UNIVERSITÀ CATTOLICA DEL SACRO CUORE MILANO Dottorato ...
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l’équivalence au profit de la définition serait donc la marque linguistique de l’échec lexicographique, inévitable lorsque les entrées concernent des référents inconnus dans l’expérience de la communauté linguistique de la L2 (langue-cible). Les écarts mettent en évidence « un culturel qui touche éminemment aux catégories des taxinomies dites ‘populaires’ (animaux, plantes, données de la vie quotidienne telles que la nourriture, les rites, les activités artisanales...), des institutions administratives, politiques, des fêtes calendaires, etc. ». MARGARITO (2002 : 396) I.4.4 Opacité et transparence des écarts dans le traitement lexicographique 73 Essayons d’aller plus loin dans l’analyse du traitement lexicographique des écarts et d’examiner les conséquences qu’ils engendrent au niveau expressif. Si on veut renverser la perspective, les écarts culturels acquièrent une certaine transparence, dans la mesure où ils ont le rôle de symptôme de l’équivalence impossible, du caractère unique et irréductible de cet aspect du réel. Si au niveau théorique ce genre d’écart pose problème, on constate qu’en pratique, paradoxalement, ils n’en posent pas du tout ; comme l’indique la marque du dictionnaire Hachette Paravia pour cette catégorie de mots (INTRAD.), ces unités lexicales brillent par leur non-traductibilité, devenant donc tout à fait transparents pour l’usager, qui voit la vanité d’en chercher un équivalent dans sa langueculture. Si on se penche sur le versant des écarts sémantiques, c’est sur le plan de la structuration du sens et de ce qui a été appelé en anglais encapsulation que l’attention se porte. Nous aurons donc un phénomène connu (plus ou moins connu, il faut le souligner) dans les deux langues-cultures, dont seulement une a choisi un lexème pour le signifier. L. BRINK a parlé à ce propos de « minimal signs » (BRINK 1971 : 69), que seules certaines langues choisiraient pour « encapsuler » certains concepts, alors que d’autres recourraient à des expressions périphrastiques. Il s’agit sans doute d’un œuf de Colomb, mais cela peut faire avancer nos réflexions, dans la mesure où l’on comprend l’aspect non nécessaire, donc culturel, de cette structuration. Prenons par exemple le mot italien scaramanzia. Tous les dictionnaires de notre corpus ont évidemment du mal à traduire cette unité lexicographique. SL est le seul qui hasarde un équivalent direct (« conjuration »), HP propose « le fait de conjurer le mauvais sort », B avance « conjuration (contre le mauvais sort) », tandis que G se borne à analyser la locution per scaramanzia, faute de trouver un équivalent pour le substantif lui-même. Dans le cas des écarts référentiels, nous avons affaire à des realia, à savoir des pièces uniques d’une langue-culture ; dans le cas des écarts sémantiques, par contre, nous pouvons affirmer que, pour certains cas au moins, ils mettent l’accent sur quelques phénomènes 73 Une version préliminaire de ce chapitre a paru dans TALLARICO (2010). 54
centraux dans la langue-culture dont il est question, et deviennent ce que NIDA appelait « symbols for dynamic and explicit features of culture » (1958: 282). Les DB offrent, comme l’a écrit REY-DEBOVE (1970 : 27), une « analyse d’une langue objet par une langue instrument d’un autre système, non homonyme ». Cette analyse peut être strictement linguistique, si on insiste sur la valeur saussurienne (donc négative) du signe, ou bien elle peut déborder sur l’extralinguistique, lorsque les informations sur le signe ont un caractère encyclopédique. Mais qu’en est-il de la dimension pragmatique, qui est trop souvent absente dans les DB ? C. JIMENEZ HURTADO définit la pragmatique lexicale comme Such (stylistic) potential of lexemes [that] does not refer to the features of the denotatum (the entity being referred to/designated/denoted), but rather to the ordering of the lexeme within a social-normative system, which governs the deployment of verbal means in communicative situations (1994: 27). Elle envisage la pragmatique comme une composante cognitive et culturelle préalable. Voici un exemple qui peut être révélateur de cette composante. Prenons l’interjection italienne buonasera et ses équivalents. C’est une lapalissade, la traduction dans les dictionnaires pris en examen est toujours « bonsoir ». Mais le lecteur peut-il être sûr que cela soit le bon équivalent dans tous les contextes ? L’expérience nous dit qu’en France il est parfaitement normal de dire « bonjour », au lieu que « bonsoir », à 19h ou même plus tard, alors qu’en Italie cela serait vraiment curieux 74. Il serait dérisoire, évidemment, de chercher des « découpages sémantiques dissemblables » pour la durée de la journée en français et en italien ; il s’agit d’une norme sociolinguistique, rien de plus. Mais elle nous montre les limites inhérents au dictionnaire qui, comme nous rappellent SNELL-HORNBY, « is not the language » (1987: 170). Ce cas nous a montré une première facette de cette opacité de l’équivalence, qui prend en charge les différentes attitudes sociales, les normes communicatives, toute la problématique des déictiques, bref l’énonciation. L’examen de l’unité lexicale buonasera met en évidence une occultation partielle du fonctionnement du mot. L’absence de marques d’usage, commentaires ou encore de gloses rend le paysage lexicographique neutre, et laisserait soupçonner une équivalence aproblématique ; l’examen d’un mot en contexte nous a montré qu’il n’en est pas toujours ainsi. 74 A. FARINA confirme que le mot « est utilisé en France lorsque l’on rencontre une personne [et] peut être utilisé tant le matin que le soir » (FARINA 2009 : 257). Par contre, « on utilise Buonasera! au lieu de Buongiorno! en fin d’après-midi, à une heure différente selon la région d’Italie » (ibid.) : il y aurait donc une variation diatopique en italien, pour l’usage de Buonasera !, qui s’ajouterait à la non-correspondance buonasera-bonsoir que nous venons d’évoquer. 55
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Les écarts mettent en évidence « un culturel qui touche éminemment aux catégories des<br />
taxinomies dites ‘populaires’ (animaux, plantes, données de la vie quotidienne telles que la<br />
nourriture, les rites, les activités artisanales...), des institutions administratives, politiques,<br />
des fêtes calendaires, etc. ». MARGARITO (2002 : 396)<br />
I.4.4 Opacité et transparence des écarts dans le traitement lexicographique 73<br />
Essayons d’aller plus loin dans l’analyse du traitement lexicographique des écarts et<br />
d’examiner les conséquences qu’ils engendrent au niveau expressif.<br />
Si on veut renverser la perspective, les écarts culturels acquièrent une certaine transparence,<br />
dans la mesure où ils ont le rôle de symptôme de l’équivalence impossible, du caractère<br />
unique et irréductible de cet aspect du réel. Si au niveau théorique ce genre d’écart pose<br />
problème, on constate qu’en pratique, paradoxalement, ils n’en posent pas du tout ; comme<br />
l’indique la marque du dictionnaire Hachette Paravia pour cette catégorie de mots<br />
(INTRAD.), ces unités lexicales brillent par leur non-traductibilité, devenant donc tout à fait<br />
transparents pour l’usager, qui voit la vanité d’en chercher un équivalent dans sa langueculture.<br />
Si on se penche sur le versant des écarts sémantiques, c’est sur le plan de la structuration du<br />
sens et de ce qui a été appelé en anglais encapsulation que l’attention se porte. Nous aurons<br />
donc un phénomène connu (plus ou moins connu, il faut le souligner) dans les deux<br />
langues-cultures, dont seulement une a choisi un lexème pour le signifier. L. BRINK a parlé<br />
à ce propos de « minimal signs » (BRINK 1971 : 69), que seules certaines langues<br />
choisiraient pour « encapsuler » certains concepts, alors que d’autres recourraient à des<br />
expressions périphrastiques. Il s’agit sans doute d’un œuf de Colomb, mais cela peut faire<br />
avancer nos réflexions, dans la mesure où l’on comprend l’aspect non nécessaire, donc<br />
culturel, de cette structuration. Prenons par exemple le mot italien scaramanzia. Tous les<br />
dictionnaires de notre corpus ont évidemment du mal à traduire cette unité<br />
lexicographique. SL est le seul qui hasarde un équivalent direct (« conjuration »), HP<br />
propose « le fait de conjurer le mauvais sort », B avance « conjuration (contre le mauvais<br />
sort) », tandis que G se borne à analyser la locution per scaramanzia, faute de trouver un<br />
équivalent pour le substantif lui-même.<br />
Dans le cas des écarts référentiels, nous avons affaire à des realia, à savoir des pièces<br />
uniques d’une langue-culture ; dans le cas des écarts sémantiques, par contre, nous pouvons<br />
affirmer que, pour certains cas au moins, ils mettent l’accent sur quelques phénomènes<br />
73 Une version préliminaire de ce chapitre a paru dans TALLARICO (2010).<br />
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