer<br />
que la critique do Descartes, nous faisant retrouver foi, <strong>en</strong> un oer—<br />
tain m<strong>en</strong>m, dans la tradition, nous replace par cela même dans la si—<br />
tuatiom dont Descartes lui—même voulait se démarquer au début du<br />
Discour <strong>de</strong> la Métho<strong>de</strong>, comm<strong>en</strong>t allons—nous faire priur ne pas retom<br />
ber dan l’univers dogmatique <strong>de</strong> la scholastique? Ia réponse <strong>de</strong> Ha—<br />
yek esttràe claire. Par la critique <strong>de</strong> Descartes, nous ne rev<strong>en</strong>ons<br />
pas à A4iatote et à son univers fixiste; les anti—cartési<strong>en</strong>s auxquels<br />
se r4flne Jfayek sont leu hommou qui, ai, XVTIIùmo siècle, ont les pre<br />
miers formulé <strong>de</strong>s théories évolutionnistes. Tlayek forge, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s,<br />
un srisotéljsme évolutionniste qu’il nous faut maint<strong>en</strong>ant caracté<br />
riser.<br />
— —<br />
Une remarque préalable s’impose cep<strong>en</strong>dant. Dans tout ce qui<br />
précè<strong>de</strong>, nous avons donné au concept <strong>de</strong> règle abstraite son ext<strong>en</strong>sion<br />
maximu,,,. Conformém<strong>en</strong>t aux indications expresses (mais dispersées) <strong>de</strong><br />
Hayek, nous l’avons pris comme applicable à la fois aux normes mora<br />
les, aux:valeura culturelles, aux règles juridiques, et jusqu’aux<br />
“patter,, “ qui définiss<strong>en</strong>t la représ<strong>en</strong>tation spatio—temporelle <strong>de</strong><br />
l’<strong>en</strong>viro nem<strong>en</strong>t (ces à peu près l’ext<strong>en</strong>sion <strong>de</strong>s concepts aristoté<br />
lici<strong>en</strong>s ‘habitus intellectuels et moraux et <strong>de</strong><br />
-‘t<br />
-u<br />
r’.<br />
g.<br />
Cette portée maximale <strong>de</strong> la théorie, néanmoins, n’est plei<br />
nem<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>diquée par flayek que dans l’Epilogue. Le corps du livre<br />
est consacré à l’étu<strong>de</strong> détaillée d’un type partioulier <strong>de</strong> règle, la<br />
règle juridique.<br />
Conformém<strong>en</strong>t aux définitions classiques d’Aristote et <strong>de</strong><br />
St Thomas qui dis<strong>en</strong>t que la justice est la vertu qui règle les rap—<br />
ports <strong>de</strong> l’individu avec autrui (par différ<strong>en</strong>ce avec <strong>de</strong>s habitus<br />
comme la force ou la tempérance, qui règl<strong>en</strong>t les rapports <strong>de</strong> l’in<br />
dividu avec ses propres passions), Hayek dit quo “seules les actions<br />
<strong>de</strong>s individus qui affect<strong>en</strong>t d’autres personnes, traditionnellem<strong>en</strong>t<br />
appelées actions towards other persons (oporationes quac sunt ad al—<br />
-Lertim) peuv<strong>en</strong>t donner lieu à la formulation <strong>de</strong> règles légales”<br />
(t. i, p. 121).<br />
C’est donc bi<strong>en</strong> à une restriction <strong>de</strong> l’analyse que nous as—<br />
siston à partir du oh. 4 du tome I (“Transformations <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong><br />
droit”) et jusqu’à la fin <strong>de</strong>s trois volumes, l’Epilogue excepté.<br />
Droit, Législation et Liberté, comme son titre l’indique, est bi<strong>en</strong><br />
consacré ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t aux questions juridiques et politiques, et<br />
à la question <strong>de</strong> l’héritage culturel <strong>en</strong> ce domaine. En contre—partie<br />
<strong>de</strong> cette restriction du champ <strong>de</strong> l’analyse, celle—ci <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t plus<br />
précise et rigoureuse. En effet, les règles juridiques sont les<br />
règles dont lerespeot est garanti par une autorité politique (cf.<br />
p. 52) et qui peuv<strong>en</strong>t être délibérém<strong>en</strong>t modifiées (or. p. 53), donc<br />
n fortiori, oelles qui sont explicitées et form<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s un<br />
“corps” ou un “système”, év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t consigné dans un co<strong>de</strong> écrit<br />
unique, par rapport auquel suppressions et adjonoticna pourront être<br />
assez précisém<strong>en</strong>t définis. Le droit représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s un domai<br />
ne privilégié, pour <strong>de</strong>s raisons méthodologiques, parmi d’autres ex<br />
pressions culturelles.<br />
— 63 —<br />
Comm<strong>en</strong>t ce corps <strong>de</strong> règles peut—il être modifié? Si elles<br />
sont <strong>de</strong>s “valeurs finales”, <strong>de</strong>s “prémisses du syllogisme pratique”<br />
n’exigeant pas <strong>de</strong> justification, comm<strong>en</strong>t peuv<strong>en</strong>t—elles na pas être<br />
dogmatiques?
§7<br />
Dogmatisme et critique <strong>de</strong>s règlan<br />
Dès le ch. 3 (“Principes et expédi<strong>en</strong>ts”) est conduite<br />
une di cussion ess<strong>en</strong>tielle à cet égard. Une fois posés le rûle,la<br />
nature,[ l’origine <strong>de</strong>s règles abstraites, il s’agit <strong>de</strong> savoir dans<br />
quelle nesure la tradition <strong>de</strong>s règles peut être opposable, dans la<br />
pratique juridique et politiqus,à tel ou tel comportem<strong>en</strong>t nouveau<br />
non autrjsé par les règles mais qui prés<strong>en</strong>terait une appar<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />
plus gran<strong>de</strong> Utilité immédiate. Cette dicusjo est ess<strong>en</strong>tielle,<br />
car el1 <strong>en</strong>gage la valeur même du type <strong>de</strong> savoir incorporé dans la<br />
1 par comparaison avec le savoir théorique explioite, la<br />
tradjtj,y<br />
valeur <strong>de</strong> la rationalité spécifique <strong>de</strong> la tradition par Comparai..<br />
non ave la rationalité “cartési<strong>en</strong>ne” Comm<strong>en</strong>t le rationalisme<br />
prèné pa’ Jlayek peut—il o<strong>en</strong>cilier la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la tradition et le<br />
fait <strong>de</strong> l’évolution?<br />
De la solution générale <strong>de</strong> ce paradoxe dép<strong>en</strong>d une série <strong>de</strong><br />
question plus concrètes. Outre l’alternative réformisme/révolution<br />
<strong>en</strong> polit que, ou la question du positivisme juridique <strong>en</strong> philosophie<br />
du droit oe sont <strong>de</strong>s questions plus neuves, Comme celle <strong>de</strong> la struc<br />
ture <strong>de</strong>s instituj,<br />
5 productrices <strong>de</strong> savoir, qui sont <strong>en</strong>veloppées<br />
dans oelle <strong>de</strong>s statuts respectifs du dogmatisme et <strong>de</strong> l’esprit cri<br />
tique daas la culture.<br />
La discussion ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux points,<br />
) Déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> princiEes et critiie <strong>de</strong>e ex.Rédi<strong>en</strong>ta<br />
uand, dans une circonstance donnée, nous choisissons con<br />
tre les p incipes au profit d’une action particulière qui nous pa—<br />
—<br />
raît plus avantageuse que l’application <strong>de</strong>s principes, nous savons<br />
cc que nous gagnons, nous ne savons pas ce que nous perdons. Ce que<br />
nous pordon, c’est l’ordre qui résulte du fait que la plupart <strong>de</strong>s<br />
acteurs sociaux respect<strong>en</strong>t les principes <strong>en</strong> question. Mais comme cet<br />
“ordre spontané” n’est jamais connu à l’avance <strong>en</strong> détail, nous ne<br />
savons jamais précisém<strong>en</strong>t ce qui est perdu du fait d’une <strong>en</strong>torse aux<br />
principes, alors que nous savons précisém<strong>en</strong>t, par définition, ce que<br />
nous gagnerions <strong>en</strong> recourant à l’expédi<strong>en</strong>t. Il est dono à craindre que,<br />
quand on place les <strong>de</strong>ux conduites dans la balance, l’expédi<strong>en</strong>t l’empor<br />
te toujours mur le respect <strong>de</strong>s prinoipes.<br />
Cette préfér<strong>en</strong>ce est le “pragmatisme”, condamné logiquem<strong>en</strong>t<br />
par Hayek au profit du respect <strong>de</strong>s principes, c’est—à—dire — Hayek<br />
opère cotte ext<strong>en</strong>sion dans un passage particulièrem<strong>en</strong>t éclairant —<br />
au profit <strong>de</strong> la “culture”, dans ses aspects les plus “relevés”, les<br />
“valeurs”, les “idéaux”, et même les “utopies” et les “idéologies”.<br />
ITayek condamne le faux “réalisme” pragmatiste, <strong>en</strong> fonction duquel<br />
on laisse tomber les principes au profit d’une action immédiatem<strong>en</strong>t<br />
avantageuse. Ce réalisme est <strong>en</strong> vérité irréaliste dans la mesure où<br />
il sacrifie un av<strong>en</strong>ir bi<strong>en</strong> réel lui auasi au prés<strong>en</strong>t, et <strong>en</strong> perdant<br />
au change.<br />
—65—<br />
Notons que cette condamnation du réalisme est mise par<br />
T{ayek sur le même plan quela condamnation popperi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> l’empiris<br />
me (cf. p.76). C’est la même “myopie” qui est <strong>en</strong> cause dans les<br />
<strong>de</strong>ux cas. De même que les a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong> l’empirisme se vant<strong>en</strong>t <strong>de</strong> se<br />
laisser gui<strong>de</strong>r par la seule observation et non par <strong>de</strong>s conceptions<br />
abstraites et arbitraires — alors que Poppar noua apar<strong>en</strong>d que <strong>de</strong><br />
telles “conjectures” théoriques ambitieuses sont nécessaires pour<br />
faire progresser la connaissance — <strong>de</strong> même, dans l’ordre pratique,<br />
les réalistes se vant<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne pas avoir <strong>de</strong> préjugés, d’idéaux, <strong>de</strong><br />
conceptions <strong>de</strong> l’ordre social global. Maie, cc faisant, ils se pri<br />
v<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’expéri<strong>en</strong>ce collective antérieure qui a formé ces idéaux.<br />
Ceci est vrai, par exemple, à l’époque mo<strong>de</strong>rne, où les rè—
gles économiques et politiques sont celles <strong>de</strong> la liberté, maie où<br />
les echnicj<strong>en</strong>s du nocial justifi<strong>en</strong>t les interv<strong>en</strong>tiona d la puis<br />
sance publique dans l’ordre du marché. Le pragmatisme pr<strong>en</strong>d ici<br />
la fo me du technocratisme et du “refus <strong>de</strong>s idéologies” xi se ré-.<br />
vèle roducteur dc nombre d’effet5 pervers que Jlaye& condasine on<br />
avançLt l’arm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’efficacité iconolnique du libéralisme jugée<br />
sur une longue pério<strong>de</strong>.<br />
Hais, notons—le, la thèse <strong>de</strong> flayek n’est pas valable sou—<br />
au sujet du dilemme libéraiisme/interv<strong>en</strong>tjonnjs,o Ce di<br />
lemme n’est qu’un cas particulier du dimemme perman<strong>en</strong>t et, pour<br />
ainsi dire, structurel, <strong>en</strong>tre “principes” et “expédi<strong>en</strong>ts”. Je si<br />
gnale ce fait car certains interprètes <strong>de</strong> lFayek s’y sont trompés<br />
et Ont rais<strong>en</strong>é ou dfcnse <strong>de</strong> principes à une déf<strong>en</strong>se d libéraijom<br />
6.<br />
Celle— i est <strong>en</strong> réalité une conséqu<strong>en</strong>ce théorique <strong>de</strong> celle—là. Une<br />
conséq <strong>en</strong>ce parmi d’autres, car l’ordre <strong>de</strong> marché n’est évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />
pas, p ur lfayek, le seul ordre social spontané, et <strong>en</strong>core moins<br />
le seu ordre spontané dans la nature. Or tous les ordres spontanés<br />
suppos nt <strong>de</strong>s principes ou <strong>de</strong>s règles, et peuv<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>través,<br />
dans 1 ur émerg<strong>en</strong>ce, par <strong>de</strong>s <strong>en</strong>torses à ces règles.<br />
“Pppliriuer à chaque tâche le techniques sociales les<br />
mieux aptée t sa solution sans s’embarrasser do croyances dogma<br />
tiques, voilà ce qui semble à certains la seule façon <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r<br />
digne d’un âge rationnel et sci<strong>en</strong>tifique” (p. 68). Mais “il est<br />
imposai le <strong>de</strong> se gui<strong>de</strong>r seulem<strong>en</strong>t, comme (les pragmatistes) croi<strong>en</strong>t<br />
pouvoir le faire, par les objectifs explicitem<strong>en</strong>t définis que l’on<br />
se pro<br />
— 66 —<br />
9se consciemm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> rejetant toutes les valeurs générales<br />
dont il ne peut être démontré qu’elles conduis<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s résultats<br />
concret désirables. Se conduire uniquem<strong>en</strong>t par ce que Max Meber<br />
appelle la rationalité finalisée est une imposaibjljtdn (n. 69, fl5)(20)<br />
Le réalisme “noua prive <strong>de</strong> toute ori<strong>en</strong>tation efficace pour<br />
agir avec succèS”, puisque s’il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d t<strong>en</strong>ir compte <strong>de</strong>s faits parti—<br />
J4<br />
::<br />
culiers connus, il r<strong>en</strong>te qujl ne dispose pas d’une théorie déter<br />
ministe et d’une omnisci<strong>en</strong>ce lui permettant <strong>de</strong> maîtriser <strong>de</strong>s procer.—<br />
sus aussi complexes que ceux qui se produis<strong>en</strong>t dans les ordres spon<br />
tanés. Et c’est <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong> théories incomplètes et infirmes, néces<br />
sairem<strong>en</strong>t vouées à chec qu’il rejette l<strong>en</strong> comportem<strong>en</strong>ts valorisés<br />
par <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong>xpéri<strong>en</strong>ce sociale.<br />
C’est ler6alismo qui fait par exemple qu’<strong>en</strong> politique on<br />
agit au coup par coup selon <strong>de</strong> 1opifljofl; on s’<strong>en</strong>fonce alors<br />
<strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus dans <strong>de</strong>s impasses. “Ili<strong>en</strong> qu’il faille admettre qu’une<br />
idéologie (i<strong>de</strong>olor) est quelque chose qui ne peut être “prouvé”,<br />
elle pourrait bi<strong>en</strong> être quelque chose dont l’acceptation très large<br />
est la condition indisp<strong>en</strong>sable pour l’obt<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s<br />
choses particulières que nous désirons” (p. 69).<br />
Le respect <strong>de</strong>s principes assure seul <strong>en</strong> effet l’émerg<strong>en</strong>ce<br />
continue <strong>de</strong> l’ordre spontané, supérieur <strong>en</strong> complexité et <strong>en</strong> perfor<br />
mances à tout ordre qu’une oraganisation “cartési<strong>en</strong>ne”, dominée pax<br />
une consci<strong>en</strong>ce, pourrait maîtriser. Le respect <strong>de</strong>s principes, chez<br />
les acteurs <strong>de</strong> l’ordre spontané, correspond donc à la perception<br />
confuse <strong>de</strong> l’avantage quils sont <strong>en</strong> droit d’att<strong>en</strong>dre du respect gé<br />
néral <strong>de</strong>s mêmes principes par tous les co—acteurs, et du danger sy<br />
métrique que comporte le recours aux expédi<strong>en</strong>ts.(2t)<br />
Le danger est ainsi précisé par Hayek: <strong>en</strong> transgressant<br />
les principes, nous faisons involontairem<strong>en</strong>t accepter <strong>de</strong>s principes<br />
chaque fois différ<strong>en</strong>ts qui induiront chez autrui <strong>de</strong>s anticipations<br />
erronnées, dans la mesure où ils se croiront autorisés à faire ce<br />
que nous noue sommes permis nous—m?mes. De proche <strong>en</strong> proche, tout<br />
l’ordre social risque ainsi <strong>de</strong> Chacun pouvant do moins<br />
<strong>en</strong> moins correctem<strong>en</strong>t anticiper sur les comportem<strong>en</strong>ts d’autrui, il<br />
verra se réduire <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus la sphère <strong>de</strong> son action. La coor<br />
dination automatique 4es activités sore, bloquée, et à terme or, ré<br />
gressera à un ordre social <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t organisé et autoritaire, né<br />
cessairem<strong>en</strong>t moins complexe.<br />
-67-
Il faut donc s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir, dans la pratique sociale, à <strong>de</strong>s<br />
principes reçus, même s’ils paraiss<strong>en</strong>t, le cas échéant, irréalistes.<br />
Il fast avoir le cour:lge d’<strong>en</strong>visager l”utopje”. llayek <strong>en</strong> appelle<br />
même aux doctrines et aux “doctrinaires”, aux “philosophes”, aux<br />
“hommes <strong>de</strong> principes” (pp. 73—83). En effet, quand on sait s’<strong>en</strong> te<br />
nir aix principes, on r<strong>en</strong>d possible l’émerg<strong>en</strong>c,, <strong>de</strong> l’ordre spontané,<br />
c’est à—dire l’ordre qui résulte <strong>de</strong> ce que chacun utilise ses propres<br />
Conna saances. Le mainti<strong>en</strong> d’un corps <strong>de</strong> règles permet<br />
<strong>de</strong> la pluralité <strong>de</strong>s acteurs socinux et <strong>de</strong> la société dans son <strong>en</strong>sem<br />
ble aux conting<strong>en</strong>ces, c’est—à—dire à la complexité actuelle do la<br />
sociét, mais aussi à ses évolutions. Au contraire le pragmatisme,<br />
appare m<strong>en</strong>t plus ‘sci<strong>en</strong>tifique” et plus soucieux du Prés<strong>en</strong>t, r<strong>en</strong>d<br />
impose ble l’utilisation <strong>de</strong> tout le savoir pot<strong>en</strong>tiel qui existe dans<br />
la soc té (il est anti—sci<strong>en</strong>tifique) et bloque les ajustem<strong>en</strong>ts (il<br />
est an i_progressjste).(22)<br />
Le mainti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s savoirs culturels, conçus comme savoirs <strong>de</strong>s<br />
principes, comme schèmes <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action bénéfiques, condition<br />
ne ajnj l’adaptation ou l’ajustem<strong>en</strong>t aux circonstances nouvelles<br />
dans la mesura où ces circonstances sont inconnaissables et contin<br />
g<strong>en</strong>tes. L’exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> règles abstraites permet que l’ordre social<br />
ne se b o0ue pas quand ces circonstances imprévues curvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t,<br />
alors qi’il se bloquerait s’il était organisé. Au fond, une organi—<br />
sation,<br />
1au s<strong>en</strong>s fort et mécanique du terme, suppose un mon<strong>de</strong> non<br />
seulemt intelligible, mais (ce qui eut une autre manire do dire<br />
la même chose) fixe.<br />
Si cola est vrai, on peut dire que la culture, savoir du<br />
passé, conditionno l’ouverture même <strong>de</strong> l’av<strong>en</strong>ir: paradoxe que doit<br />
affronte toute théorie <strong>de</strong> la culture.<br />
b) !_Pi!m <strong>de</strong>3 Princijes<br />
— 6 —<br />
Mai.à ce point, une question se pose. Cette déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong>s<br />
principe ne revi<strong>en</strong>t—elle pas à un dogmatisme? Précisons la ques—<br />
I<br />
tion: peut—on exclure a priori que, parmi les circonstances nouvel<br />
les, il y <strong>en</strong> ait qui oblig<strong>en</strong>t à changer les principes eux—mêmes?<br />
La culture n’évolue—telle donc jamais?<br />
1[:iyek semble l’exclure, puisnu’il parle <strong>de</strong> “dogmatisme”,<br />
dans un texte qui a suscité certaines critiques.<br />
“Le mainti<strong>en</strong> d’un système libre est chose difficile, pré<br />
cisém<strong>en</strong>t parce que pour y parv<strong>en</strong>ir il faut constamm<strong>en</strong>t rejeter <strong>de</strong>s<br />
mesures qui serai<strong>en</strong>t visiblem<strong>en</strong>t nécessaires pour obt<strong>en</strong>ir certains<br />
rénuitts particuliers; or, pour les rejeter, nous n’avons pas d’ar—<br />
gum<strong>en</strong>t plua fort nue <strong>de</strong> montrer qu’elles contrevi<strong>en</strong>9<strong>en</strong>t à une règle<br />
nérale, et fréquemm<strong>en</strong>t nous ne savons même pas ce qu’il <strong>en</strong> contera<br />
d’<strong>en</strong>freindre la règle dans le cas qui se prés<strong>en</strong>te. Une déf<strong>en</strong>se effi<br />
cace <strong>de</strong> la liberté doit par conséqu<strong>en</strong>t être dogmatique (dogmatic)<br />
et ne ri<strong>en</strong> concé<strong>de</strong>r aux expédi<strong>en</strong>ts, même là où il flemt pas possi<br />
ble <strong>de</strong> montrer qu’au regard <strong>de</strong>s avantages <strong>de</strong> l’expédi<strong>en</strong>t, qui sont<br />
connus, certaines répercussions nuisibles précises découl<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’at<br />
teinte à la règle. La liberté ne prévaudra que ai on l’admet comme<br />
jrincipe dont l’aff.ication aux cas particuliers ne requiert au—<br />
jstification” (pp. 72—73, n.s.).<br />
Certains mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant ce texte pour contester la aci<strong>en</strong>—<br />
tifici-té <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> llayek. Compi<strong>en</strong>t peut—on être à la fois sci<strong>en</strong>—<br />
tifigue et “dogmatique”? Rofuser <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> cause un principe quel<br />
que soit le cas particulier qui se prés<strong>en</strong>te, c’est assurém<strong>en</strong>t la dé<br />
finition même du dogmatisme.<br />
— 69 —<br />
Je souti<strong>en</strong>s né:nmoins nue 1!ayek ne dit cela qu’<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s<br />
restrictif et que la phrase est à replacer ciana le contexte do la<br />
théorie <strong>en</strong>tière, lnriuelle est parfaitem<strong>en</strong>t cohér<strong>en</strong>te.<br />
D’abord il est vrai, <strong>en</strong> effet, qujl y a quelque chose com<br />
me du dogmatisme dans la culture. là une idée capitale dont<br />
nous ferons usage dans nos propres réflexions sur les institutions
cultureil s et leur “clêture inforrnatjonnelie,<br />
es savoirs culturels, ou principes, n’étant pas produits<br />
par la ra son déductive à partir <strong>de</strong> prémisses explicites, ne peuv<strong>en</strong>t<br />
intégralere se déf<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>vant la critique. Quand celle—ci, ayant<br />
<strong>en</strong> vue un “expédi<strong>en</strong>t”, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> les raisons pour lesquella on le re<br />
fuse, on re peut donner <strong>de</strong> telles raisons, ou plutêt On ne peut don-.<br />
ner toute ces raisons, puisqu’on ne peut exhiber la ohaîne <strong>de</strong>s eau-.<br />
ses et <strong>de</strong>s effets qui aboutira à un résultat global plus satisfaj..<br />
sant que cbluj que l’expédi<strong>en</strong>t produira, Donc l’application <strong>de</strong>s rè<br />
gles ou <strong>de</strong> schèmes hérités <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts à <strong>de</strong>s cas concrets ne<br />
peut être ubordonnée au fait <strong>de</strong> donner une justification explicite.<br />
En ce s<strong>en</strong>s il y a “dogmatjsme’I dans toute application <strong>de</strong> principes.<br />
Il y- a un dogmatis<br />
0i dans tout oomportem<strong>en</strong>t qui ne relève pas d’u<br />
ns rationalité cartési<strong>en</strong>ne stricto s<strong>en</strong>su.<br />
Cest cela, et cela seulem<strong>en</strong>t, que Hayek veut dire dans le<br />
texte cité. Il le dit à propa <strong>de</strong>s règles propres à la Société libé<br />
rale, mais cela vaut à propos <strong>de</strong> tout principe, Le texte est tiré<br />
chapitre qui traite <strong>de</strong> loppo5jj dos “principes” aux “expé<br />
di<strong>en</strong>ts” <strong>en</strong> énéral,<br />
Ily a peut—être quelque inconvéni<strong>en</strong>t à employer le mot ,êe—<br />
me <strong>de</strong> “dogmtjs’t dans ce sons. Car le mot, au s<strong>en</strong>s propre qu’il n<br />
dans les sci<strong>en</strong>ces sociales qui trait<strong>en</strong>t <strong>de</strong> phénomènes religieux,<br />
signifie un fermeture délibérée du savoir, un bouclage voulu et<br />
non—réformal4le<br />
-70-<br />
Révélation ou d’un corps <strong>de</strong> doctrine sur eux—<br />
mêmes. Or c n’est manifestem<strong>en</strong>t pao ce que veut dire llayek, puisque<br />
noue allons voir qu’il y a une évolution Po’sible <strong>de</strong>s principes,<br />
Il parle ailleurs, simplem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> “principes”, justem<strong>en</strong>t, d’”idéaux”,<br />
ou <strong>de</strong> “vaiei4.sn, chacun <strong>de</strong> ces termes désignant quelque chose <strong>de</strong><br />
non—démontré et <strong>de</strong> non—actualisable, qu’on ne peut déduire à partir<br />
p’otocolaires» exprimant une observation actuelle. Le<br />
terme “dogmais’ lui—même désigne ici le refus d’une justificatjo<br />
et signale 1 caractère par définition arbitraire du recours à un<br />
.4<br />
:i<br />
.3.<br />
.4<br />
e.<br />
J<br />
e t..<br />
principe. Il est donc employé <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s figuré, et c’est abusive<br />
m<strong>en</strong>t qu’on peut retourner le terme contre !!ayek pour contester la<br />
scj<strong>en</strong>tificjté <strong>de</strong> sa théorie.<br />
— 71 —<br />
Pour compr<strong>en</strong>dre ce point, il faut se référer une fois <strong>en</strong><br />
core à Popper, qui emploie le même terme dans le même s<strong>en</strong>s et avec<br />
la même nnlbiguité(23), Popper parle bi<strong>en</strong> du “dogmatisme” <strong>de</strong>s conjec<br />
tures, pour signifier que les théories avancées pour expliquer le<br />
réel ne doiv<strong>en</strong>t pas être produites par induction à partir <strong>de</strong>s énon<br />
cés protocolaires décrivant la réalité. Il y a un arbitraire, une<br />
coupure par rapport à l’expéri<strong>en</strong>ce immédiate, dans toute hypothèse.<br />
L’hypothèse n’est pas un décalque <strong>de</strong> l’expéri<strong>en</strong>ce. La seule ques<br />
tion importante est <strong>de</strong> savoir si l’hypothèse est vraie ou non, c’est—<br />
à—dire si ses prédictions ne sont pas ou mont réfutées par lexp4<br />
ri<strong>en</strong>ce. Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même pour les prinoipes. On ne voit pas néces<br />
sairem<strong>en</strong>t, à la faveur-d’une intuition <strong>de</strong>s <strong>en</strong>chaînem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> causes,<br />
leur li<strong>en</strong> avec la situation concrète qui se prés<strong>en</strong>te; mais on peut<br />
évaluer, a posteriori, l’effet qui résulte <strong>de</strong> ce qu’ils ont été res<br />
pectés ou, pour parler comme Jtayek, l’ordre qui émerge gr?ice au res<br />
pect général <strong>de</strong>s règles, Si cet ordre est plus favorable que celui<br />
qui résulte d’un autre système <strong>de</strong> règles ou d’un refus <strong>de</strong> suivre <strong>de</strong>s<br />
règles, la supériorité du respect <strong>de</strong>s principes est établie sci<strong>en</strong>ti<br />
fiquem<strong>en</strong>t, conformém<strong>en</strong>t au rationalisme critique.<br />
Il est vrai que Ifayelc, appliquant ce raisonnem<strong>en</strong>t à l’éva<br />
luation particulière du libéralisme, conclut hardim<strong>en</strong>t à la supério<br />
rité <strong>de</strong> celui—ci. De cela on peut discuter, mais le principe même<br />
<strong>de</strong> l’argum<strong>en</strong>tation n’est pas <strong>en</strong> cause. La sci<strong>en</strong>tificité <strong>de</strong>s savoirs<br />
culturels est p<strong>en</strong>sée par Hayek <strong>de</strong> la même manière nue celle <strong>de</strong>s<br />
sci<strong>en</strong>ces déterministes <strong>de</strong> la nature; le critère <strong>de</strong> démarcation pop—<br />
peri<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre la sci<strong>en</strong>ce et la non—coi<strong>en</strong>ce s’applique ici parfaite<br />
m<strong>en</strong>t, du moins quant à son principe.
§8<br />
L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la règle juridique. pistémologie <strong>de</strong> la<br />
juri spru<strong>de</strong>noe<br />
Au—<strong>de</strong>là du oh. 3, Hayek répond lui—mms, très directem<strong>en</strong>t<br />
cette fois, au reproche <strong>de</strong> dogmatisme ou <strong>de</strong> traditionnalisme qu’on<br />
pourrait lui faix-e. Il dit <strong>en</strong> effet qu’il n’y u dogmatisme dans<br />
sa thérie, parce que les priscipes évolu<strong>en</strong>t, qu’on peut les criti<br />
quer, ee compléter, formuler <strong>de</strong>s prinoipes nouveaux, et ceci, p-•<br />
oisém4t <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> circonstances particulières. Soit l’inverse<br />
mime dt dogmatisme.<br />
— 72 —<br />
Remarquons que le ch. 4 est tout <strong>en</strong>tier consacré à l’évolu<br />
tion ds principes ou règles <strong>de</strong> droit, <strong>de</strong>s sociétés primitives à la<br />
sooiét, mo<strong>de</strong>rne, <strong>en</strong> passant par les premières formes non—religieuses<br />
du drot, les premières oodifications par <strong>de</strong>s instanoes spécialisées,<br />
le droit naturel médiéval, l’effort du droit coutumier anglais et son<br />
travaili l’imitation du droit coutumier par les premiè<br />
res léislatures, <strong>en</strong>fin le glissem<strong>en</strong>t vers le droit organisateur mo<br />
<strong>de</strong>rne, Flissem<strong>en</strong>t qui, pour llayek, est une régression. Qui dit évolu<br />
tion àit bi<strong>en</strong> non—dogmatisme, exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ruptures et d’innovations<br />
1<br />
et, malré les régressions temporaires et le “bourgeonnem<strong>en</strong>t” d’un<br />
prooesstLs qui pas linéaire, le s<strong>en</strong>s général, nous l’avons dit,<br />
est oei’ki d’un progrès. L’optique <strong>de</strong> Hayek est évolutionnaire. Le<br />
problèm est maint<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> savoir comm<strong>en</strong>t se produis<strong>en</strong>t les innova<br />
tions qui sont la trams <strong>de</strong> l’évolution.<br />
!Iayek apporte sur ce point, outre quelques vues d’<strong>en</strong>semble,<br />
une conifribution epéoifique remarquable qui est sa théorie <strong>de</strong> la jui.<br />
rispru<strong>de</strong>nce. C’est elle que nous allons prés<strong>en</strong>ter maint<strong>en</strong>ant.<br />
4s<br />
t..<br />
T{ayek traite <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce à troisrepriees, au chapi<br />
tre 4 (pp. 103—106) et au chapitre 5 (pp. 113—121 et 138—142), ce <strong>de</strong>r<br />
nier chapitre étant consacré tout <strong>en</strong>tier, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, à création du<br />
droit par les juges et à la raison d’être <strong>de</strong> cette création.<br />
Hayek se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quels sont les “attributs distinctifS” du<br />
“droit formé par la coutume et les précé<strong>de</strong>nts”, par opposition aux<br />
lois forgées délibérém<strong>en</strong>t par un législateur (sauf dans la mesure,<br />
évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, où celles—ci serai<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t calquées sur les règles<br />
du droit coutumier, ce qui, précise llayek, mat souv<strong>en</strong>t le cae): res<br />
pectivem<strong>en</strong>t “nomos” et “theai.&’.<br />
La règle <strong>de</strong> droit coutumier a pour traits distinctifs, outre<br />
le fait qu’elle concerne la conduite <strong>de</strong>s individus les uns à l’égard<br />
<strong>de</strong>s autres (ce qui fait que le “nornos” est à peu près quival<strong>en</strong>t<br />
du “droit civil”), <strong>de</strong>s traits formels. Elle est non finalisée (“r!!.—<br />
pe_indop<strong>en</strong>daflt”), s’applique à un nombre indéfini <strong>de</strong> cas à v<strong>en</strong>ir<br />
et <strong>de</strong> personnes. D’autre part, sa formulation doit t<strong>en</strong>ir compte du<br />
fait qu’elle est c<strong>en</strong>sée tre que l’explicitation d’une pratique<br />
qui u comm<strong>en</strong>cé spontaném<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>puis un certain temps, à la faveur<br />
d’une série d’’xpéri<strong>en</strong>Ceo du mime type au sujet <strong>de</strong>squelles les té<br />
moignages sont converg<strong>en</strong>te. Elle est d’abord vali<strong>de</strong>, <strong>en</strong>suite formu<br />
lée. Différ<strong>en</strong>ce logique radicale avec la loi du législateur, qui n’<br />
ect au cntraire vali<strong>de</strong> qu’après avoir été édictée et du fait qu’el<br />
le l’oct.<br />
— 73 —<br />
Mais ici surgit un paradoxe. Comm<strong>en</strong>t uno règle basée sur<br />
<strong>de</strong>c cas particuliers et <strong>de</strong>o “précé<strong>de</strong>nts” peut—elle être J! abstrai<br />
te, et non pan moins, que la loi du législateur, qui se veut d’emblée
généraLe?<br />
llayek cite la réponse d’un magistrat du XVITIème siècle,<br />
Lord l4ansfield: “he droit coutumier n’est point fait <strong>de</strong> cas particu-.<br />
lierc,mais <strong>de</strong> principes généraux qui sont illustrée et expliqués<br />
par <strong>de</strong> cas”.<br />
— 7l —<br />
I, l’occasion <strong>de</strong> cas litigieux qui “ouvr<strong>en</strong>t la voie” et ser<br />
v<strong>en</strong>t d “précé<strong>de</strong>nts”, le juge <strong>de</strong> la common mw, par exemple, dégage<br />
<strong>de</strong>s rè,4ies <strong>de</strong> significâtion universelle qui pourront s’appliquer à<br />
toute e série <strong>de</strong> cas futurs du inâme type.<br />
Il faut préciser la position du juge. Il doit dire le droit,<br />
dire “c qui est juste”; il eet, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, impartial. Cette impar—<br />
tialiténe st<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d pas seulem<strong>en</strong>t au s<strong>en</strong>s dfle abs<strong>en</strong>ce d’intéresse<br />
m<strong>en</strong>t personnel dans la solution du litige. Elle doit se définir <strong>de</strong><br />
façon $us “épistémologique” “Si le besoin se fait s<strong>en</strong>tir <strong>de</strong>fl ap<br />
peler àun juge impartial, ce sera parce qu’une telle personne sera<br />
considéée com.’e capable <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l’affaire comme si elle s’é<br />
tait 4s<strong>en</strong>tée ailleurs et à tout autre mom<strong>en</strong>t; par conséqu<strong>en</strong>t, d’u<br />
ne façor qui répondra à l’att<strong>en</strong>te <strong>de</strong> n’importe quelle personne pin-..<br />
cée dan <strong>de</strong>s conditions analogues, parmi toutes celles que le juge<br />
<strong>en</strong> question ne connaît pas” (p. 116, n.s.).<br />
On lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> donc d’âtre <strong>en</strong> quelque sorte dans la<br />
position<strong>de</strong> Sinus, <strong>de</strong> juger intemporellem<strong>en</strong>t et universe]lem<strong>en</strong>t,<br />
au seul plan <strong>de</strong>s normes. C’est cela qui le distingue ,lo toute auto—<br />
rité poi.tique, <strong>de</strong> tout “chef d’une organisation, qui doit déci<strong>de</strong>r<br />
d’une action à <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre pour parv<strong>en</strong>ir à un certain but. Il ne<br />
serait sns doute jamais v<strong>en</strong>u à l’esprit <strong>de</strong> quelqu’un habituer à or<br />
ganiser lies hommes pour <strong>de</strong>s opérations particulières, <strong>de</strong> donner à ses<br />
ordres i4 forme <strong>de</strong> règles égalem<strong>en</strong>t applicables à tous les membres<br />
du group quelle que soit leurs tâches respectives, ni oc gouverne<br />
m<strong>en</strong>t n’aait déjà eu sous les yeux l’exemple du juge” (pp. 116—117).<br />
En quelle circonstance le juge doit—il formuler une règle<br />
-4<br />
-u<br />
nouvelle?<br />
Le cas où l’une <strong>de</strong>s parties est <strong>de</strong> mauvaise foi, o’est-.à—<br />
dire a adopté une conduite dont elle savait qu’elle ne pouvait avoir<br />
une valeur générale, est aisé à trancher par le juge (si les faits,<br />
naturellem<strong>en</strong>t, sont bi<strong>en</strong> établie). Il lui suffit <strong>de</strong> constater la trans<br />
gression <strong>de</strong> la norme. Au fond, dans ce cas, il y n véritablem<strong>en</strong>t con—<br />
s<strong>en</strong>sus <strong>de</strong>s parties mur la validité <strong>de</strong> la norme, bi<strong>en</strong> que l’une <strong>de</strong>s<br />
parties s’y soit conformée et que l’autre ait empéré pouvoir s’y sous<br />
traire <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> son intdrt propre. Le système existant <strong>de</strong>s nor<br />
mes fles nullem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cause.<br />
— 75 —<br />
Le cas qui nous intéresse est celui où l<strong>en</strong> <strong>de</strong>ux parties sont,<br />
jusqu’à un certain point, <strong>de</strong> bonne foi, c’est—à—dire où ellea ont cru<br />
agir justem<strong>en</strong>t. Elles ont conçu certaines espérances au sujet du com<br />
portem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’autre partie, parce qu’elles ont cru quun certaifl ty<br />
pe <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t était normal <strong>en</strong> pareille circonstance et serait<br />
respecté. Quand l’une <strong>de</strong>s parties se trouve déçue par rapport à cette<br />
att<strong>en</strong>te, il y a conflit. Mais chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties invoque pour<br />
se justifier une norme qu’elle a cru vali<strong>de</strong>.<br />
La tache du juge est alors, dit ltayek, <strong>de</strong> dire si l’att<strong>en</strong>te<br />
<strong>en</strong> question était fondée, ai et dans quelle mesure chaque partie pou<br />
vait raisonnablem<strong>en</strong>t escompter tel ou tel comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
compte—t<strong>en</strong>u <strong>de</strong>s “pratiques générales qui sous—t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt l’ordre régnant<br />
<strong>de</strong>s activités (the g<strong>en</strong>oral practices that the ongoing orcler 0f actions<br />
resta on)” (p. 104), t_à_djre <strong>de</strong>s pratiques et coutumes exitan—<br />
tes, <strong>de</strong> “ce qui se fait” traditionnellem<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s circonstances<br />
semblables ou approchantes. Car seuls ces comportem<strong>en</strong>ts éprouvés peu<br />
v<strong>en</strong>t âtre réputés bénéfiques, au s<strong>en</strong>s précis où ils ne sont pas <strong>de</strong><br />
nature à compromettre, à interrompre ou bloquer l’ordre perman<strong>en</strong>t <strong>de</strong>o<br />
actions dans la société, grâce auquel les actions <strong>de</strong> chacun ont la<br />
meilleure chance d’âtre adaptées à celles <strong>de</strong>m autres et donc do réus<br />
sir. Le juge doit “déci<strong>de</strong>r du <strong>de</strong>gré auquel les att<strong>en</strong>tes (expectations)
— 76 —<br />
(<strong>de</strong> hacune <strong>de</strong>s parties) étai<strong>en</strong>t raisonnables” (ibid.)<br />
Le problème est qu’il n’y a pas nécessairem<strong>en</strong>t pour cela<br />
<strong>de</strong> rgle déjà formulée et parfaitem<strong>en</strong>t inambigu. Il peut y avoir<br />
9<br />
dans le corps <strong>de</strong> règles formulées, une “lacune” (LJ!)• La question<br />
théojiue est dè lors celle—ci: cette lacune est—oh5 à proprem<strong>en</strong>t<br />
parler un “vi<strong>de</strong> juridique”, quufl législateur pourrait v<strong>en</strong>ir combler<br />
par njmpor5 quelle règle arbitraire, ou bi<strong>en</strong> faut—il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre “la<br />
cune” <strong>en</strong> un autre s<strong>en</strong>s?<br />
Pour faire mieux compr<strong>en</strong>dre 2e problème, Tlayelc évoque un<br />
cas lgèrem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t. Celui où les parties, avant une transaction,<br />
parce qu’elles s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> qu’elles ne pourront se mettre claire-<br />
m<strong>en</strong>t4’accord <strong>en</strong>tre elles, font appel à un homme <strong>de</strong> loi ou à un “sa<br />
ge” . Elles. font cette démarche parce que1les suppos<strong>en</strong>t quun hom<br />
me PlU{s compét<strong>en</strong>t, “supposé <strong>en</strong> oavoir d’avantage quant aux règles<br />
établis <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> préserver la paix et d’éviter les querelles”<br />
(p. II) pourra leur faire connaître la rigle dont ils ont besoin<br />
et qui leur permettra <strong>de</strong> conclure une transaction équitable.<br />
Ce que les parties cherch<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce cas, ce n’est pas une<br />
simple”idée” pour arranger leur affaire, idée qu’ils pourrai<strong>en</strong>t<br />
fort b<strong>en</strong> trouver eux—mêmes ou <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à n’importe qui d’autre.<br />
Ils ve4l<strong>en</strong>t, trèo précisém<strong>en</strong>t, savoir “ce qui se fait” <strong>en</strong> pareil<br />
cas, ccst—à—dire ce qui s’est fait, ce qui s’est avéré, à<br />
l’expézi<strong>en</strong>ce passée, à la lumière <strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nts, pouvoir effective<br />
m<strong>en</strong>t être fait sans qu’il <strong>en</strong> réuulte une anomalie ou une catastro<br />
phe, notnmm<strong>en</strong>t un cont<strong>en</strong>tieux futur <strong>en</strong>tre les parties ou avec <strong>de</strong>s<br />
tiers, sans que général <strong>de</strong>s activités soit<br />
troubléL et Compromis.<br />
Par conséqu<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> loin <strong>de</strong> supposer un “vi<strong>de</strong> juridique”,<br />
ils supos<strong>en</strong>t au contraire qu’une solution existe quelque part,<br />
à savoi dans la tête, ou dans les livres, <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> loi colapé—<br />
teat.<br />
- 77<br />
Eux—mêmes, certes, ne connaiss<strong>en</strong>t pas la règle <strong>de</strong> façon<br />
suffisamm<strong>en</strong>t claire pour pouvoir y référer, <strong>en</strong> bonne et due forme,<br />
leur contrat. Cep<strong>en</strong>dant, et par définition — c’est du cas<br />
parallèle ici évoqué par ifayek — ils la “connaiss<strong>en</strong>t” <strong>en</strong> un autre<br />
s<strong>en</strong>s. Car quand le ‘bnge” va la leur proposer, l’accept<strong>en</strong>t et<br />
conclu<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t leur contrat sur cette base, c’est bi<strong>en</strong><br />
qu’ils reconnue comme “juste”, éqjtab1ei, “conv<strong>en</strong>able”.<br />
Personne, <strong>en</strong> effet, ne les force à s’<strong>en</strong>-t<strong>en</strong>dre sur une telle règle;<br />
le recours à l’homme <strong>de</strong> loi est amiable et ne les <strong>en</strong>gage pas. S’ils<br />
conclu<strong>en</strong>t finalem<strong>en</strong>t le contrat, c’est donc bi<strong>en</strong> qu’ils p<strong>en</strong>seront<br />
que la règle est correcte et acceptable, c’eet—à—dire conforme aux<br />
“pratiques générales qui sous—t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt l’ordre régnant <strong>de</strong>s activités”.<br />
Mais e’ils “reconnaiss<strong>en</strong>t” la règle proposée, c5 donc<br />
bi<strong>en</strong> que, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, ils la connaiss<strong>en</strong>t. C’est qu’elle ne survi<strong>en</strong>t<br />
pas, comme une pure inv<strong>en</strong>tion, dans un pur vi<strong>de</strong> juridique. Et nous<br />
atteignons ici le coeur <strong>de</strong> la théorie.<br />
Cette “connaissance” a le statut épistémologique que nous<br />
avons dft attribuer à tout savoir “culturel”. Elle est une connais<br />
sance abetraite un habitus; elle consiste dans la possession <strong>de</strong><br />
certains “patteras” <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action, non dans une connaissan<br />
ce déterminée, claire et distincte, qui puisse être intégralem<strong>en</strong>t<br />
“affichée” <strong>en</strong> consci<strong>en</strong>ce, traduite <strong>en</strong> une “idée’. Quand <strong>de</strong><br />
loi va i”afficher” <strong>en</strong> l’énonçant, elle va être<br />
Ireconnue; Q5_<br />
à—dire — •j’interprète ainsi le texte <strong>de</strong> ITayek — qu’elle va être<br />
reconnue au s<strong>en</strong>s d’une “pattern recognition”. Elle va v<strong>en</strong>ir se loger<br />
dans les schémas abstraits que possè<strong>de</strong>nt les parties au sujet <strong>de</strong> cø<br />
qui est “juste”, et satisfaire ainsi leur “s<strong>en</strong>s” ou leur “intuition”<br />
do la justice(24)<br />
Les parties ont, disions—nous, une “compt<strong>en</strong>ce” <strong>en</strong> matière<br />
<strong>de</strong> justice homologua à la “compét<strong>en</strong>ce” linguistique (cf. supra, p. 45).<br />
Elle leur permet <strong>de</strong> reconnaître si une règle est juste ou injuste,
—78—<br />
commele locuteur d’une langue reconnaît si une phrase est correcte<br />
ou inorrecte. Mais le locuteur, pour cela, n’est pas<br />
c<strong>en</strong>sé connaître explicitem<strong>en</strong>t les règles <strong>de</strong> La grainiriaire. A cet é—<br />
gard, ios justiciables allant voir un homme <strong>de</strong> loi sont tians une<br />
aituation asses analogue à celle <strong>de</strong> locuteurs ayant un “litige” à<br />
proposr d’un point <strong>de</strong> vocabulaire, <strong>de</strong> syntaxe ou d’orthographe, et<br />
allant ouvrir, pour se mettre d’accord, un dictionnaire. Ils ne sont<br />
nullemnt disposés à sa soumettre à un quelconque arbitraire <strong>de</strong> l’au<br />
teur dt dictionnaire; au contraire, ils cherch<strong>en</strong>t dans le diction<br />
naire a consignation du bon usage <strong>de</strong> la langue (car le dictionnaire<br />
est ce,sé seulem<strong>en</strong>t constater ce bon usage, sans l’inv<strong>en</strong>ter — mâme<br />
s’il l fixe, ce qui est un autre problème).<br />
Cela suppose, naturellem<strong>en</strong>t, que la solution du “litige”<br />
linguistique figure effectivem<strong>en</strong>t dans le dictionnaire. De même,<br />
on suprose que l’homme <strong>de</strong> loi connaît explicitem<strong>en</strong>t (ou posuè<strong>de</strong> dpns<br />
ses livres) la règle adéquate requise.<br />
C’est quand cela n’est pas, que se pose le problème nodal<br />
<strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, la formation <strong>de</strong> nouvelles règles. Déjà, dit<br />
llayek, kes hommes <strong>de</strong> loi compét<strong>en</strong>ts consultés a priori par <strong>de</strong>s par<br />
ties,1Iuand on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> départager les intéressés, se trou<br />
v<strong>en</strong>t sotiv<strong>en</strong>t dans la nécessité d’énoncer <strong>de</strong> manière plus précise<br />
les règes au sujet <strong>de</strong>squelles il y a différ<strong>en</strong>ce d’opinion et parfois<br />
même d’n formuler <strong>de</strong> nouvelles là où il n’<strong>en</strong> oxiete pas <strong>de</strong> généra<br />
lem<strong>en</strong>t leconnues” (p. 119). Le cas du juge est exactem<strong>en</strong>t siniilaire,<br />
à cette simple différ<strong>en</strong>ce qu’il intervi<strong>en</strong>t a posteriori, quand la<br />
tranaaotion est déjà passée et que le conflit est ddjà noué. Il doit<br />
formuler impérativem<strong>en</strong>t alors la règle juste dont son arrêt sera<br />
l’appliction, alors que le “consultant” n’a pas <strong>de</strong> contrainte à cet<br />
égard.<br />
est exao?em<strong>en</strong>t<br />
C’est la seule différ<strong>en</strong>ce, car le problème intellectuel<br />
le même, le juge va se placer dans la situation où<br />
étai<strong>en</strong>t es parties avant la transaction, c’est—à—dire dans la posi—<br />
:,t<br />
il<br />
4<br />
tion même du “oonsultant”. C’est ainsi que mon jugem<strong>en</strong>t sera déga<br />
gé <strong>de</strong> tout souci concret, qui infléchirait la réflexion sur le nor<br />
mes.<br />
Il s’agit <strong>de</strong> formuler une règle qui existe déjà <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s,<br />
mais dont les formulations précé<strong>de</strong>ntes souffr<strong>en</strong>t d’une certaine ambi—<br />
guîté, qui fait que le conflit ne peut être tranché par la seule voie<br />
<strong>de</strong> la logique.<br />
Autrem<strong>en</strong>t dit, dit Hayelc, le juge doit distinguer l”ess<strong>en</strong>—<br />
tiel” du “conting<strong>en</strong>t” (relevant /aoci<strong>de</strong>ntal), l”eepit” <strong>de</strong> la “let<br />
tre” (p. 105). Et s’il doit innover quant à la lettre, c’est précisé<br />
m<strong>en</strong>t pour retrouver l’esprit <strong>de</strong> la loi. Il doit chercher à dire, lit<br />
téralem<strong>en</strong>t, ce qu’était cet esprit. Ot le respect <strong>de</strong> l”esprit <strong>de</strong> la<br />
loi’ peut conduire à une décision <strong>de</strong> justice qui soit, à la limite,<br />
l’inverse <strong>de</strong> ce qu’une application littérale <strong>de</strong> la loi indiquerait.<br />
Il y a manifestem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> l”esprit” <strong>de</strong> la loi à samlettre”<br />
le même type <strong>de</strong> distance que celui décrit par T!ayek <strong>en</strong>tre une<br />
abstraite et une idée consci<strong>en</strong>te déterminée, <strong>en</strong>tre un schéma ou<br />
tern” abstrait et un modèle concret <strong>de</strong> ce “pattera”. Ce qui est recon<br />
nu, parce que c’est lui qui est mémorisé dans 1esprit collectif,<br />
c’est le “pattern”; il peut arriver que tel ou tel modèle,<br />
dire telle ou telle formulation concrète, apparaisse, dans <strong>de</strong>s cir<br />
constances particulières, comme décalé du “pattera” eu <strong>de</strong> ce fait non—<br />
reconnaissable, “injuste”. Et ceci parce que la formulation est<br />
déterminée que le “pattern” dont elle émane et qu’elle traduit <strong>en</strong><br />
mots. Ii s’<strong>en</strong>suit que, dans <strong>de</strong>s circonstances particulières, la dé-.<br />
termination ajoutée par la formule pr<strong>en</strong>d un s<strong>en</strong>s, im<br />
plique <strong>de</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces, manifestem<strong>en</strong>t non—prévus et non—voulus, qui<br />
ne “r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t” plus dans le “pattern” qui est seul mémorisé et valo<br />
risé (oî. t. 2, p.5).<br />
— 79 —<br />
L’originalité, la créativité intellectuelle du juge consis<br />
tera alors à inv<strong>en</strong>ter un nouveau modèle déterminé du même “nattera”
—&)—<br />
abetraii. Il explicitera l’implicite, sans créer “ex nihilo”. Il oc<br />
ra év<strong>en</strong>luelIem<strong>en</strong>t am<strong>en</strong>é à contredire <strong>de</strong>s explicitations précé<strong>de</strong>ntes<br />
du mime J”pattern”, sans contredire ce “pattern” lui—même. Il y a ici<br />
une eoseitielle discontinuité intellectuelle, une succeonion d”émer—<br />
g<strong>en</strong>ces à la consci<strong>en</strong>ce” et <strong>de</strong> mémorisation dans l’inconsci<strong>en</strong>t qui ne<br />
peuv<strong>en</strong>t tre précisés que par une théorie adéquate du psychisme, et<br />
dont Hayk constate nimplem<strong>en</strong>t le résultat “phénoménologique”: à sa<br />
voir que le travail intellectuel du juge ne snurait être purem<strong>en</strong>t 10—<br />
gique etdéductif. La règle nouvelle ne peut être logiquem<strong>en</strong>t dérivée<br />
<strong>de</strong>s règlms anci<strong>en</strong>nesE il y n discontinuité.<br />
“Que <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s ai<strong>en</strong>t l’int<strong>en</strong>tion et le soin <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s rè<br />
gles pouif un nombre inconnu <strong>de</strong> cas à v<strong>en</strong>ir, cela suppose une prouesse<br />
9tion dont les peuples primitifs sembl<strong>en</strong>t peu susceptibles...<br />
d’abstra<br />
Si nous fomm<strong>en</strong> aujourd’hui à ce point familiarisés avec la conception<br />
du droit au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> règles abstraites, qu’il nous semble évi<strong>de</strong>nt que<br />
nous soycns nécessairem<strong>en</strong>t capables <strong>de</strong> les confectionner délibérém<strong>en</strong>t,<br />
c’est là le résultat <strong>de</strong>s efforts d’innombrables générations <strong>de</strong> juris<br />
tes tradusant dans le langage ce que les g<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t appris à obser<br />
ver <strong>en</strong> agissant. Vans leurs efforts, ils ont eu à créer le langage même<br />
dans lequl <strong>de</strong> telles règles pouvai<strong>en</strong>t être exprimées” (p. 117).<br />
Il semble que la nécessité perman<strong>en</strong>te <strong>de</strong> formuler <strong>de</strong>e règles<br />
pour distnguer l’ess<strong>en</strong>tiel et le conting<strong>en</strong>t dans les précé<strong>de</strong>nts qui<br />
le gui<strong>de</strong>n développe chez le juge <strong>de</strong> droit coutumier une aptitu<strong>de</strong> à<br />
dégager ds principes généraux, qui est rarem<strong>en</strong>t acquise par un juge<br />
opérant daprès un catalogue supposé complet <strong>de</strong> règles applicables,<br />
ouvert <strong>de</strong>ant lui. Quand les généralisations ne sont pas fournies<br />
prêtes à l’emploi, une capacité <strong>de</strong> formuler <strong>de</strong>s abstractions est ap—<br />
Psremm<strong>en</strong>t}maint<strong>en</strong>ue vivace, alors que l’emploi mécanique <strong>de</strong> formules<br />
verbales <strong>en</strong>d à le tuer. Le juge <strong>de</strong> Common Law est t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> faire gran<br />
<strong>de</strong> att<strong>en</strong>ton au fait que le mots sont toujours seulem<strong>en</strong>t l’expres<br />
sion impaa4faite <strong>de</strong> ce que ses prédécesseurs ont imparfaitem<strong>en</strong>t essay6<br />
:‘4<br />
I.<br />
I•1<br />
<strong>de</strong> dire” (p. 105).<br />
C’est donc bi<strong>en</strong> le problème classique <strong>de</strong> l’herméneutique<br />
qui est retrouvé ici par llayek: conserver 55efltjel d’une tradi<br />
tion, c’est—à—dire le savoir incorporé <strong>en</strong> elle quil serait témé<br />
raire <strong>de</strong> sacrifier, tout <strong>en</strong> formulant ce savoir traditionnel <strong>de</strong> fa<br />
çon à le r<strong>en</strong>dre effectivem<strong>en</strong>t utiMeable dans le prés<strong>en</strong>t.<br />
Hayek parait <strong>en</strong> effet ram<strong>en</strong>er ici le problème <strong>de</strong> la juris<br />
pru<strong>de</strong>nce au problème, ultra—classique <strong>de</strong>puis les Stoloi<strong>en</strong>a et Si Paul<br />
dans les traditions culturelles écrites, <strong>de</strong> l’opposition <strong>en</strong>tre la<br />
lettre qui “tue” et l’esprit qui “vivifie”, ou <strong>en</strong>core au problème,<br />
comme on dit, <strong>de</strong> l”infirmité” du langage. On dispose néanmoins ici<br />
d’une intelligibilité nouvelle <strong>de</strong> cette fameuse “infirmité”, lieu<br />
d’élection <strong>de</strong> tant d’apories idéalistes. Tout modèle concret clair<br />
et distinct d’un “pattern” abstrait est décalé par rapport à lui.<br />
Le pa-ttern ou le sohème <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée ou d’action, la valeur, l’intui<br />
tion, ne sont jamais réductibles à une idée. Il y a là un trait<br />
structurel du psychisme dont toute uyre <strong>de</strong> Bergaon, par exemple,<br />
est une <strong>de</strong>scription, mais que la sagesse <strong>de</strong>s nations connait <strong>de</strong>puis<br />
longtemps. C’est lui que vise la formule: summum jus, summa injuria.<br />
t cette autre, plus banale certes, mais non moins vraie: la culture,<br />
c’est ce qui reste quand on a tout oublié. On a oublié tous les “mo<br />
dèles”, rest<strong>en</strong>t les patterns, et cela constitue à soi seul la<br />
“compét<strong>en</strong>ce” culturelle.<br />
— Pi —<br />
Il me semble que le problème soulevé par Hay&c se ramène,<br />
épistémologiquem<strong>en</strong>t, à la distinction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières, pour une<br />
règle juridique et pour une idée <strong>en</strong> général, d’tre “implicite”.<br />
I) Quand sont explicités <strong>de</strong>s axiomes et <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> déri<br />
vation logique, les théorèmes d’une théorie formelle sont “implici<br />
tes” dans cet <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> prémisses au s<strong>en</strong>s où ils sont logiquem<strong>en</strong>t<br />
impliqués par elles. De mme, quand sont posées <strong>de</strong>s lois, certaines<br />
conséqu<strong>en</strong>ces s’<strong>en</strong> <strong>en</strong>suiv<strong>en</strong>t. Reste, certes, à les expliciter, et
dans ce cas l’explicitation peut causer <strong>de</strong>s “surprises”, comme tout<br />
résu tat d’un calcul. Mais on ne peut refuser <strong>de</strong>s oonséqu<strong>en</strong>ces le—<br />
giqu s quand on accepte <strong>de</strong>s prémisses, si on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, précisém<strong>en</strong>t,<br />
s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir purem<strong>en</strong>t au plan <strong>de</strong> la logique, c’eSt—à—dire, du point<br />
<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> loprajfl intellectuelle, au plan du discours consci<strong>en</strong>t<br />
clair et distinct.<br />
2) Un “modèle” peut être “implicite” dans un “pattern” au<br />
s<strong>en</strong>s ù une “idée” peut être conforme ou non à une “intuition”. Dans<br />
oe oa, le li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre l’intuition et l’idée n’est pas login, pour<br />
la si,ple raison que ‘‘intuition n’est jamais, par définition, tota—<br />
lem<strong>en</strong> déterminée. Le li<strong>en</strong> n’<strong>en</strong> est pas moins très “fort”. Qe5 lui<br />
qui f ra qu’une idée sera déclarée “juste” (dans tous les m<strong>en</strong>s du<br />
terme , quand elle r<strong>en</strong>trera dans le “pattern”, et qu’à son sujet il<br />
y aura “pattera r000gnition”.<br />
ci<strong>en</strong> <strong>de</strong>s<br />
gique<br />
La norme nouvelle doit être implioite dans le système an—<br />
normes dans le second s<strong>en</strong>s. Telle est la thèse épistén,olo-.<br />
Hayelc sur la jurispru<strong>de</strong>nce.<br />
-82-<br />
‘-t<br />
‘.4<br />
-‘4<br />
‘J,<br />
J<br />
Au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, il y a d’autres modalités d’é<br />
volution du oorps <strong>de</strong>s règles juridiques.<br />
Un juriste peut être rn<strong>en</strong>é à formuler pour la première fois,<br />
verbalem<strong>en</strong>t, une règle exprimant une pratique ou une coutume déjà 6-.<br />
tablias et éprouvées. Dans ce oaB, il ne fait que sanctionner le fait<br />
que le comportem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> question est “3u5te”, c’est-.à—dire reconnu<br />
comme bénéfique, ne faisant pas obstacle à l’ordre régnant <strong>de</strong>s acti<br />
vités: “Ceux qui ont les premiers t<strong>en</strong>té d’exprimer (les) règles par<br />
<strong>de</strong>s mots ne les ont pas inv<strong>en</strong>tées, mais se sont efforcés <strong>de</strong> dire<br />
quelque chose qui leur était déjà connu” (p. 93).<br />
C’est ainsi qua Solon ou 1,ycurgue, qua Deecartes félicitait<br />
d!avoir donné d’un coup à Athènas ou à Sparte <strong>de</strong>s règles parfaites,<br />
n’ont fait, d’après Itayek, que codifier <strong>de</strong>s lois formées spontané—<br />
m<strong>en</strong>t et progressivem<strong>en</strong>t (Descartes a simplem<strong>en</strong>t commia, sur ce point,<br />
tins erreur historique). De même, le co<strong>de</strong> dftamourabj les Douze Ta<br />
bles <strong>de</strong> Rome, le droit romain n’ont été que la codification <strong>de</strong> droite<br />
coutumiers déjà constitués, même si ces codifications se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
toujours oomm émanant d’une autorité politique et comme port<strong>en</strong>t son<br />
sceau (le droit romain est cont<strong>en</strong>u dans le “co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong>” (cf.<br />
pp. 99—103).<br />
— 83 —<br />
§9<br />
Un “oonservatisme dynamique”<br />
Dans ce cas, les juristes cherch<strong>en</strong>t à formuler “une loi<br />
existant indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> quiconque et qui, à la foie,<br />
s’impose à <strong>de</strong>s juges indép<strong>en</strong>dants et se développe par eux” (p. 102).
Elle m[rnpose à eux: ils ne font, eu.x aussi (eux d’abord, car os cas<br />
est chrnologiquem<strong>en</strong>t antérieur à celui <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce dans le<br />
droit cutumier) que trouver un “modèle” déterminé d’un “pattern”<br />
abstrai. Mais elle ne développe aussi par eux, non seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce<br />
qu’ils ajout<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “modèles” explicites au corps <strong>de</strong> règles explici<br />
tes exitantes, mais aussi <strong>en</strong> un autre sans, tout—à—fait distinct et<br />
mcuie, àcertains égards, inverse et antithétique du premier. Les ju<br />
ristes 4e sont pas seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “hommes d’intuition’ qui explicit<strong>en</strong>t<br />
ce qui st implicite au s<strong>en</strong>s d’”intuitif”, ce sont aussi <strong>de</strong>s “hommes<br />
<strong>de</strong> doctr{ine” qui développ<strong>en</strong>t les connéqu<strong>en</strong>oes logiques d’un <strong>en</strong>semble<br />
<strong>de</strong> règls considérées comme les prémisses d’un raisonnem<strong>en</strong>t.<br />
Ainsi, chaque fois qu’un juge innove <strong>en</strong> formulant une règle<br />
nouvelle il change le système <strong>de</strong>s prémisses<br />
1 il donne oocasion, plus<br />
tard, à 11n autre juriste, <strong>de</strong> formuler d’autres règles qui sont la<br />
oonséqueice logique <strong>de</strong> la modification introduite. En formulant clai<br />
rem<strong>en</strong>t ce qui était “intuitif”, les codificateurs ou les juges ajou<br />
t<strong>en</strong>t <strong>de</strong>sdéterminatione à <strong>de</strong>s pratiques dont la mémoire uooials n’a<br />
vait retnu que le Les hommes <strong>de</strong> doctrine se fon<strong>de</strong>ront, ulté—<br />
rieuremerzt, sur la formule précise qui aura été produite, pour rev<strong>en</strong><br />
diquer <strong>de</strong> droits qui dans <strong>de</strong>s circonstances nouvelles pr<strong>en</strong>dront une<br />
portée qte n’avai<strong>en</strong>t prévue ni voulue les auteurs <strong>de</strong> la formulation<br />
nouvelle. On verra donc apparaitre <strong>de</strong>s règles nouvelles qui, à la<br />
limite, ze correspondront plus à la notion traditionnelle intuitive<br />
<strong>de</strong> ce qui est juste. Un droit “monstrueux” pourra ainsi pr<strong>en</strong>dre nais<br />
sance, un véritable “délire” exprimant une trop gran<strong>de</strong> rigidité <strong>de</strong>s<br />
élém<strong>en</strong>ts onstitutife <strong>de</strong> la mémoire<br />
. Nous verrons comm<strong>en</strong>t Hayek<br />
25<br />
<strong>en</strong>visage a correction <strong>de</strong> cette production “délirante” <strong>de</strong> règles ju<br />
ridiques.<br />
— F.’: — I<br />
c’est là un cas typique d’évolution spontanée, c’est—à-dire<br />
indép<strong>en</strong>daite <strong>de</strong> toute int<strong>en</strong>tion délibérée <strong>de</strong> quelque acteur. Ce cas<br />
nous intéiesse spécialem<strong>en</strong>t, dans notre recherche mur l’évolution<br />
cultureii4 et sur le phénomène traditionnel. Il y a “morphog<strong>en</strong>èse<br />
—<br />
85 —<br />
spontanée <strong>de</strong>s idées” lorsque <strong>de</strong>s formulations faites par <strong>de</strong>s sujets<br />
s’exprimant dans une int<strong>en</strong>tion particulière sont conservées <strong>en</strong> mé<br />
moire, singulièrem<strong>en</strong>t lorsqu’il existe une tradition écrite et li<br />
vresque, et sont réutilisées <strong>en</strong>suite dans d’autres contextes et<br />
avec d’autres int<strong>en</strong>tions. Alors <strong>de</strong> nouvelles théories sont produi<br />
tes pour éliminer les contradictions. C’est spécialem<strong>en</strong>t vrai dans<br />
<strong>de</strong> traditions écrites ou existe un dogme et où est c<strong>en</strong>sé trans<br />
mettre ne varietur le cont<strong>en</strong>u d’une Révélation ou vérité ori<br />
ginelle. Il est capital, dans ce cas, d’éliminer les contradictions<br />
qui peuv<strong>en</strong>t apparaitre <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s formulations coprés<strong>en</strong>tom au sein<br />
du corpus cont<strong>en</strong>ant les vérités originelles. De cet impératif <strong>de</strong><br />
non—contradiction résulte quasi—mécaniquem<strong>en</strong>t la production <strong>de</strong> pro<br />
positions nouvelles qui n’étai<strong>en</strong>t dans l’int<strong>en</strong>tion d’aucun <strong>de</strong>s fon<br />
dateurs du corpus, et qui peuv<strong>en</strong>t tr., lorsqu’elles ne sont pae con—<br />
trlées par l’intuition, délirantes. lTayek n’<strong>en</strong>visage ici que le cas<br />
<strong>de</strong> la doctrine juridique: “Les diverses <strong>en</strong>treprises <strong>de</strong> codification<br />
ne fir<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> pluS que systématiser un corps <strong>de</strong> droit existant,<br />
<strong>en</strong> même temps qu’elles le complétai<strong>en</strong>t ou <strong>en</strong> éliminai<strong>en</strong>t les oontra—<br />
dictions” (p. 120). Il cite l’exemple du droit romain, dont les per<br />
sonnages créateurs ne sont pas, comme dans le droit coutumier, les<br />
juges, mais les jurisconsultes. Dans la mesure où ceux—oi ne se sont<br />
pas laissés <strong>en</strong>trainer, par la “morphog<strong>en</strong>èse spontanée” propre au tra<br />
vail exégétique, au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que l’intuition peut “reconnaitre”,<br />
ils ont contribué à l’évolution du droit,<br />
Ip un processus fort semblable à celui par lequel se dé<br />
veloppa plus tard le droit coutumier anglais (la Common Law), et <strong>en</strong><br />
différant ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t parce que le rle décisif rev<strong>en</strong>ait à l’o<br />
pinion <strong>de</strong>s docteurs <strong>de</strong> la loi (les jurisconsultes), un corps <strong>de</strong> droit<br />
me développa par une formulation cumulative <strong>de</strong>a conceptions dominantes<br />
<strong>de</strong> la justice, plutt que par une oeuvre <strong>de</strong> législateurs. Ce fut seu<br />
lem<strong>en</strong>t à la fin <strong>de</strong> ce développem<strong>en</strong>t, à Bysanco plutdt qu’à Home et<br />
sous l’jnflu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée helléniatique, que le résultat <strong>de</strong> ce
4-<br />
Cette “formulation ouxnulative” dont parle llayek est à <strong>en</strong><br />
t<strong>en</strong>dre omme un mixte <strong>de</strong> travail doctrinal logique et <strong>de</strong> créativité<br />
consist4nt à produire <strong>de</strong>s “modèles” déterminés <strong>de</strong>s intuitions fonda—<br />
m<strong>en</strong>tale4 <strong>de</strong> ce qui est juste. ITayek ne pousse pas plus loin lafla1y_<br />
se mur cie point. Signalons que nous avons l’ambition, dans notre pro<br />
pre analyse <strong>de</strong>s phénomènes exégétiques_herinéneutiques, <strong>de</strong> trouver un<br />
critère néthodologique permettant <strong>de</strong> discriminer ce qui relève <strong>de</strong> l’u<br />
ne et <strong>de</strong> l’autre logique dans ce mixte. Cette démarcation permettrait<br />
à son toar <strong>de</strong> mieux démarquer sci<strong>en</strong>ce et non—sci<strong>en</strong>ce, interprétation<br />
fécon<strong>de</strong> iu réel et “délire”, dans les productions culturelles.<br />
Disons un mot <strong>de</strong> l’innovation apportée par<br />
La légis ation — du moine la législation juste, non celle qui est<br />
produite arbitrairem<strong>en</strong>t par la forme juridique du rationalisme cons-,<br />
tructivi te, le “positivisme juridique”.<br />
Hayek, parce qu’il condamne sévèrem<strong>en</strong>t le positijsme juri<br />
dique, passe pour un partisan exclusif du droit <strong>de</strong>s juges contre le<br />
droit léj1slatjf. Mais c’est un oontre—s<strong>en</strong>s. Ilayek dit seulem<strong>en</strong>t que<br />
“le droi cet plus anci<strong>en</strong> que la législation” et que les législatures<br />
n’ont fait quimjter, au début, le droit coutumier, <strong>en</strong> profitant dc<br />
lacqujs culturel multi—séculaire qu’il représ<strong>en</strong>te et <strong>en</strong> particulier<br />
du langage du droit que seul un procesaus long et collectif pouvait<br />
produire.<br />
ais la législation a, à un point <strong>de</strong> vue particulier, non<br />
seulem<strong>en</strong>t une légitimité, mais une absolue nécessité. Ce qui est con—<br />
damnable,<br />
— —<br />
processis fur<strong>en</strong>t codifiés par ordre <strong>de</strong> l’empreur Justini<strong>en</strong>, dont l’oeu—<br />
vre fut plus tard regardée à tort oomme le modèle <strong>de</strong> la loi créée<br />
par un ouverain et exprimant sa volonté, son “bon plaisir” (p. Ico).<br />
1o’<strong>en</strong>t la transformation du droit civil <strong>en</strong> droit publià par<br />
l’abus e-le oàractèra intempestif <strong>de</strong> la législation. En revanohe,<br />
dans le 4s normal, le législateur doit interv<strong>en</strong>ir pour corriger les<br />
I<br />
I<br />
“bourgeonnem<strong>en</strong>ts” du droit émanant <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, aboutissant<br />
parfois à <strong>de</strong>s aberrations (lorequune catégorie sociale qui fait ce<br />
droit <strong>en</strong> est elle—mtme bénéficiaire et Pinfléchit peu à peu à son<br />
profit, cf. pp. 106—107). Le travail <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce ne peut <strong>en</strong><br />
effet “rev<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> arrière”<strong>de</strong> lui—mtme, du moine assez rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t.<br />
Et il peut y avoir ces productions que nous avons qualifiées <strong>de</strong> mons<br />
trueuses, purem<strong>en</strong>t doctrinales, et qui <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à heurter le s<strong>en</strong>s<br />
normal <strong>de</strong> la justice.<br />
— 87 —<br />
Dana tous ose cas, le législateur doit interv<strong>en</strong>ir. Mais il<br />
doit impérativem<strong>en</strong>t, ai la règle nouvelle doit du moine tre juste,<br />
“s’appuyer sur l’opinion”i “Le pouvoir du législateur repose sur l’o<br />
pinion commune quant à certains caraotèree que doit possé<strong>de</strong>r la loi<br />
qu’il confectionne; et ce qu’il veut ne peut recueillir l’appui <strong>de</strong><br />
lopiflion que ai l’expression <strong>de</strong> sa volonté possè<strong>de</strong> ces caractères...<br />
houe emploierons le mot “opinion” par opposition à une volition s’ap-.<br />
pliqnsnt à une affaire mpéoiale, pour désigner une t<strong>en</strong>dance générale<br />
à approuver certaines décisions et à <strong>en</strong> désapprouver dautres, selon<br />
quelles prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t ou non certains attributs, bi<strong>en</strong> que ceux quba.<br />
bite cette opinion ne soi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général pas capables <strong>de</strong> les spécifier.<br />
tant que le législateur répondra à l’att<strong>en</strong>te que ses décisions pré<br />
s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t do tels caractères, il aura les mains libres quant aux con<br />
t<strong>en</strong>us particuliers do ce qu’il déoi<strong>de</strong>” (p. III).<br />
Ainsi, là <strong>en</strong>core il y a un principe <strong>de</strong> conservation dans<br />
l’innovation au plan <strong>de</strong>s normes. On peut faire “souverainem<strong>en</strong>t” <strong>de</strong>s<br />
lois nouvelles, à condition que l’opinion puisse les considérer com<br />
me jus-Les (sinon, précise Hayek, même une tyrannie ne peut t<strong>en</strong>ir long<br />
temps). Il faut donc que les justiciables do la loi nouvelle la “re<br />
connaiss<strong>en</strong>t” alors qu’<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s ils ne la découvriront que lorsque<br />
l’aura promulguée. Noua aommes ainsi ram<strong>en</strong>és au cas <strong>de</strong><br />
la jurispru<strong>de</strong>nce. La sème épistémologie est impliquée dans les <strong>de</strong>ux<br />
oas. Il n’y a pas djflfloviofl normative absolue. Si une telle innova<br />
tion ont imposée, elle ne peut l’être que par la viol<strong>en</strong>ce.
kinsi, dans les trois cas cités, jurispru<strong>de</strong>nce, morphog<strong>en</strong>è—<br />
se spOntanée <strong>de</strong>s doctrines juridiques, législation, l’innovation ju—<br />
ridiqule ne peut consister <strong>en</strong> une ‘tabularasa” <strong>de</strong> la mémoire. Elle<br />
et coiservative, <strong>en</strong> mme temps qu’elle est innovatrice ou dynamique.<br />
Mais l fait qu’elle soit consorvative n’implique nullem<strong>en</strong>t dogmatis<br />
me ou ixisme. Car ce qu’il s’agit <strong>de</strong> conserver, dans tous les cas,<br />
c’est [a coordination <strong>de</strong>s actions dans une société complexe, et non<br />
telle .d<strong>de</strong>, telle dootrine, a fortiori telle règle prise <strong>en</strong> elle—<br />
mime. s’est là la vraie raison d’tre <strong>de</strong> l’innovation, son seul “but”,<br />
plus almtrait et général que tout but que peut se fixer une autorité<br />
politicue. Il faut innover.. • pour continuer à vivre, simplem<strong>en</strong>t (“La<br />
vie n’ pas d’autre finalité qu’elle—mème”, dit ailleurs Hayek). On<br />
ne peu préciser la finalité du eystène <strong>de</strong> droit, précisém<strong>en</strong>t parce<br />
que ce u’on sait <strong>de</strong> lui, Ce5 seulem<strong>en</strong>t qu’il permet l’émerg<strong>en</strong>ce<br />
d’un orlre epontané constitué par la réussite <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> fina<br />
lités qae se donn<strong>en</strong>t les individus, <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s informations nou<br />
velles lont ils dispos<strong>en</strong>t tous les jours et qu’aucun esprit omnisci<strong>en</strong>t<br />
no satn*it prévoir et synthétiser.<br />
- 88 -<br />
Si le conservatisme, ici, n’est pas “conservateur” au soan<br />
ordinaizre du terme ou “réactionnaire”, c’est tout simplem<strong>en</strong>t au s<strong>en</strong>s<br />
où ce q’il veut conserver, c’est l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s conditions nécessai<br />
res au urgiseem<strong>en</strong>t du nouveau lui—,nme.<br />
“Si le juge doit %tre fidèle à maint<strong>en</strong>ir et à améliorer un<br />
ordre <strong>de</strong>is activités qui fonctionne, et s’il doit chercher ses critè<br />
res dans cet ordre mime, cela nimplique cep<strong>en</strong>dant pas que sa mission<br />
aôit <strong>de</strong> ,réserver un statu quo quelconque dans les relations <strong>en</strong>tre<br />
<strong>de</strong>s persnnes déterminées. C’est au contraire l’un <strong>de</strong>s attributs es—<br />
s<strong>en</strong>tiels<strong>de</strong> l’ordre qu’il sert que <strong>de</strong> ne pouvoir tre maint<strong>en</strong>u autre<br />
m<strong>en</strong>t quepar écu changem<strong>en</strong>ts incessants <strong>de</strong>s détails; et le juge ne<br />
doit c’ataoher qu’à ces relations abstraites qui doiv<strong>en</strong>t être main<br />
t<strong>en</strong>ues aors que les situations particulières se transform<strong>en</strong>t. Un tel<br />
système e relations abstraites n’est pas un réseau immuable reliant<br />
1!<br />
<strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts partiouliors, c’est un filet qui <strong>en</strong>globe un cont<strong>en</strong>u<br />
continuellem<strong>en</strong>t changeant. Bi<strong>en</strong> qu’aux yeux du juge une position<br />
acquise constitue souv<strong>en</strong>t une présomption do bon droit, sa mission<br />
est tout autant d’ai<strong>de</strong>r au changem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> préserver <strong>de</strong>s situa<br />
tions existant. Ce qui doit l’occuper, o’est un ordre dynamique<br />
dont le mainti<strong>en</strong> exige le changem<strong>en</strong>t perni<strong>en</strong><strong>en</strong>t dans les positions<br />
<strong>de</strong>s personnes prises individuellem<strong>en</strong>t” (p. 144).<br />
Rappelons, à l’appui <strong>de</strong> ce texte remarquable, oe qui eet<br />
dit notamm<strong>en</strong>t dans Pgpilogue au sujet <strong>de</strong> l’aooélératiofl <strong>de</strong>s chan<br />
gem<strong>en</strong>ts et mutations historiques <strong>de</strong>puis 1apparitiOfl <strong>de</strong>s premières<br />
sociétés <strong>de</strong> droit. Il faudrait évoquer égalem<strong>en</strong>t tout le cont<strong>en</strong>u<br />
du tome 2, où il est montré que l’ordre <strong>de</strong> marché est précisém<strong>en</strong>t<br />
celui qui a produit les plus grands bouleversem<strong>en</strong>ts et une égalisa<br />
tion <strong>de</strong>s conditions sociales sans précé<strong>de</strong>nt dans l’histoire.<br />
Mais, ajoute flayelc, “bi<strong>en</strong> que le juge ne soit pas t<strong>en</strong>u <strong>de</strong><br />
protéger un quelconque statu quo, il l’est <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir les prin<br />
cipes sur lesquels est fondé l’ordre existant... Il doit -tre con<br />
servateur” (ibid.).. En 00 BOflS, la théorie <strong>de</strong> Ilayek eat un “aris<br />
totélisme” <strong>en</strong> ce qu’elle est empirique et anti—utopiste, .t exige<br />
la pries <strong>en</strong> oompte mie la mémoire. Maie elle se aitue <strong>en</strong> univers<br />
évoluant. Elle est un conservatisme dynamique, ou un dynamisme<br />
conservateur.<br />
— 89 —
fledisons, pour conclure, le ème auquel est confronté<br />
le cons rvatisme dynamique.Nous l’avons r<strong>en</strong>contré plusieurs fois<br />
déjà, n is il conviant d’essayer <strong>de</strong> la définir d’une façon formel—<br />
le et g nérale.<br />
Il peut être ainsi formulé. Puisque l’univers n’est pas fi<br />
xa, on ne peut exclure n priori que survi<strong>en</strong>ne un concours <strong>de</strong> circons<br />
tances tel qu’il faille modifier le système <strong>de</strong>s normes pour permettre<br />
l’émergqnce <strong>de</strong> l’ordre spontané et la continuation <strong>de</strong> la “vie”. Mais<br />
il rest vrai, <strong>en</strong> général, qu’il ne faut pas sacrifier les principes<br />
aux exp dï<strong>en</strong>ts: ce serait r<strong>en</strong>oncer au savoir incorporé dans les prin<br />
cipes e pr<strong>en</strong>dre le risque d’<strong>en</strong>traver l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’ordre sponta<br />
né.<br />
Le problème est dono d’articuler <strong>de</strong>ux niveaux hiéraohique—<br />
m<strong>en</strong>t ditinota, celui <strong>de</strong>s normes et celui <strong>de</strong>s faits. Cette articu<br />
lation e peut tre simple: il n’y a pas <strong>de</strong> relation stable <strong>en</strong>tre<br />
une norue donnée et un type donné <strong>de</strong> faits, puisque si ce typa <strong>de</strong><br />
faits sa produit, c’est <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble du système <strong>de</strong> nor<br />
mes aotujeiiem<strong>en</strong>t vali<strong>de</strong>s. Et néanmoins les <strong>de</strong>ux niveaux doiv<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong><br />
se “tou er”, mime s’ils ne doiv<strong>en</strong>t jamais tre confondus.<br />
Ce “contact” est le litige, qui, <strong>en</strong> fonction circons—<br />
tance dc 1née, fait qu’est r<strong>en</strong>due visible une contradiction <strong>en</strong>tre cer—<br />
taines r armes ou une lacune du système <strong>de</strong> normes. Le litige a dono<br />
une fonation<br />
épistémologique. Il a une fonction <strong>de</strong> découverte.<br />
le s<strong>en</strong>s<br />
‘(Lee règles <strong>de</strong> juste conduite) sont découvertes, soit dans<br />
qu’elles exprim<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s pratiques déjà observées,<br />
soit da s le s<strong>en</strong>s qu’elles s’avèr<strong>en</strong>t le complém<strong>en</strong>t nécessaire <strong>de</strong> rè—<br />
glas déj<br />
- 90 —<br />
établies si l’on veut que l’ordre qui repose sur les règles<br />
existant :s fonctionne sans heurte et efficacem<strong>en</strong>t” (p. 147).<br />
Dono le juriste innovant — et, disons—le oonjecturalem<strong>en</strong>t,<br />
l’intell<br />
sctuel innovant au plan <strong>de</strong>s valeurs — est un sci<strong>en</strong>tifique<br />
expérim<strong>en</strong>tal, ou, plus brièvem<strong>en</strong>t, un sci<strong>en</strong>tifique. Il a <strong>de</strong>vant lui<br />
un réel. Hayek cite à ce sujet (p. 127) les opinions traditionnelles<br />
sur la réalisme ou lempirisrne <strong>de</strong>s (bons) juristes: “La via du droit<br />
n’a été la logique, mais l’expéri<strong>en</strong>ce” (o. W. Holmem); les juris<br />
tes ont égard à la “nature <strong>de</strong>s choee”.<br />
Ce qui signifie que le juriste ne peut se cont<strong>en</strong>ter d’imagi<br />
ner <strong>de</strong>s normes nouvelles.<br />
Il ne peut, dabord, se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> déduire logiquem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>s normes nouvelles <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>nes. Car la circonstance litigieuse<br />
met précisém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lumière l’illogisme du système <strong>de</strong>s normes. Celles—<br />
ci peuv<strong>en</strong>t tre, régionalem<strong>en</strong>t ou par “sous—cyBtèmes”, logiquem<strong>en</strong>t<br />
correliées. précisém<strong>en</strong>t le travail <strong>de</strong> la doctrine juridique<br />
d’établir un maximum <strong>de</strong> cohér<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s familles <strong>en</strong>tières <strong>de</strong><br />
normes. Mais, in fine, noue voft5 vu, les nOrmea sont <strong>de</strong>s “valeurs<br />
<strong>en</strong> soi”, <strong>de</strong>s prémisses du syllogisme pratique, qui ne peuv<strong>en</strong>t tre<br />
justifiées autrem<strong>en</strong>t qua par le fait mime qu’elles ont été valorisées<br />
par le groupe comme contribuant à l’ordre général <strong>de</strong>s activités. Ra—<br />
ire ces “valeurs <strong>en</strong> soi”, il ne peut y avoir <strong>de</strong> li<strong>en</strong> logique continu.<br />
Il y a <strong>de</strong>s discontinuités, ce qui n’est qu’une autre façon <strong>de</strong> dire<br />
que l’univers social est complexe, épietémologiquem<strong>en</strong>t opaque.<br />
“C’est pourquoi traiter à la manière cartési<strong>en</strong>ne ou “géomé<br />
trique” le droit comme une pure “soi<strong>en</strong>oe <strong>de</strong>s normes”, où toutes les<br />
règles <strong>de</strong> droit sont déduites <strong>de</strong> prémisses explicites, est une mé<br />
tho<strong>de</strong> si gravem<strong>en</strong>t trompeuse” (p. 127). Noua avons vu qu’une telle<br />
“sci<strong>en</strong>ce” purem<strong>en</strong>t exégétique conduit finalem<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s productions<br />
“délirantes”. La prét<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> oonstruire <strong>de</strong>s systèmes purem<strong>en</strong>t for<br />
mels, contrùlée par l’aperception transc<strong>en</strong>dantale d» sujet, est<br />
une impasse épistémologique (dans le domaine juridique comme dans<br />
dur5 domaines culturels).<br />
— 91 —<br />
“Une nouvelle norme qui parait logiquem<strong>en</strong>t tout—à—fait homo<br />
gène avec les normes préalablem<strong>en</strong>t moceptées peut néanmoins s’avérer<br />
<strong>en</strong> conflit avec ces normes anoiannaa si, dans un certain assemblage
— 92 —<br />
<strong>de</strong> cire instances, elle autorise <strong>de</strong>s actions incompatibles avec d’au<br />
tres ac ions, permises par les anci<strong>en</strong>nes” (ibid.). Des normes<br />
guem<strong>en</strong>t compatibles peuv<strong>en</strong>t tre pratiquem<strong>en</strong>t incompatibles, et in—<br />
versemept. Ce n’est pas la prés<strong>en</strong>ce d’un li<strong>en</strong> logique <strong>en</strong>tre une rè<br />
gle doueuse et une règle établie qui lèvera le doute et fera la va<br />
leur <strong>de</strong> la règle <strong>en</strong> question.<br />
Le critère expérim<strong>en</strong>tal doit dono interv<strong>en</strong>irt<br />
“Si nous admettons certaines normes visant généralem<strong>en</strong>t à<br />
oertain- résultats, <strong>de</strong>s circonstances <strong>de</strong> fait pourront nous am<strong>en</strong>er<br />
à admet ra <strong>en</strong> outre d’autres nnrmes, simplem<strong>en</strong>t parce que, dans la<br />
situati n <strong>en</strong> question, les normes établies n’obti<strong>en</strong>dront les résultats<br />
qui les justifi<strong>en</strong>t qu’à la condition que soi<strong>en</strong>t aussi appliquées <strong>de</strong>s<br />
normes upplém<strong>en</strong>taires. Ainsi, si nous acceptons sans discussion un<br />
certain <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> normes et que nous découvrons qu’<strong>en</strong> une situa<br />
tion do née ces normes n’obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas le résultat visé à moine<br />
qu’on lur adjoigne certaines autres normes, ces normes supplém<strong>en</strong><br />
taires e trouveront requises par celles préexistantes, bi<strong>en</strong> quelles<br />
n’<strong>en</strong> soi<strong>en</strong>t pas logiquem<strong>en</strong>t la conséqu<strong>en</strong>ce” (p. 126).<br />
Il s’agit dono, pour le juriste, <strong>de</strong> découvrir si, dans une<br />
situation donnée, un système donné <strong>de</strong> normes produit tel réultst<br />
souhaiti . Il ne peut pas le prévoir ni l’imaginer, il doit le oons—<br />
tater. ‘est le réel lui—sme qui lui apporte l’information. Mais<br />
il ne t:rera pas la règle nouvelle <strong>de</strong> l’observation par “induction”.<br />
Ce serat tomber dans l”expédi<strong>en</strong>t”. Il faudra qu’il inv<strong>en</strong>te une rà—<br />
gle qui s’applique oertes au cas observé, mais qui soit intuitivemertt<br />
compatibrie<br />
avec le système préexistant <strong>de</strong> normes. Il y a, <strong>en</strong> d’autres<br />
termes, eux sources <strong>de</strong> la règle nouvelle, et ces <strong>de</strong>ux sources ne le<br />
sont pas <strong>de</strong> la mime façon, selon le mme type <strong>de</strong> cauBalité, le sys<br />
tème préøxistant <strong>de</strong> normes et l’expéri<strong>en</strong>ce. Le système préexistant<br />
<strong>de</strong> norme détermine la norme nouvelle <strong>en</strong> fournissant <strong>de</strong>s •“patterns”<br />
auxqueli la norme nouvelle doit correspondre, ce qui est le gage <strong>de</strong><br />
sa compatibilité avec <strong>de</strong>s activités. L’expéri<strong>en</strong>ce détermine<br />
— 93 —<br />
la norme nouvelle <strong>de</strong> manière logique, puisqu’elle est construite<br />
tre applicable au oas nouveau qui se prés<strong>en</strong>te.<br />
On voit, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, que toute innovation normative cons<br />
titue ùn “saut”, une “création”. Elle substitue non une injonction<br />
finalisée à une règle, mais une règle à une autre règle, et plus<br />
exactem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>oore un système <strong>de</strong> règles à un autre système <strong>de</strong> règles.<br />
L’apparition <strong>de</strong> circonstances nouvelles permet, <strong>de</strong> loin <strong>en</strong> loin, à<br />
<strong>de</strong>s créateurs, <strong>de</strong> métamorPhoser le système <strong>de</strong>s règles. S’ils peuv<strong>en</strong>t<br />
r<strong>en</strong>dre justice à la fois aux faits nouveaux et à la “logique” intime<br />
<strong>de</strong> anci<strong>en</strong>nes valeurs, c’est <strong>en</strong> fonotion d’une capacité créative spé<br />
cifique, que la théorie <strong>de</strong> )Tayelc ne suffit plus à expliquer. Il faut<br />
avec <strong>de</strong>s théories du psychisme humain r<strong>en</strong>dant compte <strong>de</strong><br />
la capacité d’a1aPtatiOn du psychisme oonnaissant, qui lui permet <strong>de</strong><br />
réorganiser le legs <strong>de</strong> la mémoire sans effaoer, <strong>de</strong> produire <strong>de</strong> nou<br />
veaux “patterns” r<strong>en</strong>dant intelligible une situation <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue progres<br />
sivem<strong>en</strong>t confuse par suite <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> lI<strong>en</strong>virOnnem<strong>en</strong>t.<br />
C’est ce que Hayek veut dire lorsqu’il affirme que d’autres<br />
“forces” doiv<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir relayer la raison cartési<strong>en</strong>ne là où celle—ci<br />
se heurte à une opacité qui la limite. C’est déjà ce que St Thomas<br />
voulait dire dans sa rigoureuse analyse <strong>de</strong> la vertu d’équité (!!.<br />
theol., lia lias, gu. 120 ). Il montrait que cette vertu est<br />
différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong> justice stricto s<strong>en</strong>euj et néanmoins indis<br />
p<strong>en</strong>sable à exeroioe <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière vertu elle—mme. Elle la con—<br />
trle et elle la gui<strong>de</strong>, <strong>en</strong> lui fournissant un critère intuitif,<br />
mais sO.r <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, <strong>de</strong>s innovations auxqa.lles le juge est obligé<br />
par les oiroonstanoee.<br />
psychologique.<br />
Le livre <strong>de</strong> Hayek ne pousse pas plus loin l’investigation
mant<br />
ra” t<br />
fc<br />
— 91 —<br />
Citons, <strong>en</strong>fin, un texte du volume 2 où Hayok, tout <strong>en</strong> résu—<br />
tem<strong>en</strong>t l’argum<strong>en</strong>t, le généralise à la morale et à la “cultu—<br />
“Nous appellerons “critique imman<strong>en</strong>te” cette sorte <strong>de</strong> discua-.<br />
sion (c*iticism) qui évolue dans un système <strong>de</strong> règles donné et qui ju<br />
ge tells ou telles règles <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> leur cohér<strong>en</strong>ce (consistey)<br />
ou oom4tibilité, aveo toutes les autres règles admiess concourant à<br />
former v$n ordre <strong>de</strong>s activités d’une certaine nature. C’est là la seule<br />
baee pour un exam<strong>en</strong> critique <strong>de</strong> règles morales ou juridiques, dès lors<br />
que noua reconnaissons l’impossibilité <strong>de</strong> réduire le système <strong>en</strong>tier <strong>de</strong><br />
telles rgles à certains effets spécifiques connus quai] aura à pro<br />
duire (..) Il peut à première vue sembler déconcertant que quelque<br />
chose qu. est le produit <strong>de</strong> la tradition puisse à la fois constituer<br />
l’objet s la critique et son critère. Mais nous ne prét<strong>en</strong>dons nulle...<br />
m<strong>en</strong>t que toute tradition soit, comme telle, sacrée et intangible pour<br />
la critique; nous disons simplem<strong>en</strong>t que la base <strong>de</strong> la critique <strong>de</strong> n’im<br />
porte qul produit <strong>de</strong> la tradition doit toujours être cherchée dans<br />
d’autres oduits <strong>de</strong> la tradition que nous ne Voulons pas, ou ne pou<br />
vons pas mettre <strong>en</strong> question; <strong>en</strong> d’autres termes, les aspects propres<br />
d’une cu1ture doiv<strong>en</strong>t toujours être examinés seulem<strong>en</strong>t dans le contexte<br />
<strong>de</strong> cette nême culture. Nous ne pouvons jamais réduire un système <strong>de</strong><br />
règles, o toutes les valeurs prises <strong>en</strong>semble, à une construction in—<br />
t<strong>en</strong>tionnefle; et nous <strong>de</strong>vons toujours arrèter notre mise <strong>en</strong> question<br />
lorsque n us atteignons quelque chopa qui n’a pas do meilleure raison<br />
d’être ( ound for exist<strong>en</strong>ce) que d’être le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t admis <strong>de</strong> la tra<br />
dition on question. Ainsi nous ne pouvons jamais examiner une partie<br />
<strong>de</strong> i’eflej bio qu’<strong>en</strong> considération <strong>de</strong> cet <strong>en</strong>semble même, quo nous ne<br />
pouvons reconstruire <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t et dont nous sommes obligés dacoop_<br />
ter sans xam<strong>en</strong> la majeure partie” (t. 2, pp. 28—29).<br />
— 95 —<br />
Plus <strong>en</strong>core que dans les idées rapidom<strong>en</strong>t brossées dans<br />
l’Epilogue sur la notion d’évolution culturelle, nous trouvons dans<br />
la théorie <strong>de</strong> l’évolution du droit <strong>de</strong>s ch. 4 à 6 du tome I <strong>de</strong> Droit,<br />
Législation et Liberté <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts très précis sur les mécanismes<br />
<strong>de</strong> l’évolution normative.<br />
Il nous semble qu’il serait fécond d’.nalyser l’évolution<br />
culturelle, et singulièrem<strong>en</strong>t le rle <strong>de</strong>n créateurs et le travail<br />
<strong>de</strong>s intellectuels dans le champ <strong>de</strong>s idées, <strong>en</strong> conjecturant qu’on y<br />
retrouve les mécanismes, ou plus exactem<strong>en</strong>t les démarches, <strong>de</strong> l’in<br />
terv<strong>en</strong>tion du juge <strong>de</strong> droit coutumier dans le syetèrne <strong>de</strong>s ràles ju-.<br />
ridiques.<br />
Le juge, avons—nous dit, doit articuler le droit avec le<br />
fait, conformém<strong>en</strong>t à l’évolution <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t social. Il le<br />
fait, d’une part, sans recourir à <strong>de</strong>s “expédi<strong>en</strong>ts”; il doit méta<br />
morphoser le système <strong>de</strong>s normes plutêt que substituer aux normes dss<br />
procédures techniques. Il réfléchit sur le litige comme mi Paffaire<br />
litigieuse s’était prés<strong>en</strong>tée ailleurs et à tout autre mom<strong>en</strong>t; il est<br />
désintéressé, il a fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t le nons <strong>de</strong> l’av<strong>en</strong>ir et <strong>de</strong> l’uni<br />
versel; il doit préserver l’ordre spontané futur, c’ost—.’n—dire la<br />
“vie”, ou du moins la vie sociale.<br />
CONCLUION<br />
L’intellectuel, <strong>de</strong> même, oherche à résoudre les problèmes<br />
propres au temps prés<strong>en</strong>t. Ce qui le distingue <strong>de</strong> l’homme inculte<br />
(celui—ci fat—il le plus avisé <strong>de</strong>s “technocrates”), c’est quil re<br />
place ces problèmes dans le contexte <strong>de</strong> l’expéri<strong>en</strong>ce passée <strong>de</strong> l’hu—<br />
inanité, et ccci <strong>en</strong> proportion <strong>de</strong> la culture quil ri acquise, <strong>de</strong> sa
-96-<br />
richesc et <strong>de</strong> son organisation. C’et catie culture qui fait qu’il<br />
perçoitcertains problèmes comme nouveaux, ou, ce qui revi<strong>en</strong>t au<br />
mime, crtains faits comme problématiques et requérant l’innovation.<br />
Il propcse alors <strong>de</strong>s théories qui ne sont pas déduites logiquem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s savoirs, mais constitu<strong>en</strong>t une métamorphose du système<br />
d’interjrétation et d’évaluation <strong>de</strong> la réalité. Il cherche ainsi,<br />
lui aussi, à construire un av<strong>en</strong>ir — mais il n le souci d’un av<strong>en</strong>ir<br />
plus larp, non seulem<strong>en</strong>t social, mais cosmique. Il a, comme B<strong>en</strong>da<br />
l’avait i fortem<strong>en</strong>t marqué, le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> unjversei et cela le dis<br />
tingue trnt autant du commun <strong>de</strong>s hommes d’idées que le juge <strong>de</strong> droit<br />
coutumier, par son souci <strong>de</strong> “dire le droit” d’une façon universelle<br />
et durab’e, se distingue du commun do justiciables.<br />
h’intellectuel doit concilier ce s<strong>en</strong>s d’une logique optima.—<br />
le avec Ija perception <strong>de</strong> ce qu’aurait <strong>de</strong> délirant — au s<strong>en</strong>s propre<br />
du terme — la prét<strong>en</strong>tion dfle logique maximale, c’est—à—dire la<br />
prét<strong>en</strong>tin d’assumer l’av<strong>en</strong>ir par le simple comm<strong>en</strong>taire doctrinal <strong>de</strong><br />
1héritae, par une “pure sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s idées” parallèle à la “pure<br />
sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s normes” dont llayek montre l’erreuv. La logique nous main<br />
ti<strong>en</strong>t, conme lavajt vu Bergson, dans le passé. L’intellectuel, dans<br />
un mon<strong>de</strong> évolutionnaire, est fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t autre chose qu’un com—<br />
m<strong>en</strong>tateur tributaire <strong>de</strong>s bibliothèques. A côté du juge, mais aussi<br />
<strong>de</strong> lsrtite et do l’homme d’action “inspiré”, et bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du du<br />
savant,qui est véritahem<strong>en</strong>t un intellectuel, il est créateur. Mais<br />
il l’est .. précisém<strong>en</strong>t — comme l’eL le juge. Sinon c’est un dévas<br />
tateur. I doit se t<strong>en</strong>ir à égale distance <strong>de</strong> la “fumée” et du “cris—<br />
-tal”, <strong>de</strong>s “délires confus” <strong>de</strong>s inv<strong>en</strong>teurs sans mémoire et <strong>de</strong>s “déli<br />
res organisés” <strong>de</strong>s traditionnalistes sans capacités inv<strong>en</strong>tives.<br />
.itro cette recherche sur l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s normes culturelles,<br />
la théorieL <strong>de</strong> llayek suscite d’autres prolongem<strong>en</strong>ts et recherches con<br />
nexes.<br />
théorie hayeki<strong>en</strong>ne d’une “rationalité nana intuition in—<br />
tellectuelle”, faite <strong>de</strong> la réman<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> schémas abstraits ou règles,<br />
nous rappelle la théorie aristotélico—thomimte <strong>de</strong>s habitus et <strong>de</strong>s<br />
lois, principes internes et externes <strong>de</strong> l’action humaine. Un exam<strong>en</strong><br />
historique <strong>de</strong> ces converg<strong>en</strong>ces pourrait permettre la mobilisation,<br />
pour une théorie mo<strong>de</strong>rne, non—freudi<strong>en</strong>ne, <strong>de</strong> la psychologie et pour<br />
une théorie du phénomène traditionnel, d’un riche cont<strong>en</strong>u empirique<br />
presque oublié <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces sociales <strong>de</strong>puis le triomphe <strong>de</strong>s paradig<br />
mes mécanicistes.<br />
— 97 —<br />
La théorie <strong>de</strong> la culture comme mémoire collective <strong>de</strong>s schè<br />
mes <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t bénéfiques fait apparaltre les savoirs culturels,<br />
nous l’avons dit, comme <strong>de</strong>s savoirs <strong>de</strong> l’action. Par là, la théorie<br />
éclaire le concept <strong>de</strong> “sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> 1notioni, si mystérieu.x pour la<br />
pédagogie mo<strong>de</strong>rne, à la fois behavioriste et freudi<strong>en</strong>ne. Peut—il y<br />
avoir un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s pratiques? La théorie <strong>de</strong> Hayek<br />
nous permettra d’avancer quelques réflexions au sujet <strong>de</strong>s instru<br />
m<strong>en</strong>ts pédagogiques à mettre <strong>en</strong> oeuvre pour <strong>de</strong>s <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts dans<br />
les domaines où la médiation d’une théorie explicite n’est pas pos<br />
sible. V<br />
La notion <strong>de</strong> savoir traditionnel <strong>de</strong>vrait nous permettre <strong>de</strong><br />
formuler une hypothènm originale sur la raison d’tre <strong>de</strong>s “clérica—<br />
-tures” <strong>en</strong> tant que systèmes autonomes, caractérisés par une “clôtu<br />
re informationnelle”. C’ont parce que les paradigmes fondateurs d’<br />
une discipline sci<strong>en</strong>tifique ne sont pas justifiables à partir <strong>de</strong><br />
prémisses claires et distinctes, mais ont été fixés simplem<strong>en</strong>t parce<br />
qu’ils ne sont révélés bénéfiques, que la discipline doit tre portée<br />
par une institution structurellem<strong>en</strong>t close. glle doit se protéger<br />
contre la critique externe, à laquelle, littéralem<strong>en</strong>t, elle ne peut<br />
ri<strong>en</strong> répondre. Il faut donc qu’elle etefldc pas las critiques qu’<br />
elle ne peut faire taire et comporte, comme l’a dit Popper, un as—<br />
pnc-t “dogniatique”,dOnt le bouclage institutionnel est l’expression<br />
adéquate (loin que ce bouclage soit un phénomène sociologique sui<br />
g<strong>en</strong>eris ayant <strong>de</strong>s causes étrangèr<strong>en</strong> aux conditions <strong>de</strong> production du
savoir).<br />
— 98<br />
—<br />
fin, dans le prés<strong>en</strong>t volume, les textes <strong>de</strong> Christian Atias<br />
et G<strong>en</strong>evève Delaisi <strong>de</strong> Parceval et Jean—Prançois Malherbe reorés<strong>en</strong>—<br />
t<strong>en</strong>t pou4 la théorie un test dans lei <strong>de</strong>ux domaines privilégiés que<br />
sont l’istitution juridique et l’institution médicale. Coss<strong>en</strong>t, dans<br />
ces <strong>de</strong>uxinstitutions, émergont <strong>de</strong>s normea nouvelles? Y constate—t—on<br />
cetie in’égration do l’expéri<strong>en</strong>ce traditionnelle qu’indhpze la théorie?<br />
Quelle et la part du “constructivisme” dans ces institutions et quels<br />
sont les points précis où apparaiss<strong>en</strong>t s<strong>en</strong> limites? Ces textes, qui<br />
repr<strong>en</strong>ne<br />
9t <strong>de</strong>ux interv<strong>en</strong>tions au Séminaire “Reproductions et Ruptures<br />
culturelles”, ne se réfèr<strong>en</strong>t pas explicitem<strong>en</strong>t — sauf exceptions —<br />
à Hayek. Le lecteur fera lui—,nme le rapprochem<strong>en</strong>ts qui s’impos<strong>en</strong>t,<br />
<strong>en</strong> att<strong>en</strong>d’ t e travail d’é’aboration théorique que <strong>de</strong>vra poursuivre<br />
le séminaFe.<br />
— 99 —<br />
NO l’ES<br />
I. F.—A. HATEIC, Droit, Législation et Liberté, tr. fr. par<br />
Raoul AUDOUIN, P.U.F., 3 vol., 1980, 1981, 1983. Law, Legis—<br />
lation ami Liberty, Routledge ami Icegan Paul, London, Mel<br />
bourne ami H<strong>en</strong>ley, 1973, 1976, 1979. Le prés<strong>en</strong>t exposé porte<br />
ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t sur le volume I, “Règles et ordre “.<br />
2. Droit, Législation et Liberté est à mon s<strong>en</strong>s un <strong>de</strong>s plus im<br />
portante textes philosophiques du Xlème sièole. C’est un livre<br />
peu étudié <strong>en</strong>core <strong>en</strong> Pr<strong>en</strong>se, m%me’a’il est déjà fort admiré.<br />
Je voudrais mo<strong>de</strong>stem<strong>en</strong>t contribuer ici à faire mieux lire<br />
oertains <strong>de</strong> sua chapitres, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s plus oom—<br />
piètes <strong>de</strong> cette oeuvre do flayek et <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes. Par la<br />
force <strong>de</strong> sa p<strong>en</strong>sée, la ereté <strong>de</strong> son raisonnem<strong>en</strong>t, l’origi<br />
nalité <strong>de</strong> ses thèses, la radicalité <strong>de</strong> son interrogation, ff—<br />
yak est peut.4tre le premier p<strong>en</strong>seur du social qui “répon<strong>de</strong>”<br />
vraim<strong>en</strong>t à Marx au niveau mtse où celui—ci s questionné. En<br />
ce s<strong>en</strong>s, T!ayek n’est nullem<strong>en</strong>t un auteur libéral parmi d’au<br />
tres. Ii est le premier philosophe, au s<strong>en</strong>s fort du terme, <strong>de</strong><br />
cette tradition, et <strong>en</strong> 0e sana il change totalem<strong>en</strong>t les assi<br />
ses conceptuelles du libéralisme et son <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir intelleotuel.<br />
3. Cf. l’Epilogue (1978) <strong>de</strong> Droit, Législation et Liberté, .t<br />
Our Moral Heritage, confér<strong>en</strong>ce donnée à The Univorsity Club,<br />
Washington, D C, le 29 nov. 1982.<br />
4. DTCARPES, Discours<br />
toma I, p. 578.<br />
5. Op. oit., p. 581.<br />
6. Op. oit., p. 579.<br />
7. Op. oit., p. 581.<br />
8. Op. oit., p. 582.<br />
9 Op. oit., p. 582.<br />
10. Op. oit., p. 581.<br />
<strong>de</strong> la Métho<strong>de</strong>, Edition Alquié, Carnier,
II. p. 581.<br />
12.<br />
13.<br />
- 100 —<br />
Si THOMAS D’AQUIN, Suais. theol., lia lias, qu. 53 a. 3<br />
coud.<br />
Cf. fleuri ATLAI1, Entre le cristal et la fumée, Seuil, 1979,<br />
pp. 76—77.<br />
14. Thème que Tlayek développe dans la confér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> 1982, Dur<br />
foral Heritage.<br />
15.<br />
16.<br />
La matière <strong>de</strong> l’exposé qui comm<strong>en</strong>ce ioi est fort riche et<br />
complexe. L’ordre choisi par Hayek pour la prés<strong>en</strong>ter est<br />
‘<strong>en</strong> spirale”, il revi<strong>en</strong>t à plusieurs reprises sur les mô—<br />
nes conoepts, chaque foie à une échelle et à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />
précision <strong>de</strong> détail différ<strong>en</strong>ts. Et il ajoute l’pil,<br />
ui crée, <strong>en</strong> vérité, une nouvelle perspective. Nous t<strong>en</strong>—<br />
tons ici <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>ter l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> façon résumée et <strong>en</strong><br />
pattant l’acc<strong>en</strong>t sur la théorie <strong>de</strong> l’évolutiôn <strong>de</strong> la cul—<br />
are. D’où nos propres options quant à l’ordre <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>—<br />
ation.<br />
1 faudrait rec<strong>en</strong>ser aveo préoision les sources <strong>de</strong> Hayek<br />
n psychologie, sci<strong>en</strong>ce qu’il n étudiée <strong>de</strong> façon approfon—<br />
le dans sa jeunesse et à laquelle il a oonnacré un ouvra—<br />
ez Tha S<strong>en</strong>sory Or<strong>de</strong>r. (1952).<br />
17. ‘est os que Kant a voulu nier. Cf. KANT,<br />
!étaphysjque<br />
Fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>s<br />
la<br />
moeurs, trad. V. flelbos,<br />
1 critère du bi<strong>en</strong> moral est qu’il est “préoisém<strong>en</strong>t<br />
p r <strong>de</strong>voir,<br />
fait<br />
alors qnll n’y a pas d’ino1jnatjc<br />
p ur nous<br />
naturelle<br />
y pousser, et môme qu’une aversion<br />
j vinoible<br />
naturelle<br />
s’y<br />
et<br />
oppose”. Le déplaisir et<br />
s ni<br />
l’antj—naturalité<br />
in<strong>de</strong>x du bi<strong>en</strong>. L’impératif hayeki<strong>en</strong> n’est<br />
g riqua”,<br />
pas<br />
au<br />
“daté—<br />
sans où, dans la ligne do la morale<br />
loi<strong>en</strong>ne, nristoté-.<br />
il n’est pas fondé ailleurs que<br />
c.<br />
dans<br />
Mais<br />
l’axpérian—<br />
il n’est pas non plno “hypoth6tique, oar<br />
perception<br />
il exclut<br />
consolante d’un rapport moy<strong>en</strong>—fin.<br />
Ugorique<br />
Il est<br />
pour<br />
ou—<br />
l’individu, épistémologjqueme<br />
expérim<strong>en</strong>tal<br />
limité, et<br />
pour la société considérée à<br />
celle<br />
une<br />
<strong>de</strong><br />
certaine<br />
temps<br />
é—<br />
et d’espace. Anti—kanti<strong>en</strong> <strong>en</strong> cela,<br />
epprunte<br />
Hayek<br />
au contraire à Kant (cf. DLL p. 7) la<br />
rglea<br />
théorie <strong>de</strong>s<br />
abstraites, non—finalisées, permettant<br />
ordonnée<br />
la poursuite<br />
<strong>de</strong> la vie morale collective. Il déclare<br />
di<br />
que<br />
point où<br />
o’est<br />
cet auteur (ainsi que HUME) a porté<br />
d<br />
l’analyse<br />
la morale qu’il fait repartir sa propre recherche.<br />
— 101 —<br />
19. K. POPPER, La Logique <strong>de</strong> la découverte sci<strong>en</strong>tifique, Fayot,<br />
1973, p. 28287; La Connaissance objective, Ed. Complexe,<br />
1978, p.p. 89—92. Cf. Alain BOYER, “La tyrannie <strong>de</strong> la certi—<br />
tu<strong>de</strong>” Esprit, 5/1981.<br />
20. Hayek rejoint ainsi la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la “culture” face au<br />
technocratieme. Cette déf<strong>en</strong>se, d’ordinaire, passe pour un<br />
traditionnalisme ou un passéisme, voire une rev<strong>en</strong>dication<br />
<strong>de</strong> clamse (la “culture” étant particulièrem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>te<br />
mous forme <strong>de</strong> connaissances expijoitem chez les élites an<br />
ci<strong>en</strong>nes d’une société). loi le technooratisme est i<strong>de</strong>nti<br />
fié comme une forme du rationalisme conatruotiviate, la<br />
culture comme une autre partie <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce.<br />
21. Voir les analyses du tirage au sort et du cons<strong>en</strong>sus sur les<br />
procédures, optimisation <strong>de</strong>s chances pour les co—aoteurs <strong>en</strong><br />
univers non cannu, t.2, ch. 7, p. 4. Tout ce chapitre repr<strong>en</strong>d<br />
aveo une étonnante <strong>de</strong>xtérité intelleotuelle l’analyse du rô<br />
le <strong>de</strong>s règles abstraites.<br />
22. Voioi comm<strong>en</strong>t, dans le cas <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> marché, le non—rea—<br />
peot <strong>de</strong>s principes peut aboutir <strong>de</strong> proche <strong>en</strong> proche à un<br />
blocage complet du système: “La nécessité <strong>de</strong> s’adapter à <strong>de</strong>s<br />
événem<strong>en</strong>ts imprévus signifiera toujours que quelqu’un va su<br />
bir un dommage, que les espérances <strong>de</strong> quelqu’un seront dé.<br />
çues et ses efforts réduits à néant. Cela provoque la <strong>de</strong>man<br />
<strong>de</strong> que l’ajustem<strong>en</strong>t requis soit opéré selon un processus dé<br />
libéré; ce qui <strong>en</strong> pratique signifie que l’autorité aura à<br />
déci<strong>de</strong>r à qui faire mal. Le résultat est que souv<strong>en</strong>t lea a—<br />
justem<strong>en</strong>ts nécessaires seront empôchés dès qu’ils seront pré<br />
visibles” (p. 75). Mais si les individus obéiss<strong>en</strong>t effective<br />
m<strong>en</strong>t aux injonctions te l’autorité qui, susp<strong>en</strong>dant les règles<br />
abstraites et décidant <strong>de</strong> recourir autoritairem<strong>en</strong>t à une pro<br />
cédure finalisée, leur donn<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts psrtiouliere<br />
aux termes <strong>de</strong>squels ceux—ci sont t<strong>en</strong>us <strong>de</strong> ne pas t<strong>en</strong>ir compte<br />
<strong>de</strong>s circonstances nouvellés dont ils ont connaissance et d’a<br />
gir comme par le passé, que se passe—t—il?”Certaine (indivi<br />
dus) se verrai<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t dans l’impossibilité matériel<br />
le <strong>de</strong> le faire parce que certaines <strong>de</strong>s circonstances ont chan<br />
gé. Maia ils ferai<strong>en</strong>t ainsi faux bond à d’autres individus,<br />
les plaçant <strong>de</strong> môme dans l’impossibilité matérielle <strong>de</strong> conti<br />
nuer comme avant; la situation rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> pro<br />
che <strong>en</strong> proche. Inci<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, notons que c’est l’une <strong>de</strong>s raisons<br />
pour lesquelles un système complètem<strong>en</strong>t planifié n toutes<br />
chances <strong>de</strong> s’effondrer. Maint<strong>en</strong>ir un flux global <strong>de</strong> résultats<br />
dans un système complexe <strong>de</strong> production exige une gran<strong>de</strong> élas<br />
ticité dans la comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts du système; c’est<br />
pourquoi ce sont d’imprévisibles changem<strong>en</strong>ts au niveau <strong>de</strong>s<br />
individus qui assureront un haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> prévisibilité quant<br />
18. AR’STOPE, Ethique à Nioom, VII, 1152 n 27—33. aux résultats globaux” (p. 124).
—102—<br />
3. Cf. Karl POPPER, Conjecturas anti refutations, Uoutlsdge<br />
and Kegan Paul, 1963, p. 49i “Our prop<strong>en</strong>sity to look out<br />
for regularities, and to impone lawu upon nature, lan<strong>de</strong><br />
to the psychologioal ph<strong>en</strong>om<strong>en</strong>on cf dogmatic thinking or,<br />
more gcnerally, doCmatio behaviour... Phis dogmatiam is<br />
to morne ext<strong>en</strong>t necesaary. It im <strong>de</strong>mandod by a situation<br />
which cnn only be <strong>de</strong>ait with by forcing our conjectures<br />
upon the world”. Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, on “dogmatisme” n’<strong>en</strong> est<br />
pas un, puisqu’il n’est admis par Popper que dans le ca<br />
dre du progrès dynamique <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce, comme un mom<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> ce progrès, immédiatem<strong>en</strong>t suivi du mom<strong>en</strong>t critique. Maie L’EMERGENCE DE LA NORNE JURIDIQUE<br />
la thèse positive <strong>de</strong> Hayek est précisém<strong>en</strong>t que c’est la<br />
discussion critique elle—mme qui oblige, étant donné la<br />
epéoifioité <strong>de</strong>s règles abstraites comme élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> savoir<br />
<strong>en</strong> univers oomplexe, à ne pas les sacrifier aux “expédi<strong>en</strong>ts”.<br />
2 • J’utilise ici <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la théorie du psychisme con<br />
naissant exposée dans H<strong>en</strong>ri ATLAN, cit., ch. 5, “Con—<br />
sci<strong>en</strong>ce et désir dans les systèmes auto—organisateurs”.<br />
2. Cf. fl<strong>en</strong>ri ATLAN,. cit., p. 148, et notre oomm<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> par Christian ATlAS<br />
0e texte, “Les intellectuels et la prophétie”, infra, p.<br />
126.<br />
Voir les exemples donnés par Ch. Atias, infra, p. 124—
— 105—<br />
fIillGl:NCl Ifl LA N01t2lg JUUIDIQUI<br />
Christian ATlAS<br />
Séance du 24 novembre<br />
I.e juriste a—t—H quelque chose à dire <strong>de</strong> L’émer<br />
g<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> La norme juridique? Les juristes français n’<strong>en</strong><br />
sont guère convaincus. Ils ne p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong>voir examiner<br />
Les conditions dé,nerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s normes, ni expliquer un tel<br />
phénomène. S’ils étudi<strong>en</strong>t et mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> oeuvre <strong>de</strong>s normes,<br />
c’est seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> constatant leur exist<strong>en</strong>ce et leur com<br />
pLet achèvem<strong>en</strong>t. L’idéologie sous l’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> laquelle<br />
ils travaill<strong>en</strong>t donne un statut très inférieur aux condi<br />
tions <strong>de</strong> formation du droit. Le positivisme juridique qui<br />
sous—t<strong>en</strong>d La démarche intullectuelle <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s<br />
juristes contemporains considère, <strong>en</strong> effet, que le droit<br />
découle d’un certain nombre <strong>de</strong> “sources” déterminées: ces<br />
“sources” sont <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> volonté d’une nature<br />
particulière. Le législateur et les juges font du droit<br />
parce qu’ils ont reçu une habilitation institutionnelle à<br />
Le faire. L.]. <strong>en</strong> résulte que seules import<strong>en</strong>t leurs déci<br />
sions; tant qu’iLs ne se sont pas exprimés, it n’y n pas<br />
<strong>de</strong> droit. S’il est clair que leurs prises <strong>de</strong> position sont<br />
fonction <strong>de</strong> certaines circonstances historiques, économi<br />
ques, socinles, idéologiques... , La volonté normative<br />
transc<strong>en</strong><strong>de</strong> ces circonstances; c’est seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant que<br />
la Loi ou la jurispru<strong>de</strong>nce [os <strong>en</strong>registr<strong>en</strong>t et tellsqu’el—<br />
les les <strong>en</strong>registr<strong>en</strong>t qu’elles sont intéressantes pour le<br />
juriste positiviste. Autrem<strong>en</strong>t dit, l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nor<br />
me Juridiquo n’est pas un objet d’étu<strong>de</strong> pour lui; IL doit<br />
se limiter à examiner La norme après qu’elie ait définiti<br />
vem<strong>en</strong>t émergé, ri est bi<strong>en</strong> vrai <strong>de</strong> dire que Le positivisme
106— - 107 -<br />
jurid que s ‘<strong>en</strong>t’orine dans une “perspect ive st ri c tom<strong>en</strong> t for—<br />
matis e et statique” Ci).<br />
I ‘abri<br />
vo ca t;<br />
ativi<br />
dos inc<br />
<strong>de</strong> auJ<br />
J u rid:<br />
par L<br />
elle C<br />
dé for<br />
ter d’<br />
ralt<br />
qui on<br />
do pas<br />
la no<br />
m<strong>en</strong>t,<br />
formes<br />
tour e<br />
ci toye<br />
no nnos<br />
princi<br />
ce in tu<br />
automol<br />
auto ri.<br />
do grol<br />
cé do<br />
Le pour<br />
nel leini<br />
Il semble a priori que tes sociologues soi<strong>en</strong>t à<br />
• d’une telle perspective. N’est—ce pas l’une <strong>de</strong> leurs<br />
ons quo <strong>de</strong> s ‘interroger sur “la part relative (le cré—<br />
é du droit ou <strong>de</strong> pression sociale dans l’élaboration<br />
dàles et <strong>de</strong>s rLos” (2) ? Pourtant, il Jour arrive<br />
tir l’influ<strong>en</strong>ce du positivisme, voire du sociologisine<br />
quos; ils coflSi(l3rOflt alors quo la norme n’existe quo<br />
vertu du verbe législatif et qu’etl.o n’existe que si<br />
[écrit la réalité sociale (3).<br />
Ces approches juridique ou secte logique risqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
or le ph6noinno <strong>de</strong> I ‘émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne. Pour ton—<br />
éviter ces dlveros t<strong>en</strong>dances réductionnistes, il pa—<br />
écossai re d’observer I ‘ egisemh le (têts Cl rcotistancos<br />
t pu <strong>en</strong> tout—or I ‘n ppa ri t tort ulu certaines rio rut os , ii va n t<br />
5cr cil revue quelques explications <strong>en</strong>visageables. Si<br />
no juridique e s t la dé fi ni t ion <strong>de</strong> ce qui , ju ri dtque—<br />
bit être, son émerg<strong>en</strong>ce peut pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> multipLes<br />
correspondre à <strong>de</strong> niultipLes modalités. Le légista—<br />
t les Juges, ci ‘t* Ires atitori tés aussi, <strong>de</strong> simpi os<br />
is sans cloute, peuv<strong>en</strong>t contri huer à I n naissance <strong>de</strong><br />
Ces no nues poltvurtt ouiJ> I t ‘ itoilvo I tes tians leur<br />
conimo celle qui e fait obligation <strong>de</strong> porter une<br />
e do sécurité au conducteur et au passager av<strong>en</strong>t clos<br />
iles; ou se substituer à une autre, comme celte qui<br />
e l’avortem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant tes dix premières semaines<br />
sasse, alors qu’il donnait lieu jusque—là au pronon—<br />
anctions péna tes; ou <strong>en</strong>core colle qui donne au juge<br />
oir <strong>de</strong> réduit re ii, montaut d’une I roiemiai té co,ivuintl on—<br />
nt fixée et considérée auparavant comme intangible.<br />
Ce qu’il faut observer d’emblée, que toutes ces nor<br />
mes s’appLiqu<strong>en</strong>t plus ou moins indirectem<strong>en</strong>t aux citoy<strong>en</strong>s.<br />
Les relais sont multiples, les filtres plus ou moins sélec<br />
tifs et déformants; mais ils ne disparaiss<strong>en</strong>t Jamais tout—<br />
à—fait. Un Juriste qui affirme, par exemple, que, dans sa<br />
matière (le droit pénal spécial), la “Jurispru<strong>de</strong>nce” ne<br />
peut avoir le x4le créateur qui lui apparti<strong>en</strong>t dans utrQ5<br />
branches du droit” (li), fl’efl reconnaîtra pas moins que tes<br />
juges sarrog<strong>en</strong>t parfois le pouvoir “d’ét<strong>en</strong>dre ilLégalem<strong>en</strong>t”<br />
une notion définie par la loi (5). Qu’est—ce à dire? Que,<br />
du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> sa g<strong>en</strong>èse, la norme n’est Jamais exacte<br />
m<strong>en</strong>t le produit <strong>de</strong>ssourcos du droit. Pour La voir naitre<br />
1<br />
il faut observer le jeu <strong>de</strong>s multipLes relais qui intervi<strong>en</strong><br />
n<strong>en</strong>t dans son application, comme dans sa révélation au pu<br />
blic. Ainsi est—il possible <strong>de</strong> mieux compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t se<br />
forme le savoir culturel propre ou non nu mon<strong>de</strong> du droit.<br />
Un exemple te montre. Voici une décision <strong>de</strong> Justice qui<br />
prononce le divorce cia doux époux parce quo t ‘un <strong>de</strong>s doux<br />
est un ivrogne ou un Joueur invétéré! Cette décision est<br />
considérée comme une application <strong>de</strong> l’article 2I2 (lu Co<strong>de</strong><br />
civil: “i.e divorce peut ètre <strong>de</strong>mandé par un époux pour <strong>de</strong>s<br />
faits imputabtes à l’autre Lorsquo cas faits constitu<strong>en</strong>t<br />
une violation grave ou r<strong>en</strong>ouvelée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs et obligations<br />
du mariage et r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt intolérable le mainti<strong>en</strong> <strong>de</strong> la vie com<br />
mune”, lin auteur remarque: “La pratiqua Judiciaire..., <strong>en</strong><br />
sanctionnant une infinie variété cia fautes, fait apparairo<br />
une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs auxquels on n’aurait pas songé”<br />
(6). 1a ces trois faits — le Jugem<strong>en</strong>t, la Loi, la prés<strong>en</strong>ta<br />
tion doctrinale<br />
— lequel fait émerger la norme? Qui dit<br />
qu’il. y a “solidarité (7) antre époux et pour<br />
quoi? képondre à <strong>de</strong> telles questions, c’est analyser ta<br />
constitution d’un savoir culturel. Pour m<strong>en</strong>er à bi<strong>en</strong> une<br />
tel Le tache, il importe d’examiner <strong>de</strong>s exemptes d’émerg<strong>en</strong>ce
- 108 —<br />
<strong>de</strong> no; ries juridiques, avant <strong>de</strong> confronter les diverses ex—<br />
plicar ions qui on sont proposées.<br />
I<br />
)11S ClIVÂT I UN ICI PlI CNUN N C<br />
Plusieurs hypotltèsos très différ<strong>en</strong>tes peuv<strong>en</strong>t se<br />
prés<strong>en</strong> ter dans lesquelles la norme juridique émerge <strong>de</strong><br />
circon<br />
convie<br />
parmi<br />
et cou<br />
ci<strong>en</strong> (<br />
soumis<br />
té, bi<br />
bi<strong>en</strong> q’<br />
a jrohr<br />
sci<strong>en</strong>t.<br />
tances extranein<strong>en</strong>t variées. L’appar<strong>en</strong>ce est qu’il<br />
t d’opposer, <strong>de</strong> manière irréductible, Les cas où,<br />
es faits soumis au droit, un fait nouveau surgit<br />
où une nonne nouvel le est appLiquée à tin fait an—<br />
o terme “fa i t” est ici pris au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> circonstance<br />
au droit et provoquant son application), 1rn réali—<br />
n <strong>de</strong>s traits communs se retrouv<strong>en</strong>t sans doute, si<br />
e La distinction du fait nouveau et du fait anci<strong>en</strong><br />
bloinont plus d’ intért didactique que <strong>de</strong> valeur<br />
fiquo.<br />
A — L’émnorgnnce do la norme <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce d’un fait<br />
nouveau.<br />
Qu’un fait iriémij.t doive donner Lieu à la création<br />
d’une m ègle nouvelle, c’est ce que nombre <strong>de</strong> juristes ad—<br />
mettrai nnt volontiers sans hésitation ni nuance. Il fut,<br />
par axe ipi e, très commun do reprocher au I égis la Leur Cran—<br />
çais d’<br />
‘Juridiq<br />
nale qti<br />
les pro<br />
exptiqu<br />
pour Le<br />
du 23 f<br />
son avi<br />
vo i r manqué mIe réa I ismimo on no créant pas <strong>de</strong> régi nie<br />
e particulier pour cette réalité économique origi—<br />
constituait Le fonds <strong>de</strong> commerce. lie mme, ce sont<br />
‘rès réc<strong>en</strong>ts (le la biologio et do La mé<strong>de</strong>cine qui<br />
ront la création d’un Comité nationaL d’éthique<br />
sci<strong>en</strong>ces do la vie et <strong>de</strong> la santé par un décret<br />
vrier 19h3; ce comité ‘n pour mission do donner<br />
sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la<br />
recherche dans tes domaines <strong>de</strong> la biologie, <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />
et do la santé, que ces problèmes concern<strong>en</strong>t l’homme, <strong>de</strong>s<br />
groupes sociaux ou La société tout <strong>en</strong>tière” l’ourtant, la<br />
question fondam<strong>en</strong>taLe est <strong>de</strong> savoir ce qui permet <strong>de</strong> con<br />
clure à la nécessité <strong>de</strong> la norme nouvelle. Autrem<strong>en</strong>t dit,<br />
<strong>en</strong> quoi le fait est—il nouveau et qu’est—ce que ta norme<br />
nouve t le?<br />
a) je_fi nouveau. Il n’y a pas <strong>de</strong> difficulté à<br />
constater que les normes Juridiques ont, chaque jour, à<br />
appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r dos situations inédites, <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts in<br />
connus, <strong>de</strong>s difficultés originales, tin mé<strong>de</strong>cin réalise une<br />
greffe (l’organe OU utilise un foetus vivant pour une expé<br />
rim<strong>en</strong>tation quelconque. Des femmes se montr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> public<br />
les seins nus. Des commerçants v<strong>en</strong><strong>de</strong>nt l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s<br />
qui Leur permettai<strong>en</strong>t d’effectuer le commerce. Ces faits<br />
intéressants pour le droit ne se sont pas toujours r<strong>en</strong>con<br />
trés; à un mom<strong>en</strong>t donné, ils ont dté <strong>de</strong>s faits nouveaux.<br />
La plupart <strong>de</strong>s juristes <strong>en</strong> ont déduit quune norme <strong>de</strong>vait<br />
émerger. Si celle—ci tardait, ils se joignai<strong>en</strong>t volontiers<br />
aux sociologues pour stigmatiser le “retard du droit” par<br />
rapport à la vie sociale.<br />
- 109 —<br />
Une telle réaction serait peut—tre admissible si<br />
ta nouveauté du fait appréh<strong>en</strong>dé par le droit se mesurait<br />
par coinpnraison avec les faits antérieurs. In 1920, iL n’y<br />
avait pas rie femmiios à ta poitrine dénudée sur les pLages;<br />
auJourdhui, elLes sont aussi nombreuses que tes autres.<br />
Cri réalité, les juristes appréci<strong>en</strong>t La nouveauté d’un fait<br />
par référ<strong>en</strong>ce, lion aux faits antérieurs, mais à La norme<br />
antérieure. Ce qui est nouveau, ce n’est pas que <strong>de</strong>s femmes<br />
ne cach<strong>en</strong>t plus leurs seins; est qu’il ne semble plus<br />
possible ou souhaitable <strong>de</strong> sanctionner ce comportem<strong>en</strong>t. Ce<br />
qui est nouveau, ce n’est pas que les commerçants s’effor<br />
c<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tirer profit <strong>de</strong> l’activité investie dans leur fonds
— 1l) —<br />
<strong>de</strong> con erce, c’est qu’il paraisse nécessaire do les proté—<br />
gor ou <strong>de</strong> protéger d’autres lntérts. Par conséqu<strong>en</strong>t, ce<br />
fait n uveau qui paraissait donner, comma directem<strong>en</strong>t, nais<br />
sance à la nonne n’est quufl Opinion nouvelle sur un fait<br />
qui autait pu tro assimilé à <strong>de</strong>s faits antérieurs. le fait<br />
nouvua ne oeut justifier L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme. C’est<br />
parce uo l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne paraIt Justifiée que le<br />
fait e t dit nouveau.<br />
b) a_nrmo nouvelle. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne ne<br />
s’opère jamais dans le néant. Comme t’écrit fort justem<strong>en</strong>t<br />
Nikias Luhmmnn (h), “C’est seulem<strong>en</strong>t à l’intérieur du sys<br />
tème Juridique quo le changem<strong>en</strong>t du la norme Juridique peut<br />
âtre perçu comma un changem<strong>en</strong>t du droit”. Toute émerg<strong>en</strong>ce<br />
dufl +rlne est remplacem<strong>en</strong>t d’une nonne par une autre.<br />
Contrajo,n<strong>en</strong>t à ce quo prét<strong>en</strong><strong>de</strong>nt beaucoup (le philosophes<br />
du droi, il n’y a jamais vi-aun<strong>en</strong>t do Incunu juridique .t<br />
combler Ainsi, la liberté pour tes femmes do se nmontrer<br />
torse n ne vi<strong>en</strong>t pas romnplir Lifl vi<strong>de</strong> préalable. In 1936,<br />
la Cour d’Appel <strong>de</strong> Paris appliquait fort clairem<strong>en</strong>t une<br />
norme à la danseuse fluo: “Vu l’impossibilité do définir<br />
avec pr cision jusquoù s’ét<strong>en</strong>d le domaine <strong>de</strong> l’art et oi<br />
comm<strong>en</strong>cØ celui <strong>de</strong> la lubricité, une attitu<strong>de</strong>, un geste, un<br />
regard, pouvant faire passer instantaném<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’un à l’au<br />
tre, on est am<strong>en</strong>é à conclure que le nu vivant intégral n’est<br />
pas admissiblo <strong>en</strong> public”(9). En 1917, la Cour d’Appel do<br />
Riom proclamalL, dans Le nmâme sons, que “le spoctaclo nie la<br />
nudité di corps humain, fréqu<strong>en</strong>t à notre époque, pour <strong>de</strong>s<br />
raisons <strong>de</strong> sport, d’hygiène ou d’esthétique, ri<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />
sol qui uisse outrager une pu<strong>de</strong>ur nonnale, mâme délicate,<br />
sj no ‘accommipagnu pas <strong>de</strong> l’exhibition do parties soxueL—<br />
les ou d attitu<strong>de</strong>s ou gestes lascifs et obscènes” (.io). H<br />
faut ronm rquer que, dans les cieux cas, les Juges aval ont à<br />
statuer ur un spectaci o organisé dans un li eim aménagé à<br />
— 111 —<br />
cet effet. La condamnation <strong>de</strong> l’exploitant d’un manège fo<br />
rain fut fondée sur La circonstance inverse et sur le carac<br />
tère non—artistique <strong>de</strong> l’exhibition d’une jeune fille à moi..<br />
tié nue couchée dans une caisse <strong>en</strong> verre sur les tessons <strong>de</strong><br />
bouteille (ii). Enfin, <strong>en</strong> 1965, la Cour <strong>de</strong> Cassation recon<br />
naissait une “exhibition provocante <strong>de</strong> nature à off<strong>en</strong>ser la<br />
pu<strong>de</strong>ur publique et à blesser le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t moral <strong>de</strong> ceux qui<br />
<strong>en</strong> ont pu âtre les témoins” dans le fait, pour une jeune<br />
femme, <strong>de</strong> jouer au ping—pong les seins nus sur une plage <strong>de</strong><br />
Cannes (12). La norme existait donc. De mâme, il n’y avait<br />
pas <strong>de</strong> lacune du droit français (13) à propos du concubina—<br />
go; traité comme immoral, il provoquait L.’application do<br />
la norme commune à ce type <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts. Tians les <strong>de</strong>ux<br />
cas, une opinion considérée comme déterminante a changé à<br />
l’égard d’un fait et c’est cette évotution qui a provoqué<br />
l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ta norme nia remplacem<strong>en</strong>t. Aussi étonnant que<br />
cela puisse paraitre, il n’y avait pas d’avantage <strong>de</strong> Lacu<br />
ne juridique <strong>en</strong> matière d’opérations chirurgicales telles<br />
que les prélèvem<strong>en</strong>ts et greffes d’organes ou <strong>en</strong>core <strong>de</strong> pro—<br />
tection <strong>de</strong>s consommateurs. Des normes très précises proté<br />
geai<strong>en</strong>t le corps humain et réglem<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t ta formation <strong>de</strong><br />
tous les contrats. L’application <strong>de</strong> ces normes a pu âtre<br />
écartée au vu <strong>de</strong> leurs résultats considérés comme néfastes<br />
ou parce quelles ne paraissai<strong>en</strong>t pas applicables aux nou<br />
velles circonstances.<br />
En définitive, si Kuhn a pu écrire qu’”un fait nou<br />
veau n’est pas tout—m—fait un fait sci<strong>en</strong>tifique” (iii), il<br />
faudrait poser qu’aucun fait juridique n’est ja,nais tout—<br />
à—fait nouveau. C’est pourquoi. le fait anci<strong>en</strong> permet peut—<br />
âtre uno meilleure observation <strong>de</strong> l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme<br />
juridique.
— 112 —<br />
B I.’élnorgance do In florlilo <strong>en</strong> présonce d ‘un fait<br />
anci on.<br />
Qu’un faitancjon, ancjonflo,flQnt constaté et catato—<br />
gué, puisse donner lieu à l’émerg<strong>en</strong>ce d’uno norme Juridique,<br />
c’est l’évi<strong>de</strong>nce.’ Deux situations peuv<strong>en</strong>t l’expliquer. Ou<br />
bi<strong>en</strong>, l Solution anci<strong>en</strong>ne invariante apparait critiquable;<br />
et le riisonnom<strong>en</strong>t est alors très Voisin <strong>de</strong> celui qui s’ap<br />
pliquait au fait nouveau. Ou bi<strong>en</strong>, la Solution anci<strong>en</strong>ne é<br />
voluo ele—m,no et donne naissance à une norme nouvelle;<br />
là <strong>en</strong>core, la par<strong>en</strong>té avec le cas du fait nouveau n’est pas<br />
exclue. La différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux situations se limite<br />
à l1opp4sition d’une réaction do rejet et d’une réaction <strong>de</strong><br />
cristal‘1isation.<br />
a) Abandon dola oltition anci<strong>en</strong>ne L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />
la nor,n procè<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’idée d’une nécessaire<br />
amélior tion du droit positif. Elle est préparée par la cri<br />
tique <strong>de</strong> la norme antérieure au nom <strong>de</strong> la logique, <strong>de</strong> I op_<br />
portunit ou <strong>de</strong> la justice. Par exemple, la situation défa<br />
vorable aite aux <strong>en</strong>fanta nés hors mariage n été reprochée<br />
au droit français p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s années avant que ne soit vo<br />
tée la I i du 3 janvier 1972 consacrant l’égalité <strong>de</strong> droit<br />
<strong>de</strong>s onfa ta légi limes et <strong>de</strong>s onfants na turol s. l)e màme, il<br />
paraissait injuste qu’une concubine dont lu cempagnon avait<br />
étd tué cans un acci<strong>de</strong>nt ne pt tro in<strong>de</strong>mnisée du préjudi<br />
ce subi ar la faute du responsable; puis il parut injuste<br />
ou illogque do réserver le droit à réparation à la concu<br />
bine dont le compagnon n’était pas marié par ailleurs. La<br />
nouveLle norme selon laquelle la concubine a, dans ce cas,<br />
un “intért légitime, juridiqt,e,,,<strong>en</strong>t protégé” est, on quel<br />
que sorte, née <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte par modi fi cation Lie I ‘une<br />
do ses ce dl ti omis. C’OSt seul ‘miimont I o résiil tt qui s’ j nvor—<br />
— 113 —<br />
se dans le cas <strong>en</strong>visagé, sans que la “logique” <strong>de</strong> la norme<br />
<strong>en</strong> soit affectée.<br />
b) a’volutjon e_L solution anci<strong>en</strong>ne. Le S<strong>en</strong>atus—<br />
consuLte VetLe1<strong>en</strong>, qui date du droit romain, interdisait<br />
à ta femme mariée d’<strong>en</strong>gager ses bi<strong>en</strong>s aux catés <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong><br />
son mari pour augm<strong>en</strong>ter son crédit. Par cristallisation<br />
progressive, cette interdiction limitée se transforme <strong>en</strong><br />
incapacité générale <strong>de</strong> la femme mariée, norme quiL faudra,<br />
<strong>en</strong> fait, trois lois, <strong>en</strong> 1838, 1942 et 1965, pour éliminer.<br />
Le Co<strong>de</strong> civil consacre un certain nombre do solutions ponc<br />
tuelles qui donn<strong>en</strong>t une gran<strong>de</strong> importance à la volonté <strong>de</strong>s<br />
parties. lIes auteurs, consci<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s inconvéni<strong>en</strong>ts d’une<br />
systématisation trop radicale <strong>de</strong> ces solutions, la critiqu<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> la désignant sous le nom <strong>de</strong> théorie <strong>de</strong> l’autonomie <strong>de</strong> la<br />
volonté (15). Reprise à leur compte par d’autres auteurs,<br />
cette théorie initialem<strong>en</strong>t conçue comme une cible <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre<br />
une norme d’intangibilité absolue du contrat et <strong>de</strong> distinc<br />
tion absolue <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> formation et d’exécution du<br />
contrat. 1)ans ces hypothèses, la norme Juridique s’auto—pro—<br />
cluit véritablem<strong>en</strong>t (16). L’appar<strong>en</strong>te opposition avec les<br />
cas précé<strong>de</strong>nts est toute relative. Lorsque la règle anci<strong>en</strong>ne<br />
parait ne plus pouvoir tre appliquée à un fait nouveau,<br />
c’est <strong>en</strong>core par rapport à elle quo s’élabore la norme nou<br />
vel le.<br />
Ces hypothèses brièvem<strong>en</strong>t évoquées révèl<strong>en</strong>t l’impor<br />
tance considérable do l’appréciation portée sur les normes<br />
existantes dans l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme Juridique. Il faut<br />
se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les explications proposées <strong>de</strong> ce phénomène<br />
ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t co,npte <strong>de</strong> cette donnée.
— 11 i —<br />
I: — NXPIJ CATION 3)11 1’lllNO;I lNl<br />
L’apparition d’une norme Juridique est assez sou<br />
v<strong>en</strong>t saluée comme Lin progrès, progrès que la protection <strong>de</strong>s<br />
conso mateurs, que la liberté sexuelle ou que la liberté do<br />
l’avo tom<strong>en</strong>t, progrès quo la création d’un comitd d’éthique.<br />
Ifldépndamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> raisons politiques qui peuv<strong>en</strong>t susciter<br />
cetteattitu<strong>de</strong>, elle se fon<strong>de</strong> géndral<strong>en</strong>,<strong>en</strong>t sur l’impression<br />
que le droit répond à une att<strong>en</strong>te, à un besoin <strong>en</strong> créant la<br />
norme nouvelle. Cette vision qui relève d’une philosophie<br />
Juridique à prét<strong>en</strong>tion réaliste pout être appréciée on elle—<br />
même, avant d’être complétée, LIe plus, si le droit a ses<br />
processus propres d’évolution, ii est aussi un objet <strong>de</strong> con—<br />
naissahce soumis à <strong>de</strong>s contraintes épi stéiiinlogiqj,es, dép<strong>en</strong><br />
dant dH mo<strong>de</strong>s do cons Ci tut ion cii, savo t r don t i I os t I ‘ol)J e L.<br />
A — lnsoj gflernni ta do I pli iloaoplij e clii dru I L.<br />
Ilion <strong>de</strong>s normes nouvelles sont prés<strong>en</strong>tées comme les<br />
résul tts d’un effort, louable par hypothèse, cl ‘adaptaije,,<br />
du droit au fait, il y aurait du réalisme à provoquer I ‘é—<br />
merg<strong>en</strong>e d’une norma face à certaines situations <strong>de</strong> fait.<br />
Ainsi 1os parti anna du la viii’,) 1,110 chu L ‘avo rI.u,,ie,, t j civoc3,aJ ont—<br />
j Ls b rombre <strong>de</strong>s avortupii<strong>en</strong>ts prat tipiés sous L ‘empire do la<br />
légisiajon prohibitive; ceux qui souhaitai<strong>en</strong>t la reconnais<br />
sance dune possibilité <strong>de</strong> divorce par accord <strong>en</strong>tre les ci—<br />
poux ‘i1etaj ont <strong>en</strong> avant le nombre clos divorces prononcés par<br />
<strong>de</strong>s Jugs à qui avai<strong>en</strong>t été sOumis (le fausses Lettres
— 1 16 —<br />
Le cl ung<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t do in régi e ne petit donc tre quo te résultat<br />
d ‘unc<br />
appréciation portcc sur la règle.<br />
Paut—jI alors invoquer les critiquas adressées par<br />
llayek, nu constructjvjs,,iu pour sauver C05 legislatjo<br />
5 qui<br />
veul<strong>en</strong>t créer <strong>de</strong>s nonnes libératrices? Ce serait une triple<br />
erreur. Tout d’abord, ce serait oublier que la norme anci<strong>en</strong><br />
no n’avait pas plus ou moitis d’exist, quo la précé<strong>de</strong>nte<br />
La nouvelle norme libératrice est uno nonne construite,<br />
me la norme prohibitive au no,,, d’objectifs apparemm<strong>en</strong>t ru—<br />
tionnis. lnsuita, in nonne flouvoti, pr<strong>en</strong>d place dans un<br />
<strong>en</strong>se,nthe qui lui donne et peut seul lui donner sa véritable<br />
sinirfication I.e co,I,portegn<strong>en</strong>t autorisé voisin<br />
compoztem<strong>en</strong>ts autorisés et s’oppo<br />
coin—<br />
0 avec d’autres<br />
50 à d’autres comportem<strong>en</strong>ts<br />
iflterd ts. l.a not-,i,, définit donc une nouvelle hiérarchie <strong>de</strong><br />
Valeur , mais elle <strong>en</strong> construit une, comme celte qui t’a<br />
Précéclîe. hnfin, le résultat <strong>de</strong> la toi nouvelle n’est pas<br />
nécessajro,,,ont un changc,,,ont do nonne; il provoque rarem<strong>en</strong>t<br />
lérnergefl <strong>de</strong> la nonne osconiptée.<br />
1.’ ox<strong>en</strong>ipl o ciii clive rco un t sur co pu int ext rmemne,tt<br />
Signifjcjf La loi cli, il juillet 1975 est votée pour que<br />
la Législation française pr<strong>en</strong>ne acte <strong>de</strong> la nonne constatée<br />
dans L’ pplication <strong>de</strong> la loi nntérj<br />
1 Plus précisém<strong>en</strong>t,<br />
il s’agt d’admettre tin divorce par cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t mutuel potir<br />
éviter es fausses lettres d’injures, pratique hypocrite<br />
qui abotit à aggraver les conflits <strong>en</strong>tre époux et qui porte<br />
atteint à la dignité <strong>de</strong> l’institution judiciaire. Il faut<br />
donc cr et un divorce conv<strong>en</strong>tionnel pour empcher cette sor<br />
te <strong>de</strong> dvorco <strong>de</strong> transparautre <strong>de</strong> force, sous le divorce<br />
cont<strong>en</strong>tieux Sit6t la toi <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> application, les juris<br />
tes ont découvert <strong>de</strong> fausses conv<strong>en</strong>tions Soumises au juge;<br />
10 dlvorco cont<strong>en</strong>tjet,x se cache clénonnais sous le dtvorce<br />
conv<strong>en</strong>tjnnoI, tandis que <strong>de</strong> nombreux divorces coriv<strong>en</strong>tion<br />
— 117 —<br />
nets sembl<strong>en</strong>t continuer d’emprunter la voie du divorce con<br />
t<strong>en</strong>tieux. Tout se passe comme si La norme n’avait guère été<br />
affectée par la réforme. Ce qui a été modifié<br />
1 c’est la re<br />
prés<strong>en</strong>tation, donnée clans I.e public, du droit français qui<br />
apparaît comme plus libéral; c’est alors la réaction au<br />
comportem<strong>en</strong>t observé qui est <strong>en</strong> cause.<br />
h) Lnie_e !a_ria.t!ofl effectIvem<strong>en</strong>t observée.<br />
C’est une idéologie à la mo<strong>de</strong> que celLe du pluralisme lé<br />
gislatif. Il s’agit d’offrir, à la population, autant do<br />
régimes juridiques qu’il y n <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts observés et<br />
qui ne susci tant aucune réaction <strong>de</strong> rejet (le I ‘opinion pu<br />
blique. La caractéristique du pluralisme est do substituer<br />
un nouveau mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts aux mo<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> sélection antérieurs. Au lieu <strong>de</strong> s’appuyer sur une sé<br />
lection traditionnelle, c’est—à—dire sur une sélection o—<br />
pm5rée progressivem<strong>en</strong>t par essais et erreurs au cours (le<br />
l’histoire, il s’agit d’adopter une sélection purem<strong>en</strong>t ac<br />
tuelle, fonction clos réactions do ta majorité; d’où le re<br />
cours systématique aux sondages d’opinion. L’important est<br />
<strong>de</strong> remarquer qu’iL ny a pas moins <strong>de</strong> séLection qu’aupa<br />
ravant. L’important est surtout d’observer que Les diffé<br />
r<strong>en</strong>ts régimes proposés ne sont pas équival<strong>en</strong>ts, que cer<br />
tains exerc<strong>en</strong>t un attrait étranger aux autres. Y a—t—il<br />
lieu <strong>de</strong> songer ici à une version juridique <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong><br />
Copernic—Graham selon laquelle te mauvais régime chasse<br />
rait le bon? La question mérite d’autant pLus d’être posée<br />
quo le législateur pluraliste se contredit, au mains, <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux façons. mtn premier lieu, il reconnait que l’un <strong>de</strong>s<br />
modèles proposés — le plus m<strong>en</strong>acé? — est le meilleur; il<br />
le roconnatt clans do faussas nonnes, daxis <strong>de</strong>s dispositions<br />
légales saris aucune portée normnativo. C’est ta Loi <strong>de</strong> 1973<br />
autorisant l’avortem<strong>en</strong>t libre qui proclamo que la vie hu—
— 718 —<br />
main doit être rospoctée à compter do la conception. in se<br />
cond lieu,.. ce mêmo législateur qui déclin<br />
0 sa re5ponsabilit6<br />
morale <strong>en</strong> prét<strong>en</strong>dant que ce n’est pas la loi qui fait les<br />
IflOLt1rS , moi 1 • I!oeurs c7U1 t I mi 1 j , O ‘I”si t e i’ 1 n r—.<br />
firme’ par ailleurs qu’iL doit supprimer certaines dlsposi_<br />
tionar susceptibles d’ori<strong>en</strong>ter les moeurs dn un mauvais sons.<br />
Âinsi <strong>de</strong> l’article 2114 du Co<strong>de</strong> civil qui préci soi I. ciii.. la ‘mis.<br />
fliC ùariée pouvait s’acquittor <strong>de</strong> sa contribution aux charges<br />
du maiage notamm<strong>en</strong>t par soi, activité ami foyer.<br />
l réalité, <strong>en</strong> se ralliant au pluralisme, les juris<br />
tes français ont adopté un “niveau d’objectjvatione’ (22) dont<br />
l’hitIre peut tr brjvnrrjt z1,-am,3,. C’est, à la fois,<br />
l’unit <strong>de</strong> base (individu, groupem<strong>en</strong>ts, nation...) et La con—<br />
ceptioi du sujet <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce juridique qui ont été modifiés.<br />
Comme ia sci<strong>en</strong>ce économique a successivem<strong>en</strong>t raisonné sur la<br />
sociétm globale, puis sur I ‘<strong>en</strong>tr’oprlse, piiio ::11j l’individu<br />
avant o rev<strong>en</strong>ir à la Société tout <strong>en</strong>tière, la sci<strong>en</strong>ce Juridi<br />
que a qhangd son image <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> la Sociétd. mes juris-.<br />
tes du XIXème siècle connaissai<strong>en</strong>t le “bon père do famille”,<br />
un adulte raisonnable apte à déf<strong>en</strong>dre ses propres intérêts pa—<br />
trimoniux et s<strong>en</strong>sible aux directives légales <strong>en</strong> mnatir<br />
patriniopial e; débarrasssé <strong>de</strong>s “corps intormédiajre<br />
0 extrim—<br />
5i’ <strong>de</strong> I ‘An<br />
ci<strong>en</strong> i4ime, il était Libre <strong>de</strong> détemmiiner ses droits <strong>en</strong> accord<br />
avec se semblables, ses égaux. Individu ordinaire, le “bon<br />
père <strong>de</strong>famille” avait les moeurs moy<strong>en</strong>nes que <strong>de</strong>s générations<br />
<strong>de</strong> “bon pères <strong>de</strong> famille” paraissai<strong>en</strong>t avoir éprouvées. A la<br />
fin du )IXàme siècle, les groupes reprir<strong>en</strong>t leur place dans<br />
t’analyse juridique avec la développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sociétés, <strong>de</strong>s<br />
syndicat...<br />
C’ ost à la mêmo époque quo do nombreux juiri ste con—<br />
moncèron à donner La primeur aux mouvem<strong>en</strong>ts sociaux sur les<br />
intdrêtsFindivjdmjals Parce quo le marxisme était évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />
— 119 —<br />
radicalem<strong>en</strong>t incompatible avec les exig<strong>en</strong>ces du phénomène Ju<br />
ridique et <strong>de</strong> sa sci<strong>en</strong>ce, cette évolution parut négligeable<br />
dans son principe et utile dans la mesure, d’ailleurs incon<br />
testable, oà elle mettait au jour certains aspects <strong>de</strong> la réa<br />
lité sociale. Pourtant, c’est la conception manie <strong>de</strong> l’homo<br />
juridicus qui était soumise à un bouleversem<strong>en</strong>t complet. Alors<br />
qu’au début du XlXèmne siècle, l’mgalité <strong>de</strong>vant la loi était<br />
apparue comme une garantie <strong>de</strong> liberté, La reconnaissance <strong>de</strong><br />
l’inégalité <strong>en</strong>tre les forts et les faibles <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait un indis<br />
p<strong>en</strong>sable progrès. Un pas <strong>de</strong> plus, et la sci<strong>en</strong>ce du droit aban<br />
donnerait l’une <strong>de</strong> ses convictions les plus chères. Les juris<br />
tes fronçais du XIXème siècle et manie <strong>de</strong> la première moitié du<br />
XXème siècle avai<strong>en</strong>t toujours affirmé qu’il fallait légiférer<br />
“à la moy<strong>en</strong>ne”, pour la majorité <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s. Désormais, il<br />
ne s’agit plus d’observer la façon <strong>de</strong> vivre du grand nombre et<br />
<strong>de</strong> construire un régime juridique pour le Français moy<strong>en</strong>. Il<br />
faut, tout au contraire, proposer à tous ceux qui adopt<strong>en</strong>t un<br />
comportem<strong>en</strong>t marginal un régime juridique correspondant, La<br />
seule limite étant la tolérance <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong> ta popula<br />
tion. Ainsi se trouve désavoué le juriste classique qui se<br />
cont<strong>en</strong>tait <strong>de</strong> “remè<strong>de</strong>s inclividualistesm.. d’un faible r<strong>en</strong><strong>de</strong><br />
m<strong>en</strong>t social” (23), <strong>de</strong> peur que <strong>de</strong>s techniques plus efficaces<br />
dans quelques rares cas n’<strong>en</strong>trav<strong>en</strong>t toute l’activité juridique.<br />
Il faut, <strong>en</strong>fin, remarquer que cette marginalisation du droit<br />
civil s’est accompagnée d’une nouvelle distribution <strong>de</strong>s rêles<br />
du droit <strong>en</strong>tre le patrimonial oi il se fait interv<strong>en</strong>tionnis<br />
te et l’extra—patrimonial oè il se prést<strong>en</strong>d <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u LibéraL (24).<br />
A tout pr<strong>en</strong>dre, c’est une <strong>de</strong>s cinvictions <strong>de</strong> llayek qui.<br />
a été oubliée et à laquelle il faudrait rev<strong>en</strong>ir, “Les efforts<br />
du juge (et du Législateur?) sont une partie du processus d’a—<br />
claptation <strong>de</strong> la siciété aux circonstances, procPssus p’ lequel<br />
se développe l’ordre spontané. IL participe au processus <strong>de</strong> sé—
- 120 -<br />
lectjon’<strong>en</strong> donnant force exécutoire à celles <strong>de</strong>s règles qui,<br />
comme cILes qui ont fait Leurs prouves dans te passé, r<strong>en</strong><br />
<strong>de</strong>nt pti.s probable l’ajustem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s anticipations et mojfl5<br />
probab1 Leur conflit” (25). Ni Le juge, ni le législateur<br />
no peuvcnt guère .n fui i• l uvntg,; notamm<strong>en</strong>t, ils ne peu<br />
v<strong>en</strong>t “c anger” la sOciété.<br />
Il est: clair qUune l.egislr,tjc,n prf .mch,n,<strong>en</strong>t fondée<br />
sur ,los réactions sociales à cortaj,, colnporto_<br />
m<strong>en</strong>ts cOitribue à détoininer ces réactions. Celles—ci sont<br />
d’ailleus examinées <strong>de</strong> manière abstraite et désincarnée Il—<br />
les ne sont pas <strong>de</strong> véritables réactions sociales, mais l’in—<br />
torpréta ion qui <strong>en</strong> est faite par ceux qui ont préalablem<strong>en</strong>t<br />
porté un appréciation sur le droit existant et sur le droit<br />
à faire. Ainsi, do quoIque ct6 qu’on se tourne, c’est un<br />
choix <strong>de</strong> valeurs qui apparait, mais <strong>en</strong>tre la nonne anci<strong>en</strong>ne<br />
appliqué, éprouvée, socrétée par la société à partir <strong>de</strong>s<br />
règles Jiridiquos antérieures et la nonne nouvelle, délibd<br />
rée, contrujto dans l’abstrait, ii no saurait, 1e ce point.<br />
<strong>de</strong> vue, avoir équiva1<strong>en</strong>c. Parce que co choix <strong>de</strong> valeurs<br />
est inévjtable, il importe qu’il soit Consci<strong>en</strong>t et éclairé;<br />
il inlpore nussi qu’il ne méconnaisse pas la double nature<br />
du ‘lrolt I.e droit, c’est le juste on chaque espèc mais<br />
ce5 d4lemont le juste socialem<strong>en</strong>t souhaitable. L’associa..<br />
ti<strong>en</strong> <strong>de</strong> 4os <strong>de</strong>ux logiques, la (UalOgjqL,e do 1 ‘iflcllvj(lU<br />
0l et<br />
du social, est uno nécessité à laqitollo b légisintour no<br />
peut échpper. L’émerg<strong>en</strong>ce do la nonne ne peut avoir pour<br />
origine le sacrifice <strong>de</strong> eu <strong>de</strong> l’autre. Ce phénomène<br />
n’a pas j4our autant une signification purem<strong>en</strong>t philosophique.<br />
juridique peut Contribuer à on r<strong>en</strong>dre raison.<br />
— 121 —<br />
B — Enseignem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’épistémologie juridique.<br />
L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme juridique n’est jamais indé<br />
p<strong>en</strong>dante <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> connaissance du droit. La norme juridi<br />
que fait l’objet d’une préparation et d’une construction par<br />
la communauté <strong>de</strong>s juristes dont l’idéologie et les métho<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> travail jou<strong>en</strong>t un râle considérable.<br />
a) !a_n e La communauté <strong>de</strong> ju<br />
ristes contribue à L’émerg<strong>en</strong>ce d’une norme <strong>de</strong> multiples fa<br />
çons. Elle peut, d’abord, m<strong>en</strong>er la politique du pire, <strong>en</strong> em—<br />
pâchant la nonne antérieure <strong>de</strong> répondre aux besoins sociaux.<br />
Par exemple, le refus d’interpréter certains textes permettant<br />
aux juges <strong>de</strong> modifier le montant <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnités fixées par<br />
accord <strong>en</strong>tre les parties pour le cas <strong>de</strong> manquem<strong>en</strong>t au contrat,<br />
c’est—à—dire le mainti<strong>en</strong> d’une alorme int<strong>en</strong>able, aboutit à im<br />
poser le changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> norme. La norme intermédiaire était,<br />
pourtant, parfaitem<strong>en</strong>t justifiable <strong>en</strong> droit. La communauté<br />
<strong>de</strong>s juristes peut, aussi, pratiquer le “laisser—faire”. Elle<br />
décrit, alors, comme inévitable ou souhaitable, la norme ap<br />
pliquée contrairem<strong>en</strong>t à celle que la loi définit; ce fut le<br />
cas dansl’hypothèse du divorce d’accord qui fut <strong>en</strong>suite pré<br />
s<strong>en</strong>té com,ne le résultat d’une réaction socinl.o spontanée.<br />
La communauté <strong>de</strong>s juristes peut <strong>en</strong>core justifier, par<br />
avance, une norme nouvelle. Le cas <strong>de</strong> la responsabilité <strong>en</strong>cou<br />
rue au titre <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la circulation est, à cet égard,<br />
topique. Un certain nombre d’auteurs, à La fin du XIXème siè<br />
cle et au début du XXème siècle, ont agi sur <strong>de</strong>ux fronts. D’u<br />
ne part, ils ont sout<strong>en</strong>u que, compte—t<strong>en</strong>u du nombre <strong>de</strong>s dom<br />
mages subis, il était illogique et injuste <strong>de</strong> soumettre ces
— 122 —<br />
cas <strong>de</strong> responsabilité au mime sort quo Les hypothges orcji—<br />
flaires sur lesquelles avait raisonné le législateur <strong>de</strong> 1h04.<br />
D’autre part, il e été démontré que, moy<strong>en</strong>nant un changem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>s mdho<strong>de</strong>s d’interprétatjo il n’était pas impossible <strong>de</strong><br />
rattacher une solution nouvelle, plus favorable aux Victimes,<br />
à la 1 ttre du Co<strong>de</strong>. Ainsi la sci<strong>en</strong>ce du droit a—t—elle prj—<br />
par. l “coup d’ltat” par lequel la Cour <strong>de</strong> Cassation a con<br />
sacré, le 2 décembre 19i1, la responsabilité sans faute du<br />
conducteur. Ce quil faut constater, c’l; que La raison ma<br />
jeure d l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la ràgle s’est ainsi trouvée occultée,<br />
le changem<strong>en</strong>t do s<strong>en</strong>sibilité <strong>de</strong>s juristes eux—mme l’égard<br />
du dommge dont la cause <strong>de</strong>meure inconnue ou impossjl,lp à<br />
prouver c’ost—à..dire notammont à l’égard <strong>de</strong> la répartition<br />
<strong>de</strong> la cliarge du hasard, <strong>de</strong> la malchance, n’a presque Jamais<br />
été évo4ué. lloatlc(,,I;1 plus pn6raiem<strong>en</strong>t c’est In sci<strong>en</strong>ce du<br />
droit qti constitue le langage dont se servant le législateur<br />
et les ugea ot lui donne s<strong>en</strong>s. Il y n là un moy<strong>en</strong> d’action<br />
consid6bie <strong>de</strong> la communauté do Juristes sur le droit (26).<br />
b) a_cnt uction e_l norme. L’importance donnée<br />
par la c mmunauté <strong>de</strong> Juristes à une décision <strong>de</strong> Justice potit<br />
tre l’d énern<strong>en</strong>t générateur <strong>de</strong> la narine. lJne décision do la<br />
Cour <strong>de</strong> assation r<strong>en</strong>due à propos cl ‘une taxe infime a ainsi<br />
paru int rdire pondant soixante ans la création do groupe<br />
m<strong>en</strong>ts dc nomiquos non directer,,<strong>en</strong>t chargés <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s<br />
bénéfices; la collaboration <strong>en</strong>tre <strong>en</strong>treprises S’<strong>en</strong> est trou—<br />
-vée notallem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>travée, alors que la décision évoquée n’a<br />
vait évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pas une toile int<strong>en</strong>tion (27). C’est b tra<br />
vail <strong>de</strong> e aceptualisation effectuée sur une telle position<br />
Juridicti nnelte qui <strong>en</strong> a dégagé une norme, puis <strong>en</strong> a ferine_.<br />
m<strong>en</strong>t main <strong>en</strong>u l’explication. C’os pourquoi la norme n’émerge<br />
véritable ont que lorsque la communauté <strong>de</strong>s Juristes l’<strong>en</strong>re<br />
gistre, I formule et la dévoloppo (2h). Cette constatation<br />
— 123 —<br />
se vérifie à l’évi<strong>de</strong>nce lorsqu’une norme n’a pas d’autre<br />
origine que l’attitu<strong>de</strong> intellectuelle <strong>de</strong> ceux qui ont pour<br />
mission <strong>de</strong> connatro et <strong>de</strong> faire connaître le droit. L’at<br />
trait qu’exerc<strong>en</strong>t sur eux les principes, par leur sol<strong>en</strong>nité<br />
et leur simplicité, <strong>en</strong> est l’illustration. De nombreux prin<br />
cipes Juridiques, porteurs <strong>de</strong> nonnes parfois très inopportu<br />
nes, sont nés d’une formulation doctrinale esthétiquem<strong>en</strong>t<br />
heureuse et <strong>de</strong> cela seulem<strong>en</strong>t. La t<strong>en</strong>dance à généraliser et<br />
à abstraire est ainsi l’une <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong>s normes juridi<br />
ques actuellem<strong>en</strong>t appliquées.<br />
Ainsi peut—on citer le principe <strong>de</strong> fixité <strong>de</strong>s servitu<br />
<strong>de</strong>s <strong>en</strong> vertu duquel celui qui a obt<strong>en</strong>u, <strong>en</strong> lt$0U, le droit <strong>de</strong><br />
traverser le Jardin <strong>de</strong> son voisin à cheval ne peut, <strong>en</strong> 19113,<br />
le traverser on automobile. La mme importance du r6le <strong>de</strong> la<br />
communauté <strong>de</strong>s Juristes se révèle dans un cas auJourdthui<br />
fréqu<strong>en</strong>t. C’est celui où le législateur s’est refusé à déga<br />
ger iui—ùiame la norme et a laissé les Juges libres d’appré<br />
cier les situations cas par cas. La toi détermine alors un<br />
standard (29) tel que i’intérat <strong>de</strong> ta famille, t’intért <strong>de</strong><br />
l’<strong>en</strong>fant ou le bon père <strong>de</strong> famille. Une telle technique juri<br />
dique et <strong>de</strong>stinée à permettre, aux juges, une appréciation<br />
empirique. Il est clair que la mise <strong>en</strong> oeuvre <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
“traitem<strong>en</strong>t juridictionnel <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> normalité” dép<strong>en</strong>d,<br />
dans une large mesure, du travail do coordination—synthéti—<br />
sation dont il est l’objet. Si les décisions r<strong>en</strong>dues font<br />
l’objet d’une analyse qui insiste sur leurs traite cOInmLUS,<br />
un cat.l.ogue <strong>de</strong> cas—types ne tar<strong>de</strong>ra pas à s4tabtir, L’ap<br />
préciation judiciaire t<strong>en</strong>dra à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir moins empirique et<br />
plus abstraite. Ainsi risquera—t—elle <strong>de</strong> perdre tes avanta<br />
ges du standard grîce auquel “le Juge, immergé dans la so<br />
ciété, n’est pas étrangiiraux grands courants qui la traver<br />
s<strong>en</strong>t, liais il se ti<strong>en</strong>t à l’écart <strong>de</strong>s fièvres <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong> et
- 124 —<br />
sait conner à sa jurispru<strong>de</strong>nce, par—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> légitimes évolu-.<br />
tions, une cohér<strong>en</strong>ce qui résulte do la stabilité<br />
relative <strong>de</strong> quelques thèmes fondam<strong>en</strong>taux et d’une métho<strong>de</strong><br />
qui préITère la progressivité do la réforme par touches succes<br />
sives t par modifications imperceptibles <strong>de</strong>s équilibres an—<br />
ci<strong>en</strong>s,à la brutalité <strong>de</strong> la table rase” (30).<br />
La mme puissance <strong>de</strong> La sci<strong>en</strong>ce fonctionnant alors<br />
comme iin frein à l’innovation se révèle lorsqu’une législa<br />
tion prmissive succè<strong>de</strong> à ùne législation prohibitive. Il<br />
est alcrs très difficile <strong>de</strong> faire respecter te principe selon<br />
lequel tout ce qui n’est pas interdit est permis. Pour r<strong>en</strong>dre<br />
affective, par exemple, la capacité <strong>de</strong> la femme mariée, il e<br />
fallu ce multiples proclamations législatives à valeur pure<br />
m<strong>en</strong>t pdagogiquo; dos pouvoirs qui allai<strong>en</strong>t d’eu,:—mmes, pou<br />
voir <strong>de</strong> contracter dans I ‘jntérL du ménage (art. 220 C. civ.)<br />
ou <strong>de</strong> se faire ouvrir un compte <strong>en</strong> borique (art. 221 C. civ.)<br />
ont fait l’objet do disoositions légales particulières pour<br />
lutter pontre <strong>de</strong>s résistances pratiques et -sci<strong>en</strong>tifiques.<br />
.o savoir qui se consti tue sur la travni 1 (les sourcos<br />
du droit est constitutif do norinos juridiques. C’est une rai<br />
son suplémontaire pour affirmer que tes juristes ne peuv<strong>en</strong>t<br />
prét<strong>en</strong>d’o à la sieutral ité; la 00mo Juridique n’émerge Ja<br />
mais quo <strong>de</strong> jugem<strong>en</strong>ts do valeur. En pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce, c’ost<br />
se donnir une chance d’<strong>en</strong> améliorer la qualité. Des observa<br />
tions scmmaires qui précè<strong>de</strong>nt, parait pouvoir découler la<br />
concluston suivante. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme juridique sup<br />
pose un multitud. d’arbitrages, d’appréciations <strong>de</strong> la popu<br />
lation, <strong>de</strong> ta pratique Juridique, du législateur, <strong>de</strong>s Juges,<br />
<strong>de</strong> la cohimunnuté dos Juristes. Ces arbitrages plus ou moins<br />
consci<strong>en</strong>ts, plus ou moins discrete, plus ou moins prévisibles,<br />
contribunt à la formation d’une nonne qui échappe à chacun<br />
et ona la responsabilité do tous.<br />
Cliristian ATlAS<br />
Professeur à ta Faculté <strong>de</strong> l)roit<br />
et <strong>de</strong> Sci<strong>en</strong>ce Politiqua d’Aix—on—<br />
:1<br />
* L’auteur ti<strong>en</strong>t à préciser que son int<strong>en</strong>tion dans la<br />
prés<strong>en</strong>te confér<strong>en</strong>ce est seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fournir d’une<br />
part <strong>de</strong>s exemples, d’autre part <strong>de</strong>s hypothèses d’ex<br />
plication.<br />
1. M. Viraliy, “Le phénomène juridique”, it., 1966,<br />
p. 64.<br />
2. 8. GrawitZ, “De l’utilisation<br />
Ofl droit <strong>de</strong> notions<br />
sociologiques”, Année sociiqgiciq, t. XViI, 1966,<br />
p. 428.<br />
3. Cf. l’exemple dur6le du concubin in M. Grawitz,<br />
£J1. cit., p. 427.<br />
i. Ii. Vouin, I)roi-t pénnlPdCiflt, Dallez, t. 1, 2ème éd.,<br />
1968, n. 5, p. H.<br />
5. R. Vouin, n. 303, p. 316.<br />
6. J. CarhonrLier,<br />
p. 157.<br />
7. Ibid.<br />
8. N. Ltmhmann, “Tue<br />
- 125-<br />
NOTES<br />
Droit civil, t. 2, La famille. Les4—<br />
P.U.i., ThémiS, 12ème éd., 1983, n.52,<br />
eelf_rOT)rO(1tCtb0n af the mw ami<br />
its liinitS, inédit, p. 3. — Comparer .1. Carbonnier,<br />
“Le Co<strong>de</strong> Napoléon comme phénomène sociologique”,<br />
g.it.J.(Revue <strong>de</strong> La <strong>Recherche</strong> Juridique, publiée par<br />
la Faculté <strong>de</strong> Lirait et <strong>de</strong> Sci<strong>en</strong>ce politique d’Aix—<br />
Marseille), 1981—3, n. VI—11, p.<br />
les lois, Itép. DefrénOis, 1979, p. 18.<br />
329 et EssaiS_it<br />
9. l’<strong>en</strong>s, 26 février 1936: S. 1936, iI, p. 137.<br />
10. Riom, 16 novembre 1937: 1).iI.1938, p. 109.<br />
ii. Pnib. corr. St L, H novembre 1950: 0 1951, somm. p. 21.
I<br />
I — 136—<br />
12. Crtm. 22 décembre 1965: 1) 1966, p. 1Ii cassant Aix,<br />
2oHanvier 1965: L) 1965,p. 1117.<br />
13. cofparer M. Grawitz, 2J2 p. i27 qui évoquait<br />
V..<br />
— 127<br />
rer Th; S. Kuhn,.. 1 i”6: “1n passant au cas<br />
limite, Ce ne sont pas seulem<strong>en</strong>t les formes <strong>de</strong>s lois<br />
qui ont changé. Nous avons dc simultaném<strong>en</strong>t modifier<br />
une lacune du co<strong>de</strong> à CO propOs, les élém<strong>en</strong>ts structuraux fondam<strong>en</strong>taux dont se compose<br />
1. ThI S. Kuhn, La structure <strong>de</strong>s révolutions sci<strong>en</strong>tifi—<br />
1962, Paris, Flatnmarion, Champs n. 115, 19H3,<br />
V<br />
l’univers auquel elles s’appliqU<strong>en</strong>t”.<br />
25.’ F.—. lIayak,<br />
trd. L. Neyer, p. b3. gl.es et ordre”,<br />
15. V. Jianouil, L’autonomie <strong>de</strong> la volonté. Naissance et<br />
6vlution d’un concept, Travaux do l’Université <strong>de</strong><br />
drtit, d’économie et <strong>de</strong> sci<strong>en</strong>ces sociales <strong>de</strong> Paris,<br />
sét<br />
41b0rté, t. 1 “I<br />
éi!ation0t<br />
P.U.F., I<br />
26. Cf. <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s Cli. Atlas,<br />
parie, 19814, Ol1. Droit fondamoflta<br />
1ie sci<strong>en</strong>ces historiques n. 12, P.ILI.. Paris 1980. 27. Case. Ch; réunies, 11 mars 191’” D 191I, I 257.<br />
16. N. Luhmann, artcle précité.<br />
17. L. ittg<strong>en</strong>stein, Tractatus loglco—philosophicus,<br />
1961, Gallimard, cou. “Idées” n. 26I, trad. 1’. 1(los—<br />
sovki, introd. D. Ilusseil, n. 6. i321, p. 173.<br />
— Sr tous ces points, voir Ch. Atlas et D. Linotte,<br />
“Le mythe <strong>de</strong> l’adaptation du droit au fait”, D 1977,<br />
Chrn?, XJCXIV, p. 231.<br />
18. J. Ôarbonnier, “lffectivité et inoffectivité <strong>de</strong> la<br />
ràg.o do droit”, Année soejo logique, 19 58, p. 17.<br />
19. J. 1iarbonnior, Flexible droit, I..G.D.J., Paris, 5ème<br />
éd. 1983, p. 287.<br />
20. J. arbonnier, “Vis Famille, législation et quelques<br />
autzes”, Mélanges Il. Savatier, Dalloz, 1965, p. lIB.<br />
21. Ch. lAtias, “Le mythe du pluralisme civil <strong>en</strong> législa—<br />
tio”, ILII.J., 1982—2, n. Vii—13, p. 2tI1 et les “ob-.<br />
servations complém<strong>en</strong>taires” do PH. Ilémy, Il. I1.J. 1983—1,<br />
n. Vfll—15, p. 91.<br />
22. G.—GI. Granger, “1pistémo1ogie économique”, in Logique<br />
et cnnaissance sci<strong>en</strong>tifique, Gallimard, 1976, p. 1027.<br />
23. J. Crbonnier, 1)roit civil, t. 14., Les obligations.<br />
P.U.’., 10ème éd., 1979, n.22, p. 91.<br />
214. Cf. h. Eldmy, Les présomptions lé ip_Jos régi<br />
mes iiatri,,ioniaux, thèse dactylographiée, I’oi tiers,<br />
1971 conclusion. — II. Gau<strong>de</strong>met—Tallon, “De quelques<br />
paradoxes on mati ère d droi t tic la famni t la”, H. T. D.<br />
2i! l9hB p. 719, notamm<strong>en</strong>t p. 735 à 7140, — Campa—<br />
ridi us, p.U.F.,
L’EMERGENCE DES NORMES MEDICALES:<br />
LE CAS DE<br />
t “INSEMINATION ARTIFICI ELLE AVEC DONNEUR”<br />
par G<strong>en</strong>eviève 1)etaisi <strong>de</strong> Parsevat<br />
• et Jean-.François MaI.herbe
‘C<br />
— 131 —<br />
L’ENERGENCE DES NOR24ES MEDICALES:<br />
LE CAS DE L”INS1!INATION ARTIFICIELLE AVEC DONNJR”<br />
par G<strong>en</strong>evive flelaisi <strong>de</strong> Parse—<br />
val et .Jlean—François lialherbe<br />
Séance du B décembre 1983<br />
La rupture culturelle qui caractérise la crise contem<br />
poraine <strong>de</strong> la société occi<strong>de</strong>ntale provoque la résistance d’ins<br />
tances qui t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à reproduire les schémas culturels hérités<br />
du passé.<br />
Cette t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre rupture et reproilttoticrn ct’l t,elles<br />
est notamm<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sible dans le domaine biomédical, ou, plus e—<br />
xactem<strong>en</strong>t, dans les domaines <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine tes plus marqués<br />
par le développem<strong>en</strong>t technosci<strong>en</strong>tifiquc. Tout se peaso comme si<br />
la “technosci<strong>en</strong>tifisation” <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine Jouait unr8le cata<br />
lytique dans la transformation culturelle. Cst pourquoi elle<br />
peut aussi servir <strong>de</strong> révélateur dans le repérage <strong>de</strong>s facteurs<br />
do rupture et <strong>de</strong> reproduction qui donn<strong>en</strong>t à la transformation<br />
culturelle contemporaine sa configuration particulière.<br />
Le “déracinem<strong>en</strong>t culturel” analysé par Jean Ladrire(1)<br />
ou i’”effondrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’autoreprésontation <strong>de</strong> ta société” ding—<br />
(.))<br />
nostiqué par Cornétius Castoriadis définiss<strong>en</strong>t te contexte<br />
<strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> l’éthique, crise que l’on pourrait caractériser<br />
par ta contradiction vécue <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s valeurs an<br />
ci<strong>en</strong>nes et la quate <strong>de</strong> normes nouvelles.<br />
“Dieu est mort, nous sommes tous ses meurtriers”, écri—<br />
vaili N:Lntzsche. Il n’empche que tout n’est pas p<strong>en</strong>nis, puis<br />
qu’aussi bi<strong>en</strong> il. nous faut vivre <strong>en</strong> société.
— 132 —<br />
Les pOssibiEjts nOUvelles qu’offre le développem<strong>en</strong>t<br />
technoci<strong>en</strong>tifjque provoqu<strong>en</strong>t ta recherche <strong>de</strong> normes nouvelles.<br />
Nais, jans plus d’un cas, celles—ci donn<strong>en</strong>t à lire <strong>de</strong>s traces<br />
<strong>de</strong> foi tes anci<strong>en</strong>nes que l’on croyait révolues. Tout semble se<br />
passer ccnr,I,,e si, au monic-at do créer do nouvel les nonnes, une<br />
étrang amnésie frappait les inv<strong>en</strong>teurs: croyant innover, ceux—<br />
ci, <strong>en</strong> fait, roforniul ont d’anci<strong>en</strong>nes normes clans clos co1Itotos<br />
nouvoa X.<br />
IL <strong>en</strong> est notamm<strong>en</strong>t ainsi, à notre avis, (loS nonnos que<br />
se son données tes pionniers <strong>de</strong> l’insémination artificielle<br />
avec donneur (lAI)). L’IAI) est l’actuelle réponse sociale au<br />
désir d’<strong>en</strong>fant exprimé par dos couples dont la stérilitd est<br />
d’origine masculine. C’est dire quo s’y trouve mise <strong>en</strong> cause<br />
— <strong>en</strong> mme temps que protégée — la représ<strong>en</strong>tation sociale du<br />
couple et <strong>de</strong> la famille propre à la société occi<strong>de</strong>ntale contem—<br />
0 raine,<br />
Pour mettra <strong>en</strong> lumière cotte t<strong>en</strong>sion, nous avons choi<br />
si <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à l’analyse comparative dos normes explicites<br />
et imptijcites qui règl<strong>en</strong>t la pratique <strong>de</strong> l’IAI) respectivem<strong>en</strong>t<br />
dans 1e ccs(hI)<br />
0 dans un so1co <strong>de</strong> néco1ogio bruxol1ojs().<br />
2aji 1.a premi ère partie do I ‘exposé, nous prés<strong>en</strong>terons<br />
<strong>de</strong> façon aussi synthétiquo quo possible les nonnes explicites<br />
auxquelles se réfèr<strong>en</strong>t les doux instances médicales précitées.<br />
Nous t<strong>en</strong>terons <strong>en</strong>suite <strong>de</strong> dégager les normes implicites <strong>de</strong> leur<br />
pratique. linfin, nous nous appuiorons sur cetto explication<br />
pour exaninor la signification <strong>de</strong> la question sociale à laquelle<br />
la pratique médicale do l’IAÙ <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d répondre.<br />
• Les nonnes explicites<br />
ar “norme”, l’on ontond ici la formule abstraite <strong>de</strong> ce qui<br />
doit tr, -. Les normes énoncées ci—après exprim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réactions<br />
médicale: différ<strong>en</strong>tes face à une mlne question. Le fait que le<br />
“système A” reflète la pratique d’une institutjo et le “système<br />
D” une p atiquo plus personnelle n’jrjvali pas la comparaison<br />
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car cell—ci ne porte pas sur i’jnstitutjonnatjsatjon <strong>de</strong> ces<br />
réponses mais sur los attitu<strong>de</strong>s médicales qui les sous_t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt(6)<br />
(cf. tabIaau iarécé<strong>de</strong>nte. Le “système A” est celui <strong>de</strong>s CECOS,<br />
le “systme U” celui IU cébinet bruxellois).<br />
2. Les normes implicites<br />
L[anal.yse porte principalem<strong>en</strong>t sur I.e système A qui, à<br />
première 4Iuo du moins, parait plus structuré. Tout se passe com<br />
me si la pratique du système A se confonnait à trois principes.<br />
e_dsIr_d!eflfn d’un coulo réa<br />
!i.é_pArJ. coup!e.<br />
société française se porto d’ailleurs garante <strong>de</strong> ce<br />
droit <strong>en</strong> jrévoyant le remboursem.nt <strong>de</strong>s “doses” <strong>de</strong> sperme et <strong>de</strong>s<br />
honoraire médicaux.<br />
âtre appar<br />
droit à (“avoir son <strong>en</strong>fant à soi”) semble<br />
1u avec un léger déphasago on corrélation avec le droit<br />
à la contraception. Il s’agt do “maltrisos syn,étriques”: si nous<br />
pouvons techniquem<strong>en</strong>t ne pas avoir d’<strong>en</strong>fant quand nous n’<strong>en</strong> vou<br />
ions pas, 1ous <strong>de</strong>vons pouvoir <strong>en</strong> avoir quand nous <strong>en</strong> voulons.<br />
L’exarcice[do ce droit à l’<strong>en</strong>fant r<strong>en</strong>force égalem<strong>en</strong>t une concep<br />
tion objecalo <strong>de</strong> la procréation et la notion traditionnelle <strong>de</strong><br />
couple car il “gomme” 1 ‘oxistonco concrète du donneur qui le r<strong>en</strong>d<br />
possible et qui, si alto était prise on considération, risquerait<br />
<strong>de</strong> d4truir l’image du couple <strong>en</strong> rappelant que l’oiifant n’est pas<br />
tout—à—fai le si<strong>en</strong>.<br />
b) La filiation ost bio ioLliflqo avant tout.<br />
1nfant doit âtre l’<strong>en</strong>fant biologique <strong>de</strong> ses par<strong>en</strong>ts. Cet<br />
l,’<br />
énoncé est paradoxal lorsqu’il s’agit d’insémination artificiel La<br />
avec ctonnour mais, dans la mosuro ot las docum<strong>en</strong>ts émanant <strong>de</strong>s<br />
CECOS pr6soitont I ‘lAI, comme un remè<strong>de</strong> à la stérilité et non com<br />
me un pallitif, l bio logtsmo actuel su trouve r<strong>en</strong>forcé. Il ost<br />
d’ailleurs <strong>en</strong>forcé égalem<strong>en</strong>t par les stratagèmm,cs luis au point<br />
—<br />
j3! —<br />
•1<br />
pour déjouer tes t<strong>en</strong>tatiVes do d,savotix o,: prttorI1tt. ou les t<strong>en</strong><br />
tatives<br />
jntjficati0n du donneur: secret médical, harmonisa<br />
tion <strong>de</strong>s groupes sanguins, compatibilité morphologique. De plus,<br />
poussés sans doute par le manque <strong>de</strong> donneurs, les dICOS, dans<br />
les cas dotig05peflflie moy<strong>en</strong>ne, impos<strong>en</strong>t au couple <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur<br />
d’essayer l,IAC(8) avant 1’IAD. Cette pratique techniquem<strong>en</strong>t<br />
contestable t<strong>en</strong>d à assimiler <strong>de</strong>s actes différ<strong>en</strong>ts (lAC et lAD)<br />
à partir <strong>de</strong> la slmilitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s gestes nécessaires pour les accom<br />
plir. Tout se passe comme si — grâce au médicam<strong>en</strong>t_Paillette —<br />
le couple était invité à oublier que le père n’est pas le père<br />
génétique; comme si, à l’ai<strong>de</strong> d’un palliatif, on mettait <strong>en</strong> scè<br />
ne, socialem<strong>en</strong>t, le fait qu’aucun palliatif n’est nécessaire.<br />
c) &a_md.!c!n.<br />
“maladie”.<br />
os!s!e_à_r.P!r.!r_u!! orgafli5me d’!n<br />
La stérilité, qui. est l’incapacité <strong>de</strong> donner la via, est<br />
ress<strong>en</strong>tie comme une forme <strong>de</strong> mort. L’IAD est un système permettant<br />
<strong>de</strong> contourner la malédiction “tu fl’aUras pas d’<strong>en</strong>faflt”. La malé<br />
diction est évitée à l’ai<strong>de</strong> d’une transgression (adultère) dont<br />
le caractère transgressif est effacé, “gommé”, pris <strong>en</strong> charge<br />
par l1institution médicale. IIais cette prise <strong>en</strong> charge, qui n’est<br />
pas facultative, empâche les couples <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs d’effectuer le<br />
travail m<strong>en</strong>tal nécessaire pour assurer la transgression qu’ils<br />
commettantl il. n’est mâme plus possible <strong>de</strong> surmonter te fantasme<br />
d’adultère pour échapper à la malédiction, puisqu’il est banni.<br />
t cep<strong>en</strong>dant,<br />
— 135 —<br />
lincapaCité du “patiemt” à procréer r<strong>en</strong><br />
voie le mé<strong>de</strong>cin à sa propre incapacité <strong>de</strong> le soigner. Mé<strong>de</strong>cin et<br />
pati<strong>en</strong>t sont donc <strong>en</strong> fait tous <strong>de</strong>ux dii mâme câté do la barrière:<br />
tous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à la technosciOflCfl biomédicale <strong>de</strong> panser leur<br />
blessure narcissique. C’est ce que fait l’IADZ elle guérit la<br />
blessure du mé<strong>de</strong>cin qui obti<strong>en</strong>t (les grossesses tandis que celle<br />
du pati<strong>en</strong>t est passée sous sil<strong>en</strong>ce puisqu’il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t père. L’IAD,<br />
dans la version <strong>de</strong>s dIcOS tout au moins, procè<strong>de</strong> du déni <strong>de</strong> ta<br />
mort <strong>en</strong> <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ant l’idée d’une toute_puissance à L’égard <strong>de</strong> la
— :36 —<br />
vie. Ici <strong>en</strong>core apparaît or: paradoxe: alors quo t ‘lAD aurait<br />
pu manifstor clairem<strong>en</strong>t que la princ1pa vecteur <strong>de</strong> paternité<br />
n’est pa biologique, otto r<strong>en</strong>force lu btologisinu. dn sait quo<br />
ta paterii té passe d ‘avuiiae va r ta reconnaissance sociale<br />
que par prouvo do la fécondation et que, par conséqu<strong>en</strong>t, la<br />
recours un palliatif biologique no dovrait pas empchor le<br />
père iADdtr vraim<strong>en</strong>t le père do son onfant. Mais <strong>en</strong> rondant<br />
difficil4 au couple te travail <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil do sa fécondité naturel<br />
le, concrète rie l’IAD le conforte dans le biolo—<br />
gisme ambiant.<br />
L’autre part, toile qu’elle est pratiquée dans les CECOS,<br />
trancha la question do savoir si la mé<strong>de</strong>cine est l’art d’ai<br />
<strong>de</strong>r las g<strong>en</strong>s à vivre lomioux possible on dépit du corps qu’ils<br />
ont, ou l tochnoscl<strong>en</strong>co permettant do Lutter contre toute for<br />
ma <strong>de</strong>”nori—vie”.<br />
ifin bi<strong>en</strong> qu’il reconnaisse l’importance du travail <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>uil que’ le couple stérile est c<strong>en</strong>sé avoir accoinpli le système<br />
CES fonptionno comme si cette question ne se posait pas — puis<br />
qu’il s’ait <strong>de</strong> “réparer” une “maladie”. Cette t<strong>en</strong>sion (contra<br />
diction) st particulièrem<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sible à l’occasion <strong>de</strong>s consul<br />
tations ctez les psycholotuos <strong>de</strong>vant lesquels sont <strong>en</strong>voyés tous<br />
les coupts <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs. Le système aboutit donc — nouveau para<br />
doxe — aur<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’image sociale du couple traditionnel.<br />
Il est cu’leux, à cet égard, do constater que les couples oxclus<br />
do iar le système CECOS sont las marnes quo ceux pour les<br />
quels l’E4lise catholique romaine atl,,iottralt la nullité du maria—<br />
go: impui<br />
4sance, non consommation dii mariage, incapacité d’assumer<br />
les c1rnrgs du mariage. Tout semble se passer comme si le couple<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>vait atre confirmé dans sa qualité <strong>de</strong> bon couple n—<br />
vant d’atre admis à l’IAD. On rejoint Lei. l’étc’rae amnésie dont<br />
sembl<strong>en</strong>t tre frappés los inv<strong>en</strong>teurs <strong>de</strong>s “normes nouvelles”.<br />
Conparé au système A, le système B apparaît explicitem<strong>en</strong>t<br />
comme une issistanco médicale à la procréation. Plus souple, plus<br />
pragmatique, il se cont<strong>en</strong>te <strong>de</strong> répondre à ta <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sociale<br />
dès que t’<strong>en</strong>qtiate sérieuse fait apparaître un cons<strong>en</strong>sus suffi<br />
sant.<br />
3. A quelle question répond L’IAn?<br />
k première vue, est une réponse à la question:<br />
“comm<strong>en</strong>t surmonter l’év<strong>en</strong>tuelle stérilité <strong>de</strong>s couples qui. dési-.<br />
r<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>fant?”. Hais il existe une t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre t technique<br />
<strong>de</strong> l’IkT) — qui assure à un homme une paternité sociale à l’égard<br />
d’un <strong>en</strong>fant dont il n’est pas b géniteur, et la stratégie du<br />
discours CEcOS — qui ti<strong>en</strong>t à gominer la itattire palliative du sys—<br />
tie lAD au plan biologique. Le système lAD est construit sur<br />
une véritable négation du fait, sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t reconnu, que<br />
l’hérédité psychologique ne se transmet pas par te capital géné<br />
tique. Il y a un véritable paradoxe <strong>de</strong> t’IAD que l’on pourrait<br />
exprimer comme suit. “Le système <strong>de</strong> jIl) feint <strong>de</strong> croire que<br />
b problème <strong>de</strong> ta stérilité d’un homme qui veut atre père est<br />
tellem<strong>en</strong>t grave qu’il faut à tout prix la colmater, la “faire<br />
disparaître”, faire “comme si” la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dance du couple était<br />
“naturelle”. Mais la contradIction la plus évi<strong>de</strong>nte <strong>en</strong>core rési<strong>de</strong><br />
dans tr volonté à tout prix <strong>en</strong>core, <strong>de</strong> gommer l’i<strong>de</strong>n<br />
tité du donneur, <strong>de</strong> dépersonnaliser le sperme <strong>en</strong> <strong>en</strong> faisant un<br />
simple produit ,Ie remplacem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> sorte que ni le producteur<br />
ni les consommateurs no viv<strong>en</strong>t à aucun mom<strong>en</strong>t mine quelconque<br />
expéri<strong>en</strong>ce humaine communoui(8).<br />
tiret, le système lAI) feint d’ignorer le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t sur<br />
lequel il repose: te fait qu”<strong>en</strong> lAD, c’est l’<strong>en</strong>fant qui fait<br />
le pàre”, c’est—à—dire te fait que la paternité se passe dans<br />
ta tate.<br />
— 137 —<br />
Or, on observe <strong>de</strong> multiples résistances à t’IAD, marne<br />
<strong>de</strong> In part <strong>de</strong> personnes qui la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt. Il pas ,i rare,
— 1311 —<br />
par exempl, qu’un couple procrée naturellem<strong>en</strong>t après avoir re<br />
noncé à <strong>de</strong> t<strong>en</strong>tatives d’IAn qui durai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois, voire<br />
<strong>de</strong>s années,. comme si los fomanes so Libérai<strong>en</strong>t au moum<strong>en</strong>t oi’a elles<br />
(se) sont Ldchargéos do l’obligation <strong>de</strong>s séances d’ifls,5mnLnatjmn<br />
Ces r6sistnces sont, du moins an partie, <strong>de</strong>s résistances à la<br />
médicalisattion do la procréation ou à l’obligation sociale d’a<br />
voir <strong>de</strong>s <strong>en</strong>trants pour tre nonnal. Il est vrai que si le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong><br />
la fertilit du mari a vraim<strong>en</strong>t ét. ces réstatancos Lncon—<br />
sci<strong>en</strong>tes soit moindres, mais,comme on l’a déjà dit,ce travail n’<br />
est pas <strong>en</strong>couragé.<br />
Pouquoi la culture occi<strong>de</strong>ntale actuelle préfère_t_elle<br />
recourir à a technosci<strong>en</strong>ce plutat qu’aux rapports liunains? La<br />
question <strong>de</strong> jIfl est—elle do savoir cn;pv,,<strong>en</strong>t surmonter médicale<br />
m<strong>en</strong>t telle ‘onne do térllité, ou do savoir co:nmm<strong>en</strong>t donner socia<br />
lem<strong>en</strong>t un efant à un couple qui ne peut <strong>en</strong> avoir par lui—,nm<br />
007<br />
Le 1ooud du paradoxe lAD, dans la version CEcOS, ti<strong>en</strong>t<br />
au fait quo la procréation y est médicalisée <strong>en</strong> mâmne temps que<br />
son vecteur biologique est tout à la fois utiljs,j (le sperme)<br />
ot dénié (la “dose”).<br />
Etl équation “réussite grossosso’• qui sous—tond toute<br />
la pratique <strong>de</strong> i’IAD n’est nécessairem<strong>en</strong>t vraie que dans la per<br />
spective du biologismec. D’autres “réussites” sont possibles au<br />
plan <strong>de</strong>s personnes, mais il ne leur est donné d’apparattro co,n—<br />
me solutjon qu’après que le travail do <strong>de</strong>uil a été accompli. La<br />
réussite pett alors pr<strong>en</strong>dre d’autres formes quo ta grossesse, Le<br />
r<strong>en</strong>oflc<strong>en</strong>,ant ait cIÇf r .1’ minfamit , 1 ‘ .tIop t Loti, vo t ro mnymmo L t, dl vo rcu.<br />
-<br />
C’est dire que la question à laquelLe répond l’iAn n’est<br />
pas <strong>de</strong> savoir comm<strong>en</strong>t donnor une <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>tiance à un couple dont la<br />
stérilité est d’origine masculine, mais plUt6tdo savoir comm<strong>en</strong>t<br />
un couple strila peut <strong>en</strong>tror dans une relation do filtiitiori.<br />
LI4I n’est qu’une dos réponses possibles à cotte question<br />
plus générale. Mais elle apparait comme la Seule réponse si l’on<br />
cèdo au biologisme amblant.<br />
— 139 —<br />
Les étu<strong>de</strong>s anthropologiques montr<strong>en</strong>t que chaque cul<br />
ture découpe à sa façon la par<strong>en</strong>tal-té sur un support biologique.<br />
“A dire vrai, écrit F. H4ritier(1), <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors du rapport physi<br />
que qui unit la mère à ses <strong>en</strong>fants (gestation, mise au ,non<strong>de</strong> et<br />
allaitem<strong>en</strong>t), ri<strong>en</strong> fl’est naturel, nécessaire, biologiquem<strong>en</strong>t<br />
fondé dans l’institution familiale lorsqu’on y regar<strong>de</strong> <strong>de</strong> près.<br />
:-Immie le li<strong>en</strong> bi.otogtque mère—<strong>en</strong>fant n’a pas partout la mime pré<br />
gnance”. Tout se passe comme si l’institution familiale apportait<br />
une multiplicité <strong>de</strong> réponses aux désirs fondam<strong>en</strong>taux <strong>de</strong> l’espèce<br />
humaine (désir sexuel, désir <strong>de</strong> reproduction) ainsi quaux néces—<br />
sités propres à sa. survie (faire vivra ot élever tes <strong>en</strong>fants).<br />
Or il existe à travers te mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> multiples sociétés dont les<br />
solutions heurt<strong>en</strong>t nos évi<strong>de</strong>nces. Ainsi, note le marne auteur, ii<br />
va <strong>de</strong> soi, pour nous occi<strong>de</strong>ntaux du XXème siècle, que le “noyau<br />
dur” <strong>de</strong> la famille ti<strong>en</strong>t dans les quatre propositions suivantes:<br />
i) les part<strong>en</strong>aires <strong>de</strong> jujofl conjugale sont <strong>de</strong> sexe différ<strong>en</strong>t;<br />
2) cotte union no se noue quontre vivants; 3) le géniteur <strong>de</strong>s<br />
<strong>en</strong>fants est normalem<strong>en</strong>t leur père; 4) la famille conjugale (pè<br />
re, mère, <strong>en</strong>fants) est l’uni-té rési<strong>de</strong>ntielle et économique élé<br />
m<strong>en</strong>taire par laquelle pass<strong>en</strong>t l’éducation et lh6ritage. Or l’ex<br />
péri<strong>en</strong>ce ethnologique montre qu’aucun <strong>de</strong> ces principes uni<br />
versellem<strong>en</strong>t admis: les découpages multiples <strong>de</strong> la famille sur<br />
son support biologique fourniss<strong>en</strong>t chacun une ou plusieurs solu<br />
tions à la question do savoir comm<strong>en</strong>t assurer une <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dance à<br />
un humain stérile.<br />
Sur cet arrière—fond, IAfl apparait comme une manifesta—<br />
ti<strong>en</strong> d’un biologiaitie inavoué qui- escamota ou discrédite <strong>de</strong>a alter—<br />
nativo concrètes comme le remariage ou l’adoption.<br />
En définitive, la question qui émerge <strong>de</strong> la problématique<br />
lAD est <strong>de</strong> savoir pourquoi la réponse occi<strong>de</strong>ntale actuelle est une<br />
réponse médicale.<br />
Il serait prématuré <strong>de</strong> répondre à cotte <strong>de</strong>rnière question,<br />
mais une hypothèse pourrait apparattre si l’on se <strong>de</strong>mandait qui<br />
sont les véritables bénéficiaires <strong>de</strong> l’IAIJ. Sont—ce les <strong>en</strong>fants
— l’a)<br />
conçus par ce moyon? Ri<strong>en</strong> n’est moins certain puisquils sont<br />
exclus <strong>de</strong> lur origine génétique. Los donneurs? Ils sont, eux,<br />
privés <strong>de</strong> l dim<strong>en</strong>sion humaine <strong>de</strong> leur don. Les par<strong>en</strong>ts? S’il<br />
est vrai qu’on leur donne ainsi une “<strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dance”, ils sont, du<br />
moins pour lia plupart, privés <strong>de</strong>s noyons d’assumer la transgres<br />
sion que l’AD leur fait commettre. Il reste les mé<strong>de</strong>cins et les<br />
institution médicales. Co sont pout—atre eux les vrais b,Snéfi—<br />
ciairos do 4’IAIJ, car leur impuissance face à la mort peut tre<br />
voilée quanc elle se prés<strong>en</strong>te sous les traits <strong>de</strong> la stérilité<br />
masculine. L’IAl) panse la blessure narcissique que leur inflige<br />
leur impuisance face aux hommes stériles. Nous n’y verrions<br />
pas djflcoflvfljet si cette satisfaction ne leur était accordée<br />
au détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong> ceux qu’ils prét<strong>en</strong><strong>de</strong>nt ai<strong>de</strong>r.<br />
V luwo<br />
G<strong>en</strong>eviève Delaisi <strong>de</strong> Parseval<br />
Psychanalyste<br />
ean.-François Maiherbo<br />
Professeur à l’Université <strong>de</strong><br />
Louvain<br />
Directeur du <strong>C<strong>en</strong>tre</strong><br />
Bioéthiques <strong>de</strong> Louvain—<strong>en</strong>—Wo—<br />
(Bruxelles)<br />
— i4i —<br />
1. LADRIER, J., Les <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> la rationalité, Paris, Aubier!<br />
Unesco, 1977.<br />
2. CASTO1lIADIS, C., La crise <strong>de</strong>s sociétés occi<strong>de</strong>ntales, in<br />
Politique internationale, n°15, printemps 1982, pp. 131—1I7.<br />
3. NIlTZSCITE, F., Le Gai savoir, Aphorisme n°125.<br />
4. Docum<strong>en</strong>tation G. <strong>de</strong> Parseval.<br />
5. Cf. l’exposé donné par le Professeur R. SCTTOYSMAN le 25 oc<br />
tobre 1983 dans le cadre du séminaire “Mé<strong>de</strong>cine et procréa<br />
tion” dirigé par J.—F. MALIIEIU3E au <strong>C<strong>en</strong>tre</strong> d’Etu<strong>de</strong>s Bioéthi<br />
ques <strong>de</strong> Louvain—<strong>en</strong>—Woluwe (Bruxelles).<br />
6. Le système A est celui <strong>de</strong>s CES et le système B est celui<br />
du Professeur R. SCHOYSMAN (cf. notes k et 5).<br />
7. lAC = insémination artificielle au sein du couple, ou “<strong>en</strong><br />
dogame”, c’est—à—dire avec le sperme du part<strong>en</strong>aire.<br />
8. Cf. les ouvrages <strong>de</strong> l’un d’<strong>en</strong>tre nous: La part du père, Pa<br />
ris, Le Seuil, 1982, et L’<strong>en</strong>fant à tout prix, Le Seuil,<br />
1983 (G<strong>en</strong>eviève Delaisi <strong>de</strong> Parseval).<br />
9. Ra adaptant la formule du Professeur J. <strong>de</strong> AJURIAGUERRAI<br />
“C’est l’<strong>en</strong>fant qui fait la mère”.<br />
1O.”Les mille et une formes <strong>de</strong> la famille”, in Le Mon<strong>de</strong>, 24 dé<br />
cembre 1975.<br />
NOT ES
LES INTELLEruELs I’ LA “PllOPflIrIE”<br />
par Phitippe NEMO
Introiluetion<br />
I — La “prophétie”. De bergaon à Atian<br />
Il — Les intellectuols, prophètes <strong>de</strong>s<br />
temps mo<strong>de</strong>rnes<br />
III — Les conditions le l’innovation in—<br />
teHectut,j le<br />
IV — L’expression do L’innovation intel<br />
lectuelle<br />
1) L’intellectuel icrit <strong>de</strong>s livres<br />
dont la tonne typique est te5i<br />
2) L’intellectuel intervi<strong>en</strong>t ponc—<br />
V — ConclusIon<br />
tuetLa,n<strong>en</strong>t dans le débat public.<br />
Ler6le do la Presse.<br />
i) L’,5volutionjsmo<br />
2) La personnaijt do l’intellectuel<br />
145<br />
1 50<br />
170<br />
194<br />
196<br />
212<br />
228<br />
228<br />
236<br />
— 1I5 —<br />
INTRODUCTIO1I<br />
La question <strong>de</strong>s intellectuels n souv<strong>en</strong>t été traitée ces dan—<br />
nièros Je voudrais la repr<strong>en</strong>dre ioi <strong>en</strong> y apportant l’intel<br />
ligibilité spécifique que fourniss<strong>en</strong>t, d’une part, les concepts d’auto—<br />
organisation et <strong>de</strong> création d’ordre à partir du caon(2), et<br />
part ceux d”institution olérioale” et <strong>de</strong> morphog<strong>en</strong>èse spontanée <strong>de</strong>s<br />
doctrines à partir <strong>de</strong> la mémorisation <strong>de</strong>s valeurs et schèmes <strong>de</strong> compor<br />
tem<strong>en</strong>t bénéfiques dans un univers social indéterntiniste. Le prés<strong>en</strong>t<br />
article <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d décrire la seule première phase <strong>de</strong> ce prooessus <strong>de</strong><br />
phog<strong>en</strong>èse spontanée”.<br />
Ce que les “intellectuels” on-t <strong>de</strong> propre, par rapport aux<br />
autres spéoialistes <strong>de</strong>s idées, c’est <strong>de</strong> oréeir <strong>de</strong>s théories nouvelles,<br />
d’inv<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s modèles originaux fournissant une intelligibilité<br />
inédite et fécon<strong>de</strong> du réel, <strong>de</strong> résoudre <strong>de</strong>s problèmes<br />
I. Par exemple Régis Debray, Le Pouvoir intellectuel <strong>en</strong> Franoe, Ramsay,<br />
1979; Le Scribe, Oraset, 1980, Prançois llourrioaud, Le bricolage<br />
idéologique. Essai sur las intellectuels et les passions démoorati—<br />
, P.U.?., 1980e II. Ha,non et P. Rotman, les Intellocratea.<br />
2. Pour une prés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> ces concepts que je croi,s utilisable pour<br />
les problèmaB soulevés ici, of. Il<strong>en</strong>ri Atlan, Entre le cristal et<br />
la fumée (Seuil, 1979), spécialem<strong>en</strong>t oh. 5 “Conpoi<strong>en</strong>oe et désirs<br />
dans les systèmes auto—organisateurs”; oh. 8,”l{y-percornplexité et<br />
soi<strong>en</strong>ee <strong>de</strong> l’homme”; oh. II: “Isral <strong>en</strong> question”.<br />
3. Cf. Philippe Nemo, “Le concept <strong>de</strong> oléricature”, Cahiers du C.R.E.A.<br />
n°2, juin 1983; Jean—Marie Dom<strong>en</strong>ach et Philippe Homo, Prés<strong>en</strong>tation<br />
du séminaire “Reproductions et ruptures culturelles”, C.R.H.A.,<br />
septembre 1983.
—11a6—<br />
nouvoau4 par <strong>de</strong>s solutions elLo—inmes nouvelles (cette formula<br />
tion n’st pas redondante), spécialem<strong>en</strong>t d’apporter, <strong>en</strong> temps<br />
<strong>de</strong> “crie”, la réponse adaptée quo tout le mon<strong>de</strong> att<strong>en</strong>d plus<br />
ou moins obscurém<strong>en</strong>t(l). L’intellectuel réagit aux maux, diffi<br />
cultés oj autros obstacles du prés<strong>en</strong>t on formulant pour la pre—<br />
mièro foL <strong>de</strong> façon explicite et articulée les problèmes Lie la<br />
non—résolution <strong>de</strong>squels, dit—il, les malheurs du t<strong>en</strong>ips sont la<br />
conséquerco. Si l’homme, seLon Karl J’opper, est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />
un “problomnsolver”, l’intetioctuol est celui qui résoud<br />
problàme collectifs par <strong>de</strong>s solutions qui ont eltos—mâmes voca<br />
tion à tre Collectivisées.<br />
C’esti ainsi quun professeur, par exemple, n’est pas, <strong>de</strong> soi,<br />
un intellctuol — malgré un certain flottem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’usago ordi<br />
naire du ermo à cet égard. Ni un journaliste cormiinontant l’ac<br />
tualité. i mime un sci<strong>en</strong>tifique travaillant dans le cadre <strong>de</strong><br />
la “sci<strong>en</strong>G$ normale” (ce <strong>de</strong>rnier concept est applicable, selon<br />
nous, aux sci<strong>en</strong>ces socialos). Seul est un intellectuel au s<strong>en</strong>s<br />
fort du terme l’”lmomme d’idées” qui trouve, pour la société glo<br />
bale, <strong>de</strong>s solutions inéditos à <strong>de</strong>s problèmes intellectuels non—<br />
classiques que pose, <strong>de</strong> façon conting<strong>en</strong>te, non—prédictible,<br />
1 ‘actuaiitS.<br />
Ce quirevi<strong>en</strong>t à dire; i) qu’il y a, <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong> tels pro<br />
blèmes, dorc que l’univers social est <strong>en</strong> évolution et “ouvert”,<br />
et 2) que 4es problèmes, quand l’intellectuel intervi<strong>en</strong>t, sont<br />
<strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s et qu’il importe à quelque <strong>de</strong>gré pour le bi<strong>en</strong> do<br />
la ocitd u’ils soi<strong>en</strong>t effoctivern<strong>en</strong>t résolus.<br />
J. CC. J oan-îlarie lXj,qlNACll, “Nature et u,iesuru <strong>de</strong> La crise”,<br />
cours prb fossé à I ‘ lco I e loi y teclun iqume
— 11111 —<br />
donner un réponse; que si lui—i,,me no te fait pas, et mainte<br />
nant, poronne d’autre no lu Cura à sa place; ou que d’autros<br />
le feront mais moins bi<strong>en</strong>, parce qu’ils n’ont pas les mêmes<br />
clefs, ot. Cotte “capacité <strong>de</strong> responsabilité”nppar<strong>en</strong>to l’intel—<br />
loctuel à l’homme d’action et singulièrerii<strong>en</strong>t à l’homme politique,<br />
malgré ce ni, trop évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, 1s distingue. L’intellectuel<br />
est plus proche du politique, à certains égards, quo du profes—<br />
seurp com,n Nietzsche l’a bi<strong>en</strong> vu.<br />
Les déats classiques (B<strong>en</strong>da, Sartre... ) sur 1’”<strong>en</strong>gage—<br />
m<strong>en</strong>t” <strong>de</strong> sont donc <strong>en</strong> général mal formulés. Un<br />
intellectuel ne peut pas ne pas tre <strong>en</strong>gagé. Il ne peut y avoir<br />
débat que ur la nature et le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t (participa—<br />
ti<strong>en</strong> à clesactions’ adhésion à un parti, dosage <strong>de</strong>s livres thé—<br />
oriquess.e <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> circonstance, etc.). Un signe <strong>en</strong> est<br />
que l’intolilectuel a toujourl clos adversaires. ln effet, il a le<br />
s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la singularité dos instants, <strong>de</strong> l’irréversibilité du<br />
temps, <strong>de</strong> lia<br />
conting<strong>en</strong>ce do l’action et <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> l’liom—<br />
me dans un Inon<strong>de</strong> où tout n’est pas déjà écrit. li fait donc do<br />
son discour, consciemm<strong>en</strong>t, un acte, <strong>de</strong> nature à modifier le cours<br />
<strong>de</strong>s choses.<br />
11l doit donc r<strong>en</strong>contrer <strong>de</strong>s adversaires sur son che<br />
min. Par coitrasto, le spécialiste <strong>de</strong>s coléoptères n’a quo clos<br />
critiques, cu <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s rivaux, dont l’inimitié obéit à une le—<br />
gigue extrirsèqime à sa thiiorio.<br />
gn tant qu’innovant, l’intellectuel s’avanco ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />
à découvert ‘et ne peut s’att<strong>en</strong>dre à tre sout<strong>en</strong>u par clos insti—<br />
tuti ons. “A c!écpuvort” cuit I ‘nxprossi on ndmSquato: ,mitqnn si I ‘ in—<br />
tellecttiel est très cultivé (nous verrons qu’il faut qu’il le<br />
— 149 —<br />
soit) et ses livreB trèa riches <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>oes, il no se prés<strong>en</strong>te<br />
pas, à la différ<strong>en</strong>ce du “clerc<br />
5, comme étant dans la <strong>de</strong>so<strong>en</strong>dance<br />
d”autorjtés” traditionnelles et couvert par elles. Il parle <strong>en</strong><br />
son nom propre (év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t au nomim d’un groupe, mate toujours<br />
d’hommes vivants et <strong>en</strong>gagés, courant le mime “risque” que lui).<br />
De là découl<strong>en</strong>t un certain nombre <strong>de</strong> caraotéristiques formelles<br />
<strong>de</strong> son discours.<br />
Noue rapprochons le discoure <strong>de</strong> ainsi<br />
rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t oeraotérisé, <strong>de</strong> la prophétie.
— 150 —<br />
I — LA. ‘PflOP7flpIE’. n1 BEur.son A ATLN.<br />
—------------<br />
L”intellectuel est le prophète <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes. Ce n’est pas<br />
seulemey,-t une image. Nous pourrions dire, <strong>en</strong> s<strong>en</strong>s inverse, que le pro<br />
phète ejt l’intellectuel <strong>de</strong>c temps relipieux. Les <strong>de</strong>ux formules n’ont<br />
<strong>de</strong> s<strong>en</strong>s que si l’on ne se mépr<strong>en</strong>d pas sur la fonction du prophète bibli<br />
que. Celtj—ci ne se définit pas ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t par sa capacité à “pré<br />
dire” cette capacité mme dérive d’une autre capacité, qui<br />
est <strong>de</strong> fjurnir, à une situation collective antique, une réponse origi<br />
nale, qui sera tèt ou tard perçue comme vraie par les contemporains,<br />
<strong>en</strong>tralnajt leur adhésion. Une foie celle—ci acquise, l’histoire pr<strong>en</strong>dra<br />
la forme qu’aura forgée l’imagination créatrice du prophète et celui—ci<br />
paraîtra étrospectjvem<strong>en</strong>t avoir annoncé l’av<strong>en</strong>ir (“prophétie auto—réalj...<br />
satrioe”).<br />
Le ophèts est dono comme l’artiste qui Crée un style, OU Comme<br />
l’homme politique qui provoque une situation irréversible. Tous “chan<br />
g<strong>en</strong>t le pasage”, font “basculer” les situations indécises. F spécifi<br />
cité du prophète, par rapport à ces autres acteurs <strong>de</strong> l’histoire, est<br />
dune l’unjveru do j,lées et <strong>de</strong>s doctrines et d’avoir pour<br />
moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> cette interv<strong>en</strong>tion le seul discours (le discours verbal ou,<br />
comme nous le verrons, les “signes”). Mais il est, comme eux, ess<strong>en</strong>tiel<br />
lem<strong>en</strong>t, un cr,ateur. Les théorise qu’il inv<strong>en</strong>te sont <strong>de</strong>s “émerg<strong>en</strong>ces”.<br />
Il y là un problème <strong>de</strong> “logique <strong>de</strong> l’oranjsation <strong>de</strong>s syetèmœn<br />
vivante” qu je ne peux abor<strong>de</strong>r pour liil—mêmno, mais polir lequel je vos—<br />
I. Pour uneprés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> ce modèle <strong>de</strong> ‘causalité circulaire”, cf. Jean—<br />
Pierre flipuy, Ordres et déaordrea, Seuil 19R2, p.p. I2—I62. Noue ne<br />
nous int,resmuon pas <strong>en</strong>core, dans cet article, au r;r000ssus par lequel<br />
— 151 —<br />
émis dès à prés<strong>en</strong>t donner quelques référ<strong>en</strong>cem.<br />
+++<br />
llergson avait déjà déployé la notion d’innovation culturelle dans<br />
une sooiété humaine considérée sous l’angle <strong>de</strong> la vie, dans “Les Deux<br />
sources <strong>de</strong> la morale et <strong>de</strong> la religion”’.<br />
Dans une “société ouverte” où domine la “morale ouverte”, les prophètes<br />
et les héros cré<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s courants nouveaux représ<strong>en</strong>tant une émerg<strong>en</strong>ce<br />
absolue; ils <strong>en</strong>train<strong>en</strong>t l’histoire à leur suite. Di<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, le langage<br />
théorique <strong>de</strong> Ïlergson a vieilli, et dutre part son assimilation <strong>de</strong> la<br />
“vie” à un principe divin (qui. lui fait désigner les créateurs comme<br />
<strong>de</strong>s “mystiques”) ne peut recueillir comnie telle l’approbation directe<br />
<strong>de</strong>s biologistes (pas plus que celle, sans doute, <strong>de</strong>s théologi<strong>en</strong>s).<br />
Plusieurs traits sont néanmoins à ret<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> son analyse. D’abord<br />
l’idée même <strong>de</strong> “société ouverte” (que Karl Popner a reprise à Bergaon,<br />
dans un autre contexte certes, mais <strong>en</strong> lui empruntant plus <strong>de</strong> cont<strong>en</strong>u<br />
théorique qu’on ne croit ordinairem<strong>en</strong>t(2)). La société et la morale qui.<br />
y règn<strong>en</strong>t sont “ouvertes” dans la mesure où il s’y crée du nouveau.<br />
la prophétie <strong>en</strong>traîne l’adhésion, “pr<strong>en</strong>d”, se collectivise, fait conver<br />
ger les m<strong>en</strong>talités vers un “point fixe” et ainsi se réalise. A ce problème<br />
t<strong>en</strong>tera <strong>de</strong> répondre la théorie <strong>de</strong> la “morphog<strong>en</strong>èse spontanée” <strong>de</strong>s doctri<br />
nes et du phénomène collectif <strong>de</strong> l’exégèse. Nous aurons alors à repr<strong>en</strong><br />
dre, sous cet angle, l’analyse <strong>de</strong>s “prophétisa auto—réalisatrices”. Nous<br />
voulons d’abord étudier ioi. la prophétie <strong>en</strong> elle—.i%me, <strong>en</strong> son émerg<strong>en</strong>ce<br />
solitaire.<br />
I. il<strong>en</strong>ri Dergaon, Les Deux sources <strong>de</strong> la morale et <strong>de</strong> la religion, Presses<br />
universitaires <strong>de</strong> I’rance. L’édition séparée<strong>de</strong> 194i et l’oeuvre insérée<br />
dans les Oeuvres philosophiques comi.lètes (1959) port<strong>en</strong>t la mème pagina<br />
tion. Ce texte set ci—après cité D.S.<br />
2. Cf. Karl Popper, l,a Société ouverte et ses <strong>en</strong>nemis, Seuil 1979, p.1<br />
67.
— 152 —<br />
Si i’éternl retour caractérise les sociétés archnïquea ou “statiques”,<br />
l’hindouisne et le bouddhisme, la Grèce, le prophétisme hébreu, <strong>en</strong>fin<br />
le christianisme sont chacun à leur manière <strong>de</strong>s accès <strong>de</strong> création, par<br />
lesquels la pério<strong>de</strong> la plus réc<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’histoire cosmique innove fonda—<br />
m<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t sur les pério<strong>de</strong>s antérieures. Le grand courant créateur <strong>de</strong><br />
la vie s’y ianifeste par <strong>de</strong>s “poussées” qui vont, à chacune <strong>de</strong>s étapes<br />
citées, <strong>de</strong> lue <strong>en</strong> plus loin.<br />
Ce cotrant s’exprime, selon Bergson, à travers <strong>de</strong>s individualités.<br />
“On peut suposer que le développeriitnt <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée grecque fut l’oeuvre<br />
<strong>de</strong> la seule raison et qu’à câté <strong>de</strong> lui, indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lui, se produi<br />
sit <strong>de</strong> loin <strong>en</strong> loin chez quelques n,es prédisposées un effort pour aller<br />
chercher, par <strong>de</strong>là liflte11jgeflce, une vision, un contact, la révélation<br />
d’une réalit transc<strong>en</strong>dante”(D.S. p.232). Cette évolution n’est donc pas<br />
collective, plle concerne d’abord “un petit nombre <strong>de</strong> privilégiés” (n.s.<br />
p. 250).<br />
Luinnrni’ation a vocation à se répandre, à se collectiviser et <strong>en</strong><br />
même temps àm’intellectualiser (conformém<strong>en</strong>t à la doctrine constante<br />
<strong>de</strong> Ilergoon sr l’intellig<strong>en</strong>ce “retombée” do l’intuition). C’est ainsi<br />
que naiss<strong>en</strong>t les doctrines religieuses, qui n’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t pas les croyances<br />
religieuses nais <strong>en</strong> représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t nu contraire la traduction pour le grand<br />
nombre: “Nous nous représ<strong>en</strong>tons la religion comme la cristallisation,<br />
opé’ée par un refroi.issem<strong>en</strong>t savant, <strong>de</strong> ce que le mysticisme vint dépo<br />
ser, brûlant,dans l’âme <strong>de</strong> l’humanité’ (n.s. p. 252); “La religion est<br />
au mysticisme ce que la vulgarisation est à la sci<strong>en</strong>ce” (n.s. p.253).<br />
Borgson <strong>en</strong>volmppant (lans la notion <strong>de</strong> “mysticisme” toute émerg<strong>en</strong>ce au—<br />
— 153 —<br />
th<strong>en</strong>tiquem<strong>en</strong>t créatrice (y compris, à certains égards, la philosophie<br />
grecque), il est permis <strong>de</strong> donner une portée générale à ces idées <strong>de</strong><br />
“cristallisation” et <strong>de</strong> “vulgarisation”. Nous les retrouverons dans toute<br />
lanalyme <strong>de</strong> la constitution <strong>de</strong>s courants culturels.<br />
Chez les grands crétrurs — autre trait souligné par Bergson — se<br />
r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t la p<strong>en</strong>sée et l’action, <strong>en</strong> un “élan” indivisible. “Pour franchir<br />
1nerva11e <strong>en</strong>tre la p<strong>en</strong>sée et l’action il fallait un élan... Nous trou<br />
vons cet élan chez les prophètes. Le christianisme.., dut <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie<br />
aux prophètes juifs d’avoir un mysticisme agissant, capable <strong>de</strong> marcher<br />
à la conquête du mon<strong>de</strong> (D.s. p. 255). Le “mystique” s<strong>en</strong>t que, simplem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> p<strong>en</strong>nant ce qu’il p<strong>en</strong>se, et <strong>en</strong> disant ce qu’il dit, il change ipso fkcto<br />
le coure <strong>de</strong>s choses.<br />
Cette assurance, cette persuasion d’tre situé au point précis où<br />
les choses hésit<strong>en</strong>t et sont prâtes à basculer, font <strong>de</strong> lui indissociable—<br />
m<strong>en</strong>t un “contemplatif” et un “conquérant”. Car sa “sci<strong>en</strong>ce”, qui lui ins<br />
pire son discours , n’est pas intellectuelle et ne résulte pas d’une<br />
rationalité déductive. Elle est “innée”. Cet homme qui passera rétrospec<br />
tivem<strong>en</strong>t, au vu <strong>de</strong>s transformations <strong>en</strong> chaîne quil aura provoquées, pour<br />
un acteur <strong>de</strong> l’histoire et nême pour un hoame politique (songeonm par<br />
exemple aux grands saints créateurs religieux), est tout le con<br />
traire d’un esprit rusé ou <strong>en</strong> général oalculateur. Le créateur est innoc<strong>en</strong>t.<br />
“Une sci<strong>en</strong>ce innée, ou plutat une innoc<strong>en</strong>ce acquise, lui sugpère du premier<br />
coup la démarche utile, l’acte déoisif, le mot sans réplique” (.s. p.24<br />
Il comm<strong>en</strong>ce ainsi une nouvelle histoire plutût qu’il n’agit dans<br />
6).<br />
l’histoire. Mais il fait ceci à partir d’une capacité, non à faire à pro<br />
prem<strong>en</strong>t parler “table rase” du passé, mais à ne pas <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir compte consciem—
m<strong>en</strong>t, à n pas raisonner selon les schémas consci<strong>en</strong>te et collectivem<strong>en</strong>t<br />
mémorisée qui gui<strong>de</strong>nt l’homme ordinaire. Mais pour que les nouveaux<br />
schémas qi’il propose ai<strong>en</strong>t pour effet <strong>de</strong> laisser ses contemporains<br />
“sans réplique”, il faut qu’ils ai<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> fait, une vertu <strong>de</strong> vérité. Il<br />
faut qu’i)a repréa<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tune adaptation effective à une situation nouvelle,<br />
quils ré olv<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s problèmes <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s, qu’ils r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt<br />
effectiv<strong>en</strong><strong>en</strong>t intelligible une situation perçue par le plus grand nombre<br />
comme chaotique (et pénible ou dangereuse). C’est parce que les contempo<br />
rains reco naiss<strong>en</strong>t que le problème est effectivem<strong>en</strong>t résolu et que <strong>de</strong><br />
nouvelles erspectives s’ouvr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>vant eux, qu’ils rest<strong>en</strong>t<br />
“sans répl que”.<br />
— 154<br />
Cette capqcité <strong>de</strong> partir d’un nouveau pied, à partir du sil<strong>en</strong>ce ou<br />
<strong>de</strong> loublijmpo à l’anoi<strong>en</strong>ne culture, Bergson la rapproche curieusem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> la “nuit <strong>de</strong> l’esprit” <strong>de</strong>s mystiques. “L’êjna,.. no se r<strong>en</strong>d pas compte<br />
du travail profond qui s’accomplit obscurém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> elle. Elle s<strong>en</strong>t quelle<br />
a beaucoup perdu; elle ne voit pas <strong>en</strong>core que c’est pour tout gagner.<br />
Telle est Za “nuit obscure” dont les grands mystiques ont parlé” (i.s.<br />
p.245). Le il<strong>en</strong>ce, l’oubli, le rejet diSe schémas appris sont l’ingrédi<strong>en</strong>t<br />
nécosijajro 1o lu crétit ion. Ilorgoon ne tnijpèro piu quo la critIiun (lOiVO<br />
effectiveme t supprimer le passé <strong>de</strong> façon radicale; dans ouvrages,<br />
et dès l’Essai surles données immédiates <strong>de</strong> la consci<strong>en</strong>ce, il montre au<br />
contraire que la création, pour n’être pas répétition pitre et simple et<br />
recomin<strong>en</strong>cem nt <strong>de</strong> à zéro, doit être <strong>en</strong> un sans l’expression do<br />
tout le pas é. Maie il insiste, avec une netteté extrême, mur le fait que<br />
cette prise <strong>en</strong> compte du pasiii fl’eiit pas, dans l’acta créteur, consci<strong>en</strong>te.<br />
Ce qui veut dire que le passé n’intervi<strong>en</strong>t pas, dans l’acte libre et cré<br />
ateur, comme un principe, comme un <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> prémisses pour un raisonne<br />
m<strong>en</strong>t. Il n’est pas, comme tel, pourvu <strong>de</strong> s<strong>en</strong>s, et n’intervi<strong>en</strong>t dans la<br />
création qu’à la faveur d’un mécanisme dont Bergson n’a pas, semble—t—il,<br />
élucidé le secret. Et pour que la parole nouvelle tranche, il lui faut<br />
un fond <strong>de</strong> sil<strong>en</strong>ce ou <strong>de</strong> “nuit” la libérant parce que lui permettant <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s formes nouvelles sans interfér<strong>en</strong>ces avec les anci<strong>en</strong>nes. Le<br />
“mystique”, et le crétaeur <strong>en</strong> général, ne seront pas hommes d’école, <strong>de</strong><br />
référ<strong>en</strong>ce, <strong>de</strong> “secon<strong>de</strong> main”.<br />
Nous retrouvons, autrem<strong>en</strong>t formulés et à vrai dire plus olairem<strong>en</strong>t<br />
et nettem<strong>en</strong>t articulés, tous ces traits dans l’analyse d’llonri Atlan,<br />
qui d’ailleurs se refere explicitem<strong>en</strong>t a Bergson<br />
Je signale d’abord un certain inachèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette analyse. Bio—<br />
physioi<strong>en</strong> et théorici<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’auto—organisation, Atlan n’applique qu’avec<br />
pru<strong>de</strong>nce les concepts <strong>de</strong> cette théorie à <strong>de</strong>s “systèmes humaine” collectifs.<br />
L’articulation la plus nette d’une théorie <strong>de</strong> ou <strong>de</strong> la créa<br />
tion comme réponse adaptative d’un système vivant aux modifications alé<br />
atoires <strong>de</strong> son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t oct faite à propos du psychisme individuel<br />
et <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> volonté individuelles(2). Néanmoins,<br />
à l’occasion <strong>de</strong> remarques sue nous citerons et surtout dans les <strong>de</strong>rniers<br />
chap5tres du livre consacrés à Israêl et au peuple juif, Atian parait<br />
considérer les sociétés elles—mêmes comme systèmes vivants auto—organisés<br />
dans lesquels l’innovation obéit à la même logique fondam<strong>en</strong>tale,<br />
I. Cf. il<strong>en</strong>ri Atlan, Entre le cristal et la fumée, op. oit., s.17<br />
2. Cf. il<strong>en</strong>ri Atlan, on. cit., Ch.5: “Consci<strong>en</strong>ce et désirs dans les systè<br />
mes nuto—oranisateurs”.<br />
— ‘55 —<br />
(I)
Il évoque l<br />
alités. Il<br />
rêle que jou<strong>en</strong>t, dans l’innovation collective, les individu—<br />
Ite expressém<strong>en</strong>t les “prophètes” et les “sci<strong>en</strong>tifiques”.<br />
Lana4.se comme celle <strong>de</strong> Tiorgaon, suppose un univers<br />
“ouvert” et n évolution. Les système:i vivants, dans un tel univerj, sont<br />
confrontés a changem<strong>en</strong>t et à l’aléatoire dans leur <strong>en</strong>vjroanem<strong>en</strong>t et con<br />
tribu<strong>en</strong>t eux<br />
4e,mes à apporter le changem<strong>en</strong>t. Leur problème est d’intégrer<br />
l’aléatoire dans un “ordre nouveau” tel que l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t modifié re<strong>de</strong><br />
vi<strong>en</strong>ne intellgjble et que lorg5flj55 puisse <strong>de</strong> nouveau y opérer <strong>de</strong> fa<br />
çon adaptée. ‘émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> cet ordre nouveau est l’auto_organisatj<br />
0<br />
“L’auto—orpaneatjon n’est qu’un processus <strong>de</strong> création et <strong>de</strong> stabilisatj,n<br />
<strong>de</strong> la nouveau é... Le futur n’est pas construit par une volonté consci<strong>en</strong>te<br />
mais par un processus dans lequel l’inconnu, l’aléatoire inorganisé peut<br />
se transformer<br />
— 156 —<br />
1 <strong>en</strong> un ordre connu et organisé” (p.174). ce qui a lieu —<br />
c’est l’exempl privilégié — dans l”approntissape non—dirigé”.<br />
Or, dit Atlan, “dans l’ordre <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée l’appr<strong>en</strong>tissage non—dirigé<br />
est à l’oeuvre dans la reoherche intellectuelle et artistique. Il permet<br />
lintégratjon, apparemm<strong>en</strong>t Paradoxale, du radicalem<strong>en</strong>t nouveau et contri<br />
bue ainsi chez les adultes à la création <strong>de</strong>s cultures. Il fait suite <strong>en</strong><br />
s’<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>cjant à l’éducatjy <strong>de</strong>a <strong>en</strong>fants, transmetteuse <strong>de</strong> culture”<br />
(p. 9). Lucréteur <strong>de</strong> culture — les intellectuels — sont donc <strong>de</strong>s liom—<br />
mes qui- d’une Prrt “appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t” — ce qui veut dire qu’ils intègr<strong>en</strong>t le<br />
réel et , ils ne cré<strong>en</strong>t pas “ex nihilo” — mais d’autre part appn<strong>en</strong>—<br />
n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> façon “mon—dirigée” — ce qui veut dire quils ne mett<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong><br />
forme ce réel e cet actuel par décalque et duplication <strong>de</strong> formes cultu<br />
relles déjà exitantes, Ils ne cré<strong>en</strong>t pas le réel, puisqu’ils appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> lui; mais il cré<strong>en</strong>t les formes nouvelles à travers lesquelles le réel<br />
va tre vu, compris et vécu. Ils cré<strong>en</strong>t les formes par rapport auxquelles<br />
les “brujt” <strong>de</strong> vont tre transformés <strong>en</strong> “informations”. Dénués<br />
<strong>de</strong> signification par rapport aux anci<strong>en</strong>s schémas, ces élém<strong>en</strong>ts nouveaux<br />
Seront désormais pourvus <strong>de</strong> signification.<br />
Atian parle, sinon <strong>en</strong> propres termes <strong>de</strong>s intellectuels, du moins<br />
<strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> livres: “Certains livres exprim<strong>en</strong>t plus que d’autres, <strong>en</strong><br />
mime tempe qu’ils précipit<strong>en</strong>t, les changem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue et retour<br />
nem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> perspective qui survi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée, ce<br />
que Foucault a appelé les mutations du savoir, que Kuhn appelle les chan<br />
gem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> paradigme” (p. 192). Atlan note que les découvertes sci<strong>en</strong>tifi<br />
ques ne sont pas <strong>de</strong>s créations ‘x flihilo; le créateur <strong>de</strong> paradigmes n’est<br />
pas le premier ni le seul à voir les faits nouveaux, aléatoires, inexpli<br />
cables, paradoxaux qui eont la “matière” <strong>de</strong> la découverte; mais il est<br />
le premier à les r<strong>en</strong>dre intelligibles, parce quil les rapproche les uns<br />
<strong>de</strong>s autres (il “fait le rapprochem<strong>en</strong>t”) et imagine la structure par rapport<br />
à laquelle ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une signification. Ce qui se produit lare d’une<br />
découverte, c’est que les connaiesanoem dont tous les élém<strong>en</strong>ts expérim<strong>en</strong><br />
taux et pratiques étai<strong>en</strong>t déjà prés<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>puis un temps qui peut être déjà<br />
long “sont revues sous un jour tout—à—fait nouveau, à la lumière <strong>de</strong> ques<br />
tions qui même pas soupçonnées et elles se rassembl<strong>en</strong>t alors<br />
tout naturellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un nouveau discours <strong>de</strong> façon.., naturelle et con<br />
traignante” (p. 193).<br />
— 157 —<br />
Le détail <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> ce processus <strong>de</strong> création n’est donné par<br />
Atian qu’au plan du psychisme individuel. Le plus remarquable est que 1’<br />
auto—organisation, <strong>en</strong> elle—même, est totalem<strong>en</strong>t inconmci<strong>en</strong>te. i’on<br />
I. Par définition, peut—on dire. Si la consci<strong>en</strong>ce interv<strong>en</strong>ait, il ne
—158—<br />
réserve l’appellation <strong>de</strong> “vouloir’ à la réponse adaptative actuelle <strong>de</strong><br />
lorganisre, il <strong>en</strong> résulte que “le véritable vouloir est inconsci<strong>en</strong>t.<br />
Les chose se font à travers nous. Le vouloir se situe dans toutes nos<br />
cellules, u niveau très précieém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs internctions avec tous les<br />
facteutis aéatoires <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. C’est là que l’av<strong>en</strong>ir se construit”<br />
(p. 140). nversem<strong>en</strong>t, “la consci<strong>en</strong>ce, prés<strong>en</strong>ce du connu, est <strong>en</strong> nous<br />
prés<strong>en</strong>ce di passé.., la consci<strong>en</strong>ce, c’est notre mémoire qui se manifeste<br />
au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong>la mémoire d’un ordinateur au mom<strong>en</strong>t où elle est utilisée<br />
dans une mite d’opérations” (ibid.; cf. l’expression “affichage <strong>en</strong><br />
mémoire”: n <strong>en</strong> mémoire que ce qui y est déjà inscrit). Pour<br />
le dire autem<strong>en</strong>t: la création est radicalem<strong>en</strong>t inconsci<strong>en</strong>te, la consci<strong>en</strong>ce<br />
est radicalem<strong>en</strong>t non—créative.<br />
Remarquons tout <strong>de</strong> suite ici que, transposée telle quelle au plan<br />
collectif , cette logique aboutirait à un paradoxe. Si la création dans<br />
la sootété tait pure spontanéité, cela signifierait qu’il n’y aurait pas<br />
<strong>de</strong> créateurs individuels. sociale se ferait “toute seule”,<br />
sans que peronne ne s’<strong>en</strong> r<strong>en</strong><strong>de</strong> compte et sans que personne ne joue un<br />
rêle spécia4 Or on sait bi<strong>en</strong> que ceci est faux. Il y n, <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong>s<br />
génies ou plts simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s êtres originaux, et qui dc plus sont souv<strong>en</strong>t<br />
consci<strong>en</strong>ts djnnover. D’ailleurs lui—même n’a—t—il pas parfois<br />
pleine consc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> créer du nolweau, <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>cer une histoire, d’être<br />
libre? Àtlan ésoud maint<strong>en</strong>ant ce paradoxe, et la solution qu’il<br />
lui donne au rlan individuel peut être transcrite, nous le verrons, au<br />
s’agirait pas d’auto—organination, d’un phénomène spontané,<br />
main do quelqae do provoqué, ayant dono un autre principe que coi.<br />
Ce serait unel hétéro—or,anisation.<br />
plan collectif.<br />
— 159 —<br />
Il y n <strong>en</strong> effet, nous dit—il main.t<strong>en</strong>ant, <strong>en</strong>tre cette mémoire—conoci<strong>en</strong>oe<br />
et cette faoulté inconoi<strong>en</strong>te dlauto—organisation, <strong>en</strong>tre ce pur “passé”<br />
et ce pur “av<strong>en</strong>ir”, <strong>de</strong>s interactions. Ce sont même ces interactions qui<br />
cbnstitu<strong>en</strong>t le psychisme proprem<strong>en</strong>t dit et lui donn<strong>en</strong>t une i<strong>de</strong>ntité dans<br />
le temps. “Ce sont ces interactions qui produis<strong>en</strong>t ces phénomènes hybri<br />
<strong>de</strong>s et seconds, non fondam<strong>en</strong>taux, que sont d’une part la consci<strong>en</strong>ce volon<br />
taire, utre part les phénomènes <strong>de</strong> dévoilem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> (p. 141).<br />
Que sont ces phénomènes hybri<strong>de</strong>s, que leur appellation<br />
guère a priori? Atian les décrit comme symétriques.<br />
I) Les processus auto—organisateurs, inconsci<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> principe,<br />
ergefltu dans certaines circonstances à la consci<strong>en</strong>ce: c’<strong>en</strong>t cette émer<br />
g<strong>en</strong>ce ciu’ktlan appelle “déilem<strong>en</strong>ta <strong>de</strong> jnconscj<strong>en</strong>t”, ou <strong>en</strong>core<br />
ou <strong>en</strong>core “volonté conaci<strong>en</strong>ie”. C’est dans ces circonstances que le psy—<br />
chime se s<strong>en</strong>t “libre”. Il innove et il sait qu’il innove.<br />
2) Mais cette “prise <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce” r<strong>en</strong>d possible un “stockage <strong>en</strong><br />
mémoire” <strong>de</strong>s structures ainsi émergées. Les structures mémoritiées inter<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite comme élém<strong>en</strong>ts favorisanif’ (ou bloquants, dans certains<br />
cas où Atlan dit quil y a “excès”) dans les processus auto—organisateurs<br />
inconsci<strong>en</strong>ts eux—mêmes<br />
<strong>de</strong> mémoires surajoutées qui permet<br />
<strong>de</strong>s reproductions sur moules augm<strong>en</strong>te toujoiire efficaOit <strong>de</strong>s processus<br />
<strong>de</strong> création d’organisation, <strong>en</strong> ntabilisant <strong>de</strong>s structures suooessives qiii<br />
autrem<strong>en</strong>t, apparaitrai<strong>en</strong>t mais dioparaitrai<strong>en</strong>t aussi vite” (p. 142). L’in<br />
terv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> ces “stocks”, comme “souø—PDOgrafllmes”, au milieu <strong>de</strong>s proces<br />
sus auto—organisateurs, définit ainsi inversem<strong>en</strong>t ce qu’Atlan appelle la
‘bOoflsci<strong>en</strong>ce Volontaire”.<br />
Le ‘voulojr consci<strong>en</strong>t” est un vouloir qui va vers la consci<strong>en</strong>ce,<br />
et la”conci<strong>en</strong>ce volontaire” est une consci<strong>en</strong>ce qui retourne vers le<br />
vouloirj4conscicnt. Il y a ainsi une sorte <strong>de</strong> va—et—vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre volonté<br />
et conscince qui, d’une part, réduit la distance, la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> prin<br />
cipe qui existe <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux, et à travers lequel, part, s’ac<br />
complit l’idaptation du yntèmo à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, singulièrem<strong>en</strong>t cette<br />
adaptation d l’appareil cognitif individuel qu’on apoelle appr<strong>en</strong>tissage<br />
non—dirigé<br />
Nais l’analyse d’Atlan met ici <strong>en</strong> relief un caractère particulière<br />
m<strong>en</strong>t intérssant <strong>de</strong> cette adaptation: l”interprétatjon”<br />
Ce qi.i, <strong>en</strong> effet, dans ces émerg<strong>en</strong>ces à la consci<strong>en</strong>ce que Sont les<br />
phénomènes <strong>de</strong> “volonté consci<strong>en</strong>te”, est “vim,nlisé”, c’est ce que l’auteur<br />
appelle <strong>de</strong>I “formes”, <strong>de</strong>s “patterna”. L’appareil cognitif crée inconsciem<br />
m<strong>en</strong>t cos formes (auto_organisation), mais lorsquil <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>d consci<strong>en</strong>ce,<br />
ces formes ,ont interférer avoc le autres cont<strong>en</strong>us <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce, et an<br />
premier liefl avec les stimuli v<strong>en</strong>us <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. C’est cotte inter<br />
fér<strong>en</strong>ce qu’n appelle interprétation. Le psychisme va comparer les stimuli<br />
aux formes qui ont émergé à sa consci<strong>en</strong>ce. Il va “voir” dans quelle mesure<br />
ils vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong> sa ranger sous les “patterna”. Lorsque les stimuli s’y rang<strong>en</strong>t<br />
plus ou moirs exactem<strong>en</strong>t, on dira quo le pattera est “reconnu” dans les<br />
stimuli (“p<br />
— i6o —<br />
4tern recognition”). Le psychisme est occupé, le plus clair<br />
du temps, à ‘intcrpréter” ainsi la réalité, c’est—à—dire à ranger les<br />
stimuli qui 3n provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t sous ico “patteras” qu’il a créés ou appris.<br />
.4<br />
— i6i —<br />
liais, par définition, puisqu’il y a du nouveau et <strong>de</strong> l’aléatoire<br />
dans l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, la conoi<strong>de</strong>nce <strong>en</strong>tre les stimuli et les patterno<br />
n’est jamais parfaite il s’y trouve toujours <strong>de</strong> l”ambiguté”. Cette<br />
ambiguïté peut n’être pas gnante et ne pas empêcher la reconnaissance.<br />
liais si elle augm<strong>en</strong>te, au point que les stimuli ne se rang<strong>en</strong>t que très<br />
imparfaitem<strong>en</strong>t sous les patterna connus, l’appareil cognitif va, par<br />
auto—organisation, forger <strong>de</strong> nouveaux patteras. Ce processus <strong>de</strong> va—et—vi<strong>en</strong>i<br />
<strong>en</strong>tre la création inconsci<strong>en</strong>te <strong>de</strong> structures et leur reconnaissance<br />
consci<strong>en</strong>te dans le réel se répétant, les “pattern&’ <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dront <strong>de</strong> plus<br />
<strong>en</strong> plus différ<strong>en</strong>ciés et adaptés. Ainsi est possible l’appr<strong>en</strong>tissage non—<br />
dirigé, par lequel un psychisme s’adapte <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus au problème spé<br />
cifique posé par un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Au terme du processus, les structures<br />
m<strong>en</strong>tales sont plus différ<strong>en</strong>ciées et complexes qu’au début.<br />
Cette analyse, que nous n’avons guère les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> critiquer pour<br />
elle—mma, éveille <strong>en</strong> nous bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> échos, étant donné nos propres recher<br />
ches et nos propres intuitions. Rev<strong>en</strong>ons <strong>en</strong> effet aux individualités, dont<br />
le x-Me dans l’innovation culturelle était souligné par Ilergoon. NÙus<br />
faisons l’hypothèse qu’elles sont les ag<strong>en</strong>ts spéciaux <strong>de</strong> cette “émerg<strong>en</strong>ce<br />
à la consci<strong>en</strong>ce” <strong>de</strong>s nouveaux “patteras”. Lorsquil formul<strong>en</strong>t pour la pre<br />
mière fois, sous une forme suffisamm<strong>en</strong>t claire, complète et cohér<strong>en</strong>te,<br />
<strong>de</strong>s “problèmes”, là où les autres membres <strong>de</strong> la société ne faisai<strong>en</strong>t que<br />
vivre une difficulté obscure, on peul bi<strong>en</strong> dire qu’ils transform<strong>en</strong>t eux<br />
aussi le “bruit” <strong>en</strong> “information” et r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt possible une interprétation<br />
novatrice, qui diminuera, pour tous, l”nmbiguté” dans la perception du<br />
réel. Ils forg<strong>en</strong>t une nouvelle grille interprétative, telle que les faits
— 162 —<br />
dispersés dont tout le mon<strong>de</strong> peut flriori avoir connaissance <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
significaifs et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur nons, lin formul<strong>en</strong>t ion patteras, les<br />
théories Lz4ce auxquels du ‘s<strong>en</strong>s” est “tabriqué’ “à partir du non—s<strong>en</strong>s”<br />
(ibid.), I1s serai<strong>en</strong>t ainsi la “volonté consci<strong>en</strong>te” <strong>de</strong> la société.<br />
Inve’semerit, ces prophéties étant reconnues comme vraies, c’est—à—<br />
dire commeayant la vertu d’.xpliquer effectivem<strong>en</strong>t la situation mieux<br />
que les scémas traditionnels, par les contemporains, elles se cristalli<br />
s<strong>en</strong>t dans ]es m<strong>en</strong>talités; on les répète, elles sont “dupliquées”, “repro<br />
duites sur moule”, diffusées et <strong>en</strong>seignées <strong>en</strong> <strong>de</strong> nombreux esprits. Elles<br />
intervi<strong>en</strong>neht donc comme “sous_progra,n,nes• pour do futurs phénomènes<br />
d’auto—urgjsation qui émergeront dans les “oracles” <strong>de</strong> nouveaux créateurs<br />
d’id6es, Le phénomènes <strong>de</strong> cristallisation et <strong>de</strong> reproduction culturelle<br />
au sein, <strong>de</strong> groupes “clérieaiix” et plus généralem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> traditions pour<br />
rai<strong>en</strong>t donc être flomme la “consci<strong>en</strong>ce volontaire” <strong>de</strong> la société<br />
(ou <strong>de</strong> commuautés nu sein <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> société).<br />
Lhornoogj (cest plus qu’une analogie) se vérifie <strong>en</strong>core sur un<br />
poia’t <strong>de</strong> la héorie d’Atl,m que nous n’avons pas <strong>en</strong>core exposé (nous n’y<br />
avons fait q’une brève allusion). Atian remarque que les “mécanismes <strong>de</strong><br />
fabrication o<strong>en</strong>s à partir du non—s<strong>en</strong>s”, <strong>en</strong> lesquels nous avons vu que<br />
consiste l’appr<strong>en</strong>tissage non—dirigé, sont ce qu’on appelle ordinairem<strong>en</strong>t<br />
les.déljres, îoir du s<strong>en</strong>sé oè il n’y a que <strong>de</strong> l’ins<strong>en</strong>sé, c’est bi<strong>en</strong> la<br />
fatale erreur où se fourvoie le fou, dont on dit qu’il a perdu le contact<br />
avec la réalié et vit désormais dans l’imaginaire, De fait, une théorie<br />
nouvelle, une conjecture, paraîtra toujours “délirante” <strong>en</strong> proportion <strong>de</strong><br />
sa nouveauté rême, c’est—à—dire <strong>de</strong> sa non-nuperponabjli avec les précé—<br />
I<br />
j<br />
— 163 —<br />
<strong>de</strong>nts patternn à travers lesquels se structurait le réel. iéoriea sci<strong>en</strong><br />
tifiques nouvelles et délires ont <strong>de</strong> fait <strong>en</strong> commun d’être <strong>de</strong>s “projections<br />
<strong>de</strong> l’imaginaire sur le réel” (p. 147). Ils ne diffèr<strong>en</strong>t nullem<strong>en</strong>t par leur<br />
cont<strong>en</strong>u, les premières étant plus proches du réel, les autres plus imagi<br />
naires. En réalité, tous <strong>de</strong>ux sont <strong>de</strong>s projections <strong>de</strong> l’imaginaire sur<br />
le réel, et nous v<strong>en</strong>ons <strong>de</strong> voir que c’est là le fonctionnem<strong>en</strong>t adaptatif<br />
normal <strong>de</strong>s systèmes auto—organisateurs que nous sommes.<br />
Il y a cep<strong>en</strong>dant bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre eux une différ<strong>en</strong>ce, mais qui, loin <strong>de</strong><br />
t<strong>en</strong>ir à leurs cont<strong>en</strong>us, ti<strong>en</strong>t à leur situation par rapport à la dynamique<br />
<strong>de</strong> l’auto—oranisatjon. Ce qui caractérise les théories sci<strong>en</strong>tifiques<br />
(et attestea normalité du P8ychisme <strong>de</strong>s savnntn), c’est qu’elles peuv<strong>en</strong>t<br />
être remises <strong>en</strong> cause, critiquées, remplacées dans le cadre du “va et<br />
vi<strong>en</strong>t” <strong>en</strong>tre limaginntjon théorique et loxpérj<strong>en</strong>ce, dont nous avons<br />
parlé. Las délires, au contraire, représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un “blocage” <strong>de</strong> ce mouve—<br />
m<strong>en</strong>t, un arrêt sur un “pattern” quauc “bruit” v<strong>en</strong>u du réel, aucune<br />
“ambiguïté” <strong>de</strong> l’interprétation ne peut plus troubler.<br />
Or — un <strong>de</strong>s passages les plus brillants et les plus stimulants<br />
do toute l’nnalyse ct’Atlnn — ce blocage peut ourv<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
pêlco du processus, provoquant <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> délires opposés. Le nremier<br />
résulte excès <strong>de</strong> la stabilisation <strong>en</strong> mémoire d’un processus auto—<br />
organisateur, un excèe <strong>de</strong> “vouloir consci<strong>en</strong>t”, et Atian l’appelle “délire<br />
confus”. !ous croyons que ce type <strong>de</strong> délire se retrouve dans les processus<br />
d’innovation culturelle, C’cot le cas <strong>de</strong> qui, ayant rii<br />
quelque rapport nouveau <strong>en</strong>tre les choses et ayant formulé la théorie cor<br />
respondante, n’a pas r<strong>en</strong>contré et la reconnaissance <strong>de</strong>s autres.
La théorile ne sera donc pas suffisamm<strong>en</strong>t dupliquée et répétée, on la com<br />
pr<strong>en</strong>dra <strong>de</strong> moins <strong>en</strong> moins à mesure que d’autres théories concurr<strong>en</strong>tes<br />
sinposeront et le malheureux, s’il se ti<strong>en</strong>t mordicus à son idée, passe<br />
ra effectivem<strong>en</strong>t pour un fou ou du moins pour un “original”, non pour un<br />
savant q fait compr<strong>en</strong>dre les choses aux autres, <strong>en</strong> toute objectivité.<br />
L’4trm type <strong>de</strong> délire consiste lui aussi <strong>en</strong> un blocage <strong>de</strong> l’auto—<br />
organisat$on, miis mu niveau, cette fois, <strong>de</strong> la consci<strong>en</strong>ce volontaire.<br />
Atlaa le 4éfinit comme un excès (contraire au précé<strong>de</strong>nt.) <strong>de</strong> la mémorisa<br />
tion. Les structures mémorieées, qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t servir <strong>de</strong> “programmes par<br />
tiels” po4’ les processus auto—organisateurs inconsci<strong>en</strong>ts, t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>ve<br />
nir à eux aquls tout le programme, et à se reproduire indéfinim<strong>en</strong>t. Atlsn<br />
appelle ce type <strong>de</strong> délire “délire organisé” (puisqu’il ne consiste pas<br />
<strong>en</strong> une suite <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tations chaque fois différ<strong>en</strong>tes, <strong>en</strong> “fumées”,<br />
mais au cozttraire dans la permi.rtnnce d’une unique représ<strong>en</strong>tation, repro<br />
duisant ch.que fois la même structure, comme dans un “cristal”).<br />
Led4lire organisé a égalem<strong>en</strong>t son corrempondont, melon nous, dans<br />
la vie colective: c’est le traditionnalisme (pas les traditions m%mes,<br />
mais ce redaublem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la clôture <strong>de</strong>s traditions que désigne le suffixe<br />
—isme). Lorqu’une collectivité répète trop exactem<strong>en</strong>t sa mémoire, ce qui<br />
a lieu notans<strong>en</strong>t lorsque sa culture se reproduit au sein d’une institution<br />
unique et r gi<strong>de</strong>, l’auto—organisation est bloquée. Les modifications <strong>de</strong><br />
l’<strong>en</strong>vironnerS,<strong>en</strong>t ne peuv<strong>en</strong>t susciter <strong>de</strong> nouveaux patteras; elles <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t<br />
indéfinim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “bruits”. En oe s<strong>en</strong>s la distance <strong>en</strong>tre le système <strong>de</strong><br />
représ<strong>en</strong>tations <strong>de</strong> la collectivité et le réel s’accroit. Le traditionna—<br />
lisse, quelque structuré qu’il soit et précisém<strong>en</strong>t parce qu’il est très<br />
structuré,tun délire.<br />
— i64 —<br />
Les isLtellectuels, malgré l’appar<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> folie qu?ils offr<strong>en</strong>t tou—<br />
.1<br />
jours plus ou moins à leurs<br />
sont <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />
grands réalistes par comparaison avec le comportem<strong>en</strong>t superstitieux<br />
<strong>de</strong>m traditionnalistes <strong>en</strong>fermés dans une culture déjà <strong>en</strong> déshér<strong>en</strong>ce.<br />
Ceux—ci se protèg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fourr<strong>en</strong>t leur tîte dans un univers imaginaire,<br />
qu’ils perçoiv<strong>en</strong>t d’ailleurs obscurém<strong>en</strong>t comme tel, d’où les comporte<br />
m<strong>en</strong>ts crispés et “réactifs” <strong>de</strong> tous les traditionnalistes. Ceux—là<br />
ouvr<strong>en</strong>t grand portes et f<strong>en</strong>ôtres et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> charge le réel et<br />
l’av<strong>en</strong>ir. Le délire <strong>de</strong>s traditionnalistes n’est pas moins un “délire”<br />
que celui <strong>de</strong>s fols.<br />
Ces traits par lesquels Bsrgson et Atlsn caractéris<strong>en</strong>t l’inno<br />
vation dans la société considérée selon la logique du vivant, nous<br />
allons les retrouver constamm<strong>en</strong>t au long <strong>de</strong> notre propre analyse,<br />
quoique <strong>de</strong> façon très indirecte. Notre optique sera <strong>en</strong> effet d’abord<br />
sociologique.<br />
Mais peut—ttrm, inversem<strong>en</strong>t, cette analyse sociologique et<br />
institutionnelle donnera—t—elle figure plus nette à ce qui chez Atlan<br />
reste programmatique et sême intuitif. Popper remarque quelque prt(2)<br />
qu’on doit chercher à expliquer la g<strong>en</strong>èse à partir <strong>de</strong> os qui est <strong>en</strong><br />
g<strong>en</strong>dré plutôt que l’inverse (malgré un t<strong>en</strong>ace préjugé idéaliste).<br />
J’ai le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que la <strong>de</strong>scription “ext<strong>en</strong>sive” <strong>de</strong>s phénomènes<br />
d’innovation et <strong>de</strong> création culturelles peut permettre <strong>de</strong> faire appa<br />
raître et se <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s structures qu’on chercherait <strong>en</strong> vain à<br />
mettre <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce par une réflexion formelle sur la logique <strong>de</strong> leur<br />
émerg<strong>en</strong>ce.<br />
— i65 —<br />
I. Nous revi<strong>en</strong>drons sur ce point important.<br />
2. Cf. K. Popper, “La Connaissance objective”, Ed. Complexe, p.p. 125—7.
I —<br />
— i66 —<br />
II — ES IWPELIECTUELS, PROpflE’j95 DES TESPS MODERNES<br />
Si les hypothèses <strong>de</strong> Berson—Atlan sont justes, la société,<br />
qui ett constamm<strong>en</strong>t “vivante”, doit susciter <strong>de</strong>s “prophètes” à toute<br />
époquc. Il.est cep<strong>en</strong>dant remarquable que la capacité <strong>de</strong> is. culture<br />
à iném imer les expéri<strong>en</strong>ces et à innover ait s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>té<br />
à partr <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> dite historique (qui est, 550 modo, celle<br />
où existe ce facteur ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> mémorisation qu’est l’écriture).<br />
DIautt que, par un processus <strong>de</strong> précipitation, l’oeuvre <strong>de</strong>s premiers<br />
uprophteSI <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> historique provoque <strong>de</strong>s changem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> con—<br />
séque4ce <strong>de</strong>squels <strong>de</strong> nouveaux problèmes se pos<strong>en</strong>t qui nécessit<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> nouvleaux prophètes, etc. Un “ordre spontané” se crée, qu’on appelle<br />
1 ‘histo.re.<br />
inei vit l’occi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis la première rupture <strong>de</strong>s sociétés<br />
archa!qes. On r<strong>en</strong>contrera donc <strong>de</strong>s ‘prophètes” dans l’univers bibli<br />
que, maie aussi dans l’unilvers grec. Les grands “héros” <strong>de</strong> la société<br />
ouverte,[ pour Bergson, sont, après les grands fondateurs <strong>de</strong> religions<br />
<strong>de</strong> l’Orint et les prophètes <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Testam<strong>en</strong>t, Socrz.te, Jésus,<br />
Plotin, .ee Pères <strong>de</strong> l’Eglise...<br />
I4is la figure <strong>de</strong> la “prophétie” qui seule nous occupe ici<br />
est le praonnage <strong>de</strong> l”intellectuel” au s<strong>en</strong>s étroit du terme, et ce<br />
pereonnae apparti<strong>en</strong>t <strong>en</strong>. propre à l’époque mo<strong>de</strong>rne. Le mot, on le sait,<br />
date <strong>de</strong> l fin: du XIXème siècle, mais la chose est plus anci<strong>en</strong>ne. Il<br />
faut la f ire remonter à et à la critique <strong>de</strong> l’Ecole.<br />
Cst à ce mom<strong>en</strong>t que la p<strong>en</strong>sée est, surtout, l’oeuvre d’indi—<br />
vidualité <strong>en</strong> rupture aveo l’institution. St Thomas travaillait pour<br />
l’Universté, comme St Augustin pour Erasme, Montaigne,<br />
4<br />
-ri<br />
L<br />
r.<br />
Descartes, travaill<strong>en</strong>t seuls ou plutôt se forg<strong>en</strong>t eux—mimes un réseau<br />
<strong>de</strong> relations savantes. De la R<strong>en</strong>aissance aux Lumières et jusqu’à ce<br />
que se constitu<strong>en</strong>t au XIXème siècle partout <strong>en</strong> Europe <strong>de</strong>s olérioatures<br />
laïques—étatiques humaniates, fondées sur <strong>de</strong>s bases ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />
nouvelles par rapport à l’Eglise, le travail créatif <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée<br />
sera fait par <strong>de</strong>a hommes qui ne sont pas tous <strong>en</strong> rupture ouverte avec<br />
les institutions culturellem <strong>de</strong> leur temps, mais dont aucun ne s’i<strong>de</strong>n<br />
tifie à elles. L’esprit du temps a quitté l’Eglise et ses appareils<br />
et suscite individus et micro—groupes, humanistes, savants, “philo<br />
sophes”. Les Académies ne sont pas <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> formation. L’<strong>en</strong><br />
treprise culturelle la plus vaste et la plus institutionnalisée du<br />
XVIIIème siècle, l’Encyclopédie, et une <strong>en</strong>treprise d’édition.<br />
Il est probable que la croissance, vers le début du XXème siè<br />
cle, du nombre <strong>de</strong> ceux qu’on peut appeler au s<strong>en</strong>s propre les intellec<br />
tuels, liée au développem<strong>en</strong>t considérable <strong>de</strong> l’édition à cette époque(2)<br />
concj<strong>de</strong> avec le début <strong>de</strong> la marginalisation <strong>de</strong> la nouvelle clérica—<br />
ture la!que—étatique. Celle—ai, dès cette époque et singulièrem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong>puis les événem<strong>en</strong>ts politiques et sociaux auxquels se réfère le<br />
livre <strong>de</strong> Juli<strong>en</strong> 13<strong>en</strong>da, ne peut assumer le déveloprem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la p<strong>en</strong><br />
sée l’intégration <strong>de</strong>s problèmes mo<strong>de</strong>rnes <strong>en</strong> tant que tels (probable<br />
m<strong>en</strong>t parce que, dès cette époque, le cons<strong>en</strong>sus sur la sacralité <strong>de</strong><br />
l’Etat diminue dans l’élite). Il arrive alors à cette clérjoature ce<br />
I. Cf. le beau livre <strong>de</strong> Robert DARH10N, “L’Av<strong>en</strong>ture dc l’Encyclopédie”,<br />
Perrin.<br />
2. Cf. Régis DEBRA’C, “Le Pouvoir intellectuel <strong>en</strong> Prance”, Rainsay, une<br />
<strong>de</strong>s seules étu<strong>de</strong>s existant sur le sujet.<br />
3. Juli<strong>en</strong> BENDA, “La Trahisn <strong>de</strong>s clercs” (1927), coli. Pluriel,<br />
Hachette.<br />
167 —
I<br />
— 168 —<br />
qui est arrivé à l’Eglise vers la fin du Moy<strong>en</strong>—age; elle se voit peu<br />
à peu atandonnée et <strong>en</strong>tourée d’une nuée didiyid inorganisés, qui<br />
finiss<strong>en</strong>i par faire poids malgré leur inorganisation, et par miner<br />
l’assise <strong>de</strong> cons<strong>en</strong>sus qu’il aurait fallu à l’institution pour justi<br />
fier son monopole. Ces individus sont, au IXème siècle, les intellec<br />
tuels pr,prem<strong>en</strong>t dits, et singulièrem<strong>en</strong>t les intellectuels eu rupture<br />
d’Univer ité, dont le type est Jean—Paul Sartre.<br />
Ckt<br />
intellectuel et un individuel, non “organisé”, disons—nous,<br />
au s<strong>en</strong>s cù il parle <strong>en</strong> son nom propre, non au nom d’une institution<br />
(cela ne veut nullem<strong>en</strong>t dire qu’il soit isolé psychologiquem<strong>en</strong>t ou<br />
socialem t; son isolem<strong>en</strong>t est spécifiquem<strong>en</strong>t intellectuel). Quand<br />
il apparat <strong>en</strong> tunt que membre d’un groupe, il s’agit <strong>de</strong> groupes<br />
volontairs et qui ne dur<strong>en</strong>t quaussi longtemps que les circonstances<br />
qui les oit fait naître; leur caractère spécifique semble tre qu’ils<br />
ne consti u<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong>s <strong>en</strong>tités professionnelles d’où l’intellectuel<br />
tirerait 8a subsistance, ou du moins toute sa subsistance. Ce qui<br />
sanctionne le fait qua la société ne reconnaît pas <strong>en</strong>core, par la fon<br />
dation d’ine institution perman<strong>en</strong>te ayant une place sur un marché<br />
économiquE ou politique, le type <strong>de</strong> service qui lui est r<strong>en</strong>du par le<br />
tramail d jntellectuel• Aucune société n”emploie” <strong>de</strong>s prophètes<br />
<strong>en</strong> tant q e tels. Comm<strong>en</strong>t le pourrait—elle, puisque le type <strong>de</strong> “ser<br />
vice” r<strong>en</strong>du par leurs oracles n’est pas <strong>en</strong>core, par définition, i<strong>de</strong>n<br />
tifiable, vant que l<strong>en</strong> oracles ai<strong>en</strong>t été formulés et reconnus comme<br />
“vrais”?<br />
Nou avons donc posé nos définitions: l’intellectuel comme<br />
“problem—slver”; l’apport “prophétique” <strong>de</strong> l’intellectuel comme<br />
TI<br />
p<strong>en</strong>sable, <strong>en</strong> principe, selon la logique <strong>de</strong> llorganisation du vivant;<br />
la rigure mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> liintellectuel europé<strong>en</strong> du XXème siècle comme<br />
innovateur hors clériOature<br />
le caractère ess<strong>en</strong>tielle<br />
m<strong>en</strong>t individuel et non_profe55i0flnl du travail <strong>de</strong> llintellectuel.<br />
Nous poserons maint<strong>en</strong>ant les questions suivantes. I’abord, quelles<br />
sont les conditions qui r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt possible jnnOvatiOn apportée par<br />
les intellectuels? Ensuite, selon quelles modalités et sur quels<br />
“supports” s’ exprime_t—elle?<br />
— 169 —
-170-<br />
III — LIiS CONDI2!IONS DE L’ INNOVATION INTELLECTUELLE<br />
écisons la question. Quels sont les ingrédi<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’oracle?<br />
Quelles ont les conditions auxquelles l’intellectuel peut produire<br />
<strong>de</strong> l’inn?vation? Si l’on veut tester ici la théorie <strong>de</strong> l’suto—orga—<br />
nisation on dira: quelles sont les conditions, <strong>en</strong> termes <strong>de</strong> circuits<br />
<strong>de</strong> comm ication, dans lesquelles l’intellectuel doit être placé pour<br />
que le r4pport <strong>en</strong>tre “redondsnce” culturelle et perception <strong>de</strong> ‘bruits”,<br />
c’est—à—dire <strong>de</strong>s circonstances et problèmes nouveaux, soit pour lui<br />
optimal?<br />
O ne saurait <strong>en</strong> effet invoquer ici <strong>de</strong>s conditions simplem<strong>en</strong>t<br />
subjectives, <strong>en</strong> disant psr exemple que l’intellectuel est d’un tempé—<br />
rsm<strong>en</strong>t inv<strong>en</strong>tif, ou quil est plus désireux <strong>de</strong> créer, ou qu’il est<br />
plus mora et a plus souci <strong>de</strong> l’av<strong>en</strong>ir que la moy<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s hommes, etc.<br />
Nous donn ns un critère qui a un s<strong>en</strong>s précis psr rapport à l’<strong>en</strong>semble<br />
<strong>de</strong>s concepts ici prés<strong>en</strong>tés; l’intellectuel est celui qui, pour quelque<br />
raison, que ce soit, est dans la situation <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s<br />
corpus c oniques antérieurem<strong>en</strong>t constitués,<br />
Co e exemple liminaire, évoquons J.—P. Ssrtre, certainem<strong>en</strong>t<br />
un <strong>de</strong>s cc4temporains auxquels convi<strong>en</strong>t le mieux l’appellation d”in-.<br />
tellectue]”. Ssrtre, on le sait, a su plusieurs tal<strong>en</strong>ts: philosophe,<br />
romancier homme <strong>de</strong> théâtre, essayiste, directeur <strong>de</strong> revues éditoria<br />
liste,“a<br />
4tiviete”. De fait, dans les années 1930, il quitte l’<strong>en</strong>sei<br />
gnem<strong>en</strong>t s’t assume, <strong>en</strong> toute connaissance <strong>de</strong> causes cette activité<br />
polyc<strong>en</strong>trq. Il ne se vit pourtant nullem<strong>en</strong>t comme un “polygraphe”<br />
I<br />
—t,<br />
r<br />
— 171 —<br />
et c’est certainem<strong>en</strong>t une même oeuvre quil <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d m<strong>en</strong>er à son accom<br />
plissem<strong>en</strong>t à travers ces mo<strong>de</strong>s divers et d’expression.<br />
Comm<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>dre ce paradoxe?<br />
C’est <strong>en</strong> fonction, croyons—nous, <strong>de</strong> l’acuité même <strong>de</strong> son esprit<br />
et du réalisme <strong>de</strong> sa perception <strong>de</strong>s problèmes contemporains qu’il<br />
s’inv<strong>en</strong>te ce qui est vraim<strong>en</strong>t un style nouveau d’exist<strong>en</strong>ce. Il m<strong>en</strong>t<br />
que l’hummnité a désormais une autre mémoire et d’autres expéri<strong>en</strong>ces<br />
que celles que conserve traditionnellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s profes<br />
seurs <strong>de</strong> philosophie; et que la oomnunication <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> culture<br />
avec la société globale passe désormais — dans les <strong>de</strong>ux s<strong>en</strong>s — par<br />
d’autres canaux. Une autre mémoire: Ssrtre introduit dans son oeuvre<br />
philosophique l’apport, alors quasim<strong>en</strong>t inconnu dans la philosophie<br />
académique française, <strong>de</strong> ITusserl et <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger, quil est un <strong>de</strong>s<br />
premiers à lire (cette curiosité même est typique <strong>de</strong> l’intsllectuel).<br />
Cela donnera l’exist<strong>en</strong>tialisme. Plus tard, il intègre dans sa réflexion<br />
<strong>de</strong> larges élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la littérature et <strong>de</strong> la théorie politique<br />
“autogènes” du mouvem<strong>en</strong>t ouvrier et révolutionnaire, élém<strong>en</strong>ts jusque—<br />
là méprisés ou méconnus <strong>de</strong> la cléricnture acndésiqus et dans une large<br />
mesure <strong>de</strong>s intellectuels sux—mêmss, jusque—là plutôt situés à droite.<br />
Sartre n’a ri<strong>en</strong> inv<strong>en</strong>té <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> marxisme et <strong>de</strong> théorie <strong>de</strong> la<br />
révolution; mais il a élevé ces théories à la dignité <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sées<br />
pleines et nobles, capables <strong>de</strong> rivaliser avec — et <strong>de</strong> l’smporter sur —<br />
la culture “bourgeoise”. C’est <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux écarts par rapport au cor<br />
pus canonique <strong>de</strong> la culturs d’un aîçrégô <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> 1926 que<br />
résult<strong>en</strong>t l’Ntre et leNéont et la ritiqse <strong>de</strong> in Raison dialectique.
— 172 —<br />
Crtes, une tradition n’est pas quelque chose <strong>de</strong> figé, et une<br />
gran<strong>de</strong> tradition vivante se définit précisém<strong>en</strong>t par sa capacité à<br />
intégrer <strong>de</strong>s apports nouveaux sans que sa structure <strong>en</strong> soit fondam<strong>en</strong><br />
talem<strong>en</strong>t ouleversée ou déc<strong>en</strong>trée. Apparemm<strong>en</strong>t la curiosité <strong>de</strong> Sartre<br />
à 1’égard <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée académique alleman<strong>de</strong> n’a pas abouti à un trau—<br />
matisme insupportable pour la p<strong>en</strong>sée académique française, puisqu’après<br />
la guerre Husserl et He-i<strong>de</strong>gjer sont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s auteurs classiques<br />
dans l’<strong>en</strong>sjInem<strong>en</strong>t Philosophique français (dans la lecture <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger,<br />
Sartre es précédé par Corbin, dans celle <strong>de</strong> Hueserl, par Lévinas; et<br />
après la vague <strong>de</strong> l’exist<strong>en</strong>tialisme, la phénoménologie et l’hej<strong>de</strong>ggarja_<br />
nisme susjteront chacun <strong>de</strong>s chapelles totalem<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dantes <strong>de</strong><br />
Sartre dams l’Université). En revanche, la question Bocio_poljtjqu<br />
portée pa Sartre à la dignité <strong>de</strong> philosophie première, avec toutes<br />
les conséqu<strong>en</strong>ces qu’impliquait une telle position sur la distribution<br />
même <strong>de</strong>s roMèmes, sur les sujets <strong>de</strong> recherche, sur le style <strong>de</strong> l’actj—<br />
vité intellectuelle, tout cela ne pouvait être intégré tel quel à l’ea—<br />
seignem<strong>en</strong>i académique. Ou, ce qui revi<strong>en</strong>t au même, cette intégration<br />
<strong>de</strong>vait se traduire par une mutation <strong>en</strong> profon<strong>de</strong>ur et une dénaturation<br />
<strong>de</strong> cet <strong>en</strong>eignem<strong>en</strong>t. Sartre est certainem<strong>en</strong>t, par<br />
la nature <strong>de</strong> son travail et l’audi<strong>en</strong>ce qu’a r<strong>en</strong>contrée celui—ci,<br />
l’un <strong>de</strong> ceH qui ont le plus contribué à r<strong>en</strong>dre impossible la reproduc<br />
tion à l’i<strong>de</strong>ntique, au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s années 1950, <strong>de</strong> la cléricature philo<br />
sophique ui tout à la foie s’est marxisée et a changé <strong>de</strong> structure,<br />
<strong>de</strong> fonction et d’assiette sociale.<br />
:<br />
Pr<strong>en</strong>ons <strong>de</strong>s exemples plus anci<strong>en</strong>s dans l’hjstojre. Soit le<br />
chapitre <strong>de</strong>s Essais <strong>de</strong> Nontaigne consacré aux sauvages dlAmérique(I).<br />
Ce chapitre conti<strong>en</strong>t les réflexions <strong>de</strong> Montaigne sur la vie et les<br />
coutumes <strong>de</strong>s Indi<strong>en</strong>s Topirzembou <strong>de</strong> la baie du futur Rio <strong>de</strong> Janeiro.<br />
Montaigne a été informé par un homme qui, dit—il, a vécu douze ans<br />
auprès <strong>de</strong> lui, après avoir participé à l’expédition <strong>de</strong> Villegaignon<br />
au Brésil <strong>en</strong> 1556_1558(2). Ce qui est remarquable dans ce chapitre,<br />
c’est que Montaigne, contrairem<strong>en</strong>t à la plupart <strong>de</strong> ses contemporaine,<br />
ne s’intéresse pas, dans les heurs et malheurs <strong>de</strong> l’expédition fran—<br />
çaiae, aux querelles <strong>en</strong>tre protestants et catHoliques. Il ne juge pas<br />
l’av<strong>en</strong>ture selon les catégories europé<strong>en</strong>nes autochtones. Il se sert<br />
au contraire <strong>de</strong> l’jnformation recueillie pour remettre <strong>en</strong> cause ses<br />
propres catégories culturelles. La découverte du Nouveau Mon<strong>de</strong> per<br />
met <strong>de</strong>puis longtemps, du moins <strong>en</strong> principe, cette remise <strong>en</strong> cause.<br />
En même temps que 1espace, c’est le temps et du mon<strong>de</strong><br />
qui sont bouleversés par la découverte <strong>de</strong> peuples non—ohréti<strong>en</strong>e et<br />
dont ri<strong>en</strong> n’est dit dans la Bible. Voilà <strong>de</strong>s hommes, les Américaine,<br />
qui ont une autre origine que celle <strong>de</strong> 1occjd chréti<strong>en</strong>, et une<br />
histoire qui n’a nullem<strong>en</strong>t la même structure que cette histoire bi<br />
blique qu’au siècle suivant un Bossuet ou un Pascal, esprits qui ne<br />
I. Montaigne, Essais, I, oh. 31, “Des Cannibales”.<br />
2. Cette expédition est fort bi<strong>en</strong> connue par le récit qu’<strong>en</strong> fit Jean<br />
<strong>de</strong> Léry, “Voyage faict <strong>en</strong> la terre <strong>de</strong> Brésil”. Le livre <strong>de</strong> Jean<br />
<strong>de</strong> Léry- est paru <strong>en</strong> 1578. La première édition <strong>de</strong>s Rasais est <strong>de</strong>1580.<br />
Sur la découverte par Jean <strong>de</strong> Léry <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> llAutre,<br />
cf. le bel article <strong>de</strong> Michel <strong>de</strong> Certeau, in L’Ecriture <strong>de</strong> l’Histoire,<br />
pp. 215—248, Gallimard, 1975. Le Voyage — <strong>en</strong>tre autres éditions<br />
mo<strong>de</strong>rnes — a été édité <strong>en</strong> 1975 par J<strong>en</strong>n—Clau<strong>de</strong> Morizot (Librairie<br />
Droz, O<strong>en</strong>ève).<br />
— 173 —
— 174 —<br />
se caractéris<strong>en</strong>t pourtant pas par le conformisme et le m:.nque d’audace<br />
admett ont <strong>en</strong>core comme pleinem<strong>en</strong>t auth<strong>en</strong>tique. Les hommes d’Amérique<br />
viv<strong>en</strong>t selon d’autres coutumes; ce qui est sacré chez eux n’a pas <strong>de</strong><br />
valeurohez noua, et réciproquem<strong>en</strong>t. Montaigne est frappé, par exem<br />
ple, pr le comportem<strong>en</strong>t vertueux <strong>de</strong>s Topinambou à la guerre; il les<br />
trouve plutBt rnoins barbares que la soldatesque europé<strong>en</strong>ne. Surtout,<br />
au auj t <strong>de</strong> la coutume terrifiante du cannibalisme, il ose affirmer<br />
quun.e telle pratique est moins monstrueuse que le raffinem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
tortures et do crimes dont l’Europe <strong>de</strong>a guerres <strong>de</strong> religion offle<br />
alors couramm<strong>en</strong>t le spectacle. Les chréti<strong>en</strong>s sont plus barbares que<br />
les “b,rbares”. U’ailleurs Montaigna se souvi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cas d’anthropo<br />
phagie rapportés par les auteurs antiques. Retrouvant <strong>en</strong> ut s<strong>en</strong>s le<br />
relatiisme <strong>de</strong>s sophistes et Matori<strong>en</strong>a grecs (à une autre époque <strong>de</strong><br />
voyages et <strong>de</strong> découvertes), il est am<strong>en</strong>é à forger <strong>de</strong>s concepts plus<br />
conpréeasifs et plus universels que les catégories et les i<strong>de</strong>ntités<br />
transni ses par la tradition. Pour comparer les vertus guerrières <strong>de</strong>s<br />
jzpi, +llea <strong>de</strong>s peuples mo<strong>de</strong>rnes, celles <strong>de</strong>s Anci<strong>en</strong>s, il faut à l’évi—<br />
<strong>de</strong>nae un concept <strong>de</strong> l”'homme” plus général que celui <strong>de</strong> “chréti<strong>en</strong>”,<br />
et il.faut aussi inv<strong>en</strong>ter une constellation <strong>de</strong> concepts corrélatifs.<br />
Ce sont ceux que l’on voit émerger au fil <strong>de</strong>s pages <strong>de</strong>s Rasais.<br />
lus tard, Di<strong>de</strong>rot réfléchira <strong>de</strong> mme sur le voyage <strong>de</strong> Bougain—<br />
ville e sa découverte <strong>de</strong> paiiitj(2. Cette foie, c’est le mariage<br />
chréti<strong>en</strong>—europé<strong>en</strong> qui va apparaître dans sa relativité géo—historique.<br />
Les Tabti<strong>en</strong>s prêt<strong>en</strong>t leurs femmes, pratiqu<strong>en</strong>t la sexualité hors maria<br />
I. l3os4et, Discoura sur l’histoire universelle, Garnier—Plammarion,<br />
p. ec. pp.47—57. Pascal, P<strong>en</strong>sées (Edition Kaplan, Cerf, 1982) dont<br />
Franis Kaplan montre que l’argum<strong>en</strong>tation repose rigoureusem<strong>en</strong>t<br />
sur Les dates <strong>de</strong> l’histoire universelle telles qu’elles se déduis<strong>en</strong>t<br />
du réoit biblique.<br />
2. Louis—Antoine <strong>de</strong> ilougainville, Voyage autour du mon<strong>de</strong> par la frégate<br />
“La Bou<strong>de</strong>use” et la flate “L’Etoile”, éd. F’rançois Maspero.<br />
— 175 —<br />
go, et ils ne sont pas plus malheureux pour autant, ils offr<strong>en</strong>t mime<br />
le spectacle d’un peuple heureux et rieur. Voilà une expéri<strong>en</strong>ce hu<br />
maine, durable, estimée opportune et bénéfique par tout un peuple.<br />
Le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> ce qui est opportun: et bénéfique pour flous doit <strong>en</strong> tre<br />
modifié. Le Supplém<strong>en</strong>t au voyage <strong>de</strong> Bougainville est un <strong>de</strong>s textes<br />
fondateurs <strong>de</strong> la sociologie (avant que le mot existe) dana la mesure<br />
où il fournit une conceptualisation <strong>de</strong> l’institution familiale.<br />
Les Lettres persanes <strong>de</strong> Montesquieu, basées sur les voyages<br />
irani<strong>en</strong>s <strong>de</strong> Chardin et Tavernier, avai<strong>en</strong>t eu le manie effet <strong>de</strong> restruc<br />
turation du champ <strong>de</strong> l’analyse sociale. La p<strong>en</strong>sée politique <strong>de</strong> Voltai<br />
re et celle <strong>de</strong> Montesquieu doiv<strong>en</strong>t autant à leurs voyages <strong>en</strong> Angle—<br />
terre et <strong>en</strong> Europe quà leurs lectures.<br />
Le récit d’Anquetil—Duperron sur le zoroastrisme et l’Avesta<br />
contribuera à dégager la notion <strong>de</strong> “religion du Livre”, concurremm<strong>en</strong>t<br />
aux étu<strong>de</strong>s, oomm<strong>en</strong>c<strong>de</strong>s <strong>en</strong> Europe mime avec Richard Sinon, sur l’histo—<br />
rioité et le caractère composite du volume biblique. Nietzsche,<br />
qui a connaissance du travail d’Anquetil—Duperron, trouvera là une<br />
tradition à mettre <strong>en</strong> regard <strong>de</strong> celle du judéo—chrietianimme. De ce<br />
nouveau point <strong>de</strong> vue, la tradition judéo—chréti<strong>en</strong>ne n’est ni. unique,<br />
ni c<strong>en</strong>trale, ni première. Un prophète antérieur au Christ peut donc<br />
décliner un message aussi sol<strong>en</strong>nel dans son style et aussi radicale<br />
m<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t dans son cont<strong>en</strong>u., ce sera le prophète <strong>de</strong> l’Eternel<br />
Retour.<br />
Le voyage d’Anquetil—DUPerrofl est <strong>de</strong> 1754, sa traduotion do l’Aveeta<br />
paraît an 1771. Elle bouleverse l’image qu’on se faisait tradition<br />
nellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Zoroaetre <strong>de</strong>puis l’Antiquité. On croyait qu’il e’agis—<br />
sait d’un Sage, d’un “philosophe”. On déoouvre <strong>de</strong>s textes rituels,<br />
très nrchaques.
Dans tous ces exemples, nous voyons un intellectuel, informé<br />
sur d’ utres expéri<strong>en</strong>ces humaines que celles conservées dans la tra<br />
dition où il est né, où il a étudié et où, le cas échéant, il est<br />
<strong>de</strong>v<strong>en</strong>u’maltre, forger <strong>de</strong>s concepts nouveaux grâce auxquels l’<strong>en</strong>semble<br />
<strong>de</strong> ces expéri<strong>en</strong>ces (les anci<strong>en</strong>nes et les nouvelles) peuv<strong>en</strong>t être<br />
prises <strong>en</strong> compte et <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir intelligibles. Le savoir qui <strong>en</strong> résulte<br />
est un savoir supérieur, pas nécessairem<strong>en</strong>t plus riche (il n’y a pas<br />
additin pure et simple <strong>de</strong>s connaissances), mais assurém<strong>en</strong>t plus co—<br />
hér<strong>en</strong>’bet, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, plus sûr.<br />
Le génie du p<strong>en</strong>seur créatif n’est pas, <strong>en</strong> soi, d’être informé<br />
<strong>de</strong> ces autres expéri<strong>en</strong>ces. Toute une époque, <strong>en</strong> général, <strong>en</strong> a obscu<br />
rém<strong>en</strong>t perçu l’exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>’ même temps que lui. Maie pour l’homme<br />
moy<strong>en</strong>, elles se sont ajoutées, bloc par bloc, à l’snoi<strong>en</strong>ne culture,<br />
sans interpénétrations ni refontes. Au mieux, elles n’ont ri<strong>en</strong> changé<br />
à son. ‘.uiivers; néanmoins, le mon<strong>de</strong>, lui, ayant changé, l’anci<strong>en</strong>ne cul<br />
ture i1chanée est un savoir moins sûr et qui laisse sans réponse un<br />
plus and nombre <strong>de</strong> problèmes. Mais au pire, les nouvelles expéri<strong>en</strong>-.<br />
ces, e s’ajoutant à l’univers <strong>de</strong> l’homme moy<strong>en</strong>, ont disloqué cet<br />
univer l’anci<strong>en</strong>ne culture <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t inopérante, elle ne permet plus<br />
9r<strong>en</strong>dre les événem<strong>en</strong>ts du mon<strong>de</strong>. Pour parler comre H<strong>en</strong>ri Atlan,<br />
<strong>de</strong>.con<br />
— 176 — — 177 —<br />
qu’elle constituait se transforme <strong>en</strong> “bruit”. Faute<br />
d’une touvelle culture, même l’anci<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t incompréh<strong>en</strong>sible. C’est<br />
précism<strong>en</strong>t ainsi quAtlan définit la “crise”: le mom<strong>en</strong>t où l”infor—<br />
nation.’ <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t “bruit”. L’intellectuel créatif, lui, peut da lors<br />
se définir comme celui qui réalise lopération inverse <strong>de</strong> la crise.<br />
:4<br />
. r<br />
Il transforme le “bruit” <strong>en</strong> “information”, c’est—à—dire qu’il trouve<br />
les formes, pose les g<strong>en</strong>res, dans lesquels les élém<strong>en</strong>ts nouveaux<br />
d’information pourront v<strong>en</strong>ir se ranger comme autant d’espèces, à<br />
cêté <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>nes informations restructurées.<br />
Nous avons évoqué, jusqu’à prés<strong>en</strong>t, les traumatismes provo<br />
qués par la mise <strong>en</strong> contact avec les mémoires<br />
peuples. Mais<br />
la déstructuration <strong>de</strong>s formes. doctrinales forgées par les oléricatu—<br />
res peut se produire par les progrès internes <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce. Kant<br />
a conøtaté la ruine <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce sristotéliaieflfl6 <strong>de</strong>vant la physique<br />
neutoni<strong>en</strong>fle; il a voulu préserver la métaphysique <strong>de</strong> la même ruine,<br />
et pour cela il a d à la fois reformuler celle—ci <strong>de</strong> la façon que<br />
ofl sait et cantonner la sci<strong>en</strong>ce dans le domaine du fait <strong>en</strong> lui<br />
interdisant celui <strong>de</strong> la valeur. Là <strong>en</strong>core, laissons <strong>de</strong> oôté le conte<br />
nu même <strong>de</strong> cette refonte du savoir et observons à quelle conxlitiofl<br />
elle fut possible. Il fallait que Kant ft à la fois spécialiste <strong>de</strong>s<br />
sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la nature (ii fut professeur <strong>de</strong> géologie et <strong>de</strong> physique)<br />
et eat hérité <strong>de</strong> la tradition soholastioo—wolfi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> inétaphysiqe,<br />
pour qu’il flt capable, d’abord <strong>de</strong> percevoir le problème, puis <strong>de</strong> le<br />
résoudre, <strong>de</strong> façon probante et significative aux yeux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sortes<br />
<strong>de</strong> spécialistes. On voit ici que l’intellectuel forge <strong>de</strong>s concepts<br />
nouveaux à la faveur d’un<br />
multipositiOnnem<strong>en</strong>t”, non plus dans la<br />
géographie <strong>de</strong>s civilisations, mais dana la configuration <strong>de</strong>s disci<br />
plines du savoir.<br />
I. Le meilleur exposé <strong>en</strong> est sana doute celui d’Ilya Prigogino et<br />
Isabelle St<strong>en</strong>gers: La Nouvelle Alliance, Gallimard, 1979.
— 178 —<br />
C’qst ce multipositionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’intellectuel qui fait qu’il<br />
est infor é <strong>de</strong> faits et <strong>de</strong> connaissances nouveaux qui ne peuv<strong>en</strong>t être<br />
interprétas dc façon satisfaisante dans le cadre <strong>de</strong>s doctrines tra—<br />
ditionnel1es. L’intellectuel ne peut donc se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> reproduire,<br />
1, d’<strong>en</strong>seigner ces doctrines ou <strong>de</strong> “prêcher” d’après elle,<br />
<strong>de</strong> répéter<br />
contrairerr<strong>en</strong>t au clerc “monopositionné” ou “monodiaciplinaire”. Natu—<br />
rellememt cette position a—typique est éminemm<strong>en</strong>t dangereuse. 1111e<br />
peut condire l’intellectuel, quand il s’agit <strong>de</strong> Kant, à ou’rrir une<br />
époque no4velle <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée et <strong>de</strong> la civilisation, et quand il s’agit<br />
d’un p<strong>en</strong>sur plus médiocre ou situé à <strong>de</strong>s “carrefours” moins décisifs,<br />
à écrire os oeuvres et délivrer <strong>de</strong>s “oracles” sans l<strong>en</strong><strong>de</strong>main. Dans<br />
ce cas, i’ efli mieux valu quil se cont<strong>en</strong>têt <strong>de</strong> ruminer la culture<br />
classique d’être un bon professeur plutêt qu’un mauvais prophète<br />
pouvons sérier les différ<strong>en</strong>ts types <strong>de</strong> “multipositionne—<br />
m<strong>en</strong>t” oontituant <strong>de</strong>s situations favorables à lémergeflce d’élém<strong>en</strong>ts<br />
<strong>de</strong> cultur nouvelle: pluricultura ou plurinationalité; pluridiscipli<br />
narité; p4sitionnem<strong>en</strong>t simultané dans plusieurs institutions cultu<br />
relles.<br />
D s la première dim<strong>en</strong>sion, il est bi<strong>en</strong> connu que les Juifs,<br />
partout prés<strong>en</strong>bs, partout étrangers, sont un peuple riche d’un nombre<br />
I. On pe<br />
4 lie, dans Ordres et désordres <strong>de</strong> Jean—Pierre puy (Seuil,<br />
1983), une critique sévère <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> Jacques Attali. Dupuy<br />
reproche à Attali d’utiliser tels quels et sans discernem<strong>en</strong>t, •ians<br />
le dom4ine politique, certains concepts <strong>de</strong> la thermodynamique et<br />
<strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong>s systèmes. Sans pr<strong>en</strong>dre parti dans cette controver<br />
se, nos observerons simplem<strong>en</strong>t qu’Attali est <strong>en</strong> l’espèce ua parfait<br />
exemple d’intellectuel, <strong>en</strong> tant quil forge <strong>de</strong>s représ<strong>en</strong>tations<br />
nouvelLes, organisées, et <strong>de</strong>stinées à produire <strong>de</strong> l’intelligibiité,<br />
à partLr <strong>de</strong> savoirs hétérogènes, sans se s<strong>en</strong>tir lié par le tradi<br />
tions ii ret<strong>en</strong>u par les jugem<strong>en</strong>ts courroucés <strong>de</strong> leurs cerbères<br />
respectifs. Qu’il ait, <strong>en</strong> le5pàoe, raison ou tort est un autre<br />
problèmme.<br />
étonnant <strong>de</strong> grands intellectuels. Ajoutons, à l’analyse classique <strong>de</strong><br />
artre(I), l’idée suivante. Une véritable effervesc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> création<br />
conceptuelle a accompagné ljntégratjon <strong>de</strong>s communautés juives<br />
rope puis d’Afrique du Nord et d’Ori<strong>en</strong>t à la société occi<strong>de</strong>ntale<br />
mo<strong>de</strong>rne aux XIXème et XXème sièoies(2). Ces intellectuels ont p<strong>en</strong>sé<br />
tout naturellem<strong>en</strong>t aussi les bouleversem<strong>en</strong>ts sociaux et culturels<br />
qui affectai<strong>en</strong>t au même mom<strong>en</strong>t la société dans laquelle ils s’intégrai<strong>en</strong>t.<br />
Ils ne pouvai<strong>en</strong>t se fondre que dans une société que cette intégration<br />
même r<strong>en</strong>ouvelait, sans quoi leur mémoire et leur i<strong>de</strong>ntité ett dispa<br />
ru sans trace. De là le rêle si important <strong>de</strong>s intellectuels juifs<br />
dans le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces sociales.<br />
Plus généralem<strong>en</strong>t, on ne peut qu’être frappé par le nombre<br />
d’intellectuels parmi les émigrés et d’émigrés parmi les intellectuels.<br />
Comme s’il y avait, pour le petit nombre <strong>de</strong> ceux, du moins, que le<br />
traumatisme <strong>de</strong> l’exil n’a pas brutalem<strong>en</strong>t condamné à la médiocrité<br />
ou au naufrage, une sorte <strong>de</strong> “bénéfice secondaire” <strong>de</strong> cette épreuve<br />
même — non pas d’un point <strong>de</strong> vue psychologiqnie, mais bi<strong>en</strong> du point<br />
<strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s conditions jrtelleotuelles <strong>de</strong> 1jnyefltiofl<br />
La richesse intellectuelle <strong>de</strong> l’empire austro—hongrois finis<br />
sant n’explique pas seule l’extraordinaire floraison <strong>de</strong> grands intel<br />
lectuels et artistes émigrés <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne à partir <strong>de</strong>s années 1920 et<br />
1930: <strong>de</strong> Preud à Wittg<strong>en</strong>stein, <strong>en</strong> passant par Von Mises, Popper,<br />
Hayek... Il faudrait vérifier dans la biographie intellectuelle <strong>de</strong><br />
chacun d’eux, mais il me semble que l’exil réalise acci<strong>de</strong>ntelle—<br />
I. Jean—Paul Sartre, Réflexions sur la Question juive, 1954.<br />
2. Cf. les réflexions d’lnmanue1 Lévinas à ce sujet dans L’Au—<strong>de</strong>là<br />
du Verset, Rditions <strong>de</strong> Minuit, 1982, pp.229—234.<br />
3. Vérification facile dans le cas <strong>de</strong> Popper, qui donne les élém<strong>en</strong>ts<br />
et d’information, et <strong>de</strong> réflexion, dans sa Quête inachevée, Calmarux—<br />
Lévy.<br />
— 179 —
— 180 —<br />
m<strong>en</strong>t uie situation qu’on n’oserait provoquer int<strong>en</strong>tionnellem<strong>en</strong>t. Un<br />
homme asse brutalem<strong>en</strong>t d’une culture dans une autre. Dans la nouvelle<br />
oultur règn<strong>en</strong>t d’autres valeurs référées à une autre mémoire, à<br />
corpus, à d’autres institutions, à d’autres bibliothèques,<br />
à. une utre histoire. Or l’homme <strong>en</strong> question. est lui—même parti avec<br />
le trésor <strong>de</strong> sa patrie intellectuelle <strong>en</strong>foui dans son cerveau (ii n’a,<br />
souv<strong>en</strong>t, que peu <strong>de</strong> bagages). Ceci doit favoriser la “visibilité”<br />
<strong>de</strong>s prckblmes communs aux <strong>de</strong>ux pays et <strong>en</strong> général <strong>de</strong> réalités plus<br />
universelles que celles qu’ont déjà i<strong>de</strong>ntifiées les traditions res—<br />
pectjve’n. Les limites <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>tes cultures doiv<strong>en</strong>t apparaitre<br />
plus ne tem<strong>en</strong>t à celui qui ne peut plus se reposer dans le confort<br />
<strong>de</strong> “cer les herméneutiques” où tout le mon<strong>de</strong> s’accor<strong>de</strong> et communj.e<br />
dans la célébration <strong>de</strong>s mêmes valeurs. par “confort” nous<br />
dons, e cors une fois, ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> psychologique ou d’affectif, du moins<br />
au s<strong>en</strong>abanal du terme; nous voulons parler <strong>de</strong> ce confort <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sés<br />
qui l’a torise à s’arrêter à certains présupposés, à certains symboles,<br />
sans le “creuser”, sans les mettre à distance et <strong>en</strong> perspective, parce<br />
que, ma gré leur obscurité, ils ont été reconnus par membres<br />
du même “cercle herméneutique” et ont suffi à l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te réciproque.<br />
L’émigré, lui, n’accè<strong>de</strong> pas à ce confort; parfois cela lui est, à lui—<br />
même, une limite: la culture où il pénètre lui <strong>de</strong>meure incompréh<strong>en</strong>si<br />
ble; mais dans les cas qui nous intéress<strong>en</strong>t ici, il voit que les sym-.<br />
bobs ne veul<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> dire, que les présupposés n’ont jamais été expli—<br />
citéa. Ce qui, pour les membres du groupe, est absolu etnuit est,<br />
pour l’éranger, situé. Il peut dire cette situation.<br />
I<br />
I<br />
:1<br />
— 181 —<br />
En ce qui concerne la “pluridisciplinarité” — terme d’ailleurs<br />
<strong>en</strong> partie impropre, puisqu’il évoque une institutionnalisation <strong>de</strong>s<br />
contacts, alors que nous parlons ici d’intercommunication a—typique,<br />
voire <strong>de</strong> contacts purem<strong>en</strong>t conting<strong>en</strong>ts — nous pouvons citer une série<br />
d’autres exemples. Si F.—A. Hayek a pu forger une oeuvre qui n, p<strong>en</strong><br />
sons—nous, une importance comparable à celle <strong>de</strong> Marx par sa radica—<br />
lité et sa vocation à fournir une intelligibilité synthétique <strong>de</strong><br />
la réalité sociale, c’est certainem<strong>en</strong>t parce que llayek dépasse chacune<br />
<strong>de</strong>s diciplines auxquelles il emprunte <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts. D’abord étudiant<br />
<strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces, il étudie <strong>de</strong> près la psychologie; c’est à la faveur <strong>de</strong><br />
cette étu<strong>de</strong> qu’il pr<strong>en</strong>d consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> la connaissance in<br />
dividuelle. D’où les développem<strong>en</strong>ts épistémologiques <strong>de</strong> Thé Counter—<br />
revolution 0f sci<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong>s principales oeuvres ultérieures. Mais<br />
il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t économiste. Cherchant à compr<strong>en</strong>dre lémerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’ordre<br />
économique, il s’intéresse au cadre juridique <strong>de</strong>s échanges, puis<br />
à la formation <strong>de</strong>s normes juridiques elles—mêmesÇconomie, droit,<br />
sci<strong>en</strong>ces politiques, sociologie et philosophie, cela fait, si ce chif<br />
fre a un s<strong>en</strong>s, cinq gran<strong>de</strong>s disciplines ayant chacune une tradition,<br />
une bibliothèque <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce , <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> recherche et d’efl—<br />
seignem<strong>en</strong>t. Si ‘tayek fût resté prisonnier <strong>de</strong> l’une ou lare <strong>de</strong> ces<br />
disciplines, ou <strong>en</strong>core s’il fût resté, par exemple, éoonomiste, et<br />
n’eût eu à l’égard <strong>de</strong>s autres disciplines qu’une certaine curiosité<br />
intellectuelle aboutissant à compléter son information par ce que<br />
I. Cf. Droit, Législation et Liberté, t. I, Presses Universitaires<br />
<strong>de</strong> Franco, 1980, pp.4—5.
nous urrions appeler <strong>de</strong>s cultures satellites il n’eut pas<br />
forgé le système <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée prés<strong>en</strong>té dans Droit, [dgislatjon et Liberté.<br />
Car il a fallu quo, tout <strong>en</strong> étant très érudit dans les cinq dieciplj...<br />
nes, iil réorganise le savoir recueilli dans chacune d’elles selon<br />
<strong>de</strong>s cncepts originaux que ne fournit aucune d’elles. C’est bi<strong>en</strong>,<br />
au vr , ce qu’avait fait Marx lui—même, philosophe, analyste poli—<br />
tique,éoonornj<br />
50<br />
, curieux d’ethnologie et <strong>de</strong> sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la nature,<br />
et Gré teur s’il <strong>en</strong> fut.<br />
Ious voyons une “hybridation” fécon<strong>de</strong> <strong>en</strong>tre une ou <strong>de</strong>s connais<br />
sanceS traditionnelles littéraires et une ou <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces exactes<br />
chez Pieud (mé<strong>de</strong>cine + mythologies et folklores), Bergeon (philoso—.<br />
phie + biologie), Teilhard <strong>de</strong> Chardjn (théologie + biologie + géologie),<br />
Wittgeietein (philosophie + logique), Russeil (philosophie ÷ mathéma-.<br />
tiques ÷ logique), Popper (philosophie ÷ biologie + physique), etc. De<br />
grands aavant <strong>de</strong> l’époque contemporaine, ayant par ailleurs une vaste<br />
culture dans les Sci<strong>en</strong>ces herméneutiques, ont proposé <strong>de</strong>s théories<br />
ayant une portée culturelle et fait oeuvre d’intellectuels: Mach,<br />
Eintei , Born, Heis<strong>en</strong>berg, Shr8dinger, l1onod, Jacob, Loronz, Prigo-.<br />
gine, d: Espagnat... La “sociobiologie”, réflexion comparative suu.<br />
certains données <strong>de</strong> la biologie et <strong>de</strong> la sociologie, n’est peut—atre<br />
pas une sci<strong>en</strong>ce fécon<strong>de</strong> et durable, mais elle est certaineme,t un<br />
phénomèpe intellectuel. La “nouvelle histoire” et l’histoire “quanti<br />
tative ïupposai<strong>en</strong>t une r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong> l’histoire et <strong>de</strong> lécono<br />
u»a oonrajssance approfondie <strong>de</strong>s mathématiques.<br />
5j, voire<br />
I. Ce qie font, naturellem<strong>en</strong>t, la plupart <strong>de</strong> savants <strong>de</strong> la “sci<strong>en</strong>ce<br />
norm4le” et <strong>de</strong>s universitaires, qui peuv<strong>en</strong>t être fort cultivés<br />
dans <strong>de</strong> nombreux domaines sans que cela fasse d’eux <strong>de</strong>s intellec—<br />
tuel créatifs. Ce n’est pas l’addition ou l’agglomération <strong>de</strong>s<br />
infoimatjonm qui compte <strong>en</strong> eUe—même, mais leur révrganiaatjo<br />
dans <strong>de</strong>s formes nouvelles.<br />
— 182 —<br />
I<br />
— 183 —<br />
Jacques Maritain fut philosophe, théologi<strong>en</strong>, spécialiste <strong>de</strong><br />
sci<strong>en</strong>ces politiques (et même considéré à cet égard comme un “expert”)4<br />
I]. est très instructif <strong>de</strong> réfléchir à l’itinéraire d’un R<strong>en</strong>é Girard.<br />
Parti <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art, spécialisé dans l’analyse littéraire,<br />
c’est là quil découvre la “miméei&’ qui <strong>en</strong>suite lui sert <strong>de</strong> clef<br />
pour la compréh<strong>en</strong>sion <strong>de</strong>s problèmes les plus ardus <strong>de</strong> lethnologie<br />
et <strong>de</strong> diverses soi<strong>en</strong>ces sociales. Ret<strong>en</strong>ons, <strong>en</strong> prémioe à <strong>de</strong>s réflexions<br />
futures, qu’une telle carrière n’a pu se déployer qu’aux ]ltatm—Unie.
tuels e<br />
tionn c<br />
— j84 — 185 —<br />
La troisième dim<strong>en</strong>sion du “multipositionnem<strong>en</strong>t” <strong>de</strong>s intellec—<br />
t leur fréqu<strong>en</strong>te appart<strong>en</strong>ance simultanée à plusieurs institu—<br />
iturelles.<br />
Une <strong>en</strong>quête détaillée du Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éduoation montrait qu’un<br />
grand n mbre d’intellectuels français <strong>de</strong>s années 1970 appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />
d’une m nière ou d’une autre à trois institutions: l’Université (ou<br />
les “gr nds établissem<strong>en</strong>ts” d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t supérieur et <strong>de</strong> recherche),<br />
l’éditi n, la presse. Dans chacune d’elles, le mot “appart<strong>en</strong>ance” n’a<br />
pas le zme s<strong>en</strong>s. On “apparti<strong>en</strong>t” à l’Université au terme d’une procé—<br />
dure d’habilitation cléricale irréversible qui s’appar<strong>en</strong>te aux voeux<br />
monasti ues, à l’ordination <strong>de</strong>s prêtres ou autres procédures initiati<br />
ques <strong>de</strong> cléricatures fermées. En revanche, peu fréqu<strong>en</strong>ts sont les in<br />
tellect els qui soi<strong>en</strong>t les employés d’un journal ou d’une maison d’ddi—<br />
tion “àplein temps”. Mais dans les trois cas, il s’agit bi<strong>en</strong> d’activi<br />
tés processionnelles, correspondant à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et à un marché. Le<br />
multipoeitionnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> question n’<strong>en</strong> est que plus étrange. Pourquoi<br />
l’intel ectuel n’a—t—il pas un, et un seul, “employeur”? Ce que ce fait<br />
signifi est sans doute que le “prophète”, dans notre culture contempo<br />
raine, ie peut jouer ce rêle dans aucune <strong>de</strong>s institutions existantes<br />
seules, ou si l’on veut qu’il n’y a pas <strong>de</strong> “marché” pour l”intellectuel”<br />
<strong>en</strong>. tant ‘que tel (<strong>en</strong> tant que créateur original). L’exist<strong>en</strong>ce d’un marché<br />
I..<br />
Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éducation, février 1977. Cf. aussi nos articles:<br />
‘La nouvelle reaponsabilité <strong>de</strong>s clercs”, Le Mon<strong>de</strong>, 8 septembre<br />
978 “Les intellectuels, le pouvoir et la société”, Le Mon<strong>de</strong>,<br />
et 27 avril 1979.<br />
suppose <strong>en</strong> effet l’i<strong>de</strong>ntification d’un besoin. Or celui auquol l’intel<br />
lectuel répond n’est i<strong>de</strong>ntifié que par sa réponse mme. En<br />
termes, aucune institution culturelle ne saurait employer un “prophète”<br />
comme tel. Il y a peut—tre néanmoins une différ<strong>en</strong>ce ess<strong>en</strong>tielle à cet<br />
égard <strong>en</strong>tre les institutions culturelles mo<strong>de</strong>rnes et les cléricabures<br />
classiques. Celles—ci fur<strong>en</strong>t, semble—t—il, à certains mom<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> leur<br />
histoire, tout à la fois assez stables et assez complexes pour admettre<br />
l’intégrer après un temps plus ou moins long aux corpus<br />
et aux doctrines et donc pour “employer <strong>de</strong>s prophètes”. Nous parlerons<br />
plus loin <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> Unjversité médiévale, et nous pourrions citer,<br />
<strong>en</strong> tout cas, l’Universjté française “républicaine” du début du XXème<br />
siècle. Il est significatif, par contraste, que les intelleotuels contem<br />
porains, pour être tels, soi<strong>en</strong>t spontauxim<strong>en</strong>t conduits à travailler<br />
dans plusieurs institutions, et singulièrem<strong>en</strong>t à ne pas se cont<strong>en</strong>ter<br />
<strong>de</strong> lappart<strong>en</strong>ance universitaire — qui reste la plus fréqu<strong>en</strong>te, mais<br />
qui n’est dorénavant, ni exclusive ni obligatoire.<br />
Qest_ce qui pousse <strong>en</strong> effet <strong>de</strong>s universitaires à diriger <strong>de</strong>s<br />
collections dans les gran<strong>de</strong>s maisons d’édition? Ce fait, qui est fré<br />
qu<strong>en</strong>t et auquel nous sommes mime tout—à—fait habitués, fl5fl est pas<br />
moins paradoxal au regard <strong>de</strong> ce que Ujversit4 <strong>de</strong>vrait être et dit<br />
<strong>en</strong>core qu’elle est. Le “public” naturel du professeur est constitué<br />
<strong>de</strong> ses étudiants, <strong>de</strong>s étudiants plus avancésdont il dirige les recher<br />
ches, et <strong>en</strong>fin <strong>de</strong> ses collègues ou “pairs” spécialistes <strong>de</strong> la mime<br />
discipline. Pourquoi rechercher, par le système <strong>de</strong> l’éditibn, un tout<br />
autre public? Il ne suffit nullem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> répondre que le public idéal
-i86—<br />
du clerc (on sectaire) est la société globale, car la question est<br />
préoisdm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> savoir pourquoi un universitaire p<strong>en</strong>se désormais qu’il<br />
ne pourra atteindre la société globale qu<strong>en</strong> outrepassant les circuits<br />
propres à ‘inatitution. Les grands universitaires veul<strong>en</strong>t aujourd’hui,<br />
comme par le passé, que leurs théories soi<strong>en</strong>t connues, comprises, déve<br />
loppées, foondées; mais pour que cet effet <strong>de</strong> groupe se produise, pour<br />
qu’advi<strong>en</strong>n ce “précipité chimique” d’un corps <strong>de</strong> doctrine <strong>en</strong> train<br />
<strong>de</strong> se consituer, ils s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t que l’animation d’un Séminaire interne<br />
à l’tJniverjté ne suffira pas. Ils sont conduits à- animer une collec<br />
tion <strong>de</strong> li’res allant à un public pjori indéterminé. Et ils s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
que cela et nécessaire, précisons—le bi<strong>en</strong>, non seulem<strong>en</strong>t pour la diffu<br />
sion <strong>de</strong> leurs idées et leur propre célébrité, mais pour l’élaboration<br />
mme <strong>de</strong>s iées(dont ils sav<strong>en</strong>t que, si elles ne sont pas appropriées<br />
par d’autrs et ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à quelque <strong>de</strong>gré collectives et ano<br />
nymes, ells n’illustreront précisém<strong>en</strong>t pas leur nom). Si l’édjtjon<br />
ne servaitqu’à diffuser les idées, les p<strong>en</strong>seurs contemporains se con—<br />
t<strong>en</strong>teraj<strong>en</strong> <strong>de</strong> publier leurs livres; ce qui nous frappe est le fait<br />
qu’ils von bi<strong>en</strong> plus loin puisqu’ils dirig<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s collections, donc<br />
organie<strong>en</strong>t le travail d’autres chercheurs; et cela, ils ne le font<br />
pas dans linstitution—université, mais dans l’institution—édition.<br />
Unexemp1e que nous connaissons bi<strong>en</strong>, celui <strong>de</strong>s “nouveaux philo<br />
sophes”, diustrera notre propos. Aucun <strong>de</strong>s “nouveaux philosophes”, à<br />
l’époque (976—I977) où fut connue leur <strong>en</strong>treprise, n’était universi<br />
taire au sans propre du terme, mais tous étai<strong>en</strong>t diplômés <strong>de</strong><br />
et “clercs <strong>de</strong> formation. Non seulem<strong>en</strong>t ils ont écrit <strong>de</strong>s livres dans<br />
— 187 —<br />
une collection non universitaire et qui visait un large public, mais<br />
ils ont participé volontiers à la campagne <strong>de</strong> presse qui m’eat déve<br />
loppée plum ou moins spontaném<strong>en</strong>t peu après la parution <strong>de</strong>s livres: in<br />
terv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> lédjtjon, interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la presse.<br />
On peut p<strong>en</strong>ser ce qu’on veut <strong>de</strong> ces livres et <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong> passa<br />
gère qui les a fait connaltre, maie il est indubitable que le “meonag&’<br />
transmis, à savoir la mort philosophique du marxisme et <strong>de</strong> ses variarrtem<br />
ou prolongem<strong>en</strong>ts structuralistes dans l’intellig<strong>en</strong>tsia anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>it <strong>de</strong><br />
gauche a été effectivem<strong>en</strong>t reçu et a eu quelque impact sur la micro—his<br />
toire parisi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s idées politiques. Or intéressons—nous au circuit<br />
<strong>de</strong> cette influ<strong>en</strong>ce. Il est relativem<strong>en</strong>t nouveau et spéoifique.<br />
Les nouveaux philosophes sont “clercs”. Sjs ne l’étai<strong>en</strong>t pas,<br />
leur- autorité eerait moindre; mais, d’un autre côté, les théories qu’ils<br />
propos<strong>en</strong>t ne peuv<strong>en</strong>t être reçues ni relayées dans une université olé—<br />
rosée. Elles ne peuv<strong>en</strong>t l’âtre par la oléricaturo philosophique la plus<br />
traditionnelle, <strong>en</strong>fermée dans son corpus canoniques, qui sont<br />
ceux du programme <strong>de</strong> iagrdgation. La oléricature traditionnelle n’a<br />
jamais admis ni le marxisme, ni la psyohanalyee, ni le structuralisme,<br />
ni, d’une façon générale, les sci<strong>en</strong>ces sociales. Mais les nouveaux phi<br />
losophes ne trouv<strong>en</strong>t pas non plus parmi la cléricaturo mo<strong>de</strong>rniste<br />
elle—mime, qui a vécu l’av<strong>en</strong>ture <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces sociales et n fait <strong>en</strong>trer<br />
celles—ci à l’université, mais <strong>en</strong> se cristallisant très vite autour d’un<br />
projet politique, <strong>de</strong> partim et <strong>de</strong> syndicats <strong>de</strong> gauche. Pour les premiers,<br />
c’est le cont<strong>en</strong>u philosophique du message <strong>de</strong>s nouveaux philosophes qui<br />
pas recevable. Pour les seconds, c’est son cont<strong>en</strong>u politique.<br />
Les nouveaux philosophes ne sont pas masochistes ni pusillanimes.
Ils n’oit aucun complexe par rapport à la vieille académie: ils <strong>en</strong> sor<br />
t<strong>en</strong>t et ont connu ce qu’elle a <strong>de</strong> meilleur, dans les “khgnes” et les<br />
Ecoles iormales supérieures. Ils n’<strong>en</strong> ont pas non plus par rapport à<br />
la gauol<br />
1e. Ils ont été gauchistes et ont donné, dans les années agitées<br />
<strong>de</strong> l’ap1ès—mai 1968, au marxisme toutes ses chances d’être vrai. la<br />
fausset <strong>de</strong> la doctrine est irréversiblem<strong>en</strong>t établie dans leur esprit.<br />
Par conséqu<strong>en</strong>t ils parl<strong>en</strong>t à qui veut bi<strong>en</strong> les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong><br />
ce et la presse, peu s<strong>en</strong>sibles aux ukases et fulminations<br />
<strong>de</strong>s clér.catures.<br />
elles—ci ne s’agit<strong>en</strong>t pas parce qu’uns campagne <strong>de</strong> presse suit<br />
son cour3. Habituellem<strong>en</strong>t, les <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s sont relativem<strong>en</strong>t é-tanches.<br />
Elles iaervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans ce cas et montr<strong>en</strong>t publiquem<strong>en</strong>t uns certaine<br />
acrimoni, parce que le message transmis est théorique(et le langage<br />
utilisé,clérical). Les nouveaux philosophes ont marché sur le terrain<br />
<strong>de</strong>s clercs. Ils n’ont pas seulem<strong>en</strong>t ajouté <strong>de</strong>s idées à d’autres dans<br />
les case et selon les modalités <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce normale. Ils ont changé<br />
les règls mêmes du jeu, et les ont mime, à certains égards, inversées:<br />
itéaitio4 et la presse servant <strong>de</strong> “chaires”, les universitaires faisant<br />
le comm<strong>en</strong>taire journalistique. Ils ont été, exemplairem<strong>en</strong>tL, <strong>de</strong>s intel—<br />
lectuels.<br />
rllustrona par d’autres exemples la pluri—appart<strong>en</strong>ance institu—<br />
tionnell <strong>de</strong>s intellectuels. Jacques Maritaia n’a jamais été universi<br />
taire, bi<strong>en</strong> qu’il fût agrégé <strong>de</strong> philosophie. En revanche, il a fait <strong>de</strong><br />
nombreuse confér<strong>en</strong>ces dans les universités, et il a vécu <strong>de</strong> ses livres.<br />
Jean—Mari Dom<strong>en</strong>ach, avant d’être professeur à Polytechnique,<br />
I<br />
— 188 — i89 —<br />
a dirigé une revue et plusieurs collections dans l’édition, a écrit<br />
<strong>de</strong>s livres et collaboré à <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> presse. Maurice Clavel avait<br />
une chronique régulière au Nouvel Observatep et interv<strong>en</strong>ait constam<br />
m<strong>en</strong>t dans la presse quotidi<strong>en</strong>ne et à la<br />
adio_téléVisi0fl tout <strong>en</strong> écri<br />
vant <strong>de</strong>s ouvrages dont le plus volumineux et peut—tre le plus impoittant,<br />
le livre sur Kant, étai-t dans son esprit sa thèse d’Etat, qu’il avait<br />
l’int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> sout<strong>en</strong>ir à l’Université. En étant journaliste ou écri<br />
vain, il n’avait nullem<strong>en</strong>t l’int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> cesser<br />
philosophe et<br />
m<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> front ces activités aveO le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’une parfaite cohé<br />
r<strong>en</strong>ce, celle même <strong>de</strong> sa “prophétie” et <strong>de</strong> son combat.<br />
Ce multipo3iti0flflemeat <strong>de</strong>s intellectuels dans plusieurs insti<br />
tutions est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u très courant et même, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, très banal. I].<br />
n’<strong>en</strong> est pas moins, si l’on y réfléchit bi<strong>en</strong>, fort illogique. Il im<br />
plique une dispersion, une perte d’énergie, la quasi_impossibilité<br />
<strong>de</strong> poursuivre un travail sur mie longue pério<strong>de</strong> et <strong>de</strong> le m<strong>en</strong>er à son<br />
terme sans interruption, ainsi que <strong>de</strong> suivre tant soit peu l’effet <strong>de</strong><br />
dissémination <strong>de</strong>S publicationS et le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s théories. Le<br />
fait que les grands intellectuels (nous aurions pu <strong>en</strong> citer beaucoup<br />
et tous ceux qui compt<strong>en</strong>t) se soi<strong>en</strong>t trouvés spontaném<strong>en</strong>t<br />
conduits à agir ainsi <strong>de</strong>puis quelques dizaines d’années et diautant<br />
plus significatif.<br />
Il doit y avoir une raison profon<strong>de</strong> à ce comportem<strong>en</strong>t, et nous<br />
pouvons t<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> la formuler à partir <strong>de</strong> nos hypothèses initiales.<br />
Puisque nous avons défini l’intellectuel comme celui qui résoud les<br />
problèmel4 nouveaux qui se pos<strong>en</strong>t à la5ooiété globale,<br />
<strong>en</strong> consé—
I<br />
— 190 —<br />
qu<strong>en</strong>ce mme <strong>de</strong> cette définition que none <strong>de</strong>vons supposer que l’intellec<br />
tuel est <strong>en</strong> communication effective avec la société globale, ses problè<br />
mes, les événem<strong>en</strong>ts qui s’y produis<strong>en</strong>t. Nous avons ici la clef épisté—<br />
mologique <strong>de</strong> notre analyse sociologique. Il faut que l’intellectuel<br />
soit pi é sur les circuits <strong>de</strong> communication qui permett<strong>en</strong>t cette con—<br />
naissance.<br />
Contrairem<strong>en</strong>t à l’universitaire, l’intellectuel est un homme<br />
qui fréqu<strong>en</strong>te ordinairem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nombreux milieux sociaux différ<strong>en</strong>ts<br />
(c’est sussi le cas <strong>de</strong> l’homme politique). Il provoque <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres<br />
et <strong>de</strong>s changes djdc fait <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ces et va à <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ces,<br />
assiste à <strong>de</strong>s réunions et à <strong>de</strong>s meetings, crée <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> réflexion<br />
plus ou moins durables ou participe à <strong>de</strong> tels groupes, lit beaucoup,<br />
connaît personnellem<strong>en</strong>t les auteurs, épluche la presse, etc. La commu—<br />
nicatiod ne se fait jamais à s<strong>en</strong>s unique. hti—mme est conduit tout<br />
naturel]em<strong>en</strong>t à écrire pour la presse, à aoccuper <strong>de</strong> collections, à<br />
fon<strong>de</strong>r es groupes, <strong>de</strong>s revues, à parler <strong>en</strong> public.<br />
Ce fait connu est <strong>en</strong> général mal interprété. De ce que l’intel—<br />
lectuelcommunique avec plusieurs milieux sociaux, on conclut qu’il est<br />
un intemédiaire, et on confond la fonction <strong>de</strong>s intellectuels avec oelle<br />
<strong>de</strong>s “méUas”. Il est vrai que que la frontière <strong>en</strong>tre l’intellectuel et<br />
le vulgrisateur ou le ‘polygraphe” n’est pas toujours facile à tracer,<br />
mais le principe <strong>de</strong> la distinction est clair. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas,<br />
la oommmication najoute ri<strong>en</strong> au message et se cont<strong>en</strong>te <strong>de</strong> le trans<br />
mettre avec, le plus souv<strong>en</strong>t, un certain affadissem<strong>en</strong>t et une certaine<br />
déperdiion d’information). Dans le cas <strong>de</strong> l’intellectuel, la communi<br />
cation un rêle créateur. C’est parce qu’il est <strong>en</strong> Communication avec<br />
— 191 —<br />
plusieurs sources que l’intellectuel peut créer <strong>de</strong>s théories qui n’au<br />
rai<strong>en</strong>t pu germer <strong>en</strong> aucune <strong>de</strong> ces sources isolém<strong>en</strong>t.<br />
Le “multipositionnem<strong>en</strong>M” institutionnel <strong>de</strong>s créateurs dans la<br />
pério<strong>de</strong> réc<strong>en</strong>te n’est ainsi que la conséqu<strong>en</strong>ce du fait qu’aucune <strong>de</strong>s<br />
institutions culturelles existairtes ne suffit à elle seule pour un<br />
chercheur. Aucune r’eet suffisamm<strong>en</strong>t “connectée” avec la société mo<strong>de</strong>r.-.<br />
ne et pas, <strong>en</strong> particulier, les anci<strong>en</strong>nes gran<strong>de</strong>s cléricaturem comme<br />
l’université laique—étatique du XIXème siècle. Quiconque s’intéresse,<br />
y compris avec l’esprit le plus théorici<strong>en</strong> et abstrait dii sci<strong>en</strong>tifique<br />
et la plus gran<strong>de</strong> aversion pour la dispersion et jntellec-.<br />
tuelle superficielle <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong>s “médias”, à la réalité sociale<br />
mo<strong>de</strong>rne, doit donc se “positionner” sur plusieurs institutions. Il<br />
le fait souv<strong>en</strong>t à son corps déf<strong>en</strong>dant dans la mesure où, <strong>en</strong>core une<br />
fois, ce multipositionnem<strong>en</strong>t implique dispersion et inconfort. Mais<br />
il y est obligé, tous comptes faits (et, <strong>en</strong> réalité, spontaném<strong>en</strong>t),<br />
par sa curiosité, na probité et sa rigueur intellectuelles elles—mêmes.<br />
En d’autres termes, l’intellectuel travaille à partir d’infor<br />
mations. Mais ces informations na sont telles que la nouvelle thé—<br />
crie quil est capable <strong>de</strong> forger. Pour les autres professionnels <strong>de</strong>s<br />
idées, elles nont pas <strong>de</strong> rapport <strong>en</strong>tre elles; elles sont <strong>de</strong>s<br />
Or toute institution culturelle suppose l’i<strong>de</strong>ntification d’un corpus<br />
organisées et cohér<strong>en</strong>tes qui sont la mémoire et la réfé—<br />
r<strong>en</strong>ce collective <strong>de</strong> Les informations qui vont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir<br />
sig ificatives pour l’intellectuel sont seulem<strong>en</strong>t, elles, un corpus<br />
virtuel. Constitué au hasard <strong>de</strong> lectures et <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres, ce corpus
— 192 —<br />
n’est pas “actualisé”, c’est—à--dire qu’il n’est pas i<strong>de</strong>ntifié à la<br />
faveur d’une explicitation, notamm<strong>en</strong>t écrite, qui permettrait <strong>de</strong> le<br />
peroevo r comme tel puis <strong>de</strong> le comnuniquer. Il sera actualisé pour la<br />
premièr fois, par exemple, à l’occasion, <strong>de</strong> la constitution <strong>de</strong> la hi—<br />
bliogra hie d’un livre, où tous les élém<strong>en</strong>ts ayant servi <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce<br />
seront crits, listés, r<strong>en</strong>dus visibles comme corps. D’autres intellectuels<br />
ayant é rit <strong>de</strong>s livres sur <strong>de</strong>s problèmes proches écriront <strong>de</strong> leur ct6<br />
(formel em<strong>en</strong>t ou non) une autre bibliographie, et à partir <strong>de</strong> là les<br />
“intersections” <strong>de</strong> ces différ<strong>en</strong>tes bibliographies constitueront un<br />
<strong>en</strong>sembl commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces, qui sera à son tour d’autant plus fré<br />
quemm<strong>en</strong>t répété qu’on <strong>en</strong>, aura plus souv<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>contré les élém<strong>en</strong>ts dans<br />
les dif ér<strong>en</strong>ts livres. Vi<strong>en</strong>dra alors le mom<strong>en</strong>t où 1on fon<strong>de</strong>ra un groupe<br />
au sein duquel les problèmes qui préoccup<strong>en</strong>t chacun <strong>de</strong>s membres seront<br />
travail és à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces référ<strong>en</strong>ces communes, et où celles—ci <strong>de</strong>vront<br />
tre co nues et admises <strong>de</strong> quiconque veut participer aux travaux du<br />
groupe u compr<strong>en</strong>dre les discours qui désormais <strong>en</strong> éman<strong>en</strong>t. Une “Qommu—<br />
nauté h rméneutique” ocra née, une problématique sera i<strong>de</strong>ntifiée. A par<br />
tir <strong>de</strong> à une institution pourra être fondée, oarla problématique et<br />
les pr<strong>en</strong>ières solutions trouvées pourront runcontrer’ un “marché”, éco—<br />
nomiqueou “politique”, dans l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. L’intellectuel cessera<br />
alorsd3tre une “vox clamans in<br />
prise,<br />
raréfie<br />
tion se<br />
A partir <strong>de</strong> là, l’intérêt <strong>de</strong> la raion, dans la recherche <strong>en</strong>tre—<br />
,era, au rebours <strong>de</strong> ce qu’il était aux étapes antérieures, <strong>de</strong><br />
les contacts et la communication avec l’extérieur. Ljnstjt_<br />
refermera sur son corpus et sur sa problématique. Toute inter—<br />
— 193 —<br />
v<strong>en</strong>tion d’informations extérieures (sauf celles qu’att<strong>en</strong>d, parce qu’elle<br />
les perçoit d’avance comme significatives et intéressantes, la doctri—<br />
ne <strong>en</strong> train <strong>de</strong> se former) serait perçue dorénavant comme v<strong>en</strong>ant interrom<br />
pre un travail d’élaboration <strong>en</strong> train <strong>de</strong> se faire, et comme m<strong>en</strong>açant<br />
<strong>de</strong> détruire, ou <strong>de</strong> forcer à recomm<strong>en</strong>cer à zéro, une construction déjà<br />
avancée. C’est bi<strong>en</strong> pourquoi, à partir <strong>de</strong> là, le clerc remplacera peu<br />
à peu l’intellectuel.<br />
phétie”.<br />
Rev<strong>en</strong>ons à celui—ci et aux conditions d’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> sa “pro—<br />
I. Nous développerons, dans une prochaine étu<strong>de</strong>, l’analyse <strong>de</strong> ce proces<br />
sus dont nous v<strong>en</strong>ons d’indiquer à grands traits les étapes.
— i9’i —<br />
IV — ‘EXPH IS5 ION DN L ‘111110V ATION INTELlECTUELLE<br />
Comme les prophètes, les intellectuels pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à témoin le<br />
public (la”société globale”) par—<strong>de</strong>là les cléricatures établies et<br />
leurs circuits canoniques<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> rappeler ici les mo<strong>de</strong>s d’interv<strong>en</strong>tion<br />
<strong>de</strong>s pr phètes bibliques. Déjà dans ce cas, il s’agit d’interpeller lea<br />
pouvoi e <strong>en</strong> s’appuyant sur le peuple, et <strong>de</strong> le faire <strong>en</strong> court—circuitant<br />
les intitutions cléricales établies et <strong>en</strong> suscitant <strong>de</strong> nouvelles for—<br />
mation. Rappelons <strong>en</strong> outre que l’action propre du prophète est le<br />
ministre <strong>de</strong> la Parole, donc l’action par la parole, la parole agissan-.<br />
te; lc actes muets — il y <strong>en</strong> aura — seront symboliques, <strong>de</strong>stinés eux—<br />
mêmes 4 “parler”.<br />
Le mo<strong>de</strong> principal d’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s prophètes bibliques est<br />
l’oraol public, le discours au peuple, dont les livres bibliques con—<br />
serv<strong>en</strong>t le collections. donne une interprétation du malheur<br />
prés<strong>en</strong>t propose un schéma d’explication à partir duquel s’indique<br />
d’elle—ême la conduite à adopter darLa l’instant prés<strong>en</strong>t critique. Le<br />
prophèt, que Dieu ti<strong>en</strong>t pour responsable <strong>de</strong> la tournure que va pr<strong>en</strong>dre<br />
désorma!s l’Itistoire (ii faut, donc, qu’il parle; le salut du peuple<br />
<strong>en</strong> déperd, mais aussi, désormais, le si<strong>en</strong> propre; il pécherait s’il ne<br />
disait e qu’il sait; cf. Ez 3, 16—21; 33, I—9; et aussi, 12) ne<br />
songe pais à ménager sa peine. Il guette (Ez, ibid.). Il va se poster<br />
dans les[ <strong>en</strong>droits publics, au milieu <strong>de</strong> Ninive (Jonas, 3, 4), <strong>de</strong>vant<br />
le Tompl <strong>de</strong> Jérusalem (Jér. 1’<br />
2), <strong>de</strong>vant tout le peuple (Jér. 25, 2;<br />
— 195 —<br />
Bu, I, 3—4, etc.), à la cour du roi (Jér. 36, 21 Da 2, 27, etc.),<br />
afin d’être <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du dc ce que nous appelons la “société globaleI. Il<br />
invective les faux prophètes et les prêtres (le, , 10; Jér, 23, 9—40,<br />
f, 9; Os, , I—7; Joél, I, 13; Ni, 2, 6; 3, 5; 50, I, 4—7; Ag, I, I, eto;)<br />
lesquels résist<strong>en</strong>t. et contre—attaqu<strong>en</strong>t (m, , 10—13, eto.), ce qui<br />
montre que la prophétie déstabilise les institutions.<br />
Les prophètes ne parl<strong>en</strong>t pas que par oracles. Ils font <strong>de</strong>s<br />
gestes symboliques. Samuel oizt Satti (I 5, 10). Jérémie se met un joug<br />
sur le cou (Jér, ) pour signifier que tous les peuples <strong>de</strong> la régimn<br />
vont être soumis à Nabuchodon050r. Hananya, qui est un- faux prophète<br />
(dit la Bible) “<strong>en</strong>leva”, <strong>de</strong> son côté, “le joug <strong>de</strong> la nuque du prophète<br />
Jérémie et le brisa” (Jér 28, 10) pour exprimer l’idée inverse, et<br />
ceci dans le Temple <strong>de</strong> Yahvé, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s prêtres et <strong>de</strong> tout le<br />
peuple. Signe spectaculaire. La vie même <strong>de</strong> Jérémie est un signe. Il<br />
ne se marie pas et n’a pas d’<strong>en</strong>fants, afin <strong>de</strong> montrer que la vie <strong>de</strong>s<br />
<strong>en</strong>faxi’ts <strong>de</strong>s Imralites ne vaut pas la peine tre vécue puisqu’ils<br />
vont être chatiés (Jér 16). En revanche Osée est obligé <strong>de</strong> se marier,<br />
d’épouser une prostituée et <strong>de</strong> donner aux <strong>en</strong>fants qui naiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette<br />
union <strong>de</strong>s noms symboliques (“Nonmon—peuple”, “mal—aimée”) pour marquer<br />
qu’Isral, l’épouse légitime <strong>de</strong> Yahvé, m’est prostituée aux dieux<br />
étrangers (Os I et 2). Avec <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s dupeuple et <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s<br />
prêtres, Jérémie va briser une cruche à Tophèt (Jér) pour montrer<br />
que le peuple façonné par Dieu comme une cruche <strong>de</strong> potier va être puni<br />
pour ses trahisons.<br />
Au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> osa parallèles dont il faudra poursuivre l’étu<strong>de</strong>,<br />
I. Les exemples précé<strong>de</strong>nts sont tirés <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Testam<strong>en</strong>t, mais nous<br />
aurions pu <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre<br />
— pour rester dans la même tradition — dans<br />
le Nouveau Testam<strong>en</strong>t ou chez les Pères <strong>de</strong> l’Eglise, où abon<strong>de</strong>nt le
— 196 —<br />
rev<strong>en</strong>on au mo<strong>de</strong> d’expression <strong>de</strong>s intellectuels. L’analogie prophétique<br />
n le nié ite <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce luflit certain type d’interv<strong>en</strong>—<br />
tion cu turelle à travers divers mo<strong>de</strong>s d’expression. L’intellectuel, <strong>de</strong><br />
même, exeroe la même fonction, qu’il écrive un livre, quil intervi<strong>en</strong>ne<br />
dans l presse, qu’il pr<strong>en</strong>ne la parole dans <strong>de</strong>s réunions publiques ou<br />
qu’il ocomplisse publiquem<strong>en</strong>t un geste symbolique.<br />
I) L’i tellectuel écrit <strong>de</strong>s livres dont la forme prinoipale est l”essai’<br />
C’est évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t là le premier mo<strong>de</strong> d’expression <strong>de</strong><br />
tuel d l’histoire mo<strong>de</strong>rne. Mais un “livre”, cela veut dire tout et<br />
ri<strong>en</strong>. uel typo <strong>de</strong> livre est propre à l’intellectuel?<br />
Ce livre doit exprimer, avons—nous dit, une théorie, qui soit une<br />
solutini nouvelle à un problème nouveau, par la mise <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />
régularités <strong>en</strong>tre élém<strong>en</strong>ts d’expéri<strong>en</strong>ce dorigines diverees et apparte<br />
nant à, un corpus seulem<strong>en</strong>t virtuel, Si nous repr<strong>en</strong>ons chacun <strong>de</strong>s termes<br />
<strong>de</strong> cet e formule, nous aboutissons à quelques caractéristiques formelles<br />
du li e—type <strong>de</strong> l’intellectuel.<br />
9 comme tout<br />
1.1. Le corpus virtuel. Le livre <strong>de</strong> ljntelectue1<br />
discours culturel, <strong>de</strong>vra, pour être significatif, se référer à uns mé<br />
moire culturelle, o’est—à--dire, formellem<strong>en</strong>t parlant, <strong>de</strong>vra comporter<br />
<strong>de</strong>s ctations d’oeuvres ou <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>ces à <strong>de</strong>s expéri<strong>en</strong>ces et à <strong>de</strong>s<br />
événn<strong>en</strong>ts. Mais ces oeuvres et ces expéri<strong>en</strong>ces ne seront pas canoniques.<br />
prophètes—intellectuels, hommes <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action tout <strong>en</strong>semble,<br />
créateurs <strong>de</strong> théories conduits à gérer eux—mêmes le changem<strong>en</strong>t social<br />
provoc4ué par la diffusion et la “cristallisation” <strong>de</strong> ces mêmes idéms.<br />
A cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire du christianisme, les intellectuels eont<br />
nombrqu.x et actifs; la prophétie l’emporte sur la sagesse, les créateurs<br />
<strong>de</strong> doctrines sur les clercs répétitifs. C’est d’ailleurs pourquoi cette<br />
pério<strong>de</strong> est celle <strong>de</strong>s hérésies, <strong>de</strong>s controverses, <strong>de</strong>s schismes, <strong>de</strong> la<br />
plus ‘iol<strong>en</strong>îte activité ‘politique” <strong>de</strong> l’Eglise.<br />
— 197 —<br />
Le livre ne sera donc pas classable dans une discipline académique défi<br />
nie. Pour pr<strong>en</strong>dre un seul exemple, l’ouvrage <strong>de</strong> Jean—Paul Sartre,<br />
QUet_ce que la littérature?, n’est pas un livre relevant <strong>de</strong> la disci<br />
pline académique littéraire et il ne pose pas les mêmes problèmes que<br />
Faguet ouTaine, bi<strong>en</strong> quil ait le même “sujet”. D’autre part, la “mé<br />
moire culturelle” que traduis<strong>en</strong>t les notes n’étant pas canonique, elle<br />
n’est pas non plus organisée. Cela aura souv<strong>en</strong>t pour conséqu<strong>en</strong>ce que<br />
les notes seront peu nombreuses, car à mémoire, tal<strong>en</strong>t et capacité <strong>de</strong><br />
travail égaux, l’intellectuel ne peut mettre <strong>en</strong> oeuvre l’organisation<br />
docum<strong>en</strong>taire propre aux disciplines constituées au sein <strong>de</strong>s cléricatu.—<br />
Le corpus auquel se réfère est bi<strong>en</strong> “virtuel”,<br />
I. Les notes <strong>en</strong> bas <strong>de</strong> page, qui donn<strong>en</strong>t son allure si caractéristique<br />
au livre clérical, sont elles—mêmes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux types. Ou elles expli<br />
cit<strong>en</strong>t une idée prés<strong>en</strong>tée dans le corps du texte, ou elles r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t<br />
à une expéri<strong>en</strong>ce autre qui appuie ou “coeffici<strong>en</strong>ts” l’idée exprimée<br />
dans le texte. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, il faut <strong>en</strong>core distinguer <strong>de</strong>ux<br />
types. Ou bi<strong>en</strong> la note consiste <strong>en</strong> un r<strong>en</strong>voi bibliographique (ou un<br />
r<strong>en</strong>voi à tout autre discours que le lecteur est c<strong>en</strong>sé pouvoir retrou-.<br />
ver ou consulter article <strong>de</strong> presse, film...), ce qui revi<strong>en</strong>t à sup-.<br />
poser que le problème traité dans le texte a déjà été traité ailleurs.<br />
On se situe alors — et on situe le lecteur — dans la “communauté<br />
herméneutique” <strong>de</strong> ceux qui ont eu accès à la “littérature du problè<br />
me” e-t accor<strong>de</strong>nt un certain crédit à cette “littérature”. On s’appuie<br />
déjà sur une réalité institutionnelle. Ou bi<strong>en</strong> la note explicite <strong>en</strong><br />
tièrem<strong>en</strong>t la référ<strong>en</strong>ce, et ne fait appel qu’à la mémoire sociale diffu<br />
se et à la communauté herméneutique <strong>de</strong> ceux qui parl<strong>en</strong>t et compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
la langue (ou une certaine langue plus restreinte et “technique”).Le<br />
livre <strong>de</strong> l’intellectuel, qui ne s’appuie pas sur une réalité institu<br />
tionnelle, <strong>de</strong>vra comporter <strong>en</strong> général peu <strong>de</strong> notes du <strong>de</strong>uxième type.
— 198 —<br />
c’est—à—dire qu’il et induit par sa. théorie rnme. Il est propre à cette<br />
théorie Le m%me intellectuel écriv<strong>en</strong>t un autre livre se référera vir—<br />
tuellem nt à un autre corpus <strong>de</strong> témoignages. Le livre <strong>de</strong> création théo<br />
rique induit son corpus <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce comme son ombre. Ce corpus est<br />
“virtike “ non pas au s<strong>en</strong>s où il n’est pas du tout explicite (l’intellec<br />
tuel pe.zt fort bi<strong>en</strong> citer toutes ses “sources”), mais parce que les<br />
référ<strong>en</strong>ces<br />
ne sont pao citées comme dos autorités et le sont seulem<strong>en</strong>t<br />
comme d<br />
il faud<br />
Il fauii<br />
défiait<br />
s informatione. Pour qu’elles fuss<strong>en</strong>t citées comme <strong>de</strong>s autorités,<br />
ait qu’elles ai<strong>en</strong>t été citées par d’autres intellectuels.<br />
hait qu’il y ait déjà eu répétition. Ce qui n’est pas le cas, par<br />
ion, puisque la théorie est nouvelle.<br />
Ajoutons que, “virtuel” <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, le corpus <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce reste<br />
souv<strong>en</strong>t., <strong>en</strong> outre, implicite dans un livre d’intellectuel, pour une rai<br />
son pur m<strong>en</strong>t psychologique. On ne peut à la fois avoir l’esprit fixé<br />
sur une. théorie, préoccupé <strong>de</strong> sa logique et <strong>de</strong> sa portée — et citer<br />
explicitem<strong>en</strong>t toutes les informations à partir <strong>de</strong>squelles on a élaboré<br />
la théo ie. Car citer les informations, c’est, par définition, les re<br />
placer dans leur contexte (qui permet <strong>de</strong> les i<strong>de</strong>ntifier pour un tiers),<br />
&est_àL_dire, puisqu’elles sont multiples, dans une multiplicité <strong>de</strong> con<br />
textes différ<strong>en</strong>ts. M<strong>en</strong>er les <strong>de</strong>ux opérations m<strong>en</strong>tales <strong>en</strong> mime temps,<br />
cela. dman<strong>de</strong> un investissem<strong>en</strong>t et une énergie supérieurs aux forcea<br />
ordinaires du p<strong>en</strong>seur. De sorte que le livre <strong>de</strong> linellecel sera sou<br />
v<strong>en</strong>t “ Les allusions pourront être suffisainni<strong>en</strong>t claires pour<br />
que, dns le public indéterminé <strong>de</strong> la société globale, beaucoup <strong>de</strong> lec<br />
teurs es reconnaiss<strong>en</strong>t et, par suite, compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t parfaitem<strong>en</strong>t l’idée<br />
— 199 —<br />
que veut exprimer Mais il est vrai que ce trait formel<br />
prote à la critique <strong>de</strong>s clercs qui, eux, ont leurs fiches bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> ordre,<br />
et qui pourront reprocher à l’intellectuel le oaractère qu’ils appelle<br />
ront “arbitraire” (clest—à—dire dans leur espriti non fondé par <strong>de</strong>s<br />
référ<strong>en</strong>ces reconnues) <strong>de</strong> ses théories.<br />
1.2. Les solutions nouvelles. Le livre <strong>de</strong> l’intellect ne répète<br />
pas <strong>de</strong>s solutions anci<strong>en</strong>nes ni, à proprem<strong>en</strong>t parler, norganjse <strong>de</strong> fa<br />
çon nouvelle <strong>de</strong>s solutions déjà trouvées par d’autres à <strong>de</strong>s problèmes<br />
actuels (ce qui sera le travail <strong>de</strong> synthèse doctrinale accompli par<br />
<strong>de</strong>s formations cléricales). Il traite un problème <strong>de</strong> façon vraim<strong>en</strong>t<br />
originale. Par conséqu<strong>en</strong>t, non seulem<strong>en</strong>t, cosse nous v<strong>en</strong>ons <strong>de</strong> le voir,<br />
le livre <strong>de</strong> l’intellectuel ne sera pas érudit au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s thèses <strong>de</strong>s<br />
cléricatures, mais il ne sera pas non plus didactique ni pédagogique.<br />
dire que son ordre ne sera, respectivem<strong>en</strong>t, ni disparate comme<br />
celui <strong>de</strong>s livres d’érudition. qui peuv<strong>en</strong>t s’appuyer sur <strong>de</strong>s structures<br />
antérieurem<strong>en</strong>t établies (et supposées connues) et donc se disp<strong>en</strong>ser <strong>de</strong><br />
construire à nouveaux frais ées schémas dinterprétatjon; ni synthéti<br />
que, puisque l’auteur n’aura pas nécessairem<strong>en</strong>t au début <strong>de</strong> sa démar<br />
che la claire consoi<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> sa théorie achevée. La démarche du livre<br />
pourra donc être largem<strong>en</strong>t analytique et les solutions théoriques pour<br />
ront n’être qu’ébauchées. Un ordre didactique ou pédagogique suppose<br />
rait une théorie achevée, <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t oonnue avant quon comm<strong>en</strong>ce la<br />
rédaction <strong>de</strong> louvrage. A contrario, le livre <strong>de</strong> jfltelectue1 pourra<br />
avoir une démarche plus av<strong>en</strong>tureuse, ne pas expliciter toutes les consé<br />
qu<strong>en</strong>ces théoriques <strong>de</strong>s idées suggérées, etc.
— 200 —<br />
1.3. Les problèmes nouveaux. Si l’intellectuel est le premier<br />
à formuer un problème et à t<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> le résoudre, il est clair quil<br />
ne peut se livrer à la discussion critique <strong>de</strong> solutions antérieures.<br />
Le livr se réfèrera donc peu à ce que’d’au-tres théorici<strong>en</strong>s diseut. Il<br />
aura cette caractéristique formelle <strong>de</strong> se consacrer à l’exam<strong>en</strong> du pro<br />
blème lsi—isme, <strong>en</strong> face duquel L’intellectuel est seul et “se bat”. Le<br />
livre c’ooportera donc peu <strong>de</strong> discours indirects, au second <strong>de</strong>gré. Uue<br />
analyse phénoménologique du livre <strong>de</strong> l’intellectuel dira qu’il est<br />
“concret”, porte sur “la chose même”. En conséqu<strong>en</strong>ce, il ne s’adressera<br />
pas, d’abord, aux lettrés, à ceux qui connaiss<strong>en</strong>t d’autres solutions<br />
à <strong>de</strong>s Tk’oblèmes analogues et qui peuv<strong>en</strong>t juger <strong>de</strong> la nouveauté ou <strong>de</strong><br />
la juseese <strong>de</strong> la solution proposée. Il 5adre5se à la société globale<br />
(4v<strong>en</strong>tvellem<strong>en</strong>t aux pouvoirs), à ceux à qui, concrètem<strong>en</strong>t,<br />
le prollème se poseS Il suppose, chaque fois, un nouveau peblic,uii<br />
nouvea1 “cercle herihéneutique’t, <strong>en</strong> UIQ tempe qu’il pose intellectuelle<br />
m<strong>en</strong>t un nouveau “mon<strong>de</strong>”.<br />
1.4. Les solutions théoriques. Parce qu’il ne peut se référer<br />
à <strong>de</strong>s doctrines supposées connues, le livre <strong>de</strong> l’intellectuel <strong>de</strong>vra<br />
exhibe lui—même son ordre et sa cohér<strong>en</strong>ce. Il ne pourra s’appuyer,<br />
comme ]es thèses et les livrer; <strong>de</strong> professeurs, sur l’ordre antérieune—<br />
m<strong>en</strong>t fgrgé par un autre p<strong>en</strong>seur ou émergé dans un travail doctrinal col<br />
lectif Le livre <strong>de</strong> est donc ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t oeuvre<br />
d’intellig<strong>en</strong>ce. Il est théorique, c’est—à—dire qu’il donne par principe<br />
toutesles raisons <strong>de</strong>s thèses qu’il avance. Il est clair et distinct,<br />
il veut être complet. Lbs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces et d’autorités lui fait<br />
obligaion <strong>de</strong> justifier lui—mime, concrètem<strong>en</strong>t, par tout l’appareil <strong>de</strong>s<br />
raisons que l’intellig<strong>en</strong>ce peut construire, les thèses qu’il avance.<br />
C’est ourquoi, inversem<strong>en</strong>t, pour le lecteur qui e recevra, il est<br />
un livre qui fait compr<strong>en</strong>dre.<br />
On le voit indirectem<strong>en</strong>t par le fait que les grands livres<br />
d’intellectuels à partir <strong>de</strong>squels s’<strong>en</strong>clanche un pvooessus clérical<br />
aboutissant à l’élaboration <strong>de</strong> doctrines r<strong>en</strong>dant inutile, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s,<br />
le “retour aux sources”, <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t néanmoins <strong>de</strong>s “bases” irremplaçables.<br />
La doctrine permet certes une première approche <strong>de</strong>s gr.an<strong>de</strong>s idées, pour-<br />
l’homme <strong>de</strong> lextrjeur, le néophyte. Maie à l’inversa, le recours<br />
aux textes fondateurs <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t toujours à un certain mom<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong><br />
sable pour compr<strong>en</strong>dre la doctrine elle—môme. En effet, c’est là, cIL là<br />
seulem<strong>en</strong>t, que les raisons concrètes sont toutes données et que l’univers<br />
intellectuel est pleinem<strong>en</strong>t cohér<strong>en</strong>t. Une certaine na!veté du créateur<br />
intellectue1’Ijannt les choses comme il les voit” continuera à prévaloir<br />
sur les comm<strong>en</strong>taires savants <strong>de</strong> son oeuvre. Le Marx <strong>de</strong> lIdéologje<br />
alleman<strong>de</strong> est plus “simple” que les traités <strong>de</strong> philosophie marxiste,<br />
parce que plus direct et plus homogène (mais il est aussi plus <strong>de</strong>nse).<br />
Les “gran<strong>de</strong> textes” <strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées, qui au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur<br />
écriture sont <strong>de</strong>s textes d’intellectuels et non <strong>de</strong> clercs, prés<strong>en</strong>lierit<br />
ainsi presque toujours ce caractère ambigu <strong>de</strong>nsité qui les<br />
r<strong>en</strong>d difficiles à lire (car il faut p<strong>en</strong>ser et compr<strong>en</strong>dre chaque phrase<br />
pour bi<strong>en</strong> saisir le propos) et clarté dt à ce que la construc<br />
tion y est explicite — qui les r<strong>en</strong>d <strong>en</strong> vérité, pour <strong>de</strong>s esprits exigeants,<br />
plus faciles à lire que la littérature secondaire qui parait toujours,<br />
au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> son rôle pédagogique, ésotérique et, <strong>en</strong> ce m<strong>en</strong>s particulier,<br />
“irrationnelle”.<br />
— 201 —
— 202 —<br />
+<br />
++<br />
Tous ces caractères sont ceux <strong>de</strong> l’essai.<br />
L’essai est, effectivem<strong>en</strong>t, un livre pauvre <strong>en</strong> notes, portant<br />
sur uh sujet nouveau et proposant <strong>de</strong>s théories nouvelles ou <strong>de</strong>s thèses<br />
(au s<strong>en</strong>s fort — et originel — du terme). C’est un livre qui s’adresse<br />
non ps exactem<strong>en</strong>t à tous, mais à un public qui ne peut être défini<br />
à iiafrance (CF. la dédicace du Zarathoustra <strong>de</strong> Nietzsche: “Un livre<br />
pour [tous et pour personne”). Consci<strong>en</strong>t <strong>de</strong> proposer une théorie<br />
vell <strong>en</strong> fonction nouveaux prés<strong>en</strong>ts dans la réalité,<br />
<strong>de</strong> l’essai s’adresse à ceux qui, ayant perçu comme lui ces élém<strong>en</strong>ts<br />
nouv aux, pourront compr<strong>en</strong>dre sa solution. Mais par définition ils<br />
n’on pu se faire connaltre et il n’a pu les conaaltre, puisque ces<br />
élémnts n’ont pas <strong>en</strong>core été pris <strong>en</strong> compte dans une théorie publiée<br />
et qte ceux qui sont susceptibles <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre n’ont pu se donner le<br />
sign distinctif que constitue l’adhésion à une famille d’idées ou à<br />
une institution. Tout au plus l’intellectuel, au fur et à mesure qu’il<br />
dcri, se constitue <strong>de</strong> livre <strong>en</strong> livre un “public” qu’il peu-t i<strong>de</strong>ntifier<br />
par <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres, une correspondance, <strong>de</strong>s critiques et <strong>de</strong>s comm<strong>en</strong>—<br />
tairs.<br />
est ainsi, par principe, une sorte <strong>de</strong> bouteille à la<br />
mer, dappel, d’oracle, toujours plus ou moins “dans le dé—<br />
sert’. La vox clamans in <strong>de</strong>serto <strong>de</strong> la tradition biblique (la 40, 3)<br />
fai peut—être moins référ<strong>en</strong>ce à la méchanceté <strong>de</strong> ceux qui ne veul<strong>en</strong>t<br />
— 203 —<br />
pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre et que Pieu a r<strong>en</strong>dus sourds et aveugles, qu’à ce trait<br />
structurel <strong>de</strong> la prophétie, qui est <strong>de</strong> parler toujours dans un désert<br />
“clérical’ est_à_dire sans avoir affaire à une catégorie i<strong>de</strong>ntifiable<br />
<strong>de</strong><br />
Un homme comme Maurice Clavel, dira—t—on, écrivait <strong>de</strong>s essais,<br />
alors même qu’il e’adressait spécifiquem<strong>en</strong>t aux chréti<strong>en</strong>s. Mais Clavel<br />
supposait que les chréti<strong>en</strong>s ne se reconnaissai<strong>en</strong>t plus dans le discours<br />
officiel <strong>de</strong>s Eglises; à la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s clercs qui m’<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t dans<br />
une logique <strong>de</strong> secte et s’accomo<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la situation nouvelle, il <strong>en</strong>t<strong>en</strong><br />
dait que<br />
<strong>en</strong>tière, à la suite <strong>de</strong> ses intellectuels, se conver—<br />
tit. Il cherchait donc le type d’argum<strong>en</strong>ts propres à convertir la socié<br />
té globale, à reconvertir les chréti<strong>en</strong>s eux—mêmes et au premier chef<br />
lea olerob. Il était donc chréti<strong>en</strong> <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s prophétique, non cléri<br />
cal; il était un intellectuel. Si l’Eglise eût été à la fin du XXème<br />
siècle, comme dans les siècles passés, la cléricature vivante d’une<br />
sooiété majoritairem<strong>en</strong>t chréti<strong>en</strong>ne, Clavel n’eût sans doute pas été<br />
“prophète”; il eût été clerc, et il eût prêché et <strong>en</strong>seigné.<br />
Pour illustrer ce qu’est l’essai, nous pr<strong>en</strong>drons quelques<br />
exemples qui s’ajouteront à ceux déjà évoqués. Nous les pr<strong>en</strong>drons au<br />
hasard quant au cont<strong>en</strong>u, nayant égard qu’à la forme et à la fonction<br />
“prophétique” <strong>de</strong>s livres cités.<br />
ChoiSisSOflS—Cfl d’abord quelques uns dans<br />
livres comme ceux d’Alain Mine, 4pès—orise est comm<strong>en</strong>cé, <strong>de</strong> ]3ernard—<br />
IT<strong>en</strong>ri Lévy, La Barbarie à visage humain, <strong>de</strong> Cornelius Castoriadis,<br />
Des
— 2011 —<br />
Avant la Guerre, sont, au plein s<strong>en</strong>s du terme, <strong>de</strong>s essais. Leurs<br />
auteurs sont, conformém<strong>en</strong>t à notre précé<strong>de</strong>nte analyse, “multiposition—<br />
nés”. Mi o écrit livres et articles, mais il est “technocrate”; il est<br />
s un <strong>de</strong>s rares <strong>de</strong> sa corporation à savoir écrire et à oser<br />
lancer d s “oracles”, <strong>en</strong> relative contradiction avec les traditions<br />
<strong>de</strong> sil<strong>en</strong> e <strong>de</strong> la haute fonction publique. Lévy, lui, est clerc <strong>de</strong> for<br />
mation, ais il n’est pas universitaire et travaille dans<br />
Remarquons quaprès la Barbarie, il a écrit un livre d’un caractère<br />
sersiblea<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t, l• Testam<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Dieu, qui reste un esai mais<br />
errtreprezd d’inscrire l’auteur dans une tradition culturelle précise,<br />
au prix d’un effort délibéré d’érudition. Castoriadis est chercheur<br />
<strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces sociales, membre d’une institution; mais ce livre—là, plus<br />
que les utres peut—être, est un livre d’intellectuel.<br />
limites<br />
d’H<strong>en</strong>ri<br />
onsidérons maint<strong>en</strong>ant <strong>de</strong>s cas extrêmes grâce auxquels les<br />
e la catégorie “essai” seront mieux appréh<strong>en</strong>dées. Le livre<br />
epage, Demain le Capitalisme, est apparemm<strong>en</strong>t un ouvrage <strong>de</strong><br />
seconiie nain, puisque Lepage y passe <strong>en</strong> revue la littérature <strong>de</strong> la<br />
nouvelle économie américaine sans prés<strong>en</strong>ter explicitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s thèses<br />
personneles. Il cite <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce une nombreuse bibliographie. Or<br />
il convi<strong>en</strong>t néanmoins <strong>de</strong> classer ce livre dans le g<strong>en</strong>re — et<br />
son auteur parmi le intellectuels — dans la mesure où l’emploi qui<br />
est fait <strong>de</strong> l’érudition est ici, dans sa moilalité même, complètem<strong>en</strong>t<br />
différ<strong>en</strong><br />
gorie in<br />
réf ér<strong>en</strong>c<br />
l’existe<br />
d’un emploi académique. Lepage ne s’adresse pas à une caté—<br />
titutionnelle <strong>de</strong> lecteurs pour qui les ouvrages cités <strong>en</strong><br />
aurai<strong>en</strong>t déjà une valeur; il informe le lecteur français <strong>de</strong><br />
ce, outre—atlantique, <strong>de</strong> courants nouveaux et converg<strong>en</strong>ts<br />
— 205 —<br />
dans la sci<strong>en</strong>oe économique. Le livre <strong>de</strong> Lepage exhibe ces converg<strong>en</strong>ces<br />
et par là même fait donc appnraltre une thèse originale (ou pluaieurs)<br />
sur les t<strong>en</strong>dances <strong>de</strong> l’économie américaine, sur le provinoialisrne ou<br />
l’aliénation symétriques <strong>de</strong> la culture économique française. Il fait,<br />
<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, oeuvre théorique. Les livres cités ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas coef—<br />
fici<strong>en</strong>ter les théories proposées, ils sont eux—mêmes pris comme objet<br />
<strong>de</strong> la théorie. signalons, comme corroboration indirecte <strong>de</strong> notre inter<br />
prétation, que le livre <strong>de</strong> Lepage, qui comporte, dans le corps du texte,<br />
<strong>de</strong> nombreux noms d’économistes, titres d’ouvrages, notations historiques<br />
et dates, est pratiquem<strong>en</strong>t dépourvu <strong>de</strong> notes. L’érudition est intégrée<br />
j au raisonnem<strong>en</strong>t, elle pas pour fonction d’étayer OSlUi_ci(I) Di<br />
sons <strong>en</strong>fin que le livre a bi<strong>en</strong> été reçu, et controversé, comme una “pro—<br />
phétie(2).<br />
Exemple inverse: le peit livre du théologi<strong>en</strong> suisse Hans Urs<br />
von Balthasar, Catholinu, est un livre dépourvu d’érudition (autant<br />
que peut m’<strong>en</strong> démundr un homme d’une sci<strong>en</strong>ce aussi <strong>en</strong>cyclopédique),<br />
qui ne vise pas un public clérical, qui vise même explioitem<strong>en</strong>t un<br />
large public (sans être non plus un livre <strong>de</strong> vulgarisation, g<strong>en</strong>re <strong>en</strong>core<br />
différ<strong>en</strong>t dont nous reparlerons dans notre étu<strong>de</strong> sur les disciplines<br />
académiques et leur diffusion). Ce n’est pas pour autanit. un essai d’in—<br />
tellectuel. En effet, les thèses du livre sont <strong>de</strong>s thèses théologique—<br />
m<strong>en</strong>t très orthodoxes; l’originalité du livre est seulem<strong>en</strong>t dans l’ex.<br />
pression.<br />
En revanche, un autre livre écrit par un clerc, qui ne parle<br />
I. Je parle du raisonnem<strong>en</strong>t établissant la thèse propre du livre <strong>de</strong><br />
Lepage: la fécondité <strong>de</strong> l’économie libérale américaine <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>r<br />
nières années. Je ne parle évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong>s thèses mêmes <strong>de</strong> ces<br />
économistes libéraux, dont l’auteur parle au second <strong>de</strong>gré.<br />
2. Comparez l’écriture, la structure et la réception <strong>de</strong> l’essai <strong>de</strong><br />
R.Ruyer, la Gnose <strong>de</strong> Princeton.
— 206 —<br />
que <strong>de</strong> su, ets classiques au sein <strong>de</strong> la cléricature théologique protes—<br />
tante, da2 s le style érudit. et doctoral propre à la tradition alleman,—<br />
<strong>de</strong>, le<br />
énonce un<br />
ja <strong>de</strong> R. Bultmann, est au s<strong>en</strong>s plein un essai, parce qu’il<br />
thèse — la “démythàlogiaation” — nàn seulem<strong>en</strong>t noiivelle,<br />
utre, susceptible <strong>de</strong> remettre <strong>en</strong> cause toute lorganisation<br />
mais, <strong>en</strong> L<br />
<strong>de</strong> la clé icature, <strong>en</strong> comm<strong>en</strong>çant par son corpus <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, et par<br />
suite tou’<br />
I. Les exi<br />
cept d<br />
le corps <strong>de</strong>s doctrines.<br />
+<br />
.-+ +<br />
impies cités auront suffi, sans doute, pour illustrer le con—<br />
essai tel que nous l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons dans le prés<strong>en</strong>t oonte...te. Com—<br />
plétoa<br />
réc<strong>en</strong>ti<br />
dama li<br />
teaubr: .and, “Le Génie du christianisme”; l4me <strong>de</strong> Stal, “De l’Alle—<br />
magne” La début du XIXàme siècle, le )CVIIIème, le XVIIème et le<br />
XVI èm siècle abon<strong>de</strong>nt <strong>en</strong> essais, dans la mesure où ce sont <strong>de</strong>s<br />
siècle: <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> vitalité <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée “humaniste”, qui se dévelop-.<br />
pe <strong>en</strong> large <strong>de</strong>s cléricatures déclinantes, Eglises et Université cho—<br />
laatiqi Le, et avant que se constitu<strong>en</strong>t les gran<strong>de</strong>s oléricatures la!ques.<br />
étatiqi tes du XIXème siècle, qui vont à nouv<strong>en</strong>u cristalliser le savoir<br />
et êtr le siège où vont se constituer <strong>de</strong>s disciplines académiques<br />
relati remertt durables, avant que le développem<strong>en</strong>t réc<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
et <strong>de</strong><br />
medias génère une nouvelle crise.<br />
I cep<strong>en</strong>dant. notre corps d’exemples, tous pris dans la pério<strong>de</strong><br />
, par une liste <strong>de</strong> livres plus anci<strong>en</strong>s qui fur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s essais<br />
même s<strong>en</strong>s. Tocqueville, “De la démocratie <strong>en</strong> inérique”; Cha—<br />
— 207 —<br />
L’essai, s’il est vrai que c’est la forme mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l’oracle,<br />
paut lui—même avoir plusieurs formeu et dim<strong>en</strong>sions. Il peut, <strong>en</strong> parti<br />
culier, être court, et être publié dans une revue..L’écrjt <strong>de</strong> Frédéric<br />
Bastiat, “De l’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s tarifs français et anglais sur i’aveiiir<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux peuples”, publié <strong>en</strong> 1844 dame le Journal <strong>de</strong>s Economistes,<br />
qui <strong>de</strong>vait introduire dans le grand public français l’idée <strong>de</strong> libre—<br />
échange, est un essai au plein s<strong>en</strong>s du terme, même s’il a la dim<strong>en</strong>sion<br />
d’un article. un hboraQi et il eut le rôle correspondant dans<br />
la refonte <strong>de</strong>s idées économiques et du champ épistémique <strong>de</strong> l’dpoqueÇ<br />
Le caractère individuel <strong>de</strong> la conatructionthéôrique<strong>de</strong>l’in—<br />
tellectuel et le caractère non—académique <strong>de</strong> l’essai sont à mettre <strong>en</strong><br />
relation avec l’institution <strong>de</strong> l’édition. 2)<br />
Il faut mettre <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce la mouplese <strong>de</strong> l’institution édito<br />
riale, à laquelle tout p<strong>en</strong>seur isolé peut Confier un texte sans avoir<br />
à exhiber cilplêmes et habilitations ou concevoir <strong>de</strong>s stratégies profes<br />
sionnelles sur le long terme, et tout <strong>en</strong> pouvant espérer néanmoins re<br />
connaissance et prestige. La relation <strong>de</strong> et <strong>de</strong> léditjofl peut<br />
être simplem<strong>en</strong>t duelle, contractuelle et ponctuelle. Elle est un type<br />
d’incription institutionnelle qui se trouve bi<strong>en</strong>. conv<strong>en</strong>ir aveo les ré—<br />
quisi-Is <strong>de</strong> la création intellectuelle, telle que nous avons t<strong>en</strong>té <strong>de</strong><br />
la définir, et c’est pourquoi l’édition s’est développée autant dans<br />
I. Sitôt que l’on évoque les revues, toutefois, il faut pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte<br />
le fait que la plupart d’<strong>en</strong>tre elles, du moins celles qui ont duré,<br />
traduis<strong>en</strong>t la vie intellectuelle dufl groupe qui se con<br />
naiss<strong>en</strong>t et échang<strong>en</strong>t idées et référ<strong>en</strong>ces. Les articles qui s’y pu<br />
bli<strong>en</strong>t relèv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s d’un g<strong>en</strong>re spécifique, déjà clérical à<br />
quelque <strong>de</strong>gré, qui implique collectivisation <strong>de</strong>s idées, constitution<br />
d’un corpus commun, travail doctrinal.<br />
2. Cf. Régis Debray, Le Pouvoir intellectuel <strong>en</strong> France. Debray a le mé<br />
rite d’avoir réuni une information originale sur le développem<strong>en</strong>t<br />
<strong>de</strong> l’édition et sa concurr<strong>en</strong>ce avec les cléricatures, <strong>en</strong> France
— 208 —<br />
la pério e réc<strong>en</strong>te <strong>de</strong> crise <strong>de</strong>s rran<strong>de</strong>s instititions culturelles.<br />
‘essai est ainsi, par sa fonction, fort différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong> toute<br />
productin aadémique.Wa—t—il pour autant aucun rapport avec las dis<br />
cours a -Ldémiques ni aucune place dans l’institution académique même?<br />
Il est au contraire ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> remarquer que la vitalité et la du—<br />
rabilit <strong>de</strong>s cléricatures se mesure précisém<strong>en</strong>t à la capacité qu’elles<br />
cat d’ir.tégrer dans leur fonctionnem<strong>en</strong>t normal ou quasi—normal une cer<br />
taine qiantité <strong>de</strong> “prophéties”, dès lors qu’elles n’impliqu<strong>en</strong>t pas ïim<br />
changem nt radical <strong>de</strong> “paradigme” et s’inscriv<strong>en</strong>t dans ce que Kuhn a<br />
appelé la “sci<strong>en</strong>ce normale”. Si à unparadime correspond une institution<br />
cléricale, si un changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> paradigme implique nécessairem<strong>en</strong>t une<br />
nouvell création institutionnelle et une obsolesc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’institution<br />
anci<strong>en</strong>n, il n’<strong>en</strong> reste pas moins que la sci<strong>en</strong>ce “normale” comporte<br />
aussi u e certaine quantité d’innovation et <strong>de</strong> “prophétie”. Une institu<br />
tion cléricale qui nintégrerait aucune “prophétie” serait tout simple<br />
m<strong>en</strong>t scérosée, non durable. Il importe donc pour notre analyse <strong>de</strong> dis—<br />
tinguer au moins <strong>de</strong>ux niveaux d’innovation, <strong>de</strong>ux niveaux <strong>de</strong> prophétie,<br />
et <strong>de</strong>ux types d’intellectuels. Un niveau où jfloatiofl est si radicale<br />
dans la1 première moitié du XXème siècle. Debray A pourtawfr trop vite<br />
fait, noùs semble—t—il, <strong>de</strong> voir dans l’édition une nouvelle institution<br />
cohér<strong>en</strong>te, un nouvel “appareil idéologique”. Pour que l’édition noit<br />
<strong>en</strong> tant que telle productrice d’idéologie, il faudrait — telle est pré—<br />
cisém<strong>en</strong>t notre thèse — qu’elle soit une cléricature, au sein <strong>de</strong> laquelle<br />
puisse s décl<strong>en</strong>cher un proceuus <strong>de</strong> mémorisation culturelle et d’éla-.<br />
boration doctrinale. Ceci fle5t pas exclu a priori, et <strong>de</strong>vrait être éclai<br />
ré par ds étu<strong>de</strong>s spéciales, qui rest<strong>en</strong>t à faire. Jians l’état initial <strong>de</strong><br />
ianalysa, noue sonines frappé, au contraire, par les traits non—cléricaux<br />
<strong>de</strong> l’édijon: pluralisme et concurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s maisons d’édition, caractère<br />
ponotuel et contractuel <strong>de</strong>s relations avec les auteurs. C’est par réaction<br />
contre lies dangers <strong>de</strong> pulvérisation inhér<strong>en</strong>ts à ces conditions économi<br />
ques <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong>s livres que sa sont constituées, dans les gran<strong>de</strong>s<br />
maisons d’édition françaises, <strong>de</strong>s revues (Tel Quel, Scilicet su Seuil...)<br />
<strong>de</strong> naturfe à apportèrune dim<strong>en</strong>sion cléricale aux publications. Dans cer<br />
tains ca’s, d’ailleurs les plus célèbres, la réalité cléricale <strong>de</strong> la revue<br />
a même rrécédé la fondation <strong>de</strong> la maison d’édition: la N.R.F., le Mercure<br />
<strong>de</strong> Prance... l,e fait massif <strong>de</strong>meure néanmoins: éditoriale<br />
est une institution peu structurée, peu intégrée, qui. réunit provisoire—<br />
Dans la pratique <strong>de</strong> la disputatio, le mnitre avance donc <strong>de</strong><br />
thèses (c’<strong>en</strong>t—ù—dire, dans notre vocabulaire, dan théories ayant une<br />
m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s individus qui rest<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dants. C’est une institution<br />
pour intellectuels.<br />
— 209 —<br />
quelle constitue un changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> paradigme et implique nécessaire<br />
m<strong>en</strong>t à terme une rupture institutionnelle; et un niveau où<br />
peut être intégrée dans l’institution, à la faveur d’un certain “jeu”<br />
<strong>de</strong> ses structures.<br />
Allons tout <strong>de</strong> suite à un exemple anci<strong>en</strong> et peut—être paradoxal,<br />
médiévale. Nous disons car cette université<br />
scholastique passe pour dogmatique, et ce ne5t pas sans raisons. Or<br />
il y n dans cette institution un type <strong>de</strong> discours qui comporte certains<br />
<strong>de</strong>s traits par lesquels noue avons défini 1e5j . L’univer—<br />
aité médiévale, aristotélici<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> cela, sait qu’il y a, dans le réel,<br />
bi conting<strong>en</strong>t. C’est peut—être cela qui lui fait admettre, dans la<br />
recherche <strong>de</strong>s ess<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s définitions qui est le travail naturel<br />
<strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce et qui doit donner lieu à un oertain dogmatisme (puisque<br />
la nature et les ess<strong>en</strong>ces sont éternelles), une certaine pluralité<br />
<strong>de</strong>s approches et un certain inachèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lexpreesiofl• L”intellec—<br />
tuel” scholastique est ainsi fondé à proposer <strong>de</strong>s “thèses”, au lieu <strong>de</strong><br />
se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> répéter les “autorités”. La pratique <strong>de</strong> la disputato<br />
à partir <strong>de</strong> thèses a peut—être été <strong>en</strong> Europe, avant l’éclosion <strong>de</strong> l’hu<br />
manisme et <strong>de</strong>s Lumières, une première pédagogie <strong>de</strong> l’esprit critique.
— 210 — — 211 —<br />
pouv ir explicatif, une vertu interprétative, inédits). Certes, il<br />
est eul à pouvoir le faire: il y a contrêle et raréfaction dans la<br />
Produjction <strong>de</strong> “prophéties”. En revanche, une fois autorisé par l’ina—<br />
tituion qui lui a conféré le titre <strong>de</strong>IDocterI le maltre peut s’<strong>en</strong>—<br />
gager, avancer <strong>de</strong>s vérités nouvelles. Par la formule canonique, “res—<br />
pon<strong>de</strong> dic<strong>en</strong>dum...” il montre quil pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> charge et <strong>en</strong> responsabi<br />
lité a position qu’il définit finalem<strong>en</strong>t malgré l’incertitu<strong>de</strong> . n<br />
est vrai qu’il doit pouvoir à tout mom<strong>en</strong>t, et singulièrem<strong>en</strong>t s’il s’é—<br />
cartetrop <strong>de</strong> la norme, sout<strong>en</strong>ir ses positions <strong>de</strong>vant l’assem<br />
blée aes Dooteurs. trouve là ses limites. Néanmoins,<br />
grâceà cette capacité d’intégrer une certaine innovation, l’Université<br />
médiévale s’est révélée une institution viable et durable. Elle interdit<br />
l’aocs <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée et du débat public à qui n’est pas dûm<strong>en</strong>t et pré<br />
alablem<strong>en</strong>t qualifié par elle. Mais elle autorise, <strong>en</strong> son sein, la pro—<br />
duction intellectuelle. En codifiant l’expression <strong>de</strong> l’innovation, elle<br />
lui aasure même systématiquem<strong>en</strong>t une chance <strong>de</strong> développem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> cris—<br />
tallietioa dans l’esprit collectif.<br />
Cette tradition <strong>de</strong> la thèse créatrice a été reprise, mais dans<br />
un conexte totalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t, dans l’Université laïque—étatique du<br />
XIXème siècle. i3ergson, <strong>en</strong> 1882 <strong>en</strong>core, fait <strong>de</strong> son Essai sur les données<br />
immédites <strong>de</strong> la consci<strong>en</strong>ce (le titre est significatif: c’est un essai)<br />
sa thèe <strong>de</strong> doctorat d’Etat. Mais <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus <strong>de</strong>puis lors, après<br />
l’âge c’or <strong>de</strong> l’université républicaine, la “thèse” est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue discours<br />
I. Cf. cette déclaration <strong>de</strong> Luther <strong>en</strong> 1531 (citée par Marc Li<strong>en</strong>hard,Mar—<br />
tin ùither, Le C<strong>en</strong>turion — Labor et Pi<strong>de</strong>s, 1983, p. 35): “lToi, docteur<br />
liartin, j’ai été appelé et contraint à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir docteur par pure obéis—<br />
san4e. J’ai dû accepter le doctorat et prêter serm<strong>en</strong>t à ma très chère<br />
<strong>de</strong> secon<strong>de</strong> main et exhibition d’érudition, sans production <strong>de</strong> schémas<br />
explicatifs nouveaux. La thèse a cessé d’avoir une valeur théoriguè.<br />
Ce qui revi<strong>en</strong>t à dire que l’intellectuel et le sci<strong>en</strong>tifique créatif<br />
ont été db moins <strong>en</strong> moins <strong>de</strong>s personnages admis à l’université, proces<br />
sus <strong>de</strong> sclérose à mettre <strong>en</strong> rapport avec le développem<strong>en</strong>t corrélatif<br />
<strong>de</strong>s “grands plus souples dans leur recrutem<strong>en</strong>t et leurs<br />
structures, et avec la t<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s intellectuels à “investir” dans<br />
l’édition et la presse.<br />
Eoriture sainte et promettre <strong>de</strong> la prcher et <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>seigner fidèlem<strong>en</strong>t<br />
et puremonrt... Alors que j<strong>en</strong>seignais ainsi, la papauté m’est dressée<br />
sur mon chemin et a prét<strong>en</strong>du me l’interdire. Sur ce il lui est arrivé<br />
ce qu’on peut voir. Ce sera <strong>en</strong>core pire. Ils ne pourront se déf<strong>en</strong>dre<br />
vis—à—vis <strong>de</strong> moi. Au nom <strong>de</strong> Dieu et par vocation je veux marcher sur<br />
les lions et les vipères”.<br />
I. Nous revi<strong>en</strong>drons longuem<strong>en</strong>t sur l’<strong>en</strong>memble <strong>de</strong> ces questions dans<br />
l’article que nous consacrerons prochainem<strong>en</strong>t, dans le cadre <strong>de</strong> la pré<br />
s<strong>en</strong>te recherche, à l’Université littéraire française.
— 212 —<br />
a) L’ nielleotuel intervi<strong>en</strong>t ponctuellem<strong>en</strong>t dans le débat publia.<br />
Le raie <strong>de</strong> la presse.<br />
Rappelons les catégories que noua avons posées. L’intelleo—<br />
tuel est un homme d’action. , cçmme l’homme politique, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’il<br />
a la V ionté explicite <strong>de</strong> changer le cours <strong>de</strong>s choses, qu’il croit non<br />
<strong>en</strong>tièr m<strong>en</strong>t déterminé. Il croit qu’il existe <strong>de</strong>s problèmes nouveaux<br />
pour 1 squels une solution n’existe pas telle quelle dans le trésor<br />
<strong>de</strong> la émoire.<br />
Mais cette s<strong>en</strong>sibilité à l’actualité comme telle peut s’ex<br />
primer à <strong>de</strong>s rythmes différ<strong>en</strong>ts. Le livre, l’essai, suppos<strong>en</strong>4 un délai<br />
d’éori e et <strong>de</strong> publication. Ecrire un livre est un investissem<strong>en</strong>t<br />
inteli tuel, sooial et psyohologlque tel que l’intellectuel qui fait<br />
cet in stissern<strong>en</strong>t doit normalem<strong>en</strong>t avoir pour ambition que son livre<br />
reste 1 ngtemps une référ<strong>en</strong>ce. On n’écrit donc un essai que pour résou<br />
dre un roblème durable et proposer <strong>de</strong>s solutions durables.<br />
Mais il est clair que l’actualité prés<strong>en</strong>te <strong>de</strong> rythmes plus<br />
rapi<strong>de</strong>s et que l’interv<strong>en</strong>tion “prophétique” doit pr<strong>en</strong>dre alors une au<br />
tre for e — sans changer cep<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> nature, <strong>de</strong> fonction et d’int<strong>en</strong><br />
tion. G est dono <strong>en</strong> tant que tel que l’intellectuel intervi<strong>en</strong>t dans<br />
le débat publia, singulièrem<strong>en</strong>t sur le support <strong>de</strong> la presse — qui elle—<br />
marne se définit partiellem<strong>en</strong>t par sa capacité à servir <strong>de</strong> support à<br />
<strong>de</strong> telles interv<strong>en</strong>tions.<br />
Nous. avons rangé dans le chapitre sur les essais les inter<br />
v<strong>en</strong>tions sous farine d’articles <strong>de</strong> revues. Il y a peut—atre quelque<br />
arbitra e dans cette option. En matière <strong>de</strong> publication périodique,<br />
toutes les formules et tous les cas intermédiaires exist<strong>en</strong>t. Une revue<br />
m<strong>en</strong>suelle ou marne bi—m<strong>en</strong>suelle donnant une large place à l’actualité<br />
peut atre le lieu normal d’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l’intellectuel. Cela a été<br />
le cas, par exemple, dana la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’après—guerre, avec les revues<br />
Esprit, Les Temps mo<strong>de</strong>rnes, la Nouvelle Critique, etc.<br />
On asigte néanmoins, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ou une déc<strong>en</strong>nies, à une<br />
diminution du rêle <strong>de</strong>s revues — sauf <strong>de</strong>s revues “disciplinaires”,<br />
réalités institutionnelles cléricales donnant lieu à une collectivisa<br />
tion d’idées et à un travail d”agglutination” doctrinale. Mais les<br />
revues d’actualité, ou si l’on veut les organes <strong>de</strong> presse se prés<strong>en</strong><br />
tant matériellem<strong>en</strong>t sous la forme fascicule imprimé avec soin<br />
et paraissant à un rythme par exemple m<strong>en</strong>suel, se font rares <strong>en</strong> France.<br />
Tel Quel, Comm<strong>en</strong>taire, le Débat ont une parution plus espacée que les<br />
précé<strong>de</strong>nts exemples cités, Esprit a dt lui—marne eopacer ses livraisons<br />
par rapport à l’époque <strong>de</strong> l’immédiat apràs_guezreW.<br />
Cette évolution est due sans doute à l’inflation <strong>de</strong> la presse<br />
proprem<strong>en</strong>t dite, à l’augm<strong>en</strong>tation quantitative du lectorat <strong>de</strong>s produc<br />
tions intellectuelles liée à une certaine diminution qualitative et<br />
à la relative dispersion <strong>de</strong>s “élites” qui lisai<strong>en</strong>t les revues.<br />
Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, l’intellectuel qui veut interv<strong>en</strong>ir dans<br />
l’actualité doit le faire surtout aujourd’hui dans la presse, écrite<br />
ou audiovisuelle. Eoaarons <strong>de</strong> préoieer les modalités <strong>de</strong> l’interv<strong>en</strong>tion<br />
<strong>de</strong> l’intellectuel et sa spécificité parmi les divers types d’articles<br />
ou d’interv<strong>en</strong>tions qui ne sont pas <strong>de</strong> l’information pure.<br />
Dans une étu<strong>de</strong> à paraître sur la presse, dont nous ne pouvons<br />
I. Sur leu intellectuels et les revues, cf. les réflexions <strong>de</strong> Pierre<br />
Nom, Le Débat n°1 et 19.<br />
— 213 —
epr<strong>en</strong>dre<br />
tion rem<br />
alité cor<br />
quand au<br />
aux intel<br />
dootrine<br />
— 2h1: —<br />
ici que quelques élém<strong>en</strong>te, nous avions qualifié la fonc-.<br />
lie par les interprètes et comm<strong>en</strong>tateurs réguliers do l’actu—<br />
:e “prédication”. Il est important <strong>de</strong> distinguer, au moins<br />
rincipe, <strong>en</strong>tre cette fonction et celle <strong>de</strong> “prophétie”, propre<br />
ectuels.<br />
suppose<br />
La “prédication”, disons—nous dans cette étu<strong>de</strong>,/un corps <strong>de</strong><br />
rur lequel s’appuie le comm<strong>en</strong>tateur’, qui lui sert <strong>de</strong> grille<br />
d’interpi étation, à travers lequel il lit l’actualité et dorme s<strong>en</strong>s<br />
à l’événe<br />
logie <strong>de</strong>,<br />
nem<strong>en</strong>t, m<br />
tionnoli,<br />
inv<strong>en</strong>te<br />
théorie<br />
D’ autre<br />
se réére<br />
publiés,<br />
du poids<br />
cation” e<br />
temporais<br />
propres s<br />
<strong>de</strong> dootri<br />
lequel ji<br />
I. Les p<br />
la sés<br />
relle<br />
velle<br />
ont. Le “prophète”, lui, est situé plus haut dans la génda—<br />
olérioatures et <strong>de</strong>s cultures. Lui aussi donne s<strong>en</strong>s à l’évé-.<br />
is os n’est pas <strong>en</strong> fonction d’une doctrine antérieure tradi—<br />
et établie; O’est <strong>en</strong> fonction d’une théorie originale, qu’il<br />
doisésont pour l’occasion. Certes, nous l’avons vu, cette<br />
e5 pas créée ex nihilo et elle n <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>ts culturels.<br />
art l’intellectuel qui intervi<strong>en</strong>t dans la presse peut aussi<br />
implicitem<strong>en</strong>tà ses propres livres—essais précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />
qui lui confèr<strong>en</strong>t l’autorité dont il use maint<strong>en</strong>ant pour donner<br />
L sOfl propos. Néanmoins le principe est différ<strong>en</strong>t: la “prédi—<br />
st <strong>en</strong> aval <strong>de</strong> la doctrine, la “prophétie” <strong>en</strong> amont.<br />
Nous signalons, dans la mme étu<strong>de</strong>, que dans la presse con—<br />
o les “prédicateurs” ont cette particularité et ce handicap,<br />
BflS doute à l’époque, <strong>de</strong> avojr pas, précisém<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> corps<br />
ne relativem<strong>en</strong>t complet, stable, cohér<strong>en</strong>t et cons<strong>en</strong>suel sur<br />
s puiss<strong>en</strong>t eappuyer pour juger lactualjt t nous disons<br />
inoipes <strong>de</strong> notre analyse <strong>de</strong> la presse ont été exposés dans<br />
du 10/3/83 du Séminaire “Reproductions et Ruptures cultu—<br />
“ du C.R.E.A. Cf. aussi notre bref article, “La Presse, noc—<br />
Nglise?”, Spirales n°2—3, 1980.<br />
que, puisqu’ils doiv<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant la juger., ils sont souv<strong>en</strong>t, dans<br />
leurs jugem<strong>en</strong>ts, superficiels et versatiles. Nous ajoutons que dans<br />
ces conditions les meilleurs Comm<strong>en</strong>tateure <strong>de</strong> la presse française<br />
aotuelle doiv<strong>en</strong>t être surtout ceux parmi les journalistes qui ont<br />
reçu urne formation cléricale classique et l’ont <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue par le<br />
travail, les lectures, les débats d’idées. Cette formation peut ttre<br />
humaniste, chréti<strong>en</strong>ne, marxiste ou autre, l’important étant simplemomd,<br />
le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> structuration <strong>de</strong> la culture héritée. t nous citons <strong>de</strong>s<br />
noms: Clavel, Aron, Revel, Suffert, Daniel, Pauwele, Dom<strong>en</strong>ach, d’Ormes-.<br />
son, ICriegel, Tesson,, July-, Boissonat, etc... , qui sont tous, à<br />
différ<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>grés, <strong>de</strong>s diplmé<br />
(I)<br />
5 <strong>de</strong> l’université ou <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s écoles<br />
cléricales, <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> livres, par différ<strong>en</strong>ce avec les journalis<br />
tes ayant reçu seulem<strong>en</strong>t une formation professioell<br />
spécialisée.<br />
— 215 —<br />
0 technique et<br />
Ce n’est pas un hasard si ces noms sont aussi pour partie<br />
<strong>de</strong>s noms d’intellectuels. Il résulte <strong>en</strong> effet <strong>de</strong>s considérations pré<br />
cé<strong>de</strong>ntes qui1 doit y avoir, <strong>en</strong> temps <strong>de</strong> changem<strong>en</strong>ts culturels rapi<strong>de</strong>s<br />
et singuljèreme <strong>de</strong> mutations rapi<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s institutions oléricalem,<br />
un écrasem<strong>en</strong>t du phénomène <strong>de</strong> inorphog<strong>en</strong>èse <strong>de</strong>s doctrines, c’est—à—dire<br />
un rapprochem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la “prophétie” et <strong>de</strong> la “prédication” par non—déve<br />
loppem<strong>en</strong>t du niveau intermédiaire doctrinal et académique. Le prophète,<br />
à peine a—t—il forgé sa théorie, la proche; et le prédicat, <strong>de</strong>vant<br />
interpréter l’actualité, inv<strong>en</strong>te au jour le jour <strong>de</strong>s théories md hoc<br />
qui puiss<strong>en</strong>t lui donner s<strong>en</strong>s. Il est donc certain que la culture con—<br />
I. Ces exemples et ces noms sont pris dans la réalité française contem<br />
poraine, ce qui limite, certes, la portée <strong>de</strong>s schémas ici prés<strong>en</strong>tés.<br />
Il faudra ét<strong>en</strong>dre plus tard l’analyse.
—216—<br />
temporaine doit comportar beaucoup <strong>de</strong> personnalités qui soi<strong>en</strong>t à la<br />
fois <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>tateurs <strong>de</strong> presse (=prédicateurs) et <strong>de</strong>s intellectuels<br />
(.=prophètes), avec différ<strong>en</strong>ts “dosages” <strong>en</strong>tre l’un et l’autre type <strong>de</strong><br />
dieoour<br />
Il. est pourtant nécessaire <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir le principe m,ue <strong>de</strong><br />
la disti ction car c’est bi<strong>en</strong> elle qui permet <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong><br />
l’existe ce, dans la presse, <strong>de</strong> discours <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> statut<br />
différ<strong>en</strong> . Réfléchiaons <strong>en</strong> effet à ce que signifie la distinction,<br />
régulièr m<strong>en</strong>t et spontaném<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ue au sein <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> presse,<br />
<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> “papiers” tels que: éditoriaur, chroniques, “bloc—notes”,<br />
“feuille ons”, articles <strong>de</strong> fond, libres opinions, tribunes libres,<br />
intervie’s <strong>de</strong> personnalités.<br />
Les quatre premiers sont <strong>de</strong> périodicité régulière. L’édito<br />
rial, mi é ou non, émane <strong>de</strong> la direction du journal ou est du moins<br />
c<strong>en</strong>sé re és<strong>en</strong>ter l’opinion principale <strong>de</strong> la rédaction. C’est lui que<br />
concerne t d’abord les remarques sur la fonction prédicative <strong>de</strong> la<br />
prease. mi les noms cités, Revel, Daniel, Pauwela, etc., sont jour—<br />
nalimtea rofessionnels, directeurs ou membres <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong> leurs<br />
journnex. La chronique, elle (et ses variantes: feuilleton, bloc—notes<br />
etc.), a n m%me fonction prédicative, maie son auteur est souv<strong>en</strong>t,<br />
professio ellem<strong>en</strong>t, extérieur au journal et membre d’une clérioature,<br />
par exemp e professeur. C’est pourquoi c’est à la chronique quon peut<br />
appliquer le plus maturellein<strong>en</strong>t l’image <strong>de</strong> la “prédication” empruntée<br />
au vocabu aire <strong>de</strong>s cléricatures religieuses (mais l’éditorial est aussi<br />
prédicati n, et c’est bi<strong>en</strong> ce paradoxe qui nous conduit à poser la<br />
question e na nature cléricale <strong>de</strong> cette nouvelle institution culturelle<br />
— 217—<br />
<strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité qu’est la presse).<br />
Le chroniqueur est c<strong>en</strong>sé parler <strong>de</strong> l’actualité à intervalles<br />
réguliers, à mom<strong>en</strong>ts fixes et conv<strong>en</strong>us. Il eet donc <strong>en</strong> position passive<br />
<strong>de</strong>vant l’actualité. Il l’att<strong>en</strong>d, il. <strong>en</strong> est spectateur; quand elle vi<strong>en</strong>t,<br />
il la juge. 11 est, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, tout à fait dans la situation du curé<br />
<strong>en</strong> chaire qui comm<strong>en</strong>te, le dimanche, <strong>de</strong>vant sa paroisse, les événem<strong>en</strong>ts<br />
<strong>de</strong> la semaine. Le curé fait ce comm<strong>en</strong>taire à la lumière <strong>de</strong> la doctrine<br />
chréti<strong>en</strong>ne. Le chroniqueur, <strong>de</strong> mime, exprime une culture fixe, év<strong>en</strong>tuel<br />
lem<strong>en</strong>t une doctrine (marxisme, monarchisme...), plus largem<strong>en</strong>t une<br />
tradition (démocratie chréti<strong>en</strong>ne...) ou une “famille d’idées”. On<br />
s’intéresse d’ailleurs à ce qu’il va dire notamm<strong>en</strong>t pour oetta raisons<br />
l’opinion éclairée pr<strong>en</strong>ant comme une information, <strong>en</strong> soi significative,<br />
le fait que telle famille d’idées, par la médiation d’un ohroniqueur<br />
plus ou moins attitré, ait pris telle position sur tel événem<strong>en</strong>t.<br />
Les chroniques <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière page <strong>de</strong> “La Croix” exprim<strong>en</strong>t<br />
l’opinion <strong>de</strong> “gran<strong>de</strong>s consci<strong>en</strong>ces catholiques”. ti<strong>en</strong>ne Borne <strong>en</strong> est<br />
l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers et rares représ<strong>en</strong>tants. !I!outea les familles<br />
constituées <strong>de</strong>puis un certain temps, ayant une tradition, une “vision<br />
du mon<strong>de</strong>”, qUand elles dispos<strong>en</strong>t d’une publication périodique, ont <strong>de</strong>s<br />
chroniques, <strong>de</strong> Révolution à Aspects <strong>de</strong> la ranoe et à l’Unité, <strong>en</strong> pas<br />
sant par lea Mglieem, par la Libre p<strong>en</strong>sée et la Franc—Maonneri. qui<br />
ont leurs chroniques orales tous les dimanche matin sur France—Culture.<br />
Mais le g<strong>en</strong>re “chronique” peut exprimer <strong>de</strong>s traditions moins<br />
nettes et moine fixes, <strong>de</strong>siélém<strong>en</strong>ts doctrinaux plus flottants, qui<br />
n’ont pas la consistance que fournit une institution indép<strong>en</strong>dante comme<br />
un Parti, une aesooiatioxr, un sy-ndioat ou une secte. Bertrand Poirot—
— 218 —<br />
De1peh, dans le Mon<strong>de</strong>, est lui aussi un chroniqueur, bi<strong>en</strong> qu’il repré-.<br />
s<strong>en</strong>ite une tradition moins facilem<strong>en</strong>t i<strong>de</strong>ntifiable, moine cléricale et<br />
moine anci<strong>en</strong>ne que dans les cas précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t cités. Les lecteurs <strong>de</strong><br />
son jcurnal att<strong>en</strong><strong>de</strong>nt néanmoins <strong>de</strong> lui le jugem<strong>en</strong>t, à propos <strong>de</strong> l’évé—<br />
nem<strong>en</strong> politico—littérai.re <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong>, d’une certaine olasse intel—<br />
lectu 11e parisi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> gauche qui n déjà ses valeurs fixes, pour ne<br />
pas dire ses préjugés et ses conv<strong>en</strong>ances do paroisse.<br />
s<strong>en</strong>ta<br />
niques<br />
taire<br />
I.e papier hebdomadaire <strong>de</strong> Raymond Aron dans l’Express ropré—<br />
‘t sans doute un cas intermédiaire <strong>en</strong>tre l’éditorial et la chro—<br />
ce que corrobore le fait qu’Aron soit toujours resté universi—<br />
<strong>en</strong> mème temps qu’il exerçait le journalisme à titre professionnel.<br />
Il y a bi<strong>en</strong>, çà et là et <strong>de</strong> tempe <strong>en</strong> temps, dans la presse,<br />
<strong>de</strong>s j nalisteø “purs”, sans formation et activité cléri<br />
cales poussées, qui veul<strong>en</strong>t se faire chroniqueurs et seulem<strong>en</strong>t tels.<br />
Citons le cas extrême <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>nes Nouvelles littéraires où chaque<br />
chef ci rubrique voulait avoir sa chronique, ce qui faisait une dizaine<br />
<strong>de</strong> maitres à p<strong>en</strong>ser “prêchant” chaque semaine. Citons le cas <strong>de</strong> Roger<br />
Gicque<br />
l’info:<br />
logues<br />
sur <strong>de</strong><br />
besoin<br />
celui<br />
qui spontaném<strong>en</strong>t s’est fait <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus comm<strong>en</strong>tateur do<br />
mation qu’il <strong>de</strong>vait prés<strong>en</strong>ter. Citons, à la radio, les cas ana—<br />
<strong>de</strong> Cuy Thomae, André Arnaud, à qui la pratique <strong>de</strong> l’information<br />
longues années a donné <strong>de</strong> la “bouteille” et qui ont éprouvé le<br />
légitime <strong>de</strong> traduire leur réflexion sur un plan différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />
e l’information pure.<br />
En général, cep<strong>en</strong>dant, ce mouvem<strong>en</strong>t spontané ne va pas <strong>en</strong>core<br />
très lin <strong>en</strong> Franco. Le journaliste qui veut se faire chroniqueur est<br />
— 219 —<br />
<strong>en</strong>oore perçu comme la gr<strong>en</strong>ouil1 qui veut se faire aussi grosse que<br />
le boeuf. Il faut, <strong>en</strong> fait, qu’il passe par un sta<strong>de</strong> intermédiaire<br />
capital, le livre. Quand il aura écrit plusieurs livres et que ceux—ci<br />
auront manifesté une culture vaste et structurée, il aura acquis une<br />
légitimité “cléricale” et c’est seulem<strong>en</strong>t alors qu’il pourra “prêcher”<br />
valablem<strong>en</strong>t. Ce n’est pas pour autant, notons—le, que le journaliste<br />
Sera <strong>de</strong>vepu un “intellectuel”, car cette qualité est liée à une capa<br />
cité d’inv<strong>en</strong>tion (qu’il peut possé<strong>de</strong>r par ailleurs: songeons à l’iti<br />
néraire d’un F. <strong>de</strong> Olosets, journaljse <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u “prophète”), et non,<br />
ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, à une oompét<strong>en</strong>oo.<br />
La compét<strong>en</strong>ce pure, dans la presse, s’exprime par un autre<br />
type <strong>de</strong> papier, l’article <strong>de</strong> fond L’article <strong>de</strong> fond est oeuvre<br />
d’expert. Il est fait, <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus, et surtout dans les grands<br />
organes <strong>de</strong> presse, par un clerc ou un technici<strong>en</strong> <strong>de</strong>vanti journaliste<br />
professionnel, ou par <strong>de</strong>s journalistes qui ont acquis une oàmpét<strong>en</strong>oe<br />
au fil dès ans dans une rubrique spécialisée. Dans certains domaines,<br />
ces compét<strong>en</strong>ces, <strong>en</strong>richies par une information directe, t<strong>en</strong>ue constam<br />
m<strong>en</strong>t à jour et conservée avec soin et organisatjon, font <strong>de</strong> la presse<br />
une concurr<strong>en</strong>te sérieuse d’institutions universitaires ou administra<br />
tives. Les étudiants et chercheurs (<strong>en</strong> histoire contemporaine, <strong>en</strong> sci<strong>en</strong><br />
ces politiques, <strong>en</strong> économie ou <strong>en</strong> sociologie) le sav<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, qui ont<br />
recours <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus souv<strong>en</strong>t à 0es grands c<strong>en</strong>tres docum<strong>en</strong>taires<br />
que sont les archives <strong>de</strong>s principaux journaux et organismes audio—visuels,<br />
<strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce aux bibliothèques universitaires.<br />
Néanmoins le savoir <strong>de</strong>s experts est, par définition, <strong>de</strong><br />
I. Â ne pas confondre avec le papier rnagazi1I, qui relève <strong>de</strong> la fonc<br />
tion informative <strong>de</strong> la presee ni avec l’article <strong>de</strong> vulgarisation,<br />
dont la logique est <strong>en</strong>core différ<strong>en</strong>te, puisqu’il, supposa, <strong>en</strong> amont,<br />
un savoir fortem<strong>en</strong>t structuré.
aeoon,<br />
vité<br />
déveli<br />
il SO<br />
probab<br />
relies<br />
liste<br />
l’info<br />
presse<br />
précis<br />
Le pap<br />
nal ou<br />
ou d’ut<br />
— 220 —<br />
o main. L’expert est celui qui sait avec précision et exhausti—<br />
ce qui se sait” sur wi sujet donné, il n’est pas <strong>de</strong> ceux qui<br />
ppeivt ce savoir et le font progresser. S’il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t tel,<br />
it ipso facto <strong>de</strong> son rûle <strong>de</strong> journaliste, et s’y s<strong>en</strong>t<br />
lem<strong>en</strong>t mal à l’aise dans la mesure où le oréatour aspire natu—<br />
ont à parier <strong>en</strong> son nom propre, ce que ne peut faire le journa—<br />
,tandsrd, qui par position ne peut se donner comme source <strong>de</strong><br />
mation qu’il trsnsmat.<br />
+<br />
++<br />
L’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l’intellectuel <strong>en</strong> tant que tel dana la<br />
ne sera donc, <strong>en</strong> général e-t s’il faut gar<strong>de</strong>r aux mots leur<br />
.on, ni l’éditorial, ni la chronique, ni l’article <strong>de</strong> fond.<br />
er—type <strong>de</strong> l’intellectuel, c’est l’article ponctuel (<strong>de</strong> jour—<br />
<strong>de</strong> revue, peu importe), écrit <strong>en</strong> fonction d’une circonstance<br />
événem<strong>en</strong>t particuliers.<br />
C’est le “J’aoausel” d’Enile Zola dans l’Aurore. Ce sont<br />
les ariolos <strong>de</strong> Sartre p<strong>en</strong>dant la guerre d’Algérie. C’eut l’apologie<br />
(exemp o <strong>de</strong> “bavure”, certes...) <strong>de</strong> Khomeyni par Ilichel Fouoault<br />
dans l Mon<strong>de</strong>.C’eat le fils, <strong>de</strong> Manrioe Clavel réalisé à la télévision<br />
par Al xandro Astruo (“Le soulèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la vie”) et préaédanrt son<br />
éclat “Messieurs les c<strong>en</strong>seurs, Bonsoiri”). Autrem<strong>en</strong>t dit, 1’inte1leo<br />
tuel o oisit scu mom<strong>en</strong>t pour interv<strong>en</strong>ir, et il choisit djrvefljr<br />
I. Il audrait cep<strong>en</strong>dant consacrer une étu<strong>de</strong> spéciale à la produotion,<br />
par certains organes <strong>de</strong> presse, d’un savoir politique et aocio—éco—<br />
nom4que spécifique que ne produit aucune autre institution soi<strong>en</strong>ti—<br />
fiqte situation d’émerg<strong>en</strong>ce spontanée d’une institution olérioale<br />
hor <strong>de</strong> cléricatures explicitem<strong>en</strong>t organisées comme telles et spé<br />
cialem<strong>en</strong>t hors do la oléricature laïque—étatique, phénomène riche<br />
<strong>de</strong> qonséqu<strong>en</strong>ces pour l’av<strong>en</strong>ir.<br />
— 221 —<br />
En effet, si l’intellectuel est celui qui propose publique<br />
m<strong>en</strong>t une thèse, dans l’idée <strong>de</strong> changer le coure <strong>de</strong>s choses; s’il le<br />
fait parue quil sait qu’il est le seul ou un <strong>de</strong>s rares à pouvoir ou<br />
à oser dire ce qu’il n à dire — il ne peut interv<strong>en</strong>ir, par définition,<br />
qu’<strong>en</strong> fonotion d’une ciroone-tanoe singuiière. On s<strong>en</strong>t là, notamm<strong>en</strong>t,<br />
la différ<strong>en</strong>ce avec la chronique périodique. Le prédicateur, disions—<br />
nous, est passif <strong>de</strong>vant (mme s’il veut indirectem<strong>en</strong>t agir<br />
sur lui) dans la mesure où sa culture structurée <strong>de</strong>meure là, par <strong>de</strong>rriè<br />
re, quoi qujl arrive. Il n toujours quelque chose à dire, et c’est<br />
souv<strong>en</strong>t le choix <strong>de</strong> son sujet qui lui pose problème. Il s <strong>en</strong> effet,<br />
au s<strong>en</strong>e propre, du choix. POur réaffirmer la doctrine, il<br />
peut pr<strong>en</strong>dre prétexte, dans l’actualité, d’un certain nombre d’événe-.<br />
m<strong>en</strong>te équival<strong>en</strong>ts qui feront aussi bi<strong>en</strong> laffajre, à <strong>de</strong>squels<br />
il pourra faire une démonstration qui aboutira à réaffirmer la valeur<br />
<strong>de</strong> la doctrine ou la force <strong>de</strong> la famille d’idées qu’il représ<strong>en</strong>te.<br />
En mime temps, aucun <strong>de</strong> ces sujets possibles ne ejpo5p vraim<strong>en</strong>t.<br />
L’intellectuel, lui, est tourm<strong>en</strong>té non par le choix<br />
sujet qui puisse mettre <strong>en</strong> valeur une solution dont on dispose déjà,<br />
mais par la difficulté <strong>de</strong> découvrir une solution adéquate à u problème<br />
nouveau qui s’impose <strong>de</strong> lui—mtme. Par son article, ii va r<strong>en</strong>dre publi<br />
que, non une “culture” <strong>de</strong> valeur générale et durable, mais une solution<br />
X. Glaire différ<strong>en</strong>ce avec la prédication. Soit par exemple le propa<br />
gandiste, l’intellectuel (mal nommé) <strong>de</strong>s partis totalitaires. Celui—<br />
là ne parle pas <strong>en</strong> son nom; ii est interchangeable; il est soumis<br />
à l’autorjté du Parti, tant sur le cont<strong>en</strong>u du message que sur l’oppor—<br />
tunité <strong>de</strong> l’interv<strong>en</strong>tion. Il n’y a donc pas, stricto s<strong>en</strong>su, d”intel—<br />
leotuels communistes” (mme s’il. y <strong>en</strong> a eu dans le paiiJ Ii n’y s<br />
que <strong>de</strong>s prédicateurs <strong>de</strong> la doctrine communiste.
spécifiqu<br />
— 222 —<br />
au problème qui se pose. Il n’a donc pas toujoura quelque<br />
chose à d Lre: car il faut précisém<strong>en</strong>t qu’il ait trouvé la solution,<br />
ce qui flj ,rrive pas toujours et <strong>en</strong> particulier ne se comman<strong>de</strong> pas.<br />
Journalistiquern<strong>en</strong>st parlant, l’intellectuel écrira dono <strong>de</strong>s<br />
“libres o 3inions”, <strong>de</strong>s “tribunes”, il <strong>en</strong>verra une “correspondance” ou<br />
donnera u te “interview”. Ou, s’il est connu, il fera un article dont<br />
le g<strong>en</strong>re<br />
t’est rnme pas explicité par la rédaction à l’ai<strong>de</strong> d’un. <strong>de</strong><br />
ces terme 3 maie dont la signature, à elle seule, révélera la fonction.<br />
l’auteur<br />
La disjonotion que noua opérons ioi <strong>en</strong>tre le chroniqueur et<br />
te tribunes libres se retrouve à un niveau plus profond. Le<br />
chronique ir, <strong>en</strong> tant que prédicateur, est, nous l’avons dit, une sorte<br />
<strong>de</strong> clerc.<br />
mais il n<br />
L’intellectuel, <strong>en</strong> tant que prophète, peut aussi être olero,<br />
l’est pas nécessairem<strong>en</strong>t. Amos est berger. N’importa qui<br />
sachant é rire peut produire dans la presse une libre opinion. Et mime,<br />
à la limi Le, quelqu’un ne sachant pas écrire. On peut interviewer un<br />
illettré<br />
(Mo!se était bègue). C’est mime, à y réfléchir, un cas fréqu<strong>en</strong>t<br />
aujourdh ai. Beaucoup d’hommes politiques, <strong>de</strong> chefs d’<strong>en</strong>treprise, <strong>de</strong><br />
syndicali ites, <strong>de</strong> sportifs, <strong>de</strong> savants, d’artistes, etc., donn<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />
interview s qui peuv<strong>en</strong>t ètre “prophétiques” au s<strong>en</strong>s que nous avons donné<br />
au mot. N éanmoins ils sont “illettrés” au s<strong>en</strong>s où ils ne possè<strong>de</strong>nt pas<br />
le savoir<br />
m<strong>en</strong>t, que<br />
technique <strong>de</strong> l’écrit ou <strong>de</strong> la parole bi<strong>en</strong> composés rhétorique—<br />
possè<strong>de</strong>nt le professeur ou le journaliste. Ils se ser’.r<strong>en</strong>t<br />
donc du e avoir technique <strong>de</strong> ceux—ci: normali<strong>en</strong>s écrivant les discours<br />
<strong>de</strong>s homme<br />
s politiques, journalistes réalisant <strong>de</strong>s interviews et “rewri—<br />
— 223 —<br />
tant” les textes. Cela ne change ri<strong>en</strong> au fait que, dans son fbnd, le<br />
discours a bi<strong>en</strong> pour auteur l’homme politique, etn., et<br />
que c’est <strong>en</strong> tant que tel qui1 n une valeur “prophétique”. La pro—<br />
phétie est création, solution inédite à <strong>de</strong>s problèmes nouveauxj elle<br />
suppose un esprit “génial”, non une technique d’expression déterminée.<br />
L’”oraole” vi<strong>en</strong>dra souv<strong>en</strong>t ainsi <strong>de</strong> personnalités non cléri<br />
cales mais ayant acquis une autorité dana un domaine professionnel<br />
précis, et ayant, <strong>de</strong> temps à autre ou une seule fbis, quelque chose<br />
à dire”. Les médècins, par exemple, ont ainsi souv<strong>en</strong>t eu ces <strong>de</strong>rnières<br />
années <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts d’intellectuels etvécrit <strong>de</strong>s essais ou simple<br />
m<strong>en</strong>t donné <strong>de</strong>s interviews sur <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> seciété: ceux qui in<br />
téress<strong>en</strong>t à quelque <strong>de</strong>gré la mé<strong>de</strong>cine, mais aussi d’autres (nsmburger’,<br />
Bernard, Sohwartz<strong>en</strong>berg, ICouchner). Le chef’ <strong>de</strong>ntreprise qui intervi<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> politique (Leolero, Lévtqne), l’artiste qui intervi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> politique<br />
4ontand) ou sur un problème social (Bardot), le savant qui parle <strong>de</strong><br />
société (Chauvin) ou tie religion (Icastier’), etc., empliss<strong>en</strong>t les colon<br />
nes <strong>de</strong> la presse et, outre qu’ils rehauss<strong>en</strong>t considérablem<strong>en</strong>t l’intérêt<br />
subjectif <strong>de</strong> sa leoture, fbnt la fbroe culturelle <strong>de</strong> la presse dans la<br />
mesure où ils contribu<strong>en</strong>t à changer’ les “patteras” idéologiques <strong>de</strong> base.<br />
C’est par eux que les idées nouvelles arriv<strong>en</strong>t et que les mouvem<strong>en</strong>ts<br />
d’opinion comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t — mime ai ce n’est pas par eux que oes m)mes mou<br />
vem<strong>en</strong>ts “pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t corps”: ici <strong>en</strong>core noue <strong>de</strong>vons r<strong>en</strong>voyer à notre ana<br />
lyse ultérieure <strong>de</strong> la “cristallisation” o’ldricale. Ce sont, au plein<br />
s<strong>en</strong>s du terme, <strong>de</strong>s intellectuels.
— 22!4 —<br />
L’interv<strong>en</strong>tion dans la presse sous la forme <strong>de</strong> tribunes libres<br />
et d’in erviews admet eUe—même plusieurs types, plusieurs rythmes.<br />
Maurioe Clavel griffonnait vers huit heures du soir <strong>de</strong> brèves fulmina<br />
tions q j paraissai<strong>en</strong>t le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main matin dans Combat. Joan—Clau<strong>de</strong> Mil—<br />
ner a d nné il y a quelque temps au Quotidi<strong>en</strong> <strong>de</strong> Paris une interview<br />
d’une double page, où l’anci<strong>en</strong> dirigeant inaoTate, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u un linguiste<br />
estimé, attaquait avec: virul<strong>en</strong>ce le régime sooialo—communietei manifes<br />
tation gpectaculaire et apparemm<strong>en</strong>d unique, faisant suite à un long si<br />
l<strong>en</strong>ce. ernand—H<strong>en</strong>ry Lévy s’est essayé dans le Matin au rythme hebdoma<br />
daire d la chronique, mais sa nature d’intellectuel “activiste” a repris<br />
le <strong>de</strong>s s: il raréfie ses interv<strong>en</strong>tions pour leur donner plus <strong>de</strong> poids.<br />
Il va <strong>de</strong> soi que selon leur tempéram<strong>en</strong>t les intellectuels<br />
seront lue ou moins t<strong>en</strong>tée dans l’actualité et que pour<br />
uni temp su<strong>en</strong>t donné ils arbitreront différemm<strong>en</strong>it, selon les époques,<br />
<strong>en</strong>tre l’interv<strong>en</strong>tion immédiate — dévoreuse malgré tout <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong><br />
temps — t le livre, <strong>en</strong>tre l’effet immédiat et l’effet sur le long<br />
terme — uoique le grand intellectuel soit précisém<strong>en</strong>t celui qui, tel<br />
Zola, s<strong>en</strong>t qu’une interv<strong>en</strong>tion immédiate est <strong>de</strong> nature à changer dura<br />
blem<strong>en</strong>t e cours <strong>de</strong>s choses. Quant aux “petits” intelleotuele, ils<br />
perdront leur temps <strong>en</strong> interpellations incessantes dont ils fatigueront<br />
1opifljo ou, à l’inverse, <strong>en</strong> rumination <strong>de</strong> livres fondsm<strong>en</strong>taux qui<br />
seront o solètes à peine parus.<br />
Autre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> participation au débat public: l’interv<strong>en</strong>tion<br />
dans les, médias audio—visuels, soit dans les rares “créneaux” prévus<br />
à cette fin (“Pribune libre” <strong>de</strong> FR3), soit à l’occasion <strong>de</strong> la parution<br />
<strong>de</strong> livre (OÙ il est admis que l’on parle d’autre chose que du livre),<br />
— 225 —<br />
soit après avoir signé une pétition, soit après avoir fait un “commu<br />
niqué”, etc. Ou <strong>en</strong>core l’intellectuel est invité, à l’occasion dfl<br />
événem<strong>en</strong>t culturel ou politique, à une émission d’actualité ou à uni<br />
journal parlé ou télévisé, Yves Montand chez lame Leva!.<br />
Le débat public, c’est aussi la prise <strong>de</strong> parole lors <strong>de</strong> col<br />
loques non universitaires (“forums”), <strong>de</strong> soirées publiques (<strong>C<strong>en</strong>tre</strong> Pois—<br />
pidou), <strong>de</strong> confér<strong>en</strong>ces, <strong>de</strong> meetings. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas l’intellectuel<br />
peut parler <strong>en</strong> son nom propre, mais aussi <strong>en</strong> tant qu’appart<strong>en</strong>ant à an<br />
groupe ayant une certaine unité doctrinale. Il oscillera alors, confor<br />
mém<strong>en</strong>t à nos catégories, <strong>en</strong>tre “prophétie” et “prédication”.<br />
La signature <strong>de</strong> pétitions, d’appels, l’apparition à <strong>de</strong>s dé<br />
bats organisée par <strong>de</strong>s groupes et <strong>de</strong>s partis constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cas limites<br />
où n’est plus exactem<strong>en</strong>t le “prophète” que nous avons<br />
prés<strong>en</strong>té précé<strong>de</strong>am<strong>en</strong>t Signer un “appel”, c’est certes affirmer une<br />
théorie qui par définition est <strong>en</strong>core minoritaire, nouvelle et paradoxa<br />
le et qui doit partir <strong>en</strong> quelque sorte à la conquête <strong>de</strong> l’opinion. Mal<br />
gré tout, cela consiste déjà à se ranger à lopiflj d’un groupe. Dans<br />
ce cas, la théorie nouvelle n’est pas pure “fumée”, elle a déjà, par<br />
définition, suscité un début <strong>de</strong> crietallisation, par l’adhésion <strong>de</strong>s<br />
premiers signataires. Cette remarque est vali<strong>de</strong>, soit que l’intellec-.<br />
tael signe un “manifeste” conçu par d’autres qui le lui donn<strong>en</strong>t à signer<br />
afin <strong>de</strong> recevoir l’appui <strong>de</strong> son prestige, soit que lui—même ait pu r<strong>en</strong><br />
contrer l’adhésion préalable d’un groupe afin qu’une i,dée qu’il veut<br />
répandre apparaisse d’emblée comme pas d’un homme seul.<br />
Le phénomène important, ici, est la mimésia, ess<strong>en</strong>tielle dans<br />
j
— 226 —<br />
tout proesm1B <strong>de</strong> oollectivieatiofl <strong>de</strong>s idées. On admire l’intelleo—<br />
tuai — our ses travaux dans d’autres domaines<br />
— et on adhère à l’opi<br />
nion qu’il émet ou qu’il cautionne, afin qua, paraissant semblable à<br />
lui par l’opinion qu’on exprime à sa suite, on passe (y compris à ses<br />
propre yeux) pour possé<strong>de</strong>r ses quàlités. Mais il faut évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t,<br />
pour qe ce processus puisse jouer, que lhintellectuel ait un prestige<br />
initiai, acquis à la faveur <strong>de</strong> “prophéties” antérieures qui ont été<br />
estimé e originales et se sont révélées véritables. C’est pourquoi on<br />
ne peu réduira la question <strong>de</strong> l’influ<strong>en</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong>sintellectuels dans<br />
i’opinion à celle du développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> phénomènes mimétiques plus ou<br />
moins léatoirea et <strong>en</strong>trecroisés. Ce qui revi<strong>en</strong>t à dire que le mon<strong>de</strong><br />
inteli otuel parisi<strong>en</strong>, avec ses petitesses, ne se réduit pas à la fu—<br />
tilité <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s, et que les persiflages d’un Régis Debray à ce sujet<br />
sont t*ès superficiels. On ne saurait esquiver la question <strong>de</strong> la “pro—<br />
phéti& <strong>en</strong> tant que telle.<br />
4.<br />
+4<br />
On a souligné, dans tout ce qui. précè<strong>de</strong>, la dim<strong>en</strong>sion “per—<br />
format ve” du discours <strong>de</strong><br />
jntellectuel: lhintellectuel parie pour<br />
agir 4 fait <strong>de</strong> sa parole une action, <strong>de</strong> façon délibérée (mime si sa<br />
consci’ ace <strong>de</strong>s effets possibles <strong>de</strong> sa parole reste plus ou moins floue).<br />
En ce <strong>en</strong>s, avons—nous ait, l’intellectuel est proche <strong>de</strong> homme poli<br />
tique. Mais noue fl’aVOfls évoquè jusqu’à prés<strong>en</strong>t que l’expression ver<br />
bale (écrite ou orale) <strong>de</strong> la<br />
IperformanCe” <strong>de</strong> l’intellectuel. Il con—<br />
pour être complet, aévoqUer égalem<strong>en</strong>t les discours non—verbaux,<br />
— 227 —<br />
les gestes symboliques: <strong>en</strong> use aujourd’hui tout comme<br />
les prophètes bibliques.<br />
Il est à noter que ces gestes qui sont souv<strong>en</strong>t appelés, par<br />
glissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> langage dans le vocabulaire militant, <strong>de</strong>s “actions”,<br />
rest<strong>en</strong>t — par définition — <strong>de</strong>s gestes symboliques, c’est—à—dire <strong>de</strong>s<br />
gestes qui mont <strong>de</strong>s discours et qui <strong>de</strong> force agissante qu’<strong>en</strong>i<br />
tant que discours et non par leurs effets pratiques proprem<strong>en</strong>rt dits.<br />
Ils agiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant qu’ils “frapp<strong>en</strong>t les esprits” et modifi<strong>en</strong>t les<br />
m<strong>en</strong>talités <strong>de</strong>s aoteurs sociaux. Pour parler <strong>en</strong> langage poppéri<strong>en</strong>, ces<br />
gestes (nême viol<strong>en</strong>ts, “physiques”, spectaculaires, etc.) sont situés<br />
et <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t dans le “mon<strong>de</strong> 3I dam idées et c’est là qujls produis<strong>en</strong>t<br />
leurs effets. Les actions pratiques faites par les intellectuels<br />
(ils <strong>en</strong> font aussi) ne sont pas accomplies par eux <strong>en</strong> tant qu’intellec—<br />
tuels.<br />
Solj<strong>en</strong>,ytsine reoewan’t son prix Nobel, Sartre le refusant,<br />
Malesa <strong>en</strong>voyant sa femme recevoir le si<strong>en</strong> à Oslo; Sartre, <strong>en</strong>core, appa<br />
raissant sur le perron <strong>de</strong> l’Elysée aux bras <strong>de</strong> Nichai Foucault et André<br />
Gluclcsmann, Sacques Derrida bravant les autorités tchécoslovaques,<br />
Jean—Marie B<strong>en</strong>oist allant se faire bousculer à Belgra<strong>de</strong>, Rêinrich B7511<br />
et Giluter arasa faisant un “sit—in” <strong>de</strong> quarante—huit heures dans une<br />
hase américaine <strong>en</strong> Aliemagne pour manifester leur opposition à l’jflS<br />
tallation <strong>de</strong>s Pershing, eto; tout ceci s’analyse comme la cruche brisée<br />
<strong>de</strong> Jérésie.<br />
I. Cette remarque a son importance lorsqu’il 5agjt <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre<br />
l’action politique <strong>de</strong>s intellectuels. Que Mmc Catherine Clém<strong>en</strong>t,<br />
universitaire et journaliste, <strong>en</strong>tre, sous un gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gauche,<br />
dans l’administration, cela est un “geste symbolique”. Mais ce qu’elle<br />
y fait une fois <strong>en</strong>trée n’a aucune signification culturelle <strong>en</strong> oi<br />
et ne relève plus <strong>de</strong> la fonction intellectuelle. Ses actions, désor—<br />
saie, sont nues ou muettes et relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’ordre politique pur.
V — COUCLUSIOUS<br />
—22H—<br />
De ce qui précè<strong>de</strong>, nous dégaerons provisoirem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>ux conclu—<br />
sion, <strong>de</strong>ux traits saillants qui sont aussi <strong>de</strong>ux pistes <strong>de</strong> recherche.<br />
I. L’évolutionnisme<br />
L’intellectuel est celui qui va chercher hors <strong>de</strong>s corpus tra—<br />
diti4nnels <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> solution aux problèmes nouveaux qui se po—<br />
s<strong>en</strong>’t Cela revi<strong>en</strong>t à dire que <strong>de</strong> tels élém<strong>en</strong>ts significatifs apparais<br />
s<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t et qu’ils sont effectivem<strong>en</strong>t nouveaux (sans quoi ils<br />
1<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis longtemps <strong>de</strong>s équival<strong>en</strong>ts au sein <strong>de</strong>s corpus tradition—<br />
aurai<br />
nels). Cela revi<strong>en</strong>t donc à supposer du nouveau comme tel<br />
dans 1’histoire <strong>de</strong>s idées et la possibilité du progrès; et, par consé<br />
qu<strong>en</strong>t ljfladaptation <strong>de</strong> principe d’une culture qui serait basée sur<br />
l’expoitation d’une même Révélation ou d’un même dogme. En fait l’évo<br />
lutionnisme est incompatible avec un modèle purem<strong>en</strong>t clérical <strong>de</strong> la<br />
reprocuction <strong>de</strong> la culture. En corollaire, il faut, pour que la culture<br />
évolu au rythme <strong>de</strong>s problèmes, <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée extérieurs à quel<br />
que dgré aux cléricatures. L’exist<strong>en</strong>ce d’intellectuels (et <strong>en</strong> général<br />
<strong>de</strong> “p ophètes”) est donc liée <strong>en</strong> soi au fait <strong>de</strong> l’évolutionnisme.<br />
Autre corollaire: il y a, dans les cléricatures établies, <strong>de</strong>s<br />
types i’esprits qui se cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> répéter <strong>de</strong>s solutions anci<strong>en</strong>nes,<br />
conserÎées par la tradition, à <strong>de</strong>s problèmes aaci<strong>en</strong>s, ceux aperçue, for<br />
mulés t résolus par les prophètes qui sont à l’origine <strong>de</strong> la clérica—<br />
ture, buis éclairés, systématisés et intégrés dans la doctrine. Ces<br />
esprit ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t répétitifs, ayant pour principale qualité in—<br />
tellecuelle la mémoire, sont bi<strong>en</strong>têt <strong>en</strong>fermés dans une logique que<br />
— 229 —<br />
nous qualifierons <strong>de</strong> sectaire. Ils ne résolv<strong>en</strong>t pas, <strong>en</strong> effet, les<br />
problèmes nouveaux qui se pos<strong>en</strong>t à la société globale; celle—ci ne les<br />
reconnait donc pas cosme lui r<strong>en</strong>dant un service. Ils ne peuv<strong>en</strong>t vivre<br />
et échanger leurs idées qu<strong>en</strong>tre eux. Leur groupe finit par être perçu<br />
comme insolite et étranger, comme une secte. C’est le cas aujourd’hui,<br />
semble—t--il, plus ou moins, <strong>de</strong>s Eglises, do l’Université littéraire...<br />
Il y a un autre type <strong>de</strong> clercs. Ce sont ceux qui, auth<strong>en</strong>tique—<br />
m<strong>en</strong>t ouverts aux problèmes nouveaux <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité, mais trop forte<br />
m<strong>en</strong>t attachés, par une fidélité psychologique ou sociale, à la commu<br />
nauté herméneutique dont la oléricature est le c<strong>en</strong>tre, t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ré<br />
soudre les problèmes nouveaux grace aux solutions anci<strong>en</strong>nes conservées<br />
<strong>en</strong> mémoire dans la doctrine. Ces solutions anci<strong>en</strong>nes ont pour défaut<br />
<strong>de</strong> tre pas toujours <strong>de</strong>s solutions et <strong>de</strong> ne pas débloquer l’av<strong>en</strong>ir.<br />
En revanche, elles ont, il est vrai, l’imm<strong>en</strong>se avantage <strong>de</strong> ne pas pro<br />
voquer <strong>de</strong> failles et <strong>de</strong> conflits dans la communauté herméneutique.<br />
Par exemple l’épistémologie du début <strong>de</strong> ce siècle <strong>en</strong> Franco cher<br />
chait dans Arimtote, Descartes, Leibniz ou Kant <strong>de</strong>s solutions aux pro<br />
blèmes gnoséologiques posés par le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces, flache—<br />
lard a pris au sérieux les réflexions <strong>de</strong>s phy-sioi<strong>en</strong>s eux—mêmes sur<br />
leur sci<strong>en</strong>ce. En cela, Bachelard a été un intellectuel et son intégra—<br />
tion au corpus <strong>de</strong> la oléricature philosophique fait problème <strong>en</strong>core<br />
aujourd’hui à oause <strong>de</strong> la tonalité sci<strong>en</strong>tiste <strong>de</strong> son oeuvre. Au vrai,<br />
il doit cette intégration au fait qu’il a écrit toute une série d’oeu—<br />
vi-<strong>en</strong> “nocturnes”, où il pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> compte la dim<strong>en</strong>sion poétique <strong>de</strong> la<br />
p<strong>en</strong>sée, ce qui réduit l’écart et l’a—typisme <strong>de</strong> son apport intellec<br />
tuel, eu égard à l’idée que la ciéricature se fait <strong>de</strong> ce quo doit être
un. “pl4loaophe”.<br />
Depuis la “crise <strong>de</strong> le physique” <strong>de</strong>s années 1920, que Bache—<br />
lard aété un <strong>de</strong>s premiers à étudier et à pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte, le<br />
déveloØpemont <strong>de</strong> l’épistémologie par le Cercle <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne, par les<br />
anglo—axons, ou cême par l’]cole <strong>de</strong> Prancfort, a abouti à la défini<br />
tionfi<br />
— 230 —<br />
1anche <strong>de</strong> nouveaux corpus qui n’exclu<strong>en</strong>t pas les gran<strong>de</strong>s oeuvres<br />
<strong>de</strong> la hilosophie maie sont très déc<strong>en</strong>trés et décalés par rapport à<br />
celui 1e la oléricature philosophique française—républicaine défini<br />
par le programmes <strong>de</strong> l’agrégation. Si à ceux—ci pouvai<strong>en</strong>t être inscrits<br />
Carnap, Wittg<strong>en</strong>atein, Kuhn, Quine, Popper ou Prigogine — pour ne pr<strong>en</strong><br />
dre que <strong>de</strong>s auteurs déjà connus et hbclassiriueS” <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s — la oléri—<br />
cature h<strong>en</strong>gerait <strong>de</strong> nature et d’int<strong>en</strong>tion, et si cela pouvait se fai<br />
re sana! éclatem<strong>en</strong>t, cela prouverait la vitalité <strong>de</strong> aca—<br />
démique Maia on n’assiste guère à une telle évolution. Le système <strong>de</strong><br />
l’agrégtiort boucle la eléricature sur son corpus le plus traditionnel<br />
(bi<strong>en</strong> qe cette tradition n’ait pas plus d’un siècle), et cela avec.<br />
une rigdité littéralem<strong>en</strong>t religieuse. Si l’épistémologie existe<br />
dans la cléricature d’Etat <strong>en</strong> France, c’est dans le cadre micro—<br />
oléricaure relativem<strong>en</strong>t extérieure à l’Université et à l’<strong>en</strong>seignemeitt.<br />
secondjre, à savoir la section ad. hoc du C.N.R.S.<br />
att<strong>en</strong>dant, les professeurs <strong>de</strong> philosophie, <strong>en</strong> Francs, continu<strong>en</strong>t<br />
à interrfrétsr la sci<strong>en</strong>ce, ses découvertes et ses problèmes par Descar<br />
tes, Hune et Kant, et non ces auteurs à la lumière <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>r<br />
ne. Ils continu<strong>en</strong>t à expliquer le problème <strong>de</strong> la conting<strong>en</strong>ce par Ans—<br />
tote, et non Anistote à la lumière <strong>de</strong>s théories mo<strong>de</strong>rnes sur l’indéte’r—<br />
— 231 —<br />
minisme et l’aléatoire. Des problèmes nouveaux sont résolus par <strong>de</strong>s<br />
solutions anci<strong>en</strong>nes, comme s’il ny avait <strong>de</strong> problèmes nouveaux.<br />
Autre exemple, dans un tout autre ordre d’idées, mais où appa—<br />
rait le mime décalage <strong>de</strong>s mémoires. Les curés <strong>en</strong> chaire — noua le di<br />
rons amplem<strong>en</strong>t dans une prochaine étu<strong>de</strong> — ont t<strong>en</strong>dance à répéter les<br />
solutions anoi<strong>en</strong>nes aux problèmes anci<strong>en</strong>s, et <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s ils s’<strong>en</strong>fer<br />
m<strong>en</strong>t dans une logique <strong>de</strong> secte. Mais considérons une personnalité<br />
exceptionnelle comme Jean—Paul II. Sur le plan intellectuel, ce Pape,<br />
manifestem<strong>en</strong>t, ne se dérobe pas aux questions posées par la mo<strong>de</strong>rnité.<br />
Il y a une bonne raison pour cela. Il vi<strong>en</strong>t d’un pays où non seulem<strong>en</strong>t<br />
l’Eglise n’est pas une secte, mais constitue au contraire une clérica—<br />
ture <strong>en</strong> pleine force, dét<strong>en</strong>trice d’un vrai pouvoir culturel. Un homme<br />
qui parvt<strong>en</strong>t à la tète d’une telle institution est nécessairem<strong>en</strong>t un<br />
homme d’élite, <strong>en</strong> particulier un fin politique. Il ne peut, notamm<strong>en</strong>t,<br />
se permettre, ayant dk souv<strong>en</strong>t dans sa vie diriger <strong>de</strong>s hommes dans<br />
<strong>de</strong>s oiroonstanoes dangereuses, <strong>de</strong> n’être pas responsable et <strong>de</strong> ne pas,<br />
intellectuellem<strong>en</strong>t, scruter les problèmes du mon<strong>de</strong> actuel et les affïon—<br />
ter. La chance (le génie, l’inspiration?) <strong>de</strong> l’1glise est <strong>de</strong> s’être<br />
donné pour chef, sur le plan universel, un <strong>de</strong>s dirigeants d’une <strong>de</strong>s<br />
rares Eglises nationales à ne pas être une oléricature dépassée (comme<br />
cléricature).<br />
Or ce grand esprit offre an mon<strong>de</strong> un spectacle pathétique. le<br />
Pape, aux problèmes nouveaux qu’incontestablem<strong>en</strong>t il perçoit, donne<br />
souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s solutions anci<strong>en</strong>nes et dogmatiques, perçues sur le plan<br />
mondial comme particularistes. Je veux dire par là que la conséqu<strong>en</strong>ce<br />
logique <strong>de</strong>s solutions quil donne (ou qu’il évoque, ou qui sont peroep—<br />
tible à l’arrière—plan <strong>de</strong> ses prises <strong>de</strong> pooition) est l’adhésion
— 232 —<br />
glol ale au dogme catholique, que la majeure partie <strong>de</strong>s hommes<br />
mêm s auxquels il ordinairem<strong>en</strong>t ne peuv<strong>en</strong>t, je p<strong>en</strong>se,<br />
acc<br />
pter <strong>en</strong>, bloc.<br />
C’est bi<strong>en</strong> ce qui r<strong>en</strong>d l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Jean—Paul II, et plus gé—<br />
lem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lEg1ise nér<br />
romaine, “pathétique”. Dans la mesure où il<br />
fonc e la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la liberté et <strong>de</strong> la dignité humaine face aux tota—<br />
liti rismes sur la doctrine catholique <strong>de</strong> l’homme, il doit déf<strong>en</strong>dre<br />
par<br />
et<br />
ailleurs, à cause <strong>de</strong> cette ,i2me doctrine, par souci <strong>de</strong> cohér<strong>en</strong>ce,<br />
arce que la pér<strong>en</strong>nité <strong>de</strong> l’institution qu’il dirige l’exige, <strong>de</strong>s<br />
posi tions qui sont manifestem<strong>en</strong>t contraires à oette liberté. Par exem—<br />
pie,<br />
<strong>de</strong><br />
dans le cas <strong>de</strong> la contraception et <strong>de</strong> l’avortem<strong>en</strong>t, les positions<br />
ean-Paul II sont certes conformes à la lettre du dogme, mais leur<br />
“dus eté” ne parait pas justifiée. Elles trranch<strong>en</strong>it non seulem<strong>en</strong>t par<br />
raps ort aux convictions morales communes <strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntaux contemporains,<br />
mai<br />
aussi, ce qui est paradoxal, par rapport à lesprit du chrimtia—<br />
ni se e traditionnel lui—même. En effet — et c’est là le paradoxe même<br />
du<br />
raditionnalisme — les mêmes thèses chang<strong>en</strong>t <strong>de</strong> signification quand<br />
le c on-texte change. Jusqu’aux temps contemporains, le problème <strong>de</strong>s fa-.<br />
miii es n’était pas d’empêcher la naissance <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fants, mais bi<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />
mais t<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> vie ceux qui naissai<strong>en</strong>t. moral attaché à la<br />
cont L’aception et à l’avortem<strong>en</strong>t vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> là, <strong>de</strong> même que, dans un passé<br />
plu<br />
lointain, la malédiction <strong>de</strong> la femme stérile ou délaissée. Cette<br />
règi e morale couramm<strong>en</strong>t perçue comme bénéfique ne prés<strong>en</strong>tait donc,<br />
quazi i elle fut inscrite dans le dogme et corréliée à l’affirmation<br />
du c eraotère sacré <strong>de</strong> la “vie’, aucune “dureté”,<br />
ni<br />
même aucun relief, particuliers. D’ailleurs le même dogme admet<br />
— 233 —<br />
parfaitem<strong>en</strong>t l’atteinte à la “vie” que constitue la guerre (pourvu, cer<br />
tes, que11e soit “juste”). En d’autres termes, le dogme était ici par<br />
faitem<strong>en</strong>t rationnel. Avec les positions dogmatiques actuelles <strong>de</strong> Jean—<br />
Paul II <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> moeurs (on pourrait faire les mêmes remarques à<br />
propos du mariage <strong>de</strong>s prêtres ou <strong>de</strong> l’accession <strong>de</strong>s femmes à la prê<br />
trise) le problème est quasim<strong>en</strong>t inversé. Le Pape souti<strong>en</strong>t ses posi<br />
tions non pas du fait <strong>de</strong> leur rationalité intrinsèque mais du seul fait<br />
<strong>de</strong> leur interdép<strong>en</strong>dance logique — au moins au plan littéral — avec le<br />
reste du (ogme, ce qui est fort irrationnel, et est même caractéristi<br />
que <strong>de</strong> ce que nous avons appelé le “délire” sectaire.<br />
On pourrait faire <strong>de</strong>s observations du même ordre sur d’autres<br />
positions que les-théologi<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t sout<strong>en</strong>ir par fidélité à la lettre<br />
du dogme e-t par crainte <strong>de</strong> lézar<strong>de</strong>r tout l’édifioe s’ils s’<strong>en</strong> écartai<strong>en</strong>t<br />
quelque peu, mais qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt aujourd’hui <strong>en</strong> réalité beaucoup plus<br />
<strong>de</strong> foi, au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> foi aveugle, irrationnelle, et même tout—à—fait<br />
arbitraire et relevant <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée magique, qu’elles n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>mandai<strong>en</strong>t<br />
aux Pères <strong>de</strong> lFJgljse ou aux Scholastiques qui les formulèr<strong>en</strong>t pour la<br />
première fois. Rappelons par exemple ql,te pour Pascal <strong>en</strong>core, au XVIIème<br />
siècle, — et n fortiori pour toute la sci<strong>en</strong>ce chréti<strong>en</strong>ne antérieure —<br />
les Hébreux sont objectivem<strong>en</strong>t le peuple le plus anci<strong>en</strong> dc la terre,<br />
parmi tous ceux du moins dont les hommes ont mémoire. C’est celui par<br />
la-mémoire culturelle duquel tous les autres remont<strong>en</strong>t le plus <strong>en</strong> arriè<br />
re et le plus près <strong>de</strong> la Création. Il n’est pas étonnant, dès lors, que<br />
ce soit ce peuple—là qui ait été élu pour recevojrla Révélation et<br />
l’annoncer <strong>en</strong>suite à toutes les nations. Dieu, <strong>en</strong> agissant ainsi, fl’a<br />
pas été irrationnel.
—34-<br />
es théologi<strong>en</strong>s qui, aujourd’hui, trait<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’élection du peu<br />
ple d’I ral et veul<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ir l’intégralité du dogme à ce sujet,<br />
sont do c non pas fidèles à Pascal et à la tradition, mais fort in<br />
fidèles Ils doiv<strong>en</strong>t être crédules là où la tradition était rationnel<br />
le. Car ils sav<strong>en</strong>t que les Hébreux ne sont pas le peuple le plus anci<strong>en</strong>,<br />
que llh4nme <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d du “singe”, quil y a quelques c<strong>en</strong>taines <strong>de</strong> milliers<br />
dIannées d’histoire <strong>de</strong>s cultures avant les temps bibliques, que le sys<br />
tème solire est perdu quelque part dans une province du vaste univers,<br />
eto. Dès lors l’historioité et les circonstances <strong>de</strong> la Révélation <strong>de</strong>—<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tbeaucoup plus incroyables. Le sacrificium intellectus <strong>de</strong>manxlé<br />
aux théoogi<strong>en</strong>s mo<strong>de</strong>rnes est sane commune mesure avec celui qu’étai<strong>en</strong>t<br />
prêts à ocepter un Athanase dAlexandrie, un <strong>en</strong>ys d’Aréopagyte, un<br />
Thomas d’Aquin et un Pascal, esprits rationnels s’il <strong>en</strong> fut. La fidélité<br />
au dogme st une infidélité à ces gran<strong>de</strong> hommes, une méconnaissance <strong>de</strong><br />
l’esprit t <strong>de</strong> l’hérolsme <strong>de</strong> la recherche intellectuelle qui fut la<br />
leur. Le raditionnalisme rejoint le fidéisme dans une même irrationna—<br />
lité. I<br />
Cete difficulté, pour les clercs classiques, d’affron<strong>de</strong>r le<br />
mo<strong>de</strong>rne e le nouveau comme tel, ti<strong>en</strong>t à la raison <strong>de</strong> fond que nous<br />
avonn dit: la doctrine chréti<strong>en</strong>ne est fondée sur une Révélation et<br />
sur l’attqnte d’un retour prochain du Christ. Elle ne peut intégrer,<br />
sans orise, le nouveau comme tel — même lorsqu’il pr<strong>en</strong>i la forme <strong>de</strong><br />
la prophéte: les mystiques, qui par leurs expéri<strong>en</strong>ces rev<strong>en</strong>diqu<strong>en</strong>t<br />
ers somme u,e Révélation nouvelle ou un ajout à la Révélation origi<br />
nelle, onttoujours été dam<strong>en</strong>t contrôlés par l’Egliee et n’ont été<br />
admis par lle, in fine, quune fois que l’innovation se ft révélée<br />
sans consécu<strong>en</strong>ces institutionnelles ou dogmatiques. Parfois, il est<br />
— 235 —<br />
vrai, l’innovation est mpa5se quand même, mais, si j’ose dire, au<br />
corps déf<strong>en</strong>dant. <strong>de</strong> l’Eglise et à la faveur processus spontané<br />
que l’Eglise n’a pu contrôler sur le mom<strong>en</strong>t même et avec lequel, <strong>en</strong>sui<br />
te, elle a dfl composer. Ainsi <strong>de</strong> la Réforme qui provoque la Contre—<br />
Réformer ainsi <strong>de</strong> la réforme du Carmel par Sainte—Thérèse et Ht Jean<br />
<strong>de</strong> la Croix, qui donne droit <strong>de</strong> cité à la “théologie mystique” à côté<br />
<strong>de</strong> la théologie <strong>de</strong> l’Ecole, eto.<br />
Une clériosture olassique comme l’Eglise ne peut pr<strong>en</strong>dre ers<br />
compte, <strong>de</strong> façon réfléchie, le fait <strong>de</strong> l’évolution.
II —<br />
— 236 —<br />
La personnalité <strong>de</strong> l’iiitel]eotuel.<br />
Nous avons dit comm<strong>en</strong>t se définissait l’intellectuel: ce n’est<br />
pas p i <strong>de</strong>s traits psychologiques. Mais par la place même que doit oc<br />
cuper pour être tel, l’intellectuel sur les circuits <strong>de</strong> communication,<br />
par 1 rôle qu’il doit jouer dans l’actualité, sont évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t sélec—<br />
tionns, à cette place et dans ce rêle, certains types psychologiques<br />
plutôt que d’autres. Le grand intellectuel se caractérise ainsi par<br />
<strong>de</strong>ux traits marquants I) quant à la personnalité, l’autonomie; 2) quant<br />
à la p<strong>en</strong>sée, la prédominance <strong>de</strong> l’imagination théorique.<br />
seul<br />
I) L’autonomie.<br />
L’intellectuel—prophète est celui qui est capable <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ner<br />
vant tous et seul contre tous. Ce sera donc une forte personnali—<br />
té, a: ti—conformiste, révolté, croyant <strong>en</strong> lui—même, p<strong>en</strong>sant par lui—<br />
même.<br />
Ce sera un homme d’initiatives, et d’autre part — à la réserve<br />
près ue nous développerons ci—après <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> ljflteleQ_<br />
tuel r ce que nous appellerons “micro—sociétés cléricales” — ce sera<br />
un hor me socialem<strong>en</strong>t isolé. On le verra souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> difficultés avec<br />
les ii stitutions, qui ne limpressionn<strong>en</strong>t pas et dont il p<strong>en</strong>se qu., le<br />
cas éhéant, malgré leur force actuelle, elles dureront moins que ses<br />
proprs idées, ce qui lui donne la force et comme le point d’appui<br />
pour lutter contre elles. Non seulem<strong>en</strong>t les exemples abon<strong>de</strong>nt dans toute<br />
l’his-oire <strong>de</strong>s idées, mais on serait même <strong>en</strong> peine, dans l’histoire<br />
mo<strong>de</strong>rne et contemporaine, <strong>de</strong> trouver un grand nom <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée qui n’ait<br />
pas éé <strong>en</strong> porte—à—faux avec les institutions <strong>de</strong> son temps. Songeons<br />
à Auguste Comte.<br />
ce courage qui lui fait exprimer <strong>de</strong>s opinions<br />
à contre—temps” (comme dit S.Paul qui est<br />
contre—partie aussi <strong>de</strong> cette audace qui lui<br />
fait exprimer publiquem<strong>en</strong>t ses prises <strong>de</strong> position quand tous se tais<strong>en</strong>t,<br />
parce que lui—même juge au contraire qu’une telle interv<strong>en</strong>tion est<br />
nécessaire et opportune — il ira mouv<strong>en</strong>t trop vite <strong>en</strong> besogne et se trom-.<br />
pera.<br />
Les incroyables erreurs politiques <strong>de</strong>s intellectuels français,<br />
par exemple, d’ailleurs inverses avant—guerre et après—guerre, sont<br />
l’effet <strong>de</strong> cette précipitation et la rançon tdgique du courage. Les<br />
condamnations justifiées qu’on peut porter à leur égard doiv<strong>en</strong>t être<br />
tempérées par la considération <strong>de</strong> ce courage. Il y a <strong>de</strong>s j<br />
tellectuelles comme il y a <strong>de</strong>s armée <strong>en</strong> campagne. Elles<br />
sont pardonnées ou non selon que l’armée est victorieuse ou non. Mais<br />
sans <strong>de</strong>s intellectuels pour voir et dénoncer, et au mom<strong>en</strong>t même où ils<br />
vont être commis et où le cours <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts peut <strong>en</strong>core être inflé<br />
chi, les erreurs ou les abus, une société irait sans direction et sans<br />
gouvernai1 anémiée, sans<br />
vie, elle retomberait rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t soue l’empire <strong>de</strong> quelque pouvoir tuté—<br />
laire.<br />
En contre—partie <strong>de</strong><br />
inaccoutumées, “à temps et<br />
un grand intellectuel), <strong>en</strong><br />
— 237 —<br />
Les%avures”consist<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce que les intellectuels ont t<strong>en</strong>dance<br />
à absolutimer les théories quils inv<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pour dénoncer les erreurs<br />
ou résoudre les problèmes <strong>de</strong> Ces théories, produites par<br />
un individu, ne sont pas <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s doctrines, produites par une oléri—<br />
cature, st__dire construites par une collectivité, tout au long<br />
dfle tradition qui les éprouve, les vali<strong>de</strong> ou les corrige et <strong>en</strong> fait
— 238 —<br />
<strong>de</strong>s “valetrs”, anonymes et arbitrales. Elles ont donc ordinairem<strong>en</strong>t<br />
pour défa t d’être systématiques, abstraites, et <strong>de</strong> manquer <strong>de</strong> ces<br />
nuances e1 <strong>de</strong> cette richesse <strong>de</strong> cont<strong>en</strong>u (et aussi <strong>de</strong> cette modération)<br />
qu’on trouve dans les gran<strong>de</strong>s doctrines.<br />
Pour condamner le communisme dont on voit avec effroi qu’il<br />
r<strong>en</strong>d imposible la vie, on construit avant—guerre <strong>en</strong> Prance <strong>de</strong>s théories<br />
sociales cui pouss<strong>en</strong>t le biologisme jusqu’à lorgnnicisme Pour combattre<br />
le faacimee qui a horrifié la consci<strong>en</strong>ce planétaire, on souti<strong>en</strong>t après—<br />
guerre se <strong>en</strong>nemis communistes, qui ne sont pourtant que ses rivaux<br />
mimétique , et on systématise, pour mieux les stigmatiser comme rece<br />
lant un d+ger <strong>de</strong> fasciame, toutes les traces d’irrationalisme, <strong>de</strong><br />
hiérsrchisne, <strong>de</strong> militarisme, et même <strong>de</strong> simples valeurs <strong>de</strong> force, <strong>de</strong><br />
san-té, <strong>de</strong> <strong>en</strong>s <strong>de</strong> l’honneur et <strong>de</strong> la distinction, qu’on découvre dans<br />
les traditons politiques <strong>de</strong> la droite.<br />
Mais ici, il <strong>en</strong> va du sort <strong>de</strong> l’intellectuel comme <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />
tout homme d’action. Il pr<strong>en</strong>d les risques et recueille le prestige ou<br />
le chatime t. Braaillach a payé <strong>de</strong> sa vie s<strong>en</strong> théories, d’autres <strong>de</strong><br />
peines moi s brutales mais plus ignominieuses. Ce est pas un malheur<br />
qui puissejamais échoir à <strong>de</strong>s personnalités faibles et suivistes.<br />
2) -, imagination théorique.<br />
En Lénéral, l’intellectuel est un esprit spéculatif, habile et<br />
rapi<strong>de</strong>. Il est capable — pour employer une image cybernétique — <strong>de</strong><br />
traiter <strong>de</strong> informations d’originesdiversas <strong>en</strong> accomplissant<br />
— 239 —<br />
à partir d’elles une construction très élaborée, tal<strong>en</strong>t à comparer<br />
avec celui du savant <strong>de</strong> la “sci<strong>en</strong>ce florale ou <strong>de</strong> l’érudit <strong>de</strong>s clé—<br />
ricatures, élaborant peu <strong>de</strong>s informations conc<strong>en</strong>trées. L’esprit <strong>de</strong><br />
se caractérise ainsi par l’imagination plus que par<br />
la mémoire; l’imagination crée <strong>de</strong>s formes nouvelles, <strong>en</strong> utilisant<br />
ce qu’elle reçoit <strong>de</strong> comme élém<strong>en</strong>t ou briqueII <strong>de</strong> ce<br />
qu’elle construit; la mémoire répète les formes apprises. L’imagina<br />
tion puise dans l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts dont elle va faire, par<br />
rapport à une nouvelle grille d’interprétation, <strong>de</strong>s informations; la<br />
mémoire reçoit <strong>de</strong> ces grilles mêmes, c’est—à—dire <strong>de</strong>s<br />
“instructions”. Le professeur ou l’érudit <strong>de</strong>s clérioatiw,em reçoit, toute<br />
1 sa vision du mon<strong>de</strong> et ses directions <strong>de</strong> recherche.<br />
faito<br />
La signification théorique <strong>de</strong> cette dualité a été soulignée,<br />
nous l’avons dit, par Atian’ après Bergaon; ai, comme Atian le souti<strong>en</strong>t,<br />
la dialectique <strong>de</strong> la mémoire et <strong>de</strong> l’imagination caractérise l’auto—<br />
organisation <strong>de</strong>s systèmes vivants, et si d’autre part une société ou<br />
une partie <strong>de</strong> ooiété peut être considérée comme un système vivant<br />
(plus ou moins) autonome, alors il est permis <strong>de</strong> dire que l’intellec<br />
tuel—prophète est lorgane <strong>de</strong> l)irnaginatjon sociale”, comme le pro<br />
fesseur ou 1rudjt est l’organe <strong>de</strong> la “mémoire sociale”. Atian lui—<br />
même écrit quelques développem<strong>en</strong>ts sur ce thème à propos <strong>de</strong> la dialec<br />
tique <strong>de</strong> la sagesse et <strong>de</strong> la prophétie dans le peuple juif historique.<br />
A cette qualité particulière <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong> l’intellectuel—pro<br />
phète il y a aussi une contre—partie. A force <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser par lui—même,<br />
<strong>de</strong> refaire seul le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> ne pas t<strong>en</strong>ir compte <strong>de</strong>s doctrines établies<br />
et <strong>de</strong> ne pas être instruit suffisamm<strong>en</strong>t par elles,<br />
I. Cf. Il<strong>en</strong>ri Atian, op. oit. pp. 235—258.
— 2,() —<br />
l’intell ctuel peut ne produire que <strong>de</strong>s théories purem<strong>en</strong>t personnetlc,<br />
“déliran1es” selon l’autre forme <strong>de</strong> “délire’ définie par Atlan. 1t d ‘au<br />
tre part,, comme Berson l’avait remarqué dès l’tssai, l’écart par rapport<br />
à la mémire trouve sa limite dans le fait qu’une innovation qui n’in<br />
tègre pas d’une façon ou d’une autre l’expéri<strong>en</strong>ce paumée risque tout<br />
eimplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la répéter sane le <strong>en</strong>voir. La mémoire est un ingrédi<strong>en</strong>t<br />
néceasairb<br />
<strong>de</strong> l’innovation véritable. Le passé doit être connu e’il<br />
doit être dépaasé. Si la mémoire répétitive est “cristal”, l’imagination<br />
pure est”umée”<br />
obsour et “fumeux”, pour ‘fou”.<br />
— <strong>de</strong> fait, l’in,tellectuel—prophète passera souv<strong>en</strong>t pour<br />
Qu l’innovation <strong>de</strong> l’inteflectuel ait un caractère do “folie”,<br />
nous <strong>en</strong>t4ouvons un curieux témoignage à la R<strong>en</strong>aissance, peut—être parce<br />
que la “cistal” dont il s’agissait alors do se délivrer paraissait<br />
aux homme <strong>de</strong> ce temps, tout à’ la fois, force <strong>de</strong> mort qu’il fallait<br />
briser, e’ force si gran<strong>de</strong>, si universelle, si peu contestée, qu’il<br />
fallait ‘fre soi—même prêt à mourir si l’on voulait s’opposer à elle.<br />
Que l’on onge à l’Wtoge <strong>de</strong> la Folie contemporain (lu déchal—<br />
nem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>’l’Inquisition <strong>en</strong> hspagne, Eloge <strong>de</strong> l’eaprit critique et<br />
(-t)<br />
<strong>de</strong> l’inte lectuel d’un cêtt, préludant à l’effloresc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nio<strong>de</strong>rni—<br />
- té et <strong>de</strong> ‘tous les progrès <strong>de</strong> lesprit <strong>en</strong> Europe du Nord<br />
1 chasse obstinée,<br />
impitoyab”e, étonnoinnmcnt efficace, <strong>de</strong> l’autre cêtd, <strong>en</strong> Rupagmie, <strong>de</strong>s<br />
intellectuels et <strong>de</strong> tout ce qui ap:aralt comme une déviance par rapport<br />
I. ]asme dit dans le langage littéraire ce qu’Atlan <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d fon<strong>de</strong>r<br />
<strong>en</strong> thtc’ie; la symétrie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux “délires” que eont la sagesse — cris<br />
tal et la folie — fumée. Les vrais eages, ce sont les fouu, e-t les<br />
vrais ce sont les sages: “Une ingrate race d’hommes, pourtant<br />
bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>’ ma cli<strong>en</strong>tèle (c’est la Folie qui parle), rougit <strong>en</strong> public<br />
<strong>de</strong> mon om et ose <strong>en</strong> injurier les autres. Ce sont les plus fols, les<br />
morotat, qui veul<strong>en</strong>t passer pour sages, faire les Thalè<br />
1 et ne<br />
<strong>de</strong>vrion3—noua pas les appeler moroeophoï, les eege—fole?”(Eloge le<br />
la Polie, éd. Carnier—F’lainmariofl, p. 19.).<br />
— 2111 —<br />
au dogme soudain rigidifié et pétrifié, cI,asse qui est responsable<br />
très probablem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>dormissem<strong>en</strong>t pour quatre siècl<strong>en</strong> <strong>de</strong> ce pays<br />
qui avait pourtant tous les atouts <strong>en</strong> main, au début du XVIème siècle,<br />
pour être un <strong>de</strong>s premiers peuples d’Europe à avancer sur la voie du<br />
progèmi. Il n’a pas progreseé, pour avoir tué ses fous<br />
Luther, avant d’énoncer ses vingt—sept propositions révolution<br />
naires adressées “à la noblesse chréti<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> la nation alleman<strong>de</strong>”<br />
(1520), écrit: “Bi<strong>en</strong> que je ne sois pas <strong>de</strong> taille à faire <strong>de</strong>s proposi<br />
tions utiles à l’amélioration <strong>de</strong> cet affreux état <strong>de</strong> choses, je veux<br />
débiter jusqu’au bout ma complainte <strong>de</strong> fol et dire, pour autant que le<br />
permette mon intellig<strong>en</strong>ce, quels changem<strong>en</strong>ts souhaitables <strong>de</strong>vrait pro<br />
duire jjterv<strong>en</strong>tiofl du pouvoir séculier et du Concile universeii(2).<br />
Luther se réfère apparemm<strong>en</strong>t ici à la tradition médiévale du “fou du<br />
roi” qui seul peut dire aux puissances établies les vérités qui les<br />
irrit<strong>en</strong>slm mais qui les sauveront s’ils <strong>en</strong> ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t compte. Mais tnther,<br />
qui se donne ici pour “fol”, eût pasoé <strong>en</strong> effet pour tel aux yeux <strong>de</strong><br />
la potérité si son discours n’eût été immédiatem<strong>en</strong>t reconnu par les<br />
Alleman<strong>de</strong> comme donnant une solution rationnelle et cohér<strong>en</strong>te à <strong>de</strong>s<br />
problèmes réels et pénibles, et ne se fût répandu comme une tramée<br />
dc poudre. Il eût d’ailleurs fini sur le bûcher. En cet homme peu commun<br />
se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t la force du courage personnel et la liberté <strong>de</strong> l’imagi—<br />
nntio,4 créatrice. C’est l’exemple—type <strong>de</strong> l’intellectuel.<br />
Noue avons parlé, dans le prés<strong>en</strong>t article, <strong>de</strong> la création intel<br />
lectuelle <strong>en</strong> tant qu’elle s’accomplit dans et par <strong>de</strong>s individus. La<br />
I. Ou pour les avoir contraints à une activité parem<strong>en</strong>t intérieure et<br />
a—sociale. Le XVIème siècle esprgnol est le siècle <strong>de</strong> la mystique<br />
thérési<strong>en</strong>ne et eanjuaniote. Prait comhiun aux pays totalitaires: la<br />
création se réfugie dans l’intériorité.<br />
2. Martin Luther, Oeuvros, tome II, p. 107, Labor et Fi<strong>de</strong>s, C<strong>en</strong>ève 1966.
—242—<br />
questi <strong>de</strong> la traneformation <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> l’intellectuel <strong>en</strong> doc—<br />
trines partagées et <strong>en</strong> valeurs culturelles acceptées — tran,formation<br />
grâce laquefle elles apparaiss<strong>en</strong>t, rétrospectivem<strong>en</strong>t, comme étanxb<br />
à la “surce” <strong>de</strong>s doctrines, donc “géniales”, et non “fumeuses” ou<br />
“délir tes” — cette question sera abordée dans un autre travail.<br />
LA REVUE ENTRE LE PROPHETIQUE ET LE CLERICAL<br />
par Jean—Marie DOMENACI!
— 245 —<br />
LA REVUE ENTRE LE PROPHEPIQUE ET LE CLERICAL<br />
I<br />
La revue est l’outil le mieux adapté à l’interv<strong>en</strong>tion<br />
dans les domaines <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l’idéologie, pour trois<br />
raisons principales<br />
10/ Sa périodicité, m<strong>en</strong>suelle, bimestrielle ou trimes<br />
trielle, lui permet <strong>de</strong> traiter rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> questions impor<br />
tantes <strong>en</strong> insistant, <strong>en</strong> répétant, <strong>en</strong> modulant, <strong>de</strong> sorte qu’<br />
une revue peut m<strong>en</strong>er, <strong>en</strong> littérature par exemple, une vérita<br />
ble “campagne” comme <strong>en</strong> mèn<strong>en</strong>t les organes politiques. Cette<br />
périodicité fait <strong>de</strong> la revue un objet à part dans la produc—<br />
tion culturelle : intermitt<strong>en</strong>t, mais continu, et s’appuyant<br />
sur <strong>de</strong>s abonnés qui souscriv<strong>en</strong>t à son égard un contrat <strong>de</strong> fi<br />
délité (c’est une <strong>de</strong>s rares marchandises qu’on paye longtemps a—<br />
v<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la recevoir) ; périodique mais ayant la forme d’un<br />
livre et non d’un journal ou d’un hebdomadaire, la revue réa—<br />
lise une sorte <strong>de</strong> bibliothèque <strong>en</strong> diachronie1et aussi <strong>en</strong> syn—<br />
chronie<br />
puisqu’elle insère une réflexion sur l’actualité dans<br />
la trame <strong>de</strong> l’histoire événem<strong>en</strong>tielle. Ce statut ambigu ne va<br />
pas sans difficultés parce qu’elle ne relève exactem<strong>en</strong>t ni<br />
<strong>de</strong> la librairie ni <strong>de</strong> la presse, la revue a <strong>de</strong> la peine à<br />
trouver<br />
<strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> diffusion et <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> v<strong>en</strong>te. Mais<br />
il comporte aussi <strong>de</strong>s avantages il permet <strong>de</strong> relier la théo<br />
rie à l’action, le passé au prés<strong>en</strong>t, l’intellig<strong>en</strong>tsia à la<br />
politique et aux secteurs socio—professionnels, ce qu’aucun
—246—<br />
media n’est capable <strong>de</strong> faire, du moins sans distorsion grave<br />
ni vulgrisation abusive. De tous les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> communica<br />
tion, l revue est probablem<strong>en</strong>t le plus riche, celui qui su<br />
bit le 4oins <strong>de</strong> “perte <strong>en</strong> ligne”, celui qui comporte le meil<br />
leur fetd—bak, et à ce seul titre elle mérite d’être analy<br />
sée plu qu’on ne l’a fait jusqu’à prés<strong>en</strong>t.<br />
2°/ L’homogénété <strong>de</strong> la rédaction. La plupart <strong>de</strong>s revues<br />
dites j ellectuelles, ou d’intérêt général, naiss<strong>en</strong>t du dé<br />
sir <strong>de</strong> “faire quelque chose <strong>en</strong>semble”. Caractéristique nota<br />
ble dansun domaine où la performance individuelle et le nar—<br />
ciasismepréval<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t, ainsi que le goût<strong>de</strong> parve<br />
nir ou d gagner <strong>de</strong> l’arg<strong>en</strong>t. Dans un inon<strong>de</strong> dominé par la ri<br />
valité, a vanité, et, <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus, par les exig<strong>en</strong>ces du<br />
r<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>j la revue manifeste la survivance d’un état d’es<br />
prit amiaal et artisanal, qui semble parfois archa!que, et la<br />
nostalgie <strong>de</strong> formes conviviales <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> communi<br />
cation culturelle. Le mot d’équipe est généralem<strong>en</strong>t adopté<br />
par les aiimateurs <strong>de</strong> revue. L’int<strong>en</strong>sité du li<strong>en</strong> affectif et<br />
le dévoueti<strong>en</strong>t qu’exige la confection d’une revue pos<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />
problèmesdélicats d’organisation et <strong>de</strong> directionet les con<br />
flits, qu sont fréqu<strong>en</strong>ts, pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un tour personnel. La re<br />
vue est l meilleur <strong>de</strong>s laboratoires pour observer l’interac<br />
tion <strong>en</strong>tr idéologie et psychologie.<br />
30/ ]a diversité et la souplesse. La revue dispose <strong>de</strong><br />
toutes les gammes d’expression typographique articles longs<br />
et notes brèvea ; petits et grands corps ... Certes, elle pu<br />
blie diffiilem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s photos et sa mise <strong>en</strong> page ne peut être<br />
— 2I7 —<br />
aussi variée que celle d’un magazine, mais elle ne connaît<br />
pas, ou peu, les limites qu’impos<strong>en</strong>t ‘a la presse quotidi<strong>en</strong>ne<br />
et hebdomadaire les impératifs <strong>de</strong> dim<strong>en</strong>sion. D’où une gran<strong>de</strong><br />
liberté pour les auteurs, liberté qui sert d’ailleurs <strong>de</strong> mon<br />
naie d’échange à la rédaction afin d’obt<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s collabora<br />
tions à moindre prix, ou gratuites, d’écrivains qui attach<strong>en</strong>t<br />
un grand prix à ce qu’aucune coupure ne soit pratiquée dans<br />
leurs textes.<br />
Une ambigu!td analogue se retrouve dons le cont<strong>en</strong>u <strong>de</strong> la<br />
revue qui est à la fois net et incertain. La plupart <strong>de</strong>s re<br />
vues, au moins à leurs débuts, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> se définir,<br />
et recour<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t pour cela à <strong>de</strong>s “manifestes” plus ou<br />
moins tapageurs. Mais cette unité t<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong>tôt à s’effacer,<br />
et la position <strong>de</strong> la revue semble d’autant plus floue que les<br />
auteurs sont multiples et les sujets égalem<strong>en</strong>t. L’ess<strong>en</strong>tiel<br />
passe alors dans les marges : signes <strong>de</strong> reconnaissance qui<br />
délimit<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s frontières perceptibles aux initiés, co<strong>de</strong> par<br />
ticulier dont la fonction est <strong>de</strong> faire communiquer une équipe<br />
et un public, lesquels finiss<strong>en</strong>t par s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre à <strong>de</strong>mi—mot.<br />
Nous trouvons ici un élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la “cléricature”, telle qu’<br />
analysée par Ph. Nem1 le noyau du dogme passe au second<br />
plan, mais les impératifs n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t que plus contrai<br />
gnants on recrute ou l’on exclut pour <strong>de</strong>s détails mineurs<br />
il suffit parfois qu’un tel ait dit du bi<strong>en</strong> d’un tel qui est<br />
l’<strong>en</strong>nemi d’un ami pour que cet auteur soit rayé <strong>de</strong> la liste<br />
<strong>de</strong>s collaborateurs. L”équipe” t<strong>en</strong>d alors à se transformer<br />
1 • 1-lit I -ippe i’Ie!1o, “La concapt d. c1.éri.tattira”, Cahiers du C. i.. A.<br />
n”, iiaI 193.
— 248 —<br />
<strong>en</strong> “chap 11e” et, contrairem<strong>en</strong>t à ce qu’on pourrait croire,<br />
notre épcque se prête d’autant plus à cette évolution qu’el<br />
le dépréie la proclamation <strong>de</strong>s dogmes, la référ<strong>en</strong>ce à <strong>de</strong>s<br />
idéologis explicites, à <strong>de</strong>s credo articulés. Dans une socié—<br />
té “dé—fanatisée”, l’ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s convictions se déplace norma<br />
lem<strong>en</strong>t vers les zones périphériques et l’intolérance douce<br />
s’exprime, non plus par <strong>de</strong>s anathèmes, nais par <strong>de</strong>s armes<br />
bi<strong>en</strong> plus efficaces le sil<strong>en</strong>ce, le mépris, la dérisions<br />
Le p1Lus curieux est que les cléricatures <strong>de</strong> revue se po<br />
s<strong>en</strong>t ordinairem<strong>en</strong>t, au début, <strong>en</strong> anti—cléricatures. Il s’a<br />
git souveit <strong>de</strong> jeunes g<strong>en</strong>s, dégodtés par l’idéologie dominan<br />
te, <strong>en</strong> coLère contre la sclérose <strong>de</strong> la littérature, <strong>de</strong> l’art<br />
ou <strong>de</strong> la olitique, et qui veul<strong>en</strong>t faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre la voix d’<br />
4le génération, exercer une fonction critique — à la<br />
une nouv<br />
fois ré—ciminante et in—criminante (n’oublions pas que “cri<br />
tique” eth’crime” ont la même racine, qui signifie trier, sé<br />
parer le lon grain <strong>de</strong> l’ivraie<br />
— opération émin<strong>en</strong>te à la fois<br />
dans l’ar1, la religion et la justice). La fondation d’une<br />
revue, lo4squ’il ne s’agit pas d’une fantaisie passagère, ex<br />
prime le ésir <strong>de</strong> rompre avec une certaine domination cultu<br />
relle pouz fon<strong>de</strong>r une nouvelle culture, ou du moins pour se<br />
rattacher une autre tradition culturelle. Ces mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />
rupture eI <strong>de</strong> rapatriem<strong>en</strong>t culturel rythm<strong>en</strong>t l’histoire <strong>de</strong>s<br />
revues, teLle que nous la connaissons <strong>de</strong>puis le milieu du<br />
X1Xè siècLe. On peut toutefois se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ces alternances<br />
sont <strong>en</strong>core possibles dans une société comme la nôtre, où les<br />
media 1ancnt continuellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s nouvelles, tout <strong>en</strong><br />
— 249 —<br />
relantant <strong>de</strong>s auteurs, <strong>de</strong>s artistes, voire <strong>de</strong>s philosophes<br />
oubliés. Rupture et rajeunissem<strong>en</strong>t sembl<strong>en</strong>t difficiles lors<br />
que la transgression est affichée presque partout et que la<br />
juvénilité est l’emblème <strong>de</strong> tout produit la culture est<br />
<strong>en</strong>trée elle aussi, <strong>de</strong>puis une vingtaine dans le cir<br />
cuit <strong>de</strong> la production—consommation, qui implique le recours<br />
aux métho<strong>de</strong>s publicitaires).<br />
La fondation d’Esprit, <strong>en</strong> 1932, est typique <strong>de</strong> cette vo<br />
lonté <strong>de</strong> rupture effectuée au nom d’une génération. Son di<br />
recteur, E. Pounier, énonce ainsi le “triple s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t” qui,<br />
à la fin <strong>de</strong> 1929, le poussa dans cette <strong>en</strong>treprise<br />
“ 1) Le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qu’un cycle <strong>de</strong> création française était<br />
bouclé, qu’il y avait <strong>de</strong>s choses à p<strong>en</strong>ser qu’on ne pouvait<br />
écrire nulle part ; qu’à nous autres, pianistes <strong>de</strong> vingt—cinq<br />
ans, il manque un piano;<br />
2) La souffrance <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus vive <strong>de</strong> voir notre chris<br />
tianisme solidarisé avec ce que j’appellerai plus tard le dé<br />
sordre établi et la volonté <strong>de</strong> faire la rupture I<br />
3) La perception, sous la crise économique naissante, d’une<br />
crise dc civilisation.”<br />
Jeunesse, nouveauté, rupture ... à quoi s’ajoute ici le<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t pguyste d’une r<strong>en</strong>contre avec l’événem<strong>en</strong>t. On oppo<br />
se aux g<strong>en</strong>s <strong>en</strong> place la consci<strong>en</strong>ce d’une gnération montante<br />
que la revue se donne la tôche d’exprimer. Esprit est certes<br />
une revue d’un g<strong>en</strong>re particulier (mais toutes n’ont—elles pas<br />
leur caractère propre ?) ; son premier numéro s’ouvre sur un<br />
long article du fondateur, qui a valeur <strong>de</strong> nILmnifete .<br />
1 — E. t.ounier “tfa’c la tonaissoncc” (sprit, octobre 1932).<br />
Le
— 250 —<br />
“corpus’ est soli<strong>de</strong>, ce qui constitue svns doute l’une <strong>de</strong>s<br />
raisons pour lesquelles Esprit survivra à la génération <strong>de</strong>s<br />
fonciateirs ; il est ‘n noter aussi que, dès le début, son fon<br />
dateur 1ui a donné une assise provinciale et internationale,<br />
ce qui a prémunit contre la t<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la chapelle pari<br />
si<strong>en</strong>ne t l’oblige à une pédagogie continuelle. Cep<strong>en</strong>dant,<br />
la volortté <strong>de</strong> prolonger une revue au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’espace d’une<br />
génération (une vingtaine d’années, au maximum) comporte évi—<br />
<strong>de</strong>min<strong>en</strong>t un risque <strong>de</strong> sclérose : on est alors conduit à recru<br />
ter <strong>de</strong>s collaborateurs plus jeunes, et, au s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t exaltant<br />
d’une coplicité <strong>de</strong> génération, se substitue pius ou moins<br />
une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> groupe clérical, <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>se contre ce qui me<br />
nace la ‘ligne” et par là aveugle aux promesses <strong>de</strong> r<strong>en</strong>ouveau<br />
qui se4ssin<strong>en</strong>t ici et là. C’est le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce risque<br />
qui me crnduisit è. “refon<strong>de</strong>r” Esprit <strong>en</strong> 1958, alors que j’é<br />
tais déj âgé <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te—six ans, et à quitter la direction <strong>de</strong><br />
la revue<strong>en</strong> 1976. Il ne m’apparti<strong>en</strong>t évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pas d’<strong>en</strong> éva<br />
luer les conséqu<strong>en</strong>ces ; je note seulem<strong>en</strong>t que cette revue a<br />
pu passelt<br />
le cap <strong>de</strong> la cinquantaine sans tomber dans le con—<br />
formisme, <strong>en</strong>core que la perpétuation d’une rédaction comporte<br />
forcém<strong>en</strong>1 <strong>de</strong>s risques <strong>de</strong> fermeture face à l’avènem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gé—<br />
nérations et <strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances nouvelles. Tout n’est pas mauvais<br />
cep<strong>en</strong>dant dans les “cléricatures”, et c’est certainem<strong>en</strong>t une<br />
fonction stile <strong>de</strong>s clergés que d’assurer une continuité à tra<br />
vers les énérations. Cette fonction pourrait s’avérer d’ail<br />
leurs d’ tant plus fécon<strong>de</strong> que les générations s’us<strong>en</strong>t plus<br />
vite et q e l’archivage auquel procè<strong>de</strong> notre société ressem—<br />
— 251 —<br />
ble plut6t à une pathologie <strong>de</strong> la mémoire qu’à une transmis<br />
sion fécon<strong>de</strong> du patrimoine.<br />
La fondation <strong>de</strong> la Nouvelle Revue française, malgré la<br />
différ<strong>en</strong>ce d’époque et <strong>de</strong> g<strong>en</strong>re, prés<strong>en</strong>te bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s analogies<br />
avec celle d’Esprit. Il s’agissait aussi <strong>de</strong> donner un instru<br />
m<strong>en</strong>t d’expression à un groupe jeune, luci<strong>de</strong>, fraternel, dres—<br />
5é contre la domination <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s vieillissantos. Ghéon, l’un<br />
<strong>de</strong> ses fondateurs, le dit clairem<strong>en</strong>t : “Mâme OEge, mépris com<br />
mun d’un art <strong>en</strong> désaccord avec <strong>de</strong>s aspirations nouvelles, be<br />
soin <strong>de</strong> serrer les rangs pour se s<strong>en</strong>tir sout<strong>en</strong>u, ce sont là<br />
<strong>de</strong>s raisons suffisantes pour former école. Eh bi<strong>en</strong> ! Je vois<br />
ici plus (...), je vois fraternité <strong>de</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, unanimité<br />
cordiale. (...) Nous étions un peu submergés d’élégies ; ce<br />
la fait du bi<strong>en</strong>.” Dans son admirable étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> laN.<br />
R.?. ‘Augu8te Anglès écrit<br />
Uti groupe se défluiit par ses réactions spolilanérs aux oeuvres.<br />
par In hiérarchie qu’il établit d’insti,,ct <strong>en</strong>tre les écrivains, par<br />
tics tillinités qui ori<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les jug<strong>en</strong>iciits, ,n,iic si les tempéra—<br />
lii<strong>en</strong>ts iliffêrciit. Mais cet accord <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>siltjiii,!s doit s’exhIhi,luer<br />
cii con,incntajrcs critiques, dont l’cnscnil,le unit par consiilurr<br />
‘inc esthétique. l)ciix t<strong>en</strong>tations peuv<strong>en</strong>t alors surgir. Ou bi<strong>en</strong><br />
la groupe, soucieux d’affirmer son i<strong>de</strong>ntité aux yeux du public,<br />
rncIamcra un credo, lancera <strong>de</strong>s manifestes. Ou bi<strong>en</strong>, rebelle<br />
n,Ix formules et att<strong>en</strong>tif aux différ<strong>en</strong>ces, il acceptera d’un coeur<br />
léger l’éclectisme. Entre le dogmatisme et Ic laisser-aller le<br />
t:heii,i,i est difficile t, tracer.<br />
1 — Extrait <strong>de</strong> la thèse d’A. Ariglès, publiée sous le titre<br />
André Gi<strong>de</strong> et le premier groupe <strong>de</strong> La Nouvelle Revue<br />
française. La formation du groupe et les éesp—<br />
preritissage. 1890—1910. (I’IHF, Gallimard).
— 252 — — 253 —<br />
Certes, a NR1? se gar<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> publier un manifeste. Gi<strong>de</strong><br />
n’est pa Ivlounier. Pourtant les “Considérations” <strong>de</strong> J. Schlum—<br />
berger, ui ouvr<strong>en</strong>t le numéro 1 <strong>de</strong> la NRP sont, comme le fait<br />
remnrque nglès, d’un ton rigoureux, et l’auteur n’hésite<br />
pas àpz<br />
4clamer le primat du groupe sur les préfér<strong>en</strong>ces mdi—<br />
viduelle “La forte unité du groupe n’est faite que <strong>de</strong> la<br />
restriction <strong>de</strong>s libertés individuelles”. Axiome clérical, et<br />
môme jésuite. Il inspirera, dans les débuts, le fonctionne<br />
m<strong>en</strong>t strct d’un Comité <strong>de</strong> lecteurs aucun manuscrit ne <strong>de</strong><br />
vait ôtr accepté qui n’eut l’agrém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces lecteurs. Règle<br />
d’or, qui prémunissait contre les pressions et les complaisan<br />
ces, mais qui se heurta bi<strong>en</strong>tôt à <strong>de</strong>s difficultés techniques.<br />
Tion propos n’est pas <strong>de</strong> retracer l’histoire <strong>de</strong> la NRP,<br />
dont on sait qu’elle donna naissance h une maison d’éditions<br />
très importante, qui éclipse aujourd’hui la revue elle—môme,<br />
mais qui témoigne <strong>de</strong> l’étormant pouvoir <strong>de</strong> fécondation que<br />
les revue peuv<strong>en</strong>t avoir sur la vie culturelle <strong>de</strong> notre so<br />
ciété. Mca propos est d’esquisser un modèle <strong>de</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t<br />
dans un drmamne caractérisé par une gran<strong>de</strong> variété. La NRF,<br />
du moins n sa première époque, offre un exemple <strong>de</strong> ce que<br />
j’appe1lerais une chapelle sans sectarisme. Elle se fon<strong>de</strong>,<br />
certes, $r une “unité <strong>de</strong> goûts”, mais cette unité n’est pas<br />
“doctrinéb”, ne se déduit d’aucun principe théorique. Elle<br />
n’<strong>en</strong> est ue plus impérative comme dans le salon <strong>de</strong> Madame<br />
Verdurin,il y n ceux qu’on aime et ceux qu’on n’aime pas,<br />
et, à <strong>de</strong>s indices imperceptibles, ou sur la simple indication<br />
du maître <strong>de</strong> maison, !ndré Gi<strong>de</strong>, les indésirables sont r<strong>en</strong>vo—<br />
yés <strong>de</strong>hors. “Le ton n’y est pas” disait Gi<strong>de</strong> pour refuser la<br />
note d’un collaborateur. Mais qu’est—ce qui définissait ce<br />
ton, sinon une certaine conniv<strong>en</strong>ce, un “ton” commun, ou du<br />
moins majoritaire dans la rédaction — un ton qui reproduit<br />
les inclinations du lea<strong>de</strong>r, les <strong>de</strong>vance môme ?<br />
Comme je le disais tout à l’heure, une revue marque son<br />
territoire <strong>de</strong> repères positifs et négatifs. Ce sont les cri<br />
tiques favorables et défavorables, qui i<strong>de</strong>ntifi<strong>en</strong>t la revue,<br />
davantage que les textes <strong>de</strong> définition. Le corpus se consti<br />
tue peu à peu <strong>de</strong> morceaux infimes comme une mosatque. Ce pro<br />
cessus est particulièrem<strong>en</strong>t visible dams la NRP, où la batail<br />
le se localise sur <strong>de</strong>s points mineurs, ou du moins qui nous<br />
paraiss<strong>en</strong>t tels. On a d’ailleurs beaucoup <strong>de</strong> peine, après<br />
coup, à compr<strong>en</strong>dre ce qui faisait l”unité <strong>de</strong> golit” d’une é—<br />
quipe qui se passionnait pour <strong>de</strong>s auteurs qui, aujourd’hui,<br />
nous sembl<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t insignifiants, ou bi<strong>en</strong> dont la qualité<br />
d’inspiration est très inégale. Qu’est—ce qui faisait coexis<br />
ter dans l”unité <strong>de</strong> goût” Paul Clau<strong>de</strong>]. et Mina <strong>de</strong> Monilles ?<br />
3i nous parv<strong>en</strong>ions à le compr<strong>en</strong>dre, nous serions capables <strong>de</strong><br />
restituer <strong>de</strong>s normes qui nous échapp<strong>en</strong>t. Or Gi<strong>de</strong> et ses amis<br />
s’attach<strong>en</strong>t à ces “captures” prestigieuses. s’agissait—il<br />
seulem<strong>en</strong>t d’afficher <strong>de</strong>s signatures <strong>en</strong> vogue ? Mais alors<br />
comm<strong>en</strong>t une revue “jeune” et <strong>en</strong> rupture avec l’idéologie do<br />
minante pouvait—elle faire la chasse à <strong>de</strong>s textes aussi “éta<br />
blis” que ceux <strong>de</strong> M. Barrès et <strong>de</strong> la Comtesse <strong>de</strong> floailles.<br />
La composition d’un sommaire <strong>de</strong> revue, examiné à tr<strong>en</strong>te ou<br />
soixante ans <strong>de</strong> distance, est souv<strong>en</strong>t déconcertante ; elle
<strong>en</strong> uppi<br />
— 25 —<br />
1exidrait divantage sur 1’ cïprit d’une époque que beau<br />
coup <strong>de</strong> traités d’histori<strong>en</strong>s. Ici aussi, ce qui est caché,<br />
cet imlicite qui ori<strong>en</strong>te les choix et donne le ton, compte<br />
plus que ce qui eSt exprimé. Ce qU’A. nglès appelle “une é—<br />
thique ous—jac<strong>en</strong>te aux jugem<strong>en</strong>ts esthétiques” a pourtant<br />
rallié 1errière la NRP bon nombre <strong>de</strong>s meilleurs esprits <strong>de</strong><br />
l’époque. D’autres, un peu plus tard, suivront Péguy aux Ca<br />
hiers dL la Quinzaine, avec lesquels Gi<strong>de</strong> et Ses amis 5e s<strong>en</strong><br />
t<strong>en</strong>t pliis d’affinités qu’on pourrait l’irnginer aujourd’hui.<br />
C’est sns doute parce que les sociét4 europé<strong>en</strong>nes connais<br />
s<strong>en</strong>t alrs un <strong>de</strong> ces reflux <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité qui pouss<strong>en</strong>t<br />
beaucoup d’intellectuels à rechercher, soit dans la religion,<br />
soit d5Ls <strong>de</strong>s formes pseudo—religicusca <strong>de</strong> mystique ou d’<strong>en</strong>—<br />
gagem<strong>en</strong>, <strong>de</strong>s p<strong>en</strong>sées, <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, une esthétique et un<br />
<strong>en</strong>gagemnt qui témoign<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce qu’Anglès appelle un “évan—<br />
gélismelacisé”. La fondation <strong>de</strong>s “déca<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Pontigny” par<br />
P. Desjdrdins, <strong>en</strong> 1910, et la participation à ces déca<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>s étoilles <strong>de</strong> la NRP illustr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> ce rôle <strong>de</strong> clergé <strong>de</strong><br />
suppiéar4ce que tant d’intellectuels sont poussés à jouer<br />
lorsque s’affaibliss<strong>en</strong>t les religions transc<strong>en</strong>dantales.<br />
1 — On t’ouvera <strong>de</strong>s correspondances éclatantes avec ce plié—<br />
nom*e dans ce qui se passait à Vi<strong>en</strong>ne à la môme époque<br />
(voir l’essai <strong>de</strong> K. Schorslce Vi<strong>en</strong>ne, fin dp siècle.<br />
SeuLl).<br />
II<br />
lia revue offre un exceptionnel terrain d’analyse <strong>de</strong>s<br />
rapports <strong>en</strong>tre esprit et pouvoir, <strong>en</strong>tre une inspiration <strong>de</strong> ty<br />
pe prophétique et la nécessité d’institutionnaliser le groupe<br />
afin qu’il puisse publier les numéros prévus à <strong>de</strong>s dates ré<br />
gulières.<br />
— 255 —<br />
J’ai noté que les revues Se situ<strong>en</strong>t à l’écart <strong>de</strong> la pro<br />
duction marchan<strong>de</strong> et ont <strong>de</strong> la peine à s’inscrire dans le<br />
circuit commercial. A l’inverse <strong>de</strong>s autres <strong>en</strong>treprises, les<br />
revues se fon<strong>de</strong>nt selon une impulsion désintéressée, et <strong>en</strong><br />
<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> marché, parfois <strong>de</strong> tout souci <strong>de</strong>s<br />
débouchés. Il s’agit d’écrire, à tout prix, et l’on dispute<br />
ra p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s heures <strong>de</strong> tel texte, sans Se soucier s’il trou<br />
vera <strong>de</strong>s lecteurs. Outre certaines difficultés économiques,<br />
sur lesquelles je revi<strong>en</strong>drai, cette caractéristique soulève<br />
<strong>de</strong>s problèmes institutionnels délicats. On peut <strong>en</strong> effet dis<br />
tinguer <strong>en</strong> gros <strong>de</strong>ux types d’institutions celles où les<br />
g<strong>en</strong>s obéiss<strong>en</strong>t parce qu’ils y sont contraints par une hiérar<br />
chie consacrée (l’armée, par exemple) ; celles où les g<strong>en</strong>s<br />
obéiss<strong>en</strong>t parce qu’ils sont payés pour cela. Entre ces <strong>de</strong>ux<br />
types, <strong>de</strong>s transitions exist<strong>en</strong>t évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t. Or la revue fonc<br />
tionne sur le mo<strong>de</strong> du bénévolat, môme si un ou <strong>de</strong>ux rédacteurs<br />
perçoiv<strong>en</strong>t un salaire <strong>en</strong> général assez faible. Cela pose un<br />
1 — Du moins celles qui se définiss<strong>en</strong>t comme l’expression cl’<br />
une volonté commune, et qui ne sont pas <strong>de</strong>s créations ar<br />
tificielles d’institutions politiques, industrielles, ad<br />
ministratives — ou <strong>de</strong> mécènes <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus rares.
— 256 —<br />
problme <strong>de</strong> discipline, parce que le directeur ou le rédac<br />
teur n chef, faute <strong>de</strong> rémunérer ses collaborateurs, peut<br />
diffii1ein<strong>en</strong>t leur imposer ses exig<strong>en</strong>ces. Certes, il peut<br />
jouer [<strong>de</strong> leur dévouem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> leur désir d’être publiés.<br />
1ain ces vertus, ou ces vanités, sont insuffisantes pour ob<br />
t<strong>en</strong>ir les suppressions ou corrections nécessaires, car le ré—<br />
dacteur, précisém<strong>en</strong>t parce qu’il ti<strong>en</strong>t à ce qu’il a écrit, S’<br />
oppose’a à tout ce qui lui paraît mutiler sa p<strong>en</strong>sée. Telle<br />
est la raison pour laquelle tant <strong>de</strong> revues publi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s arti<br />
cles lng3 et hermétiques, et per<strong>de</strong>nt ainsi <strong>de</strong>s lecteurs. On<br />
peut e3timer que plus l’article est long, moins son auteur<br />
est rétnunéré ; cette échelle va <strong>de</strong> l’cpresa ou du Pointoù<br />
l’on erPrime un texte à trois mots près, à Esprit <strong>en</strong> passant<br />
par Le’ton<strong>de</strong>. A l’inverse <strong>de</strong> ce qui se passe, non seulem<strong>en</strong>t<br />
dans ls commerces <strong>de</strong> marchandises pondéreuses,mais dans l’é—<br />
dition<strong>de</strong>a livres, moins on paye les producteurs et plus ils<br />
produi<strong>en</strong>t<br />
Or imagine que, dans un tel contexte, l’institution et<br />
le fonctionnem<strong>en</strong>t d’un pouvoir soli<strong>de</strong> se révèl<strong>en</strong>t à la fois<br />
nécessaireS et difficiles. Les ‘écrivants” sont indociles et<br />
portés l’individualisme par la nature <strong>de</strong> leur travail. Dans<br />
une “éqiipe” <strong>de</strong> revue, l’ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s convictions, la passion<br />
<strong>de</strong>s idées t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à faire oublier les exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la publi<br />
cation (délai, r<strong>en</strong>tabilité) et même celles du public. A la<br />
li,nite, qu’importe qu’on soit lu pourvu qu’on soit publié<br />
1 — Ce trait m’a particulièrem<strong>en</strong>t frappé chez certains publi—<br />
cistes <strong>de</strong> sauche ils se réfèr<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t au peuple<br />
mni ne se souci<strong>en</strong>t pas du public, se refusant à toute a—<br />
,néloration pédagogique <strong>de</strong> leur texte.<br />
(i)<br />
— 257 —<br />
Ce problème <strong>de</strong> pouvoir est parfois résolu par l’institution<br />
d’un “Comité”, “comité directeur” où, b<strong>en</strong>ottem<strong>en</strong>t<br />
1”comité <strong>de</strong><br />
lecture”, mot typique <strong>de</strong>s revues, qui évoque malheureusem<strong>en</strong>t<br />
la terreur et le totalitarisme, mais qui se caractérfse ici<br />
par la converg<strong>en</strong>ce généreuse et le dévouem<strong>en</strong>t sans faille.<br />
C’est ce système qu’avait d’abord adopté la WRF. Mais bi<strong>en</strong>—<br />
t8t, ce fut Gi<strong>de</strong> qui <strong>en</strong> <strong>de</strong>vint le véritable directeur, sans<br />
<strong>en</strong> avoir le titre, — solution idéale parce qu’une revue a be—<br />
sion d’un directeur, mais celui—ci se trouve exposé <strong>en</strong> perma<br />
n<strong>en</strong>ce aux contestations et protestations du <strong>de</strong>hors et du <strong>de</strong><br />
dans, sans parler <strong>de</strong>s soucis financiers, ce qui fait <strong>de</strong> ce<br />
métier l’un <strong>de</strong>s plus épuisants qui soi<strong>en</strong>t. Etre l’tme d’une<br />
revue sans <strong>en</strong> être le responsable ..., seul Gi<strong>de</strong> pouvait pra—<br />
tinuer une telle attitu<strong>de</strong> ! A l’inverse, J.P. Sartre sera le<br />
directeur <strong>de</strong>s Tempe mo<strong>de</strong>rnes sans <strong>en</strong> être l’ême, ce qui est<br />
sans doute l’une <strong>de</strong>s raisons pour lesquelles, après une pério—<br />
<strong>de</strong> glorieuse, cette revue a perdu beaucoup d’impact. Péguy,<br />
lui, prttiquait une direction vigoureuse, absolue, écrasante<br />
d’où, on le sait, d’incessantes querelles. 1ounier avait un<br />
style à la fois impérieux et souple ; il avait su construire<br />
sa revue comme une pyrami<strong>de</strong> institutionnelle, avec une large<br />
base — les “groupes Esprit” — et une hiérarchie rigoureuse au<br />
sommet : comités <strong>de</strong> rédaction spécialisés, coiffés par un Co<br />
mité directeur. Des Congrès périodiques donnai<strong>en</strong>t un s<strong>en</strong>ti<br />
m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> communion et <strong>de</strong> démocratie, mais la démocratie ne<br />
pouvait aller très loin <strong>en</strong> pnreil domaine, et je comprernis<br />
ces Congrès h <strong>de</strong>s conciles ou <strong>de</strong>s syno<strong>de</strong>s, plub6t qu’à <strong>de</strong>s
—258—<br />
assemb1es représ<strong>en</strong>tatives, car 1i voix <strong>de</strong> quelques ténors,<br />
et surtut celle du directeur y indiquai<strong>en</strong>t la bonne direc<br />
tion. Arès la mort <strong>de</strong> Mounier (mars 1950), Esprit a connu<br />
<strong>de</strong>s phéomènes <strong>de</strong> crispation. Con<strong>en</strong>t <strong>en</strong> serait—il allé au—<br />
trem<strong>en</strong>tdans une institution qui se s<strong>en</strong>tait décapitée ? Mais<br />
il est xeinnrquable qu’ils ai<strong>en</strong>t été suraontés, et que la t<strong>en</strong><br />
tation <strong>de</strong> constituer un dogme ait été définitivem<strong>en</strong>t écartée.<br />
3’iL est bi<strong>en</strong> adapté au fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la revue, le<br />
IComitéI[ a néanmoins <strong>de</strong>s inconvéni<strong>en</strong>ts. D’abord, il crée une<br />
distincton <strong>en</strong>tre les élus et les “candidats”, qui finiss<strong>en</strong>t<br />
pas s’imati<strong>en</strong>ter ou se décourager. La cooptation peut <strong>en</strong>g<strong>en</strong><br />
drer la aralysie et alors le Comité fonctionne à l’inverse<br />
<strong>de</strong>s idéaix proclamés qui sont d’ouverture, <strong>de</strong> liberté, <strong>de</strong> re—<br />
nouve1l<strong>en</strong><strong>en</strong>t ... Puisqu’il n’est pas question <strong>de</strong> voter, il<br />
faut bier parv<strong>en</strong>ir à un minimum d’unanimité, ce qui a pour<br />
conséqueIce d’atténuer les prises <strong>de</strong> position, et aboutit par<br />
fois à <strong>de</strong> “synthèses” où l’on trouve à boire et à manger.<br />
L’expressLon intellectuelle porte évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t à une certaine<br />
autocrati, si l’on veut éviter <strong>de</strong> tomber au niveau du dis<br />
cours <strong>de</strong>spartis politiques. On n’a pas <strong>en</strong>core trouvé le mo<br />
y<strong>en</strong> <strong>de</strong> dériocratiser l’institution culturelle ; ou elle est<br />
autoritaike,<br />
ou elle est bureaucratique (cf. l’Unesco).<br />
Paut d’une direction, et, disons le nt, d’une c<strong>en</strong>sureW<br />
1 — C<strong>en</strong>su e Je pr<strong>en</strong>ds le mot au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> “critique à l’effet<br />
<strong>de</strong> corriger” (Littré) et non <strong>de</strong> interdiction <strong>de</strong> publier.<br />
Mais <strong>de</strong>tte acception intellectuelle éveille aussi <strong>de</strong>s<br />
échos LecclésiatiqueS.<br />
— 259 —<br />
camouflée sous le nom <strong>de</strong> lecture, une revue éclate ou sombre<br />
dans l’insignifiance parce que chacun se met à écrire pour<br />
soi, ou pour ses admirateurs, au lieu d’écrire avec les au<br />
tres et pour les autres. I]. est incontestable que cette <strong>en</strong><br />
treprise collective heurte <strong>de</strong> front, non seulem<strong>en</strong>t les dé<br />
fauts habituels aux auteurs (leur individualisme, leur vani<br />
té) mais quelque chose d’inhér<strong>en</strong>t à la création, et <strong>de</strong> pro<br />
fondém<strong>en</strong>t respectable. C’est pourquoi la direction d’une re<br />
vue est une lutte incessante, que je dirai hégéli<strong>en</strong>ne, pour<br />
tirer <strong>de</strong> cet individualisme <strong>de</strong>s écrivants une participation<br />
à l’oeuvre commune — mais aussi un effort pour éviter que<br />
cette collectivisation <strong>de</strong> l’oeuvre intellectuelle n’aboutis<br />
se au conformisme et à la paralysie mutuelle. Toute revue<br />
culturelle hésite <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s textes d’auteurs, quieont’brIl<br />
lants, mais peu cohér<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre eux, et<strong>de</strong>stoxE<br />
borateurs, qui<br />
1 au risque <strong>de</strong> parattret<br />
Esprit a connu cette oscillation. Son:’8eii___<br />
bert Béguin, p<strong>en</strong>chait du c8té do 1’ -<br />
y voyant la fonction propre d’une revue et, <strong>de</strong> surr.<br />
manifestation même <strong>de</strong> ce “personnalisme” dont elle se’rà1 — --.<br />
mait; ce qui ne laissa pas d’<strong>en</strong>tratner quelques conflits a—<br />
vec le Comité directeur. Pour ma part, je me s<strong>en</strong>tais plus<br />
proche du travail <strong>de</strong> groupe tel qu’il fonctionnait à l’époque<br />
d’Emmanuel Mounier, et le rôle <strong>de</strong> directeur m’imposait <strong>de</strong> ré<br />
crire, au moins autant que d’écrire. Beaucoup <strong>de</strong> textes d’<br />
Esprit, et surtout ses numéros spéciaux , exprimai<strong>en</strong>t ainsi<br />
une réflexion collective à laquelle participai<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t<br />
-
— 260 — — 261 —<br />
bi<strong>en</strong>’<strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s qui n’avai<strong>en</strong>t pas le temps ou la pratique<br />
<strong>de</strong> lécriture. Cela revêtait pour moi une valeur idéologique<br />
il ne paraissait —<br />
et<br />
il me paraft toujours — injuste et<br />
appaurrissant que l’expression écrite, <strong>en</strong> France particuliè—<br />
remon, reste le privilège d’une minorité <strong>en</strong>trafnée à l’exer<br />
cice umaniste <strong>de</strong> la rédaction. Ainsi, p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s années,<br />
Esprj est—il parv<strong>en</strong>u à exprimer, non seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “idées”,<br />
niais es expéri<strong>en</strong>ces v<strong>en</strong>ues <strong>de</strong> régions géographiquem<strong>en</strong>t ou<br />
intel1ectueilem<strong>en</strong>t éloignées <strong>de</strong> Saint—Germain_<strong>de</strong>s_prés. Seule<br />
la revfie, me semble—t—il, est <strong>en</strong> mesure <strong>de</strong> réaliser cette mé—<br />
diatio <strong>en</strong>tre l’intellig<strong>en</strong>tsia et les divers secteurs soojo—<br />
profesionnels, <strong>en</strong>tre la bourgeoisie écrivante et les travail—<br />
leurs,<strong>en</strong>fin <strong>en</strong>tre une rédaction nationale et ses correspon<br />
dants 4u ses homologues à l’étranger.<br />
L risque <strong>de</strong> cl6ture qui m<strong>en</strong>ace les rédactions <strong>de</strong> revue<br />
se mesure à l’importance grandiose qu’y pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les moindres<br />
détails[. Le numéro qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> “sortir” suscite chez ses res—<br />
ponsabls <strong>de</strong>s réactions semblables à celle <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>fant flou—<br />
veau—né pour sa famille c’est le plus beau <strong>de</strong> tous, et l’on<br />
détaill une à une ses merveilles. L’histoire <strong>de</strong> la NRF racon<br />
tée par Anglès regorge d’anecdotes <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re. On se fascine<br />
sur la rés<strong>en</strong>tation du sommaire, l’ordre <strong>de</strong>s textes et leur<br />
typograhie ; on se brouille pour une faute d’impression, pour<br />
u± retard <strong>de</strong> publication, pour un voisinage incommodant<br />
J’ai eu affronter bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re : <strong>de</strong>s sa<br />
vants émin<strong>en</strong>ts me reprochai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne pas avoir publié leur<br />
texte <strong>en</strong>tête du sommaire ; <strong>de</strong>s militants <strong>de</strong> gauche se plai—<br />
gnai<strong>en</strong>t d’être imprimés <strong>en</strong> trop petits corps ; <strong>de</strong>s poètes se<br />
fâchai<strong>en</strong>t pour une virgule déplacée ... La vie d’une revue<br />
est extraordinairem<strong>en</strong>t agitée, et l’on n’y compte pas les<br />
querelles, les ruptures, les réconciliations, pour <strong>de</strong>s motifs<br />
<strong>de</strong> toute sorte, parfois ess<strong>en</strong>tiels, parfois dérisoires. Cela<br />
est harrasnaxit, mais aussi réconfortant : <strong>en</strong> effet cette agi<br />
tation passionnelle est la preuve que le collaborateur atta<br />
che une extrême importance à une oeuvre ‘n laquelle le direc<br />
teur sacrifie lui—même toutes ses forces (et souv<strong>en</strong>t son loi<br />
sir, car ce métier tolère difficilem<strong>en</strong>t la distinction du<br />
travail et du loisir, du public et du privé). Cep<strong>en</strong>dant, le<br />
danger est rie pr<strong>en</strong>dre ce microcosme pour l’univers il est<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du qu’on a toujours raison, qu’on a tout dit, tout an<br />
noncé — et le critique, s’il ose, se trouve bi<strong>en</strong>têt rejeté<br />
aux ténèbres extérieures, soit qu’on le psychanalyse, soit<br />
que (et c’est fréqu<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s revues et même <strong>de</strong>s hebdoma<br />
daires qui affich<strong>en</strong>t leur athéisme) on l’écrase d’un man<strong>de</strong><br />
m<strong>en</strong>t qui ruisselle <strong>de</strong> bonne consci<strong>en</strong>ce apostolique. La revue,<br />
qui pourrait et <strong>de</strong>vrait être un instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> débat, l’est<br />
rarem<strong>en</strong>t à cause <strong>de</strong> cet esprit <strong>de</strong> corps qu’elle sécrète, et<br />
qui est le produit, non seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail,<br />
mais aussi <strong>de</strong> son infériorité sur le marché. le directeur <strong>de</strong><br />
revue a non seulem<strong>en</strong>t les réflexes habituels à l’auteur<br />
“On ne m’a pas lu, on ne m’a pa.s compris ...“ ; il a aussi le<br />
complexe d’infériorité <strong>de</strong> celui qui voit sa production occul<br />
tée par <strong>de</strong>s marchandises médiocres mais tapageuses qui “ti<br />
r<strong>en</strong>t” dix ou vingt fois plus que lui. Il <strong>en</strong> faut peu pour qu’
—262—<br />
il <strong>de</strong>vieflflr un “persécuté”, ou u_n “pontife”<br />
dialogue.<br />
— impropre au<br />
I,a reîue développe donc autour d’elle <strong>de</strong>s cercles mi—<br />
tiatiqueS. En ceci, elle témoigne d’une survivance, d’ailleurs<br />
sympathiqu et fécon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la cléricatUre religieuse, avec<br />
une t<strong>en</strong>danbe à la secte, puisque cette cléricature, comme<br />
nous l’avo s vu, s’affirme contre les religions établies et<br />
se pose d’ bord <strong>en</strong> hérésie,— une hérésie qui prét<strong>en</strong>d à l’or<br />
thodoxie. e groupe qui la dirige est auto—organisé, auto—<br />
c<strong>en</strong>tré. Il est porté — et par son dévouem<strong>en</strong>t, et par les ré<br />
sistances t les difficUltéS —<br />
à<br />
s’opposer à l’extérieur, et<br />
à acc<strong>en</strong>tuei’ les traits qui le démarqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s autres groupes.<br />
J’ai m<strong>en</strong>tinné le mot d”éqUipe”, avec sa connotation spor<br />
tive. Le g’oupe se pare souv<strong>en</strong>t d’un langage quasi militaire.<br />
Mounier dé’inissait ainsi le groupe dirigeant d’Esprit “Une<br />
équipe d’hmmeS ‘n la peau dure, unis par une sorte <strong>de</strong> sévéri<br />
té militai]’e SOUS le regard unique <strong>de</strong> l’amitié.” La connota<br />
tion viril est évi<strong>de</strong>nte. Les femmes sont difficilem<strong>en</strong>t admi<br />
ses dans ls revues intellectuelles, parce qu’elles représ<strong>en</strong><br />
t<strong>en</strong>t un da4ger <strong>de</strong> division pour ce groupe si bi<strong>en</strong> soudé. n—<br />
glès a relevé ce trait, que r<strong>en</strong>forçait une certaine homose<br />
xualité dm45 le groupe fondateur <strong>de</strong> la T1RF.<br />
Une ds conséqu<strong>en</strong>ces dangereuses <strong>de</strong> la fermeture <strong>de</strong> 1’<br />
équipe sur elle—mme, c’est la t<strong>en</strong>dance à adopter <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong><br />
passe, un angage codé, qui finit par décourager les lecteurs.<br />
Certes, co ie flouS l’avons vu, le public soli<strong>de</strong> d’une revue<br />
n’est pas ‘abord un public <strong>de</strong> “lecteurs” mais d’amis et é’<br />
— 263 —<br />
abonnés, qui, s’ils lis<strong>en</strong>t assez peu les longs articles, se<br />
régal<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s notules et vibr<strong>en</strong>t à l’unisson <strong>de</strong> ces “notes <strong>de</strong><br />
gérance” (comme disait Péguy, qui s’adress<strong>en</strong>t “à nos amis,<br />
à nos abonnés” — Abonné, mot étrange, qui provi<strong>en</strong>t étymologi<br />
quem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> borne “abonner (1306) borner, soumettre à une<br />
re<strong>de</strong>vance limitée” (Dictionnaire Bloch et Wartbur ). Le mot<br />
a évolué <strong>de</strong>puis le quatorzième siècle ; mais il reste que s’<br />
abonner témoigne, à notre époque, d’une fidélité déterminée,<br />
qui brave les aléas <strong>de</strong> la poste et les impératifs <strong>de</strong> la con<br />
sommation instantanée. S’abonner, c’est effectivem<strong>en</strong>t s’atta<br />
cher, et parfois se limiter. Combi<strong>en</strong> d’abonnés qui m’ont é—<br />
crit g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> s’ désabonnant, qu’ils voulai<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre<br />
un peu d’air ailleurs. Mais la rédaction ress<strong>en</strong>t toujours<br />
comme une rupture affective, sinon comme une off<strong>en</strong>se, ou com<br />
me un <strong>de</strong>uil, tout désabonnem<strong>en</strong>t. Signe d’un rapport affectif<br />
int<strong>en</strong>se, que la production <strong>de</strong> masse a presque prirtout détruit,<br />
j même dans le domaine culturel, Esprit s’est souv<strong>en</strong>t servi <strong>de</strong><br />
ce li<strong>en</strong> pour faire participer ses lecteurs à <strong>de</strong>s “<strong>en</strong>qutes”<br />
qui étai<strong>en</strong>t montées et publiées par la revue, inversant ainsi<br />
la circulation qui va ordinairem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la rédaction au public.<br />
L’abonné reste, à mes yeux, le témoin d’une époque où la cul—<br />
turc réellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gageait: souti<strong>en</strong>, mais eussi acteur d’<br />
une communication qui parfois atteignait la communion.<br />
Assurém<strong>en</strong>t, la revue du type que j’ai privilégié, prés<strong>en</strong><br />
te bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> la cléricature. Je m’<strong>en</strong> r<strong>en</strong>ds compte<br />
1 — cf. le textes réunis dans Péiy et les Crihiers (Gallimard).
— 264 —<br />
plus clair m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis que j’ai quitté la direction <strong>de</strong> l’une<br />
d’<strong>en</strong>tre el]res. Je compr<strong>en</strong>ds mieux certains reproches qui s’<br />
étai<strong>en</strong>t sd essés et il m’arrive <strong>de</strong> les repr<strong>en</strong>dre i mon comp<br />
te : une p oduction trop lour<strong>de</strong>, trop “compacte”. Ne possé<br />
dant plus les clés du décodage, il m’arrive <strong>de</strong> ne plus savoir<br />
au juste cc que je “dois” lire, et comm<strong>en</strong>t le lire ; <strong>de</strong> ne<br />
pas compr<strong>en</strong>dre la raison d’être <strong>de</strong> tel article, <strong>de</strong> tel <strong>en</strong>sem<br />
ble qui me paraiss<strong>en</strong>t erirmuyeux ou hors <strong>de</strong> propos. Mais le di—<br />
recteur <strong>de</strong> revue reosemiible au prédicateur qui ne se soucie<br />
pas <strong>de</strong> ceu: qui s’<strong>en</strong>dorm<strong>en</strong>t au pr6ne. Se. surdité est aussi<br />
une gr.ce d’état. Pour repr<strong>en</strong>dre le vocabulaire dont use si<br />
volontiers Ph. emo, je dirais que la revue réalise une asso<br />
ciation originale <strong>de</strong> prophétie et <strong>de</strong> cléricature qui, selon<br />
les cas, d me la priorité à la presire ou à ].a secon<strong>de</strong>.<br />
I