histoire - Consistoire de Paris
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DOSSIER<br />
Entendons-nous bien sur ce <strong>de</strong>rnier point. En fait, tout chrétien<br />
est naturellement un peu juif. Ses sources sont juives ; sa liturgie<br />
également, tout comme les concepts qu'il utilise : les dons,<br />
l'appel, la foi et les autres vertus théologales. Aussi orientée que<br />
soit la lecture chrétienne <strong>de</strong> ces concepts, ils manifestent une<br />
incontestable et irréversible filiation juive. Aussi bien, si un<br />
chrétien se convertit au judaïsme, ne fait-il somme toute que<br />
revenir à la religion que Jésus n'a jamais cessé <strong>de</strong> pratiquer et<br />
on voit difficilement qui pourrait lui en faire reproche. Observons<br />
que le judaïsme ne fait pas - ou plus - <strong>de</strong> prosélytisme,<br />
considérant qu'il n'y a rien <strong>de</strong> plus légitime pour un non-juif<br />
que d'être chrétien. Rappelons au passage une <strong>de</strong>s plus<br />
étonnantes affirmations <strong>de</strong> l'Eglise : " Judaisare - pratiquer le<br />
judaïsme - est un délit grave pour un chrétien mais non<br />
punissable par l'Eglise quand il s'agit d'un juif ! " On revient <strong>de</strong><br />
loin. Bien entendu, pour sa part, la synagogue n'a jamais<br />
considéré qu'il y aurait une quelconque " faute " pour un chrétien<br />
d'être chrétien. En revanche, le <strong>de</strong>venir, pour un juif, a toujours<br />
été considéré dans la foi juive comme une impardonnable<br />
transgression.<br />
Sait-on que, <strong>de</strong>s siècles durant, lorsqu'un membre d'une<br />
famille juive se convertissait, sa famille prenait le <strong>de</strong>uil comme<br />
s'il avait disparu ? Cet usage peut paraître choquant, tout comme<br />
le fait que le judaïsme accepte le principe d'une conversion dans<br />
un sens et non dans l'autre. Cela mérite une explication qui<br />
nous conduit tout naturellement au fond du problème : la<br />
dissimilarité <strong>de</strong> la vocation juive et <strong>de</strong> la vocation chrétienne.<br />
Etre juif procè<strong>de</strong> d'un appel <strong>de</strong> Dieu : c'est l'élection et c'est<br />
l'Alliance. Etre chrétien, à l'inverse, procè<strong>de</strong> du choix <strong>de</strong> l'homme<br />
: c'est une adhésion volontaire. Cette dissymétrie repose sur<br />
une observation dont je m'étonne qu'elle n'ait jamais été mise<br />
en avant. A savoir, que les juifs sont appelés par Dieu - les<br />
fameux dons et l'appel dont parle Saint-Paul - alors que, dans<br />
le Nouveau Testament, rien ne ressemble à un appel : Dieu y<br />
est muet. C'est Paul qui appelle les Gentils à rejoindre le Christ.<br />
On n'y trouve jamais les expressions courantes <strong>de</strong> la Bible juive<br />
telles " l'Eternel parla à Moïse " ou " Ainsi parla l'Eternel ".<br />
Autrement dit, ce que l'on appelle l'Ancien et le Nouveau<br />
Testament ne sont pas homologues. Le premier est révélation<br />
et contrainte, le second est interprétation et choix personnel.<br />
Paul Ricoeur avait jadis perçu cela et l'avait exprimé par une<br />
formule saisissante. Il n'y a pas <strong>de</strong>ux Bibles, <strong>de</strong>ux Torahs, <strong>de</strong>ux<br />
Obsèques du Cardinal Jean-Marie Lustiger à la cathédrale Notre-Dame <strong>de</strong> <strong>Paris</strong>.<br />
Un kaddish, prière juive d'accompagnement <strong>de</strong>s morts, est prononcé sur le parvis <strong>de</strong> la cathédrale<br />
10 INFORMATION JUIVE Décembre 2007<br />
révélations. Il n'y en a qu'une : la Bible juive, sur laquelle se<br />
sont greffées <strong>de</strong>ux interprétations juives : le Talmud d'une part,<br />
donnant naissance au judaïsme, et <strong>de</strong> l'autre les Evangiles et<br />
les Epîtres. Il disait : la véritable opposition n'est pas entre<br />
l'Ancien et le Nouveau Testament, mais entre Paul et Hillel. De<br />
ce fait, l'expression même <strong>de</strong> Nouveau Testament - Nouvelle<br />
Alliance - me parait inappropriée : la seule Alliance<br />
expressément proclamée est celle du Sinaï : la Torah. Ce n'est<br />
pas Dieu qui proclame une nouvelle alliance, c'est Paul - nous<br />
Il faut toujours avoir à l'esprit<br />
qu'il existe, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la foi,<br />
une sociologie juive et que ce qu'il<br />
est convenu d'appeler la judéité -<br />
l'appartenance au peuple ou<br />
à la communauté - n'a quelquefois<br />
que <strong>de</strong> très lointains rapports<br />
avec la théologie.<br />
y reviendrons - qui fait <strong>de</strong> Jésus la nouvelle Alliance. Paul<br />
Ricoeur avait bien compris la nature du contentieux théologique<br />
: dans le judaïsme, la médiation se fait par la Torah, la Loi ; dans<br />
le christianisme, par Jésus. En fait, il y a là davantage<br />
complémentarité que conflit. Karl Barth a fort justement écrit :<br />
" Les Juifs, qui ont connu directement le Père, n'ont pas besoin<br />
du Fils pour connaître le Père : les chrétiens, eux, en ont besoin."<br />
Comme disait Rosenzweig, il y a <strong>de</strong>ux voies du salut. Sauf<br />
que les juifs ont reçu une " lettre <strong>de</strong> mission " particulière. Ils<br />
sont appelés par Dieu dans la Bible : "peuple <strong>de</strong> prêtres " : " Vous<br />
serez pour Moi un peuple <strong>de</strong> prêtres et une Nation sainte "<br />
(Exo<strong>de</strong> 19, 5) : c'est le " sacerdos in aeternitatem". La seule liberté<br />
dont jouit un juif, c'est son libre-arbitre. Il peut résister à cet<br />
appel, le nier, refuser d'y croire et d'en tirer les conséquences :<br />
l'observance <strong>de</strong>s 613 comman<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la Torah. Mais s'il le<br />
fait, et davantage encore s'il se convertit, c'est purement et<br />
simplement un reniement et un abandon <strong>de</strong> poste.<br />
Il y a un mystère <strong>de</strong> la<br />
naissance. Pourquoi suis-je juif et<br />
pourquoi vous, Paul Thibaud, ne<br />
l'êtes pas ! C'est l'étrange choix<br />
divin, mais qui suis-je pour le<br />
contester ou, pire, le récuser ?<br />
C'est une idée qui ne viendrait<br />
pas à un juif qui connaît la Torah<br />
et y voit tout autre chose qu'une<br />
contrainte : un privilège et une<br />
joie. De ce point <strong>de</strong> vue, il faut<br />
accor<strong>de</strong>r au cardinal les<br />
circonstances atténuantes : ses<br />
parents ne lui avaient pas transmis<br />
le patrimoine ancestral.<br />
En d'autres termes, renoncer à<br />
l'étu<strong>de</strong> et à la pratique <strong>de</strong> la Torah<br />
c'est, pour un juif, s'opposer au<br />
désir <strong>de</strong> Dieu. C'est pourquoi toute<br />
conversion d'un juif est scandale