histoire - Consistoire de Paris

JUDÉOPOSTALE
UN ENTRETIEN AVEC CLAUDE WAINSTAIN
L'histoire juive par les
timbres et le courrier
Claude Wainstain est médecin. Depuis son enfance,
il collectionne les timbres. L'idée lui est venue d'écrire
un livre où il raconte l'histoire des juifs par le timbre et le
courrier. Il ne s'agit pas seulement cependant d'un
catalogue de philatélie. Claude Wainstain
IJ : Votre livre est une autre façon de
raconter la grande et la petite histoire des juifs.
Comment vous est venue l'idée de raconter l'histoire
par la philatélie ?
Claude Wainstain : Au début, je
collectionnais les timbres comme tout le
monde, en achetant les dernières
parutions de la poste. C'est dans les
années soixante-dix que j'ai imaginé
constituer un petit album de personnages
juifs sur timbres, alignés comme les
effigies de rois ou de chefs d'état dans
toutes les couleurs et toutes les valeurs
faciales. J'ai établi une liste approximative,
et les marchands à qui je l'ai
montrée m'ont orienté vers des
collectionneurs chevronnés. Avec leur
aide, je suis devenu, à mon tour, un
spécialiste de la thématique "Judaïca". J'ai
commencé à rédiger des rubriques sur ce
thème en 1981. Non seulement les
timbres sont beaux, mais ils sont aussi un
prétexte à raconter des histoires. Comme
ils proviennent de pays étrangers, les
personnalités ou les événements qu'ils
commémorent n'ont parfois qu'une
renommée locale, si bien que je fais
découvrir au lecteur des aspects inédits
et insolites d'un monde juif exprimé dans
toutes les langues et tous les alphabets.
Parfois, je tombe sur un sujet énigmatique
: Berkovitch, le cinéaste inconnu, Morris
Cohen, le mystérieux espion soviétique,
Leila Mourad, la diva du Caire, Irène
Cahen d'Anvers et son tableau volé,
Petlioura et son timbre fatal, le couple
Blum des îles Salomon, autant de sujets
passionnants sur lesquels j'ai passé des
mois en recherches journalistiques et
historiques.
IJ : Pourquoi y a-t-il eu un engouement des
juifs pour le timbre poste ?
C.W. : Pour une diaspora, communiquer
n'est pas un acte anodin. Depuis toujours,
les lettres étaient transportées de
communauté en communauté par les
quêteurs, les commerçants, les voyageurs
et les rabbins, et elles maintenaient le lien
entre les juifs du monde entier, de
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l'Ukraine au Yémen et de l'Inde aux
Antilles. Elles préservaient aussi l'hébreu,
langue du sacré et garant des échanges,
à une époque où, d'une région à l'autre,
ni l'idiome, ni la monnaie, ni les poids et
mesures n'étaient les mêmes. Cette
correspondance perpétuelle qui circulait
le long du maillage communautaire, sans
souci des empires, des frontières et des
conflits, donnait aux juifs, dans leur vécu
quotidien, la conviction d'être des citoyens
du monde. De là leur tendance à
privilégier l'universel dans tous les
domaines de la pensée, et leur
engouement pour le timbre-poste.
IJ : Les juifs furent-ils vraiment les premiers
graveurs et les premiers collectionneurs de timbres
?
C.W. : Quelques années à peine après
leur introduction en Angleterre, en 1840,
le monde entier collectionnait déjà les
timbres. Des artistes juifs participèrent à
leur création, comme Jacques Wiener, qui
grava le premier timbre belge en 1849, ou
Abraham Staffel, qui grava le premier
timbre de Pologne russe en 1860. Parmi
les grands collectionneurs juifs, Alberto
Bolaffi édita à Turin son premier catalogue
en 1890, tandis qu'Arthur de Rothschild
publia un livre sur l'histoire du Timbre en
1872. Ce jeune homme avait reçu pour
ses dix-huit ans un cadeau très original :
son père, Nathaniel de Rothschild, avait
en effet obtenu de la Poste impériale
l'émission de timbres à l'effigie de
Napoléon III, mais de texture différente
de celle des timbres courants, et qui lui
étaient spécialement réservés ! C'est
émission Rothschild, de 1869, qui est
aujourd'hui excessivement rare et chère.
IJ : Qu'appelez-vous " la Grande Geste des
Juifs " ?
C.W. : Feuilleter ce livre, c'est survoler
- le terme Judéopostale est évocateur - un
univers miniature et splendide qui raconte
l'histoire des juifs dans leur diversité,
toutes origines et langues confondues.
C'est comme la Tapisserie de Bayeux :
l'histoire se déroule, au sens propre du
terme, sous nos yeux. Ainsi ai-je pensé au
terme médiéval de "Grande Geste des
Juifs".
IJ : Les lettres de l'alphabet hébraïque figurent
sur bien des lettres que vous donnez. Il y
a même un mèm sur un timbre…
C.W. : La collection Judaïca comprend
les timbres sur lesquels figurent des lettres
hébraïques, isolées, sous forme de mots
ou sous forme de phrases. J'ai choisi pour
mon livre un timbre de Monaco de 1995
qui montre un mêm. On sait que le mêm
s'écrit sous sa forme ouverte lorsqu'il est
au milieu d'un mot, et sous sa forme
fermée, le Mem final , lorsqu'il est à la fin.
Or il existe dans Isaïe 9-6 le cas unique
Feuilleter ce livre, c'est survoler un univers
miniature et splendide qui raconte l'histoire
des juifs dans leur diversité, toutes origines
et langues confondues.
d'un Mem final qui se trouve au milieu
d'un mot ! Ce n'est pas une étourderie de
copiste, puisque le Talmud enseigne que
"pas un mot, pas une syllabe, pas une
lettre de la Torah ne sont là par hasard."
Quel est le message caché sous cette
anomalie ? Bar Kappara, dans Sanhédrin,
149, y voit un signe messianique, mais
Blaise Pascal en nie la signification
symbolique : "Je ne pense pas que le
Mem d'Isaïe soit mystérieux", écrit-il dans
ses Pensées. Rabbi Hisda, lui, constate
simplement que "la lettre Mem ne tient
debout que par miracle." Et à la réflexion,
n'est-ce pas là notre lot à tous ?