histoire - Consistoire de Paris
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IJ : Qui fut Lucien Bernheim dont la tombe,<br />
au cimetière Montparnasse à <strong>Paris</strong>, est surmontée<br />
du mot Chalom ?<br />
C.W. : Qui, parmi nous, connaît la vie<br />
aventureuse <strong>de</strong> Lucien Bernheim ? Voilà<br />
un bel exemple <strong>de</strong> ce que le timbre peut<br />
apporter à la transmission <strong>de</strong> notre<br />
<strong>histoire</strong>. Lucien Bernheim est un jeune<br />
juif <strong>de</strong> Mulhouse qui, à quatorze ans,<br />
s'engage dans un corps franc pendant la<br />
guerre <strong>de</strong> 1870. Une fois démobilisé, il<br />
s'embarque pour l'Indochine, vit en<br />
Australie, arrive enfin en Nouvelle-<br />
Calédonie où avec son petit salaire, il<br />
réussit à s'acheter un gisement <strong>de</strong> nickel<br />
exploitable à ciel ouvert. Le succès est<br />
foudroyant. Il acquiert d'autres mines,<br />
fon<strong>de</strong> les sociétés "Le Nickel" et "Le<br />
Chrome ", bref, <strong>de</strong>vient un industriel<br />
puissant et respecté, tout en restant un<br />
homme <strong>de</strong> cœur. Pour épouser sa fiancée,<br />
qui vit en Suisse, il a juré qu'il reviendra<br />
vivre en Europe. Mais avant <strong>de</strong> partir, il<br />
fait un geste : il offre cent mille francs<br />
pour la construction d'une bibliothèque<br />
à Nouméa. Cette bibliothèque, qui porte<br />
toujours son nom, est représentée sur<br />
<strong>de</strong>ux timbres <strong>de</strong> Nouvelle-Calédonie,<br />
sous l'effigie du généreux donateur.<br />
Lucien Bernheim meurt à <strong>Paris</strong> en 1917,<br />
et sur sa tombe, au cimetière<br />
Montparnasse, est inscrit en hébreu le<br />
mot "chalom".<br />
IJ : On apprend grâce à vous<br />
que l'Albanie fut le seul pays<br />
d'Europe occupée où les juifs<br />
ne connurent ni la délation ni<br />
la persécution. Comment explique-t-on<br />
cela ?<br />
C.W. : En me documentant<br />
sur un timbre<br />
albanais intitulé "Holocauste",<br />
en juillet 1999, j'ai<br />
découvert une page<br />
d'<strong>histoire</strong> lumineuse et<br />
pourtant inconnue en<br />
France, au point que mon<br />
article philatélique a été une<br />
première. Quand les<br />
Allemands succédèrent aux<br />
Italiens, à l'automne 1943,<br />
les Albanais considérèrent<br />
les persécutions antisémites<br />
comme intolérables, et<br />
contrairement aux juifs du<br />
Kosovo, qui furent déportés<br />
en masse, ceux d'Albanie,<br />
mille cinq cents environ,<br />
furent cachés dans les<br />
montagnes, habillés en<br />
paysans et munis <strong>de</strong> faux<br />
papiers aux prénoms<br />
typiquement musulmans.<br />
Cette attitu<strong>de</strong> s'explique par<br />
le kanoun, la coutume<br />
d'hospitalité qui fait <strong>de</strong> l'hôte un être<br />
sacré. Quiconque, dans un village, aurait<br />
dénoncé un juif, en aurait été banni et sa<br />
maison démolie. L'Albanie fut ainsi le seul<br />
pays d'Europe occupée où les juifs ne<br />
déplorèrent aucune perte humaine. J'ai<br />
bien failli ne pas pouvoir raconter cette<br />
<strong>histoire</strong>, car le Bhoutan et l'Albanie sont<br />
les <strong>de</strong>ux seules administrations postales<br />
sur soixante-<strong>de</strong>ux à m'avoir refusé le droit<br />
<strong>de</strong> reproduire leurs timbres. J'ai mis<br />
longtemps à en comprendre la raison,<br />
mais cela est une autre <strong>histoire</strong>, une<br />
péripétie surprenante à l'issue heureuse,<br />
et dont vous aurez l'explication dans le<br />
livre.<br />
IJ : Quel est, <strong>de</strong> tous les documents que vous<br />
publiez dans ce livre, celui qui vous semble<br />
le plus représentatif <strong>de</strong> cette <strong>histoire</strong> ?<br />
C.W. : Est-ce la lettre enthousiaste<br />
qu'un jeune couple <strong>de</strong> Bialystok écrit en<br />
1898, juste après le <strong>de</strong>uxième Congrès<br />
sioniste <strong>de</strong> Bâle, ou celle que mon père,<br />
à peine libéré d'Auschwitz par les Russes,<br />
JUDÉOPOSTALE<br />
écrit à ma mère, en 1945 ? Est-ce la lettre<br />
recommandée envoyée <strong>de</strong> Mazagan en<br />
mars 1900 par la poste privée d'Isaac<br />
Brudo, ou le télégramme reçu d'Ukraine<br />
en 1904 <strong>de</strong>mandant une ai<strong>de</strong> urgente<br />
après un pogrome ? Est-ce le timbre<br />
Voilà un bel exemple <strong>de</strong> ce que le timbre peut<br />
apporter à la transmission <strong>de</strong> notre <strong>histoire</strong>.<br />
consacré à Maïmoni<strong>de</strong>, à Chagall ou à<br />
Einstein, ou celui honorant une<br />
personnalité atypique, un tsar <strong>de</strong><br />
Bulgarie, une princesse <strong>de</strong> Monaco, un<br />
magicien, un cosmonaute, un marchand<br />
<strong>de</strong> yaourts, ou un aventurier auto- promu<br />
roi <strong>de</strong> la Terre <strong>de</strong> feu ? Je trouve pour ma<br />
part très belle cette anecdote sur Else<br />
Lasker-Schüler, la "Muse <strong>de</strong> Berlin", qui<br />
fut l'égérie <strong>de</strong> la bohème artistique<br />
alleman<strong>de</strong> et qui s'exila en Suisse en 1933<br />
avant <strong>de</strong> finir ses jours à Jérusalem. Son<br />
oeuvre mystique et passionnée exalte<br />
l'amour <strong>de</strong> Sion dans un allemand<br />
expressif qui bouscule la syntaxe et la<br />
grammaire. Un jour, à un écrivain qui lui<br />
proposait <strong>de</strong> traduire ses poèmes en<br />
hébreu, elle répondit "Mais ils sont déjà<br />
en hébreu !"<br />
INFORMATION JUIVE Décembre 2007 19