histoire - Consistoire de Paris
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PENSÉE JUIVE<br />
UN ENTRETIEN AVEC BETTY ROJTMAN *<br />
Quand l'âme <strong>de</strong> Moïse<br />
touche à sa plénitu<strong>de</strong><br />
Notre amie Betty Rojtman est professeur d'université en Israël.<br />
Elle vient <strong>de</strong> publier un livre consacré à Moïse, prophète <strong>de</strong>s nostalgies<br />
(Editions Gallimard, 18 E 50 ), un livre qui est écrit sous forme<br />
d'un long poème en prose.<br />
Dans l'entretien qu'elle nous a accordé lors <strong>de</strong> son passage à <strong>Paris</strong>, Mme<br />
Rojtman s'explique sur le regard qu'elle jette sur " le plus grand prophète<br />
d'Israël”. Betty Rojtman<br />
IJ : Pourquoi avoir choisi, pour évoquer<br />
la personnalité <strong>de</strong> Moïse, le poème<br />
plutôt que le récit traditionnel ?<br />
Betty Rojtman : La forme poétique<br />
prise par ce texte n'était pas mon<br />
option <strong>de</strong> départ. J'avais plutôt songé<br />
d'abord à mener une réflexion théorique<br />
sur la place du mon<strong>de</strong> " d'en bas<br />
" dans la tradition juive. Ce n'est que<br />
peu à peu, dans le travail <strong>de</strong> l'écriture,<br />
que le choix d'une expression poétique<br />
s'est imposé à moi. Il m'est vite<br />
apparu que le personnage <strong>de</strong> Moïse,<br />
figure hautement symbolique, et qui<br />
hante l'imaginaire <strong>de</strong>s peuples, méritait<br />
mieux qu'une démonstration<br />
didactique, tout encombrée <strong>de</strong> savoir.<br />
La langue poétique, par ses raccourcis<br />
et ses métaphores, permettait au<br />
contraire d'aller plus loin vers l'indicible,<br />
d'emporter la lecture vers <strong>de</strong>s<br />
régions intuitives, inexplorées, que la<br />
pure spéculation ne pouvait atteindre.<br />
IJ : Que signifie la formule " prophète<br />
<strong>de</strong>s nostalgies " qui est le sous-titre que<br />
vous donnez à votre livre ?<br />
B.R : Moïse, dans la tradition<br />
d'Israël, fut le plus grand <strong>de</strong> nos<br />
prophètes. Pourtant, cette proximité<br />
au divin ne fait que creuser plus avant<br />
34 INFORMATION JUIVE Décembre 2007<br />
sa faim <strong>de</strong> Révélation. Prisonnier du<br />
réel, il ne peut vivre et " voir ", et<br />
s'épuise dans ce désir non comblé. A<br />
la fin <strong>de</strong> sa longue aventure,<br />
cependant, Moïse se découvre une<br />
nostalgie symétrique : celle <strong>de</strong> la<br />
Terre, où il n'entrera pas, et qu'il<br />
aperçoit seulement, <strong>de</strong> loin, du haut<br />
du mont Nébo. Lui, qui n'avait jamais<br />
rêvé que le ciel, reconnaît au moment<br />
<strong>de</strong> mourir la force spirituelle du<br />
terrestre, sa valeur <strong>de</strong> vérité, sa beauté<br />
aussi. C'est dans cette tension entre<br />
Moïse, dans la tradition d'Israël, fut le plus grand<br />
<strong>de</strong> nos prophètes. Pourtant, cette proximité au divin<br />
ne fait que creuser plus avant sa faim <strong>de</strong><br />
Révélation.<br />
<strong>de</strong>ux frontières inaccessibles que j'ai<br />
voulu saisir mon personnage et son<br />
cheminement.<br />
IJ : Votre prologue s'ouvre sur l'image<br />
du berceau <strong>de</strong> Moïse, poussé " au long<br />
d'un Nil initiatique ". En quoi cette scène<br />
est-elle pour vous fondatrice ?<br />
B.R : C'est par l'eau, un peu à la<br />
manière freudienne, que l'enfant<br />
Moïse goûte d'abord à l'infini.<br />
J'imagine cette lente dérive dans la<br />
solitu<strong>de</strong>, loin <strong>de</strong> tout port, coupé <strong>de</strong><br />
toute attache, vers l'inconnu. Moïse<br />
flotte entre <strong>de</strong>ux rives, sans appartenir<br />
vraiment. Il est l'homme <strong>de</strong> l'exil, d'un<br />
exil métaphysique et essentiel, qui<br />
traduit notre condition humaine, notre<br />
propre condition <strong>de</strong> voyageurs. Moïse<br />
vit ces mêmes déchirements, mais <strong>de</strong><br />
façon plus intense : aspirant au retour,<br />
bercé d'un perpétuel flottement, et<br />
poussé comme malgré lui vers le réel<br />
et vers les hommes.<br />
IJ : Mais au début, cela semble se<br />
passer plutôt bien, puisqu'il est adopté par<br />
la fille du Pharaon, et donc appelé au trône<br />
<strong>de</strong> l'Egypte ?<br />
B.R : Au palais du Pharaon, il<br />
apprendra le métier <strong>de</strong> roi, tout ce qui<br />
est nécessaire à sa carrière <strong>de</strong> chef<br />
militaire et civil. En même temps,<br />
quelque chose lui manque, une<br />
dimension <strong>de</strong> transcendance, un<br />
souvenir d'eau qui ne le quittera<br />
jamais. L'Egypte du temps, gorgée <strong>de</strong><br />
sarcophages et <strong>de</strong> pyrami<strong>de</strong>s, ne lui<br />
offre à cet égard qu'une échappée vers<br />
la mort, un peu à la façon <strong>de</strong> notre<br />
civilisation contemporaine, fascinée<br />
par le néant.<br />
Au moment où il tue l'Egyptien,<br />
pour sauver l'un <strong>de</strong> ses frères<br />
Hébreux, Moïse croit avoir trouvé une<br />
première réponse, celle <strong>de</strong> la solidarité<br />
<strong>de</strong>s opprimés contre le pouvoir. Mais<br />
le len<strong>de</strong>main, c'est la catastrophe :<br />
menacé d'être dénoncé, il doit s'enfuir,<br />
déçu du peuple hébreu, et comme<br />
spolié <strong>de</strong> tout idéal.<br />
IJ : Que représente pour lui Jéthro, le<br />
grand-prêtre <strong>de</strong> Midian, dont Moïse épousera<br />
la fille ?<br />
B.R : Midian, c'est l'option éthique,<br />
la relation <strong>de</strong> générosité par rapport à<br />
autrui. Jéthro nous est présenté par le