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ECOLE POLYTECHNIQUE CREA - Centre de Recherche en ...

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<strong>ECOLE</strong> <strong>POLYTECHNIQUE</strong><br />

— C R E A —<br />

CENTRE DE RECHERCHE EPISTIOLOGIE AUTONOMIE<br />

Programme “RprotIuctions et ruptures culturelles”<br />

L’ EMERGENCE DES NORMES<br />

Cahier publié avec le concours du<br />

Programme doctoral<br />

<strong>de</strong> I’Ecole <strong>de</strong>s Hautes Etu<strong>de</strong>s Commerciales<br />

et <strong>de</strong> l’institut Supérieur <strong>de</strong>s Affaires<br />

CAIlIIItS 1)0 CHEA N°3<br />

1, rue 1)escartos Mai 1984<br />

75005 I’ARIS


LA TIIFX)RIE CRITIQUE DE LA<br />

TRADITION<br />

DE F. —A. ITAYEK<br />

par I’hillppe NI*tU


CAIJ1 811S DU CllIA<br />

TADLE 13ES MAPIERES<br />

L’EMERGENCE DES N0iMES<br />

Cahier n°1 Modèles formels do La philosophie<br />

sociale et politique — Mechorches<br />

pour un siminaire. Octobre 1982. 1. La théorie critique <strong>de</strong> la tradition<br />

<strong>de</strong> F. —A. Ilayek, par Philippe Nemo p 5<br />

Cahier n°2; Jleproductions et ruptures culturel— 2. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne Juridique,<br />

les. 1tu<strong>de</strong>s girardi<strong>en</strong>nas. Systèmes par Christian Atian p 103<br />

à auto—organisation. Mai 1983.<br />

3. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne médicale. Le<br />

cas <strong>de</strong> 1.”insémjnatjon artificielle<br />

avec donneur”, par G<strong>en</strong>eviève Delaini<br />

<strong>de</strong> Paroeval et Jean—François Malberbe p 129<br />

ACTEURS gi’ INSTITUTIONS CULTURELS<br />

1. Les Intellectuels et la “prophétie”,<br />

par Philippe Nomo p 143<br />

2. La revue. <strong>en</strong>tre te prophétique et le<br />

clérical, par Jean—Marie Doin<strong>en</strong>ach p 243<br />

pa.


Introduction<br />

1 — Descartes et la critique <strong>de</strong> la<br />

tradition w<br />

§ 2 — L’erreur sci<strong>en</strong>tifique do Descartes 17<br />

§ 3 — Le concept <strong>de</strong> règle 24<br />

§ £4 — Ler5lo <strong>de</strong>s rôglos abstraites 33<br />

7<br />

LA THFURIE CRITIQUE DE LA TRADITION’<br />

DE F.—A. RAY<br />

§ 5 — L’origine <strong>de</strong>s ràgles abstraites p Philippe N4O<br />

§ 6 — La culture, savoir incorporé<br />

dans les traditions 56<br />

séance du 27 octobre 1983<br />

§ 7 — Dogmatisme et critique <strong>de</strong>s rùgles 6!, Rhyelc, oonnu comme économiste et philosophe politique, est<br />

§ R — L’émerg<strong>en</strong>ce do la nonne Jtirkllque. peut—tre avant tout un épistémologue. Ses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> psychologie et<br />

Epistéinologie <strong>de</strong> la Jurispru<strong>de</strong>nce 72 d’économie l’ont conduit très tt à une réflexion sur la méthodologie<br />

§ 9 — Un “conservatisme dynamique” 83 <strong>de</strong>s soi<strong>en</strong>oes et singulièrem<strong>en</strong>t sur la spécificité <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> la con—<br />

Conclusion<br />

naissanoe <strong>en</strong> univers indéterministe. Là où un très grand nombre d’élé—<br />

m<strong>en</strong>ts et <strong>de</strong> paramètres interui<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans la formation d’un phénomène,<br />

le déterminisme mécaniniste eut inaccessible. Cep<strong>en</strong>dant la connaissance<br />

est possible, si on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par “connaissance” un rapport déterminé à<br />

un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t.<br />

Hayek, <strong>en</strong> étudiant les “ordres spontanés” économiques, puis<br />

généralem<strong>en</strong>t sociaux, a analysé ce g<strong>en</strong>re spécifique <strong>de</strong> connaissance,<br />

étrange au regard <strong>de</strong>s paradigmes dominants <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong>s sot<strong>en</strong>—<br />

ces, mais familier à chacun, à certains égards — et déjà pris <strong>en</strong> compte<br />

dans la philosophie anci<strong>en</strong>ne — parce que ce type do connaissance n’est<br />

pas lexoeptjofl, maie bi<strong>en</strong> la règle dans la praxis humaine.<br />

Cette connaissance est la “culture” — le mot étant pris ici<br />

<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s très précis. La théorie <strong>de</strong> la tradition morale et juridique<br />

élaborée par llayek pour éviter le apories du positivisme juridique est<br />

ext<strong>en</strong>sible à l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> ce qu’on appelle “culture”. La culture pour—


— H—<br />

rait n’ ra pas autre chose que l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s savoirs incorporés dans<br />

les traditions, savoirs auxquels na peut htre substituée aucune théorie<br />

déterministe, nomothétique, a fortiori formelle et quantifiée. Ce qui<br />

vali<strong>de</strong> o4s savoirs est leur caractère traditionnel même et ce caractère<br />

seul — et non une situation expérim<strong>en</strong>tale provoquée. Dans une toile<br />

oonceptin, la culture est néanmoins, ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, un savoir, mtme<br />

mi ce saoir n’est pas, le plus eouv<strong>en</strong>t, théorique et consiste <strong>en</strong> schè<br />

mes incotsci<strong>en</strong>ts ou <strong>en</strong> normes expliaites guidant la p<strong>en</strong>sée et l’action<br />

et permetftant d’adapter les comportem<strong>en</strong>ts dans la conting<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la vie<br />

pratique (<strong>de</strong>s pratiques professionnelles et spéoialiséos ou <strong>de</strong> la “vie<br />

tout cour).<br />

5<br />

La culture, qui est mémoire, serait donc ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, et<br />

contrair<strong>en</strong><strong>en</strong>t à l’opinion ordinaire, tournée vers l’av<strong>en</strong>ir. Elle serait<br />

le savoir ouvert qui permet d’?,tre préparé ou adapté au nouveau <strong>en</strong>tant<br />

que tel, ans une certaine mesure du moins; cette adaptation n’étant<br />

pas carta.ne, mais optimale.<br />

La théorie <strong>de</strong> la formation du droit proposée par 1Taek parait,<br />

<strong>de</strong> mèse, jouvoir éclairer le problème <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> la culture ain<br />

si conçue. Dans la inssure où le savoir culturel est validé par- le oarao—<br />

tèi’e coilotif et traditionnel <strong>de</strong>s expéri<strong>en</strong>ces qu’il incorpore, il ne<br />

peut, par définition, ètre réformé délibérécn<strong>en</strong>t par <strong>de</strong>s théorici<strong>en</strong>s im-.<br />

posant à oua, et du coup, un nouveau systèmo <strong>de</strong> valeurs. Le change<br />

m<strong>en</strong>ts culturelm doiv<strong>en</strong>t se faire sur un mo<strong>de</strong> spécifique, non intégrale<br />

m<strong>en</strong>t théorique et logique.<br />

r.a théorie <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, comme formulation créatrice<br />

d’un droit implicite spontaném<strong>en</strong>t formé, peut servir <strong>de</strong> repère, sinon.<br />

<strong>de</strong> modèle,pour une articulation plus générale du problème <strong>de</strong> l’évolu<br />

tion cultuielle. Cette théorie permet <strong>de</strong> dépasser, dans le cas du droit,<br />

i’oppoaiti4n dogmatisme/révolution. Elle fournit <strong>de</strong> concepts à umo thé<br />

orie critique <strong>de</strong> traditions culturelles.<br />

on propos dans le prés<strong>en</strong>t texte ont <strong>de</strong> dégager cette thorio<br />

<strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l’évolution culturelle <strong>de</strong> l’oeuvre maitresse <strong>de</strong> Ha—<br />

yek, Droit Législation et Liberté. En un s<strong>en</strong>s, je ne ferai que pré—<br />

—9—<br />

s<strong>en</strong>tez’ les élém<strong>en</strong>ts du texte où figure oette théorie, <strong>en</strong> ajoutant para<br />

phrases explicatives et<br />

oosm<strong>en</strong>rtairos(2). Maie alors que Hayek gar<strong>de</strong> cons—<br />

tamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vue le problème <strong>de</strong> la péoifioité <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> la Société<br />

ouverte ou société <strong>de</strong> droit, je m’attar<strong>de</strong>rai sur la théorie <strong>de</strong> la culture<br />

<strong>en</strong> eile—mme, qui intéresse principalem<strong>en</strong>t les recherches <strong>de</strong> notre Sémi—<br />

naire.


§1<br />

Descartes et la critique do la tradition.<br />

Le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> llayek est la critique du ‘construc—<br />

tivism rationaliste”, don-t l’origine ou du moins la mise <strong>en</strong> forme<br />

philoecphique la plus nette est le cartésianisme. Comme Descartes<br />

a critqué les savoirs traditionnels, la critique <strong>de</strong> Descartes<br />

conduiza à une sorte <strong>de</strong> réhabilitation — cous conditions — <strong>de</strong> la<br />

tradition telle qu’elle était valorisée, avant Descartes, par la<br />

echolasftiue et 1 ‘ariatotélico—thomisme.<br />

L’erreur <strong>de</strong> Descartes est due à ce quj1 a cru qu’il n’y<br />

avait q1’une seule figure <strong>de</strong> la vérité, ce qui est clair et dis—<br />

tinot 011 produit par la raison déductive à partir <strong>de</strong> prémisses<br />

olaires et distinctes. Il n donc invalidé 2es savoirs dont les<br />

fon<strong>de</strong>metts ne sont pas, par principe, explicitahies, e’est—à—djre<br />

les savîirs traditionnels, et parmi eux la morale et le droit.<br />

“Le doute radical qui faisait refuser (à Descartes) d’ac<br />

cepter cuoi que ce soit pour vrai qui ne puisse être logiquem<strong>en</strong>t<br />

déduit 4.<br />

partir <strong>de</strong> prémisses explicites qui soi<strong>en</strong>t clairos et dis.—<br />

tinctea et par conséqu<strong>en</strong>t hors <strong>de</strong> doute possible, privait <strong>de</strong> -irali—<br />

dité ta4tes celles d’<strong>en</strong>tre les règles <strong>de</strong> conduite qui ne pouvai<strong>en</strong>t<br />

être jumtifié<strong>en</strong> <strong>de</strong> cette manière” (Droit, Législation et Liberté,<br />

trad. fi<br />

1., tome I, P.U.F., 1980, p.II).<br />

Par conséqu<strong>en</strong>t, le fait d’accepter la tradition est ir—<br />

rationnl. C’est ce que dit Descartes au début du Discours <strong>de</strong> la<br />

Métho<strong>de</strong> uand il fait le bilan <strong>de</strong> l’éducation qu’il a reçue dans<br />

les mei2leures écoles d’Europe. De ces savoirs transmis, pas un<br />

n’est totalem<strong>en</strong>t certain, parce que pas un ‘ne se prés<strong>en</strong>te si<br />

clairem<strong>en</strong>t et distinctem<strong>en</strong>t à (i’) esprit qu’ (On n’e1t) aucune<br />

—<br />

—<br />

— 11 —<br />

occasion <strong>de</strong> le mettre <strong>en</strong> doute”. Les “langues”, les “fables”, les<br />

“histoires”, les “livres”, l”éloqu<strong>en</strong>ce”, la “poésie”, les “mathé<br />

matiques”, les “écrits qui trai-t<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s moeurs”, la “théologie”,<br />

la “philosophie”, la “jurispru<strong>de</strong>nce”, la “mé<strong>de</strong>cine” et les “autres<br />

sci<strong>en</strong>ces”, sont do savoirs fragm<strong>en</strong>taires, mal ajustés, qui ne se<br />

suiv<strong>en</strong>t pas “par ordre” et sont parfois directem<strong>en</strong>t contradiotoi—<br />

res. Il convi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> les rejeter. comme simples opinions.<br />

“J’appr<strong>en</strong>ais à ne ri<strong>en</strong> croire trop fermem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce qui ne<br />

m’avait été persuadé que par l’exemple et par la coutume, et ainsi<br />

je me délivrais peu à peu <strong>de</strong> beaucoup d’erreurs, qui peuv<strong>en</strong>t offus<br />

quer notre lumière naturelle, et noue r<strong>en</strong>dre moine capables d’<strong>en</strong><br />

t<strong>en</strong>dre raison” “Il est presque impossible que nos jugem<strong>en</strong>ts<br />

soi<strong>en</strong>t si pure, ni mi soli<strong>de</strong>s qu’ils aurai<strong>en</strong>t été, ai noua avions<br />

eu l’usage <strong>en</strong>tier <strong>de</strong> notre raison dès le point <strong>de</strong> notre naissance,<br />

et que noua n’eussions jamais été conduits que par elle”<br />

Descartes, on le sait, généralise et radicalise ce doute<br />

(il l’ét<strong>en</strong>d même aux mathématiques, malgré leur plus grands olire—<br />

té); et c’est dans la “nuit” ainsi oréée qu’il trouvera la lumière<br />

inextinguible du Cogito, à partir <strong>de</strong> laquelle tout l’édifice <strong>de</strong> la<br />

sci<strong>en</strong>ce pourra être rep<strong>en</strong>sé à neuf. L’arbre <strong>de</strong> la philosophie (qui<br />

pour l’ess<strong>en</strong>tiel reste à bêtir, au prix <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> temps) sera<br />

soli<strong>de</strong>, dans la seule mesure où il aura été fondé sur le Cogito,<br />

sur la connaissance <strong>de</strong> Dieu, sur les mathématiques. Toute connais<br />

sance <strong>de</strong>vra sortir <strong>de</strong> celles—là, par les règles <strong>de</strong> la Métho<strong>de</strong>, pour<br />

être vraie. Elle <strong>de</strong>vra avoir été p<strong>en</strong>sée pour la première fois ou<br />

reponnée intégralem<strong>en</strong>t sur ces bases; elle ne peut v<strong>en</strong>ir, telle<br />

quelle, do la tradition.<br />

Ce qui signifie, pour les cartési<strong>en</strong>s, que <strong>de</strong>s institutions<br />

et autres oidres sociaux non élaborés <strong>de</strong> cette façon sont mauvais;<br />

ou que, s’ils sont bons, ils ne le mont que par hasard. Tant qu’<br />

on n’aura pas justifié, par la rationalité logico—mathémati<br />

0ue,<br />

unu institution donnée, on ne pourra sy fier. Elle pas <strong>de</strong>


— 12 —<br />

légiti,ité propre. lIn corollaire, toute institution nouvelle logi<br />

quem<strong>en</strong>t fondée sur <strong>de</strong>s prémisses évi<strong>de</strong>ntes par soi doit se révéler<br />

bénéficue, pourvu quon. l’établisse effectivem<strong>en</strong>t et quofl ait au<br />

préalalle supprimé les intitutiono anci<strong>en</strong>nes qui pourrai<strong>en</strong>t inter<br />

férer arec elle. Le cartésianisme est révolutionnaire, même si Dan—<br />

oartes lui—même, comme on sait, s’est défié <strong>de</strong> l’application inté<br />

grale cu précipitée do ses propres principes.<br />

Evoquons ici les textes du Discours sur les maisons et<br />

les villes, sur les coutumes et les lois. “Je m’avisai <strong>de</strong> consi<br />

dérer qie souv<strong>en</strong>t il n’y a pas tant <strong>de</strong> perfection dans les ouvra<br />

ges composés <strong>de</strong> plusieurs pièces, et faits <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> divers<br />

maîtres, quefl ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit—on que<br />

les bât.m<strong>en</strong>rts qu’un seul architecte a <strong>en</strong>trepris et achevés ont cou<br />

tume d’tre plus beaux et mieux ordoanés quo ceux que plusieurs ont<br />

tâché <strong>de</strong> raocomo<strong>de</strong>r, <strong>en</strong> faisant servir <strong>de</strong> vieilles murailles qui<br />

avai<strong>en</strong>t été bâties à d’autres fins. Ainsi ces anci<strong>en</strong>nes cités, qui,<br />

n’ayant été au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>s bourga<strong>de</strong>s, aont. <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ues, par<br />

suoceasion <strong>de</strong> temps, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s villes, sont ordinairem<strong>en</strong>t si mal<br />

compassées, au prix <strong>de</strong> ces places régulières qu’un ingénieur trace<br />

à sa fantaisie dans une plaine, qu<strong>en</strong>oore que, considérant leurs<br />

édificea chacun à part, on y trouve souv<strong>en</strong>t autant et plus d’art<br />

quea ooix <strong>de</strong>s autres; toutefois, à voir comme ils sont arrangés,<br />

ici un grand, là un. petit, et comme ils r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt les rues courbées<br />

et inégales, on. dirait quo c’est plutêt la fortune, que la volonté<br />

<strong>de</strong> quelqpes hommes usant <strong>de</strong> raison, qui les a ainsi disposés. lIt<br />

si l’on onsidèrs qu’il y a eu néanmoins <strong>de</strong> tout temps quelques<br />

offioier, qui ont eu charge <strong>de</strong> pr<strong>en</strong>dre gar<strong>de</strong> aux bâtim<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s<br />

particuliers pour les faire servir à l’ornem<strong>en</strong>t du public, ôn con—<br />

naîtra b<strong>en</strong> qu’il est malaisé, <strong>en</strong> ne travaillant que sur les ouvra<br />

ges d’au1rui, <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses fort accomplies”<br />

De même, les lois d’un pays sont ordinairem<strong>en</strong>t confuses,<br />

inadéquaes, contradictoires, parce qu’elles ont été établies à <strong>de</strong>s<br />

— ri —<br />

époques différ<strong>en</strong>tes par <strong>de</strong>s législateurs différ<strong>en</strong>ts, ayant eu,<br />

chacun, <strong>de</strong>s int<strong>en</strong>tions propres. Comme les anci<strong>en</strong>nes lois n’ont pas<br />

dté abrogées à mesure que les nouvelles étai<strong>en</strong>t établies, le résul<br />

tat est un fouillis <strong>de</strong> règles disparates qui ne peut que se révéler<br />

inefficace. Seules <strong>de</strong>s villes comme Sparte, dii Descartes, ont été<br />

“florissantes “ et “bi<strong>en</strong> polioéee”, dans la mesure où leurs lois<br />

leur ont été données par <strong>de</strong>s hommes comme l4rcurgue, agissant meula<br />

et selon une int<strong>en</strong>tion cohér<strong>en</strong>te.<br />

Tout le tome I <strong>de</strong> “Droit, Légidlation et Liberté” est <strong>en</strong><br />

un s<strong>en</strong>s une longue et pati<strong>en</strong>te réfutation <strong>de</strong> ces textes remarqua<br />

bles <strong>de</strong> Descartes.<br />

Dans l’idéal, poursuit <strong>en</strong>, substance Descartes, il faudrait<br />

pouvoir reconstruire la morale, les coutumes, les lois, à partir’<br />

d’une table rame, et pour cela détruire celles qui exist<strong>en</strong>t. Certes,<br />

Descartes lui—même n’a pas été révolutionnaire. “Il est vrai que<br />

nous ne voyons point qu’on jette par terre toutes les maisons d’une<br />

ville, pour le seul <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> les refaire d’autre façon, et d1<strong>en</strong><br />

r<strong>en</strong>dre les rues plus belle&’ Il a s<strong>en</strong>ti que la sci<strong>en</strong>ce n’était<br />

pas assez avancée pour fournir <strong>de</strong> facto une intelligibilité logico—<br />

mathématique suffisante <strong>de</strong>s phénomènes sociaux, justifiant une re<br />

construction complète <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s lois. Il a même s<strong>en</strong>ti<br />

le danger extrême <strong>de</strong> telles reconstructions arbitraires: “Je ne<br />

saurais aucunem<strong>en</strong>t approuver’ ces humeurs brouillonnnes et inquiètes<br />

qui, n’étant appelées, ni par leur naissanoe, ni par leur fortune,<br />

au maniem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s affaires publiques, ne laiss<strong>en</strong>t pam d’y faire tou—<br />

,(8)<br />

jours, <strong>en</strong> idée, quelque nouvelle réformation • D ailleurs il<br />

admet que l”umage” a èq “adoucir” les imperfections <strong>de</strong>s lois; “et<br />

même il <strong>en</strong> a évité ou corrigé ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t quantité, auxquelles<br />

on ne pourrait mi bi<strong>en</strong> pourvoir par pru<strong>de</strong>nce” (dans cette <strong>de</strong>r<br />

nière phrase, Deecartes va un peu plus loin dans le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> llayek<br />

que celui—ci ne veut bi<strong>en</strong> le reconnaître...). C’est pourquoi il a


— I ‘I —<br />

prêné a •‘morale provisoire”, c’est—à—dire le respect <strong>de</strong>s coutumes<br />

et traiitions, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant que l’arbre <strong>de</strong> la philosophie ait potis—<br />

sé, pour ainsi s’exprimer, ses branches morales.<br />

Il n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>meure pas moins que, <strong>en</strong> droit, l’intelligibilité<br />

logico<br />

4nathématjque doit être recherchée dans ce domaine comme dans<br />

les autea; la morale et les traditions, si elles gar<strong>de</strong>nt, pour<br />

Descart s, leur validité, per<strong>de</strong>nt leur rationalité: “Je me persua<br />

dai qu’ 1 n’y aurait véritablem<strong>en</strong>t point d’appar<strong>en</strong>ce (i.e. il ne<br />

serait pas raisonnable) qu’un particulier fit <strong>de</strong>s:,ein <strong>de</strong> réformer<br />

un Etat <strong>en</strong> y changeant tout dès les fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts, et <strong>en</strong> le r<strong>en</strong>ver<br />

sant poir le redresser; mais que, pour toutes les opinions que j’a<br />

vais reues jusques alors <strong>en</strong> ma créanoe, je ne pouvais mieux faire<br />

que d’er.trepr<strong>en</strong>dre, une bonne fois, <strong>de</strong> les <strong>en</strong> êter, afin d’y re<br />

mettre ar après, ou meilleures, ou bi<strong>en</strong> les mêmes, lorsque<br />

je les uraia ajustées au niveau <strong>de</strong> la raison”.<br />

Les oartéoi<strong>en</strong>u, nomine llobbe ou Spinoza, flofl pas eu la<br />

pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Descarteo. Ils ont, on matière socio—politique et <strong>en</strong><br />

morale, critiqué non aeulomont la rationalité do la tradition, maie<br />

son con4nu même. Les théories du Contrat aocial sont significatives<br />

<strong>de</strong> cet ctimiame <strong>de</strong> la raison que Hayek appelle •‘constructivisme<br />

rational ste”.. Tout ce qui est rationnel au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l’jntujtjon<br />

intellec uelle claire et distincte est bénéfique, et tout ce qui<br />

est béné ique doit pouvoir être justifié colon le mêmo type do ra<br />

tionalité: voilà l’équation du “constructivisme’: “Je crus quo par<br />

ce moy<strong>en</strong> je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je<br />

bâtissaj sur <strong>de</strong> vieux fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>tsII(hi.<br />

Ce que Hayek résume ainsi:<br />

Pour Descartes, est rationnel ce qui est déduit à partir<br />

<strong>de</strong> prémj mea explicites.<br />

Une action rationnelle est donc une action déterminée <strong>en</strong><br />

tièrem<strong>en</strong>t par une vérité connue et démontrable.<br />

— 15 —<br />

Seulem<strong>en</strong>t ce qui est vrai <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s—là peut conduire à<br />

une action réussie.<br />

Tout ce qui est humainem<strong>en</strong>t et socialem<strong>en</strong>t réussi est un<br />

produit du raisonnem<strong>en</strong>t logique (Hayelc,. cii., p.II).<br />

Par conséqu<strong>en</strong>t, dans les données <strong>de</strong> la tradition, ou bi<strong>en</strong><br />

on saura retrouver la rationalité qui y était implicitem<strong>en</strong>t à l’oeu<br />

vre (ainsi Spinoza décrivant lappareil <strong>de</strong>s passions, ou llobbes ex<br />

pliquant la g<strong>en</strong>èse <strong>de</strong> l’institution monarchique); ou bi<strong>en</strong> on aban<br />

donnera effectivem<strong>en</strong>t la tradition au profit d’une organisation nou<br />

velle.<br />

A partir <strong>de</strong>s cartési<strong>en</strong>s, l’attitu<strong>de</strong> à l’égard <strong>de</strong> la tra<br />

dition se r<strong>en</strong>verse. Pour Aristote, pour Saint Thomas, il était ra<br />

tionnel <strong>de</strong> suivre la tradition. Ce que les Anci<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t fait, il<br />

était rationnel <strong>de</strong> continuer à le faire; c’est pour s’écarter <strong>de</strong><br />

la tradition qu’il fallait avoir une raison spéciale. Le plus sou<br />

v<strong>en</strong>t l’écart par rapport à la -tradition apparaissait dommageable.<br />

Si la “pru<strong>de</strong>noe” est la vertu qui, pour Saint Tho,nas, permet à<br />

l’homme <strong>de</strong> pondérer- per une référ<strong>en</strong>ce à ce qui eat conv<strong>en</strong>able et<br />

habituel, la rationalité appar<strong>en</strong>te qui le pousserait à agir selon<br />

son avantage immédiatem<strong>en</strong>t visible, le vioe opposé est laprécipi—<br />

tation: “La précipitation se dit métaphoriquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aotes <strong>de</strong> l’â<br />

me à la ressemblance du mouvem<strong>en</strong>t corporel. En mouvem<strong>en</strong>t corporel,<br />

le mot e’emploie pour désigner ce qui passe <strong>de</strong> haut <strong>en</strong> bas par son<br />

propre mouvem<strong>en</strong>t ou mous l’effet impulsion reçue, sans obser<br />

ver l’ordre et les <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>te. Or le haut <strong>de</strong> l’êjne est<br />

la raison, le bas l’action exercée par le corps; les <strong>de</strong>grés inter<br />

médiaires, par lesquels il faut <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> bon ordre, sont la<br />

mémoire du passé, l’intallig<strong>en</strong>oe du prés<strong>en</strong>t, la sagacité à l’égard<br />

<strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts futurs, le raisonnem<strong>en</strong>t qui compare une chose avec<br />

l’autre, la docilité qui acquiesce aux avis <strong>de</strong>s Anci<strong>en</strong>s (majorum)”<br />

(12). La précipitation est une innovation intempestive.


Après Descartes, au contraire, la rationalité consiste à<br />

rejeter lia tradition comme “simple opinion”. C’est dès lors pour<br />

se fier à la tradition qu’il faut une raison spéciale. Ce qui u<br />

lieu quanii une théorie est parv<strong>en</strong>ue à faire apparaître un compor<br />

tem<strong>en</strong>t habituei comme rationnellem<strong>en</strong>t justifia.<br />

Dans cette optique, on <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d <strong>de</strong> chercher quand, par<br />

qui et selon quels <strong>de</strong>sseins ont été inv<strong>en</strong>tés la religion, la morale,<br />

le inngaçe et l’écriture, la monnaie et le marché, les institutions<br />

poiitiqu s les usages et coutumes. Hayok souligne ainsi le rêlo<br />

positif au début, <strong>de</strong> ce mouvem<strong>en</strong>t qui suppose <strong>de</strong>s causes délibé-.<br />

rées aux ordres sociaux. Il provoque la recherche <strong>de</strong> ces causes et<br />

détermin ainsi iapparjj <strong>de</strong>s premières sci<strong>en</strong>ces sociales aux<br />

XVIIème et XVIIIème siècles.<br />

— 16 —<br />

II<br />

I<br />

I,<br />

L’erreur soi<strong>en</strong>tifique <strong>de</strong> Descartes<br />

Le cartésianisme, ainsi euccintem<strong>en</strong>t défini, passe, <strong>de</strong><br />

fait, pour typique <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité et <strong>de</strong> l’esprit sci<strong>en</strong>tifique.<br />

Mais Jlnyek affirme maint<strong>en</strong>ant, ce prét<strong>en</strong>du rationalisme est, ni<br />

plus ni moins, une “rechute dans les mo<strong>de</strong>s anthropomorphiques<br />

<strong>de</strong> jadis” (p. 12).<br />

— 17 —<br />

Dire que tout ce qui. “marche” et dure socialem<strong>en</strong>t est le<br />

résultat d’un plan rationnel, <strong>de</strong>ssein humain, cela revi<strong>en</strong>t à<br />

l!anthropomorphieme ou à l’animisme qui voyai<strong>en</strong>t dans la foudre<br />

ou la tempête lexpreesion <strong>de</strong> la colère dieu. Cela revi<strong>en</strong>t à<br />

chercher <strong>de</strong>s responsables humains ou anthropomorphiques pour tou—<br />

tes les régularités constatables dans la nature.<br />

Les faite oblig<strong>en</strong>t à dire que cette assignation est faits-.<br />

se, “Tout essai. <strong>de</strong> cantonner les actions (<strong>de</strong> l’homme) dans ce qui<br />

peut être justifié (par déduction logique à partir <strong>de</strong> prémisses<br />

explicites) le priverait <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong>s plus efficaces moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />

succès dont il a disposé” (p. 12).<br />

Si la société fonctionne, c’eet que noue—mêmes et nos<br />

semblables sommes <strong>en</strong>cadrée par <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s règles qui<br />

résult<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> et dànt souv<strong>en</strong>t noue ne savons même pas<br />

qu’elles exist<strong>en</strong>t. “Il fl’eSt tout simplem<strong>en</strong>t pas vrai que nos no—<br />

ti<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t leur efficacité seulem<strong>en</strong>t, ou prinoipalem<strong>en</strong>t, au sa<br />

voir que noue pouvons exprimer <strong>en</strong> mots, et qui par suite peut cons<br />

tituer les prémisses explicites d’un syllogisme” (p. 12).<br />

§2<br />

Pour qu’il y ait complète rationalité <strong>de</strong> l’action au s<strong>en</strong>s<br />

cartési<strong>en</strong>, il faudrait une complète connaissance <strong>de</strong> tous les faits<br />

qui la concern<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> tous les t<strong>en</strong>ants et aboutisaantm <strong>de</strong> chacun<br />

<strong>de</strong> nos actes. Il faudrait que l’homme agissant soit dans la socié—


té cornue le <strong>de</strong>ssinateur...projete. <strong>de</strong>vant sa table à <strong>de</strong>sj OU coin—<br />

me le démon <strong>de</strong> Laplace <strong>de</strong>vant l’univers, c’est—à_dire dans une po-.<br />

sition<br />

Il pottrrj alors “fabriquer” son action, com<br />

me l’irgénieur, ayant la oonnajssance <strong>de</strong>s lois déterministes du do<br />

maine onsidéré, obti<strong>en</strong>t tel résultat souhaité <strong>en</strong> réunissant les<br />

condit ons initiales adéquates.<br />

Cet usage <strong>de</strong> la technique <strong>de</strong> l’ingénieuu. n’est Concevable<br />

que dan certaine secteurs <strong>de</strong> la réalité, précisém<strong>en</strong>t ceux dont<br />

D1OCOU5 l’Ingénit Mais <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> ppue sociale, et même<br />

<strong>en</strong> physique dans certaines autres conditions, “la sci<strong>en</strong>ce r<strong>en</strong>oontre<br />

la mmabarrjère d’ignorance <strong>de</strong>s faits” (p. 18).<br />

D’abord, autre chose est l’exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> savoirs vrais mir<br />

les divers aspects d’une réalité, autre chose la possession <strong>de</strong> ce<br />

savoir ar un seul esprit omnisoj<strong>en</strong>t visant à agir globalem<strong>en</strong>t sur<br />

tous le aspects <strong>de</strong> la réalité.<br />

La société mo<strong>de</strong>rne se caractérise justem<strong>en</strong>t par le fait<br />

que l’échange et la division du travail permett<strong>en</strong>t à chacun <strong>de</strong><br />

nous <strong>de</strong> rofte <strong>en</strong> pratique <strong>de</strong> savoirs qu’il ne possè<strong>de</strong> pas à ti<br />

tre peraçinnel. Donc un savoir déterministe <strong>de</strong>s t<strong>en</strong>ants et aboutis<br />

sants <strong>de</strong> l’action peut bi<strong>en</strong> exister “<strong>en</strong> droit”, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que cha<br />

cun <strong>de</strong> o s t<strong>en</strong>ants et aboutissants est connu <strong>de</strong> quelqu’un; il<br />

te pas e core pour cela <strong>en</strong> fait, car ces savoirs ne sont jamais ras<br />

semblés ans un même esprit omnisci<strong>en</strong>t (ou un sème “ordinateur c<strong>en</strong><br />

tral”).<br />

— 18 —<br />

‘Nais il y a plus. llayek dit maint<strong>en</strong>ant que l’omnisci<strong>en</strong>ce<br />

n’est pas seulem<strong>en</strong>tnon réalisée <strong>en</strong> fait, mais impossible <strong>en</strong> droit.<br />

Supposons qu’un pouvoir omnisoj<strong>en</strong>t connaisse toutes les int<strong>en</strong>tions<br />

d&tous 1 s acteurs. Un acteur, Sachant que ses int<strong>en</strong>tions sont<br />

connues, hangera ses int<strong>en</strong>tions et r<strong>en</strong>dra faux le modèle construit<br />

dans l”ordjnateur c<strong>en</strong>tral”. Dans cc s<strong>en</strong>s, c’est par principe qu’<br />

on ne pewi connaltre tous les fajt concourrant à l’émerg<strong>en</strong>ce d’un<br />

ordre social. C’est une barrière épistémologique. Hayek parle <strong>de</strong><br />

“complexité”, mais on peut au s<strong>en</strong>s fort d”hyper—comple—<br />

xitél’, ces_à_dire d’une “complexité” qui ne pourra jamais, par<br />

principe, se résoudre <strong>en</strong> “complication” On ordre p<strong>en</strong>sable et<br />

fabricable.<br />

— 19 —<br />

Maie on aurait tort <strong>de</strong> croire que cette situation épis<br />

témologique est spécifique à la pratique humaine et sociale. A<br />

vrai dire elle est la situation <strong>de</strong> toute sci<strong>en</strong>ce, même déterminis<br />

te et mécaniciste, dont, selon Itayek, on s’exagère <strong>en</strong> général les<br />

pouvoirs. Il est vrai que la sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>rne progresse à grands<br />

pas mais cette progression même atteste spectaculairem<strong>en</strong>t, ai<br />

l’on peut dire, sa non—omnisci<strong>en</strong>ce.<br />

Quand bi<strong>en</strong> même <strong>de</strong>s théories sont conaidérées comme vraies<br />

<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’elles ne sont pas réfutées (Ilayelc sa réfère explici-.<br />

tem<strong>en</strong>t à lbpper), il ne s’<strong>en</strong>suit nullem<strong>en</strong>t que ces théories puis<br />

s<strong>en</strong>t permettra <strong>de</strong>s prédictions sur tous les événem<strong>en</strong>ts particuliers<br />

<strong>de</strong>squels va dép<strong>en</strong>dre la réussite <strong>de</strong> l’action, tout simplem<strong>en</strong>t “par—<br />

oe qu’il n’est jsznais possible dvojr toutes les données spéciales<br />

qui1 nous faudrait possé<strong>de</strong>r, salon ces théories, pour parv<strong>en</strong>ir à<br />

<strong>de</strong> telles conclusions” (p. 18). Ilayek donne l’exemple <strong>de</strong> la thdorie<br />

<strong>de</strong> l’évolution, qui permet certes d’expliquer, <strong>en</strong> principe, l’évo<br />

lution mais non <strong>de</strong> la prédire, faute <strong>de</strong> pouvoir rassembler les<br />

données nécessaires sur tous les faits particuliers qui intervi<strong>en</strong>—<br />

n<strong>en</strong>di au dire même <strong>de</strong> la théorie. Il s’agit dans ce cas d’un phéno<br />

mène “très complexe”. D’autres phénomènes, étudiés par les sci<strong>en</strong>ces<br />

<strong>de</strong> la nature, sont plus simples et peuv<strong>en</strong>t être mieux connus. Mais<br />

il semble que toua les phénomènes dont s’occup<strong>en</strong>t les sci<strong>en</strong>ces so<br />

ciales ont ce caractère <strong>de</strong> complexité.<br />

Dans ce cas, la présomption que fournit la<br />

sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>rne relève d’une “illusion synoptique”; l’idée dfle<br />

transpar<strong>en</strong>ce du corps social (et du réel <strong>en</strong> général) est fausse.<br />

Non seulem<strong>en</strong>t le réel flest pas intégralem<strong>en</strong>t connu ( ii est “o—


paque”), maie il n’est pas possible <strong>de</strong> délimiter un champ clos pour<br />

nos acti, ns au s<strong>en</strong>s d’un ‘système clos” physiques et les faite par—<br />

ticuljar,<br />

inconnu<br />

8 intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans le <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> nos actions, y<br />

créant as e ess<strong>en</strong>tielle conting<strong>en</strong>ce.<br />

On a prie consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> oette “limitation inéluctable <strong>de</strong><br />

notre con naissance <strong>de</strong>s faits” (dont flayek dit qu’elle est “désa.gré—<br />

able” COm pte—t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> nos préjugés), d’abord <strong>en</strong> économie. Les faite<br />

économiqu s sont, chacun, connus <strong>de</strong> quelqu’un (par définition, puis—<br />

que chaqu fait économique suppose une déoisjon d’uni ag<strong>en</strong>t). Maie<br />

les milli ns <strong>de</strong> faits économiques ne sont jamais connus, <strong>en</strong> totalj—<br />

té, d’un ;eul ag<strong>en</strong>t. D’ailleurs ces “faits” n’advi<strong>en</strong>m<strong>en</strong>b, précisé—<br />

m<strong>en</strong>t, que dans un rapport complexe avec le Bavoir que les ag<strong>en</strong>ts<br />

économiqw s <strong>en</strong> ont. Je ne lance un produit, par exemple, que si je<br />

•j•• que n es Concurr<strong>en</strong>ts ne sav<strong>en</strong>t ias ce que je saie. En économie,<br />

on peut p rier proprem<strong>en</strong>t d’hyper_complexité.<br />

ayek cite Schuinpeter, “La vie économique d’une société<br />

nonsociai iste consiste <strong>en</strong> <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> relations ou flux <strong>en</strong>tre<br />

<strong>de</strong>s firmes individuelles et <strong>de</strong>s ménages. Noue pouvons établir cer—<br />

tains théo ‘èmes à leur sujet, nous ne pouvons jamais les observer<br />

tous” (Hie ory 0f Economic Analysie, 1954), sauf si la société est<br />

“soojaljst “ et si “socialisme” signifie privation absolue <strong>de</strong> l’au—<br />

tonomje <strong>de</strong>;<br />

infinim<strong>en</strong>t<br />

ag<strong>en</strong>ts, condition que le totalitarisme lui—même est<br />

éloigné <strong>de</strong> réaliser.<br />

C tte non—omnisci<strong>en</strong>ce est vraie, surtout, dans la “Great<br />

sooiety” ot société <strong>de</strong> marché au s<strong>en</strong>s d’Adas, Smith, c’est—à—dire<br />

dans une sa ciété où l’échange <strong>de</strong> bi<strong>en</strong>s et <strong>de</strong> services se fait <strong>en</strong>tre<br />

ag<strong>en</strong>ts qui ne se connaiss<strong>en</strong>t pas (qui échang<strong>en</strong>t au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s “fron—<br />

tières”, re ridant celles—ci, par le fait même, floues et artificjel..<br />

les, d’où 1 ‘expression <strong>de</strong> “Société ouverte” que T!ayek repr<strong>en</strong>d à<br />

Popper <strong>en</strong> 1 ii donnant ce s<strong>en</strong>s économique précis). Dans une telle<br />

société, le<br />

— 2() —<br />

faits et gestes <strong>de</strong>s ag<strong>en</strong>ts avec lesquels j’échange<br />

• I<br />

I<br />

<strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et <strong>de</strong>s services me sont évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t inconnus par principe.<br />

En revanche, dann une société primitive, “la collaboration <strong>en</strong>tre<br />

les membres du groupe peut reposer <strong>en</strong> gros sur le fait qu’à tout<br />

mom<strong>en</strong>t ils ont plus ou moins connaissance <strong>de</strong>s mêmes circonstances<br />

particulières” (p. 15—16). Mais une telle connaissance mutuelle<br />

et mie telle surveillance réciproque suppos<strong>en</strong>t un groupe très limité,<br />

un ordre limité <strong>de</strong> coopération humaine. Pour que chacun puisse cmn—<br />

naître tous ceux qui lui r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt service et à qui il r<strong>en</strong>d service,<br />

pour que, par conséqu<strong>en</strong>t, le marché et l’arg<strong>en</strong>t soi<strong>en</strong>t inutiles<br />

pour assurer la coopération et la ooordination, il faut un groupe<br />

restreint. Qui dit petit groupe dit faible division du travail,<br />

donc fàible productivité, faible richesse, et limite <strong>de</strong> la connais<br />

sance .à un nouveau point do vue.<br />

Hayek souligne <strong>en</strong> effet un fait ess<strong>en</strong>tiel, d’ordre écono<br />

mique et épistémologique à la fois (c’est dans la perception <strong>de</strong>s<br />

articulations <strong>en</strong>tre ces <strong>de</strong>ux ordres que Ttaek est peut—être le plus<br />

fort et la plus original).<br />

— 21 —<br />

L’économie a mi <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce jusquà prés<strong>en</strong>t, au sujet e<br />

la Gran<strong>de</strong> Société, la division du travail. Elle ne s’est pas avisée<br />

que celle—ci exprimait un fait plus originaire <strong>en</strong>core, qui est la<br />

fragm<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la connaissance. “C’est la mise <strong>en</strong> oeuvre <strong>de</strong> beau<br />

coup plus <strong>de</strong> connaissances que chacun ne peut <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>ir — et par<br />

conséqu<strong>en</strong>t le fait que chacun. se meut au sein d’une structure cohé<br />

r<strong>en</strong>te dont presque toua les déterminants sont inconnus do lui — qui<br />

constitue le trait distinctif <strong>de</strong> toutes les civilisations avancées”<br />

(p. 16). Par le marché, nous sommes <strong>en</strong> contact avec <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s et<br />

<strong>de</strong>s services qui ne sont produits qu’<strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> connaissances<br />

que nous n’avons pas nous—mêmes. En d’autres termes, nous profitons<br />

connaissance que nous ne possédone pas, et cela grâce au mar<br />

ché. D’où l’idée suivante sur la mo<strong>de</strong>rnité (qui modifie s<strong>en</strong>sible<br />

m<strong>en</strong>t l’opinion dominante à non sujet).<br />

L’homme mo<strong>de</strong>rne n’est pas plus savant que le sauvage. Sa


“tête” ne oonti<strong>en</strong>t pas “plus” <strong>de</strong> connaissances que celle du<br />

tif<br />

primi—<br />

(c mme fortem<strong>en</strong>t souligné Lévi—Strauns).<br />

n’a re<br />

!Ie!a<br />

gu évolué biologiquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis quelques dizaines <strong>de</strong><br />

d’ mm,<br />

milliers<br />

es (pour autan-t qu’on <strong>en</strong> puisse Juger). Ce qui a changé,<br />

revano<br />

<strong>en</strong><br />

e c’est l’échelle sur laquelle s’organjse la<br />

et<br />

coopération<br />

l’éc [lange <strong>en</strong>tre les hommes, donc le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> la division<br />

Voir<br />

du sa—<br />

et du travail. Lors du passage <strong>de</strong> la Société primitive à la<br />

société <strong>de</strong> marché, un seuil quantjtatjf est franchi. Chaque<br />

du<br />

indjvj...<br />

posa <strong>de</strong> la même quantité <strong>de</strong> savoir, mais la société, prise gb—<br />

balem<strong>en</strong> ;, possè<strong>de</strong> N fois plus <strong>de</strong> savoir, N étant le nombre d’ag<strong>en</strong>ts<br />

économic ues. Le progrès sci<strong>en</strong>tifique est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t lié à<br />

société<br />

la<br />

<strong>de</strong> marché. C’est le marché qui assure la coordination <strong>de</strong><br />

ces savc ire qui ne sont ni sommablea (dans le chef d’un seul<br />

vidu)<br />

mdi—<br />

ni synthétjsable<br />

5 (dans un seul système cognitif cohér<strong>en</strong>t)(14).<br />

C’est ce qui fait dire à liayek que le vrai paramètre propre<br />

à la soc [été mo<strong>de</strong>rne n’est ni la “sci<strong>en</strong>ce” on tant que telle, ni<br />

l’indugt ialisation et la technique, mais bi<strong>en</strong> l’ouverture et le<br />

marché. C’est le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s échanges qui a r<strong>en</strong>du notre socjé-.<br />

té “scje tifique”, c’est lui qui constitue la mutation dans la cul-.<br />

ture qui définit la mo<strong>de</strong>rnité comme telle. L’échange généralisa n<br />

permis li • division du travail, donc la spécialisation, dono l’aug—<br />

m<strong>en</strong>tatjor • expon<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> la somme globale <strong>de</strong> savoir existant dans<br />

la sodé-t é.<br />

Ainsi, à capacité sci<strong>en</strong>tifique égale pour chaque individu,<br />

la soojét peut <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir infinjm<strong>en</strong>t plus riche <strong>en</strong> savojr Mais ceci<br />

ne peut s faire que grâce au marché, qui me permet dobt<strong>en</strong>jr,<br />

<strong>en</strong><br />

échange d ce que je produis avec mon savoir, tout ce que produis<strong>en</strong>t<br />

les autrej i ag<strong>en</strong>te avec leurs savoirs respectifs. Cotte coordination<br />

<strong>de</strong>a savoi s sans synthèse os-t un mécanisme remarquable quo Jîayok<br />

analysera<br />

<strong>en</strong> détail au tome 2 <strong>de</strong> Droit, Législation et Liberté.<br />

oun Pouvons conclure <strong>de</strong> ceci que, pour l’individu <strong>de</strong> la<br />

— 23 —<br />

Gran<strong>de</strong> Société, la connaissance <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s faits interv<strong>en</strong>ant<br />

<strong>en</strong> amoirt ou ami aval <strong>de</strong> ses actions est impossible et que, partant,<br />

sa praxis ne saurait être déterminée par une rationalité <strong>de</strong> type<br />

•‘cartési<strong>en</strong>”.<br />

Précisons que ce fait est particulièrem<strong>en</strong>t pat<strong>en</strong>t dans la<br />

Gran<strong>de</strong> Sooiété mais il est vrai déjà <strong>en</strong> principe pour la société<br />

close elle—même, à un moindre <strong>de</strong>gré. Dans une telle société, l’exis-.<br />

tance d’une “vie privée” et d’une autonomie <strong>de</strong>s individus, si ré<br />

duite qu’elles soi<strong>en</strong>t, suffit à créer <strong>de</strong> la complexité, à faire que<br />

les prédictions sont prises <strong>en</strong> défaut, que la pratique r<strong>en</strong>contre<br />

aléas et conting<strong>en</strong>ces. Néanmoins il reste que les différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre<br />

les petite groupes primitifs et les. premières sociétés où existe <strong>en</strong><br />

marché, et a fortiori la société mo<strong>de</strong>rne, sont plus que quantitatives<br />

et détermin<strong>en</strong>t un changem<strong>en</strong>t qualitatif dans les caractères <strong>de</strong> l’or<br />

ganisation sociale et singulièrem<strong>en</strong>t dans le type djnfojofl5<br />

qui gui<strong>de</strong>nt l’action.<br />

En conclusion, l’épistémologie cartési<strong>en</strong>ne est un leurra.<br />

Il est faux que nos actions puiss<strong>en</strong>t être guidées par une ra-tiona—<br />

té déductive, à partir <strong>de</strong> prémisses <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t explicites. Les<br />

branches supérieures <strong>de</strong> l’arbre <strong>de</strong> la philosophie ne pousseront<br />

jamais. Partant, l’<strong>en</strong>treprise connistant à rebâtir social<br />

<strong>de</strong> façon cohér<strong>en</strong>te, comme l’ingénieur bâtit une machine sur plans,<br />

est un rêve. Pour rebâtir Qr<strong>de</strong> social, il faudrait pouvoir le<br />

“mettre à plat”, <strong>en</strong> voir simultaném<strong>en</strong>t -toua les élém<strong>en</strong>ta ou du<br />

moins tous ceux qui sont les t<strong>en</strong>ants et aboutissants <strong>de</strong>s actions<br />

humaines. Or cela n’a jamais lieu, non seulem<strong>en</strong>t, nous l’avons vu,<br />

à cause d’une limite <strong>de</strong> fait <strong>de</strong> notre connaissance, mais à cause<br />

d’une “barrière” épitémobogique.<br />

La sci<strong>en</strong>ce a—t—elle elle—même trouvé ici sa limite? L’ao—<br />

tion sociale doit—elle être purem<strong>en</strong>t aveugle, aléatoire, empirique,<br />

et absolum<strong>en</strong>t parlant non—sci<strong>en</strong>tifique?


Le concept <strong>de</strong> rè1e<br />

L’action sociale, pour Hayek, n’est pas purem<strong>en</strong>t aveugle,<br />

même dans l’univer8 complexe. Elle est guidée par <strong>de</strong>s rè qui<br />

cons itu<strong>en</strong>t, d’une manière spécifique, une connaissance. Et ce sont<br />

elle qui assur<strong>en</strong>t l’adaptation <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> l’homme à son <strong>en</strong>viron<br />

nem<strong>en</strong>t, tant naturel que social. Dans ce <strong>de</strong>rnier s<strong>en</strong>s, elles assu<br />

r<strong>en</strong>t <strong>en</strong> particu1ier la coordination <strong>de</strong>s actions, <strong>en</strong> indiquant à<br />

chac,a comm<strong>en</strong>t agir <strong>de</strong> telle façon que son action ne contrarie pas<br />

oell d’autrui, mais se compose avec elle <strong>de</strong> manière à permettre<br />

l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ce que Hayek appelle un ordre spontané.<br />

Nous allons prés<strong>en</strong>ter le concept <strong>de</strong> “règles” et les concepts<br />

connees <strong>en</strong> résumant les indications données par Hayek dans le tome<br />

I et dans l’important “Epilogue” qui clêt le tome 3<br />

Cet “Flpilogue” a pour titre, “Les trois sources <strong>de</strong>s valeurs<br />

(valups) humaines”. llayek s’oppose aux sociobiologistes qui ne voi<strong>en</strong>t<br />

dans a société humaine que <strong>de</strong>ux typos <strong>de</strong> lois déterminant les compor—<br />

tem<strong>en</strong> s: celles qui sont biclogiquem<strong>en</strong>t dans la nature <strong>de</strong> l’espèce<br />

humai e et colles qui sont délibérém<strong>en</strong>t crées par la raison humaine.<br />

Pour es sociobiologistes, lea Secon<strong>de</strong>s sont notiv<strong>en</strong>t arbitraires et<br />

contr4ires aux intérêts <strong>de</strong> la vie.<br />

— —<br />

Cette Opposition, pour JEayek, est primaire. Elle revi<strong>en</strong>t à<br />

ignorer les traditions culturelles, qui sont ce que l’espèce humaine<br />

<strong>de</strong> 1ropre (bi<strong>en</strong> quil existe aussi <strong>de</strong>s embryons <strong>de</strong> traditions cul—<br />

tureil s animales, cf. t.I, pp. 89—92). Elle revi<strong>en</strong>t à poser que la<br />

cultur se réduit à ce que produit la rationalité consci<strong>en</strong>te au s<strong>en</strong>s<br />

<strong>de</strong> Des artes. Or cela est faux. Il n’y a pas <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> lois ou<br />

•‘l<br />

<strong>de</strong> règles, mais trois:<br />

“Il y a évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t au point <strong>de</strong> départ le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t soli<strong>de</strong>,<br />

c’est—à—dire peu changeant, <strong>de</strong> l’héritage génétique, celui <strong>de</strong>s pul<br />

sions inetinctivee déterminées par la structure physiologique.<br />

“Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite tous les vestiges <strong>de</strong>s traditions acquises<br />

dans les types successifs <strong>de</strong> structures sociales, avec leurs règles<br />

cate l’homme n’a pas délibérém<strong>en</strong>t choisies mais qui se sont répandues<br />

parce que certaines pratiques accroissai<strong>en</strong>t la prospérité <strong>de</strong>s groupes<br />

qui les suivai<strong>en</strong>t, ce qui conduisait & une expansion <strong>de</strong> 0es groupes<br />

— moins peut—être par une plus gran<strong>de</strong> rapidité <strong>de</strong> procréation que<br />

par l’adhésion d’étrangers.<br />

“Enfin, au—<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout cela, une troisième couche, mince,<br />

celle <strong>de</strong>s règles délibérém<strong>en</strong>t adoptées ou modifiées pour répondre à<br />

<strong>de</strong>s visées communes” (t. 3, p. 191).<br />

Ceci fait au total “trois types <strong>de</strong> règles issues <strong>de</strong> trois<br />

processus distincts”, mais ces processus aboutiss<strong>en</strong>t à une ‘uperpo—<br />

sition non pas seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> trois étages <strong>de</strong> règles, mais <strong>de</strong> bi<strong>en</strong><br />

davantage, selon que telles ou telles traditions ont été conservées<br />

p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s sta<strong>de</strong>s successifs traversés par l’évolution culturelle”<br />

(pp. 190—191).<br />

Ilayek peu sur les règles et les ordres du premier<br />

type, qui relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la pure biologie et d’irn mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transmission<br />

purem<strong>en</strong>t génétique. Il ne nie pas leur importance et salue à plusieurs<br />

reprises le travail considérable accompli par les biologistes, et <strong>en</strong><br />

particulier les éthologistes, <strong>de</strong>puis quelques déca<strong>de</strong>s. Ce qui l’in<br />

téresse surtout cep<strong>en</strong>dant, ce sont les <strong>de</strong>ux autres types. Ce sont eux<br />

qui sont les plus importants dans l’hunanité développée et dans l’hu<br />

manité la plus réc<strong>en</strong>te, la “civilisation”. Voici comm<strong>en</strong>t il définit<br />

plus précisém<strong>en</strong>t ces <strong>de</strong>ux tynes <strong>de</strong> règles et les <strong>de</strong>ux types d’ordres<br />

qu’ils <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t:<br />

— 25 —


— 26 —<br />

u11<br />

faut distinguer <strong>en</strong>tre un ordre qui s’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> lui—<br />

même ou ordre spontané (self—g<strong>en</strong>erating or spontaneou<br />

yak iira aussi self—oranizjng 8truotUres) et une<br />

Ce q xi les différ<strong>en</strong>cie se rapporte aux <strong>de</strong>ux sortes djff,5r<strong>en</strong>tea<br />

<strong>de</strong> r<br />

ou <strong>de</strong> lois qui s’y établiss<strong>en</strong>t” (t. I, p. 2).<br />

Les ordres spontanés (ce5t__j<br />

8 or<strong>de</strong>r; Ha—<br />

0, qui se constitu<strong>en</strong>t d’une<br />

ra qui n’est voulue ou délibérée par aucun sujet humain, d’une<br />

re non—int<strong>en</strong>tionnelle) résult<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce que leurs élém<strong>en</strong>ts ohé-.<br />

t à certajn règles <strong>de</strong> conduite ayant un caractère particulier,<br />

doiv<strong>en</strong>t être non—finalisées et universelles, c’ost—à-.djre o’ap-.<br />

er pour tout élém<strong>en</strong>t dans toute situation d’un certain type,<br />

ris considération d’un objectif particulier que <strong>de</strong>vrait attein—<br />

‘ordre d’<strong>en</strong>semble. Chaque élém<strong>en</strong>t s’y soumet sans “savoir” ni<br />

iir” ni $Ivoj11 mani<br />

manU<br />

is ser<br />

ellex<br />

pliqri<br />

et sa<br />

dre 1<br />

“prév<br />

ce qui <strong>en</strong> résultera. Ces caractères <strong>de</strong>s règles<br />

propr s aux ordres spontanés les distingu<strong>en</strong>t nettem<strong>en</strong>t d’une autre<br />

sorte<br />

<strong>de</strong> règles, colles qui r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt po5siblo les orpanjeations.<br />

“Ce qui caractérise les règles qui dirigeront l’action au<br />

sain ‘une organisation, c’est qu’elles doiv<strong>en</strong>t être <strong>de</strong>s règles pour<br />

1 ‘mccc ‘nplissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tâches (tasks) assignées. Elles impliqu<strong>en</strong>t au<br />

départ que la place <strong>de</strong> chaque individu dans une structure fixe est<br />

détars inée par voie <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t et que les règles auxquelles<br />

chaque individu doit obéir dép<strong>en</strong><strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la place qui lui n été ansi—<br />

guée e <strong>de</strong>s ecti.fs (<strong>en</strong>ds) particuliers que liii n indiqus l’auto—<br />

rité qi ii comman<strong>de</strong>• Les règles d’une organisatjon sont donc necessaj—<br />

rem<strong>en</strong>t subsidiaires Par rapport aux comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts, coiriblant les lacu.-.<br />

fles 1a ssées par le comrqan<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts. Ces règles seront différ<strong>en</strong>tes<br />

selon<br />

les du<br />

prétée:<br />

p. 58).<br />

es différ<strong>en</strong>ts membres <strong>de</strong> lorgflj5jQfl, <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s r—<br />

fér<strong>en</strong>ts qui leur ont été assignés, et elles <strong>de</strong>vront être inter—<br />

à la lumière <strong>de</strong>s Objectifs fixés par les comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts” (t. I,<br />

L’idée ess<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> Hayek, ici, est que ces règles<br />

d’un savoir détermjnjte sur l’univers qu’elles<br />

— 27 —<br />

doiv<strong>en</strong>t régler—à certaines lacunes près, sans quoi il suffirait <strong>de</strong><br />

“comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts” particuliers <strong>de</strong> l’autorité. Maie ces lacunes ne<br />

sont pas <strong>de</strong> nature à compromettre le modèle déterministe présupposé.<br />

Nous sommes ici dans <strong>de</strong> la technique déterministe. L’ingé<br />

nieur, lui aussi, quand il construit une machine mécanique, na pro<br />

duit pas un. “comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t” particulier pour chaque événem<strong>en</strong>t qui se<br />

produira dans la machine. Il s’appuie, lui aussi, sur <strong>de</strong>s règles,<br />

qui sont les lois <strong>de</strong> la nature. L’autorité qui conçoit une organisa—<br />

ti<strong>en</strong> est, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, dans la position exacte <strong>de</strong> l’ingénieur qui<br />

conçoit une machine. Par conséqu<strong>en</strong>t, ces règles dorganjsatjon ne<br />

répon<strong>de</strong>nt nullem<strong>en</strong>t au problème épistémologique que nous avons posé<br />

au paragraphe précé<strong>de</strong>nt. Elles suppos<strong>en</strong>t la sci<strong>en</strong>ce, elles ne sau<br />

rai<strong>en</strong>t se substituer à elle là où elle fljte pas. C’est le cas,<br />

au contraire, du second type <strong>de</strong> règles:<br />

“Par contraste, les règles gouvernant un ordre spontané<br />

doiv<strong>en</strong>t être indép<strong>en</strong>dantes <strong>de</strong> tout objectif, et i<strong>de</strong>ntiques — si ce<br />

n’est nécessairem<strong>en</strong>t pour tous les membres — au moins pour <strong>de</strong>s caté<br />

gories <strong>en</strong>tières <strong>de</strong> membres anonymes. Elles doiv<strong>en</strong>t être <strong>de</strong>s règles<br />

applicables à un nombre inconnu et indéterminé <strong>de</strong> personnes et <strong>de</strong><br />

cas. Elles <strong>de</strong>vront être appliquées par les individus à la lumière<br />

<strong>de</strong> leurs connaissances et <strong>de</strong> leurs int<strong>en</strong>tions respectives; et leur<br />

application sera sans li<strong>en</strong>s avec un quelconque intérêt commun dont<br />

l’individu peut même n’avoir aucune connaissance” (ibid.)<br />

On ne sait pas à quoi elles serv<strong>en</strong>t, sinon à un objectif<br />

lui—même général, lémerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> spontané”, c’est—à—dire<br />

la coordination <strong>de</strong>s actions dans une société (ou d’autres <strong>en</strong>sembles<br />

d’élém<strong>en</strong>ts) complexe, ce qu’on appelle la “paix”, l”ordre”, la “vie”,<br />

un bi<strong>en</strong>. indéterminé mais que tous vis<strong>en</strong>t, parce qui1 est la condi<br />

tion nécessaire pour que chacun obti<strong>en</strong>ne les bi<strong>en</strong>s particuliers<br />

qu’il espère.<br />

D’où ce trait remarquable: les règles <strong>de</strong> ce typo, que lfayek<br />

appelle “abstraites”, n’ont jamais fini applicables, puis—


— 2h —<br />

qu’lles n’ont pas <strong>de</strong> but déterminé tel qu’une fois ce but atteint<br />

la iègle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>drait sans objet:<br />

“Une règle <strong>de</strong> juoto conduito (autre terme employé par lia—<br />

yek pour désigner les règles abstraites dans les sooiétés humaines)<br />

ne put être “accomplie” comme on exécute un ordre ou accomplit une<br />

tâch. On peut lui obéir ou la faire respecteri mais une règle <strong>de</strong><br />

condiita limite simplem<strong>en</strong>t le champ <strong>de</strong>s actions licites et, d’ordi<br />

naire, n’as.igne pas une action définiel ce qUelIe prescrit n’est<br />

jama1s terminé, cela <strong>de</strong>meure une obligation perman<strong>en</strong>te pour tous.<br />

Ghaq4e fois que nous parlons <strong>de</strong> “mettre à exécution” une décision <strong>de</strong><br />

la lgislature qui a “force <strong>de</strong> loi”, il ne s’agit pas d’un nomos<br />

(i.e.’ une règle <strong>de</strong> droit, abstraite, formelle, règle <strong>de</strong> droit privé),<br />

mais è’une thesis commandant à que lqii’un <strong>de</strong> faire quelque chose<br />

(i.eJ une règle d’organisation, une règle <strong>de</strong> droit administratif ou<br />

publij)”(t. I, p. 153).<br />

Avec les règles <strong>de</strong> ce type, nous avons la solution <strong>de</strong> notre<br />

problme épistémologique.<br />

Car ces règles permett<strong>en</strong>t la coordination <strong>de</strong>s aotions dans<br />

une scciété complexe, bi<strong>en</strong> que cette ooordination ne soit pas au<br />

préalable conçue dans le cadre d’une organisation présupposant la<br />

sci<strong>en</strong>e, Il n’y a pas <strong>de</strong> sci<strong>en</strong>ce, au s<strong>en</strong>s d’une théorie existant<br />

dans ui esprit omnisci<strong>en</strong>t, dans un “ordinateur c<strong>en</strong>tral”. 1t cep<strong>en</strong><br />

dant ls règles abstraites “ntvcnt op5i’or la coordination ds<br />

actions dcg élém<strong>en</strong>ti:. C ‘ci t un vx’ t tau le :iavo ir, ptiieque I ‘univers<br />

complee pourrait tre un pur chaos. 3’il ne l’<strong>en</strong>t pas, si ion ac<br />

tions ont effectivem<strong>en</strong>t coordonnées, c’est donc qu’il y a un “savoir”<br />

oont<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> quelque sorte, dans les règles elles—mêmes, ce qui, évi—<br />

<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>, pose le problème <strong>de</strong> l’origine <strong>de</strong> ces règles. Un tel savoir,<br />

un rapport déterminé à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, permettant une<br />

adaptaion, no peut apparaître n’importe comm<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> manière arbi—<br />

trairo.<br />

I<br />

Que <strong>de</strong> telles règles soi<strong>en</strong>t tout simplem<strong>en</strong>t pqbles,<br />

Hayek <strong>en</strong> voit la preuve dans<br />

xi5t<strong>en</strong>CO dans la nature et dans<br />

la société, d’ordres spfl!, non—organisés, non—dirigés, non—<br />

p<strong>en</strong>sés. C’est à ce point qu’est consacré tout le eh. 2, “JCosmos<br />

et taxis”. Taxis désigne l’ordre organisé, arrangé (ma<strong>de</strong>), artifi<br />

ciel, exogène (fait <strong>de</strong> l’extérieur par un organisateur). Les Grecs<br />

emploi<strong>en</strong>t le mot taxis pour désigner, par exemple, un ordre <strong>de</strong><br />

bataille. Les ordres <strong>de</strong> l’autre type sont “mûrie” (grown), auto—<br />

organisés, <strong>en</strong>dogènes. Il y n aussi un mot grec pour les désigner:<br />

Icosmos, lequel terme ne désigne pas originairem<strong>en</strong>t, précise liayek,<br />

l’ordre du mon<strong>de</strong>, l’ordre astronomique, mais “l’ordre juste dans<br />

un Iitat ou une communauté” (Werner Jaeger, !iaZteI<strong>de</strong>al50!<br />

Greek culture), la dikè, ordre dont Anaximnfld.re repr<strong>en</strong>d l’image<br />

pour désigner l’ordre <strong>de</strong> la nature.<br />

Donc le premier exemple d”ordre spontané”, c’est bi<strong>en</strong><br />

l’ordre <strong>de</strong> la vie sociale, du moins dans un Etat ou une Cité où rè<br />

gne la “justice”. Maie il existe aussi <strong>de</strong>s “ordres spontanés” dans<br />

la nature (cf. t. I, pp. 46—47), par définition, peut—on dire, puis<br />

que la nature et précisém<strong>en</strong>t le domaine <strong>de</strong> ce qui n’est pas orga<br />

nisé par une sci<strong>en</strong>ce et une int<strong>en</strong>tion humaines.<br />

Le point important est que dans la nature comme dans la so<br />

ciété, il y a un rapport <strong>en</strong>tre le type <strong>de</strong> régularités que suiv<strong>en</strong>t<br />

les élém<strong>en</strong>ts et le type d’ordre collectif qui on résulte ou <strong>en</strong> “émer<br />

ge”. Il o, dirons—noue, un rapport “local—lObal” danS lee!!B<br />

0croscopiquC”, n’émerge, que<br />

spontanés. Un certain ordre global, I’<br />

si, au niveau local,<br />

“microscopique”, les élém<strong>en</strong>ts se comport<strong>en</strong>t<br />

d’une certaine manière. S’ils se comport<strong>en</strong>t d’une autre manière,<br />

l’ordre émergeant sera différ<strong>en</strong>t. C’est ce quuimpli(P10 l’idée m—<br />

me <strong>de</strong> spontanéité. S’il n’y n pas un prinoipe organisateur exté<br />

rieur, il fautbiefl qu’il y ait quelque chose qui détermine l’ordre<br />

<strong>de</strong> leintérieur. Ce quelque chose, c’est la règle que suiv<strong>en</strong>t les<br />

élém<strong>en</strong>ts.<br />

— 29 —


Les exemples physiques et chimiques donnés par Unyek (produo-.<br />

tion<strong>de</strong> cristaux, ou <strong>de</strong> composés organiques, ou mise <strong>en</strong> ordre <strong>de</strong> la<br />

linia4lie <strong>de</strong> fer sur une feuille <strong>de</strong> papier par la création d’un champ<br />

ma,ntique) liii permett<strong>en</strong>t <strong>de</strong> préciser son idée.<br />

Ces élém<strong>en</strong>ts Physico_chimiques obéiss<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s “lois <strong>de</strong> la<br />

naturfe”, qui <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong>ce sont connues. En y obéissant, locale—<br />

m<strong>en</strong>t “chacun pour soi”, les élém<strong>en</strong>ts produis<strong>en</strong>t un ordre global.<br />

Mais ans ce cas <strong>de</strong> systmes complexes, compr<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> très nombreux<br />

élém<strong>en</strong>ts, aucun ingénieur ne pourrait lui—même, <strong>en</strong> disposant les u—<br />

tomeu un à un, produire le même ordre. Il ne connaît pas la place<br />

initile <strong>de</strong> chaque élém<strong>en</strong>t et l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t précis <strong>de</strong> cet élém<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong>vjr,nneme avec lequel l’élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong>vra interagir. L’ingénieur<br />

peut Seulem<strong>en</strong>t ‘créer les conditions dans lesqueijes (les élém<strong>en</strong>ts)<br />

se diposeront eu.x—mâmcs <strong>de</strong> cette façon’ (p. 46). FIt alors le sys<br />

tème e mettra <strong>de</strong> lui—même dans un état que l’ingénieur ne pouvait<br />

pas pif évoir exactem<strong>en</strong>t, mais dont<br />

— iu —<br />

il aura pu au moins prévoir l’aspect général. “flous pouvûn prédire<br />

(dans l’e,:emple <strong>de</strong> la limajfle <strong>de</strong> fer) l’allure gnéralo <strong>de</strong>s chaînct_.<br />

tes qun formeront les particules m’accrochant les unes aux autresj<br />

mais n us ne pouvons prédire su long <strong>de</strong> quelles courbes, <strong>en</strong> nombre<br />

infini qui détermin<strong>en</strong>t le champ magnétique, ces chaînettes vont se<br />

placer” (p. 47). f.’ingminieur, dans ce cas, laissa se produire un or<br />

dre mp<strong>en</strong>tané, par différ<strong>en</strong>ce avec d’autres cas, <strong>en</strong> mécanique classique,<br />

où il aîtriae tous les paramètres et peut prévoir exactem<strong>en</strong>t l’état<br />

que pr ndra une machine à l’instant t<br />

Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même — sous certaines réserves que nous allons<br />

voir — pour la sociétd. L’ordre social résulte <strong>de</strong> ce que chaque hom<br />

me obéi-t auxes abstraites que nous avons définies, les “règles<br />

<strong>de</strong> just conduite”. Eelon le cont<strong>en</strong>u particulier <strong>de</strong> ces règles, l’or<br />

dre résfaitant pr<strong>en</strong>dra tel ou tel !J Et 4néral diflér<strong>en</strong>t, que l’on<br />

pourra révojr. IIi revanche, on ne pourra jamais prévoir<br />

ticuliei’ du système social à l’instant t, car cet état résultera<br />

.4.<br />

4r .<br />

• mi<br />

k,<br />

“noa seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s règles gouvernant les actions <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts, mais<br />

<strong>en</strong> outre <strong>de</strong>s positions initiales et <strong>de</strong> toutes les circonstances par<br />

ticulières <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t immédiat, circonstances auxquolles cha<br />

que élém<strong>en</strong>t réagira au cours <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong> l’ordre. En d’autres<br />

termes, mera toujours une adaptation à un grand nombre <strong>de</strong><br />

faits particuliers qui ne seront connus <strong>en</strong> totalité par personne”<br />

(p. 47).<br />

— 31 —<br />

L’ingénieur sait qu’<strong>en</strong> créant le champ magnétique il créera<br />

un. ordre d’une certaine forme; <strong>de</strong> mme le sociologue saura—t—il quu<br />

certain état du droit créera un certain type <strong>de</strong> société. l4ais il ne<br />

pourra pas déterminer la position <strong>de</strong> chaque humain dans cette socié<br />

té — <strong>en</strong> particulier ses rev<strong>en</strong>us — à l’instant t. Cela dép<strong>en</strong>d dam p0—<br />

citions initiales <strong>de</strong> chacun et d’un nombre <strong>de</strong> circonstances particu<br />

lières si grand quo personne no peut les connaître.<br />

Apparaît toutefois ioi une différ<strong>en</strong>ce s<strong>en</strong>sible <strong>en</strong>tre les<br />

exemples d’ordres spontanés naturels donnés par Tlayek et l’ordre<br />

spontané <strong>de</strong> la société humaine.<br />

Les atomes <strong>de</strong> fer se comport<strong>en</strong>t selon <strong>de</strong>s règles qui sont<br />

<strong>de</strong>a lois <strong>de</strong> la nature. Ils ne peuv<strong>en</strong>t y échapper. Alors que les<br />

règles que suiv<strong>en</strong>t les humaine sont <strong>de</strong> normes, dont ils peuv<strong>en</strong>t<br />

év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t s’écarter, et qui d’autre part peuv<strong>en</strong>t être modifiées<br />

dans le temps, <strong>de</strong> façon. elle—même spontanée ou <strong>de</strong> façon délibérée<br />

(dès qu’il existe une puissance publique légitimée à le faire). Les<br />

règles qui produis<strong>en</strong>t les ordres sociaux spontanés n’ont pas cette<br />

gran<strong>de</strong> fixité qu’ont les lois biologiques (et a fortiori les lois <strong>de</strong><br />

la nature physico—chimiques). Dono non seulem<strong>en</strong>t résultant<br />

n’est pas déterminé et représ<strong>en</strong>te une adaptation à un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

aléatoire, comme dans les exemples physico—chimiques, mais le corps<br />

même <strong>de</strong>s règles évolue <strong>en</strong> partie spontaném<strong>en</strong>t. Il y a, si l’on peut<br />

dire, <strong>de</strong>ux niveaux hiérarchiques <strong>de</strong> spontanéité. L’ordre r<strong>en</strong>du pos<br />

sible par les règles abatrait<strong>en</strong> est spontané. T,es règles abstraites<br />

apnaraiss<strong>en</strong>t elles—mêmes <strong>en</strong> partie spontaném<strong>en</strong>t, modifiant d’autant


— 32 —<br />

l’ordre spontané résultant, L’évolution dcii règles est aussi à in<br />

terpréter, nous le verrons, comme un phénomène d’adaptajo<br />

0 un<br />

univers aidataire et ohangeant, et comme une <strong>de</strong>s dim<strong>en</strong>sions <strong>de</strong>l<br />

Volation historique elie—me.<br />

C’est un os <strong>de</strong>rnier s<strong>en</strong>s surtout, emble_.t..41, qùe le ordres<br />

aooj spontanés déorjis par flayek relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> l”au—<br />

to—o ganisaijon” <strong>de</strong> von Foero-Ler et Atltui, logique qui consiste pré<br />

cis eut, pour un système organisé, dans la oapacjté <strong>de</strong><br />

règi s d’organisj<br />

changer les<br />

0 elles—,,<br />

55 Il est vrai que l’auto...organjsa<br />

tjon est caraotérisée par J.—P. I)upuy oomme une situation où les ni—<br />

vea logiques hiérarchiques sont “<strong>en</strong>chevtréa” Les règles déter—<br />

minou un ordre, mais elles sont elles—,,,<br />

555 un produi <strong>de</strong> l’ordre.<br />

l y là un problème formel fondwn<strong>en</strong>tai dont il faudra Poursuivre<br />

l’ex <strong>en</strong> dans un autre contexte.<br />

— —<br />

§4<br />

Le rMa <strong>de</strong>s règles abstraites<br />

Si, dans la société, le savoir peut tre dispersé et le tra<br />

vail. être divisé, c’est parce que les ag<strong>en</strong>ts sont coordonnée et le sont<br />

autrem<strong>en</strong>t que par une organisation globale consci<strong>en</strong>te, laquelle suppo<br />

serait une impossible omnisci<strong>en</strong>ce. Tlayek fait donc l’hypothèse que ce<br />

la se réalise gi4ce à <strong>de</strong>s règles abstraites.<br />

Mais cette hypothèse n’est pas arbitraire. Elle est fondée<br />

sur une analyse <strong>de</strong> l’action humaine élém<strong>en</strong>taire, qui va se révéler -<br />

ire gouvernée <strong>en</strong> effet par <strong>de</strong> telles règles.<br />

Les actions <strong>de</strong> l’homme, dit lfayek (p. 13), sont adaptées à<br />

<strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> faitei I) Lors faits particuliers qu’il connaît; et 2) un<br />

grand nombre faits qu’il ne connaît pas et ne peut connaître.<br />

L’adaptation n°1 est réalisée par la raison déductive, Si<br />

nous savons que nous <strong>de</strong>vons arriver quelque part à telle heure, et<br />

que le trajet dure tel temps, nous <strong>en</strong> déduisons que noue <strong>de</strong>vons par<br />

tir à telle heure. la rationalité “cartési<strong>en</strong>ne” dans<br />

(et cela correspond à la “délibération” dans l’analyse aristotélico—<br />

scholastique <strong>de</strong> humain).<br />

L’adaptation n°2 est réalisée “par l’obéisuanco à <strong>de</strong>s rè<br />

gles que (l’homme) n’a pas imaginées et que souv<strong>en</strong>t il ne connaît m—<br />

me pas explicitem<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> qu’il soit Capable <strong>de</strong> les respecter <strong>en</strong> agis<br />

sant” (p. 13),. à <strong>de</strong>s règles “qu’il ne connaît pas et ne peut connaî<br />

tre au s<strong>en</strong>s cartési<strong>en</strong> du mot” (p. 21).<br />

Une “adaptation” à <strong>de</strong>s faits qu’on ne connaît pas grace à


— j —<br />

<strong>de</strong>s règles qu’on ne connt pno est vi<strong>de</strong>mtn<strong>en</strong>t un singuj paradoxe. -<br />

Voioi comm<strong>en</strong>t ii réaoud. Las faits et le règles <strong>en</strong> question sont<br />

fl0fl-Coflnu8 “au e<strong>en</strong> cartési<strong>en</strong> du mot”, c’est_.à_dire sous la forme<br />

d1..! et <strong>de</strong> éores, “affich<br />

exjt<br />

85» <strong>en</strong> Consci<strong>en</strong>ce En revanohe, il<br />

5 une forme <strong>de</strong> connajssanoe non_Consci<strong>en</strong>te non_délibérative<br />

1<br />

a agi avant qu’il ne p<strong>en</strong>sât et non pas compris avant d’agir.<br />

Ce que noua appelons r<strong>en</strong>dre est <strong>en</strong> <strong>de</strong>rnier res:,ort la capaojtd<br />

<strong>de</strong> rdpondre à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t !ounscémItj<br />

of actions) qui ai<strong>de</strong>nt à subsieter” (P. 20).<br />

(_prn<br />

En effet, dans une socj,té complexe, il y a, pour l’individu,<br />

<strong>de</strong> I aléatoire et du conting<strong>en</strong>t. Mais cela ne signifie pas que ce mon<br />

<strong>de</strong> et totalem<strong>en</strong>t dépoui- <strong>de</strong> r larités et qu’il change à tout ma—<br />

tunt <strong>en</strong> toutes ses purtjes Las situations <strong>de</strong> la pratique ne se ré—<br />

pètrt jamajs exactem<strong>en</strong>t à l’i<strong>de</strong>ntique et c’est ce qui inter(Iit <strong>de</strong><br />

les abor<strong>de</strong>r avec <strong>de</strong>s procédures techniquesj maie <strong>de</strong>s <strong>de</strong> situa...<br />

tian revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> façon récurr<strong>en</strong>te. Et pour ces types <strong>de</strong> situations,<br />

la méoire sociale sélectionne et transmet aux individus<br />

sont donc à ces types <strong>de</strong> situations<br />

te, UI<br />

Ces<br />

et qui<br />

ou £i!! <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sé5 ou <strong>de</strong> condui<br />

0 pas pour but <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s effets particuliers prévjsj<br />

55<br />

pour es g<strong>en</strong>s déterminés mais constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s inetru,,<strong>en</strong>ts polyval<strong>en</strong>ts<br />

(multi r ose) élaborés comme autant d’ aptations à certain<br />

5<br />

<strong>de</strong>j onnem<strong>en</strong>ts, parce qu’ils sont Utiles pour faire face à certaine<br />

6e Situation (...) Cette adaptation a<br />

<strong>de</strong><br />

pour<br />

besinm<br />

base<br />

précis,<br />

non la<br />

maie lezpj5fl<br />

prévjsj<br />

00<br />

05 Passée <strong>de</strong> certains g<strong>en</strong>res <strong>de</strong> si_<br />

atione dont ndus savons qu’elias se E! duiroiit avec <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés va—<br />

0 <strong>de</strong> probabji Et le résultat <strong>de</strong> telles expéri<strong>en</strong>ces passées<br />

riab1<br />

acquis s à force d’ess<br />

5 et d’échecs est<br />

moire ‘événem<strong>en</strong>ts articUliSrs, ni Comme une<br />

du geare <strong>de</strong> situation ausceptj<br />

5 <strong>de</strong> se prés<strong>en</strong>ter, mais sous la forme<br />

du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t (s<strong>en</strong>se; oe que lTayek appellera souv<strong>en</strong>t aussi intuition,<br />

au s<strong>en</strong>s d’une connaissance non explicite, semi—consci<strong>en</strong>te) <strong>de</strong> l’in—<br />

partance que revât observatjon <strong>de</strong> certaines règles” (t. 2, p. 5).<br />

Ainsi les règles sont “<strong>de</strong>s adaptations à <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> situ<br />

ation que l’expéri<strong>en</strong>oe pase<strong>de</strong> a montrées récurr<strong>en</strong>tes dans le mon<strong>de</strong><br />

où nous vivons. Tout comme la connaissance qui incite (un) prom<strong>en</strong>eur<br />

à se munir <strong>de</strong> son couteau <strong>de</strong> poche (afin d’âtre outillé <strong>en</strong> vue <strong>de</strong><br />

diverses occasions possibles), la connaissance incorporée dann les<br />

règles est oelle <strong>de</strong> certains caractères généraux <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />

non celle <strong>de</strong> faits particuliers. Autrem<strong>en</strong>t dit, les règles <strong>de</strong> con<br />

duite appropriées ne sont pas dérivées d’une connaissance explicite<br />

d’événem<strong>en</strong>ts concrets que nous rancontreronej elles sont plutàt une<br />

adaptation à notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t...” (ibid.)<br />

“Comme toue lee outils à usages multiples, Les règles ser<br />

v<strong>en</strong>t paroe qu’elles ont été adaptées à la solution <strong>de</strong> situations<br />

diffloilea qui me prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> façon répétée (...) La connaissance<br />

qui leur n donné leur forme n’est pas la connaissance d’effets parti<br />

culiers à v<strong>en</strong>ir, mais la connaissance du retour récurr<strong>en</strong>t <strong>de</strong> certai<br />

nes eituations problématiques ou <strong>de</strong> certaines tâches” (t. 2, p. 24).<br />

Ladaptation ne sera dono pas réalisée, comme dans le cas<br />

n°1, par une vision, claire et distincte, <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> cause à<br />

effet <strong>en</strong>tre les faits et les actes particuliers qui sont <strong>en</strong> jeu dans<br />

la pratique. Elle le sera par l’exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> nous <strong>de</strong> diepositions ou<br />

<strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances qui font que, <strong>de</strong>vant une certaine classe <strong>de</strong> faits parti<br />

culiers, nous mobilisone un oertain <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts. Cela sup<br />

pose que noue reconnaissions ces classes <strong>de</strong> faits à certains traits<br />

formels quils ont <strong>en</strong> commun.<br />

— 35 —<br />

Or le point capital est que cette reconnaissance n’est pas<br />

un effet <strong>de</strong> la “délibération”, <strong>de</strong> la réflexivité, <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée con<br />

sci<strong>en</strong>te et explicite. Elle est immédiate et “intuitive”. Elle est<br />

une reconnaissance <strong>de</strong> forme, une “pattern recognition”.


Ici, la théorie <strong>de</strong> l’ordre social °pofltané s’artjci,e avec<br />

une thorje du P5yOhim<br />

0• S’il y a un ordre social émerg<strong>en</strong>t, c’est<br />

que le élém<strong>en</strong>ts obéiss<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s règles communesj mais ils le font<br />

parce ue leur PSychisme individuel cogiporte certains calactères<br />

qui le permett<strong>en</strong>t<br />

du rat onaljse<br />

Pour introduire cette notion, Uayek revi<strong>en</strong>t à sa critique<br />

cartési<strong>en</strong> (pp. 20—21). Pour que<br />

Descartes ait conçu un esprit imposant ses propres constructions lo<br />

giques à la nature et à la société, ii fallait, rappelle_t....il, qu’il<br />

conçUt ans substance p<strong>en</strong>sante distincte <strong>de</strong> la substance ét<strong>en</strong>due. Alu-.<br />

si une uborc1jnatjon <strong>de</strong> l’une à l’autre était concevable Mais <strong>en</strong><br />

fait, dt Uayek, l’esprit n’existe pas, <strong>en</strong> soi, avant la société.<br />

Lespj se construit par adaptation progressjve à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

Physique et social, comme l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t lui—mémo es-t progressjv<br />

6...<br />

m<strong>en</strong>t mqué et modifié par l’esprit (thèse anti_idéaliste classique,<br />

qui est le thème premier, nOtoflsle au passage, du Marx <strong>de</strong><br />

C’est bi<strong>en</strong> parce que l’esprit n’a pas<br />

la société qu’on ne peut dire que ce sont leu institutions conçues<br />

par lui qui ont forgé la société. Le constructivisme est la négation<br />

<strong>de</strong> ce pr cessus adaptatif (quo Marx qualifiait <strong>de</strong> “dialectiquee; les<br />

construc ivjst<strong>en</strong> sont plus “cartési<strong>en</strong>s» que “marxi<strong>en</strong>s”)<br />

Ce qu’on appelle<br />

— ï, —<br />

est le résultat complexe do ce<br />

processu Il n’ezrt pas seulem<strong>en</strong>t oofl5tjtué dûs idées ou dû connais<br />

sances d stinctas et consoj<strong>en</strong>tas qui peuv<strong>en</strong>t être utilisées comme<br />

outils p ur p<strong>en</strong>ser le mon<strong>de</strong> Il eut constitué, d’abord, <strong>de</strong>s schémao<br />

‘V<br />

:1<br />

I<br />

-“j<br />

j<br />

do p<strong>en</strong>sée et d’action grîtce auxquels se représ<strong>en</strong>te son <strong>en</strong>vi<br />

ronnem<strong>en</strong>t. La manière <strong>de</strong> structurer le champ perceptif,<br />

importance et signification à telle ou telle information <strong>en</strong> prove<br />

nance <strong>de</strong> 1eflvjroflne5fl, d’att<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>s antres hommes tel ou tel<br />

comportem<strong>en</strong>t, tout ceci est un “a priori”, prés<strong>en</strong>t dans la psychisme<br />

autrem<strong>en</strong>t que sous la forme d’idées claires et distinctes. Ces struc<br />

tures “a priori”, reconnues <strong>en</strong> un m<strong>en</strong>s par Kant, ne aon-t pourtant pas<br />

“transo<strong>en</strong>dantalea”. Elles sont un héritage constitué progessivein<strong>en</strong>t<br />

dans le temps.<br />

<strong>de</strong> ces structures “a priori” que l’esprit est non seu<br />

lem<strong>en</strong>t “plein”, mais “fait”: “L’esprit ne fabrique pas tant <strong>de</strong>s rè—<br />

glas qu’il ne se compose <strong>de</strong> règles pour l’action” (p. 21).<br />

Si le concept évoque quelque chose <strong>de</strong> déterminé,<br />

clair et distinct, consci<strong>en</strong>t (comme l’indique l’étymologie d’i<strong>de</strong>a:<br />

ce qui se voit), celui <strong>de</strong> “schème” ou <strong>de</strong> “pattern” évoque une réali<br />

té psychique autre, inconnoi<strong>en</strong>te ou serni—connoi<strong>en</strong>te (telle, <strong>en</strong> tout<br />

cas, qu’il faille un effort délibéré pour <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre consoi<strong>en</strong>ce; il<br />

ne sagjt pas, notons—le tout <strong>de</strong> suite, dfl “inconsci<strong>en</strong>t” freudi<strong>en</strong>).<br />

Comm<strong>en</strong>t peut—on appr<strong>en</strong>dre, ou, inversem<strong>en</strong>t, transmettre, <strong>de</strong>s<br />

règles dont on n’a pas consci<strong>en</strong>ce et qu’on est incapable <strong>de</strong> formuler?<br />

J{ayek évoque à cet égard l’exemple <strong>de</strong> l’appr<strong>en</strong>tissage du langage par<br />

les <strong>en</strong>fants (p. 22). Les jeunes <strong>en</strong>fante peuv<strong>en</strong>t inv<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s phrases<br />

correctea, mme complexes, qu’ils n’ont jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dues auparavant<br />

(ils flot <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du que l<strong>en</strong> mots qui compos<strong>en</strong>t ces phrases). C’est<br />

donc quile ont appris la syntaxe alors que, bi<strong>en</strong> évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, person<br />

ne ne la leur a jamais <strong>en</strong>seignée expressém<strong>en</strong>t. .Ce qui revi<strong>en</strong>t à dire<br />

qu’ils ont appris les règles nana la médiation <strong>de</strong> leur énonciation<br />

(ajoutons que dans ce cas les règles mont bi<strong>en</strong> “culturelles”, elles<br />

ne sont pas programmées génétiquem<strong>en</strong>t: tout <strong>en</strong>fant peut appr<strong>en</strong>dre toute<br />

langue). De mme, dans les arts manuels, “nous sommes guidés par <strong>de</strong>s<br />

règles que nous savons appliquer mais que nous nommes incapables d’é-.<br />

foncer” (p. 22).<br />

37 —


— 3h —<br />

“Le point important est que tout homme qui grandit dans une<br />

cultue donnée trouvera <strong>en</strong> lui—même <strong>de</strong>s règles — ou peut découvrir<br />

qu’il agit <strong>en</strong> accord avec <strong>de</strong>s règles — et reconnaîtra semblablem<strong>en</strong>t<br />

que les actions <strong>de</strong>s autres sont conformes ou flOfl—conformes à diver-.<br />

rgles” (ibid.).<br />

Donc, les règles, bi<strong>en</strong> que flOncoflscj<strong>en</strong>tes sont connues,<br />

dans la mesure ou ellan peuv<strong>en</strong>t être reconnues. Les <strong>de</strong> faite<br />

ou leZ.! d’actes <strong>en</strong> jeu dans la pratiqua sont reconnaissables<br />

au a<strong>en</strong> d’une “pattern reoognitionI, une”reconnaisuance do formec”<br />

Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> cette capacité <strong>de</strong> reconnaissance, pouvonanos<br />

dire e.. repr<strong>en</strong>ant l’exemple du langage, comme <strong>de</strong> ce que les lingujse<br />

5<br />

appe11nt “Compéteflce’ Tout locuteur parlant une langue est “compé-.<br />

tant” dans cette langue, même s’il n’a aucune connaissance linguja...<br />

tique (aucun savoir do la langue, considérée comme objet do nci<strong>en</strong>ce)<br />

Cette “oomp6t<strong>en</strong>oe’ se traduit simpleme par le fait qu’il reconnaît<br />

immédja amant si une phrase prononcée <strong>de</strong>vant lui est correcte ou in-.<br />

correct . Cette reconnajscftnoe peut être parfaitem<strong>en</strong>t accomplie par<br />

un anal habète.<br />

Hayek dit qu’il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même pour d’autres domaines <strong>de</strong><br />

normes. i je séjourne à létrag, je trouve le comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

g<strong>en</strong>s dans la rue, surtout relativem<strong>en</strong>t aux rapports humain<br />

5, aux at<br />

titu<strong>de</strong>s, etc., sinon incorrect, du moins “bizarre”, alors que jo suiu<br />

intégré tout naturellem<strong>en</strong>t dans mon propre pays. Autrem<strong>en</strong>t dit je<br />

parfaitem<strong>en</strong>t la conformité ou la non—confO.,,ité dos compor...<br />

tem<strong>en</strong>ts certaines normas. Mais là <strong>en</strong>core ii no s’agit pas d’une con—<br />

naiesanc consci<strong>en</strong>te et déterminée. Je ne pourrais pas, le plus souv<strong>en</strong>t,<br />

dire préc sém<strong>en</strong>t le comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s étrangers est bizarre ou<br />

anormal ( f. t. 2, PP. 13—14). Si je comm<strong>en</strong>ce une telle analyse, c’est<br />

du fait d une j sition réflexjve que je pr<strong>en</strong>ds délibérém<strong>en</strong>t posjtion<br />

qui fait ne je ne suis plus dans les conditions normales <strong>de</strong> la pra—<br />

tiquo au $ei du milieu considéré<br />

— 39 —<br />

Ainsi l”esprit” est normalem<strong>en</strong>t constitué <strong>de</strong> schèmes abe—<br />

traits non—consci<strong>en</strong>ts, qui d’ailleurs ne détermin<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t<br />

nos’réponmem”au.x stimulations <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, maie bi<strong>en</strong> notre<br />

perception <strong>de</strong> cet <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t même et <strong>de</strong>s”questions” qu’il nous<br />

pose. Nous sommes adaptés à cet <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que nous<br />

oj5<br />

ne percevons <strong>de</strong> lui (sauf exception, source <strong>de</strong> 11<br />

1 cf. t. 2,<br />

p. 25) que le type d’informations auxquellem flous sommes pré<br />

parés à répondre par les sohèmes que noue avons <strong>en</strong> nous.<br />

Précisons la nature <strong>de</strong> ces schèmes et la façon dont ils<br />

intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans l’action humaine. Ils sont à rapprocher <strong>de</strong> la<br />

notion aristotélico—thomiste d’exis, habitus, diepositionm tempo<br />

raires ou perman<strong>en</strong>tes à agir ou à p<strong>en</strong>ser dans tel s<strong>en</strong>s, notion par<br />

laquelle cette tradition complétait son analyse <strong>de</strong> l’aote humain et<br />

montrait qu’il n’était pas déterminé par la meule nature d’un côté<br />

ou par le seul intellect déductif <strong>de</strong> l’autre.<br />

“Chaque fois qu’un <strong>de</strong> situation réveille dans un indi<br />

vidu une t<strong>en</strong>dance.à répondre selon un schéma d’actions déterminé<br />

(pattarn 0f response), cette relation fondam<strong>en</strong>tale qu’on désigne par<br />

le mot abstrait est prés<strong>en</strong>te” (t. I, p. 34).<br />

En d’autres termes, <strong>de</strong>s stimuli définis ne suscit<strong>en</strong>t pas<br />

directem<strong>en</strong>t, dana le système nerveux concerné, <strong>de</strong>s réponses définies,<br />

selon le schéma behavioriste stimulus—réponse. Mais “certaines sortee<br />

et configuration <strong>de</strong> stimuli mobilisant certaines t<strong>en</strong>dances à agir dans<br />

<strong>de</strong>s s<strong>en</strong>s voisina” (ibid.), et cette mobilisation as fait par ‘pattcmrn<br />

recognition”. Mais comme est varié, il doit y avoir<br />

plusieurs formes reconnues dans chaque <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> circonstances, sus<br />

citant autant <strong>de</strong> types <strong>de</strong> réponses. De sorte que uniquem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

la surimposition <strong>de</strong> nombreuses t<strong>en</strong>dances <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re que se dégage<br />

finalem<strong>en</strong>t l’action précise qui intervi<strong>en</strong>dra” (ibid.).<br />

Il y a donc indéterminisme, pluralité <strong>de</strong>s issues possibles;<br />

et néanmoins détermination <strong>de</strong> certains typas <strong>de</strong> réponses possibles.


- 1:0 —<br />

Les :ohèmes Prés<strong>en</strong>ts dans l’esprit <strong>de</strong> l’individu ne<br />

pas<br />

l’empêcheront<br />

L’être libre (il n’y a pas <strong>de</strong> déterminisme mécanique)<br />

fero: t<br />

mais<br />

qu’il se comportera d’une certaine manière dans un<br />

type <strong>de</strong><br />

Certain<br />

circona-tanoes, au lieu d’être indifféremm<strong>en</strong>t porté<br />

n’ im orte<br />

vers<br />

quel comportem<strong>en</strong>t Nais C’est Cela même qui<br />

une<br />

constjtu 5<br />

s iaptatjon La limitation <strong>de</strong> l’év<strong>en</strong>tail da réponses<br />

expri ne<br />

possibles<br />

une Connaissance, exactem<strong>en</strong>t comme on dit, <strong>en</strong><br />

l’jnf<br />

théorie<br />

rmation,<br />

<strong>de</strong><br />

qu’une information est d’autant plus riche<br />

est p us<br />

qu’elle<br />

improbable. La prop<strong>en</strong>sion à se comporter dans<br />

têt<br />

un<br />

qt e<br />

s<strong>en</strong>s<br />

dans<br />

plu—<br />

un autre, alors que tous les comportem<strong>en</strong>ts sont égale—<br />

m<strong>en</strong>t<br />

et cor<br />

ossibleu, correspond à une information sur l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

une connaiasanoe incorporée dans le schèmes<br />

L’action dans le temps prés<strong>en</strong>t consiste à trouver<br />

p0fl5g<br />

les<br />

les<br />

ré—<br />

plus adéquates dans <strong>de</strong>s situations Chaque<br />

ras,<br />

fois<br />

c<br />

singiljè..<br />

‘est—à—dire qui comport<strong>en</strong>t chaque fois un élém<strong>en</strong>t<br />

t<strong>en</strong>du,<br />

inédit,<br />

qui r<strong>en</strong>d<br />

mat-.<br />

inadéquate toute répétition mécanique<br />

portem,<br />

d’un<br />

nt.<br />

même<br />

Si,<br />

coin—<br />

dans la la fabrication, une<br />

peut<br />

même<br />

êl re<br />

procédure<br />

indéfinim<strong>en</strong>t répétée et aboutir chaque fois<br />

duit,<br />

au même<br />

ans<br />

pro—<br />

laJ!, l’action <strong>en</strong> univers complexe,<br />

détermj<br />

aucune<br />

née<br />

conduite<br />

ne peut être répétée à l’i<strong>de</strong>ntique (sauf dans les •‘ilêts”<br />

exemple<br />

serait<br />

la prob<br />

dans un<br />

réussie<br />

organisé existant dans l’océan d’ordre social spontané: par<br />

la procéduro judiciaire, cf. t. I, P. 150). L’acteur sooial<br />

Lono totalem<strong>en</strong>t désarmé s’il n’avait pas <strong>en</strong> mémoire, <strong>de</strong>vant<br />

ème singulier et inédit qui se pose à lui 1i<strong>en</strong>t!<br />

un certain type <strong>de</strong> réponses correspondantes<br />

Et l’action a d’autant p’us <strong>de</strong> chances d’être adaptés et<br />

que cette mémoire est plus riche.<br />

“Comme la plupart <strong>de</strong>s 2ls, les règles ne sont pas<br />

lém<strong>en</strong>t<br />

un<br />

d ‘un<br />

é—<br />

plan d’aotion, mais plutùt un équipem<strong>en</strong>t pour<br />

hasards<br />

certains<br />

:.n<strong>en</strong>eo) inconnus. De la même façon, une<br />

tie <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong><br />

n<br />

par—<br />

s activités est guidée non par une cormaissance <strong>de</strong>s besdins<br />

— 41 —<br />

particuliers que serv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> définitive cas activités, maie par un<br />

désir une réserve et <strong>de</strong> connaissances, ou <strong>de</strong><br />

manoeuvrer pour être <strong>en</strong> position favorable, <strong>en</strong> bref d’amasser du<br />

“capital” au plus large s<strong>en</strong>s du terme, <strong>en</strong> p<strong>en</strong>sant qu’il vi<strong>en</strong>dra<br />

bi<strong>en</strong> à point dans le type <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> où nous vivons. Et ce g<strong>en</strong>re d’ac<br />

tivités semble <strong>en</strong> vérité <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir prépondérant au fur et à mesure que<br />

nous <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ons plus intellig<strong>en</strong>te. Nous noue adaptons <strong>de</strong> plna <strong>en</strong> plus,<br />

non à <strong>de</strong>s ciroonstanoes particulières, maie <strong>de</strong> façon à accroltre no<br />

tre adaptabilité à <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> circonstances qui peuv<strong>en</strong>t se prés<strong>en</strong><br />

ter. L’horizon <strong>de</strong> nos visées (the horizon 0f oui’ sight) consiste sur<br />

tout <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>s, non <strong>en</strong> buts ultimes déterminés” (t. 2, p. 27).<br />

Certains schémas stimulus—réponse sont <strong>en</strong> nous <strong>de</strong> façon in<br />

née par la sélection naturelle qui aboutit à notre génome. La sooio—<br />

biologie et l’éthologie ont mis <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce l’exist<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> nous,<br />

<strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances, égalem<strong>en</strong>t innées, à adopter certains types <strong>de</strong> comporte<br />

m<strong>en</strong>t. Néanmoins ltayelc ne s’intéresse ici quaux schèmes qui sont <strong>en</strong><br />

nous au terme d’une sélection oulturella et sans inscription géné<br />

tique connue. Une réalité culturelle miii g<strong>en</strong>eris, un <strong>en</strong>semble <strong>de</strong><br />

schèmes complexe, stratifié, doté d’une certaine inertie, maie d’une<br />

durés sans commune mesure avec le temps nécessaire à l’évolution bio<br />

logique.<br />

Ces schèmes sont pour nous une “secon<strong>de</strong> nature” (comme di<br />

sait précisém<strong>en</strong>t Aristote au sujet <strong>de</strong>s dispositions perman<strong>en</strong>tea8)),<br />

ou <strong>en</strong>core un <strong>en</strong>semble d”instincts” ou (termes que<br />

Hayek admet l’un et l’autre). Mais il ne faut pas pr<strong>en</strong>dre “instinct”<br />

au s<strong>en</strong>s d”instinot naturel” génétiquem<strong>en</strong>t programmé. Et si<br />

tion” est une connaissance non consci<strong>en</strong>te, elle ne se situe dans au<br />

cun “inooneci<strong>en</strong>t” <strong>de</strong> type freudi<strong>en</strong>, pour une raison précisez l’in<br />

consci<strong>en</strong>t freudi<strong>en</strong> suppose <strong>de</strong>s int<strong>en</strong>tions cachées. La règle hay-eki<strong>en</strong>—<br />

ne, elle, n’a pas d’int<strong>en</strong>tion, puisqu’il n’y a pas, dans ce cas, <strong>de</strong><br />

représ<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la relation <strong>en</strong>tre une cause et un effet. Prêter une<br />

int<strong>en</strong>tion à une réalité inconsci<strong>en</strong>te relève, selon Ilayek, <strong>de</strong> la “mys—


tique”<br />

- 112 — — “3 —<br />

laquelle il r<strong>en</strong>voie l’inconsci<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la Psychanalyse.<br />

“Il sera peut—être clair maint<strong>en</strong>ant que notre insistance<br />

cOnsta: te sur le caractère non—rationnel (au s<strong>en</strong>s “cartési<strong>en</strong>”) <strong>de</strong><br />

beaucot p <strong>de</strong> nom actions n’a pas pour int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> minimiser ou <strong>de</strong><br />

critiqa er cette façon d’agir, mais au contraire <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> relief<br />

l’une è es raisons qui la r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt efficace; non pas <strong>de</strong> suggérer<br />

flous <strong>de</strong><br />

que<br />

irions essayer <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre pleinem<strong>en</strong>t pourquoi nous<br />

ce<br />

faisons<br />

que ious faisons, mais <strong>de</strong> montrer que cola n’est pas possible et<br />

que nou pouvons faire usage d’une aussi riche expéri<strong>en</strong>ce, non<br />

que<br />

parce<br />

flou I possédoii nette expéri<strong>en</strong>ce, mais parce que, sans que nous le<br />

sachioni<br />

p<strong>en</strong>sée<br />

i, elle s’est incorpor,e ( cor orated) dans les schémas <strong>de</strong><br />

qui nous conduis<strong>en</strong>t” (t. I, p. 35).<br />

+<br />

++<br />

Les schèmes sont <strong>en</strong> nous et détermin<strong>en</strong>t notre action <strong>de</strong> ma<br />

nièra no l—consci<strong>en</strong>te. Mais certains <strong>de</strong> ces schèmes peuv<strong>en</strong>t être pris<br />

<strong>en</strong> coflsc .<strong>en</strong>ce et verbalisés. L’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s “sci<strong>en</strong>ces normatives”,<br />

la moral,<br />

dologie<br />

le droit, mais aussi la grammaire, l’esthétique, la métho—<br />

es sci<strong>en</strong>ces, etc., vis<strong>en</strong>t à formuler les règles <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et<br />

ce qui facilite leur mémorisation, leur évolution et leur<br />

Oomp1exj ication, sans jamais aboutir à la formulation <strong>de</strong> théories<br />

dont las actes humains ne serai<strong>en</strong>t que <strong>de</strong>s applications, déterminées<br />

par la ra Eson déductive.<br />

lans examiner ici cette question, complexe <strong>en</strong>tre toutes, du<br />

“Va et vi’ int” <strong>en</strong>tre schèmes inconsci<strong>en</strong>ts et normos explicites,<br />

un<br />

notons<br />

fait r ‘marquable, que flayek souligne à plusieurs reprises. L’abstrac.<br />

tion <strong>de</strong>s<br />

exprimés<br />

chèmes se marque dans la forme <strong>de</strong> ceux d’<strong>en</strong>tre eux qui sont<br />

erbalem<strong>en</strong>t.<br />

etto forme eut toijoura g,n,irao, CO fiont, préci<br />

règles, c<br />

dos<br />

est—à—dire doo prolcrIptjonø c<strong>en</strong>u,5<br />

0,j s’appliquer à un noie—<br />

bre indéterminé <strong>de</strong> cas. Mais une manière radicale, pour une règle<br />

énoncée verbalem<strong>en</strong>t, générale, est d’être exprimée sous une<br />

forme négative. Dire ce qu’il ne faut faire, c’est laisser ouver<br />

te la possibilité d’une infinité d’actes positifs particuliers à ac<br />

complir. Par les règles négatives (les interdite) on est donc seule<br />

m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>cadré, canalisé dans l’action, mais celle—ci n’est pas déter<br />

minée. Les règles “sont à peu près toutes négatives, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’<br />

elles prohib<strong>en</strong>t plutt que11es n’<strong>en</strong>joign<strong>en</strong>t certains g<strong>en</strong>res d’actes”<br />

(t. 2, p.42).<br />

Soit les Dix Comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts: tu ne tueras pas, tu ne voleras<br />

pas, tu ne commettras pas l’adultère... Ou la morale courante: ne pas<br />

m<strong>en</strong>tir, ne pas reculer face au danger... Ou l’hygiène: ne pas abuser<br />

<strong>de</strong> la nourriture ou <strong>de</strong> la boisson.. • Ou <strong>de</strong>s textes énonçant <strong>de</strong>s “prin<br />

cipes généraux du droit”: ne pas emprisonner quelqu’un sans raison, no<br />

pas lui faire subir <strong>de</strong> rigueurs qui ne serai<strong>en</strong>t pas nécessaires...<br />

Il est typique, dit Hayek, que le droit commun britannique<br />

traditionnel ne connaisse qu’un seul cas où une règle impose positive<br />

m<strong>en</strong>t un <strong>de</strong>voir, “celui d’assistance aux personnes <strong>en</strong> péril <strong>en</strong> haute<br />

mer” (t. 2, p. 43). Toutes les autres règles sont <strong>de</strong>s limitations<br />

ou <strong>de</strong>s prohibitions.<br />

Quand la forme <strong>de</strong>s règles n’est pas explicitem<strong>en</strong>t négative,<br />

elle reste générale: respecter ses par<strong>en</strong>ts, aimer Dieu, la patrie,<br />

supporter etoquem<strong>en</strong>t le malheur, disposer ses argum<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> allant du<br />

plus faible au plus fort, rechercher l’élégance, etc.<br />

“Des règles qui ne dépén<strong>de</strong>nt pas dé la fin poursuivie, <strong>en</strong> ce<br />

s<strong>en</strong>s qu’elles ne sont pas spéciales aux individus qui vis<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

objectifs spécifiquem<strong>en</strong>t désignés, ne peuv<strong>en</strong>t non plus prescrire net—<br />

t<strong>en</strong><strong>en</strong>t une action déterminée, mais seulem<strong>en</strong>t borner le champ <strong>de</strong>s g<strong>en</strong><br />

res d’action qui sont permis, et laisser la décision quant aux choix<br />

do la démarche à l’acteur, <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> ses propres buts” (t. 2,<br />

p. 44).


Le règles aonL générale<br />

5 Parcs quo c’est seulem<strong>en</strong>t ainsi<br />

qu’al e peuv<strong>en</strong>t servir <strong>de</strong> base aux Prévisions, et par oonséque di<br />

minue la complexité <strong>de</strong> l’univers eoojag “Le filtrage que les règles<br />

<strong>de</strong> jus e conduit<br />

5 ont dI subir dans le processus <strong>de</strong> leur évolution<br />

pour d v<strong>en</strong>ir générae<br />

5 (et habituellem<strong>en</strong>t négatives) est celui d’un<br />

test négatjf il a été néceSsaire do reformuler graduelle...<br />

m<strong>en</strong>t Ces règles<br />

effets I artili<br />

ui ne auv<strong>en</strong>t être Connus <strong>de</strong> Ceux uj doiv<strong>en</strong>t<br />

les Seules peuv<strong>en</strong>t satisfaire à ce critère les règles<br />

qui ne iép<strong>en</strong>dsnt d’aucune int<strong>en</strong>tion Concrète et se réfèr<strong>en</strong>t unique<br />

m<strong>en</strong>t à les faits que connaiss<strong>en</strong>t ou peuv<strong>en</strong>t aisém<strong>en</strong>t vérifier ceux<br />

qui doi’front les respecter11 (t. 2, p. 47), o’est_à...dire à <strong>de</strong>s<br />

récur,.- ta <strong>de</strong> faite qui constitu<strong>en</strong>t l’univers commun <strong>de</strong>s oc—acteurs<br />

Montrons <strong>en</strong> effet maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> quoi lexjflfl<br />

00 <strong>de</strong> aahème<br />

abstraits dans l’esprit do chaque individu peut r<strong>en</strong>dre Possible un<br />

ordre global, autrem<strong>en</strong>t dit permettre une<br />

dans<br />

coordination<br />

l’univers<br />

<strong>de</strong>s<br />

non_organj<br />

activités<br />

muns mimpljfj<br />

— 1111<br />

5 complexe. L’exist<strong>en</strong>ce do ses schèmes Com<br />

5 cet univers et y rétablit une certaine prévisibilité<br />

+<br />

++<br />

social “ne signifie pas forcém<strong>en</strong>t que les différ<strong>en</strong>...<br />

tes peranines, placées dans <strong>de</strong>s circonstances semblables, agiront<br />

exactemet <strong>de</strong> nime; mais simplem<strong>en</strong>t que, pour la formation d’un<br />

tel ordr, il est nécessaire que sous certains rapports tous l<strong>en</strong><br />

indjvidu suiv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s règles déterminées ou que leurs actions<br />

ne débor<strong>de</strong>nt pas certaines limites. Autrem<strong>en</strong>t dit, pour qu’un cer<br />

tain ordre d’<strong>en</strong>semble S’établisse, il suffit que les réponses <strong>de</strong>s<br />

ifldjyjdu aux événem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> leur milieu soi<strong>en</strong>t semblables dans un<br />

certain rombre d’aspecte abstraits” (t. i, p. 52).<br />

:<br />

:v.<br />

‘, 1•<br />

,.. e...<br />

l;<br />

Il faut que chacun puisse antioiper sur les comportem<strong>en</strong>ts<br />

d’autrui, les prévoir jusqu’à un certain point, et pouvoir compter<br />

qu’ils seront tels quelles que soi<strong>en</strong>t les circonstances particuliè<br />

res futures inconnues. C’est cette capacité d’anticipation <strong>de</strong>s con<br />

duites d’autrui qui diminue la complexité du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la praxis et<br />

fait que nous y sommes adaptés.<br />

“Nous p<strong>en</strong>sons d’habitu<strong>de</strong> que ce qui noue est familier et<br />

bi<strong>en</strong> connu, c’est le concret et le tangible, et il faut faire quel<br />

que effort pour noue r<strong>en</strong>dre compte que ce que nous avons <strong>en</strong> commun<br />

avec nos semblables n’est pas tant la connaissance <strong>de</strong>s mmem faits<br />

précis, que la connaissance <strong>de</strong> quelques omraotères (features)<br />

raux, et souv<strong>en</strong>t fort abstraits, d’un certain <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t” (t. 2,<br />

p. 13).<br />

“Plus la société s’ét<strong>en</strong>d, plus il est vraisemblable que le<br />

savoir que ses membres auront <strong>en</strong> commun portera sur <strong>de</strong>s caractères<br />

abstraits <strong>de</strong> choses et d’actions; et dans la Gran<strong>de</strong> Société ou 50—<br />

ciété Ouverte, l’élém<strong>en</strong>t commun dans la p<strong>en</strong>sée <strong>de</strong> tous sera presque<br />

<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t abstrait. Ce n’est pas l’attachem<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s choses parti<br />

culières, maie aux règles abstraites qui préval<strong>en</strong>t<br />

dans cette société, qui gui<strong>de</strong>ra ses membres dans leurs actions”<br />

(ibid.)<br />

— “5 —<br />

“Go qui r<strong>en</strong>d les hommes membres <strong>de</strong> la mime civilisation et<br />

ion met à mme <strong>de</strong> vivre <strong>en</strong>semble pacifiquem<strong>en</strong>t, c’est que dans la<br />

poursuite <strong>de</strong> leurs fins propres, les mobiles particuliers du mom<strong>en</strong>t<br />

qui décl<strong>en</strong>ch<strong>en</strong>t leurs efforts vers <strong>de</strong>s rédultats dberminés sont<br />

guidée et cont<strong>en</strong>us par les mimes règles abstraites. Si l’émotion et<br />

l’impulsion leur die<strong>en</strong>t ce qu’ils désir<strong>en</strong>t, les règles conv<strong>en</strong>tionnel<br />

les leur dis<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t il leur sera poanible et permis d’y parv<strong>en</strong>ir.<br />

L’acte, ou la volition, est toujours un événem<strong>en</strong>t particulier, concret<br />

et individuel, tandiB que les règles communes qui le gui<strong>de</strong>nt sont so<br />

ciales, générales et abstraites. si<strong>en</strong> que les hommec, individuellem<strong>en</strong>t,


ai<strong>en</strong> <strong>de</strong>s déeirs imilajres <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’ils recherch<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cho<br />

ses Similaires, les objets <strong>en</strong> eux—mêmes seront <strong>en</strong> général distincts<br />

et dffér<strong>en</strong>ts Ce qui concilie le individu<br />

5 <strong>en</strong>tre eux et les lie<br />

<strong>en</strong>se,rble dans u tissu Social commun et durable, c’est qu’à ces dit—<br />

tér<strong>en</strong> es Situations Particulières ils di!t <strong>en</strong> Suivant les<br />

rè le abstraites” (t. 2, p. 14).<br />

condition<br />

Le “li<strong>en</strong> social”, c’est donc le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />

0e mot au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> dikè et <strong>de</strong> kosmos (cf.<br />

p. 29. La justice n’est pas seulem<strong>en</strong>t un reoours, elle est la réfé-.<br />

r<strong>en</strong>ce Oommune qui fait que nous nous Vivons bi<strong>en</strong> comme appart<strong>en</strong>ant<br />

au m e mon<strong>de</strong> que nos part<strong>en</strong>aires, que nous Voyons le mon<strong>de</strong> avec les<br />

mêmes catégories Notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t humain nous est connu <strong>en</strong> ce<br />

s<strong>en</strong>s, na1gré sa complexité.<br />

“Toute notre conception <strong>de</strong> la justice reporte sur la convic<br />

tion qe <strong>de</strong>s diverg<strong>en</strong>ces sur <strong>de</strong>s cas d’espèce sont susceptibles d’ê<br />

tre rémolues par la découverte <strong>de</strong> règles qui, une fois formulées,<br />

<strong>en</strong>tralr<strong>en</strong>t un ass<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t général. N’était le fait qu’il nous arrive<br />

souv<strong>en</strong> <strong>de</strong> découvrir que nous sommes d’aocord sur <strong>de</strong>s principes géné-.<br />

raux qii mont applicables, alors même que nous avons comm<strong>en</strong>cé par ê—<br />

tre <strong>en</strong> désaccord sur le cas d’espèce, l’idée même <strong>de</strong> justice perdrait<br />

toute 5ignifjcatjo (t. 2, p. 18).<br />

prév<strong>en</strong>j<br />

taines<br />

“Ainsi les règles <strong>de</strong> juste conduite serv<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t à<br />

le conflit ot à faciliter la coopération <strong>en</strong> éliminant cer—<br />

ources d’incertjtu<strong>de</strong>I (t. 2, p. 45).<br />

+<br />

—<br />

—<br />

:<br />

q<br />

I<br />

•1<br />

Maia<br />

flirnporte quel comportem<strong>en</strong>t<br />

régulier <strong>de</strong>s individus ne suffirait• à assurer une coordina<br />

tion effective <strong>de</strong>s activités. Tout dép<strong>en</strong>d du cont<strong>en</strong>u même <strong>de</strong>s<br />

règles,<br />

“Ce n’est pas n’importe quelle régularité dans le compor<br />

tem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts qui procure un ordre générali. Certaines règles<br />

gouvernant la conduite individuelle peuv<strong>en</strong>t clairem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dre im<br />

possible la formation d’un ordre général. Notre problème est <strong>de</strong><br />

savoir quelle sorte <strong>de</strong> règles <strong>de</strong> conduite proourera un ordre <strong>de</strong><br />

société, et quelle sorte d’ordre produiront certaines règles défi<br />

nies.<br />

“L’exemple classique <strong>de</strong> règles <strong>de</strong> conduite <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts<br />

qui ne produiront auoun ordre provi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>oes physiques t o’est<br />

la eeoon<strong>de</strong> loi <strong>de</strong> la thermodynamique, ou loi d’<strong>en</strong>tropie, selon la<br />

quelle la t<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s molécules d’un gaz à se mouvoir <strong>en</strong> ligne<br />

droite à une vitesse constante produit un état pour lequel on a for<br />

gé l’expression <strong>de</strong> “démordre panfait”. Similairem<strong>en</strong>t, il est évi<strong>de</strong>ttt<br />

que certains comportem<strong>en</strong>ts parfaitem<strong>en</strong>t réguliere <strong>de</strong>s individus ne<br />

pourrai<strong>en</strong>t provoquer que du désordre: si la règle était que tout un<br />

chacun doive essayer <strong>de</strong> tuer quiconque se trouve sur sa route, ou<br />

doive fuir dès qu’il voit quelqu’un d’autre, le résultat serait évi<br />

<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t l’impossibilité complète d’un ordre dans lequel les activi—<br />

tés <strong>de</strong>s individus soi<strong>en</strong>t fondées sur la collaboration avec autrui”<br />

(p. 51).<br />

Un ordre spontané optimal “ne peut évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t être réalisé<br />

qu’<strong>en</strong> protégeant certaines antioipation et non toutes; et le pro<br />

blème c<strong>en</strong>tral est <strong>de</strong> savoir lesquelles doiv<strong>en</strong>t être garanties pour<br />

porter au maximum la possibilité que les att<strong>en</strong>tes soi<strong>en</strong>t générale<br />

m<strong>en</strong>t satisfaites” (p. 128).<br />

— “7 —<br />

C’est ici que nous retrouvons, dans toute sa force, le pro<br />

blème épistémologique que nous posions tout—à—l’heure.


d<br />

—<br />

—<br />

Puisque l’univers est complexe, les bonnes règles, à la<br />

ifféonce <strong>de</strong>s règles d ‘organisi dans un univers déterministe<br />

ne pe v<strong>en</strong>t otre établies â partir d’une théorie donnant<br />

un modèle exact <strong>de</strong> l’univers social. Comm<strong>en</strong>t peuv<strong>en</strong>t_elles donc<br />

,, ;<br />

s Com,nont le savoir qu’elles constituant peut—il u’Lla— § ‘<br />

borer’ Comm<strong>en</strong>t vont être déLer,m:jné at discriminées parmi tous le<br />

Comportem<strong>en</strong>ts possibles Ce11<br />

5 <strong>de</strong>s règles dont la va1orjsitjo et<br />

la prtectjon sont nécessaires, parce que1 0e trouvo, CulIOO1—<br />

rjr eifectivem<strong>en</strong>t à la coordjflatjon <strong>de</strong>s aotjono humaines? -<br />

i<br />

I<br />

L’origine <strong>en</strong> règles abstraites<br />

![ayek dit que les règles sont “sélectionnées”, au s<strong>en</strong>s m—<br />

me — à une réserve près, d’autours ess<strong>en</strong>tielle—<strong>de</strong> la sélection<br />

naturelle dc Darwin.<br />

tlnonçons d’abord la thèse dans ma généralité. Au départ,<br />

cortains comportem<strong>en</strong>ts nouveaux sont <strong>en</strong>nayés par hasard (ou dans<br />

une certaine int<strong>en</strong>tion, mais qui peut tre très différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’ef—<br />

fet réellem<strong>en</strong>t produit; peu importe à ce sta<strong>de</strong>) par certains mdi—<br />

vidiis. Si ces types <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t me révèl<strong>en</strong>t bénéfiques, pour<br />

l’individu ou pour ses part<strong>en</strong>aires, ils sont, <strong>de</strong> proche <strong>en</strong> proche,<br />

imités. Ie groupe qui les adopte se trouve ainsi <strong>en</strong> position <strong>de</strong> mu—<br />

périorité mur les autres groupes. Soit qu’il les élimine, soit qu’il<br />

soit Imité par eux, le comportem<strong>en</strong>t bénéfique <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t préval<strong>en</strong>t.<br />

flo sorte qu’à un mom<strong>en</strong>t donné do l’évolution culturelle, tous tes<br />

comportem<strong>en</strong>ts valorisés eubsitanta, toutes loe règles abstraites<br />

acluellem<strong>en</strong>t vali<strong>de</strong>s et inscrites dans les psychismes individuels<br />

sous forme dc “patterns” do poneée ou d’sction, peuv<strong>en</strong>t être consi—<br />

dârée comme ayant triomphé dans le passé d’autres comportem<strong>en</strong>ts moins<br />

bénéfiques. Ainsi est effectivem<strong>en</strong>t produit un savoir, qui n’a jamais<br />

existé soue forme <strong>de</strong> théories dans la oonsoj<strong>en</strong>ce d’aucun individu.<br />

“Il y n, dit cep<strong>en</strong>dant iiayok, d’importantos différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong><br />

tre la façon dont opère le processus <strong>de</strong> sélection dans la transmis—<br />

eton culturelle qui conduit è la formation <strong>de</strong>s institutions sociales,<br />

et dans la aéleotion <strong>de</strong>s caractèrem biologiques innée et leur trans—


missjo par héritage biologique. L’erreur du “8ocja1_darwjflisme.<br />

fut <strong>de</strong> ne conc<strong>en</strong>trer sur la sélection d’individus pltitt que sur<br />

celle Ies institutjo et <strong>de</strong>s pratiques, et sur la sélection <strong>de</strong>s<br />

aptjtu,es innées <strong>de</strong>s individus plutôt que sur celle <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s<br />

trans,,,jses aultiiroltem<strong>en</strong>tu (p. 27).<br />

La sélection culturelle, comme la sélection naturelle, est<br />

un ‘r4oessus concurr<strong>en</strong>tje1e (proceos oC competitjon) (t.), p. 185),<br />

“oompaxage au vanage et au filtrage” (t.), p.186), mais qui prés<strong>en</strong>te<br />

par ra port à la sélection naturelle la différ<strong>en</strong>ce suivante:<br />

h La “réussite” qui va assurer à la règle d’être mémorisés<br />

“n’est pas, le plus eouv<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> procurer un avantage discernable à<br />

1’indjvjdu qui (agit), maie plutôt d’accroitre les chances <strong>de</strong> survie<br />

duuquel ii (apparti<strong>en</strong>t)” (t.I, p. 22I). “La sélection<br />

oPérerai <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s sociétés <strong>de</strong> différ<strong>en</strong>ts types, c’est_idire sera<br />

guidée ar les propriétés <strong>de</strong> leurs ordres respectifs” (p. 52).<br />

Il n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>meure pas moins que “les propriétés sur lesquelles<br />

ces ordi-es repos<strong>en</strong>t seront <strong>de</strong>s caractères <strong>de</strong>s individus, à savoir la<br />

prop<strong>en</strong>sion à obéir à certaines règles <strong>de</strong> conduite sur lesquelles<br />

s’appuj l’ordre d’aotjon d groupe dans eon <strong>en</strong>semble (ibid.)<br />

Ainsi, l’ordre <strong>de</strong>s activités du groupe “doit être nettem<strong>en</strong>t<br />

dietjngé <strong>de</strong>s régularj4<br />

3 observées dans les actions individuelles,<br />

bi<strong>en</strong> quq cet ordre résulte <strong>de</strong> ces régularjt<br />

3• Car c’est <strong>de</strong> l’effi<br />

cacité e résultant <strong>de</strong> activités que découlera la supérjo...<br />

rité <strong>de</strong>q groupes dont les membres observ<strong>en</strong>t certajnea règles <strong>de</strong> con—<br />

.dujte” (p. 90).<br />

— 51) -<br />

Il faut dono conoevoir un prooessus complexe d’innovation,<br />

<strong>de</strong> diffusion dam pratiques, <strong>de</strong> contacts avec d’autres groupes, <strong>de</strong><br />

valorjsatjon et d’dljmatjon <strong>de</strong> ces Pratiques, etc., qui soit sponta<br />

né dans l’<strong>en</strong>semhle, ce qui ne signifie pas que les volontés individuel...<br />

les n’izttervj<strong>en</strong>neflt pas à divers sta<strong>de</strong>s du procesmjs, à la faveur <strong>de</strong><br />

diverses représ<strong>en</strong>tations que se font les individus. Ce proceauus doit<br />

I<br />

FN.<br />

ètre tel que <strong>de</strong>s groupes, ayant adopté oertains types <strong>de</strong> conduite,<br />

se trouv<strong>en</strong>t favorisés par rapport à d’autres; et soit qu’ils se re<br />

trouv<strong>en</strong>t seuls à survivre, soit qu’ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>oe à quelque<br />

<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> leur supériorité per rapport nux autres, ils valoris<strong>en</strong>t et<br />

reproduis<strong>en</strong>t ces pratiques—là.<br />

Dmz point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’individu, nul ne peut <strong>en</strong>visager les<br />

normes comme <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s déterminés <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> fins déterminées. L’in<br />

dividu adopte les normes du groupe “<strong>en</strong> bloc”. “La raison pour laquel<br />

le tous las individus membres du groupe font telle chose d’une certai<br />

ne manière ne sera souv<strong>en</strong>t pas que cette manière soit la seule qui<br />

conduise au résultat qu’ils cherch<strong>en</strong>t; la raison est alors que l’ordre<br />

du groupe dans le cadre duquel leurs actions individuelles ont <strong>de</strong>s<br />

chances <strong>de</strong> réussir ne peut tre préservé que s’ils agiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette<br />

manière exclusivem<strong>en</strong>t. Il se peut que le groupe ait subsisté seule<br />

m<strong>en</strong>t parce que les membres ont élaboré et transmis <strong>de</strong>s façons do faire<br />

les choses qui ont r<strong>en</strong>du le groupe plus efficaoe que d’autres; maie<br />

la raison pour laquelle certaines choses sont faites certaine<br />

façon n’a pas besoin d’être connue par l’un quelconque <strong>de</strong>s membres<br />

du groupe” (p. 97). Les règlee sont précisém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, pour les<br />

individus, <strong>de</strong>s “valeurs”, que Tlayek qualifie, <strong>en</strong> une expression re<br />

dondante qui r<strong>en</strong>force le s<strong>en</strong>s, <strong>de</strong> “valeurs finales” (p. 133): da<br />

injonctions qui justifi<strong>en</strong>t les actes, maie qui n’ont pas besoin<br />

d’être elles—mmes justifiées; <strong>de</strong>s “principes” d’action, les prémis<br />

ses du syllogisme pratique, comme dit Aristote, qui simpos<strong>en</strong>t d’eux-.<br />

mmee sans justification et màma, le plus souv<strong>en</strong>t, sans réflexion.<br />

Ce qui fait, d’ailleurs — noue le verrons plus loin — que les règles<br />

val<strong>en</strong>t chacune pour elle-.mme, sans avoir besoin d’tre déductible<br />

d’uns autre et reliée à toutes les autres par un système logique ou<br />

une dootrine culturelle<br />

— 51 —<br />

Ainsi, lorsqu’un individu dévie <strong>de</strong> la norme préval<strong>en</strong>te, on<br />

peut supposer qu’il le fait <strong>en</strong> vue d’un avantage particulier, ou<br />

plutêt <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> l’avantage réciproque d’un petit groupe <strong>de</strong> parte—


naire C’est cet avantage qui est susceptible d’tre consciemm<strong>en</strong>t<br />

perçupar d’autres part<strong>en</strong>aires, qui imiteront le comportem<strong>en</strong>t nou—<br />

veau, et seront eux—mêmes imités <strong>de</strong> proche <strong>en</strong> proche, jusqu’à ce que<br />

le groupe <strong>en</strong>tier l’ait adopté, et que la règle <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>ne par exemple<br />

une rgle juridique édictée par une instance Politique représ<strong>en</strong>tant<br />

La toaljté du groupe. Il n’<strong>en</strong> reste pas moins vrai que, d’une part,<br />

l’indjjvidu innovant n’a pas agi <strong>en</strong> ayant pour fin la prospérité du<br />

groupe <strong>en</strong>tier; et, d’autre part, que quand bi<strong>en</strong> nième ii aurait eu <strong>en</strong><br />

vuS scr1 propre avantage, cet avantage n’est nullem<strong>en</strong>t i<strong>de</strong>ntique, ni<br />

même Cpmm<strong>en</strong>surable, avec celui qui pourra év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t résulter<br />

pour li <strong>de</strong> ce que la nouvelle pratique aura été adoptée par l’<strong>en</strong>sem<br />

ble dugroupe. Dans les <strong>de</strong>ux cas intervi<strong>en</strong>t la même barrière épité—<br />

mologiue <strong>de</strong> la complexité.<br />

Il y- a là un problème qu’on <strong>de</strong>vrait pouvoir traiter dane<br />

le cadie <strong>de</strong> l’individualisme méthodologique lîayelc <strong>en</strong> donne un curieux<br />

exemple.<br />

— 52 —<br />

“Quelqu’un peut parfaitem<strong>en</strong>t adopter une règle qui, à l’in<br />

térieur du système <strong>de</strong> règlos existant, conduit moins souv<strong>en</strong>t à do<br />

débojre que les règles établies et ainsi, introduisant une nouvelle<br />

règle, l accroIt la probabilité <strong>de</strong> non—échec <strong>de</strong>s prévisions <strong>de</strong>s au<br />

tres me,bres <strong>de</strong> la société (...) Il peut être habituel dane une so<br />

ciété dOnnée <strong>de</strong> permettre que l’écoulem<strong>en</strong>t ds eaux, ou d’autres euh—<br />

ntanceg, <strong>de</strong> la terre qu’on pOnèdo è la terra du voj 5m <strong>en</strong>dn<br />

511<br />

,51.5 oet—<br />

te <strong>de</strong>rnièrej une telle néglig<strong>en</strong>ce peut alors être tolérée bi<strong>en</strong> quo<br />

fréqueme elle perturbe les plana légitimes <strong>de</strong> quelqu’un• Si alors<br />

un propziétaire, par égard pour non VOisiN, adopte une nouvelle règle<br />

prév<strong>en</strong>a,t cet écoulem<strong>en</strong>t dommageable, ii wnènera, par le fait qu’il<br />

<strong>de</strong> la pratique courante, une réduction <strong>de</strong> la fréqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s<br />

cas où g<strong>en</strong>s voi<strong>en</strong>t g.cher une chance <strong>de</strong> réaliser leurs plana; et<br />

une tell règle nouvelle, inaugurée par un seul, peut être adoptée <strong>de</strong><br />

proche e proche parce qu’eje S’ajuste micux au système <strong>de</strong> règles<br />

établi q’e la pratique prévalant jusqu’alors” (t. 2, PP. 29—30).<br />

1-<br />

++<br />

,..;<br />

,<br />

-î9 ‘<br />

:<br />

-.<br />

Après avoir dit comm<strong>en</strong>t, d’une façon générale, les règles<br />

sont sélectionnées, Tlayek examine laocjrajofl ess<strong>en</strong>tielle <strong>de</strong> ce<br />

processus que représ<strong>en</strong>te le passage <strong>de</strong>s sociétés archaïques aux so<br />

ciétés <strong>de</strong> droit.<br />

— 53 —<br />

“Certaines règles <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dront dominantes parce qu’elles<br />

gui<strong>de</strong>nt mieux les anticipations dans les relations avec d’autres per<br />

sonnes qui agiss<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t. De fait, la supériorité <strong>de</strong> cer<br />

taines règles <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dra évi<strong>de</strong>nte <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie parce qu’elles<br />

créeront un ordre efficace non seulem<strong>en</strong>t au sein groupe fermé,<br />

aussi <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s qui se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t per hasard et ne se<br />

connaiss<strong>en</strong>t pas personnellem<strong>en</strong>t” (p. 119). Ainsi les sociétés <strong>de</strong><br />

droit l’emporteront—elles peu à peu sur les sooiétém primitives,<br />

les sociétés où sont valorisées et garanties par une<br />

autorité politique <strong>de</strong>s règles non seulem<strong>en</strong>t abstraites au s<strong>en</strong>s dé<br />

fini plus haut, maie <strong>en</strong>core purem<strong>en</strong>t anonymes et universelles, <strong>de</strong>s<br />

règles “formelles”. Ces règles <strong>de</strong> droit permett<strong>en</strong>t donc <strong>de</strong>s antici<br />

pations correctes dans une société où l’on ne se connait pas, dans<br />

la”uociété oui’erte”, dans la (i<strong>en</strong>ellsOhaft opposée à la Gemeinnchaft.<br />

Elles permett<strong>en</strong>t donc la coordination <strong>de</strong>s actions sur une bi<strong>en</strong> plus<br />

vaste échelle. Donc une plus gran<strong>de</strong> division <strong>de</strong> la connaissance et<br />

du travail, donc une expon<strong>en</strong>tielle supériorité économique. D’où le<br />

succès <strong>de</strong>s groupes qui les ont adoptéea.<br />

Or les sociétés <strong>de</strong> droit sont celles qui ont adopté l’indt—<br />

vidualinme. ;,‘évolution <strong>de</strong>s règles dép<strong>en</strong>d <strong>de</strong> l’exist<strong>en</strong>ce d’individua<br />

lités originales, capables <strong>de</strong> se comporter <strong>de</strong> façon déviante, et <strong>de</strong><br />

la liberté qui leur est laissée d’une telle déviance. D’où le proces<br />

sus d’évolution culturelle littéralem<strong>en</strong>t expon<strong>en</strong>tiel qui s’est produit<br />

à nartir <strong>de</strong> cette émerg<strong>en</strong>ce historique décisive. Le droit permet le<br />

diss<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, le diss<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t permet la déviance et l’innovation,<br />

les expéri<strong>en</strong>ces, s’étant révélées bénéfiques, permett<strong>en</strong>t l’évolution<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la culture et l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la “civilisation” dans la pé<br />

rio<strong>de</strong> la plus réc<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’humanité.


“La plupart <strong>de</strong>s étapes dans l’évolution <strong>de</strong> la culture ont 443<br />

I .<br />

éte frnchiee grace a quelques individus rompant avec certaines r? glee<br />

tradit.onnelles et pratiquant <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t”<br />

(t. 3, p. 192). “Ces changem<strong>en</strong>ts (<strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> conduite) ont r<strong>en</strong>du<br />

l’évoljtion possible surtout <strong>en</strong> relâchant les interdictions, <strong>en</strong> dé—<br />

veiopp4nt la liberté individuelle avec <strong>de</strong>s règles protégeant l’indi—<br />

vidu plutt que lui ordonnant <strong>de</strong> faire telLe ou telle chose. Il ne<br />

fait gère <strong>de</strong> doute qu’à partir <strong>de</strong> la tolérance du troc avec l’étran<br />

ger, l. reconnaissance d’une propriété privée du sol, la sanction<br />

aooor<strong>de</strong> aux obligations contractuelles, la concurr<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre g<strong>en</strong>s du<br />

mime métier, la variabilité <strong>de</strong>s prix, le prit d’arg<strong>en</strong>t, spécialem<strong>en</strong>t<br />

moyonnait intért, fur<strong>en</strong>t, au début, <strong>de</strong>s infractions aux règles cou—<br />

tumièr4, autant do pertes <strong>de</strong> la grace. Et les transgresseurs, qui<br />

fur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s pionniers par la suite, n’introduisir<strong>en</strong>t certes pas <strong>de</strong>s<br />

règles iouvelles parce qu’ils reconnaissai<strong>en</strong>t qu’elles serai<strong>en</strong>t avan—<br />

tageuse pour la collectivité; ils inaugurèr<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s façons<br />

<strong>de</strong> fair qui leur étai<strong>en</strong>t avantageuses, lesquelles se montrèr<strong>en</strong>t hé—<br />

néfiqus pour le groupe lorsqu’elles se répandir<strong>en</strong>t” (t.j, p. 193).<br />

Ont été valorisés alors <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts non seulem<strong>en</strong>t non<br />

inetincifs qui ne faisai<strong>en</strong>t pas partie du génome biologique, main<br />

opposés à eux.<br />

<strong>de</strong>s principales fonctions <strong>de</strong>s règles apprises (dans<br />

les 500 générations les plus réc<strong>en</strong>tes, après peut—être 5000 généra<br />

tions djévolution culturelle) fut <strong>de</strong> bri<strong>de</strong>r les instincts innés ou<br />

naturelE, <strong>de</strong> la manière qui était requise pour r<strong>en</strong>dre possible la<br />

Société élargie. Nous sommes <strong>en</strong>core <strong>en</strong>clins à t<strong>en</strong>ir pour certain que<br />

ce qui st naturel doit tre bon; maie ce peut tre fort éloigné <strong>de</strong><br />

oc qui et bon dans la Société ouverte” (t. 3, p. 191).<br />

La civilisation n brimé la nature, mais il le fallait pour<br />

passer à une forme <strong>de</strong> vie supérieure. Les collectivismes et unanimis<br />

mes <strong>de</strong> guohe (socialisme) ou <strong>de</strong> droite (fascisme) sont, dit Hayek,<br />

<strong>de</strong>s protstations <strong>de</strong>s instincts animaux contre cette “émerg<strong>en</strong>ce” évo—<br />

lutiosnare (ii rejoint ainsi le thènea d K. Popper dans “La 50—<br />

—<br />

5’ —<br />

t,<br />

t,.<br />

ciété ouverte et ses <strong>en</strong>nemis”, quoiqu’il argum<strong>en</strong>te autrem<strong>en</strong>t ces<br />

thèses). Depuis lore, toute une série d’expéri<strong>en</strong>ces ont été faites,<br />

et c’est elles qui ont abouti à notre héritage culturel actuel <strong>en</strong><br />

tant que groupe oiviliaé.<br />

— 55 —<br />

En corollaire, l’unanimisme et l”égalitarisme” doiv<strong>en</strong>t<br />

avoir néoessairem<strong>en</strong>t pour effet <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre impossibles les déviances<br />

et les expéri<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong> bloquer l’évolution oulturollet “Dans une<br />

culture dégagée par la sélection <strong>de</strong>s groupes, l’imposition <strong>de</strong> l’éga<br />

litarisme arrte forcém<strong>en</strong>t l’évolution ultérieure” (t. 3, p. 205).


— 56 —<br />

Il <strong>en</strong> résulte une conséqu<strong>en</strong>ce ess<strong>en</strong>tielle. L’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s<br />

normes et valeurs d’une calture donnée n’est nullem<strong>en</strong>t irrationnel,<br />

au cont raire <strong>de</strong> ce que p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t les cartési<strong>en</strong>s. Il a cette rationa—<br />

lité pr ,pre d’être l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts “ohojsjs” à un mom<strong>en</strong>t<br />

§6<br />

La culture, savoir incorpor dans les tradition<br />

autre par le groupe, <strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce à d’autres. Il est ration—<br />

‘y conformer, si “raison” signifie pesée du pour et du contre,<br />

on, optimisation, choix du meilleur.<br />

5<br />

A un mom<strong>en</strong>t donné <strong>de</strong> l’évolution culturelle, disions—nous,<br />

tous I es comportem<strong>en</strong>ts valorisés subsistants, toutes les règles<br />

ab stra ites inscrites dans les psychismes individuels sous forme <strong>de</strong><br />

“patta rns” <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action ou d “valeura’, peuv<strong>en</strong>t tre con-.<br />

dérés omme le produit <strong>de</strong> la sélection culturelle. Ils ne sont pas<br />

là par hasard ou à la faveur <strong>de</strong> mutations purem<strong>en</strong>t arbitraires. Il<br />

y a ce, tes <strong>de</strong> la conting<strong>en</strong>ce dans l’évolution culturelle et historj—<br />

que, a us au point <strong>de</strong> départ seulem<strong>en</strong>t j la sélection reti<strong>en</strong>t les cas—<br />

portem nts seuls qui se sont révélés bénéfiques et au sujet <strong>de</strong>Bquels<br />

cxi ste t <strong>de</strong>s témoignages oonverg<strong>en</strong>ts et indép<strong>en</strong>dants parce que dia—<br />

chronjc uem<strong>en</strong>t répartis au long <strong>de</strong> plusieurs générations. Toutes les<br />

valeur, d’une société donnée peuv<strong>en</strong>t tre consjdérea comme <strong>de</strong>s<br />

I<br />

types e p<strong>en</strong>sée et d’aotion ayant triomphé dans la passé d’autres<br />

compori em<strong>en</strong>ts moine bénéfiques.<br />

ou à un<br />

nel <strong>de</strong><br />

estimat<br />

Nul ne saurait s’y- soustraire totalem<strong>en</strong>t sans pr<strong>en</strong>dre un très<br />

gros ru que, oelui <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir refaire lui—mime toutes les expéri<strong>en</strong>ces<br />

antériet res qui ont abouti à la eélection <strong>de</strong>s bons comportem<strong>en</strong>ts.<br />

S’ agisse nt collective et millénaire, c’est évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />

impossil le pour l’individu. La philosophie <strong>de</strong> la oonaoi<strong>en</strong>ce, le phi—<br />

losophèr e “phénoménologique” allant <strong>de</strong> Desoartes à Kant et à Husseri,<br />

parait j ai <strong>en</strong> défaut. Il n’y a pas d”aperception transc<strong>en</strong>dantale”<br />

posib1c<br />

<strong>de</strong> la totalitd du savoir incorporé par la culture. Aussi<br />

.1<br />

bi<strong>en</strong>, noue l’avons vu, ce savoir flefl_j pas incorporé dans <strong>de</strong>s<br />

idées, mais dans <strong>de</strong>s schèmes, que l’on peut certes traduire <strong>en</strong><br />

idées et <strong>en</strong> mots, mais qui ne s’i<strong>de</strong>ntifi<strong>en</strong>t pas à eux.<br />

Le véritable rationalisme consiste à reconnaître ce carac—<br />

tère du psychisme connaissant. Le cartésianisme apparaît a contrario<br />

comme irrationnel. L’idéal d’omnisci<strong>en</strong>ce est, littéralem<strong>en</strong>t, un pro<br />

duit <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée animiste ou magique. Le rationalisme qui consiste<br />

à reconnaître les limites d’un type <strong>de</strong> connaissance à la lumière d’un<br />

autre type <strong>de</strong> connaissance, qui parvi<strong>en</strong>t donc à augm<strong>en</strong>ter concrètem<strong>en</strong>t<br />

la connaiesince à la faveur flfl détour méthodologiue, mérite le<br />

nom <strong>de</strong> rationalisme critique. T{ayek repr<strong>en</strong>d à mon compte cette expres<br />

sion <strong>de</strong> Popper qui exprime la fin <strong>de</strong> l’idéal <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong> dans la<br />

sci<strong>en</strong>ce.<br />

“Les prét<strong>en</strong>dus anti—rationalistes (Man<strong>de</strong>ville, hume, Smith,<br />

Ferguson, flurke, Il, von Humboldt, F.O. von Savigny, H. Mains, C.M<strong>en</strong>—<br />

ger..,) soulign<strong>en</strong>t que pour r<strong>en</strong>dre la raison aussi efficace que pos<br />

sible il faut avoir consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s limites du pouvoir <strong>de</strong> la raison,<br />

et <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> que nous recevons <strong>de</strong> processus qui échapp<strong>en</strong>t à notre<br />

att<strong>en</strong>tion; c’est cela qui fait défaut au rationalisme constructivis<br />

te. Par conséqu<strong>en</strong>t, si l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par rationalisme le souci <strong>de</strong> r<strong>en</strong><br />

dre la raison aussi efficace que possible, je suis moi—i4me un ra<br />

tionaliste. Si, toutefois, le terme signifie que la raison consci<strong>en</strong>te<br />

<strong>de</strong>vrait déterminer chaque action particulière, je ne suis pas rationa<br />

liste et un tel rationalisme me paraît fort déraisonnable. Stirem<strong>en</strong>t,<br />

l’une <strong>de</strong>s tâches <strong>de</strong> la raison met <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r jusqu’où elle doit<br />

ét<strong>en</strong>dre son contrôle et dans quelle msure elle doit s’<strong>en</strong> remettre<br />

à d’autres forces (to rely on other forces) quel1e ne peut complè<br />

tem<strong>en</strong>t contrMer. Il est dono préférable, dans un tel oontexte, <strong>de</strong><br />

ne pas opposer rationalisme et anti—rationalisme, mais <strong>de</strong> distinguer<br />

<strong>en</strong>tre le rationalisme constructiviste et lévolutioflnisme, ou, selon<br />

les termes <strong>de</strong> Karl Popper, <strong>en</strong>tre un rationalisme naïf et un ratio<br />

nalisme critique”(t. I, p. 34).<br />

— 57 —


Ces “autres forces”, ce sont les savoirs produits par la<br />

sélefrtion culturelle, qui permett<strong>en</strong>t l’ajustem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s actions sana<br />

l’unvera Social complexe, et qui constitu<strong>en</strong>t non pas <strong>de</strong>s idées,<br />

mais les Schèmes dont l’”esprjt” est Constitd. “L’expéri<strong>en</strong>ce noqui-.<br />

se par les observations <strong>de</strong>s génération<br />

8 plus <strong>de</strong> connais-.<br />

sancs que n’<strong>en</strong> possè<strong>de</strong> aucun individu” (p. rii). T.’héritage cultu<br />

rel est fait <strong>de</strong> schèmes, <strong>de</strong> normes, <strong>de</strong> valeurs, réserve <strong>de</strong> réponses<br />

à apprter, directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t, à la faveuj. <strong>de</strong> “réorganjma_<br />

tions’ créatrices, aux stimulations nouvelles <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />

dono apacjté adaptative et condition <strong>de</strong> l’autonomie<br />

Cette mémo3re est un savoir au s<strong>en</strong>s fort du terme, l’idée<br />

même e “connaissance» implique <strong>en</strong> effet un rapport déterminé avec<br />

un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et c’est bi<strong>en</strong> Ce que conti<strong>en</strong>t la mémoire sociale<br />

ioi oc sidérée.<br />

Nous avons ici la Solution définitive du problème épist_<br />

mologj us posé par la Critique hayékj<strong>en</strong>ne du Cartésianisme Ce sont<br />

les sa oire Culturels qui rempliss<strong>en</strong>t la laCune laissée par leu<br />

théories et les idées Claires et distinctes.<br />

r<br />

Ce mot <strong>de</strong> “culture”, si chargé d’ambiguïté,<br />

trouve<br />

dans la théorie <strong>de</strong> llayek uns intelligibjljté nouvelle, la “culture”<br />

— d’une civilisation, d’une nation, maie aussi d’une catégorie so.<br />

ciale, ‘un groupe Professionnel, d’une institution, etC., c’est la<br />

mémoire <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> Comportem<strong>en</strong>t bénéfiqi,es sélecijonnées par le<br />

groupe, r<strong>en</strong>dant possible la “vie”, c’eSt_à_dir<br />

timale <strong>de</strong>s actions, au sein du groupe.<br />

6 la Coordination op<br />

La culture, notons—le au passage, n ainsi ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

affaire vec la le domaine <strong>de</strong>s actions, qu’il s’agisse<br />

d’actjon physiques ou <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée el)e—mme Ce<br />

ci est p adoxal, la culture pass<strong>en</strong>t d’ordinaire pour spéculative<br />

La culture est savoir <strong>de</strong> l’action parce<br />

représ<strong>en</strong>•<br />

qu’elle est<br />

‘atian <strong>de</strong><br />

d’abor(l<br />

l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t Cette représ<strong>en</strong>tation, elle aussi,<br />

t.<br />

‘ &<br />

:‘..<br />

., ,<br />

est héritée. flayek propose — suocintem<strong>en</strong>t — une version évolutio-’<br />

naire <strong>de</strong> l’a priorisme kanti<strong>en</strong>. Ce que noue recevons <strong>en</strong> héritant<br />

<strong>de</strong> la culture, c’est certaines catégories m<strong>en</strong>tales qui nous font<br />

nous intéresser et nous att<strong>en</strong>dre à certaine types d’informations<br />

v<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et non à d’autres. Noue percevons, dans<br />

notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, ce qui noue est utile pour l’action. “Toute<br />

notre civilisation repose sur le fait que nous présumons bi<strong>en</strong> plus<br />

<strong>de</strong> choses que nous n’<strong>en</strong> pouvons connaltre au s<strong>en</strong>s cartési<strong>en</strong> du ter<br />

me” (t. I, p. 14). Or ceci, noue le <strong>de</strong>vons aux expéri<strong>en</strong>ces antérieu<br />

rem<strong>en</strong>t faites et transmises.<br />

“Les objets extérieurs fur<strong>en</strong>t à l’origine définis pour<br />

(1homme) à travers la façon appropriée <strong>de</strong> se comporter à leur égard.<br />

Un répertoire <strong>de</strong> règles apprises, qui lui disai<strong>en</strong>t la bonne et la<br />

mauvaise façon d’agir dans telle ou telle circonstanoe, lui donnè<br />

r<strong>en</strong>t son aptitu<strong>de</strong> croissante à s’adapter à <strong>de</strong>s conditions ohangean—<br />

te — et notamm<strong>en</strong>t à coopérer avec les autres membres <strong>de</strong> son groupe<br />

C...) Ce fut lorsque les règles apprises, comportant <strong>de</strong>s classifica<br />

tions <strong>de</strong> diverses sortes d’objeta, comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à inclure une sorte<br />

<strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tation (mo<strong>de</strong>l) <strong>de</strong> permettant à l’homme<br />

<strong>de</strong> prévoir <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts extérieurs et <strong>de</strong> les prév<strong>en</strong>ir par l’ac<br />

tion (predict and anticipate in action exterrial ev<strong>en</strong>ts), quapparu<br />

ce que nous appelons la raison. Il y eut alors probablem<strong>en</strong>t beau<br />

coup plus djntellig<strong>en</strong>oeI incorporée dans le système <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong><br />

conduite que dans isa p<strong>en</strong>eées <strong>de</strong> l’homme au sujet <strong>de</strong> ce qui l’<strong>en</strong>tou<br />

rait’ (t.3, p. 188).<br />

— 59 —<br />

Ainsi “l’esprit est <strong>en</strong>robé dans une structure traditionnelle<br />

impersonnelle <strong>de</strong> règles apprises, et ma oapaoité à mettre <strong>en</strong> ordre<br />

mon expéri<strong>en</strong>ce est une répliqua héritée <strong>de</strong>s schèmes oulturele que<br />

chaque esprit individuel trouve tout faits (mn acquired replioa cf<br />

oultural patterna which every individual mmd finds giv<strong>en</strong>). Le cer<br />

veau est un organe qui noua r<strong>en</strong>d capables d’absorber (abaorb) la<br />

culture, maie non <strong>de</strong> la forger (<strong>de</strong>sign). Ce “mon<strong>de</strong> 3”, comme l’a


appeé Sjr karl Popper, bi<strong>en</strong> qu’à tout mom<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>u <strong>en</strong> exist<strong>en</strong>ce :1<br />

par es millions <strong>de</strong> cerveaux distincte qui y partjoip<strong>en</strong>t sot le<br />

réauitat d’un processus d’évolution distinct <strong>de</strong> l’droiutj bio]ogjqu.<br />

du cerveau, dont la structure élaborée <strong>de</strong>vint utile lorsqujJ y eut<br />

une t’aditjon culturelle à absorber” (ibid.)<br />

S’il <strong>en</strong> est ainsi, on compr<strong>en</strong>d la profon<strong>de</strong> erreur sci<strong>en</strong>ti...<br />

figue que commett<strong>en</strong>t les psychologues t pédagogu<br />

55 mo<strong>de</strong>rnes, dans<br />

la <strong>de</strong>c<strong>en</strong>dance <strong>de</strong> Freud (qui fut lul—meme, remarque flayek, beaucoup<br />

plus ru<strong>de</strong>nt, vers la fin <strong>de</strong> sa vie, dans !al!sedalivil.<br />

tion) lorsqu’ils pran<strong>en</strong>t la “spontanéité», la délivrance par rapport<br />

au “pjds” et aux “contraintes’ <strong>de</strong> la culture héritée. Bi<strong>en</strong> loin que<br />

l’éracicatjon <strong>de</strong> cet héritage et la tabula rasa <strong>de</strong> la mémoire soit<br />

facte,n. <strong>de</strong> créativité et <strong>de</strong> liberté, elle supprime la réserve <strong>de</strong> ré—<br />

ponse à l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t que la culture avait peu à peu conStituée,<br />

et sing’uljère<br />

5 les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dant possjbi<br />

5 la 00cr—<br />

dinatijn <strong>de</strong>s actions ‘Jans une société non—organisée complexe. Elle<br />

suppripe tout à la fois les Coflditjons nécessaires <strong>de</strong> l’autonomie<br />

0 e-t celles <strong>de</strong> l’émerg<strong>en</strong>ce d’un ordre social développé.<br />

indivjuell<br />

Pour avoir voulu supprimer la contraints que constitue pour eux li<br />

tâche 4e transmettre effectivem<strong>en</strong>t à l’individu l’héritage <strong>de</strong>s siècles,<br />

et pouj l’individu la tâche <strong>de</strong> l’acquérir, ces psychologues et pédagugu..<br />

le liv<strong>en</strong>t déSarmé à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, où Il ne sait plus comm<strong>en</strong>t se<br />

conduire et comm<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>se Si<br />

— (M —<br />

pouvait tre vrajmet mdi-..<br />

cale, ‘individ ne saurait mâme plus se situer dans l’univers social.<br />

“Par 8es profon<strong>de</strong>s répercussj<br />

05 sur l’dducation (mo<strong>de</strong>rne),<br />

Sigmund Freud est probablem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u le plus grand démolisseur <strong>de</strong><br />

la culttirele (t. 3, p. 208). En effet, si la culture es-t un héritage<br />

<strong>de</strong> savor, et si cet héritage n’est pas blologi<br />

transmj , il faut le transmettre effectivem<strong>en</strong>t<br />

9ue e-t biologique<br />

5e<br />

da e. C’est oe que ne fait fl5 “l’éducation permissive qui se dé<br />

robe au <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> tranBmettre le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> la culture et se fj<br />

instInc-s naturels qui sont les instinots du sauvage” (t. 3, p. 209).<br />

‘t<br />

lTayek fait compr<strong>en</strong>dre la par<strong>en</strong>té théorique du freudisme et<br />

du marxisme. L’un veut délivrer jdjvjd du surmoi et <strong>de</strong> cet orga<br />

nisme <strong>de</strong> valeurs moralem qui brime effeotivem<strong>en</strong>t — nous l’avons ‘ru —<br />

les instincts animaux; partant il le fait régresser effectivem<strong>en</strong>t,<br />

sinon vers l’animal, du moins, comme dit Hayek, vers le “sauvage”<br />

(c’est exactem<strong>en</strong>t la crainte exprimée par Freud dans Malaise dans<br />

la Civilisation, où Freud doit admettre 1 raie positif du refoule<br />

m<strong>en</strong>t dans la “sublimation” <strong>de</strong>a instincts et la conetruotion d’un or<br />

dre civilisé).<br />

L’autre, Marx, veut délivrer la soolété <strong>de</strong>s “muperatruotu-.<br />

res” du droit et <strong>de</strong>s formelles”, c’est—à—dire <strong>de</strong>s “règles<br />

<strong>de</strong> juste conduite” abstraites. Or elles sont elles aussi un acquis<br />

<strong>de</strong> l’expérionoe et représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t cette émerg<strong>en</strong>ce quasi—miraculeuse<br />

qui a r<strong>en</strong>du possible la Société élargie, l’ordre <strong>de</strong> marohé, et l’ex<br />

plosion expon<strong>en</strong>tielle du progrès soi<strong>en</strong>tifique et <strong>de</strong> la riohesse maté<br />

rielle. Le droit représ<strong>en</strong>te lui aussi une contrainte par rapport aux<br />

vieux instincts. Mais cette contrainte a r<strong>en</strong>du possible la civilisa—<br />

tion,(of. t. 3, pp. 202—207).<br />

Marx a donc “fabriqué une nouvelle morale pour servir <strong>de</strong><br />

vieux instincts”. Il me veut un révolutionnaire dans l’histoire, mais<br />

il est un réactionnaire danB l’évolution (thème strictem<strong>en</strong>t parallèle<br />

à celle <strong>de</strong> Popper dans la Sooiété ouverte). lAit aussi doit praner<br />

l”homme nouveau”, c’est—à—dire linterruptiofl <strong>de</strong> la transmission do<br />

l’héritage culturel. Il est à la sooiété os que Freud est à l’indivi<br />

du: un décerveleur.<br />

— 61 —<br />

C’émt ainsi à la lumière do l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> Ha—<br />

yek qu’il faut lire les dix <strong>de</strong>rnières pages <strong>de</strong> l’Epilogue, qui n’ont<br />

paru extrames ou caricaturales à certaine critiques que parce que,<br />

sans compr<strong>en</strong>dre les principes <strong>de</strong> la théorie, ils constatai<strong>en</strong>t seule<br />

m<strong>en</strong>t qu’elle égratignait les dieux <strong>de</strong> la paroisse. Il y a là, comme<br />

si souv<strong>en</strong>t dans l’histoire <strong>de</strong>s idées, un mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du.


Marx et Freud ne sont pas à récuser pour leur critique du<br />

dogma isr,,e <strong>de</strong>s idéologies ou <strong>de</strong>s morales traditionnelles, t1 qu’il<br />

est p oduit à travers la structure <strong>de</strong>s institutions culturelles à<br />

monople comme les Eglises ou les Académies. Ce dogmatisme est effec—<br />

tivemnt oppressif. Mais être anti—dogmatique n’implique hullem<strong>en</strong>t<br />

d’êtr spontanéjete. Ce sont <strong>de</strong>ux problèmes disjoints. Vouloir re—<br />

transis ttre la mémoire, ce n’est pas vouloir retransmettre telle ou<br />

telle rganjsatjon rigi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mémoire. Ta mémoire, telle qu’elle<br />

est co çue par le rationalisme critique, doit être elle—même trans-.<br />

mise d façon critique et pluraliste.<br />

C’est la question qu’il nous faut examiner à prés<strong>en</strong>t. Com<br />

m<strong>en</strong>t l théorie anti—cartési<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> l’incorporation du savoir dans<br />

les trditjons peut—elle intégrer l’exig<strong>en</strong>ce critique? A supposer<br />

que la critique do Descartes, nous faisant retrouver foi, <strong>en</strong> un oer—<br />

tain m<strong>en</strong>m, dans la tradition, nous replace par cela même dans la si—<br />

tuatiom dont Descartes lui—même voulait se démarquer au début du<br />

Discour <strong>de</strong> la Métho<strong>de</strong>, comm<strong>en</strong>t allons—nous faire priur ne pas retom<br />

ber dan l’univers dogmatique <strong>de</strong> la scholastique? Ia réponse <strong>de</strong> Ha—<br />

yek esttràe claire. Par la critique <strong>de</strong> Descartes, nous ne rev<strong>en</strong>ons<br />

pas à A4iatote et à son univers fixiste; les anti—cartési<strong>en</strong>s auxquels<br />

se r4flne Jfayek sont leu hommou qui, ai, XVTIIùmo siècle, ont les pre<br />

miers formulé <strong>de</strong>s théories évolutionnistes. Tlayek forge, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s,<br />

un srisotéljsme évolutionniste qu’il nous faut maint<strong>en</strong>ant caracté<br />

riser.<br />

— —<br />

Une remarque préalable s’impose cep<strong>en</strong>dant. Dans tout ce qui<br />

précè<strong>de</strong>, nous avons donné au concept <strong>de</strong> règle abstraite son ext<strong>en</strong>sion<br />

maximu,,,. Conformém<strong>en</strong>t aux indications expresses (mais dispersées) <strong>de</strong><br />

Hayek, nous l’avons pris comme applicable à la fois aux normes mora<br />

les, aux:valeura culturelles, aux règles juridiques, et jusqu’aux<br />

“patter,, “ qui définiss<strong>en</strong>t la représ<strong>en</strong>tation spatio—temporelle <strong>de</strong><br />

l’<strong>en</strong>viro nem<strong>en</strong>t (ces à peu près l’ext<strong>en</strong>sion <strong>de</strong>s concepts aristoté<br />

lici<strong>en</strong>s ‘habitus intellectuels et moraux et <strong>de</strong><br />

-‘t<br />

-u<br />

r’.<br />

g.<br />

Cette portée maximale <strong>de</strong> la théorie, néanmoins, n’est plei<br />

nem<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>diquée par flayek que dans l’Epilogue. Le corps du livre<br />

est consacré à l’étu<strong>de</strong> détaillée d’un type partioulier <strong>de</strong> règle, la<br />

règle juridique.<br />

Conformém<strong>en</strong>t aux définitions classiques d’Aristote et <strong>de</strong><br />

St Thomas qui dis<strong>en</strong>t que la justice est la vertu qui règle les rap—<br />

ports <strong>de</strong> l’individu avec autrui (par différ<strong>en</strong>ce avec <strong>de</strong>s habitus<br />

comme la force ou la tempérance, qui règl<strong>en</strong>t les rapports <strong>de</strong> l’in<br />

dividu avec ses propres passions), Hayek dit quo “seules les actions<br />

<strong>de</strong>s individus qui affect<strong>en</strong>t d’autres personnes, traditionnellem<strong>en</strong>t<br />

appelées actions towards other persons (oporationes quac sunt ad al—<br />

-Lertim) peuv<strong>en</strong>t donner lieu à la formulation <strong>de</strong> règles légales”<br />

(t. i, p. 121).<br />

C’est donc bi<strong>en</strong> à une restriction <strong>de</strong> l’analyse que nous as—<br />

siston à partir du oh. 4 du tome I (“Transformations <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong><br />

droit”) et jusqu’à la fin <strong>de</strong>s trois volumes, l’Epilogue excepté.<br />

Droit, Législation et Liberté, comme son titre l’indique, est bi<strong>en</strong><br />

consacré ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t aux questions juridiques et politiques, et<br />

à la question <strong>de</strong> l’héritage culturel <strong>en</strong> ce domaine. En contre—partie<br />

<strong>de</strong> cette restriction du champ <strong>de</strong> l’analyse, celle—ci <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t plus<br />

précise et rigoureuse. En effet, les règles juridiques sont les<br />

règles dont lerespeot est garanti par une autorité politique (cf.<br />

p. 52) et qui peuv<strong>en</strong>t être délibérém<strong>en</strong>t modifiées (or. p. 53), donc<br />

n fortiori, oelles qui sont explicitées et form<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s un<br />

“corps” ou un “système”, év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t consigné dans un co<strong>de</strong> écrit<br />

unique, par rapport auquel suppressions et adjonoticna pourront être<br />

assez précisém<strong>en</strong>t définis. Le droit représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s un domai<br />

ne privilégié, pour <strong>de</strong>s raisons méthodologiques, parmi d’autres ex<br />

pressions culturelles.<br />

— 63 —<br />

Comm<strong>en</strong>t ce corps <strong>de</strong> règles peut—il être modifié? Si elles<br />

sont <strong>de</strong>s “valeurs finales”, <strong>de</strong>s “prémisses du syllogisme pratique”<br />

n’exigeant pas <strong>de</strong> justification, comm<strong>en</strong>t peuv<strong>en</strong>t—elles na pas être<br />

dogmatiques?


§7<br />

Dogmatisme et critique <strong>de</strong>s règlan<br />

Dès le ch. 3 (“Principes et expédi<strong>en</strong>ts”) est conduite<br />

une di cussion ess<strong>en</strong>tielle à cet égard. Une fois posés le rûle,la<br />

nature,[ l’origine <strong>de</strong>s règles abstraites, il s’agit <strong>de</strong> savoir dans<br />

quelle nesure la tradition <strong>de</strong>s règles peut être opposable, dans la<br />

pratique juridique et politiqus,à tel ou tel comportem<strong>en</strong>t nouveau<br />

non autrjsé par les règles mais qui prés<strong>en</strong>terait une appar<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

plus gran<strong>de</strong> Utilité immédiate. Cette dicusjo est ess<strong>en</strong>tielle,<br />

car el1 <strong>en</strong>gage la valeur même du type <strong>de</strong> savoir incorporé dans la<br />

1 par comparaison avec le savoir théorique explioite, la<br />

tradjtj,y<br />

valeur <strong>de</strong> la rationalité spécifique <strong>de</strong> la tradition par Comparai..<br />

non ave la rationalité “cartési<strong>en</strong>ne” Comm<strong>en</strong>t le rationalisme<br />

prèné pa’ Jlayek peut—il o<strong>en</strong>cilier la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la tradition et le<br />

fait <strong>de</strong> l’évolution?<br />

De la solution générale <strong>de</strong> ce paradoxe dép<strong>en</strong>d une série <strong>de</strong><br />

question plus concrètes. Outre l’alternative réformisme/révolution<br />

<strong>en</strong> polit que, ou la question du positivisme juridique <strong>en</strong> philosophie<br />

du droit oe sont <strong>de</strong>s questions plus neuves, Comme celle <strong>de</strong> la struc<br />

ture <strong>de</strong>s instituj,<br />

5 productrices <strong>de</strong> savoir, qui sont <strong>en</strong>veloppées<br />

dans oelle <strong>de</strong>s statuts respectifs du dogmatisme et <strong>de</strong> l’esprit cri<br />

tique daas la culture.<br />

La discussion ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>de</strong>ux points,<br />

) Déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> princiEes et critiie <strong>de</strong>e ex.Rédi<strong>en</strong>ta<br />

uand, dans une circonstance donnée, nous choisissons con<br />

tre les p incipes au profit d’une action particulière qui nous pa—<br />

—<br />

raît plus avantageuse que l’application <strong>de</strong>s principes, nous savons<br />

cc que nous gagnons, nous ne savons pas ce que nous perdons. Ce que<br />

nous pordon, c’est l’ordre qui résulte du fait que la plupart <strong>de</strong>s<br />

acteurs sociaux respect<strong>en</strong>t les principes <strong>en</strong> question. Mais comme cet<br />

“ordre spontané” n’est jamais connu à l’avance <strong>en</strong> détail, nous ne<br />

savons jamais précisém<strong>en</strong>t ce qui est perdu du fait d’une <strong>en</strong>torse aux<br />

principes, alors que nous savons précisém<strong>en</strong>t, par définition, ce que<br />

nous gagnerions <strong>en</strong> recourant à l’expédi<strong>en</strong>t. Il est dono à craindre que,<br />

quand on place les <strong>de</strong>ux conduites dans la balance, l’expédi<strong>en</strong>t l’empor<br />

te toujours mur le respect <strong>de</strong>s prinoipes.<br />

Cette préfér<strong>en</strong>ce est le “pragmatisme”, condamné logiquem<strong>en</strong>t<br />

par Hayek au profit du respect <strong>de</strong>s principes, c’est—à—dire — Hayek<br />

opère cotte ext<strong>en</strong>sion dans un passage particulièrem<strong>en</strong>t éclairant —<br />

au profit <strong>de</strong> la “culture”, dans ses aspects les plus “relevés”, les<br />

“valeurs”, les “idéaux”, et même les “utopies” et les “idéologies”.<br />

ITayek condamne le faux “réalisme” pragmatiste, <strong>en</strong> fonction duquel<br />

on laisse tomber les principes au profit d’une action immédiatem<strong>en</strong>t<br />

avantageuse. Ce réalisme est <strong>en</strong> vérité irréaliste dans la mesure où<br />

il sacrifie un av<strong>en</strong>ir bi<strong>en</strong> réel lui auasi au prés<strong>en</strong>t, et <strong>en</strong> perdant<br />

au change.<br />

—65—<br />

Notons que cette condamnation du réalisme est mise par<br />

T{ayek sur le même plan quela condamnation popperi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> l’empiris<br />

me (cf. p.76). C’est la même “myopie” qui est <strong>en</strong> cause dans les<br />

<strong>de</strong>ux cas. De même que les a<strong>de</strong>ptes <strong>de</strong> l’empirisme se vant<strong>en</strong>t <strong>de</strong> se<br />

laisser gui<strong>de</strong>r par la seule observation et non par <strong>de</strong>s conceptions<br />

abstraites et arbitraires — alors que Poppar noua apar<strong>en</strong>d que <strong>de</strong><br />

telles “conjectures” théoriques ambitieuses sont nécessaires pour<br />

faire progresser la connaissance — <strong>de</strong> même, dans l’ordre pratique,<br />

les réalistes se vant<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne pas avoir <strong>de</strong> préjugés, d’idéaux, <strong>de</strong><br />

conceptions <strong>de</strong> l’ordre social global. Maie, cc faisant, ils se pri<br />

v<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’expéri<strong>en</strong>ce collective antérieure qui a formé ces idéaux.<br />

Ceci est vrai, par exemple, à l’époque mo<strong>de</strong>rne, où les rè—


gles économiques et politiques sont celles <strong>de</strong> la liberté, maie où<br />

les echnicj<strong>en</strong>s du nocial justifi<strong>en</strong>t les interv<strong>en</strong>tiona d la puis<br />

sance publique dans l’ordre du marché. Le pragmatisme pr<strong>en</strong>d ici<br />

la fo me du technocratisme et du “refus <strong>de</strong>s idéologies” xi se ré-.<br />

vèle roducteur dc nombre d’effet5 pervers que Jlaye& condasine on<br />

avançLt l’arm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’efficacité iconolnique du libéralisme jugée<br />

sur une longue pério<strong>de</strong>.<br />

Hais, notons—le, la thèse <strong>de</strong> flayek n’est pas valable sou—<br />

au sujet du dilemme libéraiisme/interv<strong>en</strong>tjonnjs,o Ce di<br />

lemme n’est qu’un cas particulier du dimemme perman<strong>en</strong>t et, pour<br />

ainsi dire, structurel, <strong>en</strong>tre “principes” et “expédi<strong>en</strong>ts”. Je si<br />

gnale ce fait car certains interprètes <strong>de</strong> lFayek s’y sont trompés<br />

et Ont rais<strong>en</strong>é ou dfcnse <strong>de</strong> principes à une déf<strong>en</strong>se d libéraijom<br />

6.<br />

Celle— i est <strong>en</strong> réalité une conséqu<strong>en</strong>ce théorique <strong>de</strong> celle—là. Une<br />

conséq <strong>en</strong>ce parmi d’autres, car l’ordre <strong>de</strong> marché n’est évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />

pas, p ur lfayek, le seul ordre social spontané, et <strong>en</strong>core moins<br />

le seu ordre spontané dans la nature. Or tous les ordres spontanés<br />

suppos nt <strong>de</strong>s principes ou <strong>de</strong>s règles, et peuv<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>través,<br />

dans 1 ur émerg<strong>en</strong>ce, par <strong>de</strong>s <strong>en</strong>torses à ces règles.<br />

“Pppliriuer à chaque tâche le techniques sociales les<br />

mieux aptée t sa solution sans s’embarrasser do croyances dogma<br />

tiques, voilà ce qui semble à certains la seule façon <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r<br />

digne d’un âge rationnel et sci<strong>en</strong>tifique” (p. 68). Mais “il est<br />

imposai le <strong>de</strong> se gui<strong>de</strong>r seulem<strong>en</strong>t, comme (les pragmatistes) croi<strong>en</strong>t<br />

pouvoir le faire, par les objectifs explicitem<strong>en</strong>t définis que l’on<br />

se pro<br />

— 66 —<br />

9se consciemm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> rejetant toutes les valeurs générales<br />

dont il ne peut être démontré qu’elles conduis<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s résultats<br />

concret désirables. Se conduire uniquem<strong>en</strong>t par ce que Max Meber<br />

appelle la rationalité finalisée est une imposaibjljtdn (n. 69, fl5)(20)<br />

Le réalisme “noua prive <strong>de</strong> toute ori<strong>en</strong>tation efficace pour<br />

agir avec succèS”, puisque s’il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d t<strong>en</strong>ir compte <strong>de</strong>s faits parti—<br />

J4<br />

::<br />

culiers connus, il r<strong>en</strong>te qujl ne dispose pas d’une théorie déter<br />

ministe et d’une omnisci<strong>en</strong>ce lui permettant <strong>de</strong> maîtriser <strong>de</strong>s procer.—<br />

sus aussi complexes que ceux qui se produis<strong>en</strong>t dans les ordres spon<br />

tanés. Et c’est <strong>en</strong> faveur <strong>de</strong> théories incomplètes et infirmes, néces<br />

sairem<strong>en</strong>t vouées à chec qu’il rejette l<strong>en</strong> comportem<strong>en</strong>ts valorisés<br />

par <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong>xpéri<strong>en</strong>ce sociale.<br />

C’est ler6alismo qui fait par exemple qu’<strong>en</strong> politique on<br />

agit au coup par coup selon <strong>de</strong> 1opifljofl; on s’<strong>en</strong>fonce alors<br />

<strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus dans <strong>de</strong>s impasses. “Ili<strong>en</strong> qu’il faille admettre qu’une<br />

idéologie (i<strong>de</strong>olor) est quelque chose qui ne peut être “prouvé”,<br />

elle pourrait bi<strong>en</strong> être quelque chose dont l’acceptation très large<br />

est la condition indisp<strong>en</strong>sable pour l’obt<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s<br />

choses particulières que nous désirons” (p. 69).<br />

Le respect <strong>de</strong>s principes assure seul <strong>en</strong> effet l’émerg<strong>en</strong>ce<br />

continue <strong>de</strong> l’ordre spontané, supérieur <strong>en</strong> complexité et <strong>en</strong> perfor<br />

mances à tout ordre qu’une oraganisation “cartési<strong>en</strong>ne”, dominée pax<br />

une consci<strong>en</strong>ce, pourrait maîtriser. Le respect <strong>de</strong>s principes, chez<br />

les acteurs <strong>de</strong> l’ordre spontané, correspond donc à la perception<br />

confuse <strong>de</strong> l’avantage quils sont <strong>en</strong> droit d’att<strong>en</strong>dre du respect gé<br />

néral <strong>de</strong>s mêmes principes par tous les co—acteurs, et du danger sy<br />

métrique que comporte le recours aux expédi<strong>en</strong>ts.(2t)<br />

Le danger est ainsi précisé par Hayek: <strong>en</strong> transgressant<br />

les principes, nous faisons involontairem<strong>en</strong>t accepter <strong>de</strong>s principes<br />

chaque fois différ<strong>en</strong>ts qui induiront chez autrui <strong>de</strong>s anticipations<br />

erronnées, dans la mesure où ils se croiront autorisés à faire ce<br />

que nous noue sommes permis nous—m?mes. De proche <strong>en</strong> proche, tout<br />

l’ordre social risque ainsi <strong>de</strong> Chacun pouvant do moins<br />

<strong>en</strong> moins correctem<strong>en</strong>t anticiper sur les comportem<strong>en</strong>ts d’autrui, il<br />

verra se réduire <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus la sphère <strong>de</strong> son action. La coor<br />

dination automatique 4es activités sore, bloquée, et à terme or, ré<br />

gressera à un ordre social <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t organisé et autoritaire, né<br />

cessairem<strong>en</strong>t moins complexe.<br />

-67-


Il faut donc s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir, dans la pratique sociale, à <strong>de</strong>s<br />

principes reçus, même s’ils paraiss<strong>en</strong>t, le cas échéant, irréalistes.<br />

Il fast avoir le cour:lge d’<strong>en</strong>visager l”utopje”. llayek <strong>en</strong> appelle<br />

même aux doctrines et aux “doctrinaires”, aux “philosophes”, aux<br />

“hommes <strong>de</strong> principes” (pp. 73—83). En effet, quand on sait s’<strong>en</strong> te<br />

nir aix principes, on r<strong>en</strong>d possible l’émerg<strong>en</strong>c,, <strong>de</strong> l’ordre spontané,<br />

c’est à—dire l’ordre qui résulte <strong>de</strong> ce que chacun utilise ses propres<br />

Conna saances. Le mainti<strong>en</strong> d’un corps <strong>de</strong> règles permet<br />

<strong>de</strong> la pluralité <strong>de</strong>s acteurs socinux et <strong>de</strong> la société dans son <strong>en</strong>sem<br />

ble aux conting<strong>en</strong>ces, c’est—à—dire à la complexité actuelle do la<br />

sociét, mais aussi à ses évolutions. Au contraire le pragmatisme,<br />

appare m<strong>en</strong>t plus ‘sci<strong>en</strong>tifique” et plus soucieux du Prés<strong>en</strong>t, r<strong>en</strong>d<br />

impose ble l’utilisation <strong>de</strong> tout le savoir pot<strong>en</strong>tiel qui existe dans<br />

la soc té (il est anti—sci<strong>en</strong>tifique) et bloque les ajustem<strong>en</strong>ts (il<br />

est an i_progressjste).(22)<br />

Le mainti<strong>en</strong> <strong>de</strong>s savoirs culturels, conçus comme savoirs <strong>de</strong>s<br />

principes, comme schèmes <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action bénéfiques, condition<br />

ne ajnj l’adaptation ou l’ajustem<strong>en</strong>t aux circonstances nouvelles<br />

dans la mesura où ces circonstances sont inconnaissables et contin<br />

g<strong>en</strong>tes. L’exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> règles abstraites permet que l’ordre social<br />

ne se b o0ue pas quand ces circonstances imprévues curvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t,<br />

alors qi’il se bloquerait s’il était organisé. Au fond, une organi—<br />

sation,<br />

1au s<strong>en</strong>s fort et mécanique du terme, suppose un mon<strong>de</strong> non<br />

seulemt intelligible, mais (ce qui eut une autre manire do dire<br />

la même chose) fixe.<br />

Si cola est vrai, on peut dire que la culture, savoir du<br />

passé, conditionno l’ouverture même <strong>de</strong> l’av<strong>en</strong>ir: paradoxe que doit<br />

affronte toute théorie <strong>de</strong> la culture.<br />

b) !_Pi!m <strong>de</strong>3 Princijes<br />

— 6 —<br />

Mai.à ce point, une question se pose. Cette déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong>s<br />

principe ne revi<strong>en</strong>t—elle pas à un dogmatisme? Précisons la ques—<br />

I<br />

tion: peut—on exclure a priori que, parmi les circonstances nouvel<br />

les, il y <strong>en</strong> ait qui oblig<strong>en</strong>t à changer les principes eux—mêmes?<br />

La culture n’évolue—telle donc jamais?<br />

1[:iyek semble l’exclure, puisnu’il parle <strong>de</strong> “dogmatisme”,<br />

dans un texte qui a suscité certaines critiques.<br />

“Le mainti<strong>en</strong> d’un système libre est chose difficile, pré<br />

cisém<strong>en</strong>t parce que pour y parv<strong>en</strong>ir il faut constamm<strong>en</strong>t rejeter <strong>de</strong>s<br />

mesures qui serai<strong>en</strong>t visiblem<strong>en</strong>t nécessaires pour obt<strong>en</strong>ir certains<br />

rénuitts particuliers; or, pour les rejeter, nous n’avons pas d’ar—<br />

gum<strong>en</strong>t plua fort nue <strong>de</strong> montrer qu’elles contrevi<strong>en</strong>9<strong>en</strong>t à une règle<br />

nérale, et fréquemm<strong>en</strong>t nous ne savons même pas ce qu’il <strong>en</strong> contera<br />

d’<strong>en</strong>freindre la règle dans le cas qui se prés<strong>en</strong>te. Une déf<strong>en</strong>se effi<br />

cace <strong>de</strong> la liberté doit par conséqu<strong>en</strong>t être dogmatique (dogmatic)<br />

et ne ri<strong>en</strong> concé<strong>de</strong>r aux expédi<strong>en</strong>ts, même là où il flemt pas possi<br />

ble <strong>de</strong> montrer qu’au regard <strong>de</strong>s avantages <strong>de</strong> l’expédi<strong>en</strong>t, qui sont<br />

connus, certaines répercussions nuisibles précises découl<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’at<br />

teinte à la règle. La liberté ne prévaudra que ai on l’admet comme<br />

jrincipe dont l’aff.ication aux cas particuliers ne requiert au—<br />

jstification” (pp. 72—73, n.s.).<br />

Certains mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant ce texte pour contester la aci<strong>en</strong>—<br />

tifici-té <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> llayek. Compi<strong>en</strong>t peut—on être à la fois sci<strong>en</strong>—<br />

tifigue et “dogmatique”? Rofuser <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> cause un principe quel<br />

que soit le cas particulier qui se prés<strong>en</strong>te, c’est assurém<strong>en</strong>t la dé<br />

finition même du dogmatisme.<br />

— 69 —<br />

Je souti<strong>en</strong>s né:nmoins nue 1!ayek ne dit cela qu’<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s<br />

restrictif et que la phrase est à replacer ciana le contexte do la<br />

théorie <strong>en</strong>tière, lnriuelle est parfaitem<strong>en</strong>t cohér<strong>en</strong>te.<br />

D’abord il est vrai, <strong>en</strong> effet, qujl y a quelque chose com<br />

me du dogmatisme dans la culture. là une idée capitale dont<br />

nous ferons usage dans nos propres réflexions sur les institutions


cultureil s et leur “clêture inforrnatjonnelie,<br />

es savoirs culturels, ou principes, n’étant pas produits<br />

par la ra son déductive à partir <strong>de</strong> prémisses explicites, ne peuv<strong>en</strong>t<br />

intégralere se déf<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>vant la critique. Quand celle—ci, ayant<br />

<strong>en</strong> vue un “expédi<strong>en</strong>t”, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> les raisons pour lesquella on le re<br />

fuse, on re peut donner <strong>de</strong> telles raisons, ou plutêt On ne peut don-.<br />

ner toute ces raisons, puisqu’on ne peut exhiber la ohaîne <strong>de</strong>s eau-.<br />

ses et <strong>de</strong>s effets qui aboutira à un résultat global plus satisfaj..<br />

sant que cbluj que l’expédi<strong>en</strong>t produira, Donc l’application <strong>de</strong>s rè<br />

gles ou <strong>de</strong> schèmes hérités <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts à <strong>de</strong>s cas concrets ne<br />

peut être ubordonnée au fait <strong>de</strong> donner une justification explicite.<br />

En ce s<strong>en</strong>s il y a “dogmatjsme’I dans toute application <strong>de</strong> principes.<br />

Il y- a un dogmatis<br />

0i dans tout oomportem<strong>en</strong>t qui ne relève pas d’u<br />

ns rationalité cartési<strong>en</strong>ne stricto s<strong>en</strong>su.<br />

Cest cela, et cela seulem<strong>en</strong>t, que Hayek veut dire dans le<br />

texte cité. Il le dit à propa <strong>de</strong>s règles propres à la Société libé<br />

rale, mais cela vaut à propos <strong>de</strong> tout principe, Le texte est tiré<br />

chapitre qui traite <strong>de</strong> loppo5jj dos “principes” aux “expé<br />

di<strong>en</strong>ts” <strong>en</strong> énéral,<br />

Ily a peut—être quelque inconvéni<strong>en</strong>t à employer le mot ,êe—<br />

me <strong>de</strong> “dogmtjs’t dans ce sons. Car le mot, au s<strong>en</strong>s propre qu’il n<br />

dans les sci<strong>en</strong>ces sociales qui trait<strong>en</strong>t <strong>de</strong> phénomènes religieux,<br />

signifie un fermeture délibérée du savoir, un bouclage voulu et<br />

non—réformal4le<br />

-70-<br />

Révélation ou d’un corps <strong>de</strong> doctrine sur eux—<br />

mêmes. Or c n’est manifestem<strong>en</strong>t pao ce que veut dire llayek, puisque<br />

noue allons voir qu’il y a une évolution Po’sible <strong>de</strong>s principes,<br />

Il parle ailleurs, simplem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> “principes”, justem<strong>en</strong>t, d’”idéaux”,<br />

ou <strong>de</strong> “vaiei4.sn, chacun <strong>de</strong> ces termes désignant quelque chose <strong>de</strong><br />

non—démontré et <strong>de</strong> non—actualisable, qu’on ne peut déduire à partir<br />

p’otocolaires» exprimant une observation actuelle. Le<br />

terme “dogmais’ lui—même désigne ici le refus d’une justificatjo<br />

et signale 1 caractère par définition arbitraire du recours à un<br />

.4<br />

:i<br />

.3.<br />

.4<br />

e.<br />

J<br />

e t..<br />

principe. Il est donc employé <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s figuré, et c’est abusive<br />

m<strong>en</strong>t qu’on peut retourner le terme contre !!ayek pour contester la<br />

scj<strong>en</strong>tificjté <strong>de</strong> sa théorie.<br />

— 71 —<br />

Pour compr<strong>en</strong>dre ce point, il faut se référer une fois <strong>en</strong><br />

core à Popper, qui emploie le même terme dans le même s<strong>en</strong>s et avec<br />

la même nnlbiguité(23), Popper parle bi<strong>en</strong> du “dogmatisme” <strong>de</strong>s conjec<br />

tures, pour signifier que les théories avancées pour expliquer le<br />

réel ne doiv<strong>en</strong>t pas être produites par induction à partir <strong>de</strong>s énon<br />

cés protocolaires décrivant la réalité. Il y a un arbitraire, une<br />

coupure par rapport à l’expéri<strong>en</strong>ce immédiate, dans toute hypothèse.<br />

L’hypothèse n’est pas un décalque <strong>de</strong> l’expéri<strong>en</strong>ce. La seule ques<br />

tion importante est <strong>de</strong> savoir si l’hypothèse est vraie ou non, c’est—<br />

à—dire si ses prédictions ne sont pas ou mont réfutées par lexp4<br />

ri<strong>en</strong>ce. Il <strong>en</strong> va <strong>de</strong> même pour les prinoipes. On ne voit pas néces<br />

sairem<strong>en</strong>t, à la faveur-d’une intuition <strong>de</strong>s <strong>en</strong>chaînem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> causes,<br />

leur li<strong>en</strong> avec la situation concrète qui se prés<strong>en</strong>te; mais on peut<br />

évaluer, a posteriori, l’effet qui résulte <strong>de</strong> ce qu’ils ont été res<br />

pectés ou, pour parler comme Jtayek, l’ordre qui émerge gr?ice au res<br />

pect général <strong>de</strong>s règles, Si cet ordre est plus favorable que celui<br />

qui résulte d’un autre système <strong>de</strong> règles ou d’un refus <strong>de</strong> suivre <strong>de</strong>s<br />

règles, la supériorité du respect <strong>de</strong>s principes est établie sci<strong>en</strong>ti<br />

fiquem<strong>en</strong>t, conformém<strong>en</strong>t au rationalisme critique.<br />

Il est vrai que Ifayelc, appliquant ce raisonnem<strong>en</strong>t à l’éva<br />

luation particulière du libéralisme, conclut hardim<strong>en</strong>t à la supério<br />

rité <strong>de</strong> celui—ci. De cela on peut discuter, mais le principe même<br />

<strong>de</strong> l’argum<strong>en</strong>tation n’est pas <strong>en</strong> cause. La sci<strong>en</strong>tificité <strong>de</strong>s savoirs<br />

culturels est p<strong>en</strong>sée par Hayek <strong>de</strong> la même manière nue celle <strong>de</strong>s<br />

sci<strong>en</strong>ces déterministes <strong>de</strong> la nature; le critère <strong>de</strong> démarcation pop—<br />

peri<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre la sci<strong>en</strong>ce et la non—coi<strong>en</strong>ce s’applique ici parfaite<br />

m<strong>en</strong>t, du moins quant à son principe.


§8<br />

L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la règle juridique. pistémologie <strong>de</strong> la<br />

juri spru<strong>de</strong>noe<br />

Au—<strong>de</strong>là du oh. 3, Hayek répond lui—mms, très directem<strong>en</strong>t<br />

cette fois, au reproche <strong>de</strong> dogmatisme ou <strong>de</strong> traditionnalisme qu’on<br />

pourrait lui faix-e. Il dit <strong>en</strong> effet qu’il n’y u dogmatisme dans<br />

sa thérie, parce que les priscipes évolu<strong>en</strong>t, qu’on peut les criti<br />

quer, ee compléter, formuler <strong>de</strong>s prinoipes nouveaux, et ceci, p-•<br />

oisém4t <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> circonstances particulières. Soit l’inverse<br />

mime dt dogmatisme.<br />

— 72 —<br />

Remarquons que le ch. 4 est tout <strong>en</strong>tier consacré à l’évolu<br />

tion ds principes ou règles <strong>de</strong> droit, <strong>de</strong>s sociétés primitives à la<br />

sooiét, mo<strong>de</strong>rne, <strong>en</strong> passant par les premières formes non—religieuses<br />

du drot, les premières oodifications par <strong>de</strong>s instanoes spécialisées,<br />

le droit naturel médiéval, l’effort du droit coutumier anglais et son<br />

travaili l’imitation du droit coutumier par les premiè<br />

res léislatures, <strong>en</strong>fin le glissem<strong>en</strong>t vers le droit organisateur mo<br />

<strong>de</strong>rne, Flissem<strong>en</strong>t qui, pour llayek, est une régression. Qui dit évolu<br />

tion àit bi<strong>en</strong> non—dogmatisme, exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ruptures et d’innovations<br />

1<br />

et, malré les régressions temporaires et le “bourgeonnem<strong>en</strong>t” d’un<br />

prooesstLs qui pas linéaire, le s<strong>en</strong>s général, nous l’avons dit,<br />

est oei’ki d’un progrès. L’optique <strong>de</strong> Hayek est évolutionnaire. Le<br />

problèm est maint<strong>en</strong>ant <strong>de</strong> savoir comm<strong>en</strong>t se produis<strong>en</strong>t les innova<br />

tions qui sont la trams <strong>de</strong> l’évolution.<br />

!Iayek apporte sur ce point, outre quelques vues d’<strong>en</strong>semble,<br />

une conifribution epéoifique remarquable qui est sa théorie <strong>de</strong> la jui.<br />

rispru<strong>de</strong>nce. C’est elle que nous allons prés<strong>en</strong>ter maint<strong>en</strong>ant.<br />

4s<br />

t..<br />

T{ayek traite <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce à troisrepriees, au chapi<br />

tre 4 (pp. 103—106) et au chapitre 5 (pp. 113—121 et 138—142), ce <strong>de</strong>r<br />

nier chapitre étant consacré tout <strong>en</strong>tier, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, à création du<br />

droit par les juges et à la raison d’être <strong>de</strong> cette création.<br />

Hayek se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quels sont les “attributs distinctifS” du<br />

“droit formé par la coutume et les précé<strong>de</strong>nts”, par opposition aux<br />

lois forgées délibérém<strong>en</strong>t par un législateur (sauf dans la mesure,<br />

évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, où celles—ci serai<strong>en</strong>t directem<strong>en</strong>t calquées sur les règles<br />

du droit coutumier, ce qui, précise llayek, mat souv<strong>en</strong>t le cae): res<br />

pectivem<strong>en</strong>t “nomos” et “theai.&’.<br />

La règle <strong>de</strong> droit coutumier a pour traits distinctifs, outre<br />

le fait qu’elle concerne la conduite <strong>de</strong>s individus les uns à l’égard<br />

<strong>de</strong>s autres (ce qui fait que le “nornos” est à peu près quival<strong>en</strong>t<br />

du “droit civil”), <strong>de</strong>s traits formels. Elle est non finalisée (“r!!.—<br />

pe_indop<strong>en</strong>daflt”), s’applique à un nombre indéfini <strong>de</strong> cas à v<strong>en</strong>ir<br />

et <strong>de</strong> personnes. D’autre part, sa formulation doit t<strong>en</strong>ir compte du<br />

fait qu’elle est c<strong>en</strong>sée tre que l’explicitation d’une pratique<br />

qui u comm<strong>en</strong>cé spontaném<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>puis un certain temps, à la faveur<br />

d’une série d’’xpéri<strong>en</strong>Ceo du mime type au sujet <strong>de</strong>squelles les té<br />

moignages sont converg<strong>en</strong>te. Elle est d’abord vali<strong>de</strong>, <strong>en</strong>suite formu<br />

lée. Différ<strong>en</strong>ce logique radicale avec la loi du législateur, qui n’<br />

ect au cntraire vali<strong>de</strong> qu’après avoir été édictée et du fait qu’el<br />

le l’oct.<br />

— 73 —<br />

Mais ici surgit un paradoxe. Comm<strong>en</strong>t uno règle basée sur<br />

<strong>de</strong>c cas particuliers et <strong>de</strong>o “précé<strong>de</strong>nts” peut—elle être J! abstrai<br />

te, et non pan moins, que la loi du législateur, qui se veut d’emblée


généraLe?<br />

llayek cite la réponse d’un magistrat du XVITIème siècle,<br />

Lord l4ansfield: “he droit coutumier n’est point fait <strong>de</strong> cas particu-.<br />

lierc,mais <strong>de</strong> principes généraux qui sont illustrée et expliqués<br />

par <strong>de</strong> cas”.<br />

— 7l —<br />

I, l’occasion <strong>de</strong> cas litigieux qui “ouvr<strong>en</strong>t la voie” et ser<br />

v<strong>en</strong>t d “précé<strong>de</strong>nts”, le juge <strong>de</strong> la common mw, par exemple, dégage<br />

<strong>de</strong>s rè,4ies <strong>de</strong> significâtion universelle qui pourront s’appliquer à<br />

toute e série <strong>de</strong> cas futurs du inâme type.<br />

Il faut préciser la position du juge. Il doit dire le droit,<br />

dire “c qui est juste”; il eet, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, impartial. Cette impar—<br />

tialiténe st<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d pas seulem<strong>en</strong>t au s<strong>en</strong>s dfle abs<strong>en</strong>ce d’intéresse<br />

m<strong>en</strong>t personnel dans la solution du litige. Elle doit se définir <strong>de</strong><br />

façon $us “épistémologique” “Si le besoin se fait s<strong>en</strong>tir <strong>de</strong>fl ap<br />

peler àun juge impartial, ce sera parce qu’une telle personne sera<br />

considéée com.’e capable <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l’affaire comme si elle s’é<br />

tait 4s<strong>en</strong>tée ailleurs et à tout autre mom<strong>en</strong>t; par conséqu<strong>en</strong>t, d’u<br />

ne façor qui répondra à l’att<strong>en</strong>te <strong>de</strong> n’importe quelle personne pin-..<br />

cée dan <strong>de</strong>s conditions analogues, parmi toutes celles que le juge<br />

<strong>en</strong> question ne connaît pas” (p. 116, n.s.).<br />

On lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> donc d’âtre <strong>en</strong> quelque sorte dans la<br />

position<strong>de</strong> Sinus, <strong>de</strong> juger intemporellem<strong>en</strong>t et universe]lem<strong>en</strong>t,<br />

au seul plan <strong>de</strong>s normes. C’est cela qui le distingue ,lo toute auto—<br />

rité poi.tique, <strong>de</strong> tout “chef d’une organisation, qui doit déci<strong>de</strong>r<br />

d’une action à <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre pour parv<strong>en</strong>ir à un certain but. Il ne<br />

serait sns doute jamais v<strong>en</strong>u à l’esprit <strong>de</strong> quelqu’un habituer à or<br />

ganiser lies hommes pour <strong>de</strong>s opérations particulières, <strong>de</strong> donner à ses<br />

ordres i4 forme <strong>de</strong> règles égalem<strong>en</strong>t applicables à tous les membres<br />

du group quelle que soit leurs tâches respectives, ni oc gouverne<br />

m<strong>en</strong>t n’aait déjà eu sous les yeux l’exemple du juge” (pp. 116—117).<br />

En quelle circonstance le juge doit—il formuler une règle<br />

-4<br />

-u<br />

nouvelle?<br />

Le cas où l’une <strong>de</strong>s parties est <strong>de</strong> mauvaise foi, o’est-.à—<br />

dire a adopté une conduite dont elle savait qu’elle ne pouvait avoir<br />

une valeur générale, est aisé à trancher par le juge (si les faits,<br />

naturellem<strong>en</strong>t, sont bi<strong>en</strong> établie). Il lui suffit <strong>de</strong> constater la trans<br />

gression <strong>de</strong> la norme. Au fond, dans ce cas, il y n véritablem<strong>en</strong>t con—<br />

s<strong>en</strong>sus <strong>de</strong>s parties mur la validité <strong>de</strong> la norme, bi<strong>en</strong> que l’une <strong>de</strong>s<br />

parties s’y soit conformée et que l’autre ait empéré pouvoir s’y sous<br />

traire <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> son intdrt propre. Le système existant <strong>de</strong>s nor<br />

mes fles nullem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cause.<br />

— 75 —<br />

Le cas qui nous intéresse est celui où l<strong>en</strong> <strong>de</strong>ux parties sont,<br />

jusqu’à un certain point, <strong>de</strong> bonne foi, c’est—à—dire où ellea ont cru<br />

agir justem<strong>en</strong>t. Elles ont conçu certaines espérances au sujet du com<br />

portem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’autre partie, parce qu’elles ont cru quun certaifl ty<br />

pe <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t était normal <strong>en</strong> pareille circonstance et serait<br />

respecté. Quand l’une <strong>de</strong>s parties se trouve déçue par rapport à cette<br />

att<strong>en</strong>te, il y a conflit. Mais chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties invoque pour<br />

se justifier une norme qu’elle a cru vali<strong>de</strong>.<br />

La tache du juge est alors, dit ltayek, <strong>de</strong> dire si l’att<strong>en</strong>te<br />

<strong>en</strong> question était fondée, ai et dans quelle mesure chaque partie pou<br />

vait raisonnablem<strong>en</strong>t escompter tel ou tel comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

compte—t<strong>en</strong>u <strong>de</strong>s “pratiques générales qui sous—t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt l’ordre régnant<br />

<strong>de</strong>s activités (the g<strong>en</strong>oral practices that the ongoing orcler 0f actions<br />

resta on)” (p. 104), t_à_djre <strong>de</strong>s pratiques et coutumes exitan—<br />

tes, <strong>de</strong> “ce qui se fait” traditionnellem<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s circonstances<br />

semblables ou approchantes. Car seuls ces comportem<strong>en</strong>ts éprouvés peu<br />

v<strong>en</strong>t âtre réputés bénéfiques, au s<strong>en</strong>s précis où ils ne sont pas <strong>de</strong><br />

nature à compromettre, à interrompre ou bloquer l’ordre perman<strong>en</strong>t <strong>de</strong>o<br />

actions dans la société, grâce auquel les actions <strong>de</strong> chacun ont la<br />

meilleure chance d’âtre adaptées à celles <strong>de</strong>m autres et donc do réus<br />

sir. Le juge doit “déci<strong>de</strong>r du <strong>de</strong>gré auquel les att<strong>en</strong>tes (expectations)


— 76 —<br />

(<strong>de</strong> hacune <strong>de</strong>s parties) étai<strong>en</strong>t raisonnables” (ibid.)<br />

Le problème est qu’il n’y a pas nécessairem<strong>en</strong>t pour cela<br />

<strong>de</strong> rgle déjà formulée et parfaitem<strong>en</strong>t inambigu. Il peut y avoir<br />

9<br />

dans le corps <strong>de</strong> règles formulées, une “lacune” (LJ!)• La question<br />

théojiue est dè lors celle—ci: cette lacune est—oh5 à proprem<strong>en</strong>t<br />

parler un “vi<strong>de</strong> juridique”, quufl législateur pourrait v<strong>en</strong>ir combler<br />

par njmpor5 quelle règle arbitraire, ou bi<strong>en</strong> faut—il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre “la<br />

cune” <strong>en</strong> un autre s<strong>en</strong>s?<br />

Pour faire mieux compr<strong>en</strong>dre 2e problème, Tlayelc évoque un<br />

cas lgèrem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t. Celui où les parties, avant une transaction,<br />

parce qu’elles s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> qu’elles ne pourront se mettre claire-<br />

m<strong>en</strong>t4’accord <strong>en</strong>tre elles, font appel à un homme <strong>de</strong> loi ou à un “sa<br />

ge” . Elles. font cette démarche parce que1les suppos<strong>en</strong>t quun hom<br />

me PlU{s compét<strong>en</strong>t, “supposé <strong>en</strong> oavoir d’avantage quant aux règles<br />

établis <strong>en</strong> vue <strong>de</strong> préserver la paix et d’éviter les querelles”<br />

(p. II) pourra leur faire connaître la rigle dont ils ont besoin<br />

et qui leur permettra <strong>de</strong> conclure une transaction équitable.<br />

Ce que les parties cherch<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce cas, ce n’est pas une<br />

simple”idée” pour arranger leur affaire, idée qu’ils pourrai<strong>en</strong>t<br />

fort b<strong>en</strong> trouver eux—mêmes ou <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à n’importe qui d’autre.<br />

Ils ve4l<strong>en</strong>t, trèo précisém<strong>en</strong>t, savoir “ce qui se fait” <strong>en</strong> pareil<br />

cas, ccst—à—dire ce qui s’est fait, ce qui s’est avéré, à<br />

l’expézi<strong>en</strong>ce passée, à la lumière <strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nts, pouvoir effective<br />

m<strong>en</strong>t être fait sans qu’il <strong>en</strong> réuulte une anomalie ou une catastro<br />

phe, notnmm<strong>en</strong>t un cont<strong>en</strong>tieux futur <strong>en</strong>tre les parties ou avec <strong>de</strong>s<br />

tiers, sans que général <strong>de</strong>s activités soit<br />

troubléL et Compromis.<br />

Par conséqu<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> loin <strong>de</strong> supposer un “vi<strong>de</strong> juridique”,<br />

ils supos<strong>en</strong>t au contraire qu’une solution existe quelque part,<br />

à savoi dans la tête, ou dans les livres, <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> loi colapé—<br />

teat.<br />

- 77<br />

Eux—mêmes, certes, ne connaiss<strong>en</strong>t pas la règle <strong>de</strong> façon<br />

suffisamm<strong>en</strong>t claire pour pouvoir y référer, <strong>en</strong> bonne et due forme,<br />

leur contrat. Cep<strong>en</strong>dant, et par définition — c’est du cas<br />

parallèle ici évoqué par ifayek — ils la “connaiss<strong>en</strong>t” <strong>en</strong> un autre<br />

s<strong>en</strong>s. Car quand le ‘bnge” va la leur proposer, l’accept<strong>en</strong>t et<br />

conclu<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t leur contrat sur cette base, c’est bi<strong>en</strong><br />

qu’ils reconnue comme “juste”, éqjtab1ei, “conv<strong>en</strong>able”.<br />

Personne, <strong>en</strong> effet, ne les force à s’<strong>en</strong>-t<strong>en</strong>dre sur une telle règle;<br />

le recours à l’homme <strong>de</strong> loi est amiable et ne les <strong>en</strong>gage pas. S’ils<br />

conclu<strong>en</strong>t finalem<strong>en</strong>t le contrat, c’est donc bi<strong>en</strong> qu’ils p<strong>en</strong>seront<br />

que la règle est correcte et acceptable, c’eet—à—dire conforme aux<br />

“pratiques générales qui sous—t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt l’ordre régnant <strong>de</strong>s activités”.<br />

Mais e’ils “reconnaiss<strong>en</strong>t” la règle proposée, c5 donc<br />

bi<strong>en</strong> que, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, ils la connaiss<strong>en</strong>t. C’est qu’elle ne survi<strong>en</strong>t<br />

pas, comme une pure inv<strong>en</strong>tion, dans un pur vi<strong>de</strong> juridique. Et nous<br />

atteignons ici le coeur <strong>de</strong> la théorie.<br />

Cette “connaissance” a le statut épistémologique que nous<br />

avons dft attribuer à tout savoir “culturel”. Elle est une connais<br />

sance abetraite un habitus; elle consiste dans la possession <strong>de</strong><br />

certains “patteras” <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action, non dans une connaissan<br />

ce déterminée, claire et distincte, qui puisse être intégralem<strong>en</strong>t<br />

“affichée” <strong>en</strong> consci<strong>en</strong>ce, traduite <strong>en</strong> une “idée’. Quand <strong>de</strong><br />

loi va i”afficher” <strong>en</strong> l’énonçant, elle va être<br />

Ireconnue; Q5_<br />

à—dire — •j’interprète ainsi le texte <strong>de</strong> ITayek — qu’elle va être<br />

reconnue au s<strong>en</strong>s d’une “pattern recognition”. Elle va v<strong>en</strong>ir se loger<br />

dans les schémas abstraits que possè<strong>de</strong>nt les parties au sujet <strong>de</strong> cø<br />

qui est “juste”, et satisfaire ainsi leur “s<strong>en</strong>s” ou leur “intuition”<br />

do la justice(24)<br />

Les parties ont, disions—nous, une “compt<strong>en</strong>ce” <strong>en</strong> matière<br />

<strong>de</strong> justice homologua à la “compét<strong>en</strong>ce” linguistique (cf. supra, p. 45).<br />

Elle leur permet <strong>de</strong> reconnaître si une règle est juste ou injuste,


—78—<br />

commele locuteur d’une langue reconnaît si une phrase est correcte<br />

ou inorrecte. Mais le locuteur, pour cela, n’est pas<br />

c<strong>en</strong>sé connaître explicitem<strong>en</strong>t les règles <strong>de</strong> La grainiriaire. A cet é—<br />

gard, ios justiciables allant voir un homme <strong>de</strong> loi sont tians une<br />

aituation asses analogue à celle <strong>de</strong> locuteurs ayant un “litige” à<br />

proposr d’un point <strong>de</strong> vocabulaire, <strong>de</strong> syntaxe ou d’orthographe, et<br />

allant ouvrir, pour se mettre d’accord, un dictionnaire. Ils ne sont<br />

nullemnt disposés à sa soumettre à un quelconque arbitraire <strong>de</strong> l’au<br />

teur dt dictionnaire; au contraire, ils cherch<strong>en</strong>t dans le diction<br />

naire a consignation du bon usage <strong>de</strong> la langue (car le dictionnaire<br />

est ce,sé seulem<strong>en</strong>t constater ce bon usage, sans l’inv<strong>en</strong>ter — mâme<br />

s’il l fixe, ce qui est un autre problème).<br />

Cela suppose, naturellem<strong>en</strong>t, que la solution du “litige”<br />

linguistique figure effectivem<strong>en</strong>t dans le dictionnaire. De même,<br />

on suprose que l’homme <strong>de</strong> loi connaît explicitem<strong>en</strong>t (ou posuè<strong>de</strong> dpns<br />

ses livres) la règle adéquate requise.<br />

C’est quand cela n’est pas, que se pose le problème nodal<br />

<strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, la formation <strong>de</strong> nouvelles règles. Déjà, dit<br />

llayek, kes hommes <strong>de</strong> loi compét<strong>en</strong>ts consultés a priori par <strong>de</strong>s par<br />

ties,1Iuand on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> départager les intéressés, se trou<br />

v<strong>en</strong>t sotiv<strong>en</strong>t dans la nécessité d’énoncer <strong>de</strong> manière plus précise<br />

les règes au sujet <strong>de</strong>squelles il y a différ<strong>en</strong>ce d’opinion et parfois<br />

même d’n formuler <strong>de</strong> nouvelles là où il n’<strong>en</strong> oxiete pas <strong>de</strong> généra<br />

lem<strong>en</strong>t leconnues” (p. 119). Le cas du juge est exactem<strong>en</strong>t siniilaire,<br />

à cette simple différ<strong>en</strong>ce qu’il intervi<strong>en</strong>t a posteriori, quand la<br />

tranaaotion est déjà passée et que le conflit est ddjà noué. Il doit<br />

formuler impérativem<strong>en</strong>t alors la règle juste dont son arrêt sera<br />

l’appliction, alors que le “consultant” n’a pas <strong>de</strong> contrainte à cet<br />

égard.<br />

est exao?em<strong>en</strong>t<br />

C’est la seule différ<strong>en</strong>ce, car le problème intellectuel<br />

le même, le juge va se placer dans la situation où<br />

étai<strong>en</strong>t es parties avant la transaction, c’est—à—dire dans la posi—<br />

:,t<br />

il<br />

4<br />

tion même du “oonsultant”. C’est ainsi que mon jugem<strong>en</strong>t sera déga<br />

gé <strong>de</strong> tout souci concret, qui infléchirait la réflexion sur le nor<br />

mes.<br />

Il s’agit <strong>de</strong> formuler une règle qui existe déjà <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s,<br />

mais dont les formulations précé<strong>de</strong>ntes souffr<strong>en</strong>t d’une certaine ambi—<br />

guîté, qui fait que le conflit ne peut être tranché par la seule voie<br />

<strong>de</strong> la logique.<br />

Autrem<strong>en</strong>t dit, dit Hayelc, le juge doit distinguer l”ess<strong>en</strong>—<br />

tiel” du “conting<strong>en</strong>t” (relevant /aoci<strong>de</strong>ntal), l”eepit” <strong>de</strong> la “let<br />

tre” (p. 105). Et s’il doit innover quant à la lettre, c’est précisé<br />

m<strong>en</strong>t pour retrouver l’esprit <strong>de</strong> la loi. Il doit chercher à dire, lit<br />

téralem<strong>en</strong>t, ce qu’était cet esprit. Ot le respect <strong>de</strong> l”esprit <strong>de</strong> la<br />

loi’ peut conduire à une décision <strong>de</strong> justice qui soit, à la limite,<br />

l’inverse <strong>de</strong> ce qu’une application littérale <strong>de</strong> la loi indiquerait.<br />

Il y a manifestem<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> l”esprit” <strong>de</strong> la loi à samlettre”<br />

le même type <strong>de</strong> distance que celui décrit par T!ayek <strong>en</strong>tre une<br />

abstraite et une idée consci<strong>en</strong>te déterminée, <strong>en</strong>tre un schéma ou<br />

tern” abstrait et un modèle concret <strong>de</strong> ce “pattera”. Ce qui est recon<br />

nu, parce que c’est lui qui est mémorisé dans 1esprit collectif,<br />

c’est le “pattern”; il peut arriver que tel ou tel modèle,<br />

dire telle ou telle formulation concrète, apparaisse, dans <strong>de</strong>s cir<br />

constances particulières, comme décalé du “pattera” eu <strong>de</strong> ce fait non—<br />

reconnaissable, “injuste”. Et ceci parce que la formulation est<br />

déterminée que le “pattern” dont elle émane et qu’elle traduit <strong>en</strong><br />

mots. Ii s’<strong>en</strong>suit que, dans <strong>de</strong>s circonstances particulières, la dé-.<br />

termination ajoutée par la formule pr<strong>en</strong>d un s<strong>en</strong>s, im<br />

plique <strong>de</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces, manifestem<strong>en</strong>t non—prévus et non—voulus, qui<br />

ne “r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t” plus dans le “pattern” qui est seul mémorisé et valo<br />

risé (oî. t. 2, p.5).<br />

— 79 —<br />

L’originalité, la créativité intellectuelle du juge consis<br />

tera alors à inv<strong>en</strong>ter un nouveau modèle déterminé du même “nattera”


—&)—<br />

abetraii. Il explicitera l’implicite, sans créer “ex nihilo”. Il oc<br />

ra év<strong>en</strong>luelIem<strong>en</strong>t am<strong>en</strong>é à contredire <strong>de</strong>s explicitations précé<strong>de</strong>ntes<br />

du mime J”pattern”, sans contredire ce “pattern” lui—même. Il y a ici<br />

une eoseitielle discontinuité intellectuelle, une succeonion d”émer—<br />

g<strong>en</strong>ces à la consci<strong>en</strong>ce” et <strong>de</strong> mémorisation dans l’inconsci<strong>en</strong>t qui ne<br />

peuv<strong>en</strong>t tre précisés que par une théorie adéquate du psychisme, et<br />

dont Hayk constate nimplem<strong>en</strong>t le résultat “phénoménologique”: à sa<br />

voir que le travail intellectuel du juge ne snurait être purem<strong>en</strong>t 10—<br />

gique etdéductif. La règle nouvelle ne peut être logiquem<strong>en</strong>t dérivée<br />

<strong>de</strong>s règlms anci<strong>en</strong>nesE il y n discontinuité.<br />

“Que <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s ai<strong>en</strong>t l’int<strong>en</strong>tion et le soin <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s rè<br />

gles pouif un nombre inconnu <strong>de</strong> cas à v<strong>en</strong>ir, cela suppose une prouesse<br />

9tion dont les peuples primitifs sembl<strong>en</strong>t peu susceptibles...<br />

d’abstra<br />

Si nous fomm<strong>en</strong> aujourd’hui à ce point familiarisés avec la conception<br />

du droit au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> règles abstraites, qu’il nous semble évi<strong>de</strong>nt que<br />

nous soycns nécessairem<strong>en</strong>t capables <strong>de</strong> les confectionner délibérém<strong>en</strong>t,<br />

c’est là le résultat <strong>de</strong>s efforts d’innombrables générations <strong>de</strong> juris<br />

tes tradusant dans le langage ce que les g<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t appris à obser<br />

ver <strong>en</strong> agissant. Vans leurs efforts, ils ont eu à créer le langage même<br />

dans lequl <strong>de</strong> telles règles pouvai<strong>en</strong>t être exprimées” (p. 117).<br />

Il semble que la nécessité perman<strong>en</strong>te <strong>de</strong> formuler <strong>de</strong>e règles<br />

pour distnguer l’ess<strong>en</strong>tiel et le conting<strong>en</strong>t dans les précé<strong>de</strong>nts qui<br />

le gui<strong>de</strong>n développe chez le juge <strong>de</strong> droit coutumier une aptitu<strong>de</strong> à<br />

dégager ds principes généraux, qui est rarem<strong>en</strong>t acquise par un juge<br />

opérant daprès un catalogue supposé complet <strong>de</strong> règles applicables,<br />

ouvert <strong>de</strong>ant lui. Quand les généralisations ne sont pas fournies<br />

prêtes à l’emploi, une capacité <strong>de</strong> formuler <strong>de</strong>s abstractions est ap—<br />

Psremm<strong>en</strong>t}maint<strong>en</strong>ue vivace, alors que l’emploi mécanique <strong>de</strong> formules<br />

verbales <strong>en</strong>d à le tuer. Le juge <strong>de</strong> Common Law est t<strong>en</strong>u <strong>de</strong> faire gran<br />

<strong>de</strong> att<strong>en</strong>ton au fait que le mots sont toujours seulem<strong>en</strong>t l’expres<br />

sion impaa4faite <strong>de</strong> ce que ses prédécesseurs ont imparfaitem<strong>en</strong>t essay6<br />

:‘4<br />

I.<br />

I•1<br />

<strong>de</strong> dire” (p. 105).<br />

C’est donc bi<strong>en</strong> le problème classique <strong>de</strong> l’herméneutique<br />

qui est retrouvé ici par llayek: conserver 55efltjel d’une tradi<br />

tion, c’est—à—dire le savoir incorporé <strong>en</strong> elle quil serait témé<br />

raire <strong>de</strong> sacrifier, tout <strong>en</strong> formulant ce savoir traditionnel <strong>de</strong> fa<br />

çon à le r<strong>en</strong>dre effectivem<strong>en</strong>t utiMeable dans le prés<strong>en</strong>t.<br />

Hayek parait <strong>en</strong> effet ram<strong>en</strong>er ici le problème <strong>de</strong> la juris<br />

pru<strong>de</strong>nce au problème, ultra—classique <strong>de</strong>puis les Stoloi<strong>en</strong>a et Si Paul<br />

dans les traditions culturelles écrites, <strong>de</strong> l’opposition <strong>en</strong>tre la<br />

lettre qui “tue” et l’esprit qui “vivifie”, ou <strong>en</strong>core au problème,<br />

comme on dit, <strong>de</strong> l”infirmité” du langage. On dispose néanmoins ici<br />

d’une intelligibilité nouvelle <strong>de</strong> cette fameuse “infirmité”, lieu<br />

d’élection <strong>de</strong> tant d’apories idéalistes. Tout modèle concret clair<br />

et distinct d’un “pattern” abstrait est décalé par rapport à lui.<br />

Le pa-ttern ou le sohème <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée ou d’action, la valeur, l’intui<br />

tion, ne sont jamais réductibles à une idée. Il y a là un trait<br />

structurel du psychisme dont toute uyre <strong>de</strong> Bergaon, par exemple,<br />

est une <strong>de</strong>scription, mais que la sagesse <strong>de</strong>s nations connait <strong>de</strong>puis<br />

longtemps. C’est lui que vise la formule: summum jus, summa injuria.<br />

t cette autre, plus banale certes, mais non moins vraie: la culture,<br />

c’est ce qui reste quand on a tout oublié. On a oublié tous les “mo<br />

dèles”, rest<strong>en</strong>t les patterns, et cela constitue à soi seul la<br />

“compét<strong>en</strong>ce” culturelle.<br />

— Pi —<br />

Il me semble que le problème soulevé par Hay&c se ramène,<br />

épistémologiquem<strong>en</strong>t, à la distinction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières, pour une<br />

règle juridique et pour une idée <strong>en</strong> général, d’tre “implicite”.<br />

I) Quand sont explicités <strong>de</strong>s axiomes et <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> déri<br />

vation logique, les théorèmes d’une théorie formelle sont “implici<br />

tes” dans cet <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> prémisses au s<strong>en</strong>s où ils sont logiquem<strong>en</strong>t<br />

impliqués par elles. De mme, quand sont posées <strong>de</strong>s lois, certaines<br />

conséqu<strong>en</strong>ces s’<strong>en</strong> <strong>en</strong>suiv<strong>en</strong>t. Reste, certes, à les expliciter, et


dans ce cas l’explicitation peut causer <strong>de</strong>s “surprises”, comme tout<br />

résu tat d’un calcul. Mais on ne peut refuser <strong>de</strong>s oonséqu<strong>en</strong>ces le—<br />

giqu s quand on accepte <strong>de</strong>s prémisses, si on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, précisém<strong>en</strong>t,<br />

s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir purem<strong>en</strong>t au plan <strong>de</strong> la logique, c’eSt—à—dire, du point<br />

<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> loprajfl intellectuelle, au plan du discours consci<strong>en</strong>t<br />

clair et distinct.<br />

2) Un “modèle” peut être “implicite” dans un “pattern” au<br />

s<strong>en</strong>s ù une “idée” peut être conforme ou non à une “intuition”. Dans<br />

oe oa, le li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre l’intuition et l’idée n’est pas login, pour<br />

la si,ple raison que ‘‘intuition n’est jamais, par définition, tota—<br />

lem<strong>en</strong> déterminée. Le li<strong>en</strong> n’<strong>en</strong> est pas moins très “fort”. Qe5 lui<br />

qui f ra qu’une idée sera déclarée “juste” (dans tous les m<strong>en</strong>s du<br />

terme , quand elle r<strong>en</strong>trera dans le “pattern”, et qu’à son sujet il<br />

y aura “pattera r000gnition”.<br />

ci<strong>en</strong> <strong>de</strong>s<br />

gique<br />

La norme nouvelle doit être implioite dans le système an—<br />

normes dans le second s<strong>en</strong>s. Telle est la thèse épistén,olo-.<br />

Hayelc sur la jurispru<strong>de</strong>nce.<br />

-82-<br />

‘-t<br />

‘.4<br />

-‘4<br />

‘J,<br />

J<br />

Au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, il y a d’autres modalités d’é<br />

volution du oorps <strong>de</strong>s règles juridiques.<br />

Un juriste peut être rn<strong>en</strong>é à formuler pour la première fois,<br />

verbalem<strong>en</strong>t, une règle exprimant une pratique ou une coutume déjà 6-.<br />

tablias et éprouvées. Dans ce oaB, il ne fait que sanctionner le fait<br />

que le comportem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> question est “3u5te”, c’est-.à—dire reconnu<br />

comme bénéfique, ne faisant pas obstacle à l’ordre régnant <strong>de</strong>s acti<br />

vités: “Ceux qui ont les premiers t<strong>en</strong>té d’exprimer (les) règles par<br />

<strong>de</strong>s mots ne les ont pas inv<strong>en</strong>tées, mais se sont efforcés <strong>de</strong> dire<br />

quelque chose qui leur était déjà connu” (p. 93).<br />

C’est ainsi qua Solon ou 1,ycurgue, qua Deecartes félicitait<br />

d!avoir donné d’un coup à Athènas ou à Sparte <strong>de</strong>s règles parfaites,<br />

n’ont fait, d’après Itayek, que codifier <strong>de</strong>s lois formées spontané—<br />

m<strong>en</strong>t et progressivem<strong>en</strong>t (Descartes a simplem<strong>en</strong>t commia, sur ce point,<br />

tins erreur historique). De même, le co<strong>de</strong> dftamourabj les Douze Ta<br />

bles <strong>de</strong> Rome, le droit romain n’ont été que la codification <strong>de</strong> droite<br />

coutumiers déjà constitués, même si ces codifications se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

toujours oomm émanant d’une autorité politique et comme port<strong>en</strong>t son<br />

sceau (le droit romain est cont<strong>en</strong>u dans le “co<strong>de</strong> <strong>de</strong> Justini<strong>en</strong>” (cf.<br />

pp. 99—103).<br />

— 83 —<br />

§9<br />

Un “oonservatisme dynamique”<br />

Dans ce cas, les juristes cherch<strong>en</strong>t à formuler “une loi<br />

existant indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> quiconque et qui, à la foie,<br />

s’impose à <strong>de</strong>s juges indép<strong>en</strong>dants et se développe par eux” (p. 102).


Elle m[rnpose à eux: ils ne font, eu.x aussi (eux d’abord, car os cas<br />

est chrnologiquem<strong>en</strong>t antérieur à celui <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce dans le<br />

droit cutumier) que trouver un “modèle” déterminé d’un “pattern”<br />

abstrai. Mais elle ne développe aussi par eux, non seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce<br />

qu’ils ajout<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “modèles” explicites au corps <strong>de</strong> règles explici<br />

tes exitantes, mais aussi <strong>en</strong> un autre sans, tout—à—fait distinct et<br />

mcuie, àcertains égards, inverse et antithétique du premier. Les ju<br />

ristes 4e sont pas seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “hommes d’intuition’ qui explicit<strong>en</strong>t<br />

ce qui st implicite au s<strong>en</strong>s d’”intuitif”, ce sont aussi <strong>de</strong>s “hommes<br />

<strong>de</strong> doctr{ine” qui développ<strong>en</strong>t les connéqu<strong>en</strong>oes logiques d’un <strong>en</strong>semble<br />

<strong>de</strong> règls considérées comme les prémisses d’un raisonnem<strong>en</strong>t.<br />

Ainsi, chaque fois qu’un juge innove <strong>en</strong> formulant une règle<br />

nouvelle il change le système <strong>de</strong>s prémisses<br />

1 il donne oocasion, plus<br />

tard, à 11n autre juriste, <strong>de</strong> formuler d’autres règles qui sont la<br />

oonséqueice logique <strong>de</strong> la modification introduite. En formulant clai<br />

rem<strong>en</strong>t ce qui était “intuitif”, les codificateurs ou les juges ajou<br />

t<strong>en</strong>t <strong>de</strong>sdéterminatione à <strong>de</strong>s pratiques dont la mémoire uooials n’a<br />

vait retnu que le Les hommes <strong>de</strong> doctrine se fon<strong>de</strong>ront, ulté—<br />

rieuremerzt, sur la formule précise qui aura été produite, pour rev<strong>en</strong><br />

diquer <strong>de</strong> droits qui dans <strong>de</strong>s circonstances nouvelles pr<strong>en</strong>dront une<br />

portée qte n’avai<strong>en</strong>t prévue ni voulue les auteurs <strong>de</strong> la formulation<br />

nouvelle. On verra donc apparaitre <strong>de</strong>s règles nouvelles qui, à la<br />

limite, ze correspondront plus à la notion traditionnelle intuitive<br />

<strong>de</strong> ce qui est juste. Un droit “monstrueux” pourra ainsi pr<strong>en</strong>dre nais<br />

sance, un véritable “délire” exprimant une trop gran<strong>de</strong> rigidité <strong>de</strong>s<br />

élém<strong>en</strong>ts onstitutife <strong>de</strong> la mémoire<br />

. Nous verrons comm<strong>en</strong>t Hayek<br />

25<br />

<strong>en</strong>visage a correction <strong>de</strong> cette production “délirante” <strong>de</strong> règles ju<br />

ridiques.<br />

— F.’: — I<br />

c’est là un cas typique d’évolution spontanée, c’est—à-dire<br />

indép<strong>en</strong>daite <strong>de</strong> toute int<strong>en</strong>tion délibérée <strong>de</strong> quelque acteur. Ce cas<br />

nous intéiesse spécialem<strong>en</strong>t, dans notre recherche mur l’évolution<br />

cultureii4 et sur le phénomène traditionnel. Il y a “morphog<strong>en</strong>èse<br />

—<br />

85 —<br />

spontanée <strong>de</strong>s idées” lorsque <strong>de</strong>s formulations faites par <strong>de</strong>s sujets<br />

s’exprimant dans une int<strong>en</strong>tion particulière sont conservées <strong>en</strong> mé<br />

moire, singulièrem<strong>en</strong>t lorsqu’il existe une tradition écrite et li<br />

vresque, et sont réutilisées <strong>en</strong>suite dans d’autres contextes et<br />

avec d’autres int<strong>en</strong>tions. Alors <strong>de</strong> nouvelles théories sont produi<br />

tes pour éliminer les contradictions. C’est spécialem<strong>en</strong>t vrai dans<br />

<strong>de</strong> traditions écrites ou existe un dogme et où est c<strong>en</strong>sé trans<br />

mettre ne varietur le cont<strong>en</strong>u d’une Révélation ou vérité ori<br />

ginelle. Il est capital, dans ce cas, d’éliminer les contradictions<br />

qui peuv<strong>en</strong>t apparaitre <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s formulations coprés<strong>en</strong>tom au sein<br />

du corpus cont<strong>en</strong>ant les vérités originelles. De cet impératif <strong>de</strong><br />

non—contradiction résulte quasi—mécaniquem<strong>en</strong>t la production <strong>de</strong> pro<br />

positions nouvelles qui n’étai<strong>en</strong>t dans l’int<strong>en</strong>tion d’aucun <strong>de</strong>s fon<br />

dateurs du corpus, et qui peuv<strong>en</strong>t tr., lorsqu’elles ne sont pae con—<br />

trlées par l’intuition, délirantes. lTayek n’<strong>en</strong>visage ici que le cas<br />

<strong>de</strong> la doctrine juridique: “Les diverses <strong>en</strong>treprises <strong>de</strong> codification<br />

ne fir<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> pluS que systématiser un corps <strong>de</strong> droit existant,<br />

<strong>en</strong> même temps qu’elles le complétai<strong>en</strong>t ou <strong>en</strong> éliminai<strong>en</strong>t les oontra—<br />

dictions” (p. 120). Il cite l’exemple du droit romain, dont les per<br />

sonnages créateurs ne sont pas, comme dans le droit coutumier, les<br />

juges, mais les jurisconsultes. Dans la mesure où ceux—oi ne se sont<br />

pas laissés <strong>en</strong>trainer, par la “morphog<strong>en</strong>èse spontanée” propre au tra<br />

vail exégétique, au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que l’intuition peut “reconnaitre”,<br />

ils ont contribué à l’évolution du droit,<br />

Ip un processus fort semblable à celui par lequel se dé<br />

veloppa plus tard le droit coutumier anglais (la Common Law), et <strong>en</strong><br />

différant ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t parce que le rle décisif rev<strong>en</strong>ait à l’o<br />

pinion <strong>de</strong>s docteurs <strong>de</strong> la loi (les jurisconsultes), un corps <strong>de</strong> droit<br />

me développa par une formulation cumulative <strong>de</strong>a conceptions dominantes<br />

<strong>de</strong> la justice, plutt que par une oeuvre <strong>de</strong> législateurs. Ce fut seu<br />

lem<strong>en</strong>t à la fin <strong>de</strong> ce développem<strong>en</strong>t, à Bysanco plutdt qu’à Home et<br />

sous l’jnflu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée helléniatique, que le résultat <strong>de</strong> ce


4-<br />

Cette “formulation ouxnulative” dont parle llayek est à <strong>en</strong><br />

t<strong>en</strong>dre omme un mixte <strong>de</strong> travail doctrinal logique et <strong>de</strong> créativité<br />

consist4nt à produire <strong>de</strong>s “modèles” déterminés <strong>de</strong>s intuitions fonda—<br />

m<strong>en</strong>tale4 <strong>de</strong> ce qui est juste. ITayek ne pousse pas plus loin lafla1y_<br />

se mur cie point. Signalons que nous avons l’ambition, dans notre pro<br />

pre analyse <strong>de</strong>s phénomènes exégétiques_herinéneutiques, <strong>de</strong> trouver un<br />

critère néthodologique permettant <strong>de</strong> discriminer ce qui relève <strong>de</strong> l’u<br />

ne et <strong>de</strong> l’autre logique dans ce mixte. Cette démarcation permettrait<br />

à son toar <strong>de</strong> mieux démarquer sci<strong>en</strong>ce et non—sci<strong>en</strong>ce, interprétation<br />

fécon<strong>de</strong> iu réel et “délire”, dans les productions culturelles.<br />

Disons un mot <strong>de</strong> l’innovation apportée par<br />

La légis ation — du moine la législation juste, non celle qui est<br />

produite arbitrairem<strong>en</strong>t par la forme juridique du rationalisme cons-,<br />

tructivi te, le “positivisme juridique”.<br />

Hayek, parce qu’il condamne sévèrem<strong>en</strong>t le positijsme juri<br />

dique, passe pour un partisan exclusif du droit <strong>de</strong>s juges contre le<br />

droit léj1slatjf. Mais c’est un oontre—s<strong>en</strong>s. Ilayek dit seulem<strong>en</strong>t que<br />

“le droi cet plus anci<strong>en</strong> que la législation” et que les législatures<br />

n’ont fait quimjter, au début, le droit coutumier, <strong>en</strong> profitant dc<br />

lacqujs culturel multi—séculaire qu’il représ<strong>en</strong>te et <strong>en</strong> particulier<br />

du langage du droit que seul un procesaus long et collectif pouvait<br />

produire.<br />

ais la législation a, à un point <strong>de</strong> vue particulier, non<br />

seulem<strong>en</strong>t une légitimité, mais une absolue nécessité. Ce qui est con—<br />

damnable,<br />

— —<br />

processis fur<strong>en</strong>t codifiés par ordre <strong>de</strong> l’empreur Justini<strong>en</strong>, dont l’oeu—<br />

vre fut plus tard regardée à tort oomme le modèle <strong>de</strong> la loi créée<br />

par un ouverain et exprimant sa volonté, son “bon plaisir” (p. Ico).<br />

1o’<strong>en</strong>t la transformation du droit civil <strong>en</strong> droit publià par<br />

l’abus e-le oàractèra intempestif <strong>de</strong> la législation. En revanohe,<br />

dans le 4s normal, le législateur doit interv<strong>en</strong>ir pour corriger les<br />

I<br />

I<br />

“bourgeonnem<strong>en</strong>ts” du droit émanant <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, aboutissant<br />

parfois à <strong>de</strong>s aberrations (lorequune catégorie sociale qui fait ce<br />

droit <strong>en</strong> est elle—mtme bénéficiaire et Pinfléchit peu à peu à son<br />

profit, cf. pp. 106—107). Le travail <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce ne peut <strong>en</strong><br />

effet “rev<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> arrière”<strong>de</strong> lui—mtme, du moine assez rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t.<br />

Et il peut y avoir ces productions que nous avons qualifiées <strong>de</strong> mons<br />

trueuses, purem<strong>en</strong>t doctrinales, et qui <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à heurter le s<strong>en</strong>s<br />

normal <strong>de</strong> la justice.<br />

— 87 —<br />

Dana tous ose cas, le législateur doit interv<strong>en</strong>ir. Mais il<br />

doit impérativem<strong>en</strong>t, ai la règle nouvelle doit du moine tre juste,<br />

“s’appuyer sur l’opinion”i “Le pouvoir du législateur repose sur l’o<br />

pinion commune quant à certains caraotèree que doit possé<strong>de</strong>r la loi<br />

qu’il confectionne; et ce qu’il veut ne peut recueillir l’appui <strong>de</strong><br />

lopiflion que ai l’expression <strong>de</strong> sa volonté possè<strong>de</strong> ces caractères...<br />

houe emploierons le mot “opinion” par opposition à une volition s’ap-.<br />

pliqnsnt à une affaire mpéoiale, pour désigner une t<strong>en</strong>dance générale<br />

à approuver certaines décisions et à <strong>en</strong> désapprouver dautres, selon<br />

quelles prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t ou non certains attributs, bi<strong>en</strong> que ceux quba.<br />

bite cette opinion ne soi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> général pas capables <strong>de</strong> les spécifier.<br />

tant que le législateur répondra à l’att<strong>en</strong>te que ses décisions pré<br />

s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t do tels caractères, il aura les mains libres quant aux con<br />

t<strong>en</strong>us particuliers do ce qu’il déoi<strong>de</strong>” (p. III).<br />

Ainsi, là <strong>en</strong>core il y a un principe <strong>de</strong> conservation dans<br />

l’innovation au plan <strong>de</strong>s normes. On peut faire “souverainem<strong>en</strong>t” <strong>de</strong>s<br />

lois nouvelles, à condition que l’opinion puisse les considérer com<br />

me jus-Les (sinon, précise Hayek, même une tyrannie ne peut t<strong>en</strong>ir long<br />

temps). Il faut donc que les justiciables do la loi nouvelle la “re<br />

connaiss<strong>en</strong>t” alors qu’<strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s ils ne la découvriront que lorsque<br />

l’aura promulguée. Noua aommes ainsi ram<strong>en</strong>és au cas <strong>de</strong><br />

la jurispru<strong>de</strong>nce. La sème épistémologie est impliquée dans les <strong>de</strong>ux<br />

oas. Il n’y a pas djflfloviofl normative absolue. Si une telle innova<br />

tion ont imposée, elle ne peut l’être que par la viol<strong>en</strong>ce.


kinsi, dans les trois cas cités, jurispru<strong>de</strong>nce, morphog<strong>en</strong>è—<br />

se spOntanée <strong>de</strong>s doctrines juridiques, législation, l’innovation ju—<br />

ridiqule ne peut consister <strong>en</strong> une ‘tabularasa” <strong>de</strong> la mémoire. Elle<br />

et coiservative, <strong>en</strong> mme temps qu’elle est innovatrice ou dynamique.<br />

Mais l fait qu’elle soit consorvative n’implique nullem<strong>en</strong>t dogmatis<br />

me ou ixisme. Car ce qu’il s’agit <strong>de</strong> conserver, dans tous les cas,<br />

c’est [a coordination <strong>de</strong>s actions dans une société complexe, et non<br />

telle .d<strong>de</strong>, telle dootrine, a fortiori telle règle prise <strong>en</strong> elle—<br />

mime. s’est là la vraie raison d’tre <strong>de</strong> l’innovation, son seul “but”,<br />

plus almtrait et général que tout but que peut se fixer une autorité<br />

politicue. Il faut innover.. • pour continuer à vivre, simplem<strong>en</strong>t (“La<br />

vie n’ pas d’autre finalité qu’elle—mème”, dit ailleurs Hayek). On<br />

ne peu préciser la finalité du eystène <strong>de</strong> droit, précisém<strong>en</strong>t parce<br />

que ce u’on sait <strong>de</strong> lui, Ce5 seulem<strong>en</strong>t qu’il permet l’émerg<strong>en</strong>ce<br />

d’un orlre epontané constitué par la réussite <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> fina<br />

lités qae se donn<strong>en</strong>t les individus, <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>s informations nou<br />

velles lont ils dispos<strong>en</strong>t tous les jours et qu’aucun esprit omnisci<strong>en</strong>t<br />

no satn*it prévoir et synthétiser.<br />

- 88 -<br />

Si le conservatisme, ici, n’est pas “conservateur” au soan<br />

ordinaizre du terme ou “réactionnaire”, c’est tout simplem<strong>en</strong>t au s<strong>en</strong>s<br />

où ce q’il veut conserver, c’est l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s conditions nécessai<br />

res au urgiseem<strong>en</strong>t du nouveau lui—,nme.<br />

“Si le juge doit %tre fidèle à maint<strong>en</strong>ir et à améliorer un<br />

ordre <strong>de</strong>is activités qui fonctionne, et s’il doit chercher ses critè<br />

res dans cet ordre mime, cela nimplique cep<strong>en</strong>dant pas que sa mission<br />

aôit <strong>de</strong> ,réserver un statu quo quelconque dans les relations <strong>en</strong>tre<br />

<strong>de</strong>s persnnes déterminées. C’est au contraire l’un <strong>de</strong>s attributs es—<br />

s<strong>en</strong>tiels<strong>de</strong> l’ordre qu’il sert que <strong>de</strong> ne pouvoir tre maint<strong>en</strong>u autre<br />

m<strong>en</strong>t quepar écu changem<strong>en</strong>ts incessants <strong>de</strong>s détails; et le juge ne<br />

doit c’ataoher qu’à ces relations abstraites qui doiv<strong>en</strong>t être main<br />

t<strong>en</strong>ues aors que les situations particulières se transform<strong>en</strong>t. Un tel<br />

système e relations abstraites n’est pas un réseau immuable reliant<br />

1!<br />

<strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts partiouliors, c’est un filet qui <strong>en</strong>globe un cont<strong>en</strong>u<br />

continuellem<strong>en</strong>t changeant. Bi<strong>en</strong> qu’aux yeux du juge une position<br />

acquise constitue souv<strong>en</strong>t une présomption do bon droit, sa mission<br />

est tout autant d’ai<strong>de</strong>r au changem<strong>en</strong>t que <strong>de</strong> préserver <strong>de</strong>s situa<br />

tions existant. Ce qui doit l’occuper, o’est un ordre dynamique<br />

dont le mainti<strong>en</strong> exige le changem<strong>en</strong>t perni<strong>en</strong><strong>en</strong>t dans les positions<br />

<strong>de</strong>s personnes prises individuellem<strong>en</strong>t” (p. 144).<br />

Rappelons, à l’appui <strong>de</strong> ce texte remarquable, oe qui eet<br />

dit notamm<strong>en</strong>t dans Pgpilogue au sujet <strong>de</strong> l’aooélératiofl <strong>de</strong>s chan<br />

gem<strong>en</strong>ts et mutations historiques <strong>de</strong>puis 1apparitiOfl <strong>de</strong>s premières<br />

sociétés <strong>de</strong> droit. Il faudrait évoquer égalem<strong>en</strong>t tout le cont<strong>en</strong>u<br />

du tome 2, où il est montré que l’ordre <strong>de</strong> marché est précisém<strong>en</strong>t<br />

celui qui a produit les plus grands bouleversem<strong>en</strong>ts et une égalisa<br />

tion <strong>de</strong>s conditions sociales sans précé<strong>de</strong>nt dans l’histoire.<br />

Mais, ajoute flayelc, “bi<strong>en</strong> que le juge ne soit pas t<strong>en</strong>u <strong>de</strong><br />

protéger un quelconque statu quo, il l’est <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir les prin<br />

cipes sur lesquels est fondé l’ordre existant... Il doit -tre con<br />

servateur” (ibid.).. En 00 BOflS, la théorie <strong>de</strong> Ilayek eat un “aris<br />

totélisme” <strong>en</strong> ce qu’elle est empirique et anti—utopiste, .t exige<br />

la pries <strong>en</strong> oompte mie la mémoire. Maie elle se aitue <strong>en</strong> univers<br />

évoluant. Elle est un conservatisme dynamique, ou un dynamisme<br />

conservateur.<br />

— 89 —


fledisons, pour conclure, le ème auquel est confronté<br />

le cons rvatisme dynamique.Nous l’avons r<strong>en</strong>contré plusieurs fois<br />

déjà, n is il conviant d’essayer <strong>de</strong> la définir d’une façon formel—<br />

le et g nérale.<br />

Il peut être ainsi formulé. Puisque l’univers n’est pas fi<br />

xa, on ne peut exclure n priori que survi<strong>en</strong>ne un concours <strong>de</strong> circons<br />

tances tel qu’il faille modifier le système <strong>de</strong>s normes pour permettre<br />

l’émergqnce <strong>de</strong> l’ordre spontané et la continuation <strong>de</strong> la “vie”. Mais<br />

il rest vrai, <strong>en</strong> général, qu’il ne faut pas sacrifier les principes<br />

aux exp dï<strong>en</strong>ts: ce serait r<strong>en</strong>oncer au savoir incorporé dans les prin<br />

cipes e pr<strong>en</strong>dre le risque d’<strong>en</strong>traver l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’ordre sponta<br />

né.<br />

Le problème est dono d’articuler <strong>de</strong>ux niveaux hiéraohique—<br />

m<strong>en</strong>t ditinota, celui <strong>de</strong>s normes et celui <strong>de</strong>s faits. Cette articu<br />

lation e peut tre simple: il n’y a pas <strong>de</strong> relation stable <strong>en</strong>tre<br />

une norue donnée et un type donné <strong>de</strong> faits, puisque si ce typa <strong>de</strong><br />

faits sa produit, c’est <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>semble du système <strong>de</strong> nor<br />

mes aotujeiiem<strong>en</strong>t vali<strong>de</strong>s. Et néanmoins les <strong>de</strong>ux niveaux doiv<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong><br />

se “tou er”, mime s’ils ne doiv<strong>en</strong>t jamais tre confondus.<br />

Ce “contact” est le litige, qui, <strong>en</strong> fonction circons—<br />

tance dc 1née, fait qu’est r<strong>en</strong>due visible une contradiction <strong>en</strong>tre cer—<br />

taines r armes ou une lacune du système <strong>de</strong> normes. Le litige a dono<br />

une fonation<br />

épistémologique. Il a une fonction <strong>de</strong> découverte.<br />

le s<strong>en</strong>s<br />

‘(Lee règles <strong>de</strong> juste conduite) sont découvertes, soit dans<br />

qu’elles exprim<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s pratiques déjà observées,<br />

soit da s le s<strong>en</strong>s qu’elles s’avèr<strong>en</strong>t le complém<strong>en</strong>t nécessaire <strong>de</strong> rè—<br />

glas déj<br />

- 90 —<br />

établies si l’on veut que l’ordre qui repose sur les règles<br />

existant :s fonctionne sans heurte et efficacem<strong>en</strong>t” (p. 147).<br />

Dono le juriste innovant — et, disons—le oonjecturalem<strong>en</strong>t,<br />

l’intell<br />

sctuel innovant au plan <strong>de</strong>s valeurs — est un sci<strong>en</strong>tifique<br />

expérim<strong>en</strong>tal, ou, plus brièvem<strong>en</strong>t, un sci<strong>en</strong>tifique. Il a <strong>de</strong>vant lui<br />

un réel. Hayek cite à ce sujet (p. 127) les opinions traditionnelles<br />

sur la réalisme ou lempirisrne <strong>de</strong>s (bons) juristes: “La via du droit<br />

n’a été la logique, mais l’expéri<strong>en</strong>ce” (o. W. Holmem); les juris<br />

tes ont égard à la “nature <strong>de</strong>s choee”.<br />

Ce qui signifie que le juriste ne peut se cont<strong>en</strong>ter d’imagi<br />

ner <strong>de</strong>s normes nouvelles.<br />

Il ne peut, dabord, se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> déduire logiquem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s normes nouvelles <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>nes. Car la circonstance litigieuse<br />

met précisém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lumière l’illogisme du système <strong>de</strong>s normes. Celles—<br />

ci peuv<strong>en</strong>t tre, régionalem<strong>en</strong>t ou par “sous—cyBtèmes”, logiquem<strong>en</strong>t<br />

correliées. précisém<strong>en</strong>t le travail <strong>de</strong> la doctrine juridique<br />

d’établir un maximum <strong>de</strong> cohér<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s familles <strong>en</strong>tières <strong>de</strong><br />

normes. Mais, in fine, noue voft5 vu, les nOrmea sont <strong>de</strong>s “valeurs<br />

<strong>en</strong> soi”, <strong>de</strong>s prémisses du syllogisme pratique, qui ne peuv<strong>en</strong>t tre<br />

justifiées autrem<strong>en</strong>t qua par le fait mime qu’elles ont été valorisées<br />

par le groupe comme contribuant à l’ordre général <strong>de</strong>s activités. Ra—<br />

ire ces “valeurs <strong>en</strong> soi”, il ne peut y avoir <strong>de</strong> li<strong>en</strong> logique continu.<br />

Il y a <strong>de</strong>s discontinuités, ce qui n’est qu’une autre façon <strong>de</strong> dire<br />

que l’univers social est complexe, épietémologiquem<strong>en</strong>t opaque.<br />

“C’est pourquoi traiter à la manière cartési<strong>en</strong>ne ou “géomé<br />

trique” le droit comme une pure “soi<strong>en</strong>oe <strong>de</strong>s normes”, où toutes les<br />

règles <strong>de</strong> droit sont déduites <strong>de</strong> prémisses explicites, est une mé<br />

tho<strong>de</strong> si gravem<strong>en</strong>t trompeuse” (p. 127). Noua avons vu qu’une telle<br />

“sci<strong>en</strong>ce” purem<strong>en</strong>t exégétique conduit finalem<strong>en</strong>t à <strong>de</strong>s productions<br />

“délirantes”. La prét<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> oonstruire <strong>de</strong>s systèmes purem<strong>en</strong>t for<br />

mels, contrùlée par l’aperception transc<strong>en</strong>dantale d» sujet, est<br />

une impasse épistémologique (dans le domaine juridique comme dans<br />

dur5 domaines culturels).<br />

— 91 —<br />

“Une nouvelle norme qui parait logiquem<strong>en</strong>t tout—à—fait homo<br />

gène avec les normes préalablem<strong>en</strong>t moceptées peut néanmoins s’avérer<br />

<strong>en</strong> conflit avec ces normes anoiannaa si, dans un certain assemblage


— 92 —<br />

<strong>de</strong> cire instances, elle autorise <strong>de</strong>s actions incompatibles avec d’au<br />

tres ac ions, permises par les anci<strong>en</strong>nes” (ibid.). Des normes<br />

guem<strong>en</strong>t compatibles peuv<strong>en</strong>t tre pratiquem<strong>en</strong>t incompatibles, et in—<br />

versemept. Ce n’est pas la prés<strong>en</strong>ce d’un li<strong>en</strong> logique <strong>en</strong>tre une rè<br />

gle doueuse et une règle établie qui lèvera le doute et fera la va<br />

leur <strong>de</strong> la règle <strong>en</strong> question.<br />

Le critère expérim<strong>en</strong>tal doit dono interv<strong>en</strong>irt<br />

“Si nous admettons certaines normes visant généralem<strong>en</strong>t à<br />

oertain- résultats, <strong>de</strong>s circonstances <strong>de</strong> fait pourront nous am<strong>en</strong>er<br />

à admet ra <strong>en</strong> outre d’autres nnrmes, simplem<strong>en</strong>t parce que, dans la<br />

situati n <strong>en</strong> question, les normes établies n’obti<strong>en</strong>dront les résultats<br />

qui les justifi<strong>en</strong>t qu’à la condition que soi<strong>en</strong>t aussi appliquées <strong>de</strong>s<br />

normes upplém<strong>en</strong>taires. Ainsi, si nous acceptons sans discussion un<br />

certain <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> normes et que nous découvrons qu’<strong>en</strong> une situa<br />

tion do née ces normes n’obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas le résultat visé à moine<br />

qu’on lur adjoigne certaines autres normes, ces normes supplém<strong>en</strong><br />

taires e trouveront requises par celles préexistantes, bi<strong>en</strong> quelles<br />

n’<strong>en</strong> soi<strong>en</strong>t pas logiquem<strong>en</strong>t la conséqu<strong>en</strong>ce” (p. 126).<br />

Il s’agit dono, pour le juriste, <strong>de</strong> découvrir si, dans une<br />

situation donnée, un système donné <strong>de</strong> normes produit tel réultst<br />

souhaiti . Il ne peut pas le prévoir ni l’imaginer, il doit le oons—<br />

tater. ‘est le réel lui—sme qui lui apporte l’information. Mais<br />

il ne t:rera pas la règle nouvelle <strong>de</strong> l’observation par “induction”.<br />

Ce serat tomber dans l”expédi<strong>en</strong>t”. Il faudra qu’il inv<strong>en</strong>te une rà—<br />

gle qui s’applique oertes au cas observé, mais qui soit intuitivemertt<br />

compatibrie<br />

avec le système préexistant <strong>de</strong> normes. Il y a, <strong>en</strong> d’autres<br />

termes, eux sources <strong>de</strong> la règle nouvelle, et ces <strong>de</strong>ux sources ne le<br />

sont pas <strong>de</strong> la mime façon, selon le mme type <strong>de</strong> cauBalité, le sys<br />

tème préøxistant <strong>de</strong> normes et l’expéri<strong>en</strong>ce. Le système préexistant<br />

<strong>de</strong> norme détermine la norme nouvelle <strong>en</strong> fournissant <strong>de</strong>s •“patterns”<br />

auxqueli la norme nouvelle doit correspondre, ce qui est le gage <strong>de</strong><br />

sa compatibilité avec <strong>de</strong>s activités. L’expéri<strong>en</strong>ce détermine<br />

— 93 —<br />

la norme nouvelle <strong>de</strong> manière logique, puisqu’elle est construite<br />

tre applicable au oas nouveau qui se prés<strong>en</strong>te.<br />

On voit, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, que toute innovation normative cons<br />

titue ùn “saut”, une “création”. Elle substitue non une injonction<br />

finalisée à une règle, mais une règle à une autre règle, et plus<br />

exactem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>oore un système <strong>de</strong> règles à un autre système <strong>de</strong> règles.<br />

L’apparition <strong>de</strong> circonstances nouvelles permet, <strong>de</strong> loin <strong>en</strong> loin, à<br />

<strong>de</strong>s créateurs, <strong>de</strong> métamorPhoser le système <strong>de</strong>s règles. S’ils peuv<strong>en</strong>t<br />

r<strong>en</strong>dre justice à la fois aux faits nouveaux et à la “logique” intime<br />

<strong>de</strong> anci<strong>en</strong>nes valeurs, c’est <strong>en</strong> fonotion d’une capacité créative spé<br />

cifique, que la théorie <strong>de</strong> )Tayelc ne suffit plus à expliquer. Il faut<br />

avec <strong>de</strong>s théories du psychisme humain r<strong>en</strong>dant compte <strong>de</strong><br />

la capacité d’a1aPtatiOn du psychisme oonnaissant, qui lui permet <strong>de</strong><br />

réorganiser le legs <strong>de</strong> la mémoire sans effaoer, <strong>de</strong> produire <strong>de</strong> nou<br />

veaux “patterns” r<strong>en</strong>dant intelligible une situation <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue progres<br />

sivem<strong>en</strong>t confuse par suite <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> lI<strong>en</strong>virOnnem<strong>en</strong>t.<br />

C’est ce que Hayek veut dire lorsqu’il affirme que d’autres<br />

“forces” doiv<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir relayer la raison cartési<strong>en</strong>ne là où celle—ci<br />

se heurte à une opacité qui la limite. C’est déjà ce que St Thomas<br />

voulait dire dans sa rigoureuse analyse <strong>de</strong> la vertu d’équité (!!.<br />

theol., lia lias, gu. 120 ). Il montrait que cette vertu est<br />

différ<strong>en</strong>te <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong> justice stricto s<strong>en</strong>euj et néanmoins indis<br />

p<strong>en</strong>sable à exeroioe <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière vertu elle—mme. Elle la con—<br />

trle et elle la gui<strong>de</strong>, <strong>en</strong> lui fournissant un critère intuitif,<br />

mais sO.r <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, <strong>de</strong>s innovations auxqa.lles le juge est obligé<br />

par les oiroonstanoee.<br />

psychologique.<br />

Le livre <strong>de</strong> Hayek ne pousse pas plus loin l’investigation


mant<br />

ra” t<br />

fc<br />

— 91 —<br />

Citons, <strong>en</strong>fin, un texte du volume 2 où Hayok, tout <strong>en</strong> résu—<br />

tem<strong>en</strong>t l’argum<strong>en</strong>t, le généralise à la morale et à la “cultu—<br />

“Nous appellerons “critique imman<strong>en</strong>te” cette sorte <strong>de</strong> discua-.<br />

sion (c*iticism) qui évolue dans un système <strong>de</strong> règles donné et qui ju<br />

ge tells ou telles règles <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong> leur cohér<strong>en</strong>ce (consistey)<br />

ou oom4tibilité, aveo toutes les autres règles admiess concourant à<br />

former v$n ordre <strong>de</strong>s activités d’une certaine nature. C’est là la seule<br />

baee pour un exam<strong>en</strong> critique <strong>de</strong> règles morales ou juridiques, dès lors<br />

que noua reconnaissons l’impossibilité <strong>de</strong> réduire le système <strong>en</strong>tier <strong>de</strong><br />

telles rgles à certains effets spécifiques connus quai] aura à pro<br />

duire (..) Il peut à première vue sembler déconcertant que quelque<br />

chose qu. est le produit <strong>de</strong> la tradition puisse à la fois constituer<br />

l’objet s la critique et son critère. Mais nous ne prét<strong>en</strong>dons nulle...<br />

m<strong>en</strong>t que toute tradition soit, comme telle, sacrée et intangible pour<br />

la critique; nous disons simplem<strong>en</strong>t que la base <strong>de</strong> la critique <strong>de</strong> n’im<br />

porte qul produit <strong>de</strong> la tradition doit toujours être cherchée dans<br />

d’autres oduits <strong>de</strong> la tradition que nous ne Voulons pas, ou ne pou<br />

vons pas mettre <strong>en</strong> question; <strong>en</strong> d’autres termes, les aspects propres<br />

d’une cu1ture doiv<strong>en</strong>t toujours être examinés seulem<strong>en</strong>t dans le contexte<br />

<strong>de</strong> cette nême culture. Nous ne pouvons jamais réduire un système <strong>de</strong><br />

règles, o toutes les valeurs prises <strong>en</strong>semble, à une construction in—<br />

t<strong>en</strong>tionnefle; et nous <strong>de</strong>vons toujours arrèter notre mise <strong>en</strong> question<br />

lorsque n us atteignons quelque chopa qui n’a pas do meilleure raison<br />

d’être ( ound for exist<strong>en</strong>ce) que d’être le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t admis <strong>de</strong> la tra<br />

dition on question. Ainsi nous ne pouvons jamais examiner une partie<br />

<strong>de</strong> i’eflej bio qu’<strong>en</strong> considération <strong>de</strong> cet <strong>en</strong>semble même, quo nous ne<br />

pouvons reconstruire <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t et dont nous sommes obligés dacoop_<br />

ter sans xam<strong>en</strong> la majeure partie” (t. 2, pp. 28—29).<br />

— 95 —<br />

Plus <strong>en</strong>core que dans les idées rapidom<strong>en</strong>t brossées dans<br />

l’Epilogue sur la notion d’évolution culturelle, nous trouvons dans<br />

la théorie <strong>de</strong> l’évolution du droit <strong>de</strong>s ch. 4 à 6 du tome I <strong>de</strong> Droit,<br />

Législation et Liberté <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts très précis sur les mécanismes<br />

<strong>de</strong> l’évolution normative.<br />

Il nous semble qu’il serait fécond d’.nalyser l’évolution<br />

culturelle, et singulièrem<strong>en</strong>t le rle <strong>de</strong>n créateurs et le travail<br />

<strong>de</strong>s intellectuels dans le champ <strong>de</strong>s idées, <strong>en</strong> conjecturant qu’on y<br />

retrouve les mécanismes, ou plus exactem<strong>en</strong>t les démarches, <strong>de</strong> l’in<br />

terv<strong>en</strong>tion du juge <strong>de</strong> droit coutumier dans le syetèrne <strong>de</strong>s ràles ju-.<br />

ridiques.<br />

Le juge, avons—nous dit, doit articuler le droit avec le<br />

fait, conformém<strong>en</strong>t à l’évolution <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t social. Il le<br />

fait, d’une part, sans recourir à <strong>de</strong>s “expédi<strong>en</strong>ts”; il doit méta<br />

morphoser le système <strong>de</strong>s normes plutêt que substituer aux normes dss<br />

procédures techniques. Il réfléchit sur le litige comme mi Paffaire<br />

litigieuse s’était prés<strong>en</strong>tée ailleurs et à tout autre mom<strong>en</strong>t; il est<br />

désintéressé, il a fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t le nons <strong>de</strong> l’av<strong>en</strong>ir et <strong>de</strong> l’uni<br />

versel; il doit préserver l’ordre spontané futur, c’ost—.’n—dire la<br />

“vie”, ou du moins la vie sociale.<br />

CONCLUION<br />

L’intellectuel, <strong>de</strong> même, oherche à résoudre les problèmes<br />

propres au temps prés<strong>en</strong>t. Ce qui le distingue <strong>de</strong> l’homme inculte<br />

(celui—ci fat—il le plus avisé <strong>de</strong>s “technocrates”), c’est quil re<br />

place ces problèmes dans le contexte <strong>de</strong> l’expéri<strong>en</strong>ce passée <strong>de</strong> l’hu—<br />

inanité, et ccci <strong>en</strong> proportion <strong>de</strong> la culture quil ri acquise, <strong>de</strong> sa


-96-<br />

richesc et <strong>de</strong> son organisation. C’et catie culture qui fait qu’il<br />

perçoitcertains problèmes comme nouveaux, ou, ce qui revi<strong>en</strong>t au<br />

mime, crtains faits comme problématiques et requérant l’innovation.<br />

Il propcse alors <strong>de</strong>s théories qui ne sont pas déduites logiquem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s savoirs, mais constitu<strong>en</strong>t une métamorphose du système<br />

d’interjrétation et d’évaluation <strong>de</strong> la réalité. Il cherche ainsi,<br />

lui aussi, à construire un av<strong>en</strong>ir — mais il n le souci d’un av<strong>en</strong>ir<br />

plus larp, non seulem<strong>en</strong>t social, mais cosmique. Il a, comme B<strong>en</strong>da<br />

l’avait i fortem<strong>en</strong>t marqué, le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> unjversei et cela le dis<br />

tingue trnt autant du commun <strong>de</strong>s hommes d’idées que le juge <strong>de</strong> droit<br />

coutumier, par son souci <strong>de</strong> “dire le droit” d’une façon universelle<br />

et durab’e, se distingue du commun do justiciables.<br />

h’intellectuel doit concilier ce s<strong>en</strong>s d’une logique optima.—<br />

le avec Ija perception <strong>de</strong> ce qu’aurait <strong>de</strong> délirant — au s<strong>en</strong>s propre<br />

du terme — la prét<strong>en</strong>tion dfle logique maximale, c’est—à—dire la<br />

prét<strong>en</strong>tin d’assumer l’av<strong>en</strong>ir par le simple comm<strong>en</strong>taire doctrinal <strong>de</strong><br />

1héritae, par une “pure sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s idées” parallèle à la “pure<br />

sci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s normes” dont llayek montre l’erreuv. La logique nous main<br />

ti<strong>en</strong>t, conme lavajt vu Bergson, dans le passé. L’intellectuel, dans<br />

un mon<strong>de</strong> évolutionnaire, est fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t autre chose qu’un com—<br />

m<strong>en</strong>tateur tributaire <strong>de</strong>s bibliothèques. A côté du juge, mais aussi<br />

<strong>de</strong> lsrtite et do l’homme d’action “inspiré”, et bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du du<br />

savant,qui est véritahem<strong>en</strong>t un intellectuel, il est créateur. Mais<br />

il l’est .. précisém<strong>en</strong>t — comme l’eL le juge. Sinon c’est un dévas<br />

tateur. I doit se t<strong>en</strong>ir à égale distance <strong>de</strong> la “fumée” et du “cris—<br />

-tal”, <strong>de</strong>s “délires confus” <strong>de</strong>s inv<strong>en</strong>teurs sans mémoire et <strong>de</strong>s “déli<br />

res organisés” <strong>de</strong>s traditionnalistes sans capacités inv<strong>en</strong>tives.<br />

.itro cette recherche sur l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s normes culturelles,<br />

la théorieL <strong>de</strong> llayek suscite d’autres prolongem<strong>en</strong>ts et recherches con<br />

nexes.<br />

théorie hayeki<strong>en</strong>ne d’une “rationalité nana intuition in—<br />

tellectuelle”, faite <strong>de</strong> la réman<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> schémas abstraits ou règles,<br />

nous rappelle la théorie aristotélico—thomimte <strong>de</strong>s habitus et <strong>de</strong>s<br />

lois, principes internes et externes <strong>de</strong> l’action humaine. Un exam<strong>en</strong><br />

historique <strong>de</strong> ces converg<strong>en</strong>ces pourrait permettre la mobilisation,<br />

pour une théorie mo<strong>de</strong>rne, non—freudi<strong>en</strong>ne, <strong>de</strong> la psychologie et pour<br />

une théorie du phénomène traditionnel, d’un riche cont<strong>en</strong>u empirique<br />

presque oublié <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces sociales <strong>de</strong>puis le triomphe <strong>de</strong>s paradig<br />

mes mécanicistes.<br />

— 97 —<br />

La théorie <strong>de</strong> la culture comme mémoire collective <strong>de</strong>s schè<br />

mes <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>t bénéfiques fait apparaltre les savoirs culturels,<br />

nous l’avons dit, comme <strong>de</strong>s savoirs <strong>de</strong> l’action. Par là, la théorie<br />

éclaire le concept <strong>de</strong> “sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> 1notioni, si mystérieu.x pour la<br />

pédagogie mo<strong>de</strong>rne, à la fois behavioriste et freudi<strong>en</strong>ne. Peut—il y<br />

avoir un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s pratiques? La théorie <strong>de</strong> Hayek<br />

nous permettra d’avancer quelques réflexions au sujet <strong>de</strong>s instru<br />

m<strong>en</strong>ts pédagogiques à mettre <strong>en</strong> oeuvre pour <strong>de</strong>s <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts dans<br />

les domaines où la médiation d’une théorie explicite n’est pas pos<br />

sible. V<br />

La notion <strong>de</strong> savoir traditionnel <strong>de</strong>vrait nous permettre <strong>de</strong><br />

formuler une hypothènm originale sur la raison d’tre <strong>de</strong>s “clérica—<br />

-tures” <strong>en</strong> tant que systèmes autonomes, caractérisés par une “clôtu<br />

re informationnelle”. C’ont parce que les paradigmes fondateurs d’<br />

une discipline sci<strong>en</strong>tifique ne sont pas justifiables à partir <strong>de</strong><br />

prémisses claires et distinctes, mais ont été fixés simplem<strong>en</strong>t parce<br />

qu’ils ne sont révélés bénéfiques, que la discipline doit tre portée<br />

par une institution structurellem<strong>en</strong>t close. glle doit se protéger<br />

contre la critique externe, à laquelle, littéralem<strong>en</strong>t, elle ne peut<br />

ri<strong>en</strong> répondre. Il faut donc qu’elle etefldc pas las critiques qu’<br />

elle ne peut faire taire et comporte, comme l’a dit Popper, un as—<br />

pnc-t “dogniatique”,dOnt le bouclage institutionnel est l’expression<br />

adéquate (loin que ce bouclage soit un phénomène sociologique sui<br />

g<strong>en</strong>eris ayant <strong>de</strong>s causes étrangèr<strong>en</strong> aux conditions <strong>de</strong> production du


savoir).<br />

— 98<br />

—<br />

fin, dans le prés<strong>en</strong>t volume, les textes <strong>de</strong> Christian Atias<br />

et G<strong>en</strong>evève Delaisi <strong>de</strong> Parceval et Jean—Prançois Malherbe reorés<strong>en</strong>—<br />

t<strong>en</strong>t pou4 la théorie un test dans lei <strong>de</strong>ux domaines privilégiés que<br />

sont l’istitution juridique et l’institution médicale. Coss<strong>en</strong>t, dans<br />

ces <strong>de</strong>uxinstitutions, émergont <strong>de</strong>s normea nouvelles? Y constate—t—on<br />

cetie in’égration do l’expéri<strong>en</strong>ce traditionnelle qu’indhpze la théorie?<br />

Quelle et la part du “constructivisme” dans ces institutions et quels<br />

sont les points précis où apparaiss<strong>en</strong>t s<strong>en</strong> limites? Ces textes, qui<br />

repr<strong>en</strong>ne<br />

9t <strong>de</strong>ux interv<strong>en</strong>tions au Séminaire “Reproductions et Ruptures<br />

culturelles”, ne se réfèr<strong>en</strong>t pas explicitem<strong>en</strong>t — sauf exceptions —<br />

à Hayek. Le lecteur fera lui—,nme le rapprochem<strong>en</strong>ts qui s’impos<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> att<strong>en</strong>d’ t e travail d’é’aboration théorique que <strong>de</strong>vra poursuivre<br />

le séminaFe.<br />

— 99 —<br />

NO l’ES<br />

I. F.—A. HATEIC, Droit, Législation et Liberté, tr. fr. par<br />

Raoul AUDOUIN, P.U.F., 3 vol., 1980, 1981, 1983. Law, Legis—<br />

lation ami Liberty, Routledge ami Icegan Paul, London, Mel<br />

bourne ami H<strong>en</strong>ley, 1973, 1976, 1979. Le prés<strong>en</strong>t exposé porte<br />

ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t sur le volume I, “Règles et ordre “.<br />

2. Droit, Législation et Liberté est à mon s<strong>en</strong>s un <strong>de</strong>s plus im<br />

portante textes philosophiques du Xlème sièole. C’est un livre<br />

peu étudié <strong>en</strong>core <strong>en</strong> Pr<strong>en</strong>se, m%me’a’il est déjà fort admiré.<br />

Je voudrais mo<strong>de</strong>stem<strong>en</strong>t contribuer ici à faire mieux lire<br />

oertains <strong>de</strong> sua chapitres, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s plus oom—<br />

piètes <strong>de</strong> cette oeuvre do flayek et <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes. Par la<br />

force <strong>de</strong> sa p<strong>en</strong>sée, la ereté <strong>de</strong> son raisonnem<strong>en</strong>t, l’origi<br />

nalité <strong>de</strong> ses thèses, la radicalité <strong>de</strong> son interrogation, ff—<br />

yak est peut.4tre le premier p<strong>en</strong>seur du social qui “répon<strong>de</strong>”<br />

vraim<strong>en</strong>t à Marx au niveau mtse où celui—ci s questionné. En<br />

ce s<strong>en</strong>s, T!ayek n’est nullem<strong>en</strong>t un auteur libéral parmi d’au<br />

tres. Ii est le premier philosophe, au s<strong>en</strong>s fort du terme, <strong>de</strong><br />

cette tradition, et <strong>en</strong> 0e sana il change totalem<strong>en</strong>t les assi<br />

ses conceptuelles du libéralisme et son <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir intelleotuel.<br />

3. Cf. l’Epilogue (1978) <strong>de</strong> Droit, Législation et Liberté, .t<br />

Our Moral Heritage, confér<strong>en</strong>ce donnée à The Univorsity Club,<br />

Washington, D C, le 29 nov. 1982.<br />

4. DTCARPES, Discours<br />

toma I, p. 578.<br />

5. Op. oit., p. 581.<br />

6. Op. oit., p. 579.<br />

7. Op. oit., p. 581.<br />

8. Op. oit., p. 582.<br />

9 Op. oit., p. 582.<br />

10. Op. oit., p. 581.<br />

<strong>de</strong> la Métho<strong>de</strong>, Edition Alquié, Carnier,


II. p. 581.<br />

12.<br />

13.<br />

- 100 —<br />

Si THOMAS D’AQUIN, Suais. theol., lia lias, qu. 53 a. 3<br />

coud.<br />

Cf. fleuri ATLAI1, Entre le cristal et la fumée, Seuil, 1979,<br />

pp. 76—77.<br />

14. Thème que Tlayek développe dans la confér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> 1982, Dur<br />

foral Heritage.<br />

15.<br />

16.<br />

La matière <strong>de</strong> l’exposé qui comm<strong>en</strong>ce ioi est fort riche et<br />

complexe. L’ordre choisi par Hayek pour la prés<strong>en</strong>ter est<br />

‘<strong>en</strong> spirale”, il revi<strong>en</strong>t à plusieurs reprises sur les mô—<br />

nes conoepts, chaque foie à une échelle et à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

précision <strong>de</strong> détail différ<strong>en</strong>ts. Et il ajoute l’pil,<br />

ui crée, <strong>en</strong> vérité, une nouvelle perspective. Nous t<strong>en</strong>—<br />

tons ici <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>ter l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> façon résumée et <strong>en</strong><br />

pattant l’acc<strong>en</strong>t sur la théorie <strong>de</strong> l’évolutiôn <strong>de</strong> la cul—<br />

are. D’où nos propres options quant à l’ordre <strong>de</strong> prés<strong>en</strong>—<br />

ation.<br />

1 faudrait rec<strong>en</strong>ser aveo préoision les sources <strong>de</strong> Hayek<br />

n psychologie, sci<strong>en</strong>ce qu’il n étudiée <strong>de</strong> façon approfon—<br />

le dans sa jeunesse et à laquelle il a oonnacré un ouvra—<br />

ez Tha S<strong>en</strong>sory Or<strong>de</strong>r. (1952).<br />

17. ‘est os que Kant a voulu nier. Cf. KANT,<br />

!étaphysjque<br />

Fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s<br />

la<br />

moeurs, trad. V. flelbos,<br />

1 critère du bi<strong>en</strong> moral est qu’il est “préoisém<strong>en</strong>t<br />

p r <strong>de</strong>voir,<br />

fait<br />

alors qnll n’y a pas d’ino1jnatjc<br />

p ur nous<br />

naturelle<br />

y pousser, et môme qu’une aversion<br />

j vinoible<br />

naturelle<br />

s’y<br />

et<br />

oppose”. Le déplaisir et<br />

s ni<br />

l’antj—naturalité<br />

in<strong>de</strong>x du bi<strong>en</strong>. L’impératif hayeki<strong>en</strong> n’est<br />

g riqua”,<br />

pas<br />

au<br />

“daté—<br />

sans où, dans la ligne do la morale<br />

loi<strong>en</strong>ne, nristoté-.<br />

il n’est pas fondé ailleurs que<br />

c.<br />

dans<br />

Mais<br />

l’axpérian—<br />

il n’est pas non plno “hypoth6tique, oar<br />

perception<br />

il exclut<br />

consolante d’un rapport moy<strong>en</strong>—fin.<br />

Ugorique<br />

Il est<br />

pour<br />

ou—<br />

l’individu, épistémologjqueme<br />

expérim<strong>en</strong>tal<br />

limité, et<br />

pour la société considérée à<br />

celle<br />

une<br />

<strong>de</strong><br />

certaine<br />

temps<br />

é—<br />

et d’espace. Anti—kanti<strong>en</strong> <strong>en</strong> cela,<br />

epprunte<br />

Hayek<br />

au contraire à Kant (cf. DLL p. 7) la<br />

rglea<br />

théorie <strong>de</strong>s<br />

abstraites, non—finalisées, permettant<br />

ordonnée<br />

la poursuite<br />

<strong>de</strong> la vie morale collective. Il déclare<br />

di<br />

que<br />

point où<br />

o’est<br />

cet auteur (ainsi que HUME) a porté<br />

d<br />

l’analyse<br />

la morale qu’il fait repartir sa propre recherche.<br />

— 101 —<br />

19. K. POPPER, La Logique <strong>de</strong> la découverte sci<strong>en</strong>tifique, Fayot,<br />

1973, p. 28287; La Connaissance objective, Ed. Complexe,<br />

1978, p.p. 89—92. Cf. Alain BOYER, “La tyrannie <strong>de</strong> la certi—<br />

tu<strong>de</strong>” Esprit, 5/1981.<br />

20. Hayek rejoint ainsi la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la “culture” face au<br />

technocratieme. Cette déf<strong>en</strong>se, d’ordinaire, passe pour un<br />

traditionnalisme ou un passéisme, voire une rev<strong>en</strong>dication<br />

<strong>de</strong> clamse (la “culture” étant particulièrem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>te<br />

mous forme <strong>de</strong> connaissances expijoitem chez les élites an<br />

ci<strong>en</strong>nes d’une société). loi le technooratisme est i<strong>de</strong>nti<br />

fié comme une forme du rationalisme conatruotiviate, la<br />

culture comme une autre partie <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce.<br />

21. Voir les analyses du tirage au sort et du cons<strong>en</strong>sus sur les<br />

procédures, optimisation <strong>de</strong>s chances pour les co—aoteurs <strong>en</strong><br />

univers non cannu, t.2, ch. 7, p. 4. Tout ce chapitre repr<strong>en</strong>d<br />

aveo une étonnante <strong>de</strong>xtérité intelleotuelle l’analyse du rô<br />

le <strong>de</strong>s règles abstraites.<br />

22. Voioi comm<strong>en</strong>t, dans le cas <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> marché, le non—rea—<br />

peot <strong>de</strong>s principes peut aboutir <strong>de</strong> proche <strong>en</strong> proche à un<br />

blocage complet du système: “La nécessité <strong>de</strong> s’adapter à <strong>de</strong>s<br />

événem<strong>en</strong>ts imprévus signifiera toujours que quelqu’un va su<br />

bir un dommage, que les espérances <strong>de</strong> quelqu’un seront dé.<br />

çues et ses efforts réduits à néant. Cela provoque la <strong>de</strong>man<br />

<strong>de</strong> que l’ajustem<strong>en</strong>t requis soit opéré selon un processus dé<br />

libéré; ce qui <strong>en</strong> pratique signifie que l’autorité aura à<br />

déci<strong>de</strong>r à qui faire mal. Le résultat est que souv<strong>en</strong>t lea a—<br />

justem<strong>en</strong>ts nécessaires seront empôchés dès qu’ils seront pré<br />

visibles” (p. 75). Mais si les individus obéiss<strong>en</strong>t effective<br />

m<strong>en</strong>t aux injonctions te l’autorité qui, susp<strong>en</strong>dant les règles<br />

abstraites et décidant <strong>de</strong> recourir autoritairem<strong>en</strong>t à une pro<br />

cédure finalisée, leur donn<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s comman<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts psrtiouliere<br />

aux termes <strong>de</strong>squels ceux—ci sont t<strong>en</strong>us <strong>de</strong> ne pas t<strong>en</strong>ir compte<br />

<strong>de</strong>s circonstances nouvellés dont ils ont connaissance et d’a<br />

gir comme par le passé, que se passe—t—il?”Certaine (indivi<br />

dus) se verrai<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t dans l’impossibilité matériel<br />

le <strong>de</strong> le faire parce que certaines <strong>de</strong>s circonstances ont chan<br />

gé. Maia ils ferai<strong>en</strong>t ainsi faux bond à d’autres individus,<br />

les plaçant <strong>de</strong> môme dans l’impossibilité matérielle <strong>de</strong> conti<br />

nuer comme avant; la situation rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> pro<br />

che <strong>en</strong> proche. Inci<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, notons que c’est l’une <strong>de</strong>s raisons<br />

pour lesquelles un système complètem<strong>en</strong>t planifié n toutes<br />

chances <strong>de</strong> s’effondrer. Maint<strong>en</strong>ir un flux global <strong>de</strong> résultats<br />

dans un système complexe <strong>de</strong> production exige une gran<strong>de</strong> élas<br />

ticité dans la comportem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts du système; c’est<br />

pourquoi ce sont d’imprévisibles changem<strong>en</strong>ts au niveau <strong>de</strong>s<br />

individus qui assureront un haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> prévisibilité quant<br />

18. AR’STOPE, Ethique à Nioom, VII, 1152 n 27—33. aux résultats globaux” (p. 124).


—102—<br />

3. Cf. Karl POPPER, Conjecturas anti refutations, Uoutlsdge<br />

and Kegan Paul, 1963, p. 49i “Our prop<strong>en</strong>sity to look out<br />

for regularities, and to impone lawu upon nature, lan<strong>de</strong><br />

to the psychologioal ph<strong>en</strong>om<strong>en</strong>on cf dogmatic thinking or,<br />

more gcnerally, doCmatio behaviour... Phis dogmatiam is<br />

to morne ext<strong>en</strong>t necesaary. It im <strong>de</strong>mandod by a situation<br />

which cnn only be <strong>de</strong>ait with by forcing our conjectures<br />

upon the world”. Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, on “dogmatisme” n’<strong>en</strong> est<br />

pas un, puisqu’il n’est admis par Popper que dans le ca<br />

dre du progrès dynamique <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce, comme un mom<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> ce progrès, immédiatem<strong>en</strong>t suivi du mom<strong>en</strong>t critique. Maie L’EMERGENCE DE LA NORNE JURIDIQUE<br />

la thèse positive <strong>de</strong> Hayek est précisém<strong>en</strong>t que c’est la<br />

discussion critique elle—mme qui oblige, étant donné la<br />

epéoifioité <strong>de</strong>s règles abstraites comme élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> savoir<br />

<strong>en</strong> univers oomplexe, à ne pas les sacrifier aux “expédi<strong>en</strong>ts”.<br />

2 • J’utilise ici <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la théorie du psychisme con<br />

naissant exposée dans H<strong>en</strong>ri ATLAN, cit., ch. 5, “Con—<br />

sci<strong>en</strong>ce et désir dans les systèmes auto—organisateurs”.<br />

2. Cf. fl<strong>en</strong>ri ATLAN,. cit., p. 148, et notre oomm<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> par Christian ATlAS<br />

0e texte, “Les intellectuels et la prophétie”, infra, p.<br />

126.<br />

Voir les exemples donnés par Ch. Atias, infra, p. 124—


— 105—<br />

fIillGl:NCl Ifl LA N01t2lg JUUIDIQUI<br />

Christian ATlAS<br />

Séance du 24 novembre<br />

I.e juriste a—t—H quelque chose à dire <strong>de</strong> L’émer<br />

g<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> La norme juridique? Les juristes français n’<strong>en</strong><br />

sont guère convaincus. Ils ne p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong>voir examiner<br />

Les conditions dé,nerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s normes, ni expliquer un tel<br />

phénomène. S’ils étudi<strong>en</strong>t et mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> oeuvre <strong>de</strong>s normes,<br />

c’est seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> constatant leur exist<strong>en</strong>ce et leur com<br />

pLet achèvem<strong>en</strong>t. L’idéologie sous l’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> laquelle<br />

ils travaill<strong>en</strong>t donne un statut très inférieur aux condi<br />

tions <strong>de</strong> formation du droit. Le positivisme juridique qui<br />

sous—t<strong>en</strong>d La démarche intullectuelle <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s<br />

juristes contemporains considère, <strong>en</strong> effet, que le droit<br />

découle d’un certain nombre <strong>de</strong> “sources” déterminées: ces<br />

“sources” sont <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> volonté d’une nature<br />

particulière. Le législateur et les juges font du droit<br />

parce qu’ils ont reçu une habilitation institutionnelle à<br />

Le faire. L.]. <strong>en</strong> résulte que seules import<strong>en</strong>t leurs déci<br />

sions; tant qu’iLs ne se sont pas exprimés, it n’y n pas<br />

<strong>de</strong> droit. S’il est clair que leurs prises <strong>de</strong> position sont<br />

fonction <strong>de</strong> certaines circonstances historiques, économi<br />

ques, socinles, idéologiques... , La volonté normative<br />

transc<strong>en</strong><strong>de</strong> ces circonstances; c’est seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant que<br />

la Loi ou la jurispru<strong>de</strong>nce [os <strong>en</strong>registr<strong>en</strong>t et tellsqu’el—<br />

les les <strong>en</strong>registr<strong>en</strong>t qu’elles sont intéressantes pour le<br />

juriste positiviste. Autrem<strong>en</strong>t dit, l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nor<br />

me Juridiquo n’est pas un objet d’étu<strong>de</strong> pour lui; IL doit<br />

se limiter à examiner La norme après qu’elie ait définiti<br />

vem<strong>en</strong>t émergé, ri est bi<strong>en</strong> vrai <strong>de</strong> dire que Le positivisme


106— - 107 -<br />

jurid que s ‘<strong>en</strong>t’orine dans une “perspect ive st ri c tom<strong>en</strong> t for—<br />

matis e et statique” Ci).<br />

I ‘abri<br />

vo ca t;<br />

ativi<br />

dos inc<br />

<strong>de</strong> auJ<br />

J u rid:<br />

par L<br />

elle C<br />

dé for<br />

ter d’<br />

ralt<br />

qui on<br />

do pas<br />

la no<br />

m<strong>en</strong>t,<br />

formes<br />

tour e<br />

ci toye<br />

no nnos<br />

princi<br />

ce in tu<br />

automol<br />

auto ri.<br />

do grol<br />

cé do<br />

Le pour<br />

nel leini<br />

Il semble a priori que tes sociologues soi<strong>en</strong>t à<br />

• d’une telle perspective. N’est—ce pas l’une <strong>de</strong> leurs<br />

ons quo <strong>de</strong> s ‘interroger sur “la part relative (le cré—<br />

é du droit ou <strong>de</strong> pression sociale dans l’élaboration<br />

dàles et <strong>de</strong>s rLos” (2) ? Pourtant, il Jour arrive<br />

tir l’influ<strong>en</strong>ce du positivisme, voire du sociologisine<br />

quos; ils coflSi(l3rOflt alors quo la norme n’existe quo<br />

vertu du verbe législatif et qu’etl.o n’existe que si<br />

[écrit la réalité sociale (3).<br />

Ces approches juridique ou secte logique risqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

or le ph6noinno <strong>de</strong> I ‘émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne. Pour ton—<br />

éviter ces dlveros t<strong>en</strong>dances réductionnistes, il pa—<br />

écossai re d’observer I ‘ egisemh le (têts Cl rcotistancos<br />

t pu <strong>en</strong> tout—or I ‘n ppa ri t tort ulu certaines rio rut os , ii va n t<br />

5cr cil revue quelques explications <strong>en</strong>visageables. Si<br />

no juridique e s t la dé fi ni t ion <strong>de</strong> ce qui , ju ri dtque—<br />

bit être, son émerg<strong>en</strong>ce peut pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong> multipLes<br />

correspondre à <strong>de</strong> niultipLes modalités. Le légista—<br />

t les Juges, ci ‘t* Ires atitori tés aussi, <strong>de</strong> simpi os<br />

is sans cloute, peuv<strong>en</strong>t contri huer à I n naissance <strong>de</strong><br />

Ces no nues poltvurtt ouiJ> I t ‘ itoilvo I tes tians leur<br />

conimo celle qui e fait obligation <strong>de</strong> porter une<br />

e do sécurité au conducteur et au passager av<strong>en</strong>t clos<br />

iles; ou se substituer à une autre, comme celte qui<br />

e l’avortem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant tes dix premières semaines<br />

sasse, alors qu’il donnait lieu jusque—là au pronon—<br />

anctions péna tes; ou <strong>en</strong>core colle qui donne au juge<br />

oir <strong>de</strong> réduit re ii, montaut d’une I roiemiai té co,ivuintl on—<br />

nt fixée et considérée auparavant comme intangible.<br />

Ce qu’il faut observer d’emblée, que toutes ces nor<br />

mes s’appLiqu<strong>en</strong>t plus ou moins indirectem<strong>en</strong>t aux citoy<strong>en</strong>s.<br />

Les relais sont multiples, les filtres plus ou moins sélec<br />

tifs et déformants; mais ils ne disparaiss<strong>en</strong>t Jamais tout—<br />

à—fait. Un Juriste qui affirme, par exemple, que, dans sa<br />

matière (le droit pénal spécial), la “Jurispru<strong>de</strong>nce” ne<br />

peut avoir le x4le créateur qui lui apparti<strong>en</strong>t dans utrQ5<br />

branches du droit” (li), fl’efl reconnaîtra pas moins que tes<br />

juges sarrog<strong>en</strong>t parfois le pouvoir “d’ét<strong>en</strong>dre ilLégalem<strong>en</strong>t”<br />

une notion définie par la loi (5). Qu’est—ce à dire? Que,<br />

du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> sa g<strong>en</strong>èse, la norme n’est Jamais exacte<br />

m<strong>en</strong>t le produit <strong>de</strong>ssourcos du droit. Pour La voir naitre<br />

1<br />

il faut observer le jeu <strong>de</strong>s multipLes relais qui intervi<strong>en</strong><br />

n<strong>en</strong>t dans son application, comme dans sa révélation au pu<br />

blic. Ainsi est—il possible <strong>de</strong> mieux compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t se<br />

forme le savoir culturel propre ou non nu mon<strong>de</strong> du droit.<br />

Un exemple te montre. Voici une décision <strong>de</strong> Justice qui<br />

prononce le divorce cia doux époux parce quo t ‘un <strong>de</strong>s doux<br />

est un ivrogne ou un Joueur invétéré! Cette décision est<br />

considérée comme une application <strong>de</strong> l’article 2I2 (lu Co<strong>de</strong><br />

civil: “i.e divorce peut ètre <strong>de</strong>mandé par un époux pour <strong>de</strong>s<br />

faits imputabtes à l’autre Lorsquo cas faits constitu<strong>en</strong>t<br />

une violation grave ou r<strong>en</strong>ouvelée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs et obligations<br />

du mariage et r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt intolérable le mainti<strong>en</strong> <strong>de</strong> la vie com<br />

mune”, lin auteur remarque: “La pratiqua Judiciaire..., <strong>en</strong><br />

sanctionnant une infinie variété cia fautes, fait apparairo<br />

une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs auxquels on n’aurait pas songé”<br />

(6). 1a ces trois faits — le Jugem<strong>en</strong>t, la Loi, la prés<strong>en</strong>ta<br />

tion doctrinale<br />

— lequel fait émerger la norme? Qui dit<br />

qu’il. y a “solidarité (7) antre époux et pour<br />

quoi? képondre à <strong>de</strong> telles questions, c’est analyser ta<br />

constitution d’un savoir culturel. Pour m<strong>en</strong>er à bi<strong>en</strong> une<br />

tel Le tache, il importe d’examiner <strong>de</strong>s exemptes d’émerg<strong>en</strong>ce


- 108 —<br />

<strong>de</strong> no; ries juridiques, avant <strong>de</strong> confronter les diverses ex—<br />

plicar ions qui on sont proposées.<br />

I<br />

)11S ClIVÂT I UN ICI PlI CNUN N C<br />

Plusieurs hypotltèsos très différ<strong>en</strong>tes peuv<strong>en</strong>t se<br />

prés<strong>en</strong> ter dans lesquelles la norme juridique émerge <strong>de</strong><br />

circon<br />

convie<br />

parmi<br />

et cou<br />

ci<strong>en</strong> (<br />

soumis<br />

té, bi<br />

bi<strong>en</strong> q’<br />

a jrohr<br />

sci<strong>en</strong>t.<br />

tances extranein<strong>en</strong>t variées. L’appar<strong>en</strong>ce est qu’il<br />

t d’opposer, <strong>de</strong> manière irréductible, Les cas où,<br />

es faits soumis au droit, un fait nouveau surgit<br />

où une nonne nouvel le est appLiquée à tin fait an—<br />

o terme “fa i t” est ici pris au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> circonstance<br />

au droit et provoquant son application), 1rn réali—<br />

n <strong>de</strong>s traits communs se retrouv<strong>en</strong>t sans doute, si<br />

e La distinction du fait nouveau et du fait anci<strong>en</strong><br />

bloinont plus d’ intért didactique que <strong>de</strong> valeur<br />

fiquo.<br />

A — L’émnorgnnce do la norme <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce d’un fait<br />

nouveau.<br />

Qu’un fait iriémij.t doive donner Lieu à la création<br />

d’une m ègle nouvelle, c’est ce que nombre <strong>de</strong> juristes ad—<br />

mettrai nnt volontiers sans hésitation ni nuance. Il fut,<br />

par axe ipi e, très commun do reprocher au I égis la Leur Cran—<br />

çais d’<br />

‘Juridiq<br />

nale qti<br />

les pro<br />

exptiqu<br />

pour Le<br />

du 23 f<br />

son avi<br />

vo i r manqué mIe réa I ismimo on no créant pas <strong>de</strong> régi nie<br />

e particulier pour cette réalité économique origi—<br />

constituait Le fonds <strong>de</strong> commerce. lie mme, ce sont<br />

‘rès réc<strong>en</strong>ts (le la biologio et do La mé<strong>de</strong>cine qui<br />

ront la création d’un Comité nationaL d’éthique<br />

sci<strong>en</strong>ces do la vie et <strong>de</strong> la santé par un décret<br />

vrier 19h3; ce comité ‘n pour mission do donner<br />

sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la<br />

recherche dans tes domaines <strong>de</strong> la biologie, <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />

et do la santé, que ces problèmes concern<strong>en</strong>t l’homme, <strong>de</strong>s<br />

groupes sociaux ou La société tout <strong>en</strong>tière” l’ourtant, la<br />

question fondam<strong>en</strong>taLe est <strong>de</strong> savoir ce qui permet <strong>de</strong> con<br />

clure à la nécessité <strong>de</strong> la norme nouvelle. Autrem<strong>en</strong>t dit,<br />

<strong>en</strong> quoi le fait est—il nouveau et qu’est—ce que ta norme<br />

nouve t le?<br />

a) je_fi nouveau. Il n’y a pas <strong>de</strong> difficulté à<br />

constater que les normes Juridiques ont, chaque jour, à<br />

appréh<strong>en</strong><strong>de</strong>r dos situations inédites, <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts in<br />

connus, <strong>de</strong>s difficultés originales, tin mé<strong>de</strong>cin réalise une<br />

greffe (l’organe OU utilise un foetus vivant pour une expé<br />

rim<strong>en</strong>tation quelconque. Des femmes se montr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> public<br />

les seins nus. Des commerçants v<strong>en</strong><strong>de</strong>nt l’<strong>en</strong>semble <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s<br />

qui Leur permettai<strong>en</strong>t d’effectuer le commerce. Ces faits<br />

intéressants pour le droit ne se sont pas toujours r<strong>en</strong>con<br />

trés; à un mom<strong>en</strong>t donné, ils ont dté <strong>de</strong>s faits nouveaux.<br />

La plupart <strong>de</strong>s juristes <strong>en</strong> ont déduit quune norme <strong>de</strong>vait<br />

émerger. Si celle—ci tardait, ils se joignai<strong>en</strong>t volontiers<br />

aux sociologues pour stigmatiser le “retard du droit” par<br />

rapport à la vie sociale.<br />

- 109 —<br />

Une telle réaction serait peut—tre admissible si<br />

ta nouveauté du fait appréh<strong>en</strong>dé par le droit se mesurait<br />

par coinpnraison avec les faits antérieurs. In 1920, iL n’y<br />

avait pas rie femmiios à ta poitrine dénudée sur les pLages;<br />

auJourdhui, elLes sont aussi nombreuses que tes autres.<br />

Cri réalité, les juristes appréci<strong>en</strong>t La nouveauté d’un fait<br />

par référ<strong>en</strong>ce, lion aux faits antérieurs, mais à La norme<br />

antérieure. Ce qui est nouveau, ce n’est pas que <strong>de</strong>s femmes<br />

ne cach<strong>en</strong>t plus leurs seins; est qu’il ne semble plus<br />

possible ou souhaitable <strong>de</strong> sanctionner ce comportem<strong>en</strong>t. Ce<br />

qui est nouveau, ce n’est pas que les commerçants s’effor<br />

c<strong>en</strong>t <strong>de</strong> tirer profit <strong>de</strong> l’activité investie dans leur fonds


— 1l) —<br />

<strong>de</strong> con erce, c’est qu’il paraisse nécessaire do les proté—<br />

gor ou <strong>de</strong> protéger d’autres lntérts. Par conséqu<strong>en</strong>t, ce<br />

fait n uveau qui paraissait donner, comma directem<strong>en</strong>t, nais<br />

sance à la nonne n’est quufl Opinion nouvelle sur un fait<br />

qui autait pu tro assimilé à <strong>de</strong>s faits antérieurs. le fait<br />

nouvua ne oeut justifier L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme. C’est<br />

parce uo l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne paraIt Justifiée que le<br />

fait e t dit nouveau.<br />

b) a_nrmo nouvelle. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nonne ne<br />

s’opère jamais dans le néant. Comme t’écrit fort justem<strong>en</strong>t<br />

Nikias Luhmmnn (h), “C’est seulem<strong>en</strong>t à l’intérieur du sys<br />

tème Juridique quo le changem<strong>en</strong>t du la norme Juridique peut<br />

âtre perçu comma un changem<strong>en</strong>t du droit”. Toute émerg<strong>en</strong>ce<br />

dufl +rlne est remplacem<strong>en</strong>t d’une nonne par une autre.<br />

Contrajo,n<strong>en</strong>t à ce quo prét<strong>en</strong><strong>de</strong>nt beaucoup (le philosophes<br />

du droi, il n’y a jamais vi-aun<strong>en</strong>t do Incunu juridique .t<br />

combler Ainsi, la liberté pour tes femmes do se nmontrer<br />

torse n ne vi<strong>en</strong>t pas romnplir Lifl vi<strong>de</strong> préalable. In 1936,<br />

la Cour d’Appel <strong>de</strong> Paris appliquait fort clairem<strong>en</strong>t une<br />

norme à la danseuse fluo: “Vu l’impossibilité do définir<br />

avec pr cision jusquoù s’ét<strong>en</strong>d le domaine <strong>de</strong> l’art et oi<br />

comm<strong>en</strong>cØ celui <strong>de</strong> la lubricité, une attitu<strong>de</strong>, un geste, un<br />

regard, pouvant faire passer instantaném<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’un à l’au<br />

tre, on est am<strong>en</strong>é à conclure que le nu vivant intégral n’est<br />

pas admissiblo <strong>en</strong> public”(9). En 1917, la Cour d’Appel do<br />

Riom proclamalL, dans Le nmâme sons, que “le spoctaclo nie la<br />

nudité di corps humain, fréqu<strong>en</strong>t à notre époque, pour <strong>de</strong>s<br />

raisons <strong>de</strong> sport, d’hygiène ou d’esthétique, ri<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />

sol qui uisse outrager une pu<strong>de</strong>ur nonnale, mâme délicate,<br />

sj no ‘accommipagnu pas <strong>de</strong> l’exhibition do parties soxueL—<br />

les ou d attitu<strong>de</strong>s ou gestes lascifs et obscènes” (.io). H<br />

faut ronm rquer que, dans les cieux cas, les Juges aval ont à<br />

statuer ur un spectaci o organisé dans un li eim aménagé à<br />

— 111 —<br />

cet effet. La condamnation <strong>de</strong> l’exploitant d’un manège fo<br />

rain fut fondée sur La circonstance inverse et sur le carac<br />

tère non—artistique <strong>de</strong> l’exhibition d’une jeune fille à moi..<br />

tié nue couchée dans une caisse <strong>en</strong> verre sur les tessons <strong>de</strong><br />

bouteille (ii). Enfin, <strong>en</strong> 1965, la Cour <strong>de</strong> Cassation recon<br />

naissait une “exhibition provocante <strong>de</strong> nature à off<strong>en</strong>ser la<br />

pu<strong>de</strong>ur publique et à blesser le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t moral <strong>de</strong> ceux qui<br />

<strong>en</strong> ont pu âtre les témoins” dans le fait, pour une jeune<br />

femme, <strong>de</strong> jouer au ping—pong les seins nus sur une plage <strong>de</strong><br />

Cannes (12). La norme existait donc. De mâme, il n’y avait<br />

pas <strong>de</strong> lacune du droit français (13) à propos du concubina—<br />

go; traité comme immoral, il provoquait L.’application do<br />

la norme commune à ce type <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts. Tians les <strong>de</strong>ux<br />

cas, une opinion considérée comme déterminante a changé à<br />

l’égard d’un fait et c’est cette évotution qui a provoqué<br />

l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> ta norme nia remplacem<strong>en</strong>t. Aussi étonnant que<br />

cela puisse paraitre, il n’y avait pas d’avantage <strong>de</strong> Lacu<br />

ne juridique <strong>en</strong> matière d’opérations chirurgicales telles<br />

que les prélèvem<strong>en</strong>ts et greffes d’organes ou <strong>en</strong>core <strong>de</strong> pro—<br />

tection <strong>de</strong>s consommateurs. Des normes très précises proté<br />

geai<strong>en</strong>t le corps humain et réglem<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t ta formation <strong>de</strong><br />

tous les contrats. L’application <strong>de</strong> ces normes a pu âtre<br />

écartée au vu <strong>de</strong> leurs résultats considérés comme néfastes<br />

ou parce quelles ne paraissai<strong>en</strong>t pas applicables aux nou<br />

velles circonstances.<br />

En définitive, si Kuhn a pu écrire qu’”un fait nou<br />

veau n’est pas tout—m—fait un fait sci<strong>en</strong>tifique” (iii), il<br />

faudrait poser qu’aucun fait juridique n’est ja,nais tout—<br />

à—fait nouveau. C’est pourquoi. le fait anci<strong>en</strong> permet peut—<br />

âtre uno meilleure observation <strong>de</strong> l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme<br />

juridique.


— 112 —<br />

B I.’élnorgance do In florlilo <strong>en</strong> présonce d ‘un fait<br />

anci on.<br />

Qu’un faitancjon, ancjonflo,flQnt constaté et catato—<br />

gué, puisse donner lieu à l’émerg<strong>en</strong>ce d’uno norme Juridique,<br />

c’est l’évi<strong>de</strong>nce.’ Deux situations peuv<strong>en</strong>t l’expliquer. Ou<br />

bi<strong>en</strong>, l Solution anci<strong>en</strong>ne invariante apparait critiquable;<br />

et le riisonnom<strong>en</strong>t est alors très Voisin <strong>de</strong> celui qui s’ap<br />

pliquait au fait nouveau. Ou bi<strong>en</strong>, la Solution anci<strong>en</strong>ne é<br />

voluo ele—m,no et donne naissance à une norme nouvelle;<br />

là <strong>en</strong>core, la par<strong>en</strong>té avec le cas du fait nouveau n’est pas<br />

exclue. La différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux situations se limite<br />

à l1opp4sition d’une réaction do rejet et d’une réaction <strong>de</strong><br />

cristal‘1isation.<br />

a) Abandon dola oltition anci<strong>en</strong>ne L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong><br />

la nor,n procè<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’idée d’une nécessaire<br />

amélior tion du droit positif. Elle est préparée par la cri<br />

tique <strong>de</strong> la norme antérieure au nom <strong>de</strong> la logique, <strong>de</strong> I op_<br />

portunit ou <strong>de</strong> la justice. Par exemple, la situation défa<br />

vorable aite aux <strong>en</strong>fanta nés hors mariage n été reprochée<br />

au droit français p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s années avant que ne soit vo<br />

tée la I i du 3 janvier 1972 consacrant l’égalité <strong>de</strong> droit<br />

<strong>de</strong>s onfa ta légi limes et <strong>de</strong>s onfants na turol s. l)e màme, il<br />

paraissait injuste qu’une concubine dont lu cempagnon avait<br />

étd tué cans un acci<strong>de</strong>nt ne pt tro in<strong>de</strong>mnisée du préjudi<br />

ce subi ar la faute du responsable; puis il parut injuste<br />

ou illogque do réserver le droit à réparation à la concu<br />

bine dont le compagnon n’était pas marié par ailleurs. La<br />

nouveLle norme selon laquelle la concubine a, dans ce cas,<br />

un “intért légitime, juridiqt,e,,,<strong>en</strong>t protégé” est, on quel<br />

que sorte, née <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte par modi fi cation Lie I ‘une<br />

do ses ce dl ti omis. C’OSt seul ‘miimont I o résiil tt qui s’ j nvor—<br />

— 113 —<br />

se dans le cas <strong>en</strong>visagé, sans que la “logique” <strong>de</strong> la norme<br />

<strong>en</strong> soit affectée.<br />

b) a’volutjon e_L solution anci<strong>en</strong>ne. Le S<strong>en</strong>atus—<br />

consuLte VetLe1<strong>en</strong>, qui date du droit romain, interdisait<br />

à ta femme mariée d’<strong>en</strong>gager ses bi<strong>en</strong>s aux catés <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong><br />

son mari pour augm<strong>en</strong>ter son crédit. Par cristallisation<br />

progressive, cette interdiction limitée se transforme <strong>en</strong><br />

incapacité générale <strong>de</strong> la femme mariée, norme quiL faudra,<br />

<strong>en</strong> fait, trois lois, <strong>en</strong> 1838, 1942 et 1965, pour éliminer.<br />

Le Co<strong>de</strong> civil consacre un certain nombre do solutions ponc<br />

tuelles qui donn<strong>en</strong>t une gran<strong>de</strong> importance à la volonté <strong>de</strong>s<br />

parties. lIes auteurs, consci<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>s inconvéni<strong>en</strong>ts d’une<br />

systématisation trop radicale <strong>de</strong> ces solutions, la critiqu<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> la désignant sous le nom <strong>de</strong> théorie <strong>de</strong> l’autonomie <strong>de</strong> la<br />

volonté (15). Reprise à leur compte par d’autres auteurs,<br />

cette théorie initialem<strong>en</strong>t conçue comme une cible <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre<br />

une norme d’intangibilité absolue du contrat et <strong>de</strong> distinc<br />

tion absolue <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> formation et d’exécution du<br />

contrat. 1)ans ces hypothèses, la norme Juridique s’auto—pro—<br />

cluit véritablem<strong>en</strong>t (16). L’appar<strong>en</strong>te opposition avec les<br />

cas précé<strong>de</strong>nts est toute relative. Lorsque la règle anci<strong>en</strong>ne<br />

parait ne plus pouvoir tre appliquée à un fait nouveau,<br />

c’est <strong>en</strong>core par rapport à elle quo s’élabore la norme nou<br />

vel le.<br />

Ces hypothèses brièvem<strong>en</strong>t évoquées révèl<strong>en</strong>t l’impor<br />

tance considérable do l’appréciation portée sur les normes<br />

existantes dans l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme Juridique. Il faut<br />

se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les explications proposées <strong>de</strong> ce phénomène<br />

ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t co,npte <strong>de</strong> cette donnée.


— 11 i —<br />

I: — NXPIJ CATION 3)11 1’lllNO;I lNl<br />

L’apparition d’une norme Juridique est assez sou<br />

v<strong>en</strong>t saluée comme Lin progrès, progrès que la protection <strong>de</strong>s<br />

conso mateurs, que la liberté sexuelle ou que la liberté do<br />

l’avo tom<strong>en</strong>t, progrès quo la création d’un comitd d’éthique.<br />

Ifldépndamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> raisons politiques qui peuv<strong>en</strong>t susciter<br />

cetteattitu<strong>de</strong>, elle se fon<strong>de</strong> géndral<strong>en</strong>,<strong>en</strong>t sur l’impression<br />

que le droit répond à une att<strong>en</strong>te, à un besoin <strong>en</strong> créant la<br />

norme nouvelle. Cette vision qui relève d’une philosophie<br />

Juridique à prét<strong>en</strong>tion réaliste pout être appréciée on elle—<br />

même, avant d’être complétée, LIe plus, si le droit a ses<br />

processus propres d’évolution, ii est aussi un objet <strong>de</strong> con—<br />

naissahce soumis à <strong>de</strong>s contraintes épi stéiiinlogiqj,es, dép<strong>en</strong><br />

dant dH mo<strong>de</strong>s do cons Ci tut ion cii, savo t r don t i I os t I ‘ol)J e L.<br />

A — lnsoj gflernni ta do I pli iloaoplij e clii dru I L.<br />

Ilion <strong>de</strong>s normes nouvelles sont prés<strong>en</strong>tées comme les<br />

résul tts d’un effort, louable par hypothèse, cl ‘adaptaije,,<br />

du droit au fait, il y aurait du réalisme à provoquer I ‘é—<br />

merg<strong>en</strong>e d’une norma face à certaines situations <strong>de</strong> fait.<br />

Ainsi 1os parti anna du la viii’,) 1,110 chu L ‘avo rI.u,,ie,, t j civoc3,aJ ont—<br />

j Ls b rombre <strong>de</strong>s avortupii<strong>en</strong>ts prat tipiés sous L ‘empire do la<br />

légisiajon prohibitive; ceux qui souhaitai<strong>en</strong>t la reconnais<br />

sance dune possibilité <strong>de</strong> divorce par accord <strong>en</strong>tre les ci—<br />

poux ‘i1etaj ont <strong>en</strong> avant le nombre clos divorces prononcés par<br />

<strong>de</strong>s Jugs à qui avai<strong>en</strong>t été sOumis (le fausses Lettres


— 1 16 —<br />

Le cl ung<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t do in régi e ne petit donc tre quo te résultat<br />

d ‘unc<br />

appréciation portcc sur la règle.<br />

Paut—jI alors invoquer les critiquas adressées par<br />

llayek, nu constructjvjs,,iu pour sauver C05 legislatjo<br />

5 qui<br />

veul<strong>en</strong>t créer <strong>de</strong>s nonnes libératrices? Ce serait une triple<br />

erreur. Tout d’abord, ce serait oublier que la norme anci<strong>en</strong><br />

no n’avait pas plus ou moitis d’exist, quo la précé<strong>de</strong>nte<br />

La nouvelle norme libératrice est uno nonne construite,<br />

me la norme prohibitive au no,,, d’objectifs apparemm<strong>en</strong>t ru—<br />

tionnis. lnsuita, in nonne flouvoti, pr<strong>en</strong>d place dans un<br />

<strong>en</strong>se,nthe qui lui donne et peut seul lui donner sa véritable<br />

sinirfication I.e co,I,portegn<strong>en</strong>t autorisé voisin<br />

compoztem<strong>en</strong>ts autorisés et s’oppo<br />

coin—<br />

0 avec d’autres<br />

50 à d’autres comportem<strong>en</strong>ts<br />

iflterd ts. l.a not-,i,, définit donc une nouvelle hiérarchie <strong>de</strong><br />

Valeur , mais elle <strong>en</strong> construit une, comme celte qui t’a<br />

Précéclîe. hnfin, le résultat <strong>de</strong> la toi nouvelle n’est pas<br />

nécessajro,,,ont un changc,,,ont do nonne; il provoque rarem<strong>en</strong>t<br />

lérnergefl <strong>de</strong> la nonne osconiptée.<br />

1.’ ox<strong>en</strong>ipl o ciii clive rco un t sur co pu int ext rmemne,tt<br />

Signifjcjf La loi cli, il juillet 1975 est votée pour que<br />

la Législation française pr<strong>en</strong>ne acte <strong>de</strong> la nonne constatée<br />

dans L’ pplication <strong>de</strong> la loi nntérj<br />

1 Plus précisém<strong>en</strong>t,<br />

il s’agt d’admettre tin divorce par cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t mutuel potir<br />

éviter es fausses lettres d’injures, pratique hypocrite<br />

qui abotit à aggraver les conflits <strong>en</strong>tre époux et qui porte<br />

atteint à la dignité <strong>de</strong> l’institution judiciaire. Il faut<br />

donc cr et un divorce conv<strong>en</strong>tionnel pour empcher cette sor<br />

te <strong>de</strong> dvorco <strong>de</strong> transparautre <strong>de</strong> force, sous le divorce<br />

cont<strong>en</strong>tieux Sit6t la toi <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> application, les juris<br />

tes ont découvert <strong>de</strong> fausses conv<strong>en</strong>tions Soumises au juge;<br />

10 dlvorco cont<strong>en</strong>tjet,x se cache clénonnais sous le dtvorce<br />

conv<strong>en</strong>tjnnoI, tandis que <strong>de</strong> nombreux divorces coriv<strong>en</strong>tion<br />

— 117 —<br />

nets sembl<strong>en</strong>t continuer d’emprunter la voie du divorce con<br />

t<strong>en</strong>tieux. Tout se passe comme si La norme n’avait guère été<br />

affectée par la réforme. Ce qui a été modifié<br />

1 c’est la re<br />

prés<strong>en</strong>tation, donnée clans I.e public, du droit français qui<br />

apparaît comme plus libéral; c’est alors la réaction au<br />

comportem<strong>en</strong>t observé qui est <strong>en</strong> cause.<br />

h) Lnie_e !a_ria.t!ofl effectIvem<strong>en</strong>t observée.<br />

C’est une idéologie à la mo<strong>de</strong> que celLe du pluralisme lé<br />

gislatif. Il s’agit d’offrir, à la population, autant do<br />

régimes juridiques qu’il y n <strong>de</strong> comportem<strong>en</strong>ts observés et<br />

qui ne susci tant aucune réaction <strong>de</strong> rejet (le I ‘opinion pu<br />

blique. La caractéristique du pluralisme est do substituer<br />

un nouveau mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> sélection <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts aux mo<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> sélection antérieurs. Au lieu <strong>de</strong> s’appuyer sur une sé<br />

lection traditionnelle, c’est—à—dire sur une sélection o—<br />

pm5rée progressivem<strong>en</strong>t par essais et erreurs au cours (le<br />

l’histoire, il s’agit d’adopter une sélection purem<strong>en</strong>t ac<br />

tuelle, fonction clos réactions do ta majorité; d’où le re<br />

cours systématique aux sondages d’opinion. L’important est<br />

<strong>de</strong> remarquer qu’iL ny a pas moins <strong>de</strong> séLection qu’aupa<br />

ravant. L’important est surtout d’observer que Les diffé<br />

r<strong>en</strong>ts régimes proposés ne sont pas équival<strong>en</strong>ts, que cer<br />

tains exerc<strong>en</strong>t un attrait étranger aux autres. Y a—t—il<br />

lieu <strong>de</strong> songer ici à une version juridique <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong><br />

Copernic—Graham selon laquelle te mauvais régime chasse<br />

rait le bon? La question mérite d’autant pLus d’être posée<br />

quo le législateur pluraliste se contredit, au mains, <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux façons. mtn premier lieu, il reconnait que l’un <strong>de</strong>s<br />

modèles proposés — le plus m<strong>en</strong>acé? — est le meilleur; il<br />

le roconnatt clans do faussas nonnes, daxis <strong>de</strong>s dispositions<br />

légales saris aucune portée normnativo. C’est ta Loi <strong>de</strong> 1973<br />

autorisant l’avortem<strong>en</strong>t libre qui proclamo que la vie hu—


— 718 —<br />

main doit être rospoctée à compter do la conception. in se<br />

cond lieu,.. ce mêmo législateur qui déclin<br />

0 sa re5ponsabilit6<br />

morale <strong>en</strong> prét<strong>en</strong>dant que ce n’est pas la loi qui fait les<br />

IflOLt1rS , moi 1 • I!oeurs c7U1 t I mi 1 j , O ‘I”si t e i’ 1 n r—.<br />

firme’ par ailleurs qu’iL doit supprimer certaines dlsposi_<br />

tionar susceptibles d’ori<strong>en</strong>ter les moeurs dn un mauvais sons.<br />

Âinsi <strong>de</strong> l’article 2114 du Co<strong>de</strong> civil qui préci soi I. ciii.. la ‘mis.<br />

fliC ùariée pouvait s’acquittor <strong>de</strong> sa contribution aux charges<br />

du maiage notamm<strong>en</strong>t par soi, activité ami foyer.<br />

l réalité, <strong>en</strong> se ralliant au pluralisme, les juris<br />

tes français ont adopté un “niveau d’objectjvatione’ (22) dont<br />

l’hitIre peut tr brjvnrrjt z1,-am,3,. C’est, à la fois,<br />

l’unit <strong>de</strong> base (individu, groupem<strong>en</strong>ts, nation...) et La con—<br />

ceptioi du sujet <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce juridique qui ont été modifiés.<br />

Comme ia sci<strong>en</strong>ce économique a successivem<strong>en</strong>t raisonné sur la<br />

sociétm globale, puis sur I ‘<strong>en</strong>tr’oprlse, piiio ::11j l’individu<br />

avant o rev<strong>en</strong>ir à la Société tout <strong>en</strong>tière, la sci<strong>en</strong>ce Juridi<br />

que a qhangd son image <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> la Sociétd. mes juris-.<br />

tes du XIXème siècle connaissai<strong>en</strong>t le “bon père do famille”,<br />

un adulte raisonnable apte à déf<strong>en</strong>dre ses propres intérêts pa—<br />

trimoniux et s<strong>en</strong>sible aux directives légales <strong>en</strong> mnatir<br />

patriniopial e; débarrasssé <strong>de</strong>s “corps intormédiajre<br />

0 extrim—<br />

5i’ <strong>de</strong> I ‘An<br />

ci<strong>en</strong> i4ime, il était Libre <strong>de</strong> détemmiiner ses droits <strong>en</strong> accord<br />

avec se semblables, ses égaux. Individu ordinaire, le “bon<br />

père <strong>de</strong>famille” avait les moeurs moy<strong>en</strong>nes que <strong>de</strong>s générations<br />

<strong>de</strong> “bon pères <strong>de</strong> famille” paraissai<strong>en</strong>t avoir éprouvées. A la<br />

fin du )IXàme siècle, les groupes reprir<strong>en</strong>t leur place dans<br />

t’analyse juridique avec la développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sociétés, <strong>de</strong>s<br />

syndicat...<br />

C’ ost à la mêmo époque quo do nombreux juiri ste con—<br />

moncèron à donner La primeur aux mouvem<strong>en</strong>ts sociaux sur les<br />

intdrêtsFindivjdmjals Parce quo le marxisme était évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />

— 119 —<br />

radicalem<strong>en</strong>t incompatible avec les exig<strong>en</strong>ces du phénomène Ju<br />

ridique et <strong>de</strong> sa sci<strong>en</strong>ce, cette évolution parut négligeable<br />

dans son principe et utile dans la mesure, d’ailleurs incon<br />

testable, oà elle mettait au jour certains aspects <strong>de</strong> la réa<br />

lité sociale. Pourtant, c’est la conception manie <strong>de</strong> l’homo<br />

juridicus qui était soumise à un bouleversem<strong>en</strong>t complet. Alors<br />

qu’au début du XlXèmne siècle, l’mgalité <strong>de</strong>vant la loi était<br />

apparue comme une garantie <strong>de</strong> liberté, La reconnaissance <strong>de</strong><br />

l’inégalité <strong>en</strong>tre les forts et les faibles <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ait un indis<br />

p<strong>en</strong>sable progrès. Un pas <strong>de</strong> plus, et la sci<strong>en</strong>ce du droit aban<br />

donnerait l’une <strong>de</strong> ses convictions les plus chères. Les juris<br />

tes fronçais du XIXème siècle et manie <strong>de</strong> la première moitié du<br />

XXème siècle avai<strong>en</strong>t toujours affirmé qu’il fallait légiférer<br />

“à la moy<strong>en</strong>ne”, pour la majorité <strong>de</strong>s citoy<strong>en</strong>s. Désormais, il<br />

ne s’agit plus d’observer la façon <strong>de</strong> vivre du grand nombre et<br />

<strong>de</strong> construire un régime juridique pour le Français moy<strong>en</strong>. Il<br />

faut, tout au contraire, proposer à tous ceux qui adopt<strong>en</strong>t un<br />

comportem<strong>en</strong>t marginal un régime juridique correspondant, La<br />

seule limite étant la tolérance <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong> ta popula<br />

tion. Ainsi se trouve désavoué le juriste classique qui se<br />

cont<strong>en</strong>tait <strong>de</strong> “remè<strong>de</strong>s inclividualistesm.. d’un faible r<strong>en</strong><strong>de</strong><br />

m<strong>en</strong>t social” (23), <strong>de</strong> peur que <strong>de</strong>s techniques plus efficaces<br />

dans quelques rares cas n’<strong>en</strong>trav<strong>en</strong>t toute l’activité juridique.<br />

Il faut, <strong>en</strong>fin, remarquer que cette marginalisation du droit<br />

civil s’est accompagnée d’une nouvelle distribution <strong>de</strong>s rêles<br />

du droit <strong>en</strong>tre le patrimonial oi il se fait interv<strong>en</strong>tionnis<br />

te et l’extra—patrimonial oè il se prést<strong>en</strong>d <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u LibéraL (24).<br />

A tout pr<strong>en</strong>dre, c’est une <strong>de</strong>s cinvictions <strong>de</strong> llayek qui.<br />

a été oubliée et à laquelle il faudrait rev<strong>en</strong>ir, “Les efforts<br />

du juge (et du Législateur?) sont une partie du processus d’a—<br />

claptation <strong>de</strong> la siciété aux circonstances, procPssus p’ lequel<br />

se développe l’ordre spontané. IL participe au processus <strong>de</strong> sé—


- 120 -<br />

lectjon’<strong>en</strong> donnant force exécutoire à celles <strong>de</strong>s règles qui,<br />

comme cILes qui ont fait Leurs prouves dans te passé, r<strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>nt pti.s probable l’ajustem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s anticipations et mojfl5<br />

probab1 Leur conflit” (25). Ni Le juge, ni le législateur<br />

no peuvcnt guère .n fui i• l uvntg,; notamm<strong>en</strong>t, ils ne peu<br />

v<strong>en</strong>t “c anger” la sOciété.<br />

Il est: clair qUune l.egislr,tjc,n prf .mch,n,<strong>en</strong>t fondée<br />

sur ,los réactions sociales à cortaj,, colnporto_<br />

m<strong>en</strong>ts cOitribue à détoininer ces réactions. Celles—ci sont<br />

d’ailleus examinées <strong>de</strong> manière abstraite et désincarnée Il—<br />

les ne sont pas <strong>de</strong> véritables réactions sociales, mais l’in—<br />

torpréta ion qui <strong>en</strong> est faite par ceux qui ont préalablem<strong>en</strong>t<br />

porté un appréciation sur le droit existant et sur le droit<br />

à faire. Ainsi, do quoIque ct6 qu’on se tourne, c’est un<br />

choix <strong>de</strong> valeurs qui apparait, mais <strong>en</strong>tre la nonne anci<strong>en</strong>ne<br />

appliqué, éprouvée, socrétée par la société à partir <strong>de</strong>s<br />

règles Jiridiquos antérieures et la nonne nouvelle, délibd<br />

rée, contrujto dans l’abstrait, ii no saurait, 1e ce point.<br />

<strong>de</strong> vue, avoir équiva1<strong>en</strong>c. Parce que co choix <strong>de</strong> valeurs<br />

est inévjtable, il importe qu’il soit Consci<strong>en</strong>t et éclairé;<br />

il inlpore nussi qu’il ne méconnaisse pas la double nature<br />

du ‘lrolt I.e droit, c’est le juste on chaque espèc mais<br />

ce5 d4lemont le juste socialem<strong>en</strong>t souhaitable. L’associa..<br />

ti<strong>en</strong> <strong>de</strong> 4os <strong>de</strong>ux logiques, la (UalOgjqL,e do 1 ‘iflcllvj(lU<br />

0l et<br />

du social, est uno nécessité à laqitollo b légisintour no<br />

peut échpper. L’émerg<strong>en</strong>ce do la nonne ne peut avoir pour<br />

origine le sacrifice <strong>de</strong> eu <strong>de</strong> l’autre. Ce phénomène<br />

n’a pas j4our autant une signification purem<strong>en</strong>t philosophique.<br />

juridique peut Contribuer à on r<strong>en</strong>dre raison.<br />

— 121 —<br />

B — Enseignem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’épistémologie juridique.<br />

L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme juridique n’est jamais indé<br />

p<strong>en</strong>dante <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> connaissance du droit. La norme juridi<br />

que fait l’objet d’une préparation et d’une construction par<br />

la communauté <strong>de</strong>s juristes dont l’idéologie et les métho<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> travail jou<strong>en</strong>t un râle considérable.<br />

a) !a_n e La communauté <strong>de</strong> ju<br />

ristes contribue à L’émerg<strong>en</strong>ce d’une norme <strong>de</strong> multiples fa<br />

çons. Elle peut, d’abord, m<strong>en</strong>er la politique du pire, <strong>en</strong> em—<br />

pâchant la nonne antérieure <strong>de</strong> répondre aux besoins sociaux.<br />

Par exemple, le refus d’interpréter certains textes permettant<br />

aux juges <strong>de</strong> modifier le montant <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnités fixées par<br />

accord <strong>en</strong>tre les parties pour le cas <strong>de</strong> manquem<strong>en</strong>t au contrat,<br />

c’est—à—dire le mainti<strong>en</strong> d’une alorme int<strong>en</strong>able, aboutit à im<br />

poser le changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> norme. La norme intermédiaire était,<br />

pourtant, parfaitem<strong>en</strong>t justifiable <strong>en</strong> droit. La communauté<br />

<strong>de</strong>s juristes peut, aussi, pratiquer le “laisser—faire”. Elle<br />

décrit, alors, comme inévitable ou souhaitable, la norme ap<br />

pliquée contrairem<strong>en</strong>t à celle que la loi définit; ce fut le<br />

cas dansl’hypothèse du divorce d’accord qui fut <strong>en</strong>suite pré<br />

s<strong>en</strong>té com,ne le résultat d’une réaction socinl.o spontanée.<br />

La communauté <strong>de</strong>s juristes peut <strong>en</strong>core justifier, par<br />

avance, une norme nouvelle. Le cas <strong>de</strong> la responsabilité <strong>en</strong>cou<br />

rue au titre <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la circulation est, à cet égard,<br />

topique. Un certain nombre d’auteurs, à La fin du XIXème siè<br />

cle et au début du XXème siècle, ont agi sur <strong>de</strong>ux fronts. D’u<br />

ne part, ils ont sout<strong>en</strong>u que, compte—t<strong>en</strong>u du nombre <strong>de</strong>s dom<br />

mages subis, il était illogique et injuste <strong>de</strong> soumettre ces


— 122 —<br />

cas <strong>de</strong> responsabilité au mime sort quo Les hypothges orcji—<br />

flaires sur lesquelles avait raisonné le législateur <strong>de</strong> 1h04.<br />

D’autre part, il e été démontré que, moy<strong>en</strong>nant un changem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>s mdho<strong>de</strong>s d’interprétatjo il n’était pas impossible <strong>de</strong><br />

rattacher une solution nouvelle, plus favorable aux Victimes,<br />

à la 1 ttre du Co<strong>de</strong>. Ainsi la sci<strong>en</strong>ce du droit a—t—elle prj—<br />

par. l “coup d’ltat” par lequel la Cour <strong>de</strong> Cassation a con<br />

sacré, le 2 décembre 19i1, la responsabilité sans faute du<br />

conducteur. Ce quil faut constater, c’l; que La raison ma<br />

jeure d l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la ràgle s’est ainsi trouvée occultée,<br />

le changem<strong>en</strong>t do s<strong>en</strong>sibilité <strong>de</strong>s juristes eux—mme l’égard<br />

du dommge dont la cause <strong>de</strong>meure inconnue ou impossjl,lp à<br />

prouver c’ost—à..dire notammont à l’égard <strong>de</strong> la répartition<br />

<strong>de</strong> la cliarge du hasard, <strong>de</strong> la malchance, n’a presque Jamais<br />

été évo4ué. lloatlc(,,I;1 plus pn6raiem<strong>en</strong>t c’est In sci<strong>en</strong>ce du<br />

droit qti constitue le langage dont se servant le législateur<br />

et les ugea ot lui donne s<strong>en</strong>s. Il y n là un moy<strong>en</strong> d’action<br />

consid6bie <strong>de</strong> la communauté do Juristes sur le droit (26).<br />

b) a_cnt uction e_l norme. L’importance donnée<br />

par la c mmunauté <strong>de</strong> Juristes à une décision <strong>de</strong> Justice potit<br />

tre l’d énern<strong>en</strong>t générateur <strong>de</strong> la narine. lJne décision do la<br />

Cour <strong>de</strong> assation r<strong>en</strong>due à propos cl ‘une taxe infime a ainsi<br />

paru int rdire pondant soixante ans la création do groupe<br />

m<strong>en</strong>ts dc nomiquos non directer,,<strong>en</strong>t chargés <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s<br />

bénéfices; la collaboration <strong>en</strong>tre <strong>en</strong>treprises S’<strong>en</strong> est trou—<br />

-vée notallem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>travée, alors que la décision évoquée n’a<br />

vait évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pas une toile int<strong>en</strong>tion (27). C’est b tra<br />

vail <strong>de</strong> e aceptualisation effectuée sur une telle position<br />

Juridicti nnelte qui <strong>en</strong> a dégagé une norme, puis <strong>en</strong> a ferine_.<br />

m<strong>en</strong>t main <strong>en</strong>u l’explication. C’os pourquoi la norme n’émerge<br />

véritable ont que lorsque la communauté <strong>de</strong>s Juristes l’<strong>en</strong>re<br />

gistre, I formule et la dévoloppo (2h). Cette constatation<br />

— 123 —<br />

se vérifie à l’évi<strong>de</strong>nce lorsqu’une norme n’a pas d’autre<br />

origine que l’attitu<strong>de</strong> intellectuelle <strong>de</strong> ceux qui ont pour<br />

mission <strong>de</strong> connatro et <strong>de</strong> faire connaître le droit. L’at<br />

trait qu’exerc<strong>en</strong>t sur eux les principes, par leur sol<strong>en</strong>nité<br />

et leur simplicité, <strong>en</strong> est l’illustration. De nombreux prin<br />

cipes Juridiques, porteurs <strong>de</strong> nonnes parfois très inopportu<br />

nes, sont nés d’une formulation doctrinale esthétiquem<strong>en</strong>t<br />

heureuse et <strong>de</strong> cela seulem<strong>en</strong>t. La t<strong>en</strong>dance à généraliser et<br />

à abstraire est ainsi l’une <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong>s normes juridi<br />

ques actuellem<strong>en</strong>t appliquées.<br />

Ainsi peut—on citer le principe <strong>de</strong> fixité <strong>de</strong>s servitu<br />

<strong>de</strong>s <strong>en</strong> vertu duquel celui qui a obt<strong>en</strong>u, <strong>en</strong> lt$0U, le droit <strong>de</strong><br />

traverser le Jardin <strong>de</strong> son voisin à cheval ne peut, <strong>en</strong> 19113,<br />

le traverser on automobile. La mme importance du r6le <strong>de</strong> la<br />

communauté <strong>de</strong>s Juristes se révèle dans un cas auJourdthui<br />

fréqu<strong>en</strong>t. C’est celui où le législateur s’est refusé à déga<br />

ger iui—ùiame la norme et a laissé les Juges libres d’appré<br />

cier les situations cas par cas. La toi détermine alors un<br />

standard (29) tel que i’intérat <strong>de</strong> ta famille, t’intért <strong>de</strong><br />

l’<strong>en</strong>fant ou le bon père <strong>de</strong> famille. Une telle technique juri<br />

dique et <strong>de</strong>stinée à permettre, aux juges, une appréciation<br />

empirique. Il est clair que la mise <strong>en</strong> oeuvre <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

“traitem<strong>en</strong>t juridictionnel <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> normalité” dép<strong>en</strong>d,<br />

dans une large mesure, du travail do coordination—synthéti—<br />

sation dont il est l’objet. Si les décisions r<strong>en</strong>dues font<br />

l’objet d’une analyse qui insiste sur leurs traite cOInmLUS,<br />

un cat.l.ogue <strong>de</strong> cas—types ne tar<strong>de</strong>ra pas à s4tabtir, L’ap<br />

préciation judiciaire t<strong>en</strong>dra à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir moins empirique et<br />

plus abstraite. Ainsi risquera—t—elle <strong>de</strong> perdre tes avanta<br />

ges du standard grîce auquel “le Juge, immergé dans la so<br />

ciété, n’est pas étrangiiraux grands courants qui la traver<br />

s<strong>en</strong>t, liais il se ti<strong>en</strong>t à l’écart <strong>de</strong>s fièvres <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong> et


- 124 —<br />

sait conner à sa jurispru<strong>de</strong>nce, par—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> légitimes évolu-.<br />

tions, une cohér<strong>en</strong>ce qui résulte do la stabilité<br />

relative <strong>de</strong> quelques thèmes fondam<strong>en</strong>taux et d’une métho<strong>de</strong><br />

qui préITère la progressivité do la réforme par touches succes<br />

sives t par modifications imperceptibles <strong>de</strong>s équilibres an—<br />

ci<strong>en</strong>s,à la brutalité <strong>de</strong> la table rase” (30).<br />

La mme puissance <strong>de</strong> La sci<strong>en</strong>ce fonctionnant alors<br />

comme iin frein à l’innovation se révèle lorsqu’une législa<br />

tion prmissive succè<strong>de</strong> à ùne législation prohibitive. Il<br />

est alcrs très difficile <strong>de</strong> faire respecter te principe selon<br />

lequel tout ce qui n’est pas interdit est permis. Pour r<strong>en</strong>dre<br />

affective, par exemple, la capacité <strong>de</strong> la femme mariée, il e<br />

fallu ce multiples proclamations législatives à valeur pure<br />

m<strong>en</strong>t pdagogiquo; dos pouvoirs qui allai<strong>en</strong>t d’eu,:—mmes, pou<br />

voir <strong>de</strong> contracter dans I ‘jntérL du ménage (art. 220 C. civ.)<br />

ou <strong>de</strong> se faire ouvrir un compte <strong>en</strong> borique (art. 221 C. civ.)<br />

ont fait l’objet do disoositions légales particulières pour<br />

lutter pontre <strong>de</strong>s résistances pratiques et -sci<strong>en</strong>tifiques.<br />

.o savoir qui se consti tue sur la travni 1 (les sourcos<br />

du droit est constitutif do norinos juridiques. C’est une rai<br />

son suplémontaire pour affirmer que tes juristes ne peuv<strong>en</strong>t<br />

prét<strong>en</strong>d’o à la sieutral ité; la 00mo Juridique n’émerge Ja<br />

mais quo <strong>de</strong> jugem<strong>en</strong>ts do valeur. En pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce, c’ost<br />

se donnir une chance d’<strong>en</strong> améliorer la qualité. Des observa<br />

tions scmmaires qui précè<strong>de</strong>nt, parait pouvoir découler la<br />

concluston suivante. L’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la norme juridique sup<br />

pose un multitud. d’arbitrages, d’appréciations <strong>de</strong> la popu<br />

lation, <strong>de</strong> ta pratique Juridique, du législateur, <strong>de</strong>s Juges,<br />

<strong>de</strong> la cohimunnuté dos Juristes. Ces arbitrages plus ou moins<br />

consci<strong>en</strong>ts, plus ou moins discrete, plus ou moins prévisibles,<br />

contribunt à la formation d’une nonne qui échappe à chacun<br />

et ona la responsabilité do tous.<br />

Cliristian ATlAS<br />

Professeur à ta Faculté <strong>de</strong> l)roit<br />

et <strong>de</strong> Sci<strong>en</strong>ce Politiqua d’Aix—on—<br />

:1<br />

* L’auteur ti<strong>en</strong>t à préciser que son int<strong>en</strong>tion dans la<br />

prés<strong>en</strong>te confér<strong>en</strong>ce est seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fournir d’une<br />

part <strong>de</strong>s exemples, d’autre part <strong>de</strong>s hypothèses d’ex<br />

plication.<br />

1. M. Viraliy, “Le phénomène juridique”, it., 1966,<br />

p. 64.<br />

2. 8. GrawitZ, “De l’utilisation<br />

Ofl droit <strong>de</strong> notions<br />

sociologiques”, Année sociiqgiciq, t. XViI, 1966,<br />

p. 428.<br />

3. Cf. l’exemple dur6le du concubin in M. Grawitz,<br />

£J1. cit., p. 427.<br />

i. Ii. Vouin, I)roi-t pénnlPdCiflt, Dallez, t. 1, 2ème éd.,<br />

1968, n. 5, p. H.<br />

5. R. Vouin, n. 303, p. 316.<br />

6. J. CarhonrLier,<br />

p. 157.<br />

7. Ibid.<br />

8. N. Ltmhmann, “Tue<br />

- 125-<br />

NOTES<br />

Droit civil, t. 2, La famille. Les4—<br />

P.U.i., ThémiS, 12ème éd., 1983, n.52,<br />

eelf_rOT)rO(1tCtb0n af the mw ami<br />

its liinitS, inédit, p. 3. — Comparer .1. Carbonnier,<br />

“Le Co<strong>de</strong> Napoléon comme phénomène sociologique”,<br />

g.it.J.(Revue <strong>de</strong> La <strong>Recherche</strong> Juridique, publiée par<br />

la Faculté <strong>de</strong> Lirait et <strong>de</strong> Sci<strong>en</strong>ce politique d’Aix—<br />

Marseille), 1981—3, n. VI—11, p.<br />

les lois, Itép. DefrénOis, 1979, p. 18.<br />

329 et EssaiS_it<br />

9. l’<strong>en</strong>s, 26 février 1936: S. 1936, iI, p. 137.<br />

10. Riom, 16 novembre 1937: 1).iI.1938, p. 109.<br />

ii. Pnib. corr. St L, H novembre 1950: 0 1951, somm. p. 21.


I<br />

I — 136—<br />

12. Crtm. 22 décembre 1965: 1) 1966, p. 1Ii cassant Aix,<br />

2oHanvier 1965: L) 1965,p. 1117.<br />

13. cofparer M. Grawitz, 2J2 p. i27 qui évoquait<br />

V..<br />

— 127<br />

rer Th; S. Kuhn,.. 1 i”6: “1n passant au cas<br />

limite, Ce ne sont pas seulem<strong>en</strong>t les formes <strong>de</strong>s lois<br />

qui ont changé. Nous avons dc simultaném<strong>en</strong>t modifier<br />

une lacune du co<strong>de</strong> à CO propOs, les élém<strong>en</strong>ts structuraux fondam<strong>en</strong>taux dont se compose<br />

1. ThI S. Kuhn, La structure <strong>de</strong>s révolutions sci<strong>en</strong>tifi—<br />

1962, Paris, Flatnmarion, Champs n. 115, 19H3,<br />

V<br />

l’univers auquel elles s’appliqU<strong>en</strong>t”.<br />

25.’ F.—. lIayak,<br />

trd. L. Neyer, p. b3. gl.es et ordre”,<br />

15. V. Jianouil, L’autonomie <strong>de</strong> la volonté. Naissance et<br />

6vlution d’un concept, Travaux do l’Université <strong>de</strong><br />

drtit, d’économie et <strong>de</strong> sci<strong>en</strong>ces sociales <strong>de</strong> Paris,<br />

sét<br />

41b0rté, t. 1 “I<br />

éi!ation0t<br />

P.U.F., I<br />

26. Cf. <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s Cli. Atlas,<br />

parie, 19814, Ol1. Droit fondamoflta<br />

1ie sci<strong>en</strong>ces historiques n. 12, P.ILI.. Paris 1980. 27. Case. Ch; réunies, 11 mars 191’” D 191I, I 257.<br />

16. N. Luhmann, artcle précité.<br />

17. L. ittg<strong>en</strong>stein, Tractatus loglco—philosophicus,<br />

1961, Gallimard, cou. “Idées” n. 26I, trad. 1’. 1(los—<br />

sovki, introd. D. Ilusseil, n. 6. i321, p. 173.<br />

— Sr tous ces points, voir Ch. Atlas et D. Linotte,<br />

“Le mythe <strong>de</strong> l’adaptation du droit au fait”, D 1977,<br />

Chrn?, XJCXIV, p. 231.<br />

18. J. Ôarbonnier, “lffectivité et inoffectivité <strong>de</strong> la<br />

ràg.o do droit”, Année soejo logique, 19 58, p. 17.<br />

19. J. 1iarbonnior, Flexible droit, I..G.D.J., Paris, 5ème<br />

éd. 1983, p. 287.<br />

20. J. arbonnier, “Vis Famille, législation et quelques<br />

autzes”, Mélanges Il. Savatier, Dalloz, 1965, p. lIB.<br />

21. Ch. lAtias, “Le mythe du pluralisme civil <strong>en</strong> législa—<br />

tio”, ILII.J., 1982—2, n. Vii—13, p. 2tI1 et les “ob-.<br />

servations complém<strong>en</strong>taires” do PH. Ilémy, Il. I1.J. 1983—1,<br />

n. Vfll—15, p. 91.<br />

22. G.—GI. Granger, “1pistémo1ogie économique”, in Logique<br />

et cnnaissance sci<strong>en</strong>tifique, Gallimard, 1976, p. 1027.<br />

23. J. Crbonnier, 1)roit civil, t. 14., Les obligations.<br />

P.U.’., 10ème éd., 1979, n.22, p. 91.<br />

214. Cf. h. Eldmy, Les présomptions lé ip_Jos régi<br />

mes iiatri,,ioniaux, thèse dactylographiée, I’oi tiers,<br />

1971 conclusion. — II. Gau<strong>de</strong>met—Tallon, “De quelques<br />

paradoxes on mati ère d droi t tic la famni t la”, H. T. D.<br />

2i! l9hB p. 719, notamm<strong>en</strong>t p. 735 à 7140, — Campa—<br />

ridi us, p.U.F.,


L’EMERGENCE DES NORMES MEDICALES:<br />

LE CAS DE<br />

t “INSEMINATION ARTIFICI ELLE AVEC DONNEUR”<br />

par G<strong>en</strong>eviève 1)etaisi <strong>de</strong> Parsevat<br />

• et Jean-.François MaI.herbe


‘C<br />

— 131 —<br />

L’ENERGENCE DES NOR24ES MEDICALES:<br />

LE CAS DE L”INS1!INATION ARTIFICIELLE AVEC DONNJR”<br />

par G<strong>en</strong>evive flelaisi <strong>de</strong> Parse—<br />

val et .Jlean—François lialherbe<br />

Séance du B décembre 1983<br />

La rupture culturelle qui caractérise la crise contem<br />

poraine <strong>de</strong> la société occi<strong>de</strong>ntale provoque la résistance d’ins<br />

tances qui t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à reproduire les schémas culturels hérités<br />

du passé.<br />

Cette t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre rupture et reproilttoticrn ct’l t,elles<br />

est notamm<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sible dans le domaine biomédical, ou, plus e—<br />

xactem<strong>en</strong>t, dans les domaines <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine tes plus marqués<br />

par le développem<strong>en</strong>t technosci<strong>en</strong>tifiquc. Tout se peaso comme si<br />

la “technosci<strong>en</strong>tifisation” <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine Jouait unr8le cata<br />

lytique dans la transformation culturelle. Cst pourquoi elle<br />

peut aussi servir <strong>de</strong> révélateur dans le repérage <strong>de</strong>s facteurs<br />

do rupture et <strong>de</strong> reproduction qui donn<strong>en</strong>t à la transformation<br />

culturelle contemporaine sa configuration particulière.<br />

Le “déracinem<strong>en</strong>t culturel” analysé par Jean Ladrire(1)<br />

ou i’”effondrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’autoreprésontation <strong>de</strong> ta société” ding—<br />

(.))<br />

nostiqué par Cornétius Castoriadis définiss<strong>en</strong>t te contexte<br />

<strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> l’éthique, crise que l’on pourrait caractériser<br />

par ta contradiction vécue <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s valeurs an<br />

ci<strong>en</strong>nes et la quate <strong>de</strong> normes nouvelles.<br />

“Dieu est mort, nous sommes tous ses meurtriers”, écri—<br />

vaili N:Lntzsche. Il n’empche que tout n’est pas p<strong>en</strong>nis, puis<br />

qu’aussi bi<strong>en</strong> il. nous faut vivre <strong>en</strong> société.


— 132 —<br />

Les pOssibiEjts nOUvelles qu’offre le développem<strong>en</strong>t<br />

technoci<strong>en</strong>tifjque provoqu<strong>en</strong>t ta recherche <strong>de</strong> normes nouvelles.<br />

Nais, jans plus d’un cas, celles—ci donn<strong>en</strong>t à lire <strong>de</strong>s traces<br />

<strong>de</strong> foi tes anci<strong>en</strong>nes que l’on croyait révolues. Tout semble se<br />

passer ccnr,I,,e si, au monic-at do créer do nouvel les nonnes, une<br />

étrang amnésie frappait les inv<strong>en</strong>teurs: croyant innover, ceux—<br />

ci, <strong>en</strong> fait, roforniul ont d’anci<strong>en</strong>nes normes clans clos co1Itotos<br />

nouvoa X.<br />

IL <strong>en</strong> est notamm<strong>en</strong>t ainsi, à notre avis, (loS nonnos que<br />

se son données tes pionniers <strong>de</strong> l’insémination artificielle<br />

avec donneur (lAI)). L’IAI) est l’actuelle réponse sociale au<br />

désir d’<strong>en</strong>fant exprimé par dos couples dont la stérilitd est<br />

d’origine masculine. C’est dire quo s’y trouve mise <strong>en</strong> cause<br />

— <strong>en</strong> mme temps que protégée — la représ<strong>en</strong>tation sociale du<br />

couple et <strong>de</strong> la famille propre à la société occi<strong>de</strong>ntale contem—<br />

0 raine,<br />

Pour mettra <strong>en</strong> lumière cotte t<strong>en</strong>sion, nous avons choi<br />

si <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à l’analyse comparative dos normes explicites<br />

et imptijcites qui règl<strong>en</strong>t la pratique <strong>de</strong> l’IAI) respectivem<strong>en</strong>t<br />

dans 1e ccs(hI)<br />

0 dans un so1co <strong>de</strong> néco1ogio bruxol1ojs().<br />

2aji 1.a premi ère partie do I ‘exposé, nous prés<strong>en</strong>terons<br />

<strong>de</strong> façon aussi synthétiquo quo possible les nonnes explicites<br />

auxquelles se réfèr<strong>en</strong>t les doux instances médicales précitées.<br />

Nous t<strong>en</strong>terons <strong>en</strong>suite <strong>de</strong> dégager les normes implicites <strong>de</strong> leur<br />

pratique. linfin, nous nous appuiorons sur cetto explication<br />

pour exaninor la signification <strong>de</strong> la question sociale à laquelle<br />

la pratique médicale do l’IAÙ <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d répondre.<br />

• Les nonnes explicites<br />

ar “norme”, l’on ontond ici la formule abstraite <strong>de</strong> ce qui<br />

doit tr, -. Les normes énoncées ci—après exprim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réactions<br />

médicale: différ<strong>en</strong>tes face à une mlne question. Le fait que le<br />

“système A” reflète la pratique d’une institutjo et le “système<br />

D” une p atiquo plus personnelle n’jrjvali pas la comparaison<br />

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‘Q .4 01 5. 3)<br />

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Q QQ<br />

Q 31 1. .5 .5 ‘0<br />

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001.31<br />

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Z 0 .5 0. 0 0<br />

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‘Q 0.4.44<br />

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4’ 0<br />

‘0*5 08.5<br />

.5 0. n’ t. 80’O<br />

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— 133 —<br />

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Q 4’ 06-4<br />

‘QQ 801,-n46-.<br />

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0 0_4).<br />

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‘0<br />

Q n’. o.o.<br />

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4’). 3)0<br />

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4’). .58.—4<br />

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‘4) OQ4QZ<br />

00 .00 4’<br />

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00 •4),-4’Q<br />

86. 4’0.0 Q<br />

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Q 3)Q .50.50.5<br />

.0 0..’ Z Q O<br />

O.. —<br />

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.5 31 31 0. 0 0.0<br />

4.—. .5.3 0<br />

4 -.44.00<br />

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Q Q r-4_4 0,0<br />

.5’>. 44.—’01Q<br />

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O O .-4 O O Q O<br />

‘0 0.4 0’Q r-4 Q Q<br />

.3 4.’O.O,0 0.4’<br />

Q<br />

0.5 .5.5<br />

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o o<br />

0 013.5<br />

.0 ‘00.-4<br />

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0. Q 4’<br />

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_4. 0.00<br />

04’ O_43<br />

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‘1 00.0 o<br />

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QZ*’OO Q<br />

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Q QQ >05.<br />

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0 0.5 1.08 0.<br />

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.48.0009. 1.<br />

P 0 5. ‘nI<br />

Z ‘0 0 .5 Q 804’ Q 31<br />

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• ,..48’— 0.34’<br />

t, -.4.5 Z5,1.Q<br />

4’ ‘-‘5.04. 044<br />

44 0 80.-4 .1 .5 5) 44<br />

U’0OOQ — al<br />

4’ >.0 8>_4-rIZ 4.’<br />

.4 0 0 5.44 0 1. 0.0.1<br />

0004,0.04 o-40<br />

‘0 044 45.4) U Q X 45.0<br />

46.0,0 00<br />

.5 00000<br />

0.5.5 .50.-4000<br />

I I I<br />

5)<br />

O<br />

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Q<br />

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5.0 r-40<br />

.40 .4.5<br />

0 .5.55.<br />

Q .4 .‘-l Q Z<br />

00 4.)<br />

5) 4.1 4’ .5<br />

ZZ000<br />

‘0 31 Q O .5<br />

‘-‘4<br />

Q .800<br />

Q 0t.Q<br />

5. 0+’ Q<br />

.0 0. 0 Q Q<br />

Q O<br />

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Q Q .5 0• Q<br />

Q, .48<br />

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3) 0 .4 0-<br />

1.0 .-l0<br />

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0.08 “H<br />

‘0 5. 0. .5 (‘4<br />

‘Q Z al O.’l 0’-.’Q<br />

0.OQ-3’O ‘Q<br />

..-4r-l .-IZOI-.’<br />

4.) •Z000<br />

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5.0 ‘.505.1.5<br />

0. Q 4 5. ‘0 (3 .5<br />

>0 .3<br />

Q Z .5 Q H Q<br />

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o 5. 5..-4 e) ‘00<br />

04’Q -.4<br />

.-. Q —+1X4’<br />

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4’ 0’U.l .5 13 5.<br />

.-ll. u<br />

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Q.4ZZQZ).<br />

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4.00014 0<br />

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0.-4_40 Q<br />

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Ot.>-.-4 00<br />

1. .5 5) 0 .3 Q .3<br />

.5 .0 4.44 0 0 5.<br />

.0 04’ 0.0 0 Q<br />

O QQOO.<br />

00.5 ‘0.5<br />

t. On-4 Q Q<br />

4’ 0 0 Q Q<br />

QQ O Q’O.<br />

OO.80”'’0 Q<br />

0.00 1.<br />

O O.-l441.Q<br />

Q 4’ 0 0 n’ Q 0.1<br />

t. 0_40_4> 00<br />

..‘ *‘‘ p. z 00<br />

O 0 a5 0 0.0 ‘0 8)<br />

Q0O>. 4.0<br />

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QQ Z 4’<br />

O 0.0 Q 0.0V_4<br />

Q 0 0 ‘0.40 Z<br />

‘009 4’ 0’<br />

.4 Q .544_4 O<br />

4’,. O.t.O+”Q<br />

O 31 0. -.4 0.0 z U)<br />

OO.QZ 1.0<br />

Q ‘00.05,<br />

- 4403131<br />

01440 0.01.<br />

0.540 0.0<br />

0 004’ .0<br />

830 00.5+’<br />

0.30 OC<br />

5.00 QQ<br />

Q 55 0 0-1.4 4’ 0<br />

Q 0.Z n’ O Z o’Q<br />

.-4 Q 31 31 0’ 0’ 31 Q<br />

Q<br />

‘0<br />

I- I<br />

Q -<br />

•3 -<br />

O<br />

.5<br />

‘-3<br />

O


car cell—ci ne porte pas sur i’jnstitutjonnatjsatjon <strong>de</strong> ces<br />

réponses mais sur los attitu<strong>de</strong>s médicales qui les sous_t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt(6)<br />

(cf. tabIaau iarécé<strong>de</strong>nte. Le “système A” est celui <strong>de</strong>s CECOS,<br />

le “systme U” celui IU cébinet bruxellois).<br />

2. Les normes implicites<br />

L[anal.yse porte principalem<strong>en</strong>t sur I.e système A qui, à<br />

première 4Iuo du moins, parait plus structuré. Tout se passe com<br />

me si la pratique du système A se confonnait à trois principes.<br />

e_dsIr_d!eflfn d’un coulo réa<br />

!i.é_pArJ. coup!e.<br />

société française se porto d’ailleurs garante <strong>de</strong> ce<br />

droit <strong>en</strong> jrévoyant le remboursem.nt <strong>de</strong>s “doses” <strong>de</strong> sperme et <strong>de</strong>s<br />

honoraire médicaux.<br />

âtre appar<br />

droit à (“avoir son <strong>en</strong>fant à soi”) semble<br />

1u avec un léger déphasago on corrélation avec le droit<br />

à la contraception. Il s’agt do “maltrisos syn,étriques”: si nous<br />

pouvons techniquem<strong>en</strong>t ne pas avoir d’<strong>en</strong>fant quand nous n’<strong>en</strong> vou<br />

ions pas, 1ous <strong>de</strong>vons pouvoir <strong>en</strong> avoir quand nous <strong>en</strong> voulons.<br />

L’exarcice[do ce droit à l’<strong>en</strong>fant r<strong>en</strong>force égalem<strong>en</strong>t une concep<br />

tion objecalo <strong>de</strong> la procréation et la notion traditionnelle <strong>de</strong><br />

couple car il “gomme” 1 ‘oxistonco concrète du donneur qui le r<strong>en</strong>d<br />

possible et qui, si alto était prise on considération, risquerait<br />

<strong>de</strong> d4truir l’image du couple <strong>en</strong> rappelant que l’oiifant n’est pas<br />

tout—à—fai le si<strong>en</strong>.<br />

b) La filiation ost bio ioLliflqo avant tout.<br />

1nfant doit âtre l’<strong>en</strong>fant biologique <strong>de</strong> ses par<strong>en</strong>ts. Cet<br />

l,’<br />

énoncé est paradoxal lorsqu’il s’agit d’insémination artificiel La<br />

avec ctonnour mais, dans la mosuro ot las docum<strong>en</strong>ts émanant <strong>de</strong>s<br />

CECOS pr6soitont I ‘lAI, comme un remè<strong>de</strong> à la stérilité et non com<br />

me un pallitif, l bio logtsmo actuel su trouve r<strong>en</strong>forcé. Il ost<br />

d’ailleurs <strong>en</strong>forcé égalem<strong>en</strong>t par les stratagèmm,cs luis au point<br />

—<br />

j3! —<br />

•1<br />

pour déjouer tes t<strong>en</strong>tatiVes do d,savotix o,: prttorI1tt. ou les t<strong>en</strong><br />

tatives<br />

jntjficati0n du donneur: secret médical, harmonisa<br />

tion <strong>de</strong>s groupes sanguins, compatibilité morphologique. De plus,<br />

poussés sans doute par le manque <strong>de</strong> donneurs, les dICOS, dans<br />

les cas dotig05peflflie moy<strong>en</strong>ne, impos<strong>en</strong>t au couple <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur<br />

d’essayer l,IAC(8) avant 1’IAD. Cette pratique techniquem<strong>en</strong>t<br />

contestable t<strong>en</strong>d à assimiler <strong>de</strong>s actes différ<strong>en</strong>ts (lAC et lAD)<br />

à partir <strong>de</strong> la slmilitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s gestes nécessaires pour les accom<br />

plir. Tout se passe comme si — grâce au médicam<strong>en</strong>t_Paillette —<br />

le couple était invité à oublier que le père n’est pas le père<br />

génétique; comme si, à l’ai<strong>de</strong> d’un palliatif, on mettait <strong>en</strong> scè<br />

ne, socialem<strong>en</strong>t, le fait qu’aucun palliatif n’est nécessaire.<br />

c) &a_md.!c!n.<br />

“maladie”.<br />

os!s!e_à_r.P!r.!r_u!! orgafli5me d’!n<br />

La stérilité, qui. est l’incapacité <strong>de</strong> donner la via, est<br />

ress<strong>en</strong>tie comme une forme <strong>de</strong> mort. L’IAD est un système permettant<br />

<strong>de</strong> contourner la malédiction “tu fl’aUras pas d’<strong>en</strong>faflt”. La malé<br />

diction est évitée à l’ai<strong>de</strong> d’une transgression (adultère) dont<br />

le caractère transgressif est effacé, “gommé”, pris <strong>en</strong> charge<br />

par l1institution médicale. IIais cette prise <strong>en</strong> charge, qui n’est<br />

pas facultative, empâche les couples <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs d’effectuer le<br />

travail m<strong>en</strong>tal nécessaire pour assurer la transgression qu’ils<br />

commettantl il. n’est mâme plus possible <strong>de</strong> surmonter te fantasme<br />

d’adultère pour échapper à la malédiction, puisqu’il est banni.<br />

t cep<strong>en</strong>dant,<br />

— 135 —<br />

lincapaCité du “patiemt” à procréer r<strong>en</strong><br />

voie le mé<strong>de</strong>cin à sa propre incapacité <strong>de</strong> le soigner. Mé<strong>de</strong>cin et<br />

pati<strong>en</strong>t sont donc <strong>en</strong> fait tous <strong>de</strong>ux dii mâme câté do la barrière:<br />

tous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à la technosciOflCfl biomédicale <strong>de</strong> panser leur<br />

blessure narcissique. C’est ce que fait l’IADZ elle guérit la<br />

blessure du mé<strong>de</strong>cin qui obti<strong>en</strong>t (les grossesses tandis que celle<br />

du pati<strong>en</strong>t est passée sous sil<strong>en</strong>ce puisqu’il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t père. L’IAD,<br />

dans la version <strong>de</strong>s dIcOS tout au moins, procè<strong>de</strong> du déni <strong>de</strong> ta<br />

mort <strong>en</strong> <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ant l’idée d’une toute_puissance à L’égard <strong>de</strong> la


— :36 —<br />

vie. Ici <strong>en</strong>core apparaît or: paradoxe: alors quo t ‘lAD aurait<br />

pu manifstor clairem<strong>en</strong>t que la princ1pa vecteur <strong>de</strong> paternité<br />

n’est pa biologique, otto r<strong>en</strong>force lu btologisinu. dn sait quo<br />

ta paterii té passe d ‘avuiiae va r ta reconnaissance sociale<br />

que par prouvo do la fécondation et que, par conséqu<strong>en</strong>t, la<br />

recours un palliatif biologique no dovrait pas empchor le<br />

père iADdtr vraim<strong>en</strong>t le père do son onfant. Mais <strong>en</strong> rondant<br />

difficil4 au couple te travail <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil do sa fécondité naturel<br />

le, concrète rie l’IAD le conforte dans le biolo—<br />

gisme ambiant.<br />

L’autre part, toile qu’elle est pratiquée dans les CECOS,<br />

trancha la question do savoir si la mé<strong>de</strong>cine est l’art d’ai<br />

<strong>de</strong>r las g<strong>en</strong>s à vivre lomioux possible on dépit du corps qu’ils<br />

ont, ou l tochnoscl<strong>en</strong>co permettant do Lutter contre toute for<br />

ma <strong>de</strong>”nori—vie”.<br />

ifin bi<strong>en</strong> qu’il reconnaisse l’importance du travail <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>uil que’ le couple stérile est c<strong>en</strong>sé avoir accoinpli le système<br />

CES fonptionno comme si cette question ne se posait pas — puis<br />

qu’il s’ait <strong>de</strong> “réparer” une “maladie”. Cette t<strong>en</strong>sion (contra<br />

diction) st particulièrem<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sible à l’occasion <strong>de</strong>s consul<br />

tations ctez les psycholotuos <strong>de</strong>vant lesquels sont <strong>en</strong>voyés tous<br />

les coupts <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs. Le système aboutit donc — nouveau para<br />

doxe — aur<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’image sociale du couple traditionnel.<br />

Il est cu’leux, à cet égard, do constater que les couples oxclus<br />

do iar le système CECOS sont las marnes quo ceux pour les<br />

quels l’E4lise catholique romaine atl,,iottralt la nullité du maria—<br />

go: impui<br />

4sance, non consommation dii mariage, incapacité d’assumer<br />

les c1rnrgs du mariage. Tout semble se passer comme si le couple<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>vait atre confirmé dans sa qualité <strong>de</strong> bon couple n—<br />

vant d’atre admis à l’IAD. On rejoint Lei. l’étc’rae amnésie dont<br />

sembl<strong>en</strong>t tre frappés los inv<strong>en</strong>teurs <strong>de</strong>s “normes nouvelles”.<br />

Conparé au système A, le système B apparaît explicitem<strong>en</strong>t<br />

comme une issistanco médicale à la procréation. Plus souple, plus<br />

pragmatique, il se cont<strong>en</strong>te <strong>de</strong> répondre à ta <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sociale<br />

dès que t’<strong>en</strong>qtiate sérieuse fait apparaître un cons<strong>en</strong>sus suffi<br />

sant.<br />

3. A quelle question répond L’IAn?<br />

k première vue, est une réponse à la question:<br />

“comm<strong>en</strong>t surmonter l’év<strong>en</strong>tuelle stérilité <strong>de</strong>s couples qui. dési-.<br />

r<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>fant?”. Hais il existe une t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre t technique<br />

<strong>de</strong> l’IkT) — qui assure à un homme une paternité sociale à l’égard<br />

d’un <strong>en</strong>fant dont il n’est pas b géniteur, et la stratégie du<br />

discours CEcOS — qui ti<strong>en</strong>t à gominer la itattire palliative du sys—<br />

tie lAD au plan biologique. Le système lAD est construit sur<br />

une véritable négation du fait, sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t reconnu, que<br />

l’hérédité psychologique ne se transmet pas par te capital géné<br />

tique. Il y a un véritable paradoxe <strong>de</strong> t’IAD que l’on pourrait<br />

exprimer comme suit. “Le système <strong>de</strong> jIl) feint <strong>de</strong> croire que<br />

b problème <strong>de</strong> ta stérilité d’un homme qui veut atre père est<br />

tellem<strong>en</strong>t grave qu’il faut à tout prix la colmater, la “faire<br />

disparaître”, faire “comme si” la <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dance du couple était<br />

“naturelle”. Mais la contradIction la plus évi<strong>de</strong>nte <strong>en</strong>core rési<strong>de</strong><br />

dans tr volonté à tout prix <strong>en</strong>core, <strong>de</strong> gommer l’i<strong>de</strong>n<br />

tité du donneur, <strong>de</strong> dépersonnaliser le sperme <strong>en</strong> <strong>en</strong> faisant un<br />

simple produit ,Ie remplacem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> sorte que ni le producteur<br />

ni les consommateurs no viv<strong>en</strong>t à aucun mom<strong>en</strong>t mine quelconque<br />

expéri<strong>en</strong>ce humaine communoui(8).<br />

tiret, le système lAI) feint d’ignorer le fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t sur<br />

lequel il repose: te fait qu”<strong>en</strong> lAD, c’est l’<strong>en</strong>fant qui fait<br />

le pàre”, c’est—à—dire te fait que la paternité se passe dans<br />

ta tate.<br />

— 137 —<br />

Or, on observe <strong>de</strong> multiples résistances à t’IAD, marne<br />

<strong>de</strong> In part <strong>de</strong> personnes qui la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt. Il pas ,i rare,


— 1311 —<br />

par exempl, qu’un couple procrée naturellem<strong>en</strong>t après avoir re<br />

noncé à <strong>de</strong> t<strong>en</strong>tatives d’IAn qui durai<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois, voire<br />

<strong>de</strong>s années,. comme si los fomanes so Libérai<strong>en</strong>t au moum<strong>en</strong>t oi’a elles<br />

(se) sont Ldchargéos do l’obligation <strong>de</strong>s séances d’ifls,5mnLnatjmn<br />

Ces r6sistnces sont, du moins an partie, <strong>de</strong>s résistances à la<br />

médicalisattion do la procréation ou à l’obligation sociale d’a<br />

voir <strong>de</strong>s <strong>en</strong>trants pour tre nonnal. Il est vrai que si le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong><br />

la fertilit du mari a vraim<strong>en</strong>t ét. ces réstatancos Lncon—<br />

sci<strong>en</strong>tes soit moindres, mais,comme on l’a déjà dit,ce travail n’<br />

est pas <strong>en</strong>couragé.<br />

Pouquoi la culture occi<strong>de</strong>ntale actuelle préfère_t_elle<br />

recourir à a technosci<strong>en</strong>ce plutat qu’aux rapports liunains? La<br />

question <strong>de</strong> jIfl est—elle do savoir cn;pv,,<strong>en</strong>t surmonter médicale<br />

m<strong>en</strong>t telle ‘onne do térllité, ou do savoir co:nmm<strong>en</strong>t donner socia<br />

lem<strong>en</strong>t un efant à un couple qui ne peut <strong>en</strong> avoir par lui—,nm<br />

007<br />

Le 1ooud du paradoxe lAD, dans la version CEcOS, ti<strong>en</strong>t<br />

au fait quo la procréation y est médicalisée <strong>en</strong> mâmne temps que<br />

son vecteur biologique est tout à la fois utiljs,j (le sperme)<br />

ot dénié (la “dose”).<br />

Etl équation “réussite grossosso’• qui sous—tond toute<br />

la pratique <strong>de</strong> i’IAD n’est nécessairem<strong>en</strong>t vraie que dans la per<br />

spective du biologismec. D’autres “réussites” sont possibles au<br />

plan <strong>de</strong>s personnes, mais il ne leur est donné d’apparattro co,n—<br />

me solutjon qu’après que le travail do <strong>de</strong>uil a été accompli. La<br />

réussite pett alors pr<strong>en</strong>dre d’autres formes quo ta grossesse, Le<br />

r<strong>en</strong>oflc<strong>en</strong>,ant ait cIÇf r .1’ minfamit , 1 ‘ .tIop t Loti, vo t ro mnymmo L t, dl vo rcu.<br />

-<br />

C’est dire que la question à laquelLe répond l’iAn n’est<br />

pas <strong>de</strong> savoir comm<strong>en</strong>t donnor une <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>tiance à un couple dont la<br />

stérilité est d’origine masculine, mais plUt6tdo savoir comm<strong>en</strong>t<br />

un couple strila peut <strong>en</strong>tror dans une relation do filtiitiori.<br />

LI4I n’est qu’une dos réponses possibles à cotte question<br />

plus générale. Mais elle apparait comme la Seule réponse si l’on<br />

cèdo au biologisme amblant.<br />

— 139 —<br />

Les étu<strong>de</strong>s anthropologiques montr<strong>en</strong>t que chaque cul<br />

ture découpe à sa façon la par<strong>en</strong>tal-té sur un support biologique.<br />

“A dire vrai, écrit F. H4ritier(1), <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors du rapport physi<br />

que qui unit la mère à ses <strong>en</strong>fants (gestation, mise au ,non<strong>de</strong> et<br />

allaitem<strong>en</strong>t), ri<strong>en</strong> fl’est naturel, nécessaire, biologiquem<strong>en</strong>t<br />

fondé dans l’institution familiale lorsqu’on y regar<strong>de</strong> <strong>de</strong> près.<br />

:-Immie le li<strong>en</strong> bi.otogtque mère—<strong>en</strong>fant n’a pas partout la mime pré<br />

gnance”. Tout se passe comme si l’institution familiale apportait<br />

une multiplicité <strong>de</strong> réponses aux désirs fondam<strong>en</strong>taux <strong>de</strong> l’espèce<br />

humaine (désir sexuel, désir <strong>de</strong> reproduction) ainsi quaux néces—<br />

sités propres à sa. survie (faire vivra ot élever tes <strong>en</strong>fants).<br />

Or il existe à travers te mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> multiples sociétés dont les<br />

solutions heurt<strong>en</strong>t nos évi<strong>de</strong>nces. Ainsi, note le marne auteur, ii<br />

va <strong>de</strong> soi, pour nous occi<strong>de</strong>ntaux du XXème siècle, que le “noyau<br />

dur” <strong>de</strong> la famille ti<strong>en</strong>t dans les quatre propositions suivantes:<br />

i) les part<strong>en</strong>aires <strong>de</strong> jujofl conjugale sont <strong>de</strong> sexe différ<strong>en</strong>t;<br />

2) cotte union no se noue quontre vivants; 3) le géniteur <strong>de</strong>s<br />

<strong>en</strong>fants est normalem<strong>en</strong>t leur père; 4) la famille conjugale (pè<br />

re, mère, <strong>en</strong>fants) est l’uni-té rési<strong>de</strong>ntielle et économique élé<br />

m<strong>en</strong>taire par laquelle pass<strong>en</strong>t l’éducation et lh6ritage. Or l’ex<br />

péri<strong>en</strong>ce ethnologique montre qu’aucun <strong>de</strong> ces principes uni<br />

versellem<strong>en</strong>t admis: les découpages multiples <strong>de</strong> la famille sur<br />

son support biologique fourniss<strong>en</strong>t chacun une ou plusieurs solu<br />

tions à la question do savoir comm<strong>en</strong>t assurer une <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dance à<br />

un humain stérile.<br />

Sur cet arrière—fond, IAfl apparait comme une manifesta—<br />

ti<strong>en</strong> d’un biologiaitie inavoué qui- escamota ou discrédite <strong>de</strong>a alter—<br />

nativo concrètes comme le remariage ou l’adoption.<br />

En définitive, la question qui émerge <strong>de</strong> la problématique<br />

lAD est <strong>de</strong> savoir pourquoi la réponse occi<strong>de</strong>ntale actuelle est une<br />

réponse médicale.<br />

Il serait prématuré <strong>de</strong> répondre à cotte <strong>de</strong>rnière question,<br />

mais une hypothèse pourrait apparattre si l’on se <strong>de</strong>mandait qui<br />

sont les véritables bénéficiaires <strong>de</strong> l’IAIJ. Sont—ce les <strong>en</strong>fants


— l’a)<br />

conçus par ce moyon? Ri<strong>en</strong> n’est moins certain puisquils sont<br />

exclus <strong>de</strong> lur origine génétique. Los donneurs? Ils sont, eux,<br />

privés <strong>de</strong> l dim<strong>en</strong>sion humaine <strong>de</strong> leur don. Les par<strong>en</strong>ts? S’il<br />

est vrai qu’on leur donne ainsi une “<strong>de</strong>sc<strong>en</strong>dance”, ils sont, du<br />

moins pour lia plupart, privés <strong>de</strong>s noyons d’assumer la transgres<br />

sion que l’AD leur fait commettre. Il reste les mé<strong>de</strong>cins et les<br />

institution médicales. Co sont pout—atre eux les vrais b,Snéfi—<br />

ciairos do 4’IAIJ, car leur impuissance face à la mort peut tre<br />

voilée quanc elle se prés<strong>en</strong>te sous les traits <strong>de</strong> la stérilité<br />

masculine. L’IAl) panse la blessure narcissique que leur inflige<br />

leur impuisance face aux hommes stériles. Nous n’y verrions<br />

pas djflcoflvfljet si cette satisfaction ne leur était accordée<br />

au détrim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong> ceux qu’ils prét<strong>en</strong><strong>de</strong>nt ai<strong>de</strong>r.<br />

V luwo<br />

G<strong>en</strong>eviève Delaisi <strong>de</strong> Parseval<br />

Psychanalyste<br />

ean.-François Maiherbo<br />

Professeur à l’Université <strong>de</strong><br />

Louvain<br />

Directeur du <strong>C<strong>en</strong>tre</strong><br />

Bioéthiques <strong>de</strong> Louvain—<strong>en</strong>—Wo—<br />

(Bruxelles)<br />

— i4i —<br />

1. LADRIER, J., Les <strong>en</strong>jeux <strong>de</strong> la rationalité, Paris, Aubier!<br />

Unesco, 1977.<br />

2. CASTO1lIADIS, C., La crise <strong>de</strong>s sociétés occi<strong>de</strong>ntales, in<br />

Politique internationale, n°15, printemps 1982, pp. 131—1I7.<br />

3. NIlTZSCITE, F., Le Gai savoir, Aphorisme n°125.<br />

4. Docum<strong>en</strong>tation G. <strong>de</strong> Parseval.<br />

5. Cf. l’exposé donné par le Professeur R. SCTTOYSMAN le 25 oc<br />

tobre 1983 dans le cadre du séminaire “Mé<strong>de</strong>cine et procréa<br />

tion” dirigé par J.—F. MALIIEIU3E au <strong>C<strong>en</strong>tre</strong> d’Etu<strong>de</strong>s Bioéthi<br />

ques <strong>de</strong> Louvain—<strong>en</strong>—Woluwe (Bruxelles).<br />

6. Le système A est celui <strong>de</strong>s CES et le système B est celui<br />

du Professeur R. SCHOYSMAN (cf. notes k et 5).<br />

7. lAC = insémination artificielle au sein du couple, ou “<strong>en</strong><br />

dogame”, c’est—à—dire avec le sperme du part<strong>en</strong>aire.<br />

8. Cf. les ouvrages <strong>de</strong> l’un d’<strong>en</strong>tre nous: La part du père, Pa<br />

ris, Le Seuil, 1982, et L’<strong>en</strong>fant à tout prix, Le Seuil,<br />

1983 (G<strong>en</strong>eviève Delaisi <strong>de</strong> Parseval).<br />

9. Ra adaptant la formule du Professeur J. <strong>de</strong> AJURIAGUERRAI<br />

“C’est l’<strong>en</strong>fant qui fait la mère”.<br />

1O.”Les mille et une formes <strong>de</strong> la famille”, in Le Mon<strong>de</strong>, 24 dé<br />

cembre 1975.<br />

NOT ES


LES INTELLEruELs I’ LA “PllOPflIrIE”<br />

par Phitippe NEMO


Introiluetion<br />

I — La “prophétie”. De bergaon à Atian<br />

Il — Les intellectuols, prophètes <strong>de</strong>s<br />

temps mo<strong>de</strong>rnes<br />

III — Les conditions le l’innovation in—<br />

teHectut,j le<br />

IV — L’expression do L’innovation intel<br />

lectuelle<br />

1) L’intellectuel icrit <strong>de</strong>s livres<br />

dont la tonne typique est te5i<br />

2) L’intellectuel intervi<strong>en</strong>t ponc—<br />

V — ConclusIon<br />

tuetLa,n<strong>en</strong>t dans le débat public.<br />

Ler6le do la Presse.<br />

i) L’,5volutionjsmo<br />

2) La personnaijt do l’intellectuel<br />

145<br />

1 50<br />

170<br />

194<br />

196<br />

212<br />

228<br />

228<br />

236<br />

— 1I5 —<br />

INTRODUCTIO1I<br />

La question <strong>de</strong>s intellectuels n souv<strong>en</strong>t été traitée ces dan—<br />

nièros Je voudrais la repr<strong>en</strong>dre ioi <strong>en</strong> y apportant l’intel<br />

ligibilité spécifique que fourniss<strong>en</strong>t, d’une part, les concepts d’auto—<br />

organisation et <strong>de</strong> création d’ordre à partir du caon(2), et<br />

part ceux d”institution olérioale” et <strong>de</strong> morphog<strong>en</strong>èse spontanée <strong>de</strong>s<br />

doctrines à partir <strong>de</strong> la mémorisation <strong>de</strong>s valeurs et schèmes <strong>de</strong> compor<br />

tem<strong>en</strong>t bénéfiques dans un univers social indéterntiniste. Le prés<strong>en</strong>t<br />

article <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d décrire la seule première phase <strong>de</strong> ce prooessus <strong>de</strong><br />

phog<strong>en</strong>èse spontanée”.<br />

Ce que les “intellectuels” on-t <strong>de</strong> propre, par rapport aux<br />

autres spéoialistes <strong>de</strong>s idées, c’est <strong>de</strong> oréeir <strong>de</strong>s théories nouvelles,<br />

d’inv<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>s modèles originaux fournissant une intelligibilité<br />

inédite et fécon<strong>de</strong> du réel, <strong>de</strong> résoudre <strong>de</strong>s problèmes<br />

I. Par exemple Régis Debray, Le Pouvoir intellectuel <strong>en</strong> Franoe, Ramsay,<br />

1979; Le Scribe, Oraset, 1980, Prançois llourrioaud, Le bricolage<br />

idéologique. Essai sur las intellectuels et les passions démoorati—<br />

, P.U.?., 1980e II. Ha,non et P. Rotman, les Intellocratea.<br />

2. Pour une prés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> ces concepts que je croi,s utilisable pour<br />

les problèmaB soulevés ici, of. Il<strong>en</strong>ri Atlan, Entre le cristal et<br />

la fumée (Seuil, 1979), spécialem<strong>en</strong>t oh. 5 “Conpoi<strong>en</strong>oe et désirs<br />

dans les systèmes auto—organisateurs”; oh. 8,”l{y-percornplexité et<br />

soi<strong>en</strong>ee <strong>de</strong> l’homme”; oh. II: “Isral <strong>en</strong> question”.<br />

3. Cf. Philippe Nemo, “Le concept <strong>de</strong> oléricature”, Cahiers du C.R.E.A.<br />

n°2, juin 1983; Jean—Marie Dom<strong>en</strong>ach et Philippe Homo, Prés<strong>en</strong>tation<br />

du séminaire “Reproductions et ruptures culturelles”, C.R.H.A.,<br />

septembre 1983.


—11a6—<br />

nouvoau4 par <strong>de</strong>s solutions elLo—inmes nouvelles (cette formula<br />

tion n’st pas redondante), spécialem<strong>en</strong>t d’apporter, <strong>en</strong> temps<br />

<strong>de</strong> “crie”, la réponse adaptée quo tout le mon<strong>de</strong> att<strong>en</strong>d plus<br />

ou moins obscurém<strong>en</strong>t(l). L’intellectuel réagit aux maux, diffi<br />

cultés oj autros obstacles du prés<strong>en</strong>t on formulant pour la pre—<br />

mièro foL <strong>de</strong> façon explicite et articulée les problèmes Lie la<br />

non—résolution <strong>de</strong>squels, dit—il, les malheurs du t<strong>en</strong>ips sont la<br />

conséquerco. Si l’homme, seLon Karl J’opper, est ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

un “problomnsolver”, l’intetioctuol est celui qui résoud<br />

problàme collectifs par <strong>de</strong>s solutions qui ont eltos—mâmes voca<br />

tion à tre Collectivisées.<br />

C’esti ainsi quun professeur, par exemple, n’est pas, <strong>de</strong> soi,<br />

un intellctuol — malgré un certain flottem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’usago ordi<br />

naire du ermo à cet égard. Ni un journaliste cormiinontant l’ac<br />

tualité. i mime un sci<strong>en</strong>tifique travaillant dans le cadre <strong>de</strong><br />

la “sci<strong>en</strong>G$ normale” (ce <strong>de</strong>rnier concept est applicable, selon<br />

nous, aux sci<strong>en</strong>ces socialos). Seul est un intellectuel au s<strong>en</strong>s<br />

fort du terme l’”lmomme d’idées” qui trouve, pour la société glo<br />

bale, <strong>de</strong>s solutions inéditos à <strong>de</strong>s problèmes intellectuels non—<br />

classiques que pose, <strong>de</strong> façon conting<strong>en</strong>te, non—prédictible,<br />

1 ‘actuaiitS.<br />

Ce quirevi<strong>en</strong>t à dire; i) qu’il y a, <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong> tels pro<br />

blèmes, dorc que l’univers social est <strong>en</strong> évolution et “ouvert”,<br />

et 2) que 4es problèmes, quand l’intellectuel intervi<strong>en</strong>t, sont<br />

<strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s et qu’il importe à quelque <strong>de</strong>gré pour le bi<strong>en</strong> do<br />

la ocitd u’ils soi<strong>en</strong>t effoctivern<strong>en</strong>t résolus.<br />

J. CC. J oan-îlarie lXj,qlNACll, “Nature et u,iesuru <strong>de</strong> La crise”,<br />

cours prb fossé à I ‘ lco I e loi y teclun iqume


— 11111 —<br />

donner un réponse; que si lui—i,,me no te fait pas, et mainte<br />

nant, poronne d’autre no lu Cura à sa place; ou que d’autros<br />

le feront mais moins bi<strong>en</strong>, parce qu’ils n’ont pas les mêmes<br />

clefs, ot. Cotte “capacité <strong>de</strong> responsabilité”nppar<strong>en</strong>to l’intel—<br />

loctuel à l’homme d’action et singulièrerii<strong>en</strong>t à l’homme politique,<br />

malgré ce ni, trop évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t, 1s distingue. L’intellectuel<br />

est plus proche du politique, à certains égards, quo du profes—<br />

seurp com,n Nietzsche l’a bi<strong>en</strong> vu.<br />

Les déats classiques (B<strong>en</strong>da, Sartre... ) sur 1’”<strong>en</strong>gage—<br />

m<strong>en</strong>t” <strong>de</strong> sont donc <strong>en</strong> général mal formulés. Un<br />

intellectuel ne peut pas ne pas tre <strong>en</strong>gagé. Il ne peut y avoir<br />

débat que ur la nature et le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t (participa—<br />

ti<strong>en</strong> à clesactions’ adhésion à un parti, dosage <strong>de</strong>s livres thé—<br />

oriquess.e <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> circonstance, etc.). Un signe <strong>en</strong> est<br />

que l’intolilectuel a toujourl clos adversaires. ln effet, il a le<br />

s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> la singularité dos instants, <strong>de</strong> l’irréversibilité du<br />

temps, <strong>de</strong> lia<br />

conting<strong>en</strong>ce do l’action et <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> l’liom—<br />

me dans un Inon<strong>de</strong> où tout n’est pas déjà écrit. li fait donc do<br />

son discour, consciemm<strong>en</strong>t, un acte, <strong>de</strong> nature à modifier le cours<br />

<strong>de</strong>s choses.<br />

11l doit donc r<strong>en</strong>contrer <strong>de</strong>s adversaires sur son che<br />

min. Par coitrasto, le spécialiste <strong>de</strong>s coléoptères n’a quo clos<br />

critiques, cu <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s rivaux, dont l’inimitié obéit à une le—<br />

gigue extrirsèqime à sa thiiorio.<br />

gn tant qu’innovant, l’intellectuel s’avanco ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

à découvert ‘et ne peut s’att<strong>en</strong>dre à tre sout<strong>en</strong>u par clos insti—<br />

tuti ons. “A c!écpuvort” cuit I ‘nxprossi on ndmSquato: ,mitqnn si I ‘ in—<br />

tellecttiel est très cultivé (nous verrons qu’il faut qu’il le<br />

— 149 —<br />

soit) et ses livreB trèa riches <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>oes, il no se prés<strong>en</strong>te<br />

pas, à la différ<strong>en</strong>ce du “clerc<br />

5, comme étant dans la <strong>de</strong>so<strong>en</strong>dance<br />

d”autorjtés” traditionnelles et couvert par elles. Il parle <strong>en</strong><br />

son nom propre (év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t au nomim d’un groupe, mate toujours<br />

d’hommes vivants et <strong>en</strong>gagés, courant le mime “risque” que lui).<br />

De là découl<strong>en</strong>t un certain nombre <strong>de</strong> caraotéristiques formelles<br />

<strong>de</strong> son discours.<br />

Noue rapprochons le discoure <strong>de</strong> ainsi<br />

rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t oeraotérisé, <strong>de</strong> la prophétie.


— 150 —<br />

I — LA. ‘PflOP7flpIE’. n1 BEur.son A ATLN.<br />

—------------<br />

L”intellectuel est le prophète <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes. Ce n’est pas<br />

seulemey,-t une image. Nous pourrions dire, <strong>en</strong> s<strong>en</strong>s inverse, que le pro<br />

phète ejt l’intellectuel <strong>de</strong>c temps relipieux. Les <strong>de</strong>ux formules n’ont<br />

<strong>de</strong> s<strong>en</strong>s que si l’on ne se mépr<strong>en</strong>d pas sur la fonction du prophète bibli<br />

que. Celtj—ci ne se définit pas ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t par sa capacité à “pré<br />

dire” cette capacité mme dérive d’une autre capacité, qui<br />

est <strong>de</strong> fjurnir, à une situation collective antique, une réponse origi<br />

nale, qui sera tèt ou tard perçue comme vraie par les contemporains,<br />

<strong>en</strong>tralnajt leur adhésion. Une foie celle—ci acquise, l’histoire pr<strong>en</strong>dra<br />

la forme qu’aura forgée l’imagination créatrice du prophète et celui—ci<br />

paraîtra étrospectjvem<strong>en</strong>t avoir annoncé l’av<strong>en</strong>ir (“prophétie auto—réalj...<br />

satrioe”).<br />

Le ophèts est dono comme l’artiste qui Crée un style, OU Comme<br />

l’homme politique qui provoque une situation irréversible. Tous “chan<br />

g<strong>en</strong>t le pasage”, font “basculer” les situations indécises. F spécifi<br />

cité du prophète, par rapport à ces autres acteurs <strong>de</strong> l’histoire, est<br />

dune l’unjveru do j,lées et <strong>de</strong>s doctrines et d’avoir pour<br />

moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> cette interv<strong>en</strong>tion le seul discours (le discours verbal ou,<br />

comme nous le verrons, les “signes”). Mais il est, comme eux, ess<strong>en</strong>tiel<br />

lem<strong>en</strong>t, un cr,ateur. Les théorise qu’il inv<strong>en</strong>te sont <strong>de</strong>s “émerg<strong>en</strong>ces”.<br />

Il y là un problème <strong>de</strong> “logique <strong>de</strong> l’oranjsation <strong>de</strong>s syetèmœn<br />

vivante” qu je ne peux abor<strong>de</strong>r pour liil—mêmno, mais polir lequel je vos—<br />

I. Pour uneprés<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> ce modèle <strong>de</strong> ‘causalité circulaire”, cf. Jean—<br />

Pierre flipuy, Ordres et déaordrea, Seuil 19R2, p.p. I2—I62. Noue ne<br />

nous int,resmuon pas <strong>en</strong>core, dans cet article, au r;r000ssus par lequel<br />

— 151 —<br />

émis dès à prés<strong>en</strong>t donner quelques référ<strong>en</strong>cem.<br />

+++<br />

llergson avait déjà déployé la notion d’innovation culturelle dans<br />

une sooiété humaine considérée sous l’angle <strong>de</strong> la vie, dans “Les Deux<br />

sources <strong>de</strong> la morale et <strong>de</strong> la religion”’.<br />

Dans une “société ouverte” où domine la “morale ouverte”, les prophètes<br />

et les héros cré<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s courants nouveaux représ<strong>en</strong>tant une émerg<strong>en</strong>ce<br />

absolue; ils <strong>en</strong>train<strong>en</strong>t l’histoire à leur suite. Di<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, le langage<br />

théorique <strong>de</strong> Ïlergson a vieilli, et dutre part son assimilation <strong>de</strong> la<br />

“vie” à un principe divin (qui. lui fait désigner les créateurs comme<br />

<strong>de</strong>s “mystiques”) ne peut recueillir comnie telle l’approbation directe<br />

<strong>de</strong>s biologistes (pas plus que celle, sans doute, <strong>de</strong>s théologi<strong>en</strong>s).<br />

Plusieurs traits sont néanmoins à ret<strong>en</strong>ir <strong>de</strong> son analyse. D’abord<br />

l’idée même <strong>de</strong> “société ouverte” (que Karl Popner a reprise à Bergaon,<br />

dans un autre contexte certes, mais <strong>en</strong> lui empruntant plus <strong>de</strong> cont<strong>en</strong>u<br />

théorique qu’on ne croit ordinairem<strong>en</strong>t(2)). La société et la morale qui.<br />

y règn<strong>en</strong>t sont “ouvertes” dans la mesure où il s’y crée du nouveau.<br />

la prophétie <strong>en</strong>traîne l’adhésion, “pr<strong>en</strong>d”, se collectivise, fait conver<br />

ger les m<strong>en</strong>talités vers un “point fixe” et ainsi se réalise. A ce problème<br />

t<strong>en</strong>tera <strong>de</strong> répondre la théorie <strong>de</strong> la “morphog<strong>en</strong>èse spontanée” <strong>de</strong>s doctri<br />

nes et du phénomène collectif <strong>de</strong> l’exégèse. Nous aurons alors à repr<strong>en</strong><br />

dre, sous cet angle, l’analyse <strong>de</strong>s “prophétisa auto—réalisatrices”. Nous<br />

voulons d’abord étudier ioi. la prophétie <strong>en</strong> elle—.i%me, <strong>en</strong> son émerg<strong>en</strong>ce<br />

solitaire.<br />

I. il<strong>en</strong>ri Dergaon, Les Deux sources <strong>de</strong> la morale et <strong>de</strong> la religion, Presses<br />

universitaires <strong>de</strong> I’rance. L’édition séparée<strong>de</strong> 194i et l’oeuvre insérée<br />

dans les Oeuvres philosophiques comi.lètes (1959) port<strong>en</strong>t la mème pagina<br />

tion. Ce texte set ci—après cité D.S.<br />

2. Cf. Karl Popper, l,a Société ouverte et ses <strong>en</strong>nemis, Seuil 1979, p.1<br />

67.


— 152 —<br />

Si i’éternl retour caractérise les sociétés archnïquea ou “statiques”,<br />

l’hindouisne et le bouddhisme, la Grèce, le prophétisme hébreu, <strong>en</strong>fin<br />

le christianisme sont chacun à leur manière <strong>de</strong>s accès <strong>de</strong> création, par<br />

lesquels la pério<strong>de</strong> la plus réc<strong>en</strong>te <strong>de</strong> l’histoire cosmique innove fonda—<br />

m<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t sur les pério<strong>de</strong>s antérieures. Le grand courant créateur <strong>de</strong><br />

la vie s’y ianifeste par <strong>de</strong>s “poussées” qui vont, à chacune <strong>de</strong>s étapes<br />

citées, <strong>de</strong> lue <strong>en</strong> plus loin.<br />

Ce cotrant s’exprime, selon Bergson, à travers <strong>de</strong>s individualités.<br />

“On peut suposer que le développeriitnt <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée grecque fut l’oeuvre<br />

<strong>de</strong> la seule raison et qu’à câté <strong>de</strong> lui, indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lui, se produi<br />

sit <strong>de</strong> loin <strong>en</strong> loin chez quelques n,es prédisposées un effort pour aller<br />

chercher, par <strong>de</strong>là liflte11jgeflce, une vision, un contact, la révélation<br />

d’une réalit transc<strong>en</strong>dante”(D.S. p.232). Cette évolution n’est donc pas<br />

collective, plle concerne d’abord “un petit nombre <strong>de</strong> privilégiés” (n.s.<br />

p. 250).<br />

Luinnrni’ation a vocation à se répandre, à se collectiviser et <strong>en</strong><br />

même temps àm’intellectualiser (conformém<strong>en</strong>t à la doctrine constante<br />

<strong>de</strong> Ilergoon sr l’intellig<strong>en</strong>ce “retombée” do l’intuition). C’est ainsi<br />

que naiss<strong>en</strong>t les doctrines religieuses, qui n’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t pas les croyances<br />

religieuses nais <strong>en</strong> représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t nu contraire la traduction pour le grand<br />

nombre: “Nous nous représ<strong>en</strong>tons la religion comme la cristallisation,<br />

opé’ée par un refroi.issem<strong>en</strong>t savant, <strong>de</strong> ce que le mysticisme vint dépo<br />

ser, brûlant,dans l’âme <strong>de</strong> l’humanité’ (n.s. p. 252); “La religion est<br />

au mysticisme ce que la vulgarisation est à la sci<strong>en</strong>ce” (n.s. p.253).<br />

Borgson <strong>en</strong>volmppant (lans la notion <strong>de</strong> “mysticisme” toute émerg<strong>en</strong>ce au—<br />

— 153 —<br />

th<strong>en</strong>tiquem<strong>en</strong>t créatrice (y compris, à certains égards, la philosophie<br />

grecque), il est permis <strong>de</strong> donner une portée générale à ces idées <strong>de</strong><br />

“cristallisation” et <strong>de</strong> “vulgarisation”. Nous les retrouverons dans toute<br />

lanalyme <strong>de</strong> la constitution <strong>de</strong>s courants culturels.<br />

Chez les grands crétrurs — autre trait souligné par Bergson — se<br />

r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t la p<strong>en</strong>sée et l’action, <strong>en</strong> un “élan” indivisible. “Pour franchir<br />

1nerva11e <strong>en</strong>tre la p<strong>en</strong>sée et l’action il fallait un élan... Nous trou<br />

vons cet élan chez les prophètes. Le christianisme.., dut <strong>en</strong> gran<strong>de</strong> partie<br />

aux prophètes juifs d’avoir un mysticisme agissant, capable <strong>de</strong> marcher<br />

à la conquête du mon<strong>de</strong> (D.s. p. 255). Le “mystique” s<strong>en</strong>t que, simplem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> p<strong>en</strong>nant ce qu’il p<strong>en</strong>se, et <strong>en</strong> disant ce qu’il dit, il change ipso fkcto<br />

le coure <strong>de</strong>s choses.<br />

Cette assurance, cette persuasion d’tre situé au point précis où<br />

les choses hésit<strong>en</strong>t et sont prâtes à basculer, font <strong>de</strong> lui indissociable—<br />

m<strong>en</strong>t un “contemplatif” et un “conquérant”. Car sa “sci<strong>en</strong>ce”, qui lui ins<br />

pire son discours , n’est pas intellectuelle et ne résulte pas d’une<br />

rationalité déductive. Elle est “innée”. Cet homme qui passera rétrospec<br />

tivem<strong>en</strong>t, au vu <strong>de</strong>s transformations <strong>en</strong> chaîne quil aura provoquées, pour<br />

un acteur <strong>de</strong> l’histoire et nême pour un hoame politique (songeonm par<br />

exemple aux grands saints créateurs religieux), est tout le con<br />

traire d’un esprit rusé ou <strong>en</strong> général oalculateur. Le créateur est innoc<strong>en</strong>t.<br />

“Une sci<strong>en</strong>ce innée, ou plutat une innoc<strong>en</strong>ce acquise, lui sugpère du premier<br />

coup la démarche utile, l’acte déoisif, le mot sans réplique” (.s. p.24<br />

Il comm<strong>en</strong>ce ainsi une nouvelle histoire plutût qu’il n’agit dans<br />

6).<br />

l’histoire. Mais il fait ceci à partir d’une capacité, non à faire à pro<br />

prem<strong>en</strong>t parler “table rase” du passé, mais à ne pas <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir compte consciem—


m<strong>en</strong>t, à n pas raisonner selon les schémas consci<strong>en</strong>te et collectivem<strong>en</strong>t<br />

mémorisée qui gui<strong>de</strong>nt l’homme ordinaire. Mais pour que les nouveaux<br />

schémas qi’il propose ai<strong>en</strong>t pour effet <strong>de</strong> laisser ses contemporains<br />

“sans réplique”, il faut qu’ils ai<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> fait, une vertu <strong>de</strong> vérité. Il<br />

faut qu’i)a repréa<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tune adaptation effective à une situation nouvelle,<br />

quils ré olv<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s problèmes <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s, qu’ils r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt<br />

effectiv<strong>en</strong><strong>en</strong>t intelligible une situation perçue par le plus grand nombre<br />

comme chaotique (et pénible ou dangereuse). C’est parce que les contempo<br />

rains reco naiss<strong>en</strong>t que le problème est effectivem<strong>en</strong>t résolu et que <strong>de</strong><br />

nouvelles erspectives s’ouvr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>vant eux, qu’ils rest<strong>en</strong>t<br />

“sans répl que”.<br />

— 154<br />

Cette capqcité <strong>de</strong> partir d’un nouveau pied, à partir du sil<strong>en</strong>ce ou<br />

<strong>de</strong> loublijmpo à l’anoi<strong>en</strong>ne culture, Bergson la rapproche curieusem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> la “nuit <strong>de</strong> l’esprit” <strong>de</strong>s mystiques. “L’êjna,.. no se r<strong>en</strong>d pas compte<br />

du travail profond qui s’accomplit obscurém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> elle. Elle s<strong>en</strong>t quelle<br />

a beaucoup perdu; elle ne voit pas <strong>en</strong>core que c’est pour tout gagner.<br />

Telle est Za “nuit obscure” dont les grands mystiques ont parlé” (i.s.<br />

p.245). Le il<strong>en</strong>ce, l’oubli, le rejet diSe schémas appris sont l’ingrédi<strong>en</strong>t<br />

nécosijajro 1o lu crétit ion. Ilorgoon ne tnijpèro piu quo la critIiun (lOiVO<br />

effectiveme t supprimer le passé <strong>de</strong> façon radicale; dans ouvrages,<br />

et dès l’Essai surles données immédiates <strong>de</strong> la consci<strong>en</strong>ce, il montre au<br />

contraire que la création, pour n’être pas répétition pitre et simple et<br />

recomin<strong>en</strong>cem nt <strong>de</strong> à zéro, doit être <strong>en</strong> un sans l’expression do<br />

tout le pas é. Maie il insiste, avec une netteté extrême, mur le fait que<br />

cette prise <strong>en</strong> compte du pasiii fl’eiit pas, dans l’acta créteur, consci<strong>en</strong>te.<br />

Ce qui veut dire que le passé n’intervi<strong>en</strong>t pas, dans l’acte libre et cré<br />

ateur, comme un principe, comme un <strong>en</strong>semble <strong>de</strong> prémisses pour un raisonne<br />

m<strong>en</strong>t. Il n’est pas, comme tel, pourvu <strong>de</strong> s<strong>en</strong>s, et n’intervi<strong>en</strong>t dans la<br />

création qu’à la faveur d’un mécanisme dont Bergson n’a pas, semble—t—il,<br />

élucidé le secret. Et pour que la parole nouvelle tranche, il lui faut<br />

un fond <strong>de</strong> sil<strong>en</strong>ce ou <strong>de</strong> “nuit” la libérant parce que lui permettant <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s formes nouvelles sans interfér<strong>en</strong>ces avec les anci<strong>en</strong>nes. Le<br />

“mystique”, et le crétaeur <strong>en</strong> général, ne seront pas hommes d’école, <strong>de</strong><br />

référ<strong>en</strong>ce, <strong>de</strong> “secon<strong>de</strong> main”.<br />

Nous retrouvons, autrem<strong>en</strong>t formulés et à vrai dire plus olairem<strong>en</strong>t<br />

et nettem<strong>en</strong>t articulés, tous ces traits dans l’analyse d’llonri Atlan,<br />

qui d’ailleurs se refere explicitem<strong>en</strong>t a Bergson<br />

Je signale d’abord un certain inachèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette analyse. Bio—<br />

physioi<strong>en</strong> et théorici<strong>en</strong> <strong>de</strong> l’auto—organisation, Atlan n’applique qu’avec<br />

pru<strong>de</strong>nce les concepts <strong>de</strong> cette théorie à <strong>de</strong>s “systèmes humaine” collectifs.<br />

L’articulation la plus nette d’une théorie <strong>de</strong> ou <strong>de</strong> la créa<br />

tion comme réponse adaptative d’un système vivant aux modifications alé<br />

atoires <strong>de</strong> son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t oct faite à propos du psychisme individuel<br />

et <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong> volonté individuelles(2). Néanmoins,<br />

à l’occasion <strong>de</strong> remarques sue nous citerons et surtout dans les <strong>de</strong>rniers<br />

chap5tres du livre consacrés à Israêl et au peuple juif, Atian parait<br />

considérer les sociétés elles—mêmes comme systèmes vivants auto—organisés<br />

dans lesquels l’innovation obéit à la même logique fondam<strong>en</strong>tale,<br />

I. Cf. il<strong>en</strong>ri Atlan, Entre le cristal et la fumée, op. oit., s.17<br />

2. Cf. il<strong>en</strong>ri Atlan, on. cit., Ch.5: “Consci<strong>en</strong>ce et désirs dans les systè<br />

mes nuto—oranisateurs”.<br />

— ‘55 —<br />

(I)


Il évoque l<br />

alités. Il<br />

rêle que jou<strong>en</strong>t, dans l’innovation collective, les individu—<br />

Ite expressém<strong>en</strong>t les “prophètes” et les “sci<strong>en</strong>tifiques”.<br />

Lana4.se comme celle <strong>de</strong> Tiorgaon, suppose un univers<br />

“ouvert” et n évolution. Les système:i vivants, dans un tel univerj, sont<br />

confrontés a changem<strong>en</strong>t et à l’aléatoire dans leur <strong>en</strong>vjroanem<strong>en</strong>t et con<br />

tribu<strong>en</strong>t eux<br />

4e,mes à apporter le changem<strong>en</strong>t. Leur problème est d’intégrer<br />

l’aléatoire dans un “ordre nouveau” tel que l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t modifié re<strong>de</strong><br />

vi<strong>en</strong>ne intellgjble et que lorg5flj55 puisse <strong>de</strong> nouveau y opérer <strong>de</strong> fa<br />

çon adaptée. ‘émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> cet ordre nouveau est l’auto_organisatj<br />

0<br />

“L’auto—orpaneatjon n’est qu’un processus <strong>de</strong> création et <strong>de</strong> stabilisatj,n<br />

<strong>de</strong> la nouveau é... Le futur n’est pas construit par une volonté consci<strong>en</strong>te<br />

mais par un processus dans lequel l’inconnu, l’aléatoire inorganisé peut<br />

se transformer<br />

— 156 —<br />

1 <strong>en</strong> un ordre connu et organisé” (p.174). ce qui a lieu —<br />

c’est l’exempl privilégié — dans l”approntissape non—dirigé”.<br />

Or, dit Atlan, “dans l’ordre <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée l’appr<strong>en</strong>tissage non—dirigé<br />

est à l’oeuvre dans la reoherche intellectuelle et artistique. Il permet<br />

lintégratjon, apparemm<strong>en</strong>t Paradoxale, du radicalem<strong>en</strong>t nouveau et contri<br />

bue ainsi chez les adultes à la création <strong>de</strong>s cultures. Il fait suite <strong>en</strong><br />

s’<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>cjant à l’éducatjy <strong>de</strong>a <strong>en</strong>fants, transmetteuse <strong>de</strong> culture”<br />

(p. 9). Lucréteur <strong>de</strong> culture — les intellectuels — sont donc <strong>de</strong>s liom—<br />

mes qui- d’une Prrt “appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t” — ce qui veut dire qu’ils intègr<strong>en</strong>t le<br />

réel et , ils ne cré<strong>en</strong>t pas “ex nihilo” — mais d’autre part appn<strong>en</strong>—<br />

n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> façon “mon—dirigée” — ce qui veut dire quils ne mett<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong><br />

forme ce réel e cet actuel par décalque et duplication <strong>de</strong> formes cultu<br />

relles déjà exitantes, Ils ne cré<strong>en</strong>t pas le réel, puisqu’ils appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> lui; mais il cré<strong>en</strong>t les formes nouvelles à travers lesquelles le réel<br />

va tre vu, compris et vécu. Ils cré<strong>en</strong>t les formes par rapport auxquelles<br />

les “brujt” <strong>de</strong> vont tre transformés <strong>en</strong> “informations”. Dénués<br />

<strong>de</strong> signification par rapport aux anci<strong>en</strong>s schémas, ces élém<strong>en</strong>ts nouveaux<br />

Seront désormais pourvus <strong>de</strong> signification.<br />

Atian parle, sinon <strong>en</strong> propres termes <strong>de</strong>s intellectuels, du moins<br />

<strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> livres: “Certains livres exprim<strong>en</strong>t plus que d’autres, <strong>en</strong><br />

mime tempe qu’ils précipit<strong>en</strong>t, les changem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> point <strong>de</strong> vue et retour<br />

nem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> perspective qui survi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée, ce<br />

que Foucault a appelé les mutations du savoir, que Kuhn appelle les chan<br />

gem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> paradigme” (p. 192). Atlan note que les découvertes sci<strong>en</strong>tifi<br />

ques ne sont pas <strong>de</strong>s créations ‘x flihilo; le créateur <strong>de</strong> paradigmes n’est<br />

pas le premier ni le seul à voir les faits nouveaux, aléatoires, inexpli<br />

cables, paradoxaux qui eont la “matière” <strong>de</strong> la découverte; mais il est<br />

le premier à les r<strong>en</strong>dre intelligibles, parce quil les rapproche les uns<br />

<strong>de</strong>s autres (il “fait le rapprochem<strong>en</strong>t”) et imagine la structure par rapport<br />

à laquelle ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une signification. Ce qui se produit lare d’une<br />

découverte, c’est que les connaiesanoem dont tous les élém<strong>en</strong>ts expérim<strong>en</strong><br />

taux et pratiques étai<strong>en</strong>t déjà prés<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>puis un temps qui peut être déjà<br />

long “sont revues sous un jour tout—à—fait nouveau, à la lumière <strong>de</strong> ques<br />

tions qui même pas soupçonnées et elles se rassembl<strong>en</strong>t alors<br />

tout naturellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un nouveau discours <strong>de</strong> façon.., naturelle et con<br />

traignante” (p. 193).<br />

— 157 —<br />

Le détail <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> ce processus <strong>de</strong> création n’est donné par<br />

Atian qu’au plan du psychisme individuel. Le plus remarquable est que 1’<br />

auto—organisation, <strong>en</strong> elle—même, est totalem<strong>en</strong>t inconmci<strong>en</strong>te. i’on<br />

I. Par définition, peut—on dire. Si la consci<strong>en</strong>ce interv<strong>en</strong>ait, il ne


—158—<br />

réserve l’appellation <strong>de</strong> “vouloir’ à la réponse adaptative actuelle <strong>de</strong><br />

lorganisre, il <strong>en</strong> résulte que “le véritable vouloir est inconsci<strong>en</strong>t.<br />

Les chose se font à travers nous. Le vouloir se situe dans toutes nos<br />

cellules, u niveau très précieém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leurs internctions avec tous les<br />

facteutis aéatoires <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. C’est là que l’av<strong>en</strong>ir se construit”<br />

(p. 140). nversem<strong>en</strong>t, “la consci<strong>en</strong>ce, prés<strong>en</strong>ce du connu, est <strong>en</strong> nous<br />

prés<strong>en</strong>ce di passé.., la consci<strong>en</strong>ce, c’est notre mémoire qui se manifeste<br />

au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong>la mémoire d’un ordinateur au mom<strong>en</strong>t où elle est utilisée<br />

dans une mite d’opérations” (ibid.; cf. l’expression “affichage <strong>en</strong><br />

mémoire”: n <strong>en</strong> mémoire que ce qui y est déjà inscrit). Pour<br />

le dire autem<strong>en</strong>t: la création est radicalem<strong>en</strong>t inconsci<strong>en</strong>te, la consci<strong>en</strong>ce<br />

est radicalem<strong>en</strong>t non—créative.<br />

Remarquons tout <strong>de</strong> suite ici que, transposée telle quelle au plan<br />

collectif , cette logique aboutirait à un paradoxe. Si la création dans<br />

la sootété tait pure spontanéité, cela signifierait qu’il n’y aurait pas<br />

<strong>de</strong> créateurs individuels. sociale se ferait “toute seule”,<br />

sans que peronne ne s’<strong>en</strong> r<strong>en</strong><strong>de</strong> compte et sans que personne ne joue un<br />

rêle spécia4 Or on sait bi<strong>en</strong> que ceci est faux. Il y n, <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong>s<br />

génies ou plts simplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s êtres originaux, et qui dc plus sont souv<strong>en</strong>t<br />

consci<strong>en</strong>ts djnnover. D’ailleurs lui—même n’a—t—il pas parfois<br />

pleine consc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> créer du nolweau, <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>cer une histoire, d’être<br />

libre? Àtlan ésoud maint<strong>en</strong>ant ce paradoxe, et la solution qu’il<br />

lui donne au rlan individuel peut être transcrite, nous le verrons, au<br />

s’agirait pas d’auto—organination, d’un phénomène spontané,<br />

main do quelqae do provoqué, ayant dono un autre principe que coi.<br />

Ce serait unel hétéro—or,anisation.<br />

plan collectif.<br />

— 159 —<br />

Il y n <strong>en</strong> effet, nous dit—il main.t<strong>en</strong>ant, <strong>en</strong>tre cette mémoire—conoci<strong>en</strong>oe<br />

et cette faoulté inconoi<strong>en</strong>te dlauto—organisation, <strong>en</strong>tre ce pur “passé”<br />

et ce pur “av<strong>en</strong>ir”, <strong>de</strong>s interactions. Ce sont même ces interactions qui<br />

cbnstitu<strong>en</strong>t le psychisme proprem<strong>en</strong>t dit et lui donn<strong>en</strong>t une i<strong>de</strong>ntité dans<br />

le temps. “Ce sont ces interactions qui produis<strong>en</strong>t ces phénomènes hybri<br />

<strong>de</strong>s et seconds, non fondam<strong>en</strong>taux, que sont d’une part la consci<strong>en</strong>ce volon<br />

taire, utre part les phénomènes <strong>de</strong> dévoilem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> (p. 141).<br />

Que sont ces phénomènes hybri<strong>de</strong>s, que leur appellation<br />

guère a priori? Atian les décrit comme symétriques.<br />

I) Les processus auto—organisateurs, inconsci<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> principe,<br />

ergefltu dans certaines circonstances à la consci<strong>en</strong>ce: c’<strong>en</strong>t cette émer<br />

g<strong>en</strong>ce ciu’ktlan appelle “déilem<strong>en</strong>ta <strong>de</strong> jnconscj<strong>en</strong>t”, ou <strong>en</strong>core<br />

ou <strong>en</strong>core “volonté conaci<strong>en</strong>ie”. C’est dans ces circonstances que le psy—<br />

chime se s<strong>en</strong>t “libre”. Il innove et il sait qu’il innove.<br />

2) Mais cette “prise <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce” r<strong>en</strong>d possible un “stockage <strong>en</strong><br />

mémoire” <strong>de</strong>s structures ainsi émergées. Les structures mémoritiées inter<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite comme élém<strong>en</strong>ts favorisanif’ (ou bloquants, dans certains<br />

cas où Atlan dit quil y a “excès”) dans les processus auto—organisateurs<br />

inconsci<strong>en</strong>ts eux—mêmes<br />

<strong>de</strong> mémoires surajoutées qui permet<br />

<strong>de</strong>s reproductions sur moules augm<strong>en</strong>te toujoiire efficaOit <strong>de</strong>s processus<br />

<strong>de</strong> création d’organisation, <strong>en</strong> ntabilisant <strong>de</strong>s structures suooessives qiii<br />

autrem<strong>en</strong>t, apparaitrai<strong>en</strong>t mais dioparaitrai<strong>en</strong>t aussi vite” (p. 142). L’in<br />

terv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> ces “stocks”, comme “souø—PDOgrafllmes”, au milieu <strong>de</strong>s proces<br />

sus auto—organisateurs, définit ainsi inversem<strong>en</strong>t ce qu’Atlan appelle la


‘bOoflsci<strong>en</strong>ce Volontaire”.<br />

Le ‘voulojr consci<strong>en</strong>t” est un vouloir qui va vers la consci<strong>en</strong>ce,<br />

et la”conci<strong>en</strong>ce volontaire” est une consci<strong>en</strong>ce qui retourne vers le<br />

vouloirj4conscicnt. Il y a ainsi une sorte <strong>de</strong> va—et—vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre volonté<br />

et conscince qui, d’une part, réduit la distance, la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> prin<br />

cipe qui existe <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux, et à travers lequel, part, s’ac<br />

complit l’idaptation du yntèmo à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, singulièrem<strong>en</strong>t cette<br />

adaptation d l’appareil cognitif individuel qu’on apoelle appr<strong>en</strong>tissage<br />

non—dirigé<br />

Nais l’analyse d’Atlan met ici <strong>en</strong> relief un caractère particulière<br />

m<strong>en</strong>t intérssant <strong>de</strong> cette adaptation: l”interprétatjon”<br />

Ce qi.i, <strong>en</strong> effet, dans ces émerg<strong>en</strong>ces à la consci<strong>en</strong>ce que Sont les<br />

phénomènes <strong>de</strong> “volonté consci<strong>en</strong>te”, est “vim,nlisé”, c’est ce que l’auteur<br />

appelle <strong>de</strong>I “formes”, <strong>de</strong>s “patterna”. L’appareil cognitif crée inconsciem<br />

m<strong>en</strong>t cos formes (auto_organisation), mais lorsquil <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>d consci<strong>en</strong>ce,<br />

ces formes ,ont interférer avoc le autres cont<strong>en</strong>us <strong>de</strong> consci<strong>en</strong>ce, et an<br />

premier liefl avec les stimuli v<strong>en</strong>us <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. C’est cotte inter<br />

fér<strong>en</strong>ce qu’n appelle interprétation. Le psychisme va comparer les stimuli<br />

aux formes qui ont émergé à sa consci<strong>en</strong>ce. Il va “voir” dans quelle mesure<br />

ils vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong> sa ranger sous les “patterna”. Lorsque les stimuli s’y rang<strong>en</strong>t<br />

plus ou moirs exactem<strong>en</strong>t, on dira quo le pattera est “reconnu” dans les<br />

stimuli (“p<br />

— i6o —<br />

4tern recognition”). Le psychisme est occupé, le plus clair<br />

du temps, à ‘intcrpréter” ainsi la réalité, c’est—à—dire à ranger les<br />

stimuli qui 3n provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t sous ico “patteras” qu’il a créés ou appris.<br />

.4<br />

— i6i —<br />

liais, par définition, puisqu’il y a du nouveau et <strong>de</strong> l’aléatoire<br />

dans l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t, la conoi<strong>de</strong>nce <strong>en</strong>tre les stimuli et les patterno<br />

n’est jamais parfaite il s’y trouve toujours <strong>de</strong> l”ambiguté”. Cette<br />

ambiguïté peut n’être pas gnante et ne pas empêcher la reconnaissance.<br />

liais si elle augm<strong>en</strong>te, au point que les stimuli ne se rang<strong>en</strong>t que très<br />

imparfaitem<strong>en</strong>t sous les patterna connus, l’appareil cognitif va, par<br />

auto—organisation, forger <strong>de</strong> nouveaux patteras. Ce processus <strong>de</strong> va—et—vi<strong>en</strong>i<br />

<strong>en</strong>tre la création inconsci<strong>en</strong>te <strong>de</strong> structures et leur reconnaissance<br />

consci<strong>en</strong>te dans le réel se répétant, les “pattern&’ <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>dront <strong>de</strong> plus<br />

<strong>en</strong> plus différ<strong>en</strong>ciés et adaptés. Ainsi est possible l’appr<strong>en</strong>tissage non—<br />

dirigé, par lequel un psychisme s’adapte <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus au problème spé<br />

cifique posé par un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Au terme du processus, les structures<br />

m<strong>en</strong>tales sont plus différ<strong>en</strong>ciées et complexes qu’au début.<br />

Cette analyse, que nous n’avons guère les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> critiquer pour<br />

elle—mma, éveille <strong>en</strong> nous bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> échos, étant donné nos propres recher<br />

ches et nos propres intuitions. Rev<strong>en</strong>ons <strong>en</strong> effet aux individualités, dont<br />

le x-Me dans l’innovation culturelle était souligné par Ilergoon. NÙus<br />

faisons l’hypothèse qu’elles sont les ag<strong>en</strong>ts spéciaux <strong>de</strong> cette “émerg<strong>en</strong>ce<br />

à la consci<strong>en</strong>ce” <strong>de</strong>s nouveaux “patteras”. Lorsquil formul<strong>en</strong>t pour la pre<br />

mière fois, sous une forme suffisamm<strong>en</strong>t claire, complète et cohér<strong>en</strong>te,<br />

<strong>de</strong>s “problèmes”, là où les autres membres <strong>de</strong> la société ne faisai<strong>en</strong>t que<br />

vivre une difficulté obscure, on peul bi<strong>en</strong> dire qu’ils transform<strong>en</strong>t eux<br />

aussi le “bruit” <strong>en</strong> “information” et r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt possible une interprétation<br />

novatrice, qui diminuera, pour tous, l”nmbiguté” dans la perception du<br />

réel. Ils forg<strong>en</strong>t une nouvelle grille interprétative, telle que les faits


— 162 —<br />

dispersés dont tout le mon<strong>de</strong> peut flriori avoir connaissance <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

significaifs et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur nons, lin formul<strong>en</strong>t ion patteras, les<br />

théories Lz4ce auxquels du ‘s<strong>en</strong>s” est “tabriqué’ “à partir du non—s<strong>en</strong>s”<br />

(ibid.), I1s serai<strong>en</strong>t ainsi la “volonté consci<strong>en</strong>te” <strong>de</strong> la société.<br />

Inve’semerit, ces prophéties étant reconnues comme vraies, c’est—à—<br />

dire commeayant la vertu d’.xpliquer effectivem<strong>en</strong>t la situation mieux<br />

que les scémas traditionnels, par les contemporains, elles se cristalli<br />

s<strong>en</strong>t dans ]es m<strong>en</strong>talités; on les répète, elles sont “dupliquées”, “repro<br />

duites sur moule”, diffusées et <strong>en</strong>seignées <strong>en</strong> <strong>de</strong> nombreux esprits. Elles<br />

intervi<strong>en</strong>neht donc comme “sous_progra,n,nes• pour do futurs phénomènes<br />

d’auto—urgjsation qui émergeront dans les “oracles” <strong>de</strong> nouveaux créateurs<br />

d’id6es, Le phénomènes <strong>de</strong> cristallisation et <strong>de</strong> reproduction culturelle<br />

au sein, <strong>de</strong> groupes “clérieaiix” et plus généralem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> traditions pour<br />

rai<strong>en</strong>t donc être flomme la “consci<strong>en</strong>ce volontaire” <strong>de</strong> la société<br />

(ou <strong>de</strong> commuautés nu sein <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> société).<br />

Lhornoogj (cest plus qu’une analogie) se vérifie <strong>en</strong>core sur un<br />

poia’t <strong>de</strong> la héorie d’Atl,m que nous n’avons pas <strong>en</strong>core exposé (nous n’y<br />

avons fait q’une brève allusion). Atian remarque que les “mécanismes <strong>de</strong><br />

fabrication o<strong>en</strong>s à partir du non—s<strong>en</strong>s”, <strong>en</strong> lesquels nous avons vu que<br />

consiste l’appr<strong>en</strong>tissage non—dirigé, sont ce qu’on appelle ordinairem<strong>en</strong>t<br />

les.déljres, îoir du s<strong>en</strong>sé oè il n’y a que <strong>de</strong> l’ins<strong>en</strong>sé, c’est bi<strong>en</strong> la<br />

fatale erreur où se fourvoie le fou, dont on dit qu’il a perdu le contact<br />

avec la réalié et vit désormais dans l’imaginaire, De fait, une théorie<br />

nouvelle, une conjecture, paraîtra toujours “délirante” <strong>en</strong> proportion <strong>de</strong><br />

sa nouveauté rême, c’est—à—dire <strong>de</strong> sa non-nuperponabjli avec les précé—<br />

I<br />

j<br />

— 163 —<br />

<strong>de</strong>nts patternn à travers lesquels se structurait le réel. iéoriea sci<strong>en</strong><br />

tifiques nouvelles et délires ont <strong>de</strong> fait <strong>en</strong> commun d’être <strong>de</strong>s “projections<br />

<strong>de</strong> l’imaginaire sur le réel” (p. 147). Ils ne diffèr<strong>en</strong>t nullem<strong>en</strong>t par leur<br />

cont<strong>en</strong>u, les premières étant plus proches du réel, les autres plus imagi<br />

naires. En réalité, tous <strong>de</strong>ux sont <strong>de</strong>s projections <strong>de</strong> l’imaginaire sur<br />

le réel, et nous v<strong>en</strong>ons <strong>de</strong> voir que c’est là le fonctionnem<strong>en</strong>t adaptatif<br />

normal <strong>de</strong>s systèmes auto—organisateurs que nous sommes.<br />

Il y a cep<strong>en</strong>dant bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre eux une différ<strong>en</strong>ce, mais qui, loin <strong>de</strong><br />

t<strong>en</strong>ir à leurs cont<strong>en</strong>us, ti<strong>en</strong>t à leur situation par rapport à la dynamique<br />

<strong>de</strong> l’auto—oranisatjon. Ce qui caractérise les théories sci<strong>en</strong>tifiques<br />

(et attestea normalité du P8ychisme <strong>de</strong>s savnntn), c’est qu’elles peuv<strong>en</strong>t<br />

être remises <strong>en</strong> cause, critiquées, remplacées dans le cadre du “va et<br />

vi<strong>en</strong>t” <strong>en</strong>tre limaginntjon théorique et loxpérj<strong>en</strong>ce, dont nous avons<br />

parlé. Las délires, au contraire, représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un “blocage” <strong>de</strong> ce mouve—<br />

m<strong>en</strong>t, un arrêt sur un “pattern” quauc “bruit” v<strong>en</strong>u du réel, aucune<br />

“ambiguïté” <strong>de</strong> l’interprétation ne peut plus troubler.<br />

Or — un <strong>de</strong>s passages les plus brillants et les plus stimulants<br />

do toute l’nnalyse ct’Atlnn — ce blocage peut ourv<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

pêlco du processus, provoquant <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> délires opposés. Le nremier<br />

résulte excès <strong>de</strong> la stabilisation <strong>en</strong> mémoire d’un processus auto—<br />

organisateur, un excèe <strong>de</strong> “vouloir consci<strong>en</strong>t”, et Atian l’appelle “délire<br />

confus”. !ous croyons que ce type <strong>de</strong> délire se retrouve dans les processus<br />

d’innovation culturelle, C’cot le cas <strong>de</strong> qui, ayant rii<br />

quelque rapport nouveau <strong>en</strong>tre les choses et ayant formulé la théorie cor<br />

respondante, n’a pas r<strong>en</strong>contré et la reconnaissance <strong>de</strong>s autres.


La théorile ne sera donc pas suffisamm<strong>en</strong>t dupliquée et répétée, on la com<br />

pr<strong>en</strong>dra <strong>de</strong> moins <strong>en</strong> moins à mesure que d’autres théories concurr<strong>en</strong>tes<br />

sinposeront et le malheureux, s’il se ti<strong>en</strong>t mordicus à son idée, passe<br />

ra effectivem<strong>en</strong>t pour un fou ou du moins pour un “original”, non pour un<br />

savant q fait compr<strong>en</strong>dre les choses aux autres, <strong>en</strong> toute objectivité.<br />

L’4trm type <strong>de</strong> délire consiste lui aussi <strong>en</strong> un blocage <strong>de</strong> l’auto—<br />

organisat$on, miis mu niveau, cette fois, <strong>de</strong> la consci<strong>en</strong>ce volontaire.<br />

Atlaa le 4éfinit comme un excès (contraire au précé<strong>de</strong>nt.) <strong>de</strong> la mémorisa<br />

tion. Les structures mémorieées, qui <strong>de</strong>vai<strong>en</strong>t servir <strong>de</strong> “programmes par<br />

tiels” po4’ les processus auto—organisateurs inconsci<strong>en</strong>ts, t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>ve<br />

nir à eux aquls tout le programme, et à se reproduire indéfinim<strong>en</strong>t. Atlsn<br />

appelle ce type <strong>de</strong> délire “délire organisé” (puisqu’il ne consiste pas<br />

<strong>en</strong> une suite <strong>de</strong> représ<strong>en</strong>tations chaque fois différ<strong>en</strong>tes, <strong>en</strong> “fumées”,<br />

mais au cozttraire dans la permi.rtnnce d’une unique représ<strong>en</strong>tation, repro<br />

duisant ch.que fois la même structure, comme dans un “cristal”).<br />

Led4lire organisé a égalem<strong>en</strong>t son corrempondont, melon nous, dans<br />

la vie colective: c’est le traditionnalisme (pas les traditions m%mes,<br />

mais ce redaublem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la clôture <strong>de</strong>s traditions que désigne le suffixe<br />

—isme). Lorqu’une collectivité répète trop exactem<strong>en</strong>t sa mémoire, ce qui<br />

a lieu notans<strong>en</strong>t lorsque sa culture se reproduit au sein d’une institution<br />

unique et r gi<strong>de</strong>, l’auto—organisation est bloquée. Les modifications <strong>de</strong><br />

l’<strong>en</strong>vironnerS,<strong>en</strong>t ne peuv<strong>en</strong>t susciter <strong>de</strong> nouveaux patteras; elles <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t<br />

indéfinim<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “bruits”. En oe s<strong>en</strong>s la distance <strong>en</strong>tre le système <strong>de</strong><br />

représ<strong>en</strong>tations <strong>de</strong> la collectivité et le réel s’accroit. Le traditionna—<br />

lisse, quelque structuré qu’il soit et précisém<strong>en</strong>t parce qu’il est très<br />

structuré,tun délire.<br />

— i64 —<br />

Les isLtellectuels, malgré l’appar<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> folie qu?ils offr<strong>en</strong>t tou—<br />

.1<br />

jours plus ou moins à leurs<br />

sont <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s <strong>de</strong><br />

grands réalistes par comparaison avec le comportem<strong>en</strong>t superstitieux<br />

<strong>de</strong>m traditionnalistes <strong>en</strong>fermés dans une culture déjà <strong>en</strong> déshér<strong>en</strong>ce.<br />

Ceux—ci se protèg<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fourr<strong>en</strong>t leur tîte dans un univers imaginaire,<br />

qu’ils perçoiv<strong>en</strong>t d’ailleurs obscurém<strong>en</strong>t comme tel, d’où les comporte<br />

m<strong>en</strong>ts crispés et “réactifs” <strong>de</strong> tous les traditionnalistes. Ceux—là<br />

ouvr<strong>en</strong>t grand portes et f<strong>en</strong>ôtres et pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> charge le réel et<br />

l’av<strong>en</strong>ir. Le délire <strong>de</strong>s traditionnalistes n’est pas moins un “délire”<br />

que celui <strong>de</strong>s fols.<br />

Ces traits par lesquels Bsrgson et Atlsn caractéris<strong>en</strong>t l’inno<br />

vation dans la société considérée selon la logique du vivant, nous<br />

allons les retrouver constamm<strong>en</strong>t au long <strong>de</strong> notre propre analyse,<br />

quoique <strong>de</strong> façon très indirecte. Notre optique sera <strong>en</strong> effet d’abord<br />

sociologique.<br />

Mais peut—ttrm, inversem<strong>en</strong>t, cette analyse sociologique et<br />

institutionnelle donnera—t—elle figure plus nette à ce qui chez Atlan<br />

reste programmatique et sême intuitif. Popper remarque quelque prt(2)<br />

qu’on doit chercher à expliquer la g<strong>en</strong>èse à partir <strong>de</strong> os qui est <strong>en</strong><br />

g<strong>en</strong>dré plutôt que l’inverse (malgré un t<strong>en</strong>ace préjugé idéaliste).<br />

J’ai le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que la <strong>de</strong>scription “ext<strong>en</strong>sive” <strong>de</strong>s phénomènes<br />

d’innovation et <strong>de</strong> création culturelles peut permettre <strong>de</strong> faire appa<br />

raître et se <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s structures qu’on chercherait <strong>en</strong> vain à<br />

mettre <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce par une réflexion formelle sur la logique <strong>de</strong> leur<br />

émerg<strong>en</strong>ce.<br />

— i65 —<br />

I. Nous revi<strong>en</strong>drons sur ce point important.<br />

2. Cf. K. Popper, “La Connaissance objective”, Ed. Complexe, p.p. 125—7.


I —<br />

— i66 —<br />

II — ES IWPELIECTUELS, PROpflE’j95 DES TESPS MODERNES<br />

Si les hypothèses <strong>de</strong> Berson—Atlan sont justes, la société,<br />

qui ett constamm<strong>en</strong>t “vivante”, doit susciter <strong>de</strong>s “prophètes” à toute<br />

époquc. Il.est cep<strong>en</strong>dant remarquable que la capacité <strong>de</strong> is. culture<br />

à iném imer les expéri<strong>en</strong>ces et à innover ait s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>té<br />

à partr <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> dite historique (qui est, 550 modo, celle<br />

où existe ce facteur ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> mémorisation qu’est l’écriture).<br />

DIautt que, par un processus <strong>de</strong> précipitation, l’oeuvre <strong>de</strong>s premiers<br />

uprophteSI <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> historique provoque <strong>de</strong>s changem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> con—<br />

séque4ce <strong>de</strong>squels <strong>de</strong> nouveaux problèmes se pos<strong>en</strong>t qui nécessit<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> nouvleaux prophètes, etc. Un “ordre spontané” se crée, qu’on appelle<br />

1 ‘histo.re.<br />

inei vit l’occi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis la première rupture <strong>de</strong>s sociétés<br />

archa!qes. On r<strong>en</strong>contrera donc <strong>de</strong>s ‘prophètes” dans l’univers bibli<br />

que, maie aussi dans l’unilvers grec. Les grands “héros” <strong>de</strong> la société<br />

ouverte,[ pour Bergson, sont, après les grands fondateurs <strong>de</strong> religions<br />

<strong>de</strong> l’Orint et les prophètes <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Testam<strong>en</strong>t, Socrz.te, Jésus,<br />

Plotin, .ee Pères <strong>de</strong> l’Eglise...<br />

I4is la figure <strong>de</strong> la “prophétie” qui seule nous occupe ici<br />

est le praonnage <strong>de</strong> l”intellectuel” au s<strong>en</strong>s étroit du terme, et ce<br />

pereonnae apparti<strong>en</strong>t <strong>en</strong>. propre à l’époque mo<strong>de</strong>rne. Le mot, on le sait,<br />

date <strong>de</strong> l fin: du XIXème siècle, mais la chose est plus anci<strong>en</strong>ne. Il<br />

faut la f ire remonter à et à la critique <strong>de</strong> l’Ecole.<br />

Cst à ce mom<strong>en</strong>t que la p<strong>en</strong>sée est, surtout, l’oeuvre d’indi—<br />

vidualité <strong>en</strong> rupture aveo l’institution. St Thomas travaillait pour<br />

l’Universté, comme St Augustin pour Erasme, Montaigne,<br />

4<br />

-ri<br />

L<br />

r.<br />

Descartes, travaill<strong>en</strong>t seuls ou plutôt se forg<strong>en</strong>t eux—mimes un réseau<br />

<strong>de</strong> relations savantes. De la R<strong>en</strong>aissance aux Lumières et jusqu’à ce<br />

que se constitu<strong>en</strong>t au XIXème siècle partout <strong>en</strong> Europe <strong>de</strong>s olérioatures<br />

laïques—étatiques humaniates, fondées sur <strong>de</strong>s bases ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t<br />

nouvelles par rapport à l’Eglise, le travail créatif <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée<br />

sera fait par <strong>de</strong>a hommes qui ne sont pas tous <strong>en</strong> rupture ouverte avec<br />

les institutions culturellem <strong>de</strong> leur temps, mais dont aucun ne s’i<strong>de</strong>n<br />

tifie à elles. L’esprit du temps a quitté l’Eglise et ses appareils<br />

et suscite individus et micro—groupes, humanistes, savants, “philo<br />

sophes”. Les Académies ne sont pas <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> formation. L’<strong>en</strong><br />

treprise culturelle la plus vaste et la plus institutionnalisée du<br />

XVIIIème siècle, l’Encyclopédie, et une <strong>en</strong>treprise d’édition.<br />

Il est probable que la croissance, vers le début du XXème siè<br />

cle, du nombre <strong>de</strong> ceux qu’on peut appeler au s<strong>en</strong>s propre les intellec<br />

tuels, liée au développem<strong>en</strong>t considérable <strong>de</strong> l’édition à cette époque(2)<br />

concj<strong>de</strong> avec le début <strong>de</strong> la marginalisation <strong>de</strong> la nouvelle clérica—<br />

ture la!que—étatique. Celle—ai, dès cette époque et singulièrem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong>puis les événem<strong>en</strong>ts politiques et sociaux auxquels se réfère le<br />

livre <strong>de</strong> Juli<strong>en</strong> 13<strong>en</strong>da, ne peut assumer le déveloprem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la p<strong>en</strong><br />

sée l’intégration <strong>de</strong>s problèmes mo<strong>de</strong>rnes <strong>en</strong> tant que tels (probable<br />

m<strong>en</strong>t parce que, dès cette époque, le cons<strong>en</strong>sus sur la sacralité <strong>de</strong><br />

l’Etat diminue dans l’élite). Il arrive alors à cette clérjoature ce<br />

I. Cf. le beau livre <strong>de</strong> Robert DARH10N, “L’Av<strong>en</strong>ture dc l’Encyclopédie”,<br />

Perrin.<br />

2. Cf. Régis DEBRA’C, “Le Pouvoir intellectuel <strong>en</strong> Prance”, Rainsay, une<br />

<strong>de</strong>s seules étu<strong>de</strong>s existant sur le sujet.<br />

3. Juli<strong>en</strong> BENDA, “La Trahisn <strong>de</strong>s clercs” (1927), coli. Pluriel,<br />

Hachette.<br />

167 —


I<br />

— 168 —<br />

qui est arrivé à l’Eglise vers la fin du Moy<strong>en</strong>—age; elle se voit peu<br />

à peu atandonnée et <strong>en</strong>tourée d’une nuée didiyid inorganisés, qui<br />

finiss<strong>en</strong>i par faire poids malgré leur inorganisation, et par miner<br />

l’assise <strong>de</strong> cons<strong>en</strong>sus qu’il aurait fallu à l’institution pour justi<br />

fier son monopole. Ces individus sont, au IXème siècle, les intellec<br />

tuels pr,prem<strong>en</strong>t dits, et singulièrem<strong>en</strong>t les intellectuels eu rupture<br />

d’Univer ité, dont le type est Jean—Paul Sartre.<br />

Ckt<br />

intellectuel et un individuel, non “organisé”, disons—nous,<br />

au s<strong>en</strong>s cù il parle <strong>en</strong> son nom propre, non au nom d’une institution<br />

(cela ne veut nullem<strong>en</strong>t dire qu’il soit isolé psychologiquem<strong>en</strong>t ou<br />

socialem t; son isolem<strong>en</strong>t est spécifiquem<strong>en</strong>t intellectuel). Quand<br />

il apparat <strong>en</strong> tunt que membre d’un groupe, il s’agit <strong>de</strong> groupes<br />

volontairs et qui ne dur<strong>en</strong>t quaussi longtemps que les circonstances<br />

qui les oit fait naître; leur caractère spécifique semble tre qu’ils<br />

ne consti u<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong>s <strong>en</strong>tités professionnelles d’où l’intellectuel<br />

tirerait 8a subsistance, ou du moins toute sa subsistance. Ce qui<br />

sanctionne le fait qua la société ne reconnaît pas <strong>en</strong>core, par la fon<br />

dation d’ine institution perman<strong>en</strong>te ayant une place sur un marché<br />

économiquE ou politique, le type <strong>de</strong> service qui lui est r<strong>en</strong>du par le<br />

tramail d jntellectuel• Aucune société n”emploie” <strong>de</strong>s prophètes<br />

<strong>en</strong> tant q e tels. Comm<strong>en</strong>t le pourrait—elle, puisque le type <strong>de</strong> “ser<br />

vice” r<strong>en</strong>du par leurs oracles n’est pas <strong>en</strong>core, par définition, i<strong>de</strong>n<br />

tifiable, vant que l<strong>en</strong> oracles ai<strong>en</strong>t été formulés et reconnus comme<br />

“vrais”?<br />

Nou avons donc posé nos définitions: l’intellectuel comme<br />

“problem—slver”; l’apport “prophétique” <strong>de</strong> l’intellectuel comme<br />

TI<br />

p<strong>en</strong>sable, <strong>en</strong> principe, selon la logique <strong>de</strong> llorganisation du vivant;<br />

la rigure mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> liintellectuel europé<strong>en</strong> du XXème siècle comme<br />

innovateur hors clériOature<br />

le caractère ess<strong>en</strong>tielle<br />

m<strong>en</strong>t individuel et non_profe55i0flnl du travail <strong>de</strong> llintellectuel.<br />

Nous poserons maint<strong>en</strong>ant les questions suivantes. I’abord, quelles<br />

sont les conditions qui r<strong>en</strong><strong>de</strong>nt possible jnnOvatiOn apportée par<br />

les intellectuels? Ensuite, selon quelles modalités et sur quels<br />

“supports” s’ exprime_t—elle?<br />

— 169 —


-170-<br />

III — LIiS CONDI2!IONS DE L’ INNOVATION INTELLECTUELLE<br />

écisons la question. Quels sont les ingrédi<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> l’oracle?<br />

Quelles ont les conditions auxquelles l’intellectuel peut produire<br />

<strong>de</strong> l’inn?vation? Si l’on veut tester ici la théorie <strong>de</strong> l’suto—orga—<br />

nisation on dira: quelles sont les conditions, <strong>en</strong> termes <strong>de</strong> circuits<br />

<strong>de</strong> comm ication, dans lesquelles l’intellectuel doit être placé pour<br />

que le r4pport <strong>en</strong>tre “redondsnce” culturelle et perception <strong>de</strong> ‘bruits”,<br />

c’est—à—dire <strong>de</strong>s circonstances et problèmes nouveaux, soit pour lui<br />

optimal?<br />

O ne saurait <strong>en</strong> effet invoquer ici <strong>de</strong>s conditions simplem<strong>en</strong>t<br />

subjectives, <strong>en</strong> disant psr exemple que l’intellectuel est d’un tempé—<br />

rsm<strong>en</strong>t inv<strong>en</strong>tif, ou quil est plus désireux <strong>de</strong> créer, ou qu’il est<br />

plus mora et a plus souci <strong>de</strong> l’av<strong>en</strong>ir que la moy<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s hommes, etc.<br />

Nous donn ns un critère qui a un s<strong>en</strong>s précis psr rapport à l’<strong>en</strong>semble<br />

<strong>de</strong>s concepts ici prés<strong>en</strong>tés; l’intellectuel est celui qui, pour quelque<br />

raison, que ce soit, est dans la situation <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser <strong>en</strong> <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s<br />

corpus c oniques antérieurem<strong>en</strong>t constitués,<br />

Co e exemple liminaire, évoquons J.—P. Ssrtre, certainem<strong>en</strong>t<br />

un <strong>de</strong>s cc4temporains auxquels convi<strong>en</strong>t le mieux l’appellation d”in-.<br />

tellectue]”. Ssrtre, on le sait, a su plusieurs tal<strong>en</strong>ts: philosophe,<br />

romancier homme <strong>de</strong> théâtre, essayiste, directeur <strong>de</strong> revues éditoria<br />

liste,“a<br />

4tiviete”. De fait, dans les années 1930, il quitte l’<strong>en</strong>sei<br />

gnem<strong>en</strong>t s’t assume, <strong>en</strong> toute connaissance <strong>de</strong> causes cette activité<br />

polyc<strong>en</strong>trq. Il ne se vit pourtant nullem<strong>en</strong>t comme un “polygraphe”<br />

I<br />

—t,<br />

r<br />

— 171 —<br />

et c’est certainem<strong>en</strong>t une même oeuvre quil <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d m<strong>en</strong>er à son accom<br />

plissem<strong>en</strong>t à travers ces mo<strong>de</strong>s divers et d’expression.<br />

Comm<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>dre ce paradoxe?<br />

C’est <strong>en</strong> fonction, croyons—nous, <strong>de</strong> l’acuité même <strong>de</strong> son esprit<br />

et du réalisme <strong>de</strong> sa perception <strong>de</strong>s problèmes contemporains qu’il<br />

s’inv<strong>en</strong>te ce qui est vraim<strong>en</strong>t un style nouveau d’exist<strong>en</strong>ce. Il m<strong>en</strong>t<br />

que l’hummnité a désormais une autre mémoire et d’autres expéri<strong>en</strong>ces<br />

que celles que conserve traditionnellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s profes<br />

seurs <strong>de</strong> philosophie; et que la oomnunication <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong> culture<br />

avec la société globale passe désormais — dans les <strong>de</strong>ux s<strong>en</strong>s — par<br />

d’autres canaux. Une autre mémoire: Ssrtre introduit dans son oeuvre<br />

philosophique l’apport, alors quasim<strong>en</strong>t inconnu dans la philosophie<br />

académique française, <strong>de</strong> ITusserl et <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger, quil est un <strong>de</strong>s<br />

premiers à lire (cette curiosité même est typique <strong>de</strong> l’intsllectuel).<br />

Cela donnera l’exist<strong>en</strong>tialisme. Plus tard, il intègre dans sa réflexion<br />

<strong>de</strong> larges élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> la littérature et <strong>de</strong> la théorie politique<br />

“autogènes” du mouvem<strong>en</strong>t ouvrier et révolutionnaire, élém<strong>en</strong>ts jusque—<br />

là méprisés ou méconnus <strong>de</strong> la cléricnture acndésiqus et dans une large<br />

mesure <strong>de</strong>s intellectuels sux—mêmss, jusque—là plutôt situés à droite.<br />

Sartre n’a ri<strong>en</strong> inv<strong>en</strong>té <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> marxisme et <strong>de</strong> théorie <strong>de</strong> la<br />

révolution; mais il a élevé ces théories à la dignité <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sées<br />

pleines et nobles, capables <strong>de</strong> rivaliser avec — et <strong>de</strong> l’smporter sur —<br />

la culture “bourgeoise”. C’est <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux écarts par rapport au cor<br />

pus canonique <strong>de</strong> la culturs d’un aîçrégô <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> 1926 que<br />

résult<strong>en</strong>t l’Ntre et leNéont et la ritiqse <strong>de</strong> in Raison dialectique.


— 172 —<br />

Crtes, une tradition n’est pas quelque chose <strong>de</strong> figé, et une<br />

gran<strong>de</strong> tradition vivante se définit précisém<strong>en</strong>t par sa capacité à<br />

intégrer <strong>de</strong>s apports nouveaux sans que sa structure <strong>en</strong> soit fondam<strong>en</strong><br />

talem<strong>en</strong>t ouleversée ou déc<strong>en</strong>trée. Apparemm<strong>en</strong>t la curiosité <strong>de</strong> Sartre<br />

à 1’égard <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée académique alleman<strong>de</strong> n’a pas abouti à un trau—<br />

matisme insupportable pour la p<strong>en</strong>sée académique française, puisqu’après<br />

la guerre Husserl et He-i<strong>de</strong>gjer sont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us <strong>de</strong>s auteurs classiques<br />

dans l’<strong>en</strong>sjInem<strong>en</strong>t Philosophique français (dans la lecture <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>gger,<br />

Sartre es précédé par Corbin, dans celle <strong>de</strong> Hueserl, par Lévinas; et<br />

après la vague <strong>de</strong> l’exist<strong>en</strong>tialisme, la phénoménologie et l’hej<strong>de</strong>ggarja_<br />

nisme susjteront chacun <strong>de</strong>s chapelles totalem<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dantes <strong>de</strong><br />

Sartre dams l’Université). En revanche, la question Bocio_poljtjqu<br />

portée pa Sartre à la dignité <strong>de</strong> philosophie première, avec toutes<br />

les conséqu<strong>en</strong>ces qu’impliquait une telle position sur la distribution<br />

même <strong>de</strong>s roMèmes, sur les sujets <strong>de</strong> recherche, sur le style <strong>de</strong> l’actj—<br />

vité intellectuelle, tout cela ne pouvait être intégré tel quel à l’ea—<br />

seignem<strong>en</strong>i académique. Ou, ce qui revi<strong>en</strong>t au même, cette intégration<br />

<strong>de</strong>vait se traduire par une mutation <strong>en</strong> profon<strong>de</strong>ur et une dénaturation<br />

<strong>de</strong> cet <strong>en</strong>eignem<strong>en</strong>t. Sartre est certainem<strong>en</strong>t, par<br />

la nature <strong>de</strong> son travail et l’audi<strong>en</strong>ce qu’a r<strong>en</strong>contrée celui—ci,<br />

l’un <strong>de</strong> ceH qui ont le plus contribué à r<strong>en</strong>dre impossible la reproduc<br />

tion à l’i<strong>de</strong>ntique, au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s années 1950, <strong>de</strong> la cléricature philo<br />

sophique ui tout à la foie s’est marxisée et a changé <strong>de</strong> structure,<br />

<strong>de</strong> fonction et d’assiette sociale.<br />

:<br />

Pr<strong>en</strong>ons <strong>de</strong>s exemples plus anci<strong>en</strong>s dans l’hjstojre. Soit le<br />

chapitre <strong>de</strong>s Essais <strong>de</strong> Nontaigne consacré aux sauvages dlAmérique(I).<br />

Ce chapitre conti<strong>en</strong>t les réflexions <strong>de</strong> Montaigne sur la vie et les<br />

coutumes <strong>de</strong>s Indi<strong>en</strong>s Topirzembou <strong>de</strong> la baie du futur Rio <strong>de</strong> Janeiro.<br />

Montaigne a été informé par un homme qui, dit—il, a vécu douze ans<br />

auprès <strong>de</strong> lui, après avoir participé à l’expédition <strong>de</strong> Villegaignon<br />

au Brésil <strong>en</strong> 1556_1558(2). Ce qui est remarquable dans ce chapitre,<br />

c’est que Montaigne, contrairem<strong>en</strong>t à la plupart <strong>de</strong> ses contemporaine,<br />

ne s’intéresse pas, dans les heurs et malheurs <strong>de</strong> l’expédition fran—<br />

çaiae, aux querelles <strong>en</strong>tre protestants et catHoliques. Il ne juge pas<br />

l’av<strong>en</strong>ture selon les catégories europé<strong>en</strong>nes autochtones. Il se sert<br />

au contraire <strong>de</strong> l’jnformation recueillie pour remettre <strong>en</strong> cause ses<br />

propres catégories culturelles. La découverte du Nouveau Mon<strong>de</strong> per<br />

met <strong>de</strong>puis longtemps, du moins <strong>en</strong> principe, cette remise <strong>en</strong> cause.<br />

En même temps que 1espace, c’est le temps et du mon<strong>de</strong><br />

qui sont bouleversés par la découverte <strong>de</strong> peuples non—ohréti<strong>en</strong>e et<br />

dont ri<strong>en</strong> n’est dit dans la Bible. Voilà <strong>de</strong>s hommes, les Américaine,<br />

qui ont une autre origine que celle <strong>de</strong> 1occjd chréti<strong>en</strong>, et une<br />

histoire qui n’a nullem<strong>en</strong>t la même structure que cette histoire bi<br />

blique qu’au siècle suivant un Bossuet ou un Pascal, esprits qui ne<br />

I. Montaigne, Essais, I, oh. 31, “Des Cannibales”.<br />

2. Cette expédition est fort bi<strong>en</strong> connue par le récit qu’<strong>en</strong> fit Jean<br />

<strong>de</strong> Léry, “Voyage faict <strong>en</strong> la terre <strong>de</strong> Brésil”. Le livre <strong>de</strong> Jean<br />

<strong>de</strong> Léry- est paru <strong>en</strong> 1578. La première édition <strong>de</strong>s Rasais est <strong>de</strong>1580.<br />

Sur la découverte par Jean <strong>de</strong> Léry <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> llAutre,<br />

cf. le bel article <strong>de</strong> Michel <strong>de</strong> Certeau, in L’Ecriture <strong>de</strong> l’Histoire,<br />

pp. 215—248, Gallimard, 1975. Le Voyage — <strong>en</strong>tre autres éditions<br />

mo<strong>de</strong>rnes — a été édité <strong>en</strong> 1975 par J<strong>en</strong>n—Clau<strong>de</strong> Morizot (Librairie<br />

Droz, O<strong>en</strong>ève).<br />

— 173 —


— 174 —<br />

se caractéris<strong>en</strong>t pourtant pas par le conformisme et le m:.nque d’audace<br />

admett ont <strong>en</strong>core comme pleinem<strong>en</strong>t auth<strong>en</strong>tique. Les hommes d’Amérique<br />

viv<strong>en</strong>t selon d’autres coutumes; ce qui est sacré chez eux n’a pas <strong>de</strong><br />

valeurohez noua, et réciproquem<strong>en</strong>t. Montaigne est frappé, par exem<br />

ple, pr le comportem<strong>en</strong>t vertueux <strong>de</strong>s Topinambou à la guerre; il les<br />

trouve plutBt rnoins barbares que la soldatesque europé<strong>en</strong>ne. Surtout,<br />

au auj t <strong>de</strong> la coutume terrifiante du cannibalisme, il ose affirmer<br />

quun.e telle pratique est moins monstrueuse que le raffinem<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

tortures et do crimes dont l’Europe <strong>de</strong>a guerres <strong>de</strong> religion offle<br />

alors couramm<strong>en</strong>t le spectacle. Les chréti<strong>en</strong>s sont plus barbares que<br />

les “b,rbares”. U’ailleurs Montaigna se souvi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cas d’anthropo<br />

phagie rapportés par les auteurs antiques. Retrouvant <strong>en</strong> ut s<strong>en</strong>s le<br />

relatiisme <strong>de</strong>s sophistes et Matori<strong>en</strong>a grecs (à une autre époque <strong>de</strong><br />

voyages et <strong>de</strong> découvertes), il est am<strong>en</strong>é à forger <strong>de</strong>s concepts plus<br />

conpréeasifs et plus universels que les catégories et les i<strong>de</strong>ntités<br />

transni ses par la tradition. Pour comparer les vertus guerrières <strong>de</strong>s<br />

jzpi, +llea <strong>de</strong>s peuples mo<strong>de</strong>rnes, celles <strong>de</strong>s Anci<strong>en</strong>s, il faut à l’évi—<br />

<strong>de</strong>nae un concept <strong>de</strong> l”'homme” plus général que celui <strong>de</strong> “chréti<strong>en</strong>”,<br />

et il.faut aussi inv<strong>en</strong>ter une constellation <strong>de</strong> concepts corrélatifs.<br />

Ce sont ceux que l’on voit émerger au fil <strong>de</strong>s pages <strong>de</strong>s Rasais.<br />

lus tard, Di<strong>de</strong>rot réfléchira <strong>de</strong> mme sur le voyage <strong>de</strong> Bougain—<br />

ville e sa découverte <strong>de</strong> paiiitj(2. Cette foie, c’est le mariage<br />

chréti<strong>en</strong>—europé<strong>en</strong> qui va apparaître dans sa relativité géo—historique.<br />

Les Tabti<strong>en</strong>s prêt<strong>en</strong>t leurs femmes, pratiqu<strong>en</strong>t la sexualité hors maria<br />

I. l3os4et, Discoura sur l’histoire universelle, Garnier—Plammarion,<br />

p. ec. pp.47—57. Pascal, P<strong>en</strong>sées (Edition Kaplan, Cerf, 1982) dont<br />

Franis Kaplan montre que l’argum<strong>en</strong>tation repose rigoureusem<strong>en</strong>t<br />

sur Les dates <strong>de</strong> l’histoire universelle telles qu’elles se déduis<strong>en</strong>t<br />

du réoit biblique.<br />

2. Louis—Antoine <strong>de</strong> ilougainville, Voyage autour du mon<strong>de</strong> par la frégate<br />

“La Bou<strong>de</strong>use” et la flate “L’Etoile”, éd. F’rançois Maspero.<br />

— 175 —<br />

go, et ils ne sont pas plus malheureux pour autant, ils offr<strong>en</strong>t mime<br />

le spectacle d’un peuple heureux et rieur. Voilà une expéri<strong>en</strong>ce hu<br />

maine, durable, estimée opportune et bénéfique par tout un peuple.<br />

Le s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> ce qui est opportun: et bénéfique pour flous doit <strong>en</strong> tre<br />

modifié. Le Supplém<strong>en</strong>t au voyage <strong>de</strong> Bougainville est un <strong>de</strong>s textes<br />

fondateurs <strong>de</strong> la sociologie (avant que le mot existe) dana la mesure<br />

où il fournit une conceptualisation <strong>de</strong> l’institution familiale.<br />

Les Lettres persanes <strong>de</strong> Montesquieu, basées sur les voyages<br />

irani<strong>en</strong>s <strong>de</strong> Chardin et Tavernier, avai<strong>en</strong>t eu le manie effet <strong>de</strong> restruc<br />

turation du champ <strong>de</strong> l’analyse sociale. La p<strong>en</strong>sée politique <strong>de</strong> Voltai<br />

re et celle <strong>de</strong> Montesquieu doiv<strong>en</strong>t autant à leurs voyages <strong>en</strong> Angle—<br />

terre et <strong>en</strong> Europe quà leurs lectures.<br />

Le récit d’Anquetil—Duperron sur le zoroastrisme et l’Avesta<br />

contribuera à dégager la notion <strong>de</strong> “religion du Livre”, concurremm<strong>en</strong>t<br />

aux étu<strong>de</strong>s, oomm<strong>en</strong>c<strong>de</strong>s <strong>en</strong> Europe mime avec Richard Sinon, sur l’histo—<br />

rioité et le caractère composite du volume biblique. Nietzsche,<br />

qui a connaissance du travail d’Anquetil—Duperron, trouvera là une<br />

tradition à mettre <strong>en</strong> regard <strong>de</strong> celle du judéo—chrietianimme. De ce<br />

nouveau point <strong>de</strong> vue, la tradition judéo—chréti<strong>en</strong>ne n’est ni. unique,<br />

ni c<strong>en</strong>trale, ni première. Un prophète antérieur au Christ peut donc<br />

décliner un message aussi sol<strong>en</strong>nel dans son style et aussi radicale<br />

m<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t dans son cont<strong>en</strong>u., ce sera le prophète <strong>de</strong> l’Eternel<br />

Retour.<br />

Le voyage d’Anquetil—DUPerrofl est <strong>de</strong> 1754, sa traduotion do l’Aveeta<br />

paraît an 1771. Elle bouleverse l’image qu’on se faisait tradition<br />

nellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Zoroaetre <strong>de</strong>puis l’Antiquité. On croyait qu’il e’agis—<br />

sait d’un Sage, d’un “philosophe”. On déoouvre <strong>de</strong>s textes rituels,<br />

très nrchaques.


Dans tous ces exemples, nous voyons un intellectuel, informé<br />

sur d’ utres expéri<strong>en</strong>ces humaines que celles conservées dans la tra<br />

dition où il est né, où il a étudié et où, le cas échéant, il est<br />

<strong>de</strong>v<strong>en</strong>u’maltre, forger <strong>de</strong>s concepts nouveaux grâce auxquels l’<strong>en</strong>semble<br />

<strong>de</strong> ces expéri<strong>en</strong>ces (les anci<strong>en</strong>nes et les nouvelles) peuv<strong>en</strong>t être<br />

prises <strong>en</strong> compte et <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir intelligibles. Le savoir qui <strong>en</strong> résulte<br />

est un savoir supérieur, pas nécessairem<strong>en</strong>t plus riche (il n’y a pas<br />

additin pure et simple <strong>de</strong>s connaissances), mais assurém<strong>en</strong>t plus co—<br />

hér<strong>en</strong>’bet, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, plus sûr.<br />

Le génie du p<strong>en</strong>seur créatif n’est pas, <strong>en</strong> soi, d’être informé<br />

<strong>de</strong> ces autres expéri<strong>en</strong>ces. Toute une époque, <strong>en</strong> général, <strong>en</strong> a obscu<br />

rém<strong>en</strong>t perçu l’exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>’ même temps que lui. Maie pour l’homme<br />

moy<strong>en</strong>, elles se sont ajoutées, bloc par bloc, à l’snoi<strong>en</strong>ne culture,<br />

sans interpénétrations ni refontes. Au mieux, elles n’ont ri<strong>en</strong> changé<br />

à son. ‘.uiivers; néanmoins, le mon<strong>de</strong>, lui, ayant changé, l’anci<strong>en</strong>ne cul<br />

ture i1chanée est un savoir moins sûr et qui laisse sans réponse un<br />

plus and nombre <strong>de</strong> problèmes. Mais au pire, les nouvelles expéri<strong>en</strong>-.<br />

ces, e s’ajoutant à l’univers <strong>de</strong> l’homme moy<strong>en</strong>, ont disloqué cet<br />

univer l’anci<strong>en</strong>ne culture <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t inopérante, elle ne permet plus<br />

9r<strong>en</strong>dre les événem<strong>en</strong>ts du mon<strong>de</strong>. Pour parler comre H<strong>en</strong>ri Atlan,<br />

<strong>de</strong>.con<br />

— 176 — — 177 —<br />

qu’elle constituait se transforme <strong>en</strong> “bruit”. Faute<br />

d’une touvelle culture, même l’anci<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t incompréh<strong>en</strong>sible. C’est<br />

précism<strong>en</strong>t ainsi quAtlan définit la “crise”: le mom<strong>en</strong>t où l”infor—<br />

nation.’ <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t “bruit”. L’intellectuel créatif, lui, peut da lors<br />

se définir comme celui qui réalise lopération inverse <strong>de</strong> la crise.<br />

:4<br />

. r<br />

Il transforme le “bruit” <strong>en</strong> “information”, c’est—à—dire qu’il trouve<br />

les formes, pose les g<strong>en</strong>res, dans lesquels les élém<strong>en</strong>ts nouveaux<br />

d’information pourront v<strong>en</strong>ir se ranger comme autant d’espèces, à<br />

cêté <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>nes informations restructurées.<br />

Nous avons évoqué, jusqu’à prés<strong>en</strong>t, les traumatismes provo<br />

qués par la mise <strong>en</strong> contact avec les mémoires<br />

peuples. Mais<br />

la déstructuration <strong>de</strong>s formes. doctrinales forgées par les oléricatu—<br />

res peut se produire par les progrès internes <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce. Kant<br />

a conøtaté la ruine <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce sristotéliaieflfl6 <strong>de</strong>vant la physique<br />

neutoni<strong>en</strong>fle; il a voulu préserver la métaphysique <strong>de</strong> la même ruine,<br />

et pour cela il a d à la fois reformuler celle—ci <strong>de</strong> la façon que<br />

ofl sait et cantonner la sci<strong>en</strong>ce dans le domaine du fait <strong>en</strong> lui<br />

interdisant celui <strong>de</strong> la valeur. Là <strong>en</strong>core, laissons <strong>de</strong> oôté le conte<br />

nu même <strong>de</strong> cette refonte du savoir et observons à quelle conxlitiofl<br />

elle fut possible. Il fallait que Kant ft à la fois spécialiste <strong>de</strong>s<br />

sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la nature (ii fut professeur <strong>de</strong> géologie et <strong>de</strong> physique)<br />

et eat hérité <strong>de</strong> la tradition soholastioo—wolfi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> inétaphysiqe,<br />

pour qu’il flt capable, d’abord <strong>de</strong> percevoir le problème, puis <strong>de</strong> le<br />

résoudre, <strong>de</strong> façon probante et significative aux yeux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sortes<br />

<strong>de</strong> spécialistes. On voit ici que l’intellectuel forge <strong>de</strong>s concepts<br />

nouveaux à la faveur d’un<br />

multipositiOnnem<strong>en</strong>t”, non plus dans la<br />

géographie <strong>de</strong>s civilisations, mais dana la configuration <strong>de</strong>s disci<br />

plines du savoir.<br />

I. Le meilleur exposé <strong>en</strong> est sana doute celui d’Ilya Prigogino et<br />

Isabelle St<strong>en</strong>gers: La Nouvelle Alliance, Gallimard, 1979.


— 178 —<br />

C’qst ce multipositionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’intellectuel qui fait qu’il<br />

est infor é <strong>de</strong> faits et <strong>de</strong> connaissances nouveaux qui ne peuv<strong>en</strong>t être<br />

interprétas dc façon satisfaisante dans le cadre <strong>de</strong>s doctrines tra—<br />

ditionnel1es. L’intellectuel ne peut donc se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> reproduire,<br />

1, d’<strong>en</strong>seigner ces doctrines ou <strong>de</strong> “prêcher” d’après elle,<br />

<strong>de</strong> répéter<br />

contrairerr<strong>en</strong>t au clerc “monopositionné” ou “monodiaciplinaire”. Natu—<br />

rellememt cette position a—typique est éminemm<strong>en</strong>t dangereuse. 1111e<br />

peut condire l’intellectuel, quand il s’agit <strong>de</strong> Kant, à ou’rrir une<br />

époque no4velle <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée et <strong>de</strong> la civilisation, et quand il s’agit<br />

d’un p<strong>en</strong>sur plus médiocre ou situé à <strong>de</strong>s “carrefours” moins décisifs,<br />

à écrire os oeuvres et délivrer <strong>de</strong>s “oracles” sans l<strong>en</strong><strong>de</strong>main. Dans<br />

ce cas, i’ efli mieux valu quil se cont<strong>en</strong>têt <strong>de</strong> ruminer la culture<br />

classique d’être un bon professeur plutêt qu’un mauvais prophète<br />

pouvons sérier les différ<strong>en</strong>ts types <strong>de</strong> “multipositionne—<br />

m<strong>en</strong>t” oontituant <strong>de</strong>s situations favorables à lémergeflce d’élém<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> cultur nouvelle: pluricultura ou plurinationalité; pluridiscipli<br />

narité; p4sitionnem<strong>en</strong>t simultané dans plusieurs institutions cultu<br />

relles.<br />

D s la première dim<strong>en</strong>sion, il est bi<strong>en</strong> connu que les Juifs,<br />

partout prés<strong>en</strong>bs, partout étrangers, sont un peuple riche d’un nombre<br />

I. On pe<br />

4 lie, dans Ordres et désordres <strong>de</strong> Jean—Pierre puy (Seuil,<br />

1983), une critique sévère <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> Jacques Attali. Dupuy<br />

reproche à Attali d’utiliser tels quels et sans discernem<strong>en</strong>t, •ians<br />

le dom4ine politique, certains concepts <strong>de</strong> la thermodynamique et<br />

<strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong>s systèmes. Sans pr<strong>en</strong>dre parti dans cette controver<br />

se, nos observerons simplem<strong>en</strong>t qu’Attali est <strong>en</strong> l’espèce ua parfait<br />

exemple d’intellectuel, <strong>en</strong> tant quil forge <strong>de</strong>s représ<strong>en</strong>tations<br />

nouvelLes, organisées, et <strong>de</strong>stinées à produire <strong>de</strong> l’intelligibiité,<br />

à partLr <strong>de</strong> savoirs hétérogènes, sans se s<strong>en</strong>tir lié par le tradi<br />

tions ii ret<strong>en</strong>u par les jugem<strong>en</strong>ts courroucés <strong>de</strong> leurs cerbères<br />

respectifs. Qu’il ait, <strong>en</strong> le5pàoe, raison ou tort est un autre<br />

problèmme.<br />

étonnant <strong>de</strong> grands intellectuels. Ajoutons, à l’analyse classique <strong>de</strong><br />

artre(I), l’idée suivante. Une véritable effervesc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> création<br />

conceptuelle a accompagné ljntégratjon <strong>de</strong>s communautés juives<br />

rope puis d’Afrique du Nord et d’Ori<strong>en</strong>t à la société occi<strong>de</strong>ntale<br />

mo<strong>de</strong>rne aux XIXème et XXème sièoies(2). Ces intellectuels ont p<strong>en</strong>sé<br />

tout naturellem<strong>en</strong>t aussi les bouleversem<strong>en</strong>ts sociaux et culturels<br />

qui affectai<strong>en</strong>t au même mom<strong>en</strong>t la société dans laquelle ils s’intégrai<strong>en</strong>t.<br />

Ils ne pouvai<strong>en</strong>t se fondre que dans une société que cette intégration<br />

même r<strong>en</strong>ouvelait, sans quoi leur mémoire et leur i<strong>de</strong>ntité ett dispa<br />

ru sans trace. De là le rêle si important <strong>de</strong>s intellectuels juifs<br />

dans le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces sociales.<br />

Plus généralem<strong>en</strong>t, on ne peut qu’être frappé par le nombre<br />

d’intellectuels parmi les émigrés et d’émigrés parmi les intellectuels.<br />

Comme s’il y avait, pour le petit nombre <strong>de</strong> ceux, du moins, que le<br />

traumatisme <strong>de</strong> l’exil n’a pas brutalem<strong>en</strong>t condamné à la médiocrité<br />

ou au naufrage, une sorte <strong>de</strong> “bénéfice secondaire” <strong>de</strong> cette épreuve<br />

même — non pas d’un point <strong>de</strong> vue psychologiqnie, mais bi<strong>en</strong> du point<br />

<strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s conditions jrtelleotuelles <strong>de</strong> 1jnyefltiofl<br />

La richesse intellectuelle <strong>de</strong> l’empire austro—hongrois finis<br />

sant n’explique pas seule l’extraordinaire floraison <strong>de</strong> grands intel<br />

lectuels et artistes émigrés <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne à partir <strong>de</strong>s années 1920 et<br />

1930: <strong>de</strong> Preud à Wittg<strong>en</strong>stein, <strong>en</strong> passant par Von Mises, Popper,<br />

Hayek... Il faudrait vérifier dans la biographie intellectuelle <strong>de</strong><br />

chacun d’eux, mais il me semble que l’exil réalise acci<strong>de</strong>ntelle—<br />

I. Jean—Paul Sartre, Réflexions sur la Question juive, 1954.<br />

2. Cf. les réflexions d’lnmanue1 Lévinas à ce sujet dans L’Au—<strong>de</strong>là<br />

du Verset, Rditions <strong>de</strong> Minuit, 1982, pp.229—234.<br />

3. Vérification facile dans le cas <strong>de</strong> Popper, qui donne les élém<strong>en</strong>ts<br />

et d’information, et <strong>de</strong> réflexion, dans sa Quête inachevée, Calmarux—<br />

Lévy.<br />

— 179 —


— 180 —<br />

m<strong>en</strong>t uie situation qu’on n’oserait provoquer int<strong>en</strong>tionnellem<strong>en</strong>t. Un<br />

homme asse brutalem<strong>en</strong>t d’une culture dans une autre. Dans la nouvelle<br />

oultur règn<strong>en</strong>t d’autres valeurs référées à une autre mémoire, à<br />

corpus, à d’autres institutions, à d’autres bibliothèques,<br />

à. une utre histoire. Or l’homme <strong>en</strong> question. est lui—même parti avec<br />

le trésor <strong>de</strong> sa patrie intellectuelle <strong>en</strong>foui dans son cerveau (ii n’a,<br />

souv<strong>en</strong>t, que peu <strong>de</strong> bagages). Ceci doit favoriser la “visibilité”<br />

<strong>de</strong>s prckblmes communs aux <strong>de</strong>ux pays et <strong>en</strong> général <strong>de</strong> réalités plus<br />

universelles que celles qu’ont déjà i<strong>de</strong>ntifiées les traditions res—<br />

pectjve’n. Les limites <strong>de</strong>s différ<strong>en</strong>tes cultures doiv<strong>en</strong>t apparaitre<br />

plus ne tem<strong>en</strong>t à celui qui ne peut plus se reposer dans le confort<br />

<strong>de</strong> “cer les herméneutiques” où tout le mon<strong>de</strong> s’accor<strong>de</strong> et communj.e<br />

dans la célébration <strong>de</strong>s mêmes valeurs. par “confort” nous<br />

dons, e cors une fois, ri<strong>en</strong> <strong>de</strong> psychologique ou d’affectif, du moins<br />

au s<strong>en</strong>abanal du terme; nous voulons parler <strong>de</strong> ce confort <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sés<br />

qui l’a torise à s’arrêter à certains présupposés, à certains symboles,<br />

sans le “creuser”, sans les mettre à distance et <strong>en</strong> perspective, parce<br />

que, ma gré leur obscurité, ils ont été reconnus par membres<br />

du même “cercle herméneutique” et ont suffi à l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te réciproque.<br />

L’émigré, lui, n’accè<strong>de</strong> pas à ce confort; parfois cela lui est, à lui—<br />

même, une limite: la culture où il pénètre lui <strong>de</strong>meure incompréh<strong>en</strong>si<br />

ble; mais dans les cas qui nous intéress<strong>en</strong>t ici, il voit que les sym-.<br />

bobs ne veul<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> dire, que les présupposés n’ont jamais été expli—<br />

citéa. Ce qui, pour les membres du groupe, est absolu etnuit est,<br />

pour l’éranger, situé. Il peut dire cette situation.<br />

I<br />

I<br />

:1<br />

— 181 —<br />

En ce qui concerne la “pluridisciplinarité” — terme d’ailleurs<br />

<strong>en</strong> partie impropre, puisqu’il évoque une institutionnalisation <strong>de</strong>s<br />

contacts, alors que nous parlons ici d’intercommunication a—typique,<br />

voire <strong>de</strong> contacts purem<strong>en</strong>t conting<strong>en</strong>ts — nous pouvons citer une série<br />

d’autres exemples. Si F.—A. Hayek a pu forger une oeuvre qui n, p<strong>en</strong><br />

sons—nous, une importance comparable à celle <strong>de</strong> Marx par sa radica—<br />

lité et sa vocation à fournir une intelligibilité synthétique <strong>de</strong><br />

la réalité sociale, c’est certainem<strong>en</strong>t parce que llayek dépasse chacune<br />

<strong>de</strong>s diciplines auxquelles il emprunte <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts. D’abord étudiant<br />

<strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces, il étudie <strong>de</strong> près la psychologie; c’est à la faveur <strong>de</strong><br />

cette étu<strong>de</strong> qu’il pr<strong>en</strong>d consci<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> la connaissance in<br />

dividuelle. D’où les développem<strong>en</strong>ts épistémologiques <strong>de</strong> Thé Counter—<br />

revolution 0f sci<strong>en</strong>ce et <strong>de</strong>s principales oeuvres ultérieures. Mais<br />

il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t économiste. Cherchant à compr<strong>en</strong>dre lémerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’ordre<br />

économique, il s’intéresse au cadre juridique <strong>de</strong>s échanges, puis<br />

à la formation <strong>de</strong>s normes juridiques elles—mêmesÇconomie, droit,<br />

sci<strong>en</strong>ces politiques, sociologie et philosophie, cela fait, si ce chif<br />

fre a un s<strong>en</strong>s, cinq gran<strong>de</strong>s disciplines ayant chacune une tradition,<br />

une bibliothèque <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce , <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> recherche et d’efl—<br />

seignem<strong>en</strong>t. Si ‘tayek fût resté prisonnier <strong>de</strong> l’une ou lare <strong>de</strong> ces<br />

disciplines, ou <strong>en</strong>core s’il fût resté, par exemple, éoonomiste, et<br />

n’eût eu à l’égard <strong>de</strong>s autres disciplines qu’une certaine curiosité<br />

intellectuelle aboutissant à compléter son information par ce que<br />

I. Cf. Droit, Législation et Liberté, t. I, Presses Universitaires<br />

<strong>de</strong> Franco, 1980, pp.4—5.


nous urrions appeler <strong>de</strong>s cultures satellites il n’eut pas<br />

forgé le système <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée prés<strong>en</strong>té dans Droit, [dgislatjon et Liberté.<br />

Car il a fallu quo, tout <strong>en</strong> étant très érudit dans les cinq dieciplj...<br />

nes, iil réorganise le savoir recueilli dans chacune d’elles selon<br />

<strong>de</strong>s cncepts originaux que ne fournit aucune d’elles. C’est bi<strong>en</strong>,<br />

au vr , ce qu’avait fait Marx lui—même, philosophe, analyste poli—<br />

tique,éoonornj<br />

50<br />

, curieux d’ethnologie et <strong>de</strong> sci<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la nature,<br />

et Gré teur s’il <strong>en</strong> fut.<br />

Ious voyons une “hybridation” fécon<strong>de</strong> <strong>en</strong>tre une ou <strong>de</strong>s connais<br />

sanceS traditionnelles littéraires et une ou <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces exactes<br />

chez Pieud (mé<strong>de</strong>cine + mythologies et folklores), Bergeon (philoso—.<br />

phie + biologie), Teilhard <strong>de</strong> Chardjn (théologie + biologie + géologie),<br />

Wittgeietein (philosophie + logique), Russeil (philosophie ÷ mathéma-.<br />

tiques ÷ logique), Popper (philosophie ÷ biologie + physique), etc. De<br />

grands aavant <strong>de</strong> l’époque contemporaine, ayant par ailleurs une vaste<br />

culture dans les Sci<strong>en</strong>ces herméneutiques, ont proposé <strong>de</strong>s théories<br />

ayant une portée culturelle et fait oeuvre d’intellectuels: Mach,<br />

Eintei , Born, Heis<strong>en</strong>berg, Shr8dinger, l1onod, Jacob, Loronz, Prigo-.<br />

gine, d: Espagnat... La “sociobiologie”, réflexion comparative suu.<br />

certains données <strong>de</strong> la biologie et <strong>de</strong> la sociologie, n’est peut—atre<br />

pas une sci<strong>en</strong>ce fécon<strong>de</strong> et durable, mais elle est certaineme,t un<br />

phénomèpe intellectuel. La “nouvelle histoire” et l’histoire “quanti<br />

tative ïupposai<strong>en</strong>t une r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong> l’histoire et <strong>de</strong> lécono<br />

u»a oonrajssance approfondie <strong>de</strong>s mathématiques.<br />

5j, voire<br />

I. Ce qie font, naturellem<strong>en</strong>t, la plupart <strong>de</strong> savants <strong>de</strong> la “sci<strong>en</strong>ce<br />

norm4le” et <strong>de</strong>s universitaires, qui peuv<strong>en</strong>t être fort cultivés<br />

dans <strong>de</strong> nombreux domaines sans que cela fasse d’eux <strong>de</strong>s intellec—<br />

tuel créatifs. Ce n’est pas l’addition ou l’agglomération <strong>de</strong>s<br />

infoimatjonm qui compte <strong>en</strong> eUe—même, mais leur révrganiaatjo<br />

dans <strong>de</strong>s formes nouvelles.<br />

— 182 —<br />

I<br />

— 183 —<br />

Jacques Maritain fut philosophe, théologi<strong>en</strong>, spécialiste <strong>de</strong><br />

sci<strong>en</strong>ces politiques (et même considéré à cet égard comme un “expert”)4<br />

I]. est très instructif <strong>de</strong> réfléchir à l’itinéraire d’un R<strong>en</strong>é Girard.<br />

Parti <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’art, spécialisé dans l’analyse littéraire,<br />

c’est là quil découvre la “miméei&’ qui <strong>en</strong>suite lui sert <strong>de</strong> clef<br />

pour la compréh<strong>en</strong>sion <strong>de</strong>s problèmes les plus ardus <strong>de</strong> lethnologie<br />

et <strong>de</strong> diverses soi<strong>en</strong>ces sociales. Ret<strong>en</strong>ons, <strong>en</strong> prémioe à <strong>de</strong>s réflexions<br />

futures, qu’une telle carrière n’a pu se déployer qu’aux ]ltatm—Unie.


tuels e<br />

tionn c<br />

— j84 — 185 —<br />

La troisième dim<strong>en</strong>sion du “multipositionnem<strong>en</strong>t” <strong>de</strong>s intellec—<br />

t leur fréqu<strong>en</strong>te appart<strong>en</strong>ance simultanée à plusieurs institu—<br />

iturelles.<br />

Une <strong>en</strong>quête détaillée du Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éduoation montrait qu’un<br />

grand n mbre d’intellectuels français <strong>de</strong>s années 1970 appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

d’une m nière ou d’une autre à trois institutions: l’Université (ou<br />

les “gr nds établissem<strong>en</strong>ts” d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t supérieur et <strong>de</strong> recherche),<br />

l’éditi n, la presse. Dans chacune d’elles, le mot “appart<strong>en</strong>ance” n’a<br />

pas le zme s<strong>en</strong>s. On “apparti<strong>en</strong>t” à l’Université au terme d’une procé—<br />

dure d’habilitation cléricale irréversible qui s’appar<strong>en</strong>te aux voeux<br />

monasti ues, à l’ordination <strong>de</strong>s prêtres ou autres procédures initiati<br />

ques <strong>de</strong> cléricatures fermées. En revanche, peu fréqu<strong>en</strong>ts sont les in<br />

tellect els qui soi<strong>en</strong>t les employés d’un journal ou d’une maison d’ddi—<br />

tion “àplein temps”. Mais dans les trois cas, il s’agit bi<strong>en</strong> d’activi<br />

tés processionnelles, correspondant à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et à un marché. Le<br />

multipoeitionnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> question n’<strong>en</strong> est que plus étrange. Pourquoi<br />

l’intel ectuel n’a—t—il pas un, et un seul, “employeur”? Ce que ce fait<br />

signifi est sans doute que le “prophète”, dans notre culture contempo<br />

raine, ie peut jouer ce rêle dans aucune <strong>de</strong>s institutions existantes<br />

seules, ou si l’on veut qu’il n’y a pas <strong>de</strong> “marché” pour l”intellectuel”<br />

<strong>en</strong>. tant ‘que tel (<strong>en</strong> tant que créateur original). L’exist<strong>en</strong>ce d’un marché<br />

I..<br />

Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éducation, février 1977. Cf. aussi nos articles:<br />

‘La nouvelle reaponsabilité <strong>de</strong>s clercs”, Le Mon<strong>de</strong>, 8 septembre<br />

978 “Les intellectuels, le pouvoir et la société”, Le Mon<strong>de</strong>,<br />

et 27 avril 1979.<br />

suppose <strong>en</strong> effet l’i<strong>de</strong>ntification d’un besoin. Or celui auquol l’intel<br />

lectuel répond n’est i<strong>de</strong>ntifié que par sa réponse mme. En<br />

termes, aucune institution culturelle ne saurait employer un “prophète”<br />

comme tel. Il y a peut—tre néanmoins une différ<strong>en</strong>ce ess<strong>en</strong>tielle à cet<br />

égard <strong>en</strong>tre les institutions culturelles mo<strong>de</strong>rnes et les cléricabures<br />

classiques. Celles—ci fur<strong>en</strong>t, semble—t—il, à certains mom<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> leur<br />

histoire, tout à la fois assez stables et assez complexes pour admettre<br />

l’intégrer après un temps plus ou moins long aux corpus<br />

et aux doctrines et donc pour “employer <strong>de</strong>s prophètes”. Nous parlerons<br />

plus loin <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> Unjversité médiévale, et nous pourrions citer,<br />

<strong>en</strong> tout cas, l’Universjté française “républicaine” du début du XXème<br />

siècle. Il est significatif, par contraste, que les intelleotuels contem<br />

porains, pour être tels, soi<strong>en</strong>t spontauxim<strong>en</strong>t conduits à travailler<br />

dans plusieurs institutions, et singulièrem<strong>en</strong>t à ne pas se cont<strong>en</strong>ter<br />

<strong>de</strong> lappart<strong>en</strong>ance universitaire — qui reste la plus fréqu<strong>en</strong>te, mais<br />

qui n’est dorénavant, ni exclusive ni obligatoire.<br />

Qest_ce qui pousse <strong>en</strong> effet <strong>de</strong>s universitaires à diriger <strong>de</strong>s<br />

collections dans les gran<strong>de</strong>s maisons d’édition? Ce fait, qui est fré<br />

qu<strong>en</strong>t et auquel nous sommes mime tout—à—fait habitués, fl5fl est pas<br />

moins paradoxal au regard <strong>de</strong> ce que Ujversit4 <strong>de</strong>vrait être et dit<br />

<strong>en</strong>core qu’elle est. Le “public” naturel du professeur est constitué<br />

<strong>de</strong> ses étudiants, <strong>de</strong>s étudiants plus avancésdont il dirige les recher<br />

ches, et <strong>en</strong>fin <strong>de</strong> ses collègues ou “pairs” spécialistes <strong>de</strong> la mime<br />

discipline. Pourquoi rechercher, par le système <strong>de</strong> l’éditibn, un tout<br />

autre public? Il ne suffit nullem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> répondre que le public idéal


-i86—<br />

du clerc (on sectaire) est la société globale, car la question est<br />

préoisdm<strong>en</strong>t <strong>de</strong> savoir pourquoi un universitaire p<strong>en</strong>se désormais qu’il<br />

ne pourra atteindre la société globale qu<strong>en</strong> outrepassant les circuits<br />

propres à ‘inatitution. Les grands universitaires veul<strong>en</strong>t aujourd’hui,<br />

comme par le passé, que leurs théories soi<strong>en</strong>t connues, comprises, déve<br />

loppées, foondées; mais pour que cet effet <strong>de</strong> groupe se produise, pour<br />

qu’advi<strong>en</strong>n ce “précipité chimique” d’un corps <strong>de</strong> doctrine <strong>en</strong> train<br />

<strong>de</strong> se consituer, ils s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t que l’animation d’un Séminaire interne<br />

à l’tJniverjté ne suffira pas. Ils sont conduits à- animer une collec<br />

tion <strong>de</strong> li’res allant à un public pjori indéterminé. Et ils s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

que cela et nécessaire, précisons—le bi<strong>en</strong>, non seulem<strong>en</strong>t pour la diffu<br />

sion <strong>de</strong> leurs idées et leur propre célébrité, mais pour l’élaboration<br />

mme <strong>de</strong>s iées(dont ils sav<strong>en</strong>t que, si elles ne sont pas appropriées<br />

par d’autrs et ne <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à quelque <strong>de</strong>gré collectives et ano<br />

nymes, ells n’illustreront précisém<strong>en</strong>t pas leur nom). Si l’édjtjon<br />

ne servaitqu’à diffuser les idées, les p<strong>en</strong>seurs contemporains se con—<br />

t<strong>en</strong>teraj<strong>en</strong> <strong>de</strong> publier leurs livres; ce qui nous frappe est le fait<br />

qu’ils von bi<strong>en</strong> plus loin puisqu’ils dirig<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s collections, donc<br />

organie<strong>en</strong>t le travail d’autres chercheurs; et cela, ils ne le font<br />

pas dans linstitution—université, mais dans l’institution—édition.<br />

Unexemp1e que nous connaissons bi<strong>en</strong>, celui <strong>de</strong>s “nouveaux philo<br />

sophes”, diustrera notre propos. Aucun <strong>de</strong>s “nouveaux philosophes”, à<br />

l’époque (976—I977) où fut connue leur <strong>en</strong>treprise, n’était universi<br />

taire au sans propre du terme, mais tous étai<strong>en</strong>t diplômés <strong>de</strong><br />

et “clercs <strong>de</strong> formation. Non seulem<strong>en</strong>t ils ont écrit <strong>de</strong>s livres dans<br />

— 187 —<br />

une collection non universitaire et qui visait un large public, mais<br />

ils ont participé volontiers à la campagne <strong>de</strong> presse qui m’eat déve<br />

loppée plum ou moins spontaném<strong>en</strong>t peu après la parution <strong>de</strong>s livres: in<br />

terv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> lédjtjon, interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> la presse.<br />

On peut p<strong>en</strong>ser ce qu’on veut <strong>de</strong> ces livres et <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong> passa<br />

gère qui les a fait connaltre, maie il est indubitable que le “meonag&’<br />

transmis, à savoir la mort philosophique du marxisme et <strong>de</strong> ses variarrtem<br />

ou prolongem<strong>en</strong>ts structuralistes dans l’intellig<strong>en</strong>tsia anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>it <strong>de</strong><br />

gauche a été effectivem<strong>en</strong>t reçu et a eu quelque impact sur la micro—his<br />

toire parisi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s idées politiques. Or intéressons—nous au circuit<br />

<strong>de</strong> cette influ<strong>en</strong>ce. Il est relativem<strong>en</strong>t nouveau et spéoifique.<br />

Les nouveaux philosophes sont “clercs”. Sjs ne l’étai<strong>en</strong>t pas,<br />

leur- autorité eerait moindre; mais, d’un autre côté, les théories qu’ils<br />

propos<strong>en</strong>t ne peuv<strong>en</strong>t être reçues ni relayées dans une université olé—<br />

rosée. Elles ne peuv<strong>en</strong>t l’âtre par la oléricaturo philosophique la plus<br />

traditionnelle, <strong>en</strong>fermée dans son corpus canoniques, qui sont<br />

ceux du programme <strong>de</strong> iagrdgation. La oléricature traditionnelle n’a<br />

jamais admis ni le marxisme, ni la psyohanalyee, ni le structuralisme,<br />

ni, d’une façon générale, les sci<strong>en</strong>ces sociales. Mais les nouveaux phi<br />

losophes ne trouv<strong>en</strong>t pas non plus parmi la cléricaturo mo<strong>de</strong>rniste<br />

elle—mime, qui a vécu l’av<strong>en</strong>ture <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces sociales et n fait <strong>en</strong>trer<br />

celles—ci à l’université, mais <strong>en</strong> se cristallisant très vite autour d’un<br />

projet politique, <strong>de</strong> partim et <strong>de</strong> syndicats <strong>de</strong> gauche. Pour les premiers,<br />

c’est le cont<strong>en</strong>u philosophique du message <strong>de</strong>s nouveaux philosophes qui<br />

pas recevable. Pour les seconds, c’est son cont<strong>en</strong>u politique.<br />

Les nouveaux philosophes ne sont pas masochistes ni pusillanimes.


Ils n’oit aucun complexe par rapport à la vieille académie: ils <strong>en</strong> sor<br />

t<strong>en</strong>t et ont connu ce qu’elle a <strong>de</strong> meilleur, dans les “khgnes” et les<br />

Ecoles iormales supérieures. Ils n’<strong>en</strong> ont pas non plus par rapport à<br />

la gauol<br />

1e. Ils ont été gauchistes et ont donné, dans les années agitées<br />

<strong>de</strong> l’ap1ès—mai 1968, au marxisme toutes ses chances d’être vrai. la<br />

fausset <strong>de</strong> la doctrine est irréversiblem<strong>en</strong>t établie dans leur esprit.<br />

Par conséqu<strong>en</strong>t ils parl<strong>en</strong>t à qui veut bi<strong>en</strong> les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong><br />

ce et la presse, peu s<strong>en</strong>sibles aux ukases et fulminations<br />

<strong>de</strong>s clér.catures.<br />

elles—ci ne s’agit<strong>en</strong>t pas parce qu’uns campagne <strong>de</strong> presse suit<br />

son cour3. Habituellem<strong>en</strong>t, les <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s sont relativem<strong>en</strong>t é-tanches.<br />

Elles iaervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans ce cas et montr<strong>en</strong>t publiquem<strong>en</strong>t uns certaine<br />

acrimoni, parce que le message transmis est théorique(et le langage<br />

utilisé,clérical). Les nouveaux philosophes ont marché sur le terrain<br />

<strong>de</strong>s clercs. Ils n’ont pas seulem<strong>en</strong>t ajouté <strong>de</strong>s idées à d’autres dans<br />

les case et selon les modalités <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce normale. Ils ont changé<br />

les règls mêmes du jeu, et les ont mime, à certains égards, inversées:<br />

itéaitio4 et la presse servant <strong>de</strong> “chaires”, les universitaires faisant<br />

le comm<strong>en</strong>taire journalistique. Ils ont été, exemplairem<strong>en</strong>tL, <strong>de</strong>s intel—<br />

lectuels.<br />

rllustrona par d’autres exemples la pluri—appart<strong>en</strong>ance institu—<br />

tionnell <strong>de</strong>s intellectuels. Jacques Maritaia n’a jamais été universi<br />

taire, bi<strong>en</strong> qu’il fût agrégé <strong>de</strong> philosophie. En revanche, il a fait <strong>de</strong><br />

nombreuse confér<strong>en</strong>ces dans les universités, et il a vécu <strong>de</strong> ses livres.<br />

Jean—Mari Dom<strong>en</strong>ach, avant d’être professeur à Polytechnique,<br />

I<br />

— 188 — i89 —<br />

a dirigé une revue et plusieurs collections dans l’édition, a écrit<br />

<strong>de</strong>s livres et collaboré à <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> presse. Maurice Clavel avait<br />

une chronique régulière au Nouvel Observatep et interv<strong>en</strong>ait constam<br />

m<strong>en</strong>t dans la presse quotidi<strong>en</strong>ne et à la<br />

adio_téléVisi0fl tout <strong>en</strong> écri<br />

vant <strong>de</strong>s ouvrages dont le plus volumineux et peut—tre le plus impoittant,<br />

le livre sur Kant, étai-t dans son esprit sa thèse d’Etat, qu’il avait<br />

l’int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> sout<strong>en</strong>ir à l’Université. En étant journaliste ou écri<br />

vain, il n’avait nullem<strong>en</strong>t l’int<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> cesser<br />

philosophe et<br />

m<strong>en</strong>ait <strong>de</strong> front ces activités aveO le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’une parfaite cohé<br />

r<strong>en</strong>ce, celle même <strong>de</strong> sa “prophétie” et <strong>de</strong> son combat.<br />

Ce multipo3iti0flflemeat <strong>de</strong>s intellectuels dans plusieurs insti<br />

tutions est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u très courant et même, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s, très banal. I].<br />

n’<strong>en</strong> est pas moins, si l’on y réfléchit bi<strong>en</strong>, fort illogique. Il im<br />

plique une dispersion, une perte d’énergie, la quasi_impossibilité<br />

<strong>de</strong> poursuivre un travail sur mie longue pério<strong>de</strong> et <strong>de</strong> le m<strong>en</strong>er à son<br />

terme sans interruption, ainsi que <strong>de</strong> suivre tant soit peu l’effet <strong>de</strong><br />

dissémination <strong>de</strong>S publicationS et le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s théories. Le<br />

fait que les grands intellectuels (nous aurions pu <strong>en</strong> citer beaucoup<br />

et tous ceux qui compt<strong>en</strong>t) se soi<strong>en</strong>t trouvés spontaném<strong>en</strong>t<br />

conduits à agir ainsi <strong>de</strong>puis quelques dizaines d’années et diautant<br />

plus significatif.<br />

Il doit y avoir une raison profon<strong>de</strong> à ce comportem<strong>en</strong>t, et nous<br />

pouvons t<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> la formuler à partir <strong>de</strong> nos hypothèses initiales.<br />

Puisque nous avons défini l’intellectuel comme celui qui résoud les<br />

problèmel4 nouveaux qui se pos<strong>en</strong>t à la5ooiété globale,<br />

<strong>en</strong> consé—


I<br />

— 190 —<br />

qu<strong>en</strong>ce mme <strong>de</strong> cette définition que none <strong>de</strong>vons supposer que l’intellec<br />

tuel est <strong>en</strong> communication effective avec la société globale, ses problè<br />

mes, les événem<strong>en</strong>ts qui s’y produis<strong>en</strong>t. Nous avons ici la clef épisté—<br />

mologique <strong>de</strong> notre analyse sociologique. Il faut que l’intellectuel<br />

soit pi é sur les circuits <strong>de</strong> communication qui permett<strong>en</strong>t cette con—<br />

naissance.<br />

Contrairem<strong>en</strong>t à l’universitaire, l’intellectuel est un homme<br />

qui fréqu<strong>en</strong>te ordinairem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> nombreux milieux sociaux différ<strong>en</strong>ts<br />

(c’est sussi le cas <strong>de</strong> l’homme politique). Il provoque <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres<br />

et <strong>de</strong>s changes djdc fait <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ces et va à <strong>de</strong>s confér<strong>en</strong>ces,<br />

assiste à <strong>de</strong>s réunions et à <strong>de</strong>s meetings, crée <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> réflexion<br />

plus ou moins durables ou participe à <strong>de</strong> tels groupes, lit beaucoup,<br />

connaît personnellem<strong>en</strong>t les auteurs, épluche la presse, etc. La commu—<br />

nicatiod ne se fait jamais à s<strong>en</strong>s unique. hti—mme est conduit tout<br />

naturel]em<strong>en</strong>t à écrire pour la presse, à aoccuper <strong>de</strong> collections, à<br />

fon<strong>de</strong>r es groupes, <strong>de</strong>s revues, à parler <strong>en</strong> public.<br />

Ce fait connu est <strong>en</strong> général mal interprété. De ce que l’intel—<br />

lectuelcommunique avec plusieurs milieux sociaux, on conclut qu’il est<br />

un intemédiaire, et on confond la fonction <strong>de</strong>s intellectuels avec oelle<br />

<strong>de</strong>s “méUas”. Il est vrai que que la frontière <strong>en</strong>tre l’intellectuel et<br />

le vulgrisateur ou le ‘polygraphe” n’est pas toujours facile à tracer,<br />

mais le principe <strong>de</strong> la distinction est clair. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas,<br />

la oommmication najoute ri<strong>en</strong> au message et se cont<strong>en</strong>te <strong>de</strong> le trans<br />

mettre avec, le plus souv<strong>en</strong>t, un certain affadissem<strong>en</strong>t et une certaine<br />

déperdiion d’information). Dans le cas <strong>de</strong> l’intellectuel, la communi<br />

cation un rêle créateur. C’est parce qu’il est <strong>en</strong> Communication avec<br />

— 191 —<br />

plusieurs sources que l’intellectuel peut créer <strong>de</strong>s théories qui n’au<br />

rai<strong>en</strong>t pu germer <strong>en</strong> aucune <strong>de</strong> ces sources isolém<strong>en</strong>t.<br />

Le “multipositionnem<strong>en</strong>M” institutionnel <strong>de</strong>s créateurs dans la<br />

pério<strong>de</strong> réc<strong>en</strong>te n’est ainsi que la conséqu<strong>en</strong>ce du fait qu’aucune <strong>de</strong>s<br />

institutions culturelles existairtes ne suffit à elle seule pour un<br />

chercheur. Aucune r’eet suffisamm<strong>en</strong>t “connectée” avec la société mo<strong>de</strong>r.-.<br />

ne et pas, <strong>en</strong> particulier, les anci<strong>en</strong>nes gran<strong>de</strong>s cléricaturem comme<br />

l’université laique—étatique du XIXème siècle. Quiconque s’intéresse,<br />

y compris avec l’esprit le plus théorici<strong>en</strong> et abstrait dii sci<strong>en</strong>tifique<br />

et la plus gran<strong>de</strong> aversion pour la dispersion et jntellec-.<br />

tuelle superficielle <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong>s “médias”, à la réalité sociale<br />

mo<strong>de</strong>rne, doit donc se “positionner” sur plusieurs institutions. Il<br />

le fait souv<strong>en</strong>t à son corps déf<strong>en</strong>dant dans la mesure où, <strong>en</strong>core une<br />

fois, ce multipositionnem<strong>en</strong>t implique dispersion et inconfort. Mais<br />

il y est obligé, tous comptes faits (et, <strong>en</strong> réalité, spontaném<strong>en</strong>t),<br />

par sa curiosité, na probité et sa rigueur intellectuelles elles—mêmes.<br />

En d’autres termes, l’intellectuel travaille à partir d’infor<br />

mations. Mais ces informations na sont telles que la nouvelle thé—<br />

crie quil est capable <strong>de</strong> forger. Pour les autres professionnels <strong>de</strong>s<br />

idées, elles nont pas <strong>de</strong> rapport <strong>en</strong>tre elles; elles sont <strong>de</strong>s<br />

Or toute institution culturelle suppose l’i<strong>de</strong>ntification d’un corpus<br />

organisées et cohér<strong>en</strong>tes qui sont la mémoire et la réfé—<br />

r<strong>en</strong>ce collective <strong>de</strong> Les informations qui vont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir<br />

sig ificatives pour l’intellectuel sont seulem<strong>en</strong>t, elles, un corpus<br />

virtuel. Constitué au hasard <strong>de</strong> lectures et <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres, ce corpus


— 192 —<br />

n’est pas “actualisé”, c’est—à--dire qu’il n’est pas i<strong>de</strong>ntifié à la<br />

faveur d’une explicitation, notamm<strong>en</strong>t écrite, qui permettrait <strong>de</strong> le<br />

peroevo r comme tel puis <strong>de</strong> le comnuniquer. Il sera actualisé pour la<br />

premièr fois, par exemple, à l’occasion, <strong>de</strong> la constitution <strong>de</strong> la hi—<br />

bliogra hie d’un livre, où tous les élém<strong>en</strong>ts ayant servi <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce<br />

seront crits, listés, r<strong>en</strong>dus visibles comme corps. D’autres intellectuels<br />

ayant é rit <strong>de</strong>s livres sur <strong>de</strong>s problèmes proches écriront <strong>de</strong> leur ct6<br />

(formel em<strong>en</strong>t ou non) une autre bibliographie, et à partir <strong>de</strong> là les<br />

“intersections” <strong>de</strong> ces différ<strong>en</strong>tes bibliographies constitueront un<br />

<strong>en</strong>sembl commun <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces, qui sera à son tour d’autant plus fré<br />

quemm<strong>en</strong>t répété qu’on <strong>en</strong>, aura plus souv<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>contré les élém<strong>en</strong>ts dans<br />

les dif ér<strong>en</strong>ts livres. Vi<strong>en</strong>dra alors le mom<strong>en</strong>t où 1on fon<strong>de</strong>ra un groupe<br />

au sein duquel les problèmes qui préoccup<strong>en</strong>t chacun <strong>de</strong>s membres seront<br />

travail és à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces référ<strong>en</strong>ces communes, et où celles—ci <strong>de</strong>vront<br />

tre co nues et admises <strong>de</strong> quiconque veut participer aux travaux du<br />

groupe u compr<strong>en</strong>dre les discours qui désormais <strong>en</strong> éman<strong>en</strong>t. Une “Qommu—<br />

nauté h rméneutique” ocra née, une problématique sera i<strong>de</strong>ntifiée. A par<br />

tir <strong>de</strong> à une institution pourra être fondée, oarla problématique et<br />

les pr<strong>en</strong>ières solutions trouvées pourront runcontrer’ un “marché”, éco—<br />

nomiqueou “politique”, dans l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. L’intellectuel cessera<br />

alorsd3tre une “vox clamans in<br />

prise,<br />

raréfie<br />

tion se<br />

A partir <strong>de</strong> là, l’intérêt <strong>de</strong> la raion, dans la recherche <strong>en</strong>tre—<br />

,era, au rebours <strong>de</strong> ce qu’il était aux étapes antérieures, <strong>de</strong><br />

les contacts et la communication avec l’extérieur. Ljnstjt_<br />

refermera sur son corpus et sur sa problématique. Toute inter—<br />

— 193 —<br />

v<strong>en</strong>tion d’informations extérieures (sauf celles qu’att<strong>en</strong>d, parce qu’elle<br />

les perçoit d’avance comme significatives et intéressantes, la doctri—<br />

ne <strong>en</strong> train <strong>de</strong> se former) serait perçue dorénavant comme v<strong>en</strong>ant interrom<br />

pre un travail d’élaboration <strong>en</strong> train <strong>de</strong> se faire, et comme m<strong>en</strong>açant<br />

<strong>de</strong> détruire, ou <strong>de</strong> forcer à recomm<strong>en</strong>cer à zéro, une construction déjà<br />

avancée. C’est bi<strong>en</strong> pourquoi, à partir <strong>de</strong> là, le clerc remplacera peu<br />

à peu l’intellectuel.<br />

phétie”.<br />

Rev<strong>en</strong>ons à celui—ci et aux conditions d’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> sa “pro—<br />

I. Nous développerons, dans une prochaine étu<strong>de</strong>, l’analyse <strong>de</strong> ce proces<br />

sus dont nous v<strong>en</strong>ons d’indiquer à grands traits les étapes.


— i9’i —<br />

IV — ‘EXPH IS5 ION DN L ‘111110V ATION INTELlECTUELLE<br />

Comme les prophètes, les intellectuels pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à témoin le<br />

public (la”société globale”) par—<strong>de</strong>là les cléricatures établies et<br />

leurs circuits canoniques<br />

Il est intéressant <strong>de</strong> rappeler ici les mo<strong>de</strong>s d’interv<strong>en</strong>tion<br />

<strong>de</strong>s pr phètes bibliques. Déjà dans ce cas, il s’agit d’interpeller lea<br />

pouvoi e <strong>en</strong> s’appuyant sur le peuple, et <strong>de</strong> le faire <strong>en</strong> court—circuitant<br />

les intitutions cléricales établies et <strong>en</strong> suscitant <strong>de</strong> nouvelles for—<br />

mation. Rappelons <strong>en</strong> outre que l’action propre du prophète est le<br />

ministre <strong>de</strong> la Parole, donc l’action par la parole, la parole agissan-.<br />

te; lc actes muets — il y <strong>en</strong> aura — seront symboliques, <strong>de</strong>stinés eux—<br />

mêmes 4 “parler”.<br />

Le mo<strong>de</strong> principal d’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong>s prophètes bibliques est<br />

l’oraol public, le discours au peuple, dont les livres bibliques con—<br />

serv<strong>en</strong>t le collections. donne une interprétation du malheur<br />

prés<strong>en</strong>t propose un schéma d’explication à partir duquel s’indique<br />

d’elle—ême la conduite à adopter darLa l’instant prés<strong>en</strong>t critique. Le<br />

prophèt, que Dieu ti<strong>en</strong>t pour responsable <strong>de</strong> la tournure que va pr<strong>en</strong>dre<br />

désorma!s l’Itistoire (ii faut, donc, qu’il parle; le salut du peuple<br />

<strong>en</strong> déperd, mais aussi, désormais, le si<strong>en</strong> propre; il pécherait s’il ne<br />

disait e qu’il sait; cf. Ez 3, 16—21; 33, I—9; et aussi, 12) ne<br />

songe pais à ménager sa peine. Il guette (Ez, ibid.). Il va se poster<br />

dans les[ <strong>en</strong>droits publics, au milieu <strong>de</strong> Ninive (Jonas, 3, 4), <strong>de</strong>vant<br />

le Tompl <strong>de</strong> Jérusalem (Jér. 1’<br />

2), <strong>de</strong>vant tout le peuple (Jér. 25, 2;<br />

— 195 —<br />

Bu, I, 3—4, etc.), à la cour du roi (Jér. 36, 21 Da 2, 27, etc.),<br />

afin d’être <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du dc ce que nous appelons la “société globaleI. Il<br />

invective les faux prophètes et les prêtres (le, , 10; Jér, 23, 9—40,<br />

f, 9; Os, , I—7; Joél, I, 13; Ni, 2, 6; 3, 5; 50, I, 4—7; Ag, I, I, eto;)<br />

lesquels résist<strong>en</strong>t. et contre—attaqu<strong>en</strong>t (m, , 10—13, eto.), ce qui<br />

montre que la prophétie déstabilise les institutions.<br />

Les prophètes ne parl<strong>en</strong>t pas que par oracles. Ils font <strong>de</strong>s<br />

gestes symboliques. Samuel oizt Satti (I 5, 10). Jérémie se met un joug<br />

sur le cou (Jér, ) pour signifier que tous les peuples <strong>de</strong> la régimn<br />

vont être soumis à Nabuchodon050r. Hananya, qui est un- faux prophète<br />

(dit la Bible) “<strong>en</strong>leva”, <strong>de</strong> son côté, “le joug <strong>de</strong> la nuque du prophète<br />

Jérémie et le brisa” (Jér 28, 10) pour exprimer l’idée inverse, et<br />

ceci dans le Temple <strong>de</strong> Yahvé, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s prêtres et <strong>de</strong> tout le<br />

peuple. Signe spectaculaire. La vie même <strong>de</strong> Jérémie est un signe. Il<br />

ne se marie pas et n’a pas d’<strong>en</strong>fants, afin <strong>de</strong> montrer que la vie <strong>de</strong>s<br />

<strong>en</strong>faxi’ts <strong>de</strong>s Imralites ne vaut pas la peine tre vécue puisqu’ils<br />

vont être chatiés (Jér 16). En revanche Osée est obligé <strong>de</strong> se marier,<br />

d’épouser une prostituée et <strong>de</strong> donner aux <strong>en</strong>fants qui naiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> cette<br />

union <strong>de</strong>s noms symboliques (“Nonmon—peuple”, “mal—aimée”) pour marquer<br />

qu’Isral, l’épouse légitime <strong>de</strong> Yahvé, m’est prostituée aux dieux<br />

étrangers (Os I et 2). Avec <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s dupeuple et <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s<br />

prêtres, Jérémie va briser une cruche à Tophèt (Jér) pour montrer<br />

que le peuple façonné par Dieu comme une cruche <strong>de</strong> potier va être puni<br />

pour ses trahisons.<br />

Au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> osa parallèles dont il faudra poursuivre l’étu<strong>de</strong>,<br />

I. Les exemples précé<strong>de</strong>nts sont tirés <strong>de</strong> l’Anci<strong>en</strong> Testam<strong>en</strong>t, mais nous<br />

aurions pu <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre<br />

— pour rester dans la même tradition — dans<br />

le Nouveau Testam<strong>en</strong>t ou chez les Pères <strong>de</strong> l’Eglise, où abon<strong>de</strong>nt le


— 196 —<br />

rev<strong>en</strong>on au mo<strong>de</strong> d’expression <strong>de</strong>s intellectuels. L’analogie prophétique<br />

n le nié ite <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce luflit certain type d’interv<strong>en</strong>—<br />

tion cu turelle à travers divers mo<strong>de</strong>s d’expression. L’intellectuel, <strong>de</strong><br />

même, exeroe la même fonction, qu’il écrive un livre, quil intervi<strong>en</strong>ne<br />

dans l presse, qu’il pr<strong>en</strong>ne la parole dans <strong>de</strong>s réunions publiques ou<br />

qu’il ocomplisse publiquem<strong>en</strong>t un geste symbolique.<br />

I) L’i tellectuel écrit <strong>de</strong>s livres dont la forme prinoipale est l”essai’<br />

C’est évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t là le premier mo<strong>de</strong> d’expression <strong>de</strong><br />

tuel d l’histoire mo<strong>de</strong>rne. Mais un “livre”, cela veut dire tout et<br />

ri<strong>en</strong>. uel typo <strong>de</strong> livre est propre à l’intellectuel?<br />

Ce livre doit exprimer, avons—nous dit, une théorie, qui soit une<br />

solutini nouvelle à un problème nouveau, par la mise <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />

régularités <strong>en</strong>tre élém<strong>en</strong>ts d’expéri<strong>en</strong>ce dorigines diverees et apparte<br />

nant à, un corpus seulem<strong>en</strong>t virtuel, Si nous repr<strong>en</strong>ons chacun <strong>de</strong>s termes<br />

<strong>de</strong> cet e formule, nous aboutissons à quelques caractéristiques formelles<br />

du li e—type <strong>de</strong> l’intellectuel.<br />

9 comme tout<br />

1.1. Le corpus virtuel. Le livre <strong>de</strong> ljntelectue1<br />

discours culturel, <strong>de</strong>vra, pour être significatif, se référer à uns mé<br />

moire culturelle, o’est—à--dire, formellem<strong>en</strong>t parlant, <strong>de</strong>vra comporter<br />

<strong>de</strong>s ctations d’oeuvres ou <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>ces à <strong>de</strong>s expéri<strong>en</strong>ces et à <strong>de</strong>s<br />

événn<strong>en</strong>ts. Mais ces oeuvres et ces expéri<strong>en</strong>ces ne seront pas canoniques.<br />

prophètes—intellectuels, hommes <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée et d’action tout <strong>en</strong>semble,<br />

créateurs <strong>de</strong> théories conduits à gérer eux—mêmes le changem<strong>en</strong>t social<br />

provoc4ué par la diffusion et la “cristallisation” <strong>de</strong> ces mêmes idéms.<br />

A cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire du christianisme, les intellectuels eont<br />

nombrqu.x et actifs; la prophétie l’emporte sur la sagesse, les créateurs<br />

<strong>de</strong> doctrines sur les clercs répétitifs. C’est d’ailleurs pourquoi cette<br />

pério<strong>de</strong> est celle <strong>de</strong>s hérésies, <strong>de</strong>s controverses, <strong>de</strong>s schismes, <strong>de</strong> la<br />

plus ‘iol<strong>en</strong>îte activité ‘politique” <strong>de</strong> l’Eglise.<br />

— 197 —<br />

Le livre ne sera donc pas classable dans une discipline académique défi<br />

nie. Pour pr<strong>en</strong>dre un seul exemple, l’ouvrage <strong>de</strong> Jean—Paul Sartre,<br />

QUet_ce que la littérature?, n’est pas un livre relevant <strong>de</strong> la disci<br />

pline académique littéraire et il ne pose pas les mêmes problèmes que<br />

Faguet ouTaine, bi<strong>en</strong> quil ait le même “sujet”. D’autre part, la “mé<br />

moire culturelle” que traduis<strong>en</strong>t les notes n’étant pas canonique, elle<br />

n’est pas non plus organisée. Cela aura souv<strong>en</strong>t pour conséqu<strong>en</strong>ce que<br />

les notes seront peu nombreuses, car à mémoire, tal<strong>en</strong>t et capacité <strong>de</strong><br />

travail égaux, l’intellectuel ne peut mettre <strong>en</strong> oeuvre l’organisation<br />

docum<strong>en</strong>taire propre aux disciplines constituées au sein <strong>de</strong>s cléricatu.—<br />

Le corpus auquel se réfère est bi<strong>en</strong> “virtuel”,<br />

I. Les notes <strong>en</strong> bas <strong>de</strong> page, qui donn<strong>en</strong>t son allure si caractéristique<br />

au livre clérical, sont elles—mêmes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux types. Ou elles expli<br />

cit<strong>en</strong>t une idée prés<strong>en</strong>tée dans le corps du texte, ou elles r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t<br />

à une expéri<strong>en</strong>ce autre qui appuie ou “coeffici<strong>en</strong>ts” l’idée exprimée<br />

dans le texte. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, il faut <strong>en</strong>core distinguer <strong>de</strong>ux<br />

types. Ou bi<strong>en</strong> la note consiste <strong>en</strong> un r<strong>en</strong>voi bibliographique (ou un<br />

r<strong>en</strong>voi à tout autre discours que le lecteur est c<strong>en</strong>sé pouvoir retrou-.<br />

ver ou consulter article <strong>de</strong> presse, film...), ce qui revi<strong>en</strong>t à sup-.<br />

poser que le problème traité dans le texte a déjà été traité ailleurs.<br />

On se situe alors — et on situe le lecteur — dans la “communauté<br />

herméneutique” <strong>de</strong> ceux qui ont eu accès à la “littérature du problè<br />

me” e-t accor<strong>de</strong>nt un certain crédit à cette “littérature”. On s’appuie<br />

déjà sur une réalité institutionnelle. Ou bi<strong>en</strong> la note explicite <strong>en</strong><br />

tièrem<strong>en</strong>t la référ<strong>en</strong>ce, et ne fait appel qu’à la mémoire sociale diffu<br />

se et à la communauté herméneutique <strong>de</strong> ceux qui parl<strong>en</strong>t et compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

la langue (ou une certaine langue plus restreinte et “technique”).Le<br />

livre <strong>de</strong> l’intellectuel, qui ne s’appuie pas sur une réalité institu<br />

tionnelle, <strong>de</strong>vra comporter <strong>en</strong> général peu <strong>de</strong> notes du <strong>de</strong>uxième type.


— 198 —<br />

c’est—à—dire qu’il et induit par sa. théorie rnme. Il est propre à cette<br />

théorie Le m%me intellectuel écriv<strong>en</strong>t un autre livre se référera vir—<br />

tuellem nt à un autre corpus <strong>de</strong> témoignages. Le livre <strong>de</strong> création théo<br />

rique induit son corpus <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce comme son ombre. Ce corpus est<br />

“virtike “ non pas au s<strong>en</strong>s où il n’est pas du tout explicite (l’intellec<br />

tuel pe.zt fort bi<strong>en</strong> citer toutes ses “sources”), mais parce que les<br />

référ<strong>en</strong>ces<br />

ne sont pao citées comme dos autorités et le sont seulem<strong>en</strong>t<br />

comme d<br />

il faud<br />

Il fauii<br />

défiait<br />

s informatione. Pour qu’elles fuss<strong>en</strong>t citées comme <strong>de</strong>s autorités,<br />

ait qu’elles ai<strong>en</strong>t été citées par d’autres intellectuels.<br />

hait qu’il y ait déjà eu répétition. Ce qui n’est pas le cas, par<br />

ion, puisque la théorie est nouvelle.<br />

Ajoutons que, “virtuel” <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, le corpus <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce reste<br />

souv<strong>en</strong>t., <strong>en</strong> outre, implicite dans un livre d’intellectuel, pour une rai<br />

son pur m<strong>en</strong>t psychologique. On ne peut à la fois avoir l’esprit fixé<br />

sur une. théorie, préoccupé <strong>de</strong> sa logique et <strong>de</strong> sa portée — et citer<br />

explicitem<strong>en</strong>t toutes les informations à partir <strong>de</strong>squelles on a élaboré<br />

la théo ie. Car citer les informations, c’est, par définition, les re<br />

placer dans leur contexte (qui permet <strong>de</strong> les i<strong>de</strong>ntifier pour un tiers),<br />

&est_àL_dire, puisqu’elles sont multiples, dans une multiplicité <strong>de</strong> con<br />

textes différ<strong>en</strong>ts. M<strong>en</strong>er les <strong>de</strong>ux opérations m<strong>en</strong>tales <strong>en</strong> mime temps,<br />

cela. dman<strong>de</strong> un investissem<strong>en</strong>t et une énergie supérieurs aux forcea<br />

ordinaires du p<strong>en</strong>seur. De sorte que le livre <strong>de</strong> linellecel sera sou<br />

v<strong>en</strong>t “ Les allusions pourront être suffisainni<strong>en</strong>t claires pour<br />

que, dns le public indéterminé <strong>de</strong> la société globale, beaucoup <strong>de</strong> lec<br />

teurs es reconnaiss<strong>en</strong>t et, par suite, compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t parfaitem<strong>en</strong>t l’idée<br />

— 199 —<br />

que veut exprimer Mais il est vrai que ce trait formel<br />

prote à la critique <strong>de</strong>s clercs qui, eux, ont leurs fiches bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> ordre,<br />

et qui pourront reprocher à l’intellectuel le oaractère qu’ils appelle<br />

ront “arbitraire” (clest—à—dire dans leur espriti non fondé par <strong>de</strong>s<br />

référ<strong>en</strong>ces reconnues) <strong>de</strong> ses théories.<br />

1.2. Les solutions nouvelles. Le livre <strong>de</strong> l’intellect ne répète<br />

pas <strong>de</strong>s solutions anci<strong>en</strong>nes ni, à proprem<strong>en</strong>t parler, norganjse <strong>de</strong> fa<br />

çon nouvelle <strong>de</strong>s solutions déjà trouvées par d’autres à <strong>de</strong>s problèmes<br />

actuels (ce qui sera le travail <strong>de</strong> synthèse doctrinale accompli par<br />

<strong>de</strong>s formations cléricales). Il traite un problème <strong>de</strong> façon vraim<strong>en</strong>t<br />

originale. Par conséqu<strong>en</strong>t, non seulem<strong>en</strong>t, cosse nous v<strong>en</strong>ons <strong>de</strong> le voir,<br />

le livre <strong>de</strong> l’intellectuel ne sera pas érudit au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s thèses <strong>de</strong>s<br />

cléricatures, mais il ne sera pas non plus didactique ni pédagogique.<br />

dire que son ordre ne sera, respectivem<strong>en</strong>t, ni disparate comme<br />

celui <strong>de</strong>s livres d’érudition. qui peuv<strong>en</strong>t s’appuyer sur <strong>de</strong>s structures<br />

antérieurem<strong>en</strong>t établies (et supposées connues) et donc se disp<strong>en</strong>ser <strong>de</strong><br />

construire à nouveaux frais ées schémas dinterprétatjon; ni synthéti<br />

que, puisque l’auteur n’aura pas nécessairem<strong>en</strong>t au début <strong>de</strong> sa démar<br />

che la claire consoi<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> sa théorie achevée. La démarche du livre<br />

pourra donc être largem<strong>en</strong>t analytique et les solutions théoriques pour<br />

ront n’être qu’ébauchées. Un ordre didactique ou pédagogique suppose<br />

rait une théorie achevée, <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t oonnue avant quon comm<strong>en</strong>ce la<br />

rédaction <strong>de</strong> louvrage. A contrario, le livre <strong>de</strong> jfltelectue1 pourra<br />

avoir une démarche plus av<strong>en</strong>tureuse, ne pas expliciter toutes les consé<br />

qu<strong>en</strong>ces théoriques <strong>de</strong>s idées suggérées, etc.


— 200 —<br />

1.3. Les problèmes nouveaux. Si l’intellectuel est le premier<br />

à formuer un problème et à t<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> le résoudre, il est clair quil<br />

ne peut se livrer à la discussion critique <strong>de</strong> solutions antérieures.<br />

Le livr se réfèrera donc peu à ce que’d’au-tres théorici<strong>en</strong>s diseut. Il<br />

aura cette caractéristique formelle <strong>de</strong> se consacrer à l’exam<strong>en</strong> du pro<br />

blème lsi—isme, <strong>en</strong> face duquel L’intellectuel est seul et “se bat”. Le<br />

livre c’ooportera donc peu <strong>de</strong> discours indirects, au second <strong>de</strong>gré. Uue<br />

analyse phénoménologique du livre <strong>de</strong> l’intellectuel dira qu’il est<br />

“concret”, porte sur “la chose même”. En conséqu<strong>en</strong>ce, il ne s’adressera<br />

pas, d’abord, aux lettrés, à ceux qui connaiss<strong>en</strong>t d’autres solutions<br />

à <strong>de</strong>s Tk’oblèmes analogues et qui peuv<strong>en</strong>t juger <strong>de</strong> la nouveauté ou <strong>de</strong><br />

la juseese <strong>de</strong> la solution proposée. Il 5adre5se à la société globale<br />

(4v<strong>en</strong>tvellem<strong>en</strong>t aux pouvoirs), à ceux à qui, concrètem<strong>en</strong>t,<br />

le prollème se poseS Il suppose, chaque fois, un nouveau peblic,uii<br />

nouvea1 “cercle herihéneutique’t, <strong>en</strong> UIQ tempe qu’il pose intellectuelle<br />

m<strong>en</strong>t un nouveau “mon<strong>de</strong>”.<br />

1.4. Les solutions théoriques. Parce qu’il ne peut se référer<br />

à <strong>de</strong>s doctrines supposées connues, le livre <strong>de</strong> l’intellectuel <strong>de</strong>vra<br />

exhibe lui—même son ordre et sa cohér<strong>en</strong>ce. Il ne pourra s’appuyer,<br />

comme ]es thèses et les livrer; <strong>de</strong> professeurs, sur l’ordre antérieune—<br />

m<strong>en</strong>t fgrgé par un autre p<strong>en</strong>seur ou émergé dans un travail doctrinal col<br />

lectif Le livre <strong>de</strong> est donc ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t oeuvre<br />

d’intellig<strong>en</strong>ce. Il est théorique, c’est—à—dire qu’il donne par principe<br />

toutesles raisons <strong>de</strong>s thèses qu’il avance. Il est clair et distinct,<br />

il veut être complet. Lbs<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces et d’autorités lui fait<br />

obligaion <strong>de</strong> justifier lui—mime, concrètem<strong>en</strong>t, par tout l’appareil <strong>de</strong>s<br />

raisons que l’intellig<strong>en</strong>ce peut construire, les thèses qu’il avance.<br />

C’est ourquoi, inversem<strong>en</strong>t, pour le lecteur qui e recevra, il est<br />

un livre qui fait compr<strong>en</strong>dre.<br />

On le voit indirectem<strong>en</strong>t par le fait que les grands livres<br />

d’intellectuels à partir <strong>de</strong>squels s’<strong>en</strong>clanche un pvooessus clérical<br />

aboutissant à l’élaboration <strong>de</strong> doctrines r<strong>en</strong>dant inutile, <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s,<br />

le “retour aux sources”, <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t néanmoins <strong>de</strong>s “bases” irremplaçables.<br />

La doctrine permet certes une première approche <strong>de</strong>s gr.an<strong>de</strong>s idées, pour-<br />

l’homme <strong>de</strong> lextrjeur, le néophyte. Maie à l’inversa, le recours<br />

aux textes fondateurs <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t toujours à un certain mom<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong><br />

sable pour compr<strong>en</strong>dre la doctrine elle—môme. En effet, c’est là, cIL là<br />

seulem<strong>en</strong>t, que les raisons concrètes sont toutes données et que l’univers<br />

intellectuel est pleinem<strong>en</strong>t cohér<strong>en</strong>t. Une certaine na!veté du créateur<br />

intellectue1’Ijannt les choses comme il les voit” continuera à prévaloir<br />

sur les comm<strong>en</strong>taires savants <strong>de</strong> son oeuvre. Le Marx <strong>de</strong> lIdéologje<br />

alleman<strong>de</strong> est plus “simple” que les traités <strong>de</strong> philosophie marxiste,<br />

parce que plus direct et plus homogène (mais il est aussi plus <strong>de</strong>nse).<br />

Les “gran<strong>de</strong> textes” <strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées, qui au mom<strong>en</strong>t <strong>de</strong> leur<br />

écriture sont <strong>de</strong>s textes d’intellectuels et non <strong>de</strong> clercs, prés<strong>en</strong>lierit<br />

ainsi presque toujours ce caractère ambigu <strong>de</strong>nsité qui les<br />

r<strong>en</strong>d difficiles à lire (car il faut p<strong>en</strong>ser et compr<strong>en</strong>dre chaque phrase<br />

pour bi<strong>en</strong> saisir le propos) et clarté dt à ce que la construc<br />

tion y est explicite — qui les r<strong>en</strong>d <strong>en</strong> vérité, pour <strong>de</strong>s esprits exigeants,<br />

plus faciles à lire que la littérature secondaire qui parait toujours,<br />

au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> son rôle pédagogique, ésotérique et, <strong>en</strong> ce m<strong>en</strong>s particulier,<br />

“irrationnelle”.<br />

— 201 —


— 202 —<br />

+<br />

++<br />

Tous ces caractères sont ceux <strong>de</strong> l’essai.<br />

L’essai est, effectivem<strong>en</strong>t, un livre pauvre <strong>en</strong> notes, portant<br />

sur uh sujet nouveau et proposant <strong>de</strong>s théories nouvelles ou <strong>de</strong>s thèses<br />

(au s<strong>en</strong>s fort — et originel — du terme). C’est un livre qui s’adresse<br />

non ps exactem<strong>en</strong>t à tous, mais à un public qui ne peut être défini<br />

à iiafrance (CF. la dédicace du Zarathoustra <strong>de</strong> Nietzsche: “Un livre<br />

pour [tous et pour personne”). Consci<strong>en</strong>t <strong>de</strong> proposer une théorie<br />

vell <strong>en</strong> fonction nouveaux prés<strong>en</strong>ts dans la réalité,<br />

<strong>de</strong> l’essai s’adresse à ceux qui, ayant perçu comme lui ces élém<strong>en</strong>ts<br />

nouv aux, pourront compr<strong>en</strong>dre sa solution. Mais par définition ils<br />

n’on pu se faire connaltre et il n’a pu les conaaltre, puisque ces<br />

élémnts n’ont pas <strong>en</strong>core été pris <strong>en</strong> compte dans une théorie publiée<br />

et qte ceux qui sont susceptibles <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre n’ont pu se donner le<br />

sign distinctif que constitue l’adhésion à une famille d’idées ou à<br />

une institution. Tout au plus l’intellectuel, au fur et à mesure qu’il<br />

dcri, se constitue <strong>de</strong> livre <strong>en</strong> livre un “public” qu’il peu-t i<strong>de</strong>ntifier<br />

par <strong>de</strong>s r<strong>en</strong>contres, une correspondance, <strong>de</strong>s critiques et <strong>de</strong>s comm<strong>en</strong>—<br />

tairs.<br />

est ainsi, par principe, une sorte <strong>de</strong> bouteille à la<br />

mer, dappel, d’oracle, toujours plus ou moins “dans le dé—<br />

sert’. La vox clamans in <strong>de</strong>serto <strong>de</strong> la tradition biblique (la 40, 3)<br />

fai peut—être moins référ<strong>en</strong>ce à la méchanceté <strong>de</strong> ceux qui ne veul<strong>en</strong>t<br />

— 203 —<br />

pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre et que Pieu a r<strong>en</strong>dus sourds et aveugles, qu’à ce trait<br />

structurel <strong>de</strong> la prophétie, qui est <strong>de</strong> parler toujours dans un désert<br />

“clérical’ est_à_dire sans avoir affaire à une catégorie i<strong>de</strong>ntifiable<br />

<strong>de</strong><br />

Un homme comme Maurice Clavel, dira—t—on, écrivait <strong>de</strong>s essais,<br />

alors même qu’il e’adressait spécifiquem<strong>en</strong>t aux chréti<strong>en</strong>s. Mais Clavel<br />

supposait que les chréti<strong>en</strong>s ne se reconnaissai<strong>en</strong>t plus dans le discours<br />

officiel <strong>de</strong>s Eglises; à la différ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s clercs qui m’<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>t dans<br />

une logique <strong>de</strong> secte et s’accomo<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la situation nouvelle, il <strong>en</strong>t<strong>en</strong><br />

dait que<br />

<strong>en</strong>tière, à la suite <strong>de</strong> ses intellectuels, se conver—<br />

tit. Il cherchait donc le type d’argum<strong>en</strong>ts propres à convertir la socié<br />

té globale, à reconvertir les chréti<strong>en</strong>s eux—mêmes et au premier chef<br />

lea olerob. Il était donc chréti<strong>en</strong> <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s prophétique, non cléri<br />

cal; il était un intellectuel. Si l’Eglise eût été à la fin du XXème<br />

siècle, comme dans les siècles passés, la cléricature vivante d’une<br />

sooiété majoritairem<strong>en</strong>t chréti<strong>en</strong>ne, Clavel n’eût sans doute pas été<br />

“prophète”; il eût été clerc, et il eût prêché et <strong>en</strong>seigné.<br />

Pour illustrer ce qu’est l’essai, nous pr<strong>en</strong>drons quelques<br />

exemples qui s’ajouteront à ceux déjà évoqués. Nous les pr<strong>en</strong>drons au<br />

hasard quant au cont<strong>en</strong>u, nayant égard qu’à la forme et à la fonction<br />

“prophétique” <strong>de</strong>s livres cités.<br />

ChoiSisSOflS—Cfl d’abord quelques uns dans<br />

livres comme ceux d’Alain Mine, 4pès—orise est comm<strong>en</strong>cé, <strong>de</strong> ]3ernard—<br />

IT<strong>en</strong>ri Lévy, La Barbarie à visage humain, <strong>de</strong> Cornelius Castoriadis,<br />

Des


— 2011 —<br />

Avant la Guerre, sont, au plein s<strong>en</strong>s du terme, <strong>de</strong>s essais. Leurs<br />

auteurs sont, conformém<strong>en</strong>t à notre précé<strong>de</strong>nte analyse, “multiposition—<br />

nés”. Mi o écrit livres et articles, mais il est “technocrate”; il est<br />

s un <strong>de</strong>s rares <strong>de</strong> sa corporation à savoir écrire et à oser<br />

lancer d s “oracles”, <strong>en</strong> relative contradiction avec les traditions<br />

<strong>de</strong> sil<strong>en</strong> e <strong>de</strong> la haute fonction publique. Lévy, lui, est clerc <strong>de</strong> for<br />

mation, ais il n’est pas universitaire et travaille dans<br />

Remarquons quaprès la Barbarie, il a écrit un livre d’un caractère<br />

sersiblea<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t, l• Testam<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Dieu, qui reste un esai mais<br />

errtreprezd d’inscrire l’auteur dans une tradition culturelle précise,<br />

au prix d’un effort délibéré d’érudition. Castoriadis est chercheur<br />

<strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces sociales, membre d’une institution; mais ce livre—là, plus<br />

que les utres peut—être, est un livre d’intellectuel.<br />

limites<br />

d’H<strong>en</strong>ri<br />

onsidérons maint<strong>en</strong>ant <strong>de</strong>s cas extrêmes grâce auxquels les<br />

e la catégorie “essai” seront mieux appréh<strong>en</strong>dées. Le livre<br />

epage, Demain le Capitalisme, est apparemm<strong>en</strong>t un ouvrage <strong>de</strong><br />

seconiie nain, puisque Lepage y passe <strong>en</strong> revue la littérature <strong>de</strong> la<br />

nouvelle économie américaine sans prés<strong>en</strong>ter explicitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s thèses<br />

personneles. Il cite <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce une nombreuse bibliographie. Or<br />

il convi<strong>en</strong>t néanmoins <strong>de</strong> classer ce livre dans le g<strong>en</strong>re — et<br />

son auteur parmi le intellectuels — dans la mesure où l’emploi qui<br />

est fait <strong>de</strong> l’érudition est ici, dans sa moilalité même, complètem<strong>en</strong>t<br />

différ<strong>en</strong><br />

gorie in<br />

réf ér<strong>en</strong>c<br />

l’existe<br />

d’un emploi académique. Lepage ne s’adresse pas à une caté—<br />

titutionnelle <strong>de</strong> lecteurs pour qui les ouvrages cités <strong>en</strong><br />

aurai<strong>en</strong>t déjà une valeur; il informe le lecteur français <strong>de</strong><br />

ce, outre—atlantique, <strong>de</strong> courants nouveaux et converg<strong>en</strong>ts<br />

— 205 —<br />

dans la sci<strong>en</strong>oe économique. Le livre <strong>de</strong> Lepage exhibe ces converg<strong>en</strong>ces<br />

et par là même fait donc appnraltre une thèse originale (ou pluaieurs)<br />

sur les t<strong>en</strong>dances <strong>de</strong> l’économie américaine, sur le provinoialisrne ou<br />

l’aliénation symétriques <strong>de</strong> la culture économique française. Il fait,<br />

<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, oeuvre théorique. Les livres cités ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas coef—<br />

fici<strong>en</strong>ter les théories proposées, ils sont eux—mêmes pris comme objet<br />

<strong>de</strong> la théorie. signalons, comme corroboration indirecte <strong>de</strong> notre inter<br />

prétation, que le livre <strong>de</strong> Lepage, qui comporte, dans le corps du texte,<br />

<strong>de</strong> nombreux noms d’économistes, titres d’ouvrages, notations historiques<br />

et dates, est pratiquem<strong>en</strong>t dépourvu <strong>de</strong> notes. L’érudition est intégrée<br />

j au raisonnem<strong>en</strong>t, elle pas pour fonction d’étayer OSlUi_ci(I) Di<br />

sons <strong>en</strong>fin que le livre a bi<strong>en</strong> été reçu, et controversé, comme una “pro—<br />

phétie(2).<br />

Exemple inverse: le peit livre du théologi<strong>en</strong> suisse Hans Urs<br />

von Balthasar, Catholinu, est un livre dépourvu d’érudition (autant<br />

que peut m’<strong>en</strong> démundr un homme d’une sci<strong>en</strong>ce aussi <strong>en</strong>cyclopédique),<br />

qui ne vise pas un public clérical, qui vise même explioitem<strong>en</strong>t un<br />

large public (sans être non plus un livre <strong>de</strong> vulgarisation, g<strong>en</strong>re <strong>en</strong>core<br />

différ<strong>en</strong>t dont nous reparlerons dans notre étu<strong>de</strong> sur les disciplines<br />

académiques et leur diffusion). Ce n’est pas pour autanit. un essai d’in—<br />

tellectuel. En effet, les thèses du livre sont <strong>de</strong>s thèses théologique—<br />

m<strong>en</strong>t très orthodoxes; l’originalité du livre est seulem<strong>en</strong>t dans l’ex.<br />

pression.<br />

En revanche, un autre livre écrit par un clerc, qui ne parle<br />

I. Je parle du raisonnem<strong>en</strong>t établissant la thèse propre du livre <strong>de</strong><br />

Lepage: la fécondité <strong>de</strong> l’économie libérale américaine <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>r<br />

nières années. Je ne parle évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pas <strong>de</strong>s thèses mêmes <strong>de</strong> ces<br />

économistes libéraux, dont l’auteur parle au second <strong>de</strong>gré.<br />

2. Comparez l’écriture, la structure et la réception <strong>de</strong> l’essai <strong>de</strong><br />

R.Ruyer, la Gnose <strong>de</strong> Princeton.


— 206 —<br />

que <strong>de</strong> su, ets classiques au sein <strong>de</strong> la cléricature théologique protes—<br />

tante, da2 s le style érudit. et doctoral propre à la tradition alleman,—<br />

<strong>de</strong>, le<br />

énonce un<br />

ja <strong>de</strong> R. Bultmann, est au s<strong>en</strong>s plein un essai, parce qu’il<br />

thèse — la “démythàlogiaation” — nàn seulem<strong>en</strong>t noiivelle,<br />

utre, susceptible <strong>de</strong> remettre <strong>en</strong> cause toute lorganisation<br />

mais, <strong>en</strong> L<br />

<strong>de</strong> la clé icature, <strong>en</strong> comm<strong>en</strong>çant par son corpus <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce, et par<br />

suite tou’<br />

I. Les exi<br />

cept d<br />

le corps <strong>de</strong>s doctrines.<br />

+<br />

.-+ +<br />

impies cités auront suffi, sans doute, pour illustrer le con—<br />

essai tel que nous l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons dans le prés<strong>en</strong>t oonte...te. Com—<br />

plétoa<br />

réc<strong>en</strong>ti<br />

dama li<br />

teaubr: .and, “Le Génie du christianisme”; l4me <strong>de</strong> Stal, “De l’Alle—<br />

magne” La début du XIXàme siècle, le )CVIIIème, le XVIIème et le<br />

XVI èm siècle abon<strong>de</strong>nt <strong>en</strong> essais, dans la mesure où ce sont <strong>de</strong>s<br />

siècle: <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> vitalité <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée “humaniste”, qui se dévelop-.<br />

pe <strong>en</strong> large <strong>de</strong>s cléricatures déclinantes, Eglises et Université cho—<br />

laatiqi Le, et avant que se constitu<strong>en</strong>t les gran<strong>de</strong>s oléricatures la!ques.<br />

étatiqi tes du XIXème siècle, qui vont à nouv<strong>en</strong>u cristalliser le savoir<br />

et êtr le siège où vont se constituer <strong>de</strong>s disciplines académiques<br />

relati remertt durables, avant que le développem<strong>en</strong>t réc<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

et <strong>de</strong><br />

medias génère une nouvelle crise.<br />

I cep<strong>en</strong>dant. notre corps d’exemples, tous pris dans la pério<strong>de</strong><br />

, par une liste <strong>de</strong> livres plus anci<strong>en</strong>s qui fur<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s essais<br />

même s<strong>en</strong>s. Tocqueville, “De la démocratie <strong>en</strong> inérique”; Cha—<br />

— 207 —<br />

L’essai, s’il est vrai que c’est la forme mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l’oracle,<br />

paut lui—même avoir plusieurs formeu et dim<strong>en</strong>sions. Il peut, <strong>en</strong> parti<br />

culier, être court, et être publié dans une revue..L’écrjt <strong>de</strong> Frédéric<br />

Bastiat, “De l’influ<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s tarifs français et anglais sur i’aveiiir<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux peuples”, publié <strong>en</strong> 1844 dame le Journal <strong>de</strong>s Economistes,<br />

qui <strong>de</strong>vait introduire dans le grand public français l’idée <strong>de</strong> libre—<br />

échange, est un essai au plein s<strong>en</strong>s du terme, même s’il a la dim<strong>en</strong>sion<br />

d’un article. un hboraQi et il eut le rôle correspondant dans<br />

la refonte <strong>de</strong>s idées économiques et du champ épistémique <strong>de</strong> l’dpoqueÇ<br />

Le caractère individuel <strong>de</strong> la conatructionthéôrique<strong>de</strong>l’in—<br />

tellectuel et le caractère non—académique <strong>de</strong> l’essai sont à mettre <strong>en</strong><br />

relation avec l’institution <strong>de</strong> l’édition. 2)<br />

Il faut mettre <strong>en</strong> évi<strong>de</strong>nce la mouplese <strong>de</strong> l’institution édito<br />

riale, à laquelle tout p<strong>en</strong>seur isolé peut Confier un texte sans avoir<br />

à exhiber cilplêmes et habilitations ou concevoir <strong>de</strong>s stratégies profes<br />

sionnelles sur le long terme, et tout <strong>en</strong> pouvant espérer néanmoins re<br />

connaissance et prestige. La relation <strong>de</strong> et <strong>de</strong> léditjofl peut<br />

être simplem<strong>en</strong>t duelle, contractuelle et ponctuelle. Elle est un type<br />

d’incription institutionnelle qui se trouve bi<strong>en</strong>. conv<strong>en</strong>ir aveo les ré—<br />

quisi-Is <strong>de</strong> la création intellectuelle, telle que nous avons t<strong>en</strong>té <strong>de</strong><br />

la définir, et c’est pourquoi l’édition s’est développée autant dans<br />

I. Sitôt que l’on évoque les revues, toutefois, il faut pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte<br />

le fait que la plupart d’<strong>en</strong>tre elles, du moins celles qui ont duré,<br />

traduis<strong>en</strong>t la vie intellectuelle dufl groupe qui se con<br />

naiss<strong>en</strong>t et échang<strong>en</strong>t idées et référ<strong>en</strong>ces. Les articles qui s’y pu<br />

bli<strong>en</strong>t relèv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s d’un g<strong>en</strong>re spécifique, déjà clérical à<br />

quelque <strong>de</strong>gré, qui implique collectivisation <strong>de</strong>s idées, constitution<br />

d’un corpus commun, travail doctrinal.<br />

2. Cf. Régis Debray, Le Pouvoir intellectuel <strong>en</strong> France. Debray a le mé<br />

rite d’avoir réuni une information originale sur le développem<strong>en</strong>t<br />

<strong>de</strong> l’édition et sa concurr<strong>en</strong>ce avec les cléricatures, <strong>en</strong> France


— 208 —<br />

la pério e réc<strong>en</strong>te <strong>de</strong> crise <strong>de</strong>s rran<strong>de</strong>s instititions culturelles.<br />

‘essai est ainsi, par sa fonction, fort différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong> toute<br />

productin aadémique.Wa—t—il pour autant aucun rapport avec las dis<br />

cours a -Ldémiques ni aucune place dans l’institution académique même?<br />

Il est au contraire ess<strong>en</strong>tiel <strong>de</strong> remarquer que la vitalité et la du—<br />

rabilit <strong>de</strong>s cléricatures se mesure précisém<strong>en</strong>t à la capacité qu’elles<br />

cat d’ir.tégrer dans leur fonctionnem<strong>en</strong>t normal ou quasi—normal une cer<br />

taine qiantité <strong>de</strong> “prophéties”, dès lors qu’elles n’impliqu<strong>en</strong>t pas ïim<br />

changem nt radical <strong>de</strong> “paradigme” et s’inscriv<strong>en</strong>t dans ce que Kuhn a<br />

appelé la “sci<strong>en</strong>ce normale”. Si à unparadime correspond une institution<br />

cléricale, si un changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> paradigme implique nécessairem<strong>en</strong>t une<br />

nouvell création institutionnelle et une obsolesc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l’institution<br />

anci<strong>en</strong>n, il n’<strong>en</strong> reste pas moins que la sci<strong>en</strong>ce “normale” comporte<br />

aussi u e certaine quantité d’innovation et <strong>de</strong> “prophétie”. Une institu<br />

tion cléricale qui nintégrerait aucune “prophétie” serait tout simple<br />

m<strong>en</strong>t scérosée, non durable. Il importe donc pour notre analyse <strong>de</strong> dis—<br />

tinguer au moins <strong>de</strong>ux niveaux d’innovation, <strong>de</strong>ux niveaux <strong>de</strong> prophétie,<br />

et <strong>de</strong>ux types d’intellectuels. Un niveau où jfloatiofl est si radicale<br />

dans la1 première moitié du XXème siècle. Debray A pourtawfr trop vite<br />

fait, noùs semble—t—il, <strong>de</strong> voir dans l’édition une nouvelle institution<br />

cohér<strong>en</strong>te, un nouvel “appareil idéologique”. Pour que l’édition noit<br />

<strong>en</strong> tant que telle productrice d’idéologie, il faudrait — telle est pré—<br />

cisém<strong>en</strong>t notre thèse — qu’elle soit une cléricature, au sein <strong>de</strong> laquelle<br />

puisse s décl<strong>en</strong>cher un proceuus <strong>de</strong> mémorisation culturelle et d’éla-.<br />

boration doctrinale. Ceci fle5t pas exclu a priori, et <strong>de</strong>vrait être éclai<br />

ré par ds étu<strong>de</strong>s spéciales, qui rest<strong>en</strong>t à faire. Jians l’état initial <strong>de</strong><br />

ianalysa, noue sonines frappé, au contraire, par les traits non—cléricaux<br />

<strong>de</strong> l’édijon: pluralisme et concurr<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>s maisons d’édition, caractère<br />

ponotuel et contractuel <strong>de</strong>s relations avec les auteurs. C’est par réaction<br />

contre lies dangers <strong>de</strong> pulvérisation inhér<strong>en</strong>ts à ces conditions économi<br />

ques <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong>s livres que sa sont constituées, dans les gran<strong>de</strong>s<br />

maisons d’édition françaises, <strong>de</strong>s revues (Tel Quel, Scilicet su Seuil...)<br />

<strong>de</strong> naturfe à apportèrune dim<strong>en</strong>sion cléricale aux publications. Dans cer<br />

tains ca’s, d’ailleurs les plus célèbres, la réalité cléricale <strong>de</strong> la revue<br />

a même rrécédé la fondation <strong>de</strong> la maison d’édition: la N.R.F., le Mercure<br />

<strong>de</strong> Prance... l,e fait massif <strong>de</strong>meure néanmoins: éditoriale<br />

est une institution peu structurée, peu intégrée, qui. réunit provisoire—<br />

Dans la pratique <strong>de</strong> la disputatio, le mnitre avance donc <strong>de</strong><br />

thèses (c’<strong>en</strong>t—ù—dire, dans notre vocabulaire, dan théories ayant une<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s individus qui rest<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dants. C’est une institution<br />

pour intellectuels.<br />

— 209 —<br />

quelle constitue un changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> paradigme et implique nécessaire<br />

m<strong>en</strong>t à terme une rupture institutionnelle; et un niveau où<br />

peut être intégrée dans l’institution, à la faveur d’un certain “jeu”<br />

<strong>de</strong> ses structures.<br />

Allons tout <strong>de</strong> suite à un exemple anci<strong>en</strong> et peut—être paradoxal,<br />

médiévale. Nous disons car cette université<br />

scholastique passe pour dogmatique, et ce ne5t pas sans raisons. Or<br />

il y n dans cette institution un type <strong>de</strong> discours qui comporte certains<br />

<strong>de</strong>s traits par lesquels noue avons défini 1e5j . L’univer—<br />

aité médiévale, aristotélici<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> cela, sait qu’il y a, dans le réel,<br />

bi conting<strong>en</strong>t. C’est peut—être cela qui lui fait admettre, dans la<br />

recherche <strong>de</strong>s ess<strong>en</strong>ces et <strong>de</strong>s définitions qui est le travail naturel<br />

<strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce et qui doit donner lieu à un oertain dogmatisme (puisque<br />

la nature et les ess<strong>en</strong>ces sont éternelles), une certaine pluralité<br />

<strong>de</strong>s approches et un certain inachèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lexpreesiofl• L”intellec—<br />

tuel” scholastique est ainsi fondé à proposer <strong>de</strong>s “thèses”, au lieu <strong>de</strong><br />

se cont<strong>en</strong>ter <strong>de</strong> répéter les “autorités”. La pratique <strong>de</strong> la disputato<br />

à partir <strong>de</strong> thèses a peut—être été <strong>en</strong> Europe, avant l’éclosion <strong>de</strong> l’hu<br />

manisme et <strong>de</strong>s Lumières, une première pédagogie <strong>de</strong> l’esprit critique.


— 210 — — 211 —<br />

pouv ir explicatif, une vertu interprétative, inédits). Certes, il<br />

est eul à pouvoir le faire: il y a contrêle et raréfaction dans la<br />

Produjction <strong>de</strong> “prophéties”. En revanche, une fois autorisé par l’ina—<br />

tituion qui lui a conféré le titre <strong>de</strong>IDocterI le maltre peut s’<strong>en</strong>—<br />

gager, avancer <strong>de</strong>s vérités nouvelles. Par la formule canonique, “res—<br />

pon<strong>de</strong> dic<strong>en</strong>dum...” il montre quil pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> charge et <strong>en</strong> responsabi<br />

lité a position qu’il définit finalem<strong>en</strong>t malgré l’incertitu<strong>de</strong> . n<br />

est vrai qu’il doit pouvoir à tout mom<strong>en</strong>t, et singulièrem<strong>en</strong>t s’il s’é—<br />

cartetrop <strong>de</strong> la norme, sout<strong>en</strong>ir ses positions <strong>de</strong>vant l’assem<br />

blée aes Dooteurs. trouve là ses limites. Néanmoins,<br />

grâceà cette capacité d’intégrer une certaine innovation, l’Université<br />

médiévale s’est révélée une institution viable et durable. Elle interdit<br />

l’aocs <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée et du débat public à qui n’est pas dûm<strong>en</strong>t et pré<br />

alablem<strong>en</strong>t qualifié par elle. Mais elle autorise, <strong>en</strong> son sein, la pro—<br />

duction intellectuelle. En codifiant l’expression <strong>de</strong> l’innovation, elle<br />

lui aasure même systématiquem<strong>en</strong>t une chance <strong>de</strong> développem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> cris—<br />

tallietioa dans l’esprit collectif.<br />

Cette tradition <strong>de</strong> la thèse créatrice a été reprise, mais dans<br />

un conexte totalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t, dans l’Université laïque—étatique du<br />

XIXème siècle. i3ergson, <strong>en</strong> 1882 <strong>en</strong>core, fait <strong>de</strong> son Essai sur les données<br />

immédites <strong>de</strong> la consci<strong>en</strong>ce (le titre est significatif: c’est un essai)<br />

sa thèe <strong>de</strong> doctorat d’Etat. Mais <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus <strong>de</strong>puis lors, après<br />

l’âge c’or <strong>de</strong> l’université républicaine, la “thèse” est <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ue discours<br />

I. Cf. cette déclaration <strong>de</strong> Luther <strong>en</strong> 1531 (citée par Marc Li<strong>en</strong>hard,Mar—<br />

tin ùither, Le C<strong>en</strong>turion — Labor et Pi<strong>de</strong>s, 1983, p. 35): “lToi, docteur<br />

liartin, j’ai été appelé et contraint à <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir docteur par pure obéis—<br />

san4e. J’ai dû accepter le doctorat et prêter serm<strong>en</strong>t à ma très chère<br />

<strong>de</strong> secon<strong>de</strong> main et exhibition d’érudition, sans production <strong>de</strong> schémas<br />

explicatifs nouveaux. La thèse a cessé d’avoir une valeur théoriguè.<br />

Ce qui revi<strong>en</strong>t à dire que l’intellectuel et le sci<strong>en</strong>tifique créatif<br />

ont été db moins <strong>en</strong> moins <strong>de</strong>s personnages admis à l’université, proces<br />

sus <strong>de</strong> sclérose à mettre <strong>en</strong> rapport avec le développem<strong>en</strong>t corrélatif<br />

<strong>de</strong>s “grands plus souples dans leur recrutem<strong>en</strong>t et leurs<br />

structures, et avec la t<strong>en</strong>dance <strong>de</strong>s intellectuels à “investir” dans<br />

l’édition et la presse.<br />

Eoriture sainte et promettre <strong>de</strong> la prcher et <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>seigner fidèlem<strong>en</strong>t<br />

et puremonrt... Alors que j<strong>en</strong>seignais ainsi, la papauté m’est dressée<br />

sur mon chemin et a prét<strong>en</strong>du me l’interdire. Sur ce il lui est arrivé<br />

ce qu’on peut voir. Ce sera <strong>en</strong>core pire. Ils ne pourront se déf<strong>en</strong>dre<br />

vis—à—vis <strong>de</strong> moi. Au nom <strong>de</strong> Dieu et par vocation je veux marcher sur<br />

les lions et les vipères”.<br />

I. Nous revi<strong>en</strong>drons longuem<strong>en</strong>t sur l’<strong>en</strong>memble <strong>de</strong> ces questions dans<br />

l’article que nous consacrerons prochainem<strong>en</strong>t, dans le cadre <strong>de</strong> la pré<br />

s<strong>en</strong>te recherche, à l’Université littéraire française.


— 212 —<br />

a) L’ nielleotuel intervi<strong>en</strong>t ponctuellem<strong>en</strong>t dans le débat publia.<br />

Le raie <strong>de</strong> la presse.<br />

Rappelons les catégories que noua avons posées. L’intelleo—<br />

tuel est un homme d’action. , cçmme l’homme politique, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu’il<br />

a la V ionté explicite <strong>de</strong> changer le cours <strong>de</strong>s choses, qu’il croit non<br />

<strong>en</strong>tièr m<strong>en</strong>t déterminé. Il croit qu’il existe <strong>de</strong>s problèmes nouveaux<br />

pour 1 squels une solution n’existe pas telle quelle dans le trésor<br />

<strong>de</strong> la émoire.<br />

Mais cette s<strong>en</strong>sibilité à l’actualité comme telle peut s’ex<br />

primer à <strong>de</strong>s rythmes différ<strong>en</strong>ts. Le livre, l’essai, suppos<strong>en</strong>4 un délai<br />

d’éori e et <strong>de</strong> publication. Ecrire un livre est un investissem<strong>en</strong>t<br />

inteli tuel, sooial et psyohologlque tel que l’intellectuel qui fait<br />

cet in stissern<strong>en</strong>t doit normalem<strong>en</strong>t avoir pour ambition que son livre<br />

reste 1 ngtemps une référ<strong>en</strong>ce. On n’écrit donc un essai que pour résou<br />

dre un roblème durable et proposer <strong>de</strong>s solutions durables.<br />

Mais il est clair que l’actualité prés<strong>en</strong>te <strong>de</strong> rythmes plus<br />

rapi<strong>de</strong>s et que l’interv<strong>en</strong>tion “prophétique” doit pr<strong>en</strong>dre alors une au<br />

tre for e — sans changer cep<strong>en</strong>dant <strong>de</strong> nature, <strong>de</strong> fonction et d’int<strong>en</strong><br />

tion. G est dono <strong>en</strong> tant que tel que l’intellectuel intervi<strong>en</strong>t dans<br />

le débat publia, singulièrem<strong>en</strong>t sur le support <strong>de</strong> la presse — qui elle—<br />

marne se définit partiellem<strong>en</strong>t par sa capacité à servir <strong>de</strong> support à<br />

<strong>de</strong> telles interv<strong>en</strong>tions.<br />

Nous. avons rangé dans le chapitre sur les essais les inter<br />

v<strong>en</strong>tions sous farine d’articles <strong>de</strong> revues. Il y a peut—atre quelque<br />

arbitra e dans cette option. En matière <strong>de</strong> publication périodique,<br />

toutes les formules et tous les cas intermédiaires exist<strong>en</strong>t. Une revue<br />

m<strong>en</strong>suelle ou marne bi—m<strong>en</strong>suelle donnant une large place à l’actualité<br />

peut atre le lieu normal d’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l’intellectuel. Cela a été<br />

le cas, par exemple, dana la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’après—guerre, avec les revues<br />

Esprit, Les Temps mo<strong>de</strong>rnes, la Nouvelle Critique, etc.<br />

On asigte néanmoins, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ou une déc<strong>en</strong>nies, à une<br />

diminution du rêle <strong>de</strong>s revues — sauf <strong>de</strong>s revues “disciplinaires”,<br />

réalités institutionnelles cléricales donnant lieu à une collectivisa<br />

tion d’idées et à un travail d”agglutination” doctrinale. Mais les<br />

revues d’actualité, ou si l’on veut les organes <strong>de</strong> presse se prés<strong>en</strong><br />

tant matériellem<strong>en</strong>t sous la forme fascicule imprimé avec soin<br />

et paraissant à un rythme par exemple m<strong>en</strong>suel, se font rares <strong>en</strong> France.<br />

Tel Quel, Comm<strong>en</strong>taire, le Débat ont une parution plus espacée que les<br />

précé<strong>de</strong>nts exemples cités, Esprit a dt lui—marne eopacer ses livraisons<br />

par rapport à l’époque <strong>de</strong> l’immédiat apràs_guezreW.<br />

Cette évolution est due sans doute à l’inflation <strong>de</strong> la presse<br />

proprem<strong>en</strong>t dite, à l’augm<strong>en</strong>tation quantitative du lectorat <strong>de</strong>s produc<br />

tions intellectuelles liée à une certaine diminution qualitative et<br />

à la relative dispersion <strong>de</strong>s “élites” qui lisai<strong>en</strong>t les revues.<br />

Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, l’intellectuel qui veut interv<strong>en</strong>ir dans<br />

l’actualité doit le faire surtout aujourd’hui dans la presse, écrite<br />

ou audiovisuelle. Eoaarons <strong>de</strong> préoieer les modalités <strong>de</strong> l’interv<strong>en</strong>tion<br />

<strong>de</strong> l’intellectuel et sa spécificité parmi les divers types d’articles<br />

ou d’interv<strong>en</strong>tions qui ne sont pas <strong>de</strong> l’information pure.<br />

Dans une étu<strong>de</strong> à paraître sur la presse, dont nous ne pouvons<br />

I. Sur leu intellectuels et les revues, cf. les réflexions <strong>de</strong> Pierre<br />

Nom, Le Débat n°1 et 19.<br />

— 213 —


epr<strong>en</strong>dre<br />

tion rem<br />

alité cor<br />

quand au<br />

aux intel<br />

dootrine<br />

— 2h1: —<br />

ici que quelques élém<strong>en</strong>te, nous avions qualifié la fonc-.<br />

lie par les interprètes et comm<strong>en</strong>tateurs réguliers do l’actu—<br />

:e “prédication”. Il est important <strong>de</strong> distinguer, au moins<br />

rincipe, <strong>en</strong>tre cette fonction et celle <strong>de</strong> “prophétie”, propre<br />

ectuels.<br />

suppose<br />

La “prédication”, disons—nous dans cette étu<strong>de</strong>,/un corps <strong>de</strong><br />

rur lequel s’appuie le comm<strong>en</strong>tateur’, qui lui sert <strong>de</strong> grille<br />

d’interpi étation, à travers lequel il lit l’actualité et dorme s<strong>en</strong>s<br />

à l’événe<br />

logie <strong>de</strong>,<br />

nem<strong>en</strong>t, m<br />

tionnoli,<br />

inv<strong>en</strong>te<br />

théorie<br />

D’ autre<br />

se réére<br />

publiés,<br />

du poids<br />

cation” e<br />

temporais<br />

propres s<br />

<strong>de</strong> dootri<br />

lequel ji<br />

I. Les p<br />

la sés<br />

relle<br />

velle<br />

ont. Le “prophète”, lui, est situé plus haut dans la génda—<br />

olérioatures et <strong>de</strong>s cultures. Lui aussi donne s<strong>en</strong>s à l’évé-.<br />

is os n’est pas <strong>en</strong> fonction d’une doctrine antérieure tradi—<br />

et établie; O’est <strong>en</strong> fonction d’une théorie originale, qu’il<br />

doisésont pour l’occasion. Certes, nous l’avons vu, cette<br />

e5 pas créée ex nihilo et elle n <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>ts culturels.<br />

art l’intellectuel qui intervi<strong>en</strong>t dans la presse peut aussi<br />

implicitem<strong>en</strong>tà ses propres livres—essais précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t<br />

qui lui confèr<strong>en</strong>t l’autorité dont il use maint<strong>en</strong>ant pour donner<br />

L sOfl propos. Néanmoins le principe est différ<strong>en</strong>t: la “prédi—<br />

st <strong>en</strong> aval <strong>de</strong> la doctrine, la “prophétie” <strong>en</strong> amont.<br />

Nous signalons, dans la mme étu<strong>de</strong>, que dans la presse con—<br />

o les “prédicateurs” ont cette particularité et ce handicap,<br />

BflS doute à l’époque, <strong>de</strong> avojr pas, précisém<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> corps<br />

ne relativem<strong>en</strong>t complet, stable, cohér<strong>en</strong>t et cons<strong>en</strong>suel sur<br />

s puiss<strong>en</strong>t eappuyer pour juger lactualjt t nous disons<br />

inoipes <strong>de</strong> notre analyse <strong>de</strong> la presse ont été exposés dans<br />

du 10/3/83 du Séminaire “Reproductions et Ruptures cultu—<br />

“ du C.R.E.A. Cf. aussi notre bref article, “La Presse, noc—<br />

Nglise?”, Spirales n°2—3, 1980.<br />

que, puisqu’ils doiv<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant la juger., ils sont souv<strong>en</strong>t, dans<br />

leurs jugem<strong>en</strong>ts, superficiels et versatiles. Nous ajoutons que dans<br />

ces conditions les meilleurs Comm<strong>en</strong>tateure <strong>de</strong> la presse française<br />

aotuelle doiv<strong>en</strong>t être surtout ceux parmi les journalistes qui ont<br />

reçu urne formation cléricale classique et l’ont <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue par le<br />

travail, les lectures, les débats d’idées. Cette formation peut ttre<br />

humaniste, chréti<strong>en</strong>ne, marxiste ou autre, l’important étant simplemomd,<br />

le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> structuration <strong>de</strong> la culture héritée. t nous citons <strong>de</strong>s<br />

noms: Clavel, Aron, Revel, Suffert, Daniel, Pauwele, Dom<strong>en</strong>ach, d’Ormes-.<br />

son, ICriegel, Tesson,, July-, Boissonat, etc... , qui sont tous, à<br />

différ<strong>en</strong>ts <strong>de</strong>grés, <strong>de</strong>s diplmé<br />

(I)<br />

5 <strong>de</strong> l’université ou <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s écoles<br />

cléricales, <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> livres, par différ<strong>en</strong>ce avec les journalis<br />

tes ayant reçu seulem<strong>en</strong>t une formation professioell<br />

spécialisée.<br />

— 215 —<br />

0 technique et<br />

Ce n’est pas un hasard si ces noms sont aussi pour partie<br />

<strong>de</strong>s noms d’intellectuels. Il résulte <strong>en</strong> effet <strong>de</strong>s considérations pré<br />

cé<strong>de</strong>ntes qui1 doit y avoir, <strong>en</strong> temps <strong>de</strong> changem<strong>en</strong>ts culturels rapi<strong>de</strong>s<br />

et singuljèreme <strong>de</strong> mutations rapi<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s institutions oléricalem,<br />

un écrasem<strong>en</strong>t du phénomène <strong>de</strong> inorphog<strong>en</strong>èse <strong>de</strong>s doctrines, c’est—à—dire<br />

un rapprochem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la “prophétie” et <strong>de</strong> la “prédication” par non—déve<br />

loppem<strong>en</strong>t du niveau intermédiaire doctrinal et académique. Le prophète,<br />

à peine a—t—il forgé sa théorie, la proche; et le prédicat, <strong>de</strong>vant<br />

interpréter l’actualité, inv<strong>en</strong>te au jour le jour <strong>de</strong>s théories md hoc<br />

qui puiss<strong>en</strong>t lui donner s<strong>en</strong>s. Il est donc certain que la culture con—<br />

I. Ces exemples et ces noms sont pris dans la réalité française contem<br />

poraine, ce qui limite, certes, la portée <strong>de</strong>s schémas ici prés<strong>en</strong>tés.<br />

Il faudra ét<strong>en</strong>dre plus tard l’analyse.


—216—<br />

temporaine doit comportar beaucoup <strong>de</strong> personnalités qui soi<strong>en</strong>t à la<br />

fois <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>tateurs <strong>de</strong> presse (=prédicateurs) et <strong>de</strong>s intellectuels<br />

(.=prophètes), avec différ<strong>en</strong>ts “dosages” <strong>en</strong>tre l’un et l’autre type <strong>de</strong><br />

dieoour<br />

Il. est pourtant nécessaire <strong>de</strong> maint<strong>en</strong>ir le principe m,ue <strong>de</strong><br />

la disti ction car c’est bi<strong>en</strong> elle qui permet <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong><br />

l’existe ce, dans la presse, <strong>de</strong> discours <strong>de</strong> comm<strong>en</strong>taire <strong>de</strong> statut<br />

différ<strong>en</strong> . Réfléchiaons <strong>en</strong> effet à ce que signifie la distinction,<br />

régulièr m<strong>en</strong>t et spontaném<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ue au sein <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> presse,<br />

<strong>en</strong>tre <strong>de</strong> “papiers” tels que: éditoriaur, chroniques, “bloc—notes”,<br />

“feuille ons”, articles <strong>de</strong> fond, libres opinions, tribunes libres,<br />

intervie’s <strong>de</strong> personnalités.<br />

Les quatre premiers sont <strong>de</strong> périodicité régulière. L’édito<br />

rial, mi é ou non, émane <strong>de</strong> la direction du journal ou est du moins<br />

c<strong>en</strong>sé re és<strong>en</strong>ter l’opinion principale <strong>de</strong> la rédaction. C’est lui que<br />

concerne t d’abord les remarques sur la fonction prédicative <strong>de</strong> la<br />

prease. mi les noms cités, Revel, Daniel, Pauwela, etc., sont jour—<br />

nalimtea rofessionnels, directeurs ou membres <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong> leurs<br />

journnex. La chronique, elle (et ses variantes: feuilleton, bloc—notes<br />

etc.), a n m%me fonction prédicative, maie son auteur est souv<strong>en</strong>t,<br />

professio ellem<strong>en</strong>t, extérieur au journal et membre d’une clérioature,<br />

par exemp e professeur. C’est pourquoi c’est à la chronique quon peut<br />

appliquer le plus maturellein<strong>en</strong>t l’image <strong>de</strong> la “prédication” empruntée<br />

au vocabu aire <strong>de</strong>s cléricatures religieuses (mais l’éditorial est aussi<br />

prédicati n, et c’est bi<strong>en</strong> ce paradoxe qui nous conduit à poser la<br />

question e na nature cléricale <strong>de</strong> cette nouvelle institution culturelle<br />

— 217—<br />

<strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité qu’est la presse).<br />

Le chroniqueur est c<strong>en</strong>sé parler <strong>de</strong> l’actualité à intervalles<br />

réguliers, à mom<strong>en</strong>ts fixes et conv<strong>en</strong>us. Il eet donc <strong>en</strong> position passive<br />

<strong>de</strong>vant l’actualité. Il l’att<strong>en</strong>d, il. <strong>en</strong> est spectateur; quand elle vi<strong>en</strong>t,<br />

il la juge. 11 est, <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s, tout à fait dans la situation du curé<br />

<strong>en</strong> chaire qui comm<strong>en</strong>te, le dimanche, <strong>de</strong>vant sa paroisse, les événem<strong>en</strong>ts<br />

<strong>de</strong> la semaine. Le curé fait ce comm<strong>en</strong>taire à la lumière <strong>de</strong> la doctrine<br />

chréti<strong>en</strong>ne. Le chroniqueur, <strong>de</strong> mime, exprime une culture fixe, év<strong>en</strong>tuel<br />

lem<strong>en</strong>t une doctrine (marxisme, monarchisme...), plus largem<strong>en</strong>t une<br />

tradition (démocratie chréti<strong>en</strong>ne...) ou une “famille d’idées”. On<br />

s’intéresse d’ailleurs à ce qu’il va dire notamm<strong>en</strong>t pour oetta raisons<br />

l’opinion éclairée pr<strong>en</strong>ant comme une information, <strong>en</strong> soi significative,<br />

le fait que telle famille d’idées, par la médiation d’un ohroniqueur<br />

plus ou moins attitré, ait pris telle position sur tel événem<strong>en</strong>t.<br />

Les chroniques <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière page <strong>de</strong> “La Croix” exprim<strong>en</strong>t<br />

l’opinion <strong>de</strong> “gran<strong>de</strong>s consci<strong>en</strong>ces catholiques”. ti<strong>en</strong>ne Borne <strong>en</strong> est<br />

l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers et rares représ<strong>en</strong>tants. !I!outea les familles<br />

constituées <strong>de</strong>puis un certain temps, ayant une tradition, une “vision<br />

du mon<strong>de</strong>”, qUand elles dispos<strong>en</strong>t d’une publication périodique, ont <strong>de</strong>s<br />

chroniques, <strong>de</strong> Révolution à Aspects <strong>de</strong> la ranoe et à l’Unité, <strong>en</strong> pas<br />

sant par lea Mglieem, par la Libre p<strong>en</strong>sée et la Franc—Maonneri. qui<br />

ont leurs chroniques orales tous les dimanche matin sur France—Culture.<br />

Mais le g<strong>en</strong>re “chronique” peut exprimer <strong>de</strong>s traditions moins<br />

nettes et moine fixes, <strong>de</strong>siélém<strong>en</strong>ts doctrinaux plus flottants, qui<br />

n’ont pas la consistance que fournit une institution indép<strong>en</strong>dante comme<br />

un Parti, une aesooiatioxr, un sy-ndioat ou une secte. Bertrand Poirot—


— 218 —<br />

De1peh, dans le Mon<strong>de</strong>, est lui aussi un chroniqueur, bi<strong>en</strong> qu’il repré-.<br />

s<strong>en</strong>ite une tradition moins facilem<strong>en</strong>t i<strong>de</strong>ntifiable, moine cléricale et<br />

moine anci<strong>en</strong>ne que dans les cas précé<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t cités. Les lecteurs <strong>de</strong><br />

son jcurnal att<strong>en</strong><strong>de</strong>nt néanmoins <strong>de</strong> lui le jugem<strong>en</strong>t, à propos <strong>de</strong> l’évé—<br />

nem<strong>en</strong> politico—littérai.re <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong>, d’une certaine olasse intel—<br />

lectu 11e parisi<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> gauche qui n déjà ses valeurs fixes, pour ne<br />

pas dire ses préjugés et ses conv<strong>en</strong>ances do paroisse.<br />

s<strong>en</strong>ta<br />

niques<br />

taire<br />

I.e papier hebdomadaire <strong>de</strong> Raymond Aron dans l’Express ropré—<br />

‘t sans doute un cas intermédiaire <strong>en</strong>tre l’éditorial et la chro—<br />

ce que corrobore le fait qu’Aron soit toujours resté universi—<br />

<strong>en</strong> mème temps qu’il exerçait le journalisme à titre professionnel.<br />

Il y a bi<strong>en</strong>, çà et là et <strong>de</strong> tempe <strong>en</strong> temps, dans la presse,<br />

<strong>de</strong>s j nalisteø “purs”, sans formation et activité cléri<br />

cales poussées, qui veul<strong>en</strong>t se faire chroniqueurs et seulem<strong>en</strong>t tels.<br />

Citons le cas extrême <strong>de</strong>s anci<strong>en</strong>nes Nouvelles littéraires où chaque<br />

chef ci rubrique voulait avoir sa chronique, ce qui faisait une dizaine<br />

<strong>de</strong> maitres à p<strong>en</strong>ser “prêchant” chaque semaine. Citons le cas <strong>de</strong> Roger<br />

Gicque<br />

l’info:<br />

logues<br />

sur <strong>de</strong><br />

besoin<br />

celui<br />

qui spontaném<strong>en</strong>t s’est fait <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus comm<strong>en</strong>tateur do<br />

mation qu’il <strong>de</strong>vait prés<strong>en</strong>ter. Citons, à la radio, les cas ana—<br />

<strong>de</strong> Cuy Thomae, André Arnaud, à qui la pratique <strong>de</strong> l’information<br />

longues années a donné <strong>de</strong> la “bouteille” et qui ont éprouvé le<br />

légitime <strong>de</strong> traduire leur réflexion sur un plan différ<strong>en</strong>t <strong>de</strong><br />

e l’information pure.<br />

En général, cep<strong>en</strong>dant, ce mouvem<strong>en</strong>t spontané ne va pas <strong>en</strong>core<br />

très lin <strong>en</strong> Franco. Le journaliste qui veut se faire chroniqueur est<br />

— 219 —<br />

<strong>en</strong>oore perçu comme la gr<strong>en</strong>ouil1 qui veut se faire aussi grosse que<br />

le boeuf. Il faut, <strong>en</strong> fait, qu’il passe par un sta<strong>de</strong> intermédiaire<br />

capital, le livre. Quand il aura écrit plusieurs livres et que ceux—ci<br />

auront manifesté une culture vaste et structurée, il aura acquis une<br />

légitimité “cléricale” et c’est seulem<strong>en</strong>t alors qu’il pourra “prêcher”<br />

valablem<strong>en</strong>t. Ce n’est pas pour autant, notons—le, que le journaliste<br />

Sera <strong>de</strong>vepu un “intellectuel”, car cette qualité est liée à une capa<br />

cité d’inv<strong>en</strong>tion (qu’il peut possé<strong>de</strong>r par ailleurs: songeons à l’iti<br />

néraire d’un F. <strong>de</strong> Olosets, journaljse <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u “prophète”), et non,<br />

ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t, à une oompét<strong>en</strong>oo.<br />

La compét<strong>en</strong>ce pure, dans la presse, s’exprime par un autre<br />

type <strong>de</strong> papier, l’article <strong>de</strong> fond L’article <strong>de</strong> fond est oeuvre<br />

d’expert. Il est fait, <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus, et surtout dans les grands<br />

organes <strong>de</strong> presse, par un clerc ou un technici<strong>en</strong> <strong>de</strong>vanti journaliste<br />

professionnel, ou par <strong>de</strong>s journalistes qui ont acquis une oàmpét<strong>en</strong>oe<br />

au fil dès ans dans une rubrique spécialisée. Dans certains domaines,<br />

ces compét<strong>en</strong>ces, <strong>en</strong>richies par une information directe, t<strong>en</strong>ue constam<br />

m<strong>en</strong>t à jour et conservée avec soin et organisatjon, font <strong>de</strong> la presse<br />

une concurr<strong>en</strong>te sérieuse d’institutions universitaires ou administra<br />

tives. Les étudiants et chercheurs (<strong>en</strong> histoire contemporaine, <strong>en</strong> sci<strong>en</strong><br />

ces politiques, <strong>en</strong> économie ou <strong>en</strong> sociologie) le sav<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>, qui ont<br />

recours <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus souv<strong>en</strong>t à 0es grands c<strong>en</strong>tres docum<strong>en</strong>taires<br />

que sont les archives <strong>de</strong>s principaux journaux et organismes audio—visuels,<br />

<strong>de</strong> préfér<strong>en</strong>ce aux bibliothèques universitaires.<br />

Néanmoins le savoir <strong>de</strong>s experts est, par définition, <strong>de</strong><br />

I. Â ne pas confondre avec le papier rnagazi1I, qui relève <strong>de</strong> la fonc<br />

tion informative <strong>de</strong> la presee ni avec l’article <strong>de</strong> vulgarisation,<br />

dont la logique est <strong>en</strong>core différ<strong>en</strong>te, puisqu’il, supposa, <strong>en</strong> amont,<br />

un savoir fortem<strong>en</strong>t structuré.


aeoon,<br />

vité<br />

déveli<br />

il SO<br />

probab<br />

relies<br />

liste<br />

l’info<br />

presse<br />

précis<br />

Le pap<br />

nal ou<br />

ou d’ut<br />

— 220 —<br />

o main. L’expert est celui qui sait avec précision et exhausti—<br />

ce qui se sait” sur wi sujet donné, il n’est pas <strong>de</strong> ceux qui<br />

ppeivt ce savoir et le font progresser. S’il <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t tel,<br />

it ipso facto <strong>de</strong> son rûle <strong>de</strong> journaliste, et s’y s<strong>en</strong>t<br />

lem<strong>en</strong>t mal à l’aise dans la mesure où le oréatour aspire natu—<br />

ont à parier <strong>en</strong> son nom propre, ce que ne peut faire le journa—<br />

,tandsrd, qui par position ne peut se donner comme source <strong>de</strong><br />

mation qu’il trsnsmat.<br />

+<br />

++<br />

L’interv<strong>en</strong>tion <strong>de</strong> l’intellectuel <strong>en</strong> tant que tel dana la<br />

ne sera donc, <strong>en</strong> général e-t s’il faut gar<strong>de</strong>r aux mots leur<br />

.on, ni l’éditorial, ni la chronique, ni l’article <strong>de</strong> fond.<br />

er—type <strong>de</strong> l’intellectuel, c’est l’article ponctuel (<strong>de</strong> jour—<br />

<strong>de</strong> revue, peu importe), écrit <strong>en</strong> fonction d’une circonstance<br />

événem<strong>en</strong>t particuliers.<br />

C’est le “J’aoausel” d’Enile Zola dans l’Aurore. Ce sont<br />

les ariolos <strong>de</strong> Sartre p<strong>en</strong>dant la guerre d’Algérie. C’eut l’apologie<br />

(exemp o <strong>de</strong> “bavure”, certes...) <strong>de</strong> Khomeyni par Ilichel Fouoault<br />

dans l Mon<strong>de</strong>.C’eat le fils, <strong>de</strong> Manrioe Clavel réalisé à la télévision<br />

par Al xandro Astruo (“Le soulèvem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la vie”) et préaédanrt son<br />

éclat “Messieurs les c<strong>en</strong>seurs, Bonsoiri”). Autrem<strong>en</strong>t dit, 1’inte1leo<br />

tuel o oisit scu mom<strong>en</strong>t pour interv<strong>en</strong>ir, et il choisit djrvefljr<br />

I. Il audrait cep<strong>en</strong>dant consacrer une étu<strong>de</strong> spéciale à la produotion,<br />

par certains organes <strong>de</strong> presse, d’un savoir politique et aocio—éco—<br />

nom4que spécifique que ne produit aucune autre institution soi<strong>en</strong>ti—<br />

fiqte situation d’émerg<strong>en</strong>ce spontanée d’une institution olérioale<br />

hor <strong>de</strong> cléricatures explicitem<strong>en</strong>t organisées comme telles et spé<br />

cialem<strong>en</strong>t hors do la oléricature laïque—étatique, phénomène riche<br />

<strong>de</strong> qonséqu<strong>en</strong>ces pour l’av<strong>en</strong>ir.<br />

— 221 —<br />

En effet, si l’intellectuel est celui qui propose publique<br />

m<strong>en</strong>t une thèse, dans l’idée <strong>de</strong> changer le coure <strong>de</strong>s choses; s’il le<br />

fait parue quil sait qu’il est le seul ou un <strong>de</strong>s rares à pouvoir ou<br />

à oser dire ce qu’il n à dire — il ne peut interv<strong>en</strong>ir, par définition,<br />

qu’<strong>en</strong> fonotion d’une ciroone-tanoe singuiière. On s<strong>en</strong>t là, notamm<strong>en</strong>t,<br />

la différ<strong>en</strong>ce avec la chronique périodique. Le prédicateur, disions—<br />

nous, est passif <strong>de</strong>vant (mme s’il veut indirectem<strong>en</strong>t agir<br />

sur lui) dans la mesure où sa culture structurée <strong>de</strong>meure là, par <strong>de</strong>rriè<br />

re, quoi qujl arrive. Il n toujours quelque chose à dire, et c’est<br />

souv<strong>en</strong>t le choix <strong>de</strong> son sujet qui lui pose problème. Il s <strong>en</strong> effet,<br />

au s<strong>en</strong>e propre, du choix. POur réaffirmer la doctrine, il<br />

peut pr<strong>en</strong>dre prétexte, dans l’actualité, d’un certain nombre d’événe-.<br />

m<strong>en</strong>te équival<strong>en</strong>ts qui feront aussi bi<strong>en</strong> laffajre, à <strong>de</strong>squels<br />

il pourra faire une démonstration qui aboutira à réaffirmer la valeur<br />

<strong>de</strong> la doctrine ou la force <strong>de</strong> la famille d’idées qu’il représ<strong>en</strong>te.<br />

En mime temps, aucun <strong>de</strong> ces sujets possibles ne ejpo5p vraim<strong>en</strong>t.<br />

L’intellectuel, lui, est tourm<strong>en</strong>té non par le choix<br />

sujet qui puisse mettre <strong>en</strong> valeur une solution dont on dispose déjà,<br />

mais par la difficulté <strong>de</strong> découvrir une solution adéquate à u problème<br />

nouveau qui s’impose <strong>de</strong> lui—mtme. Par son article, ii va r<strong>en</strong>dre publi<br />

que, non une “culture” <strong>de</strong> valeur générale et durable, mais une solution<br />

X. Glaire différ<strong>en</strong>ce avec la prédication. Soit par exemple le propa<br />

gandiste, l’intellectuel (mal nommé) <strong>de</strong>s partis totalitaires. Celui—<br />

là ne parle pas <strong>en</strong> son nom; ii est interchangeable; il est soumis<br />

à l’autorjté du Parti, tant sur le cont<strong>en</strong>u du message que sur l’oppor—<br />

tunité <strong>de</strong> l’interv<strong>en</strong>tion. Il n’y a donc pas, stricto s<strong>en</strong>su, d”intel—<br />

leotuels communistes” (mme s’il. y <strong>en</strong> a eu dans le paiiJ Ii n’y s<br />

que <strong>de</strong>s prédicateurs <strong>de</strong> la doctrine communiste.


spécifiqu<br />

— 222 —<br />

au problème qui se pose. Il n’a donc pas toujoura quelque<br />

chose à d Lre: car il faut précisém<strong>en</strong>t qu’il ait trouvé la solution,<br />

ce qui flj ,rrive pas toujours et <strong>en</strong> particulier ne se comman<strong>de</strong> pas.<br />

Journalistiquern<strong>en</strong>st parlant, l’intellectuel écrira dono <strong>de</strong>s<br />

“libres o 3inions”, <strong>de</strong>s “tribunes”, il <strong>en</strong>verra une “correspondance” ou<br />

donnera u te “interview”. Ou, s’il est connu, il fera un article dont<br />

le g<strong>en</strong>re<br />

t’est rnme pas explicité par la rédaction à l’ai<strong>de</strong> d’un. <strong>de</strong><br />

ces terme 3 maie dont la signature, à elle seule, révélera la fonction.<br />

l’auteur<br />

La disjonotion que noua opérons ioi <strong>en</strong>tre le chroniqueur et<br />

te tribunes libres se retrouve à un niveau plus profond. Le<br />

chronique ir, <strong>en</strong> tant que prédicateur, est, nous l’avons dit, une sorte<br />

<strong>de</strong> clerc.<br />

mais il n<br />

L’intellectuel, <strong>en</strong> tant que prophète, peut aussi être olero,<br />

l’est pas nécessairem<strong>en</strong>t. Amos est berger. N’importa qui<br />

sachant é rire peut produire dans la presse une libre opinion. Et mime,<br />

à la limi Le, quelqu’un ne sachant pas écrire. On peut interviewer un<br />

illettré<br />

(Mo!se était bègue). C’est mime, à y réfléchir, un cas fréqu<strong>en</strong>t<br />

aujourdh ai. Beaucoup d’hommes politiques, <strong>de</strong> chefs d’<strong>en</strong>treprise, <strong>de</strong><br />

syndicali ites, <strong>de</strong> sportifs, <strong>de</strong> savants, d’artistes, etc., donn<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

interview s qui peuv<strong>en</strong>t ètre “prophétiques” au s<strong>en</strong>s que nous avons donné<br />

au mot. N éanmoins ils sont “illettrés” au s<strong>en</strong>s où ils ne possè<strong>de</strong>nt pas<br />

le savoir<br />

m<strong>en</strong>t, que<br />

technique <strong>de</strong> l’écrit ou <strong>de</strong> la parole bi<strong>en</strong> composés rhétorique—<br />

possè<strong>de</strong>nt le professeur ou le journaliste. Ils se ser’.r<strong>en</strong>t<br />

donc du e avoir technique <strong>de</strong> ceux—ci: normali<strong>en</strong>s écrivant les discours<br />

<strong>de</strong>s homme<br />

s politiques, journalistes réalisant <strong>de</strong>s interviews et “rewri—<br />

— 223 —<br />

tant” les textes. Cela ne change ri<strong>en</strong> au fait que, dans son fbnd, le<br />

discours a bi<strong>en</strong> pour auteur l’homme politique, etn., et<br />

que c’est <strong>en</strong> tant que tel qui1 n une valeur “prophétique”. La pro—<br />

phétie est création, solution inédite à <strong>de</strong>s problèmes nouveauxj elle<br />

suppose un esprit “génial”, non une technique d’expression déterminée.<br />

L’”oraole” vi<strong>en</strong>dra souv<strong>en</strong>t ainsi <strong>de</strong> personnalités non cléri<br />

cales mais ayant acquis une autorité dana un domaine professionnel<br />

précis, et ayant, <strong>de</strong> temps à autre ou une seule fbis, quelque chose<br />

à dire”. Les médècins, par exemple, ont ainsi souv<strong>en</strong>t eu ces <strong>de</strong>rnières<br />

années <strong>de</strong>s comportem<strong>en</strong>ts d’intellectuels etvécrit <strong>de</strong>s essais ou simple<br />

m<strong>en</strong>t donné <strong>de</strong>s interviews sur <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> seciété: ceux qui in<br />

téress<strong>en</strong>t à quelque <strong>de</strong>gré la mé<strong>de</strong>cine, mais aussi d’autres (nsmburger’,<br />

Bernard, Sohwartz<strong>en</strong>berg, ICouchner). Le chef’ <strong>de</strong>ntreprise qui intervi<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> politique (Leolero, Lévtqne), l’artiste qui intervi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> politique<br />

4ontand) ou sur un problème social (Bardot), le savant qui parle <strong>de</strong><br />

société (Chauvin) ou tie religion (Icastier’), etc., empliss<strong>en</strong>t les colon<br />

nes <strong>de</strong> la presse et, outre qu’ils rehauss<strong>en</strong>t considérablem<strong>en</strong>t l’intérêt<br />

subjectif <strong>de</strong> sa leoture, fbnt la fbroe culturelle <strong>de</strong> la presse dans la<br />

mesure où ils contribu<strong>en</strong>t à changer’ les “patteras” idéologiques <strong>de</strong> base.<br />

C’est par eux que les idées nouvelles arriv<strong>en</strong>t et que les mouvem<strong>en</strong>ts<br />

d’opinion comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t — mime ai ce n’est pas par eux que oes m)mes mou<br />

vem<strong>en</strong>ts “pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t corps”: ici <strong>en</strong>core noue <strong>de</strong>vons r<strong>en</strong>voyer à notre ana<br />

lyse ultérieure <strong>de</strong> la “cristallisation” o’ldricale. Ce sont, au plein<br />

s<strong>en</strong>s du terme, <strong>de</strong>s intellectuels.


— 22!4 —<br />

L’interv<strong>en</strong>tion dans la presse sous la forme <strong>de</strong> tribunes libres<br />

et d’in erviews admet eUe—même plusieurs types, plusieurs rythmes.<br />

Maurioe Clavel griffonnait vers huit heures du soir <strong>de</strong> brèves fulmina<br />

tions q j paraissai<strong>en</strong>t le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main matin dans Combat. Joan—Clau<strong>de</strong> Mil—<br />

ner a d nné il y a quelque temps au Quotidi<strong>en</strong> <strong>de</strong> Paris une interview<br />

d’une double page, où l’anci<strong>en</strong> dirigeant inaoTate, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u un linguiste<br />

estimé, attaquait avec: virul<strong>en</strong>ce le régime sooialo—communietei manifes<br />

tation gpectaculaire et apparemm<strong>en</strong>d unique, faisant suite à un long si<br />

l<strong>en</strong>ce. ernand—H<strong>en</strong>ry Lévy s’est essayé dans le Matin au rythme hebdoma<br />

daire d la chronique, mais sa nature d’intellectuel “activiste” a repris<br />

le <strong>de</strong>s s: il raréfie ses interv<strong>en</strong>tions pour leur donner plus <strong>de</strong> poids.<br />

Il va <strong>de</strong> soi que selon leur tempéram<strong>en</strong>t les intellectuels<br />

seront lue ou moins t<strong>en</strong>tée dans l’actualité et que pour<br />

uni temp su<strong>en</strong>t donné ils arbitreront différemm<strong>en</strong>it, selon les époques,<br />

<strong>en</strong>tre l’interv<strong>en</strong>tion immédiate — dévoreuse malgré tout <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong><br />

temps — t le livre, <strong>en</strong>tre l’effet immédiat et l’effet sur le long<br />

terme — uoique le grand intellectuel soit précisém<strong>en</strong>t celui qui, tel<br />

Zola, s<strong>en</strong>t qu’une interv<strong>en</strong>tion immédiate est <strong>de</strong> nature à changer dura<br />

blem<strong>en</strong>t e cours <strong>de</strong>s choses. Quant aux “petits” intelleotuele, ils<br />

perdront leur temps <strong>en</strong> interpellations incessantes dont ils fatigueront<br />

1opifljo ou, à l’inverse, <strong>en</strong> rumination <strong>de</strong> livres fondsm<strong>en</strong>taux qui<br />

seront o solètes à peine parus.<br />

Autre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> participation au débat public: l’interv<strong>en</strong>tion<br />

dans les, médias audio—visuels, soit dans les rares “créneaux” prévus<br />

à cette fin (“Pribune libre” <strong>de</strong> FR3), soit à l’occasion <strong>de</strong> la parution<br />

<strong>de</strong> livre (OÙ il est admis que l’on parle d’autre chose que du livre),<br />

— 225 —<br />

soit après avoir signé une pétition, soit après avoir fait un “commu<br />

niqué”, etc. Ou <strong>en</strong>core l’intellectuel est invité, à l’occasion dfl<br />

événem<strong>en</strong>t culturel ou politique, à une émission d’actualité ou à uni<br />

journal parlé ou télévisé, Yves Montand chez lame Leva!.<br />

Le débat public, c’est aussi la prise <strong>de</strong> parole lors <strong>de</strong> col<br />

loques non universitaires (“forums”), <strong>de</strong> soirées publiques (<strong>C<strong>en</strong>tre</strong> Pois—<br />

pidou), <strong>de</strong> confér<strong>en</strong>ces, <strong>de</strong> meetings. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas l’intellectuel<br />

peut parler <strong>en</strong> son nom propre, mais aussi <strong>en</strong> tant qu’appart<strong>en</strong>ant à an<br />

groupe ayant une certaine unité doctrinale. Il oscillera alors, confor<br />

mém<strong>en</strong>t à nos catégories, <strong>en</strong>tre “prophétie” et “prédication”.<br />

La signature <strong>de</strong> pétitions, d’appels, l’apparition à <strong>de</strong>s dé<br />

bats organisée par <strong>de</strong>s groupes et <strong>de</strong>s partis constitu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s cas limites<br />

où n’est plus exactem<strong>en</strong>t le “prophète” que nous avons<br />

prés<strong>en</strong>té précé<strong>de</strong>am<strong>en</strong>t Signer un “appel”, c’est certes affirmer une<br />

théorie qui par définition est <strong>en</strong>core minoritaire, nouvelle et paradoxa<br />

le et qui doit partir <strong>en</strong> quelque sorte à la conquête <strong>de</strong> l’opinion. Mal<br />

gré tout, cela consiste déjà à se ranger à lopiflj d’un groupe. Dans<br />

ce cas, la théorie nouvelle n’est pas pure “fumée”, elle a déjà, par<br />

définition, suscité un début <strong>de</strong> crietallisation, par l’adhésion <strong>de</strong>s<br />

premiers signataires. Cette remarque est vali<strong>de</strong>, soit que l’intellec-.<br />

tael signe un “manifeste” conçu par d’autres qui le lui donn<strong>en</strong>t à signer<br />

afin <strong>de</strong> recevoir l’appui <strong>de</strong> son prestige, soit que lui—même ait pu r<strong>en</strong><br />

contrer l’adhésion préalable d’un groupe afin qu’une i,dée qu’il veut<br />

répandre apparaisse d’emblée comme pas d’un homme seul.<br />

Le phénomène important, ici, est la mimésia, ess<strong>en</strong>tielle dans<br />

j


— 226 —<br />

tout proesm1B <strong>de</strong> oollectivieatiofl <strong>de</strong>s idées. On admire l’intelleo—<br />

tuai — our ses travaux dans d’autres domaines<br />

— et on adhère à l’opi<br />

nion qu’il émet ou qu’il cautionne, afin qua, paraissant semblable à<br />

lui par l’opinion qu’on exprime à sa suite, on passe (y compris à ses<br />

propre yeux) pour possé<strong>de</strong>r ses quàlités. Mais il faut évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t,<br />

pour qe ce processus puisse jouer, que lhintellectuel ait un prestige<br />

initiai, acquis à la faveur <strong>de</strong> “prophéties” antérieures qui ont été<br />

estimé e originales et se sont révélées véritables. C’est pourquoi on<br />

ne peu réduira la question <strong>de</strong> l’influ<strong>en</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong>sintellectuels dans<br />

i’opinion à celle du développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> phénomènes mimétiques plus ou<br />

moins léatoirea et <strong>en</strong>trecroisés. Ce qui revi<strong>en</strong>t à dire que le mon<strong>de</strong><br />

inteli otuel parisi<strong>en</strong>, avec ses petitesses, ne se réduit pas à la fu—<br />

tilité <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s, et que les persiflages d’un Régis Debray à ce sujet<br />

sont t*ès superficiels. On ne saurait esquiver la question <strong>de</strong> la “pro—<br />

phéti& <strong>en</strong> tant que telle.<br />

4.<br />

+4<br />

On a souligné, dans tout ce qui. précè<strong>de</strong>, la dim<strong>en</strong>sion “per—<br />

format ve” du discours <strong>de</strong><br />

jntellectuel: lhintellectuel parie pour<br />

agir 4 fait <strong>de</strong> sa parole une action, <strong>de</strong> façon délibérée (mime si sa<br />

consci’ ace <strong>de</strong>s effets possibles <strong>de</strong> sa parole reste plus ou moins floue).<br />

En ce <strong>en</strong>s, avons—nous ait, l’intellectuel est proche <strong>de</strong> homme poli<br />

tique. Mais noue fl’aVOfls évoquè jusqu’à prés<strong>en</strong>t que l’expression ver<br />

bale (écrite ou orale) <strong>de</strong> la<br />

IperformanCe” <strong>de</strong> l’intellectuel. Il con—<br />

pour être complet, aévoqUer égalem<strong>en</strong>t les discours non—verbaux,<br />

— 227 —<br />

les gestes symboliques: <strong>en</strong> use aujourd’hui tout comme<br />

les prophètes bibliques.<br />

Il est à noter que ces gestes qui sont souv<strong>en</strong>t appelés, par<br />

glissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> langage dans le vocabulaire militant, <strong>de</strong>s “actions”,<br />

rest<strong>en</strong>t — par définition — <strong>de</strong>s gestes symboliques, c’est—à—dire <strong>de</strong>s<br />

gestes qui mont <strong>de</strong>s discours et qui <strong>de</strong> force agissante qu’<strong>en</strong>i<br />

tant que discours et non par leurs effets pratiques proprem<strong>en</strong>rt dits.<br />

Ils agiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant qu’ils “frapp<strong>en</strong>t les esprits” et modifi<strong>en</strong>t les<br />

m<strong>en</strong>talités <strong>de</strong>s aoteurs sociaux. Pour parler <strong>en</strong> langage poppéri<strong>en</strong>, ces<br />

gestes (nême viol<strong>en</strong>ts, “physiques”, spectaculaires, etc.) sont situés<br />

et <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t dans le “mon<strong>de</strong> 3I dam idées et c’est là qujls produis<strong>en</strong>t<br />

leurs effets. Les actions pratiques faites par les intellectuels<br />

(ils <strong>en</strong> font aussi) ne sont pas accomplies par eux <strong>en</strong> tant qu’intellec—<br />

tuels.<br />

Solj<strong>en</strong>,ytsine reoewan’t son prix Nobel, Sartre le refusant,<br />

Malesa <strong>en</strong>voyant sa femme recevoir le si<strong>en</strong> à Oslo; Sartre, <strong>en</strong>core, appa<br />

raissant sur le perron <strong>de</strong> l’Elysée aux bras <strong>de</strong> Nichai Foucault et André<br />

Gluclcsmann, Sacques Derrida bravant les autorités tchécoslovaques,<br />

Jean—Marie B<strong>en</strong>oist allant se faire bousculer à Belgra<strong>de</strong>, Rêinrich B7511<br />

et Giluter arasa faisant un “sit—in” <strong>de</strong> quarante—huit heures dans une<br />

hase américaine <strong>en</strong> Aliemagne pour manifester leur opposition à l’jflS<br />

tallation <strong>de</strong>s Pershing, eto; tout ceci s’analyse comme la cruche brisée<br />

<strong>de</strong> Jérésie.<br />

I. Cette remarque a son importance lorsqu’il 5agjt <strong>de</strong> compr<strong>en</strong>dre<br />

l’action politique <strong>de</strong>s intellectuels. Que Mmc Catherine Clém<strong>en</strong>t,<br />

universitaire et journaliste, <strong>en</strong>tre, sous un gouvernem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gauche,<br />

dans l’administration, cela est un “geste symbolique”. Mais ce qu’elle<br />

y fait une fois <strong>en</strong>trée n’a aucune signification culturelle <strong>en</strong> oi<br />

et ne relève plus <strong>de</strong> la fonction intellectuelle. Ses actions, désor—<br />

saie, sont nues ou muettes et relèv<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’ordre politique pur.


V — COUCLUSIOUS<br />

—22H—<br />

De ce qui précè<strong>de</strong>, nous dégaerons provisoirem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>ux conclu—<br />

sion, <strong>de</strong>ux traits saillants qui sont aussi <strong>de</strong>ux pistes <strong>de</strong> recherche.<br />

I. L’évolutionnisme<br />

L’intellectuel est celui qui va chercher hors <strong>de</strong>s corpus tra—<br />

diti4nnels <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> solution aux problèmes nouveaux qui se po—<br />

s<strong>en</strong>’t Cela revi<strong>en</strong>t à dire que <strong>de</strong> tels élém<strong>en</strong>ts significatifs apparais<br />

s<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t et qu’ils sont effectivem<strong>en</strong>t nouveaux (sans quoi ils<br />

1<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis longtemps <strong>de</strong>s équival<strong>en</strong>ts au sein <strong>de</strong>s corpus tradition—<br />

aurai<br />

nels). Cela revi<strong>en</strong>t donc à supposer du nouveau comme tel<br />

dans 1’histoire <strong>de</strong>s idées et la possibilité du progrès; et, par consé<br />

qu<strong>en</strong>t ljfladaptation <strong>de</strong> principe d’une culture qui serait basée sur<br />

l’expoitation d’une même Révélation ou d’un même dogme. En fait l’évo<br />

lutionnisme est incompatible avec un modèle purem<strong>en</strong>t clérical <strong>de</strong> la<br />

reprocuction <strong>de</strong> la culture. En corollaire, il faut, pour que la culture<br />

évolu au rythme <strong>de</strong>s problèmes, <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sée extérieurs à quel<br />

que dgré aux cléricatures. L’exist<strong>en</strong>ce d’intellectuels (et <strong>en</strong> général<br />

<strong>de</strong> “p ophètes”) est donc liée <strong>en</strong> soi au fait <strong>de</strong> l’évolutionnisme.<br />

Autre corollaire: il y a, dans les cléricatures établies, <strong>de</strong>s<br />

types i’esprits qui se cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> répéter <strong>de</strong>s solutions anci<strong>en</strong>nes,<br />

conserÎées par la tradition, à <strong>de</strong>s problèmes aaci<strong>en</strong>s, ceux aperçue, for<br />

mulés t résolus par les prophètes qui sont à l’origine <strong>de</strong> la clérica—<br />

ture, buis éclairés, systématisés et intégrés dans la doctrine. Ces<br />

esprit ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t répétitifs, ayant pour principale qualité in—<br />

tellecuelle la mémoire, sont bi<strong>en</strong>têt <strong>en</strong>fermés dans une logique que<br />

— 229 —<br />

nous qualifierons <strong>de</strong> sectaire. Ils ne résolv<strong>en</strong>t pas, <strong>en</strong> effet, les<br />

problèmes nouveaux qui se pos<strong>en</strong>t à la société globale; celle—ci ne les<br />

reconnait donc pas cosme lui r<strong>en</strong>dant un service. Ils ne peuv<strong>en</strong>t vivre<br />

et échanger leurs idées qu<strong>en</strong>tre eux. Leur groupe finit par être perçu<br />

comme insolite et étranger, comme une secte. C’est le cas aujourd’hui,<br />

semble—t--il, plus ou moins, <strong>de</strong>s Eglises, do l’Université littéraire...<br />

Il y a un autre type <strong>de</strong> clercs. Ce sont ceux qui, auth<strong>en</strong>tique—<br />

m<strong>en</strong>t ouverts aux problèmes nouveaux <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité, mais trop forte<br />

m<strong>en</strong>t attachés, par une fidélité psychologique ou sociale, à la commu<br />

nauté herméneutique dont la oléricature est le c<strong>en</strong>tre, t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ré<br />

soudre les problèmes nouveaux grace aux solutions anci<strong>en</strong>nes conservées<br />

<strong>en</strong> mémoire dans la doctrine. Ces solutions anci<strong>en</strong>nes ont pour défaut<br />

<strong>de</strong> tre pas toujours <strong>de</strong>s solutions et <strong>de</strong> ne pas débloquer l’av<strong>en</strong>ir.<br />

En revanche, elles ont, il est vrai, l’imm<strong>en</strong>se avantage <strong>de</strong> ne pas pro<br />

voquer <strong>de</strong> failles et <strong>de</strong> conflits dans la communauté herméneutique.<br />

Par exemple l’épistémologie du début <strong>de</strong> ce siècle <strong>en</strong> Franco cher<br />

chait dans Arimtote, Descartes, Leibniz ou Kant <strong>de</strong>s solutions aux pro<br />

blèmes gnoséologiques posés par le développem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s sci<strong>en</strong>ces, flache—<br />

lard a pris au sérieux les réflexions <strong>de</strong>s phy-sioi<strong>en</strong>s eux—mêmes sur<br />

leur sci<strong>en</strong>ce. En cela, Bachelard a été un intellectuel et son intégra—<br />

tion au corpus <strong>de</strong> la oléricature philosophique fait problème <strong>en</strong>core<br />

aujourd’hui à oause <strong>de</strong> la tonalité sci<strong>en</strong>tiste <strong>de</strong> son oeuvre. Au vrai,<br />

il doit cette intégration au fait qu’il a écrit toute une série d’oeu—<br />

vi-<strong>en</strong> “nocturnes”, où il pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> compte la dim<strong>en</strong>sion poétique <strong>de</strong> la<br />

p<strong>en</strong>sée, ce qui réduit l’écart et l’a—typisme <strong>de</strong> son apport intellec<br />

tuel, eu égard à l’idée que la ciéricature se fait <strong>de</strong> ce quo doit être


un. “pl4loaophe”.<br />

Depuis la “crise <strong>de</strong> le physique” <strong>de</strong>s années 1920, que Bache—<br />

lard aété un <strong>de</strong>s premiers à étudier et à pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte, le<br />

déveloØpemont <strong>de</strong> l’épistémologie par le Cercle <strong>de</strong> Vi<strong>en</strong>ne, par les<br />

anglo—axons, ou cême par l’]cole <strong>de</strong> Prancfort, a abouti à la défini<br />

tionfi<br />

— 230 —<br />

1anche <strong>de</strong> nouveaux corpus qui n’exclu<strong>en</strong>t pas les gran<strong>de</strong>s oeuvres<br />

<strong>de</strong> la hilosophie maie sont très déc<strong>en</strong>trés et décalés par rapport à<br />

celui 1e la oléricature philosophique française—républicaine défini<br />

par le programmes <strong>de</strong> l’agrégation. Si à ceux—ci pouvai<strong>en</strong>t être inscrits<br />

Carnap, Wittg<strong>en</strong>atein, Kuhn, Quine, Popper ou Prigogine — pour ne pr<strong>en</strong><br />

dre que <strong>de</strong>s auteurs déjà connus et hbclassiriueS” <strong>en</strong> un s<strong>en</strong>s — la oléri—<br />

cature h<strong>en</strong>gerait <strong>de</strong> nature et d’int<strong>en</strong>tion, et si cela pouvait se fai<br />

re sana! éclatem<strong>en</strong>t, cela prouverait la vitalité <strong>de</strong> aca—<br />

démique Maia on n’assiste guère à une telle évolution. Le système <strong>de</strong><br />

l’agrégtiort boucle la eléricature sur son corpus le plus traditionnel<br />

(bi<strong>en</strong> qe cette tradition n’ait pas plus d’un siècle), et cela avec.<br />

une rigdité littéralem<strong>en</strong>t religieuse. Si l’épistémologie existe<br />

dans la cléricature d’Etat <strong>en</strong> France, c’est dans le cadre micro—<br />

oléricaure relativem<strong>en</strong>t extérieure à l’Université et à l’<strong>en</strong>seignemeitt.<br />

secondjre, à savoir la section ad. hoc du C.N.R.S.<br />

att<strong>en</strong>dant, les professeurs <strong>de</strong> philosophie, <strong>en</strong> Francs, continu<strong>en</strong>t<br />

à interrfrétsr la sci<strong>en</strong>ce, ses découvertes et ses problèmes par Descar<br />

tes, Hune et Kant, et non ces auteurs à la lumière <strong>de</strong> la sci<strong>en</strong>ce mo<strong>de</strong>r<br />

ne. Ils continu<strong>en</strong>t à expliquer le problème <strong>de</strong> la conting<strong>en</strong>ce par Ans—<br />

tote, et non Anistote à la lumière <strong>de</strong>s théories mo<strong>de</strong>rnes sur l’indéte’r—<br />

— 231 —<br />

minisme et l’aléatoire. Des problèmes nouveaux sont résolus par <strong>de</strong>s<br />

solutions anci<strong>en</strong>nes, comme s’il ny avait <strong>de</strong> problèmes nouveaux.<br />

Autre exemple, dans un tout autre ordre d’idées, mais où appa—<br />

rait le mime décalage <strong>de</strong>s mémoires. Les curés <strong>en</strong> chaire — noua le di<br />

rons amplem<strong>en</strong>t dans une prochaine étu<strong>de</strong> — ont t<strong>en</strong>dance à répéter les<br />

solutions anoi<strong>en</strong>nes aux problèmes anci<strong>en</strong>s, et <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s ils s’<strong>en</strong>fer<br />

m<strong>en</strong>t dans une logique <strong>de</strong> secte. Mais considérons une personnalité<br />

exceptionnelle comme Jean—Paul II. Sur le plan intellectuel, ce Pape,<br />

manifestem<strong>en</strong>t, ne se dérobe pas aux questions posées par la mo<strong>de</strong>rnité.<br />

Il y a une bonne raison pour cela. Il vi<strong>en</strong>t d’un pays où non seulem<strong>en</strong>t<br />

l’Eglise n’est pas une secte, mais constitue au contraire une clérica—<br />

ture <strong>en</strong> pleine force, dét<strong>en</strong>trice d’un vrai pouvoir culturel. Un homme<br />

qui parvt<strong>en</strong>t à la tète d’une telle institution est nécessairem<strong>en</strong>t un<br />

homme d’élite, <strong>en</strong> particulier un fin politique. Il ne peut, notamm<strong>en</strong>t,<br />

se permettre, ayant dk souv<strong>en</strong>t dans sa vie diriger <strong>de</strong>s hommes dans<br />

<strong>de</strong>s oiroonstanoes dangereuses, <strong>de</strong> n’être pas responsable et <strong>de</strong> ne pas,<br />

intellectuellem<strong>en</strong>t, scruter les problèmes du mon<strong>de</strong> actuel et les affïon—<br />

ter. La chance (le génie, l’inspiration?) <strong>de</strong> l’1glise est <strong>de</strong> s’être<br />

donné pour chef, sur le plan universel, un <strong>de</strong>s dirigeants d’une <strong>de</strong>s<br />

rares Eglises nationales à ne pas être une oléricature dépassée (comme<br />

cléricature).<br />

Or ce grand esprit offre an mon<strong>de</strong> un spectacle pathétique. le<br />

Pape, aux problèmes nouveaux qu’incontestablem<strong>en</strong>t il perçoit, donne<br />

souv<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s solutions anci<strong>en</strong>nes et dogmatiques, perçues sur le plan<br />

mondial comme particularistes. Je veux dire par là que la conséqu<strong>en</strong>ce<br />

logique <strong>de</strong>s solutions quil donne (ou qu’il évoque, ou qui sont peroep—<br />

tible à l’arrière—plan <strong>de</strong> ses prises <strong>de</strong> pooition) est l’adhésion


— 232 —<br />

glol ale au dogme catholique, que la majeure partie <strong>de</strong>s hommes<br />

mêm s auxquels il ordinairem<strong>en</strong>t ne peuv<strong>en</strong>t, je p<strong>en</strong>se,<br />

acc<br />

pter <strong>en</strong>, bloc.<br />

C’est bi<strong>en</strong> ce qui r<strong>en</strong>d l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Jean—Paul II, et plus gé—<br />

lem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lEg1ise nér<br />

romaine, “pathétique”. Dans la mesure où il<br />

fonc e la déf<strong>en</strong>se <strong>de</strong> la liberté et <strong>de</strong> la dignité humaine face aux tota—<br />

liti rismes sur la doctrine catholique <strong>de</strong> l’homme, il doit déf<strong>en</strong>dre<br />

par<br />

et<br />

ailleurs, à cause <strong>de</strong> cette ,i2me doctrine, par souci <strong>de</strong> cohér<strong>en</strong>ce,<br />

arce que la pér<strong>en</strong>nité <strong>de</strong> l’institution qu’il dirige l’exige, <strong>de</strong>s<br />

posi tions qui sont manifestem<strong>en</strong>t contraires à oette liberté. Par exem—<br />

pie,<br />

<strong>de</strong><br />

dans le cas <strong>de</strong> la contraception et <strong>de</strong> l’avortem<strong>en</strong>t, les positions<br />

ean-Paul II sont certes conformes à la lettre du dogme, mais leur<br />

“dus eté” ne parait pas justifiée. Elles trranch<strong>en</strong>it non seulem<strong>en</strong>t par<br />

raps ort aux convictions morales communes <strong>de</strong>s occi<strong>de</strong>ntaux contemporains,<br />

mai<br />

aussi, ce qui est paradoxal, par rapport à lesprit du chrimtia—<br />

ni se e traditionnel lui—même. En effet — et c’est là le paradoxe même<br />

du<br />

raditionnalisme — les mêmes thèses chang<strong>en</strong>t <strong>de</strong> signification quand<br />

le c on-texte change. Jusqu’aux temps contemporains, le problème <strong>de</strong>s fa-.<br />

miii es n’était pas d’empêcher la naissance <strong>de</strong>s <strong>en</strong>fants, mais bi<strong>en</strong> <strong>de</strong><br />

mais t<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> vie ceux qui naissai<strong>en</strong>t. moral attaché à la<br />

cont L’aception et à l’avortem<strong>en</strong>t vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> là, <strong>de</strong> même que, dans un passé<br />

plu<br />

lointain, la malédiction <strong>de</strong> la femme stérile ou délaissée. Cette<br />

règi e morale couramm<strong>en</strong>t perçue comme bénéfique ne prés<strong>en</strong>tait donc,<br />

quazi i elle fut inscrite dans le dogme et corréliée à l’affirmation<br />

du c eraotère sacré <strong>de</strong> la “vie’, aucune “dureté”,<br />

ni<br />

même aucun relief, particuliers. D’ailleurs le même dogme admet<br />

— 233 —<br />

parfaitem<strong>en</strong>t l’atteinte à la “vie” que constitue la guerre (pourvu, cer<br />

tes, que11e soit “juste”). En d’autres termes, le dogme était ici par<br />

faitem<strong>en</strong>t rationnel. Avec les positions dogmatiques actuelles <strong>de</strong> Jean—<br />

Paul II <strong>en</strong> matière <strong>de</strong> moeurs (on pourrait faire les mêmes remarques à<br />

propos du mariage <strong>de</strong>s prêtres ou <strong>de</strong> l’accession <strong>de</strong>s femmes à la prê<br />

trise) le problème est quasim<strong>en</strong>t inversé. Le Pape souti<strong>en</strong>t ses posi<br />

tions non pas du fait <strong>de</strong> leur rationalité intrinsèque mais du seul fait<br />

<strong>de</strong> leur interdép<strong>en</strong>dance logique — au moins au plan littéral — avec le<br />

reste du (ogme, ce qui est fort irrationnel, et est même caractéristi<br />

que <strong>de</strong> ce que nous avons appelé le “délire” sectaire.<br />

On pourrait faire <strong>de</strong>s observations du même ordre sur d’autres<br />

positions que les-théologi<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t sout<strong>en</strong>ir par fidélité à la lettre<br />

du dogme e-t par crainte <strong>de</strong> lézar<strong>de</strong>r tout l’édifioe s’ils s’<strong>en</strong> écartai<strong>en</strong>t<br />

quelque peu, mais qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt aujourd’hui <strong>en</strong> réalité beaucoup plus<br />

<strong>de</strong> foi, au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> foi aveugle, irrationnelle, et même tout—à—fait<br />

arbitraire et relevant <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée magique, qu’elles n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>mandai<strong>en</strong>t<br />

aux Pères <strong>de</strong> lFJgljse ou aux Scholastiques qui les formulèr<strong>en</strong>t pour la<br />

première fois. Rappelons par exemple ql,te pour Pascal <strong>en</strong>core, au XVIIème<br />

siècle, — et n fortiori pour toute la sci<strong>en</strong>ce chréti<strong>en</strong>ne antérieure —<br />

les Hébreux sont objectivem<strong>en</strong>t le peuple le plus anci<strong>en</strong> dc la terre,<br />

parmi tous ceux du moins dont les hommes ont mémoire. C’est celui par<br />

la-mémoire culturelle duquel tous les autres remont<strong>en</strong>t le plus <strong>en</strong> arriè<br />

re et le plus près <strong>de</strong> la Création. Il n’est pas étonnant, dès lors, que<br />

ce soit ce peuple—là qui ait été élu pour recevojrla Révélation et<br />

l’annoncer <strong>en</strong>suite à toutes les nations. Dieu, <strong>en</strong> agissant ainsi, fl’a<br />

pas été irrationnel.


—34-<br />

es théologi<strong>en</strong>s qui, aujourd’hui, trait<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’élection du peu<br />

ple d’I ral et veul<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ir l’intégralité du dogme à ce sujet,<br />

sont do c non pas fidèles à Pascal et à la tradition, mais fort in<br />

fidèles Ils doiv<strong>en</strong>t être crédules là où la tradition était rationnel<br />

le. Car ils sav<strong>en</strong>t que les Hébreux ne sont pas le peuple le plus anci<strong>en</strong>,<br />

que llh4nme <strong>de</strong>sc<strong>en</strong>d du “singe”, quil y a quelques c<strong>en</strong>taines <strong>de</strong> milliers<br />

dIannées d’histoire <strong>de</strong>s cultures avant les temps bibliques, que le sys<br />

tème solire est perdu quelque part dans une province du vaste univers,<br />

eto. Dès lors l’historioité et les circonstances <strong>de</strong> la Révélation <strong>de</strong>—<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tbeaucoup plus incroyables. Le sacrificium intellectus <strong>de</strong>manxlé<br />

aux théoogi<strong>en</strong>s mo<strong>de</strong>rnes est sane commune mesure avec celui qu’étai<strong>en</strong>t<br />

prêts à ocepter un Athanase dAlexandrie, un <strong>en</strong>ys d’Aréopagyte, un<br />

Thomas d’Aquin et un Pascal, esprits rationnels s’il <strong>en</strong> fut. La fidélité<br />

au dogme st une infidélité à ces gran<strong>de</strong> hommes, une méconnaissance <strong>de</strong><br />

l’esprit t <strong>de</strong> l’hérolsme <strong>de</strong> la recherche intellectuelle qui fut la<br />

leur. Le raditionnalisme rejoint le fidéisme dans une même irrationna—<br />

lité. I<br />

Cete difficulté, pour les clercs classiques, d’affron<strong>de</strong>r le<br />

mo<strong>de</strong>rne e le nouveau comme tel, ti<strong>en</strong>t à la raison <strong>de</strong> fond que nous<br />

avonn dit: la doctrine chréti<strong>en</strong>ne est fondée sur une Révélation et<br />

sur l’attqnte d’un retour prochain du Christ. Elle ne peut intégrer,<br />

sans orise, le nouveau comme tel — même lorsqu’il pr<strong>en</strong>i la forme <strong>de</strong><br />

la prophéte: les mystiques, qui par leurs expéri<strong>en</strong>ces rev<strong>en</strong>diqu<strong>en</strong>t<br />

ers somme u,e Révélation nouvelle ou un ajout à la Révélation origi<br />

nelle, onttoujours été dam<strong>en</strong>t contrôlés par l’Egliee et n’ont été<br />

admis par lle, in fine, quune fois que l’innovation se ft révélée<br />

sans consécu<strong>en</strong>ces institutionnelles ou dogmatiques. Parfois, il est<br />

— 235 —<br />

vrai, l’innovation est mpa5se quand même, mais, si j’ose dire, au<br />

corps déf<strong>en</strong>dant. <strong>de</strong> l’Eglise et à la faveur processus spontané<br />

que l’Eglise n’a pu contrôler sur le mom<strong>en</strong>t même et avec lequel, <strong>en</strong>sui<br />

te, elle a dfl composer. Ainsi <strong>de</strong> la Réforme qui provoque la Contre—<br />

Réformer ainsi <strong>de</strong> la réforme du Carmel par Sainte—Thérèse et Ht Jean<br />

<strong>de</strong> la Croix, qui donne droit <strong>de</strong> cité à la “théologie mystique” à côté<br />

<strong>de</strong> la théologie <strong>de</strong> l’Ecole, eto.<br />

Une clériosture olassique comme l’Eglise ne peut pr<strong>en</strong>dre ers<br />

compte, <strong>de</strong> façon réfléchie, le fait <strong>de</strong> l’évolution.


II —<br />

— 236 —<br />

La personnalité <strong>de</strong> l’iiitel]eotuel.<br />

Nous avons dit comm<strong>en</strong>t se définissait l’intellectuel: ce n’est<br />

pas p i <strong>de</strong>s traits psychologiques. Mais par la place même que doit oc<br />

cuper pour être tel, l’intellectuel sur les circuits <strong>de</strong> communication,<br />

par 1 rôle qu’il doit jouer dans l’actualité, sont évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t sélec—<br />

tionns, à cette place et dans ce rêle, certains types psychologiques<br />

plutôt que d’autres. Le grand intellectuel se caractérise ainsi par<br />

<strong>de</strong>ux traits marquants I) quant à la personnalité, l’autonomie; 2) quant<br />

à la p<strong>en</strong>sée, la prédominance <strong>de</strong> l’imagination théorique.<br />

seul<br />

I) L’autonomie.<br />

L’intellectuel—prophète est celui qui est capable <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ner<br />

vant tous et seul contre tous. Ce sera donc une forte personnali—<br />

té, a: ti—conformiste, révolté, croyant <strong>en</strong> lui—même, p<strong>en</strong>sant par lui—<br />

même.<br />

Ce sera un homme d’initiatives, et d’autre part — à la réserve<br />

près ue nous développerons ci—après <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> ljflteleQ_<br />

tuel r ce que nous appellerons “micro—sociétés cléricales” — ce sera<br />

un hor me socialem<strong>en</strong>t isolé. On le verra souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> difficultés avec<br />

les ii stitutions, qui ne limpressionn<strong>en</strong>t pas et dont il p<strong>en</strong>se qu., le<br />

cas éhéant, malgré leur force actuelle, elles dureront moins que ses<br />

proprs idées, ce qui lui donne la force et comme le point d’appui<br />

pour lutter contre elles. Non seulem<strong>en</strong>t les exemples abon<strong>de</strong>nt dans toute<br />

l’his-oire <strong>de</strong>s idées, mais on serait même <strong>en</strong> peine, dans l’histoire<br />

mo<strong>de</strong>rne et contemporaine, <strong>de</strong> trouver un grand nom <strong>de</strong> la p<strong>en</strong>sée qui n’ait<br />

pas éé <strong>en</strong> porte—à—faux avec les institutions <strong>de</strong> son temps. Songeons<br />

à Auguste Comte.<br />

ce courage qui lui fait exprimer <strong>de</strong>s opinions<br />

à contre—temps” (comme dit S.Paul qui est<br />

contre—partie aussi <strong>de</strong> cette audace qui lui<br />

fait exprimer publiquem<strong>en</strong>t ses prises <strong>de</strong> position quand tous se tais<strong>en</strong>t,<br />

parce que lui—même juge au contraire qu’une telle interv<strong>en</strong>tion est<br />

nécessaire et opportune — il ira mouv<strong>en</strong>t trop vite <strong>en</strong> besogne et se trom-.<br />

pera.<br />

Les incroyables erreurs politiques <strong>de</strong>s intellectuels français,<br />

par exemple, d’ailleurs inverses avant—guerre et après—guerre, sont<br />

l’effet <strong>de</strong> cette précipitation et la rançon tdgique du courage. Les<br />

condamnations justifiées qu’on peut porter à leur égard doiv<strong>en</strong>t être<br />

tempérées par la considération <strong>de</strong> ce courage. Il y a <strong>de</strong>s j<br />

tellectuelles comme il y a <strong>de</strong>s armée <strong>en</strong> campagne. Elles<br />

sont pardonnées ou non selon que l’armée est victorieuse ou non. Mais<br />

sans <strong>de</strong>s intellectuels pour voir et dénoncer, et au mom<strong>en</strong>t même où ils<br />

vont être commis et où le cours <strong>de</strong>s événem<strong>en</strong>ts peut <strong>en</strong>core être inflé<br />

chi, les erreurs ou les abus, une société irait sans direction et sans<br />

gouvernai1 anémiée, sans<br />

vie, elle retomberait rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t soue l’empire <strong>de</strong> quelque pouvoir tuté—<br />

laire.<br />

En contre—partie <strong>de</strong><br />

inaccoutumées, “à temps et<br />

un grand intellectuel), <strong>en</strong><br />

— 237 —<br />

Les%avures”consist<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce que les intellectuels ont t<strong>en</strong>dance<br />

à absolutimer les théories quils inv<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pour dénoncer les erreurs<br />

ou résoudre les problèmes <strong>de</strong> Ces théories, produites par<br />

un individu, ne sont pas <strong>en</strong>core <strong>de</strong>s doctrines, produites par une oléri—<br />

cature, st__dire construites par une collectivité, tout au long<br />

dfle tradition qui les éprouve, les vali<strong>de</strong> ou les corrige et <strong>en</strong> fait


— 238 —<br />

<strong>de</strong>s “valetrs”, anonymes et arbitrales. Elles ont donc ordinairem<strong>en</strong>t<br />

pour défa t d’être systématiques, abstraites, et <strong>de</strong> manquer <strong>de</strong> ces<br />

nuances e1 <strong>de</strong> cette richesse <strong>de</strong> cont<strong>en</strong>u (et aussi <strong>de</strong> cette modération)<br />

qu’on trouve dans les gran<strong>de</strong>s doctrines.<br />

Pour condamner le communisme dont on voit avec effroi qu’il<br />

r<strong>en</strong>d imposible la vie, on construit avant—guerre <strong>en</strong> Prance <strong>de</strong>s théories<br />

sociales cui pouss<strong>en</strong>t le biologisme jusqu’à lorgnnicisme Pour combattre<br />

le faacimee qui a horrifié la consci<strong>en</strong>ce planétaire, on souti<strong>en</strong>t après—<br />

guerre se <strong>en</strong>nemis communistes, qui ne sont pourtant que ses rivaux<br />

mimétique , et on systématise, pour mieux les stigmatiser comme rece<br />

lant un d+ger <strong>de</strong> fasciame, toutes les traces d’irrationalisme, <strong>de</strong><br />

hiérsrchisne, <strong>de</strong> militarisme, et même <strong>de</strong> simples valeurs <strong>de</strong> force, <strong>de</strong><br />

san-té, <strong>de</strong> <strong>en</strong>s <strong>de</strong> l’honneur et <strong>de</strong> la distinction, qu’on découvre dans<br />

les traditons politiques <strong>de</strong> la droite.<br />

Mais ici, il <strong>en</strong> va du sort <strong>de</strong> l’intellectuel comme <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />

tout homme d’action. Il pr<strong>en</strong>d les risques et recueille le prestige ou<br />

le chatime t. Braaillach a payé <strong>de</strong> sa vie s<strong>en</strong> théories, d’autres <strong>de</strong><br />

peines moi s brutales mais plus ignominieuses. Ce est pas un malheur<br />

qui puissejamais échoir à <strong>de</strong>s personnalités faibles et suivistes.<br />

2) -, imagination théorique.<br />

En Lénéral, l’intellectuel est un esprit spéculatif, habile et<br />

rapi<strong>de</strong>. Il est capable — pour employer une image cybernétique — <strong>de</strong><br />

traiter <strong>de</strong> informations d’originesdiversas <strong>en</strong> accomplissant<br />

— 239 —<br />

à partir d’elles une construction très élaborée, tal<strong>en</strong>t à comparer<br />

avec celui du savant <strong>de</strong> la “sci<strong>en</strong>ce florale ou <strong>de</strong> l’érudit <strong>de</strong>s clé—<br />

ricatures, élaborant peu <strong>de</strong>s informations conc<strong>en</strong>trées. L’esprit <strong>de</strong><br />

se caractérise ainsi par l’imagination plus que par<br />

la mémoire; l’imagination crée <strong>de</strong>s formes nouvelles, <strong>en</strong> utilisant<br />

ce qu’elle reçoit <strong>de</strong> comme élém<strong>en</strong>t ou briqueII <strong>de</strong> ce<br />

qu’elle construit; la mémoire répète les formes apprises. L’imagina<br />

tion puise dans l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>ts dont elle va faire, par<br />

rapport à une nouvelle grille d’interprétation, <strong>de</strong>s informations; la<br />

mémoire reçoit <strong>de</strong> ces grilles mêmes, c’est—à—dire <strong>de</strong>s<br />

“instructions”. Le professeur ou l’érudit <strong>de</strong>s clérioatiw,em reçoit, toute<br />

1 sa vision du mon<strong>de</strong> et ses directions <strong>de</strong> recherche.<br />

faito<br />

La signification théorique <strong>de</strong> cette dualité a été soulignée,<br />

nous l’avons dit, par Atian’ après Bergaon; ai, comme Atian le souti<strong>en</strong>t,<br />

la dialectique <strong>de</strong> la mémoire et <strong>de</strong> l’imagination caractérise l’auto—<br />

organisation <strong>de</strong>s systèmes vivants, et si d’autre part une société ou<br />

une partie <strong>de</strong> ooiété peut être considérée comme un système vivant<br />

(plus ou moins) autonome, alors il est permis <strong>de</strong> dire que l’intellec<br />

tuel—prophète est lorgane <strong>de</strong> l)irnaginatjon sociale”, comme le pro<br />

fesseur ou 1rudjt est l’organe <strong>de</strong> la “mémoire sociale”. Atian lui—<br />

même écrit quelques développem<strong>en</strong>ts sur ce thème à propos <strong>de</strong> la dialec<br />

tique <strong>de</strong> la sagesse et <strong>de</strong> la prophétie dans le peuple juif historique.<br />

A cette qualité particulière <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong> l’intellectuel—pro<br />

phète il y a aussi une contre—partie. A force <strong>de</strong> p<strong>en</strong>ser par lui—même,<br />

<strong>de</strong> refaire seul le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> ne pas t<strong>en</strong>ir compte <strong>de</strong>s doctrines établies<br />

et <strong>de</strong> ne pas être instruit suffisamm<strong>en</strong>t par elles,<br />

I. Cf. Il<strong>en</strong>ri Atian, op. oit. pp. 235—258.


— 2,() —<br />

l’intell ctuel peut ne produire que <strong>de</strong>s théories purem<strong>en</strong>t personnetlc,<br />

“déliran1es” selon l’autre forme <strong>de</strong> “délire’ définie par Atlan. 1t d ‘au<br />

tre part,, comme Berson l’avait remarqué dès l’tssai, l’écart par rapport<br />

à la mémire trouve sa limite dans le fait qu’une innovation qui n’in<br />

tègre pas d’une façon ou d’une autre l’expéri<strong>en</strong>ce paumée risque tout<br />

eimplem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la répéter sane le <strong>en</strong>voir. La mémoire est un ingrédi<strong>en</strong>t<br />

néceasairb<br />

<strong>de</strong> l’innovation véritable. Le passé doit être connu e’il<br />

doit être dépaasé. Si la mémoire répétitive est “cristal”, l’imagination<br />

pure est”umée”<br />

obsour et “fumeux”, pour ‘fou”.<br />

— <strong>de</strong> fait, l’in,tellectuel—prophète passera souv<strong>en</strong>t pour<br />

Qu l’innovation <strong>de</strong> l’inteflectuel ait un caractère do “folie”,<br />

nous <strong>en</strong>t4ouvons un curieux témoignage à la R<strong>en</strong>aissance, peut—être parce<br />

que la “cistal” dont il s’agissait alors do se délivrer paraissait<br />

aux homme <strong>de</strong> ce temps, tout à’ la fois, force <strong>de</strong> mort qu’il fallait<br />

briser, e’ force si gran<strong>de</strong>, si universelle, si peu contestée, qu’il<br />

fallait ‘fre soi—même prêt à mourir si l’on voulait s’opposer à elle.<br />

Que l’on onge à l’Wtoge <strong>de</strong> la Folie contemporain (lu déchal—<br />

nem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>’l’Inquisition <strong>en</strong> hspagne, Eloge <strong>de</strong> l’eaprit critique et<br />

(-t)<br />

<strong>de</strong> l’inte lectuel d’un cêtt, préludant à l’effloresc<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> la nio<strong>de</strong>rni—<br />

- té et <strong>de</strong> ‘tous les progrès <strong>de</strong> lesprit <strong>en</strong> Europe du Nord<br />

1 chasse obstinée,<br />

impitoyab”e, étonnoinnmcnt efficace, <strong>de</strong> l’autre cêtd, <strong>en</strong> Rupagmie, <strong>de</strong>s<br />

intellectuels et <strong>de</strong> tout ce qui ap:aralt comme une déviance par rapport<br />

I. ]asme dit dans le langage littéraire ce qu’Atlan <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d fon<strong>de</strong>r<br />

<strong>en</strong> thtc’ie; la symétrie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux “délires” que eont la sagesse — cris<br />

tal et la folie — fumée. Les vrais eages, ce sont les fouu, e-t les<br />

vrais ce sont les sages: “Une ingrate race d’hommes, pourtant<br />

bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>’ ma cli<strong>en</strong>tèle (c’est la Folie qui parle), rougit <strong>en</strong> public<br />

<strong>de</strong> mon om et ose <strong>en</strong> injurier les autres. Ce sont les plus fols, les<br />

morotat, qui veul<strong>en</strong>t passer pour sages, faire les Thalè<br />

1 et ne<br />

<strong>de</strong>vrion3—noua pas les appeler moroeophoï, les eege—fole?”(Eloge le<br />

la Polie, éd. Carnier—F’lainmariofl, p. 19.).<br />

— 2111 —<br />

au dogme soudain rigidifié et pétrifié, cI,asse qui est responsable<br />

très probablem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>dormissem<strong>en</strong>t pour quatre siècl<strong>en</strong> <strong>de</strong> ce pays<br />

qui avait pourtant tous les atouts <strong>en</strong> main, au début du XVIème siècle,<br />

pour être un <strong>de</strong>s premiers peuples d’Europe à avancer sur la voie du<br />

progèmi. Il n’a pas progreseé, pour avoir tué ses fous<br />

Luther, avant d’énoncer ses vingt—sept propositions révolution<br />

naires adressées “à la noblesse chréti<strong>en</strong>ne <strong>de</strong> la nation alleman<strong>de</strong>”<br />

(1520), écrit: “Bi<strong>en</strong> que je ne sois pas <strong>de</strong> taille à faire <strong>de</strong>s proposi<br />

tions utiles à l’amélioration <strong>de</strong> cet affreux état <strong>de</strong> choses, je veux<br />

débiter jusqu’au bout ma complainte <strong>de</strong> fol et dire, pour autant que le<br />

permette mon intellig<strong>en</strong>ce, quels changem<strong>en</strong>ts souhaitables <strong>de</strong>vrait pro<br />

duire jjterv<strong>en</strong>tiofl du pouvoir séculier et du Concile universeii(2).<br />

Luther se réfère apparemm<strong>en</strong>t ici à la tradition médiévale du “fou du<br />

roi” qui seul peut dire aux puissances établies les vérités qui les<br />

irrit<strong>en</strong>slm mais qui les sauveront s’ils <strong>en</strong> ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t compte. Mais tnther,<br />

qui se donne ici pour “fol”, eût pasoé <strong>en</strong> effet pour tel aux yeux <strong>de</strong><br />

la potérité si son discours n’eût été immédiatem<strong>en</strong>t reconnu par les<br />

Alleman<strong>de</strong> comme donnant une solution rationnelle et cohér<strong>en</strong>te à <strong>de</strong>s<br />

problèmes réels et pénibles, et ne se fût répandu comme une tramée<br />

dc poudre. Il eût d’ailleurs fini sur le bûcher. En cet homme peu commun<br />

se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t la force du courage personnel et la liberté <strong>de</strong> l’imagi—<br />

nntio,4 créatrice. C’est l’exemple—type <strong>de</strong> l’intellectuel.<br />

Noue avons parlé, dans le prés<strong>en</strong>t article, <strong>de</strong> la création intel<br />

lectuelle <strong>en</strong> tant qu’elle s’accomplit dans et par <strong>de</strong>s individus. La<br />

I. Ou pour les avoir contraints à une activité parem<strong>en</strong>t intérieure et<br />

a—sociale. Le XVIème siècle esprgnol est le siècle <strong>de</strong> la mystique<br />

thérési<strong>en</strong>ne et eanjuaniote. Prait comhiun aux pays totalitaires: la<br />

création se réfugie dans l’intériorité.<br />

2. Martin Luther, Oeuvros, tome II, p. 107, Labor et Fi<strong>de</strong>s, C<strong>en</strong>ève 1966.


—242—<br />

questi <strong>de</strong> la traneformation <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> l’intellectuel <strong>en</strong> doc—<br />

trines partagées et <strong>en</strong> valeurs culturelles acceptées — tran,formation<br />

grâce laquefle elles apparaiss<strong>en</strong>t, rétrospectivem<strong>en</strong>t, comme étanxb<br />

à la “surce” <strong>de</strong>s doctrines, donc “géniales”, et non “fumeuses” ou<br />

“délir tes” — cette question sera abordée dans un autre travail.<br />

LA REVUE ENTRE LE PROPHETIQUE ET LE CLERICAL<br />

par Jean—Marie DOMENACI!


— 245 —<br />

LA REVUE ENTRE LE PROPHEPIQUE ET LE CLERICAL<br />

I<br />

La revue est l’outil le mieux adapté à l’interv<strong>en</strong>tion<br />

dans les domaines <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l’idéologie, pour trois<br />

raisons principales<br />

10/ Sa périodicité, m<strong>en</strong>suelle, bimestrielle ou trimes<br />

trielle, lui permet <strong>de</strong> traiter rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> questions impor<br />

tantes <strong>en</strong> insistant, <strong>en</strong> répétant, <strong>en</strong> modulant, <strong>de</strong> sorte qu’<br />

une revue peut m<strong>en</strong>er, <strong>en</strong> littérature par exemple, une vérita<br />

ble “campagne” comme <strong>en</strong> mèn<strong>en</strong>t les organes politiques. Cette<br />

périodicité fait <strong>de</strong> la revue un objet à part dans la produc—<br />

tion culturelle : intermitt<strong>en</strong>t, mais continu, et s’appuyant<br />

sur <strong>de</strong>s abonnés qui souscriv<strong>en</strong>t à son égard un contrat <strong>de</strong> fi<br />

délité (c’est une <strong>de</strong>s rares marchandises qu’on paye longtemps a—<br />

v<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la recevoir) ; périodique mais ayant la forme d’un<br />

livre et non d’un journal ou d’un hebdomadaire, la revue réa—<br />

lise une sorte <strong>de</strong> bibliothèque <strong>en</strong> diachronie1et aussi <strong>en</strong> syn—<br />

chronie<br />

puisqu’elle insère une réflexion sur l’actualité dans<br />

la trame <strong>de</strong> l’histoire événem<strong>en</strong>tielle. Ce statut ambigu ne va<br />

pas sans difficultés parce qu’elle ne relève exactem<strong>en</strong>t ni<br />

<strong>de</strong> la librairie ni <strong>de</strong> la presse, la revue a <strong>de</strong> la peine à<br />

trouver<br />

<strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> diffusion et <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> v<strong>en</strong>te. Mais<br />

il comporte aussi <strong>de</strong>s avantages il permet <strong>de</strong> relier la théo<br />

rie à l’action, le passé au prés<strong>en</strong>t, l’intellig<strong>en</strong>tsia à la<br />

politique et aux secteurs socio—professionnels, ce qu’aucun


—246—<br />

media n’est capable <strong>de</strong> faire, du moins sans distorsion grave<br />

ni vulgrisation abusive. De tous les moy<strong>en</strong>s <strong>de</strong> communica<br />

tion, l revue est probablem<strong>en</strong>t le plus riche, celui qui su<br />

bit le 4oins <strong>de</strong> “perte <strong>en</strong> ligne”, celui qui comporte le meil<br />

leur fetd—bak, et à ce seul titre elle mérite d’être analy<br />

sée plu qu’on ne l’a fait jusqu’à prés<strong>en</strong>t.<br />

2°/ L’homogénété <strong>de</strong> la rédaction. La plupart <strong>de</strong>s revues<br />

dites j ellectuelles, ou d’intérêt général, naiss<strong>en</strong>t du dé<br />

sir <strong>de</strong> “faire quelque chose <strong>en</strong>semble”. Caractéristique nota<br />

ble dansun domaine où la performance individuelle et le nar—<br />

ciasismepréval<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t, ainsi que le goût<strong>de</strong> parve<br />

nir ou d gagner <strong>de</strong> l’arg<strong>en</strong>t. Dans un inon<strong>de</strong> dominé par la ri<br />

valité, a vanité, et, <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus, par les exig<strong>en</strong>ces du<br />

r<strong>en</strong><strong>de</strong>m<strong>en</strong>j la revue manifeste la survivance d’un état d’es<br />

prit amiaal et artisanal, qui semble parfois archa!que, et la<br />

nostalgie <strong>de</strong> formes conviviales <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> communi<br />

cation culturelle. Le mot d’équipe est généralem<strong>en</strong>t adopté<br />

par les aiimateurs <strong>de</strong> revue. L’int<strong>en</strong>sité du li<strong>en</strong> affectif et<br />

le dévoueti<strong>en</strong>t qu’exige la confection d’une revue pos<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

problèmesdélicats d’organisation et <strong>de</strong> directionet les con<br />

flits, qu sont fréqu<strong>en</strong>ts, pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un tour personnel. La re<br />

vue est l meilleur <strong>de</strong>s laboratoires pour observer l’interac<br />

tion <strong>en</strong>tr idéologie et psychologie.<br />

30/ ]a diversité et la souplesse. La revue dispose <strong>de</strong><br />

toutes les gammes d’expression typographique articles longs<br />

et notes brèvea ; petits et grands corps ... Certes, elle pu<br />

blie diffiilem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s photos et sa mise <strong>en</strong> page ne peut être<br />

— 2I7 —<br />

aussi variée que celle d’un magazine, mais elle ne connaît<br />

pas, ou peu, les limites qu’impos<strong>en</strong>t ‘a la presse quotidi<strong>en</strong>ne<br />

et hebdomadaire les impératifs <strong>de</strong> dim<strong>en</strong>sion. D’où une gran<strong>de</strong><br />

liberté pour les auteurs, liberté qui sert d’ailleurs <strong>de</strong> mon<br />

naie d’échange à la rédaction afin d’obt<strong>en</strong>ir <strong>de</strong>s collabora<br />

tions à moindre prix, ou gratuites, d’écrivains qui attach<strong>en</strong>t<br />

un grand prix à ce qu’aucune coupure ne soit pratiquée dans<br />

leurs textes.<br />

Une ambigu!td analogue se retrouve dons le cont<strong>en</strong>u <strong>de</strong> la<br />

revue qui est à la fois net et incertain. La plupart <strong>de</strong>s re<br />

vues, au moins à leurs débuts, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> se définir,<br />

et recour<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t pour cela à <strong>de</strong>s “manifestes” plus ou<br />

moins tapageurs. Mais cette unité t<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong>tôt à s’effacer,<br />

et la position <strong>de</strong> la revue semble d’autant plus floue que les<br />

auteurs sont multiples et les sujets égalem<strong>en</strong>t. L’ess<strong>en</strong>tiel<br />

passe alors dans les marges : signes <strong>de</strong> reconnaissance qui<br />

délimit<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s frontières perceptibles aux initiés, co<strong>de</strong> par<br />

ticulier dont la fonction est <strong>de</strong> faire communiquer une équipe<br />

et un public, lesquels finiss<strong>en</strong>t par s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre à <strong>de</strong>mi—mot.<br />

Nous trouvons ici un élém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la “cléricature”, telle qu’<br />

analysée par Ph. Nem1 le noyau du dogme passe au second<br />

plan, mais les impératifs n’<strong>en</strong> <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t que plus contrai<br />

gnants on recrute ou l’on exclut pour <strong>de</strong>s détails mineurs<br />

il suffit parfois qu’un tel ait dit du bi<strong>en</strong> d’un tel qui est<br />

l’<strong>en</strong>nemi d’un ami pour que cet auteur soit rayé <strong>de</strong> la liste<br />

<strong>de</strong>s collaborateurs. L”équipe” t<strong>en</strong>d alors à se transformer<br />

1 • 1-lit I -ippe i’Ie!1o, “La concapt d. c1.éri.tattira”, Cahiers du C. i.. A.<br />

n”, iiaI 193.


— 248 —<br />

<strong>en</strong> “chap 11e” et, contrairem<strong>en</strong>t à ce qu’on pourrait croire,<br />

notre épcque se prête d’autant plus à cette évolution qu’el<br />

le dépréie la proclamation <strong>de</strong>s dogmes, la référ<strong>en</strong>ce à <strong>de</strong>s<br />

idéologis explicites, à <strong>de</strong>s credo articulés. Dans une socié—<br />

té “dé—fanatisée”, l’ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s convictions se déplace norma<br />

lem<strong>en</strong>t vers les zones périphériques et l’intolérance douce<br />

s’exprime, non plus par <strong>de</strong>s anathèmes, nais par <strong>de</strong>s armes<br />

bi<strong>en</strong> plus efficaces le sil<strong>en</strong>ce, le mépris, la dérisions<br />

Le p1Lus curieux est que les cléricatures <strong>de</strong> revue se po<br />

s<strong>en</strong>t ordinairem<strong>en</strong>t, au début, <strong>en</strong> anti—cléricatures. Il s’a<br />

git souveit <strong>de</strong> jeunes g<strong>en</strong>s, dégodtés par l’idéologie dominan<br />

te, <strong>en</strong> coLère contre la sclérose <strong>de</strong> la littérature, <strong>de</strong> l’art<br />

ou <strong>de</strong> la olitique, et qui veul<strong>en</strong>t faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre la voix d’<br />

4le génération, exercer une fonction critique — à la<br />

une nouv<br />

fois ré—ciminante et in—criminante (n’oublions pas que “cri<br />

tique” eth’crime” ont la même racine, qui signifie trier, sé<br />

parer le lon grain <strong>de</strong> l’ivraie<br />

— opération émin<strong>en</strong>te à la fois<br />

dans l’ar1, la religion et la justice). La fondation d’une<br />

revue, lo4squ’il ne s’agit pas d’une fantaisie passagère, ex<br />

prime le ésir <strong>de</strong> rompre avec une certaine domination cultu<br />

relle pouz fon<strong>de</strong>r une nouvelle culture, ou du moins pour se<br />

rattacher une autre tradition culturelle. Ces mouvem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong><br />

rupture eI <strong>de</strong> rapatriem<strong>en</strong>t culturel rythm<strong>en</strong>t l’histoire <strong>de</strong>s<br />

revues, teLle que nous la connaissons <strong>de</strong>puis le milieu du<br />

X1Xè siècLe. On peut toutefois se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ces alternances<br />

sont <strong>en</strong>core possibles dans une société comme la nôtre, où les<br />

media 1ancnt continuellem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s nouvelles, tout <strong>en</strong><br />

— 249 —<br />

relantant <strong>de</strong>s auteurs, <strong>de</strong>s artistes, voire <strong>de</strong>s philosophes<br />

oubliés. Rupture et rajeunissem<strong>en</strong>t sembl<strong>en</strong>t difficiles lors<br />

que la transgression est affichée presque partout et que la<br />

juvénilité est l’emblème <strong>de</strong> tout produit la culture est<br />

<strong>en</strong>trée elle aussi, <strong>de</strong>puis une vingtaine dans le cir<br />

cuit <strong>de</strong> la production—consommation, qui implique le recours<br />

aux métho<strong>de</strong>s publicitaires).<br />

La fondation d’Esprit, <strong>en</strong> 1932, est typique <strong>de</strong> cette vo<br />

lonté <strong>de</strong> rupture effectuée au nom d’une génération. Son di<br />

recteur, E. Pounier, énonce ainsi le “triple s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t” qui,<br />

à la fin <strong>de</strong> 1929, le poussa dans cette <strong>en</strong>treprise<br />

“ 1) Le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qu’un cycle <strong>de</strong> création française était<br />

bouclé, qu’il y avait <strong>de</strong>s choses à p<strong>en</strong>ser qu’on ne pouvait<br />

écrire nulle part ; qu’à nous autres, pianistes <strong>de</strong> vingt—cinq<br />

ans, il manque un piano;<br />

2) La souffrance <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus vive <strong>de</strong> voir notre chris<br />

tianisme solidarisé avec ce que j’appellerai plus tard le dé<br />

sordre établi et la volonté <strong>de</strong> faire la rupture I<br />

3) La perception, sous la crise économique naissante, d’une<br />

crise dc civilisation.”<br />

Jeunesse, nouveauté, rupture ... à quoi s’ajoute ici le<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t pguyste d’une r<strong>en</strong>contre avec l’événem<strong>en</strong>t. On oppo<br />

se aux g<strong>en</strong>s <strong>en</strong> place la consci<strong>en</strong>ce d’une gnération montante<br />

que la revue se donne la tôche d’exprimer. Esprit est certes<br />

une revue d’un g<strong>en</strong>re particulier (mais toutes n’ont—elles pas<br />

leur caractère propre ?) ; son premier numéro s’ouvre sur un<br />

long article du fondateur, qui a valeur <strong>de</strong> nILmnifete .<br />

1 — E. t.ounier “tfa’c la tonaissoncc” (sprit, octobre 1932).<br />

Le


— 250 —<br />

“corpus’ est soli<strong>de</strong>, ce qui constitue svns doute l’une <strong>de</strong>s<br />

raisons pour lesquelles Esprit survivra à la génération <strong>de</strong>s<br />

fonciateirs ; il est ‘n noter aussi que, dès le début, son fon<br />

dateur 1ui a donné une assise provinciale et internationale,<br />

ce qui a prémunit contre la t<strong>en</strong>tation <strong>de</strong> la chapelle pari<br />

si<strong>en</strong>ne t l’oblige à une pédagogie continuelle. Cep<strong>en</strong>dant,<br />

la volortté <strong>de</strong> prolonger une revue au—<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’espace d’une<br />

génération (une vingtaine d’années, au maximum) comporte évi—<br />

<strong>de</strong>min<strong>en</strong>t un risque <strong>de</strong> sclérose : on est alors conduit à recru<br />

ter <strong>de</strong>s collaborateurs plus jeunes, et, au s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t exaltant<br />

d’une coplicité <strong>de</strong> génération, se substitue pius ou moins<br />

une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> groupe clérical, <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>se contre ce qui me<br />

nace la ‘ligne” et par là aveugle aux promesses <strong>de</strong> r<strong>en</strong>ouveau<br />

qui se4ssin<strong>en</strong>t ici et là. C’est le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce risque<br />

qui me crnduisit è. “refon<strong>de</strong>r” Esprit <strong>en</strong> 1958, alors que j’é<br />

tais déj âgé <strong>de</strong> tr<strong>en</strong>te—six ans, et à quitter la direction <strong>de</strong><br />

la revue<strong>en</strong> 1976. Il ne m’apparti<strong>en</strong>t évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t pas d’<strong>en</strong> éva<br />

luer les conséqu<strong>en</strong>ces ; je note seulem<strong>en</strong>t que cette revue a<br />

pu passelt<br />

le cap <strong>de</strong> la cinquantaine sans tomber dans le con—<br />

formisme, <strong>en</strong>core que la perpétuation d’une rédaction comporte<br />

forcém<strong>en</strong>1 <strong>de</strong>s risques <strong>de</strong> fermeture face à l’avènem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> gé—<br />

nérations et <strong>de</strong> t<strong>en</strong>dances nouvelles. Tout n’est pas mauvais<br />

cep<strong>en</strong>dant dans les “cléricatures”, et c’est certainem<strong>en</strong>t une<br />

fonction stile <strong>de</strong>s clergés que d’assurer une continuité à tra<br />

vers les énérations. Cette fonction pourrait s’avérer d’ail<br />

leurs d’ tant plus fécon<strong>de</strong> que les générations s’us<strong>en</strong>t plus<br />

vite et q e l’archivage auquel procè<strong>de</strong> notre société ressem—<br />

— 251 —<br />

ble plut6t à une pathologie <strong>de</strong> la mémoire qu’à une transmis<br />

sion fécon<strong>de</strong> du patrimoine.<br />

La fondation <strong>de</strong> la Nouvelle Revue française, malgré la<br />

différ<strong>en</strong>ce d’époque et <strong>de</strong> g<strong>en</strong>re, prés<strong>en</strong>te bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s analogies<br />

avec celle d’Esprit. Il s’agissait aussi <strong>de</strong> donner un instru<br />

m<strong>en</strong>t d’expression à un groupe jeune, luci<strong>de</strong>, fraternel, dres—<br />

5é contre la domination <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>s vieillissantos. Ghéon, l’un<br />

<strong>de</strong> ses fondateurs, le dit clairem<strong>en</strong>t : “Mâme OEge, mépris com<br />

mun d’un art <strong>en</strong> désaccord avec <strong>de</strong>s aspirations nouvelles, be<br />

soin <strong>de</strong> serrer les rangs pour se s<strong>en</strong>tir sout<strong>en</strong>u, ce sont là<br />

<strong>de</strong>s raisons suffisantes pour former école. Eh bi<strong>en</strong> ! Je vois<br />

ici plus (...), je vois fraternité <strong>de</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, unanimité<br />

cordiale. (...) Nous étions un peu submergés d’élégies ; ce<br />

la fait du bi<strong>en</strong>.” Dans son admirable étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> laN.<br />

R.?. ‘Augu8te Anglès écrit<br />

Uti groupe se défluiit par ses réactions spolilanérs aux oeuvres.<br />

par In hiérarchie qu’il établit d’insti,,ct <strong>en</strong>tre les écrivains, par<br />

tics tillinités qui ori<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les jug<strong>en</strong>iciits, ,n,iic si les tempéra—<br />

lii<strong>en</strong>ts iliffêrciit. Mais cet accord <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>siltjiii,!s doit s’exhIhi,luer<br />

cii con,incntajrcs critiques, dont l’cnscnil,le unit par consiilurr<br />

‘inc esthétique. l)ciix t<strong>en</strong>tations peuv<strong>en</strong>t alors surgir. Ou bi<strong>en</strong><br />

la groupe, soucieux d’affirmer son i<strong>de</strong>ntité aux yeux du public,<br />

rncIamcra un credo, lancera <strong>de</strong>s manifestes. Ou bi<strong>en</strong>, rebelle<br />

n,Ix formules et att<strong>en</strong>tif aux différ<strong>en</strong>ces, il acceptera d’un coeur<br />

léger l’éclectisme. Entre le dogmatisme et Ic laisser-aller le<br />

t:heii,i,i est difficile t, tracer.<br />

1 — Extrait <strong>de</strong> la thèse d’A. Ariglès, publiée sous le titre<br />

André Gi<strong>de</strong> et le premier groupe <strong>de</strong> La Nouvelle Revue<br />

française. La formation du groupe et les éesp—<br />

preritissage. 1890—1910. (I’IHF, Gallimard).


— 252 — — 253 —<br />

Certes, a NR1? se gar<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> <strong>de</strong> publier un manifeste. Gi<strong>de</strong><br />

n’est pa Ivlounier. Pourtant les “Considérations” <strong>de</strong> J. Schlum—<br />

berger, ui ouvr<strong>en</strong>t le numéro 1 <strong>de</strong> la NRP sont, comme le fait<br />

remnrque nglès, d’un ton rigoureux, et l’auteur n’hésite<br />

pas àpz<br />

4clamer le primat du groupe sur les préfér<strong>en</strong>ces mdi—<br />

viduelle “La forte unité du groupe n’est faite que <strong>de</strong> la<br />

restriction <strong>de</strong>s libertés individuelles”. Axiome clérical, et<br />

môme jésuite. Il inspirera, dans les débuts, le fonctionne<br />

m<strong>en</strong>t strct d’un Comité <strong>de</strong> lecteurs aucun manuscrit ne <strong>de</strong><br />

vait ôtr accepté qui n’eut l’agrém<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ces lecteurs. Règle<br />

d’or, qui prémunissait contre les pressions et les complaisan<br />

ces, mais qui se heurta bi<strong>en</strong>tôt à <strong>de</strong>s difficultés techniques.<br />

Tion propos n’est pas <strong>de</strong> retracer l’histoire <strong>de</strong> la NRP,<br />

dont on sait qu’elle donna naissance h une maison d’éditions<br />

très importante, qui éclipse aujourd’hui la revue elle—môme,<br />

mais qui témoigne <strong>de</strong> l’étormant pouvoir <strong>de</strong> fécondation que<br />

les revue peuv<strong>en</strong>t avoir sur la vie culturelle <strong>de</strong> notre so<br />

ciété. Mca propos est d’esquisser un modèle <strong>de</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t<br />

dans un drmamne caractérisé par une gran<strong>de</strong> variété. La NRF,<br />

du moins n sa première époque, offre un exemple <strong>de</strong> ce que<br />

j’appe1lerais une chapelle sans sectarisme. Elle se fon<strong>de</strong>,<br />

certes, $r une “unité <strong>de</strong> goûts”, mais cette unité n’est pas<br />

“doctrinéb”, ne se déduit d’aucun principe théorique. Elle<br />

n’<strong>en</strong> est ue plus impérative comme dans le salon <strong>de</strong> Madame<br />

Verdurin,il y n ceux qu’on aime et ceux qu’on n’aime pas,<br />

et, à <strong>de</strong>s indices imperceptibles, ou sur la simple indication<br />

du maître <strong>de</strong> maison, !ndré Gi<strong>de</strong>, les indésirables sont r<strong>en</strong>vo—<br />

yés <strong>de</strong>hors. “Le ton n’y est pas” disait Gi<strong>de</strong> pour refuser la<br />

note d’un collaborateur. Mais qu’est—ce qui définissait ce<br />

ton, sinon une certaine conniv<strong>en</strong>ce, un “ton” commun, ou du<br />

moins majoritaire dans la rédaction — un ton qui reproduit<br />

les inclinations du lea<strong>de</strong>r, les <strong>de</strong>vance môme ?<br />

Comme je le disais tout à l’heure, une revue marque son<br />

territoire <strong>de</strong> repères positifs et négatifs. Ce sont les cri<br />

tiques favorables et défavorables, qui i<strong>de</strong>ntifi<strong>en</strong>t la revue,<br />

davantage que les textes <strong>de</strong> définition. Le corpus se consti<br />

tue peu à peu <strong>de</strong> morceaux infimes comme une mosatque. Ce pro<br />

cessus est particulièrem<strong>en</strong>t visible dams la NRP, où la batail<br />

le se localise sur <strong>de</strong>s points mineurs, ou du moins qui nous<br />

paraiss<strong>en</strong>t tels. On a d’ailleurs beaucoup <strong>de</strong> peine, après<br />

coup, à compr<strong>en</strong>dre ce qui faisait l”unité <strong>de</strong> golit” d’une é—<br />

quipe qui se passionnait pour <strong>de</strong>s auteurs qui, aujourd’hui,<br />

nous sembl<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t insignifiants, ou bi<strong>en</strong> dont la qualité<br />

d’inspiration est très inégale. Qu’est—ce qui faisait coexis<br />

ter dans l”unité <strong>de</strong> goût” Paul Clau<strong>de</strong>]. et Mina <strong>de</strong> Monilles ?<br />

3i nous parv<strong>en</strong>ions à le compr<strong>en</strong>dre, nous serions capables <strong>de</strong><br />

restituer <strong>de</strong>s normes qui nous échapp<strong>en</strong>t. Or Gi<strong>de</strong> et ses amis<br />

s’attach<strong>en</strong>t à ces “captures” prestigieuses. s’agissait—il<br />

seulem<strong>en</strong>t d’afficher <strong>de</strong>s signatures <strong>en</strong> vogue ? Mais alors<br />

comm<strong>en</strong>t une revue “jeune” et <strong>en</strong> rupture avec l’idéologie do<br />

minante pouvait—elle faire la chasse à <strong>de</strong>s textes aussi “éta<br />

blis” que ceux <strong>de</strong> M. Barrès et <strong>de</strong> la Comtesse <strong>de</strong> floailles.<br />

La composition d’un sommaire <strong>de</strong> revue, examiné à tr<strong>en</strong>te ou<br />

soixante ans <strong>de</strong> distance, est souv<strong>en</strong>t déconcertante ; elle


<strong>en</strong> uppi<br />

— 25 —<br />

1exidrait divantage sur 1’ cïprit d’une époque que beau<br />

coup <strong>de</strong> traités d’histori<strong>en</strong>s. Ici aussi, ce qui est caché,<br />

cet imlicite qui ori<strong>en</strong>te les choix et donne le ton, compte<br />

plus que ce qui eSt exprimé. Ce qU’A. nglès appelle “une é—<br />

thique ous—jac<strong>en</strong>te aux jugem<strong>en</strong>ts esthétiques” a pourtant<br />

rallié 1errière la NRP bon nombre <strong>de</strong>s meilleurs esprits <strong>de</strong><br />

l’époque. D’autres, un peu plus tard, suivront Péguy aux Ca<br />

hiers dL la Quinzaine, avec lesquels Gi<strong>de</strong> et Ses amis 5e s<strong>en</strong><br />

t<strong>en</strong>t pliis d’affinités qu’on pourrait l’irnginer aujourd’hui.<br />

C’est sns doute parce que les sociét4 europé<strong>en</strong>nes connais<br />

s<strong>en</strong>t alrs un <strong>de</strong> ces reflux <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité qui pouss<strong>en</strong>t<br />

beaucoup d’intellectuels à rechercher, soit dans la religion,<br />

soit d5Ls <strong>de</strong>s formes pseudo—religicusca <strong>de</strong> mystique ou d’<strong>en</strong>—<br />

gagem<strong>en</strong>, <strong>de</strong>s p<strong>en</strong>sées, <strong>de</strong>s s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, une esthétique et un<br />

<strong>en</strong>gagemnt qui témoign<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ce qu’Anglès appelle un “évan—<br />

gélismelacisé”. La fondation <strong>de</strong>s “déca<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Pontigny” par<br />

P. Desjdrdins, <strong>en</strong> 1910, et la participation à ces déca<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>s étoilles <strong>de</strong> la NRP illustr<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> ce rôle <strong>de</strong> clergé <strong>de</strong><br />

suppiéar4ce que tant d’intellectuels sont poussés à jouer<br />

lorsque s’affaibliss<strong>en</strong>t les religions transc<strong>en</strong>dantales.<br />

1 — On t’ouvera <strong>de</strong>s correspondances éclatantes avec ce plié—<br />

nom*e dans ce qui se passait à Vi<strong>en</strong>ne à la môme époque<br />

(voir l’essai <strong>de</strong> K. Schorslce Vi<strong>en</strong>ne, fin dp siècle.<br />

SeuLl).<br />

II<br />

lia revue offre un exceptionnel terrain d’analyse <strong>de</strong>s<br />

rapports <strong>en</strong>tre esprit et pouvoir, <strong>en</strong>tre une inspiration <strong>de</strong> ty<br />

pe prophétique et la nécessité d’institutionnaliser le groupe<br />

afin qu’il puisse publier les numéros prévus à <strong>de</strong>s dates ré<br />

gulières.<br />

— 255 —<br />

J’ai noté que les revues Se situ<strong>en</strong>t à l’écart <strong>de</strong> la pro<br />

duction marchan<strong>de</strong> et ont <strong>de</strong> la peine à s’inscrire dans le<br />

circuit commercial. A l’inverse <strong>de</strong>s autres <strong>en</strong>treprises, les<br />

revues se fon<strong>de</strong>nt selon une impulsion désintéressée, et <strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> marché, parfois <strong>de</strong> tout souci <strong>de</strong>s<br />

débouchés. Il s’agit d’écrire, à tout prix, et l’on dispute<br />

ra p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s heures <strong>de</strong> tel texte, sans Se soucier s’il trou<br />

vera <strong>de</strong>s lecteurs. Outre certaines difficultés économiques,<br />

sur lesquelles je revi<strong>en</strong>drai, cette caractéristique soulève<br />

<strong>de</strong>s problèmes institutionnels délicats. On peut <strong>en</strong> effet dis<br />

tinguer <strong>en</strong> gros <strong>de</strong>ux types d’institutions celles où les<br />

g<strong>en</strong>s obéiss<strong>en</strong>t parce qu’ils y sont contraints par une hiérar<br />

chie consacrée (l’armée, par exemple) ; celles où les g<strong>en</strong>s<br />

obéiss<strong>en</strong>t parce qu’ils sont payés pour cela. Entre ces <strong>de</strong>ux<br />

types, <strong>de</strong>s transitions exist<strong>en</strong>t évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t. Or la revue fonc<br />

tionne sur le mo<strong>de</strong> du bénévolat, môme si un ou <strong>de</strong>ux rédacteurs<br />

perçoiv<strong>en</strong>t un salaire <strong>en</strong> général assez faible. Cela pose un<br />

1 — Du moins celles qui se définiss<strong>en</strong>t comme l’expression cl’<br />

une volonté commune, et qui ne sont pas <strong>de</strong>s créations ar<br />

tificielles d’institutions politiques, industrielles, ad<br />

ministratives — ou <strong>de</strong> mécènes <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus rares.


— 256 —<br />

problme <strong>de</strong> discipline, parce que le directeur ou le rédac<br />

teur n chef, faute <strong>de</strong> rémunérer ses collaborateurs, peut<br />

diffii1ein<strong>en</strong>t leur imposer ses exig<strong>en</strong>ces. Certes, il peut<br />

jouer [<strong>de</strong> leur dévouem<strong>en</strong>t et <strong>de</strong> leur désir d’être publiés.<br />

1ain ces vertus, ou ces vanités, sont insuffisantes pour ob<br />

t<strong>en</strong>ir les suppressions ou corrections nécessaires, car le ré—<br />

dacteur, précisém<strong>en</strong>t parce qu’il ti<strong>en</strong>t à ce qu’il a écrit, S’<br />

oppose’a à tout ce qui lui paraît mutiler sa p<strong>en</strong>sée. Telle<br />

est la raison pour laquelle tant <strong>de</strong> revues publi<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s arti<br />

cles lng3 et hermétiques, et per<strong>de</strong>nt ainsi <strong>de</strong>s lecteurs. On<br />

peut e3timer que plus l’article est long, moins son auteur<br />

est rétnunéré ; cette échelle va <strong>de</strong> l’cpresa ou du Pointoù<br />

l’on erPrime un texte à trois mots près, à Esprit <strong>en</strong> passant<br />

par Le’ton<strong>de</strong>. A l’inverse <strong>de</strong> ce qui se passe, non seulem<strong>en</strong>t<br />

dans ls commerces <strong>de</strong> marchandises pondéreuses,mais dans l’é—<br />

dition<strong>de</strong>a livres, moins on paye les producteurs et plus ils<br />

produi<strong>en</strong>t<br />

Or imagine que, dans un tel contexte, l’institution et<br />

le fonctionnem<strong>en</strong>t d’un pouvoir soli<strong>de</strong> se révèl<strong>en</strong>t à la fois<br />

nécessaireS et difficiles. Les ‘écrivants” sont indociles et<br />

portés l’individualisme par la nature <strong>de</strong> leur travail. Dans<br />

une “éqiipe” <strong>de</strong> revue, l’ar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s convictions, la passion<br />

<strong>de</strong>s idées t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt à faire oublier les exig<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la publi<br />

cation (délai, r<strong>en</strong>tabilité) et même celles du public. A la<br />

li,nite, qu’importe qu’on soit lu pourvu qu’on soit publié<br />

1 — Ce trait m’a particulièrem<strong>en</strong>t frappé chez certains publi—<br />

cistes <strong>de</strong> sauche ils se réfèr<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t au peuple<br />

mni ne se souci<strong>en</strong>t pas du public, se refusant à toute a—<br />

,néloration pédagogique <strong>de</strong> leur texte.<br />

(i)<br />

— 257 —<br />

Ce problème <strong>de</strong> pouvoir est parfois résolu par l’institution<br />

d’un “Comité”, “comité directeur” où, b<strong>en</strong>ottem<strong>en</strong>t<br />

1”comité <strong>de</strong><br />

lecture”, mot typique <strong>de</strong>s revues, qui évoque malheureusem<strong>en</strong>t<br />

la terreur et le totalitarisme, mais qui se caractérfse ici<br />

par la converg<strong>en</strong>ce généreuse et le dévouem<strong>en</strong>t sans faille.<br />

C’est ce système qu’avait d’abord adopté la WRF. Mais bi<strong>en</strong>—<br />

t8t, ce fut Gi<strong>de</strong> qui <strong>en</strong> <strong>de</strong>vint le véritable directeur, sans<br />

<strong>en</strong> avoir le titre, — solution idéale parce qu’une revue a be—<br />

sion d’un directeur, mais celui—ci se trouve exposé <strong>en</strong> perma<br />

n<strong>en</strong>ce aux contestations et protestations du <strong>de</strong>hors et du <strong>de</strong><br />

dans, sans parler <strong>de</strong>s soucis financiers, ce qui fait <strong>de</strong> ce<br />

métier l’un <strong>de</strong>s plus épuisants qui soi<strong>en</strong>t. Etre l’tme d’une<br />

revue sans <strong>en</strong> être le responsable ..., seul Gi<strong>de</strong> pouvait pra—<br />

tinuer une telle attitu<strong>de</strong> ! A l’inverse, J.P. Sartre sera le<br />

directeur <strong>de</strong>s Tempe mo<strong>de</strong>rnes sans <strong>en</strong> être l’ême, ce qui est<br />

sans doute l’une <strong>de</strong>s raisons pour lesquelles, après une pério—<br />

<strong>de</strong> glorieuse, cette revue a perdu beaucoup d’impact. Péguy,<br />

lui, prttiquait une direction vigoureuse, absolue, écrasante<br />

d’où, on le sait, d’incessantes querelles. 1ounier avait un<br />

style à la fois impérieux et souple ; il avait su construire<br />

sa revue comme une pyrami<strong>de</strong> institutionnelle, avec une large<br />

base — les “groupes Esprit” — et une hiérarchie rigoureuse au<br />

sommet : comités <strong>de</strong> rédaction spécialisés, coiffés par un Co<br />

mité directeur. Des Congrès périodiques donnai<strong>en</strong>t un s<strong>en</strong>ti<br />

m<strong>en</strong>t <strong>de</strong> communion et <strong>de</strong> démocratie, mais la démocratie ne<br />

pouvait aller très loin <strong>en</strong> pnreil domaine, et je comprernis<br />

ces Congrès h <strong>de</strong>s conciles ou <strong>de</strong>s syno<strong>de</strong>s, plub6t qu’à <strong>de</strong>s


—258—<br />

assemb1es représ<strong>en</strong>tatives, car 1i voix <strong>de</strong> quelques ténors,<br />

et surtut celle du directeur y indiquai<strong>en</strong>t la bonne direc<br />

tion. Arès la mort <strong>de</strong> Mounier (mars 1950), Esprit a connu<br />

<strong>de</strong>s phéomènes <strong>de</strong> crispation. Con<strong>en</strong>t <strong>en</strong> serait—il allé au—<br />

trem<strong>en</strong>tdans une institution qui se s<strong>en</strong>tait décapitée ? Mais<br />

il est xeinnrquable qu’ils ai<strong>en</strong>t été suraontés, et que la t<strong>en</strong><br />

tation <strong>de</strong> constituer un dogme ait été définitivem<strong>en</strong>t écartée.<br />

3’iL est bi<strong>en</strong> adapté au fonctionnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la revue, le<br />

IComitéI[ a néanmoins <strong>de</strong>s inconvéni<strong>en</strong>ts. D’abord, il crée une<br />

distincton <strong>en</strong>tre les élus et les “candidats”, qui finiss<strong>en</strong>t<br />

pas s’imati<strong>en</strong>ter ou se décourager. La cooptation peut <strong>en</strong>g<strong>en</strong><br />

drer la aralysie et alors le Comité fonctionne à l’inverse<br />

<strong>de</strong>s idéaix proclamés qui sont d’ouverture, <strong>de</strong> liberté, <strong>de</strong> re—<br />

nouve1l<strong>en</strong><strong>en</strong>t ... Puisqu’il n’est pas question <strong>de</strong> voter, il<br />

faut bier parv<strong>en</strong>ir à un minimum d’unanimité, ce qui a pour<br />

conséqueIce d’atténuer les prises <strong>de</strong> position, et aboutit par<br />

fois à <strong>de</strong> “synthèses” où l’on trouve à boire et à manger.<br />

L’expressLon intellectuelle porte évi<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t à une certaine<br />

autocrati, si l’on veut éviter <strong>de</strong> tomber au niveau du dis<br />

cours <strong>de</strong>spartis politiques. On n’a pas <strong>en</strong>core trouvé le mo<br />

y<strong>en</strong> <strong>de</strong> dériocratiser l’institution culturelle ; ou elle est<br />

autoritaike,<br />

ou elle est bureaucratique (cf. l’Unesco).<br />

Paut d’une direction, et, disons le nt, d’une c<strong>en</strong>sureW<br />

1 — C<strong>en</strong>su e Je pr<strong>en</strong>ds le mot au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> “critique à l’effet<br />

<strong>de</strong> corriger” (Littré) et non <strong>de</strong> interdiction <strong>de</strong> publier.<br />

Mais <strong>de</strong>tte acception intellectuelle éveille aussi <strong>de</strong>s<br />

échos LecclésiatiqueS.<br />

— 259 —<br />

camouflée sous le nom <strong>de</strong> lecture, une revue éclate ou sombre<br />

dans l’insignifiance parce que chacun se met à écrire pour<br />

soi, ou pour ses admirateurs, au lieu d’écrire avec les au<br />

tres et pour les autres. I]. est incontestable que cette <strong>en</strong><br />

treprise collective heurte <strong>de</strong> front, non seulem<strong>en</strong>t les dé<br />

fauts habituels aux auteurs (leur individualisme, leur vani<br />

té) mais quelque chose d’inhér<strong>en</strong>t à la création, et <strong>de</strong> pro<br />

fondém<strong>en</strong>t respectable. C’est pourquoi la direction d’une re<br />

vue est une lutte incessante, que je dirai hégéli<strong>en</strong>ne, pour<br />

tirer <strong>de</strong> cet individualisme <strong>de</strong>s écrivants une participation<br />

à l’oeuvre commune — mais aussi un effort pour éviter que<br />

cette collectivisation <strong>de</strong> l’oeuvre intellectuelle n’aboutis<br />

se au conformisme et à la paralysie mutuelle. Toute revue<br />

culturelle hésite <strong>en</strong>tre <strong>de</strong>s textes d’auteurs, quieont’brIl<br />

lants, mais peu cohér<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre eux, et<strong>de</strong>stoxE<br />

borateurs, qui<br />

1 au risque <strong>de</strong> parattret<br />

Esprit a connu cette oscillation. Son:’8eii___<br />

bert Béguin, p<strong>en</strong>chait du c8té do 1’ -<br />

y voyant la fonction propre d’une revue et, <strong>de</strong> surr.<br />

manifestation même <strong>de</strong> ce “personnalisme” dont elle se’rà1 — --.<br />

mait; ce qui ne laissa pas d’<strong>en</strong>tratner quelques conflits a—<br />

vec le Comité directeur. Pour ma part, je me s<strong>en</strong>tais plus<br />

proche du travail <strong>de</strong> groupe tel qu’il fonctionnait à l’époque<br />

d’Emmanuel Mounier, et le rôle <strong>de</strong> directeur m’imposait <strong>de</strong> ré<br />

crire, au moins autant que d’écrire. Beaucoup <strong>de</strong> textes d’<br />

Esprit, et surtout ses numéros spéciaux , exprimai<strong>en</strong>t ainsi<br />

une réflexion collective à laquelle participai<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t<br />

-


— 260 — — 261 —<br />

bi<strong>en</strong>’<strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s qui n’avai<strong>en</strong>t pas le temps ou la pratique<br />

<strong>de</strong> lécriture. Cela revêtait pour moi une valeur idéologique<br />

il ne paraissait —<br />

et<br />

il me paraft toujours — injuste et<br />

appaurrissant que l’expression écrite, <strong>en</strong> France particuliè—<br />

remon, reste le privilège d’une minorité <strong>en</strong>trafnée à l’exer<br />

cice umaniste <strong>de</strong> la rédaction. Ainsi, p<strong>en</strong>dant <strong>de</strong>s années,<br />

Esprj est—il parv<strong>en</strong>u à exprimer, non seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s “idées”,<br />

niais es expéri<strong>en</strong>ces v<strong>en</strong>ues <strong>de</strong> régions géographiquem<strong>en</strong>t ou<br />

intel1ectueilem<strong>en</strong>t éloignées <strong>de</strong> Saint—Germain_<strong>de</strong>s_prés. Seule<br />

la revfie, me semble—t—il, est <strong>en</strong> mesure <strong>de</strong> réaliser cette mé—<br />

diatio <strong>en</strong>tre l’intellig<strong>en</strong>tsia et les divers secteurs soojo—<br />

profesionnels, <strong>en</strong>tre la bourgeoisie écrivante et les travail—<br />

leurs,<strong>en</strong>fin <strong>en</strong>tre une rédaction nationale et ses correspon<br />

dants 4u ses homologues à l’étranger.<br />

L risque <strong>de</strong> cl6ture qui m<strong>en</strong>ace les rédactions <strong>de</strong> revue<br />

se mesure à l’importance grandiose qu’y pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les moindres<br />

détails[. Le numéro qui vi<strong>en</strong>t <strong>de</strong> “sortir” suscite chez ses res—<br />

ponsabls <strong>de</strong>s réactions semblables à celle <strong>de</strong> l’<strong>en</strong>fant flou—<br />

veau—né pour sa famille c’est le plus beau <strong>de</strong> tous, et l’on<br />

détaill une à une ses merveilles. L’histoire <strong>de</strong> la NRF racon<br />

tée par Anglès regorge d’anecdotes <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re. On se fascine<br />

sur la rés<strong>en</strong>tation du sommaire, l’ordre <strong>de</strong>s textes et leur<br />

typograhie ; on se brouille pour une faute d’impression, pour<br />

u± retard <strong>de</strong> publication, pour un voisinage incommodant<br />

J’ai eu affronter bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> ce g<strong>en</strong>re : <strong>de</strong>s sa<br />

vants émin<strong>en</strong>ts me reprochai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ne pas avoir publié leur<br />

texte <strong>en</strong>tête du sommaire ; <strong>de</strong>s militants <strong>de</strong> gauche se plai—<br />

gnai<strong>en</strong>t d’être imprimés <strong>en</strong> trop petits corps ; <strong>de</strong>s poètes se<br />

fâchai<strong>en</strong>t pour une virgule déplacée ... La vie d’une revue<br />

est extraordinairem<strong>en</strong>t agitée, et l’on n’y compte pas les<br />

querelles, les ruptures, les réconciliations, pour <strong>de</strong>s motifs<br />

<strong>de</strong> toute sorte, parfois ess<strong>en</strong>tiels, parfois dérisoires. Cela<br />

est harrasnaxit, mais aussi réconfortant : <strong>en</strong> effet cette agi<br />

tation passionnelle est la preuve que le collaborateur atta<br />

che une extrême importance à une oeuvre ‘n laquelle le direc<br />

teur sacrifie lui—même toutes ses forces (et souv<strong>en</strong>t son loi<br />

sir, car ce métier tolère difficilem<strong>en</strong>t la distinction du<br />

travail et du loisir, du public et du privé). Cep<strong>en</strong>dant, le<br />

danger est rie pr<strong>en</strong>dre ce microcosme pour l’univers il est<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du qu’on a toujours raison, qu’on a tout dit, tout an<br />

noncé — et le critique, s’il ose, se trouve bi<strong>en</strong>têt rejeté<br />

aux ténèbres extérieures, soit qu’on le psychanalyse, soit<br />

que (et c’est fréqu<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s revues et même <strong>de</strong>s hebdoma<br />

daires qui affich<strong>en</strong>t leur athéisme) on l’écrase d’un man<strong>de</strong><br />

m<strong>en</strong>t qui ruisselle <strong>de</strong> bonne consci<strong>en</strong>ce apostolique. La revue,<br />

qui pourrait et <strong>de</strong>vrait être un instrum<strong>en</strong>t <strong>de</strong> débat, l’est<br />

rarem<strong>en</strong>t à cause <strong>de</strong> cet esprit <strong>de</strong> corps qu’elle sécrète, et<br />

qui est le produit, non seulem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail,<br />

mais aussi <strong>de</strong> son infériorité sur le marché. le directeur <strong>de</strong><br />

revue a non seulem<strong>en</strong>t les réflexes habituels à l’auteur<br />

“On ne m’a pas lu, on ne m’a pa.s compris ...“ ; il a aussi le<br />

complexe d’infériorité <strong>de</strong> celui qui voit sa production occul<br />

tée par <strong>de</strong>s marchandises médiocres mais tapageuses qui “ti<br />

r<strong>en</strong>t” dix ou vingt fois plus que lui. Il <strong>en</strong> faut peu pour qu’


—262—<br />

il <strong>de</strong>vieflflr un “persécuté”, ou u_n “pontife”<br />

dialogue.<br />

— impropre au<br />

I,a reîue développe donc autour d’elle <strong>de</strong>s cercles mi—<br />

tiatiqueS. En ceci, elle témoigne d’une survivance, d’ailleurs<br />

sympathiqu et fécon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la cléricatUre religieuse, avec<br />

une t<strong>en</strong>danbe à la secte, puisque cette cléricature, comme<br />

nous l’avo s vu, s’affirme contre les religions établies et<br />

se pose d’ bord <strong>en</strong> hérésie,— une hérésie qui prét<strong>en</strong>d à l’or<br />

thodoxie. e groupe qui la dirige est auto—organisé, auto—<br />

c<strong>en</strong>tré. Il est porté — et par son dévouem<strong>en</strong>t, et par les ré<br />

sistances t les difficUltéS —<br />

à<br />

s’opposer à l’extérieur, et<br />

à acc<strong>en</strong>tuei’ les traits qui le démarqu<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s autres groupes.<br />

J’ai m<strong>en</strong>tinné le mot d”éqUipe”, avec sa connotation spor<br />

tive. Le g’oupe se pare souv<strong>en</strong>t d’un langage quasi militaire.<br />

Mounier dé’inissait ainsi le groupe dirigeant d’Esprit “Une<br />

équipe d’hmmeS ‘n la peau dure, unis par une sorte <strong>de</strong> sévéri<br />

té militai]’e SOUS le regard unique <strong>de</strong> l’amitié.” La connota<br />

tion viril est évi<strong>de</strong>nte. Les femmes sont difficilem<strong>en</strong>t admi<br />

ses dans ls revues intellectuelles, parce qu’elles représ<strong>en</strong><br />

t<strong>en</strong>t un da4ger <strong>de</strong> division pour ce groupe si bi<strong>en</strong> soudé. n—<br />

glès a relevé ce trait, que r<strong>en</strong>forçait une certaine homose<br />

xualité dm45 le groupe fondateur <strong>de</strong> la T1RF.<br />

Une ds conséqu<strong>en</strong>ces dangereuses <strong>de</strong> la fermeture <strong>de</strong> 1’<br />

équipe sur elle—mme, c’est la t<strong>en</strong>dance à adopter <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong><br />

passe, un angage codé, qui finit par décourager les lecteurs.<br />

Certes, co ie flouS l’avons vu, le public soli<strong>de</strong> d’une revue<br />

n’est pas ‘abord un public <strong>de</strong> “lecteurs” mais d’amis et é’<br />

— 263 —<br />

abonnés, qui, s’ils lis<strong>en</strong>t assez peu les longs articles, se<br />

régal<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s notules et vibr<strong>en</strong>t à l’unisson <strong>de</strong> ces “notes <strong>de</strong><br />

gérance” (comme disait Péguy, qui s’adress<strong>en</strong>t “à nos amis,<br />

à nos abonnés” — Abonné, mot étrange, qui provi<strong>en</strong>t étymologi<br />

quem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> borne “abonner (1306) borner, soumettre à une<br />

re<strong>de</strong>vance limitée” (Dictionnaire Bloch et Wartbur ). Le mot<br />

a évolué <strong>de</strong>puis le quatorzième siècle ; mais il reste que s’<br />

abonner témoigne, à notre époque, d’une fidélité déterminée,<br />

qui brave les aléas <strong>de</strong> la poste et les impératifs <strong>de</strong> la con<br />

sommation instantanée. S’abonner, c’est effectivem<strong>en</strong>t s’atta<br />

cher, et parfois se limiter. Combi<strong>en</strong> d’abonnés qui m’ont é—<br />

crit g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> s’ désabonnant, qu’ils voulai<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre<br />

un peu d’air ailleurs. Mais la rédaction ress<strong>en</strong>t toujours<br />

comme une rupture affective, sinon comme une off<strong>en</strong>se, ou com<br />

me un <strong>de</strong>uil, tout désabonnem<strong>en</strong>t. Signe d’un rapport affectif<br />

int<strong>en</strong>se, que la production <strong>de</strong> masse a presque prirtout détruit,<br />

j même dans le domaine culturel, Esprit s’est souv<strong>en</strong>t servi <strong>de</strong><br />

ce li<strong>en</strong> pour faire participer ses lecteurs à <strong>de</strong>s “<strong>en</strong>qutes”<br />

qui étai<strong>en</strong>t montées et publiées par la revue, inversant ainsi<br />

la circulation qui va ordinairem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la rédaction au public.<br />

L’abonné reste, à mes yeux, le témoin d’une époque où la cul—<br />

turc réellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gageait: souti<strong>en</strong>, mais eussi acteur d’<br />

une communication qui parfois atteignait la communion.<br />

Assurém<strong>en</strong>t, la revue du type que j’ai privilégié, prés<strong>en</strong><br />

te bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> la cléricature. Je m’<strong>en</strong> r<strong>en</strong>ds compte<br />

1 — cf. le textes réunis dans Péiy et les Crihiers (Gallimard).


— 264 —<br />

plus clair m<strong>en</strong>t <strong>de</strong>puis que j’ai quitté la direction <strong>de</strong> l’une<br />

d’<strong>en</strong>tre el]res. Je compr<strong>en</strong>ds mieux certains reproches qui s’<br />

étai<strong>en</strong>t sd essés et il m’arrive <strong>de</strong> les repr<strong>en</strong>dre i mon comp<br />

te : une p oduction trop lour<strong>de</strong>, trop “compacte”. Ne possé<br />

dant plus les clés du décodage, il m’arrive <strong>de</strong> ne plus savoir<br />

au juste cc que je “dois” lire, et comm<strong>en</strong>t le lire ; <strong>de</strong> ne<br />

pas compr<strong>en</strong>dre la raison d’être <strong>de</strong> tel article, <strong>de</strong> tel <strong>en</strong>sem<br />

ble qui me paraiss<strong>en</strong>t erirmuyeux ou hors <strong>de</strong> propos. Mais le di—<br />

recteur <strong>de</strong> revue reosemiible au prédicateur qui ne se soucie<br />

pas <strong>de</strong> ceu: qui s’<strong>en</strong>dorm<strong>en</strong>t au pr6ne. Se. surdité est aussi<br />

une gr.ce d’état. Pour repr<strong>en</strong>dre le vocabulaire dont use si<br />

volontiers Ph. emo, je dirais que la revue réalise une asso<br />

ciation originale <strong>de</strong> prophétie et <strong>de</strong> cléricature qui, selon<br />

les cas, d me la priorité à la presire ou à ].a secon<strong>de</strong>.<br />

I

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