1939 Quatrième Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes ...

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QUATRIEME CONGRES
de la Fédération
des Sociétés Savantes
de l'Afrique du Nord
RABAT
18-20 AVRIL 1938
Publié par les soins
de la SOCIÉTÉ HISTORIQUE ALGÉRIENNE
Actes du Congrès -
TOME I
Sciences
-
Droit
Législation et Etudes Economiques
ALGER >-f i
12, RUE ÉM1LE-MAUPAS, 12
1939
>
H.S,/
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63071/
QUATRIÈME CONGRÈS
de la Fédération
des Sociétés Savantes
de l'Afrique du Nord
RABAT
18 20 AVRIL 1938 /£0°*^
Publié par les soins
de la SOCIÉTÉ HISTORIQUE ALGÉRIENNE
Actes du Congrès -
TOME I
Sciences
-
(LGER
Droit
Législation et Etudes Economiques
ALGER
12, RUE ÉMILE-MAUPAS, 12
1939
i.
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Fie, 1. —
Congrès de Rabat (20 mars 1938!.
Photo G. Schinit.

Fédération des Sociétés Savantes
ALGERIE.
de l'Afrique du Nord
Académie d'Hippone,
Centre d'Etudes de Colonisation comparée,
Institut d'Etudes Orientales,
S.ociété Archéologique de Constantine,
Société Archéologique et Touristique de Thagaste,
Société de Géographie d'Alger,
Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran,
Société d'Histoire Naturelle d'Alger et de l'Afrique du
Nord,
Société Historique Algérienne,
Société de Géographie et d'Histoire de la Région de
Sétif,
Société des Amis du Vieux TIemcen,
Société Préhistorique et Archéologique de Tébessa,
Société des Sciences Physiques et Chimiques de l'Afri-
* que du
TUNISIE
Nord."
Institut de Carthage,
Société Archéologique de Sousse.

MAROC.
- 4
-
Institut des Hautes Etudes Marocaines,
Centre d'Etudes Juridiques du Maroc.
Comité de Recherches des Eaux Souterraines du Maroc,
Société d'Etudes Economiques et Statistiques du Maroc.
Société de Géographie du Maroe,
Société des Sciences Naturelles du Maroc,
Société des Amis de Fès.

STATUTS
Il est créé une Fédération des Sociétés Savantes de l'Afri
que du Nord Française.
L'objet de cette Fédération est d'établir un lien permanent
entre toutes les Sociétés qui se consacrent à la connaissance
de l'Afrique du Nord et de ses habitants,
physique et naturel, archéologique et historique.
dans le domaine
Les Sociétés formant la Fédération se réunissent chaque
année en un Congrès qui se tiendra successivement dans cha
que ville, siège de l'une des Sociétés adhérentes.
La cotisation annuelle est de 50 francs par Société.
Le siège de la Fédération est à Alger.
Le Rureau de la Fédération se compose de :
Un président,
Un secrétaire général résidant à Alger,
Un secrétaire,
Un représentant de chacune des Sociétés adhérentes.
Les cotisations sont envoyées au Secrétaire général.
Chaque année, les Sociétés adhérentes désignent chacune
leur représentant au Rureau.
Au cours du Congrès annuel,
le Rureau justifie de sa ges
tion et de ses comptes. Il désigne le siège du Congrès suivant.
Il choisit le Président et le Secrétaire sur présentation des
représentants des Sociétés ayant leur siège dans la ville où
doit se tenir le Congrès.
Le Secrétaire général est désigné pour trois ans.

SÉANCE D'OUVERTURE
Le Congrès de Rabat s'est ouvert dans la grande salle des
cours publics de l'Institut des Hautes Etudes Marocaines,
mardi matin 19 avril 1938, sous la présidence de M. Morize,
ministre plénipotentiaire délégué à la Résidence, ayant à sa
droite, M. Roudy, directeur général des Eaux et Forêts, pré
sident de la Fédération, et à sa gauche M. Gayet, inspecteur
général des Colonies, directeur du Cabinet civil du Résident
général.
Sur l'estrade avaient pris place également, MM. William
Marçais, membre de l'Institut, professeur au Collège de
France, Marchât, consul général, conseiller du Gouvernement
chérifien, S. E. le pacha de Rabat, S. E. le pacha de Salé,
Hrunot, directeur de l'Institut des Hautes Etudes Marocaines,
représentant le directeur général de l'Enseignement, Rillet,
directeur général des Affaires Economiques, Fourneret,
directeur général de la Sécurité, Lantenois, inspecteur géné
ral des Mines, Louis Poinssot, correspondant de l'Institut,
Henri Terrasse, correspondant de l'Institut, Rouyer, doyen
de la Faculté des Sciences d'Alger, de Lepinay,
doyen de l'Ins
titut Scientifique Chérifien, Jean Marçais, adjoint au
doyen de l'Institut Scientifique Chérifien, L. Leschi, direc
teur des Antiquités de l'Algérie, Colonel Groussard,
sous-
directeur-adjoint des
chef d'Etat-Major, Colonel Mellier,
Affaires Politiques, Moignet, directeur des P. T. T., Eugène
Vailet, ancien président de la Fédération, Em. Durand, direc
teur adjoint au Délégué à la Résidence, Marchàl, directeur
adjoint des Finances, docteur du Mazel, directeur adjoint de
la Santé et de l'Hygiène publique, colonel Coutard, directeur
du Cours des officiers des Affaires Indigènes, capitaine du
Roys, attaché au Délégué à la Résidence, Célerier, directeur
d'Etudes à l'Institut des Hautes Etudes Marocaines, comman-

- 8
—
dant Rertrand, chef du Cabinet Militaire, Moms, contrôleur
civil, chef du Service des Contrôles Civils, Rrunet, chef des
Services municipaux de Rabat, Maître, chef des Services
contrôleur civil adjoint au direc
Municipaux de Fès, Vimal,
teur, commandant Mady, chef du Service Géographique Mili
taire, Châtelain, chef du Service des Antiquités du Maroc,
lieutenant de vaisseau Roux, chef du Service de Physique du
Globe, Aimé,
président de la Société d'Histoire Naturelle
d'Alger et de l'Afrique du Nord, Esquer,
la Fédération, etc.
secrétaire général de
Dans la salle avaient pris place les congressistes et leurs
familles,
ainsi qu'un nombreux public.

— 9 -
Discours de M. BOUDY
PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION
DES SOCIÉTÉS SAVANTES DE L'AFRIQUE DU NORD
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers Collègues,
La Fédération des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord
ouvre aujourd'hui son IVe Congrès.
M. Charlety, l'ancien et éminent recteur de l'Académie de
Paris, devait y représenter M. le Ministre de l'Education Na
tionale. Il n'a malheureusement pas pu se rendre au Maroc
et il a été impossible de demander à temps au Ministre de
désigner un autre délégué.
Mes premières paroles seront pour exprimer notre respec
tueuse gratitude à M. le Général Noguès, Résident Général de
France au Maroc, actuellement retenu en France, pour avoir
bien voulu accepter la Présidence d'honneur de notre Congrès,
ainsi qu'à M. Morise, délégué à la Résidence Générale, qui a
bien voulu assister à cette séance et témoigner ainsi tout l'in
térêt qu'il porte à la manifestation intellectuelle que repré
sente le Congrès de la Fédération de nos Sociétés Savantes.
Mes souhaits de bienvenue s'adresseront ensuite aux dames
et à tous ceux de nos collègues congressistes, qui sont venus
d'Algérie et de Tunisie pour participer à nos travaux et, en
particulier, je suis heureux de saluer les distinguées personna
lités de tous ordres qui ont bien voulu siéger parmi nous ou
nous honorer de leur présence.
Notre Congrès vient malheureusement d'être assombri par
une triste nouvelle : celle de la mort de l'un de ceux qui
honoraient le plus notre Fédération et qui était l'une des
figures les plus marquantes de la Science Nord-Africaine,
M. L. Joleaud, professeur de Paléontologie à la Sorbonne.

— 10
La vie et l'activité scientifique de M. Joleaud,
peuvent être
données en exemple : pendant la guerre, sa magnifique con
duite lui avait valu les citations les plus élogieuses, et aussi
des blessures dont il ne s'était jamais remis.
Esprit éminent,
servi par une mémoire d'une fidélité éton
il laisse dans tous
nante, par une rare puissance de travail,
lès domaines qu'il a abordés, une œuvre considérable.
En Géologie, en Paléontologie, en Préhistoire, en Ethnogra
phie, en Riogéographie, discipline dont il était en France l'un
des représentants les plus qualifiés, partout nous retrouvons
son nom et il n'est pas une région de l'Afrique du Nord, pas
un sujet touchant notre connaissance de ce pays où nous ne
devions consulter ses travaux.
Permettez-moi donc d'adresser en notre nom à tous, à sa
sœur Mlle Joleaud, sa compagne de tous les instants, l'expres
sion de notre bien respectueuse et profonde sympathie.
L'honneur de cette présidence aurait pu revenir à de mieux
qualifiés que moi ; s'il m'est échu, je le dois probablement, en
dehors de la place que j'occupe depuis quelques années à la
tête de la Société des Sciences Naturelles du Maroc,
à ma
carrière presque totalement passée entre les deux extrémités
de l'Afrique du Nord et au fait que j'ai assuré la fondation et,
depuis plus de vingt-cinq ans, la direction d'une administration
technique dont les rapports avec les sciences de la nature sont
des plus étroits.
Quoi qu'il en soit, c'est pour moi une très profonde satisfac
tion de recevoir ici les représentants des deux pays voisins et
de constater, une fois de plus, la solidarité intellectuelle, au
tant morale que scientifique, qui unit les trois éléments consti
tutifs de l'Afrique Française du Nord dans une communauté,
non seulement d'idées, mais hon-
d'idéal, pour le plus grand
neur et le plus grand rayonnement de la pensée scientifique
française.
Certes, c'est devenu un lieu commun de rappeler que, mal
gré l'unité géographique générale que présente dans son en
semble l'Afrique du Nord, « l'île du Moghreb », les trois régions
qui s'y sont politiquement différenciées l'une de l'autre, y revê
tent chacune des caractéristiques bien nettes, qui peuvent faire
le sujet d'études spécialement orientées.

Fig. 2. -
Devant
Fè«
Fie. 3. Fès. Ablutions après le repas
à la Maison des Touristes.
« fasi »»
.Photo Ëaquer.
Plmi.» il. Terrasse.

— — 11
Si l'on voulait schématiser grossièrement les empreintes
particulières qu'a reçues le Maroc à cet égard, on pourrait dire
que, pour ce qui touche à la phytogéographie et, par voie de
conséquence, à la production végétale entendue dans son sens
le plus large, c'est l'influence atlantique qui constitue la
dominante et que, dans le cadre de l'ethnographie, de l'his
toire et de la sociologie, il est difficile de faire abstraction du
caractère berbère de la masse principale de sa population.
Messieurs, vous êtes donc venus de France, d'Algérie, de
Tunisie,
pour apporter votre collaboration à l'œuvre patiente
de recherches commencée sous l'égide de la France dans le
vaste champ qui, voici seulement un siècle, s'est entr'ouvert
au génie de son peuple et chacun de vous vient participer à
l'édification d'un immense monument, dont la construction
n'est point encore parachevée.
La lecture du programme de ce Congrès montre que les
questions qui y seront traitées sont plutôt dirigées vers l'étude
de l'homme que vers celle des forces naturelles et que l'his
toire, la préhistoire, l'ethnographie, l'archéologie, la sociolo
gie, les arts même, y font l'objet de plus de recherches et de
plus de communications que les sciences de la nature propre
ment dites. Cependant, la place qu'y occupent ces dernières pour
être moins importante n'en est pas moins réelle. Rien qu'ayant
pu autrefois consacrer à l'archéologie préhistorique une par
tie de mon activité,
je me sens aujourd'hui ressortir plutôt à
la discipline de ces sciences et c'est à ce titre que je voudrais
en quelques mots rappeler ce qui a été fait au Maroc à leur
endroit.
Les savants distingués qui appartiennent aux autres disci
plines ne m'en voudront pas, j'en suis sûr, de rester sur le
terrain qui m'est propre,
sans m'aventurer dans des zones où
mon manque total de compétence risquerait de m'entraîner à
de coupables erreurs.
Dernier venu dans la communauté Nord-Africaine, le Ma
roc est beaucoup moins bien outillé, et c'est normal, au point
de vue de la science pure, que sa voisine l'Algérie.
D'ailleurs,
la base de départ a été différente : les premières
recherches y ont été beaucoup
plus orientées vers le domaine

12 —
concret de la science appliquée du fait de l'impulsion donnée
par le Maréchal Lyautey, homme d'action avant tout, et qui,
là encore, aura laissé une empreinte ineffaçable.
C'est ainsi que dès les débuts du Protectorat, une étroite
liaison s'institua entre les organismes plus spécialement scien
tifiques et les services administratifs techniques.
La collaboration entre les hommes de science et les techni
ciens des Administrations donna de remarquables résultats
dont la nomenclature serait hors de proportion avec ce court
exposé.
Ensuite, peu à peu,
diverses Sociétés d'études et de recher
ches se créèrent, se développèrent et apportèrent à l'œuvre
commune le concours de chercheurs ne ressortissant à aucun
des deux cadres distincts auxquels je viens de faire allusion.
Toutes ces études, toutes ces recherches convergent d'ail
leurs vers deux principaux centres de rayonnement scientifi
que dont dispose le Maroc :
En ce qui concerne les sciences de l'homme,
l'Intitut des
Hautes Etudes Marocaines réunit une élite de chercheurs, d'ob
servateurs et d'érudits dont les études sont publiées dans le
bel organe de l'Institut, la revue « Hespéris ».
Parmi les Sociétés Savantes Marocaines qui participent à
ce Congrès et y présenteront des communications, deux se
rattachent plus particulièrement aux disciplines représentées
à l'Institut des Hautes Etudes Marocaines : la Société de Géo
graphie du Maroc et la Société d'Etudes Economiques et Sta
tistiques.
Dans le domaine des Sciences de la nature, l'Institut Scien
tifique Chérifien a été fondé en 1920 par le Maréchal Lyau-
tey pour continuer, coordonner et développer l'œuvre de pros
pection à laquelle restent attachés les noms de précurseurs
comme : de Foucault, Louis Gentil, Cosson, Schusbqe,
Ralansa, Pittard.
Les grands docteurs musulmans avaient, en d'autres ré
gions,
posé les premiers jalons.
C'est pour marquer cette lointaine continuité qu'a été donné
à l'Observatoire de physique du globe de l'Institut Scientifique
Chérifien, le nom du savant Averroes, de Cordoue.
Par ses chercheurs propres et par leurs laboratoires, par

- 13
-
les missions qu'il a organisées ou favorisées, l'Institut Scien
tifique Chérifien a puissamment contribué à l'inventaire de
toutes les richesses locales du Maroc,
que ce soit dans le
domaine de la Zoologie, de la fiotanique, de la Géologie ou
dans celui de la Météorologie, de l'Océanographie.
Etroitement associée à son action, la Société des Sciences
Naturelles,
qui compte près de trois cents membres résidant
dans tous les pays, a été l'un de ses agents les plus actifs,
notamment en éditant dans ses publications les importants tra
vaux menés à bien par les collaborateurs de l'Institut.
Je ne doute pas que l'intégration, récemment réalisée, de
cet organisme dans le cadre général de la recherche scientifi
que française ne lui permette, en augmentant les moyens si
réduits mis jusqu'ici à la disposition de ses chercheurs, de
développer encore davantage l'œuvre magnifique dont les
résultats déjà obtenus soulignent puissamment le haut intérêt.
Cette prospection et cette étude très poussée des sciences de
la nature a trouvé immédiatement son application au Maroc
dans les travaux d'ordre pratique qui, depuis la guerre, ont
été entrepris par les divers Instituts de recherches relevant des
différents Services techniques.
Dans ce domaine qui dépasse de beaucoup
le cadre de notre
Congrès et sur lequel je ne me sens pas qualifié pour m'appe-
santir,
l'Institut d'Hygiène a favorisé la production de remar
quables travaux. Dans l'orbe de la Direction des Affaires
Economiques,
des études capitales,
culière rigueur scientifique,
l'Institut de Recherches Agronomiques a réalisé
conduites avec une méthode d'une parti
qui ont principalement porté sur
la génétique et sur la sélection des espèces adaptables au
pays.
Les laboratoires du Service de l'Elevage ont produit de très
beaux travaux sur les maladies du bétail.
Enfin, les Services de la Défense des Cultures ont apporté,
aussi bien en matière de zoologie qu'en matière de botanique,
une puissante
contribution à l'œuvre commune par des re
cherches dont le caractère directement et immédiatement uti
litaire n'a rien
enlevé au haut intérêt qu'ils présentaient du
point de vue plus purement scientifique.
Dans le domaine d'action de la Direction Générale des Tra-

- 14
vaux Publics, les jeunes et infatigables géologues du Service
des Mines et du Rureau des Recherches et de Participations
Minières,
rivalisant avec ceux de l'Institut Scientifique et les
missionnaires venus de France, ont, en très peu d'années, sil
lonné le pays et sont parvenus à asseoir solidement les bases
de sa connaissance géologique.
Enfin,
l'on me pardonnera de ne pas passer sous silence la
Station de Recherches de la Direction des Eaux et Forêts dont
le contact étroit avec la Section Rotanique de l'Institut Scien
tifique Chérifien, a facilité, dans une notable mesure,
vaux de cette dernière.
les tra
La collaboration entre les représentants de tous ces Servi
ces techniques et les chercheurs de l'Institut Scientifique
Chérifien,
ne s'est d'ailleurs pas manifestée par le seul con
tact direct, administratif en quelque sorte,
qu'avait conçu et
voulu le Grand Maréchal : les uns et les autres se sont retrou
vés dans les Sociétés, qui se sont fondées en vue de la centra
lisation et du développement des recherches scientifiques, tel
les que la Société des Sciences Naturelles,
Souterraines,
le Comité des Eaux
la jeune Association pour l'Etude des Sols. Ils
ont pu ainsi, non seulement confronter leurs idées personnel
les dans une atmosphère indépendante et libre de toute con
trainte administrative,
mais faire participer à leurs entre
tiens un grand nombre de chercheurs libres, de colons,
observateurs directs de la nature, de fonctionnaires de divers
ordres, se ralliant par simple plaisir à ces activités,
à ces
recherches et à ces travaux, desquels ils ont souvent tiré d'inté
ressantes conclusions.
Cette brève et incomplète énumération ne peut que donner
une faible idée de l'œuvre scientifique accomplie au Maroc.
Je crois équitable d'ajouter que cette dernière procède direc
tement de celle, beaucoup plus considérable, réalisée en Algé
rie et en Tunisie, et que le Protectorat a largement bénéfi
cié de l'expérience acquise chez ses aînés et des enseignements
qu'il en a reçus.
Pour rapide que soit ce coup d'œil, il permet cependant de
souligner le grand intérêt apporté par la France à cet ordre
de recherche et d'apprécier combien notre nation se montre,

- 15
-
dans ce domaine, au niveau de la haute mission de civilisa
tion et de progrès qui lui a été dévolue.
Aussi des manifestations scientifiques telles que celle d'au
jourd'hui devront-elles être considérées comme étant des plus
heureuses et des plus encourageantes.
Elles sont la preuve de l'étroite coordination qui existe en
tre les organismes scientifiques et les Sociétés Savantes indé
pendantes dont les membres poursuivent l'étude de tous les
milieux physiques et sociaux de, l'Afrique du Nord, dans le
désintéressement le plus complet, simplement par l'amour de
la science, avec la conscience de participer à une mission natio
nale et avec le sentiment profond d'apporter leur pierre à
une œuvre de civilisation pour la plus grande gloire du pays.
Permettez-moi maintenant de passer la parole pour son
rapport général, à M. Esquer, Secrétaire général de la Fédé
ration, artisan et animateur infatigable de cette belle mani
festation des Français d'Afrique du Nord.
Rabat, le 19 avril 1938.

- 16
—
Rapport de M. Gabriel ESQUER
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION
La Fédération des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord,
en avançant en âge, connaît le sort de toutes les institutions
humaines et votre Secrétaire Général, en ce quatrième Con
grès, doit consacrer le début de son rapport annuel aux confrè
res disparus. La mort de M. Léonce Joleaud; à qui notre Pré
sident vient de rendre un juste hommage, n'est pas la seule
que nous ayons à déplorer. En août 1937, Charles Monchicourt
est mort âgé de 64 ans.
Ses goûts le poussaient vers l'enseignement de l'histoire,
mais l'état de sa santé l'ayant forcé à renoncer à l'agrégation,
il entra en Tunisie dans je Service des Contrôles civils où il
fit toute sa carrière.
Il mena de front sa besogne professionnelle et des travaux
d'histoire et de géographie dont le plus important est sa thèse
sur La Bégion du Haut-Tell en Tunisie, qui lui valut le docto
rat es lettres. Administrateur en contact avec les réalités, his
torien formé aux bonnes méthodes, dans ses travaux docu
mentés, solides, bien conduits,
la connaissance du passé s'unit
au sens de la vie courante qui éclaire les indispensables
dépouillements d'archives.
Il connaissait à fond les questions tunisiennes. Lorsque, au
lendemain de la guerre se posèrent dans ce pays, sur le plan
économique, social, politique, des problèmes capitaux, Monchi
court écrivit, sous le pseudonyme de Rodd Ralek,
Cave,
puis de
une série d'articles qui furent réunis en volume sous ce
titre : La Tunisie après la Guerre. Il y a là une mise au point
réaliste et lucide de ces problèmes et un exposé de leurs solu
tions possibles, et Monchicourt s'y montre le défenseur clair
voyant des intérêts de la France et de la Tunisie.
Ses préoccupations allaient plus loin et nos Congrès lui
furent l'occasion de leur donner une forme plutôt imprévue. La
Tunisie, le Maroc, l'Algérie étant pour lui des parties indisso
lubles de l'Afrique du Nord française, il chercha à exprimer

- n
-
par un terme frappant l'unité de cet ensemble réalisé sous
l'égide de la France. Prenant la première syllabe des noms des
trois pays suivant l'ordre de leur entrée dans l'empire fran
çais, Algérie, Tunisie, Maroc, il lança le vocable ALTUMA, d'al
lure hermétique d'après les uns, commerciale d'après d'autres.
Les congressistes réunis à TIemcen n'ont pas oublié l'effet
produit par cette bombe onomastique. Il y eut des rires, on
s'indigna,
nul ne resta indifférent. Altuma fut plébiscité et
si les choses en restèrent là, le nom demeura du moins comme
un symbole de la Fédération, une sorte de pays imaginaire où
l'on se plaît à se rencontrer chaque année, et il fut entendu
que nos Congrès se déroulaient dans un climat altumien fait
de cordialité et de bonne humeur. La figure de Monchicourt
en est désormais absente, mais non son souvenir.
La manifestation essentielle de l'activité de la Fédération
a été, comme les années précédentes, un Congrès qui s'est tenu
en 1937 à Constantine. Les communications inscrites à l'ordre
du jour ont été particulièrement importantes et deux volumes
n'ont pas suffi —
tant
s'en faut —
à
en épuiser le nombre.
Le Congrès a été complété par une excursion très réussie
dans l'Aurès. Une subvention du Gouvernement Général de
l'Algérie a permis de payer une partie des frais de cette publi
cation qui a été assumée, comme pour les précédents Congrès,
par la Société Historique Algérienne.
Et maintenant le Secrétaire Général cède la place au Tré
sorier de la Fédération. Celui-ci est beaucoup moins occupé que
son double en raison de la modestie de nos finances,
gestion se trouve ainsi simplifiée.
dont la
Il y avait en caisse, le 1er janvier 1937 12 50
(Les statuts disent bien que les ressources de la
Fédération proviennent de subventions, de dons, de
cotisations, mais seules, cette année encore,
les coti
sations des Sociétés adhérentes ont alimenté notre
caisse.)
Soit: 1 cotisation (1936)
en retard 50 »
18 cotisations 1937 900 »
950 »
Ce qui porte le total des recettes à 962 50

18 -
Report des Recette?
Comme en 1935 et 1936,
les dépenses ont corres
pondu à la préparation du Congrès annuel :
Impression des cartes de congressistes 76 »
Impression des programmes du Congrès. 597 »
Impression de têtes de lettres et d'envelop
pes 116 »
Confection de 2 timbres en caoutchouc (Fé
dération et Congrès) 18 »
Frais de correspondance 96 75
962 50
Total des dépenses 903 75
Ainsi s'est dégagé au 1er janvier 1938 un
excédent de recettes de 58 75
Ce, budget est en super-équilibre et j'ai l'honneur de deman
der au Congrès d'approuver le compte rendu financier que je
viens de présenter.
Le compte rendu est approuvé à l'unanimité.

POUR LE PROGRÈS
RURAL INDIGÈNE
PAR
Le Colonel COUTARD
DIRECTEUR
DÛ COURS PRÉPARATOIRE AU SERVICE DES AFFAIRES INDIGÈNES
I. —
Position
du problème et son urgence
Former l'indigène, enfant puis adulte,
en vue de développer
son mieux être individuel et social, voilà un problème lourde
ment chargé d'actualité locale et qui ne pouvait rencontrer
meilleur auditoire. A-t-il le bénéfice du conférencier qu'il
mérite ? Je suis le premier à en douter, ma compétence n'ayant
d'autre source qu'un long contact avec le monde nord-afri
cain.
Notre exposé ne débordera que peu du milieu rural, car au
Maroc,
plus d'un million "de chefs de famille s'emploient avec
femmes et enfants aux travaux de la terre, tandis qu'on ne
compte guère que 150 à 200.000 ouvriers ou artisans des vil
les. Le problème paysan domine. Qu'on relève le pouvoir
d'achat de la masse rurale en même temps que sa capacité de
production et l'artisan comme le commerçant retrouveront une
clientèle suffisante : le paysan restera attaché au sol s'il y
trouve sa subsistance. Il ne viendra pas encombrer les ateliers
et les chantiers des villes. Mais,
si on n'avait de générosité
que pour le groupe urbain, son équipement, son confort, sa
formation technique ou culturelle, le paysan, dans son dénue
ment, continuerait de prendre obstinément, le chemin des

— 20
cités providentielles et il n'y rencontrerait encore que déception
et misère à la recherche d'emplois déjà trop pourvus.
*
Essor démographique et crise des pouvoirs d'achat souli
gnent ensemble l'urgence et l'ampleur des interventions né
cessaires. Le Maroc vient de connaître trois années successi
ves de récolte déficitaire. Une population en forte augmenta
tion ne peut manger à sa faim. Il y a nécessité de produire
plus et mieux, en dépit des caprices saisonniers,
qui sont le
lot des pays nord-africains et voilà le départ obligé de tout un
programme d'éducation indigène.
Dans le cadre démographique, le recensement de 1936, le
premier qui ait pu toucher tout le Maroc après la pacifica
tion achevée seulement en 1934,
lions d'indigènes. D'entrée de jeu,
a révélé un total de six mil
c'est un chiffré formida
ble à côté des deux millions de l'Algérie au début de l'occupa
tion. Le coefficient d'augmentation est encore plus inquiétant.
Nous avons quelque peine à le préciser en raison des incertitu
des et des lacunes des précédents recensements. La région
d'Oujda, stable depuis de longues années,
qui n'attire pas.
expatrie peu, produit modérément, accuse déjà de 1931 à 1936
un accroissement de 8,18 %. Ailleurs, dans de nombreuses tri
bus, on le situe entre 15 et 20 %, ce qui est considérable. Si
nous cherchons une approximation plus sûre dans le départe
ment d'Oran, notre voisin,
dont les statistiques ont déjà l'ex
périence du temps, nous y trouvons un coefficient de 14.46 %
tandis qu'il a été dans la Métropole de 1,3 % pour la population
spécifiquement française.
M. le Professeur Gautier,
soulignant les possibilités du
mouvement démographique en Afrique du Nord, a pris en
exemple l'Egypte dont on connaît le mieux la longue histoire.
L'Egypte romaine a compté six à sept millions d'habitants. Au
début du 199
siècle, 1.000 ans d*Islam ont passé et la population
se trouve réduite à deux millions, elle atteint aujourd'hui plus
de quinze millions, après une ère de paix, d'ordre, d'équipe
prement,
avec la culture du coton que deux Français ont les

Fig. 5.
— Fès.
Fig. 4, —
Fès.
Une tannerie.
Intérieur de la Mosquée des Andalous.
Photo Lfschi.
Photo Lescliî.

Fig. 0. —
Dédies
F10. 7. —
devant Moulay Idriss.
Moulay Idriss du Zerghoun,
Photo II Terrasse.
Pholo Service B a. Maroc.

— - 21
miers préconisée, avec les grands barrages du Nil qui sont
œuvre anglaise.
Le coton et les barrages ont aidé à assurer la subsistance
d'un peuple qui se reprenait à grandir, mais à telle vitesse que
le fellah reste toujours en difficulté.
L'Algérie s'accroît, par an, de 120.000 bouches nouvelles. Il
faut prévoir pour le Maroc,
qui renaît dans le siècle de la
vitesse, un départ rapide. Tout se fait plus vite aujourd'hui,
sauf toutefois les enfants, mais la prophylaxie, aidée de l'auto
ou de l'avion et de bien d'autres progrès encore, agit à un
rythme accéléré pour sauver le maximum de la race et pour
lui garder plus longue vie. Avec un coefficient d'accroisse
ment, qui déjà apparaît au moins égal à celui de l'Algérie, le
Maroc rencontre, dès son entrée dans l'économie moderne, un
problème d'encombrement.
Je veux en souligner un point particulier : au Sud de l'Atlas,
en zone pré-saharienne, depuis l'Atlantique jusqu'à l'Algérie,
sur plus de 1/3 du Maroc en superficie, les populations dé
passent un million d'habitants. En parallèle, les territoires du
Sud-Algérien,
qui mordent profondément dans les Hauts-Pla
teaux du Nord, n'en totalisent que 630.000 avec le bénéfice, à
l'Ouest, d'un important troupeau ovin, à l'Est,
palmeraies.
de magnifiques
Le Sud-Marocain n'a rien de tout cela ; l'eau y est rare, le
troupeau est faible, le palmier,
moyenne,
qui est ici un arbre d'altitude
n'est pas de même qualité. Au coude du Draa on a
pu rester sept ans sans une goutte de pluie,
et parfois plus
d'une année sans que l'Oued ait apporté la moindre crue. En
pareille circonstance,
nappe qui s'anémie.
on parvient tout juste à boire sur une
Cependant, tout au long des oueds sahariens,
une grosse
population s'accroche aux plus faibles ressources. On s'est
essayé à calculer la densité du peuplement au kilomètre2 utile
car enfin l'immensité déserte environnante est sans emploi
possible pour les ksouriens. Elle ajoute même une lourde
hypothèque de distance et de transport coûteux pour ce qui doit
entrer dans ce pays ou en sortir. Cette densité atteint près de
la centaine dans le district de Zagora.

— - 22
On n'y peut vivre qu'en allant chaque saison quérir au delà
de l'Atlas l'appoint indispensable et voilà la raison de ces vas
tes migrations saisonnières qui, l'an dernier,
année de grande
misère, se sont enflées de lourds contingents du Maroc orien
tal, ruiné lui aussi par une trop grande sécheresse.
L'Algérie s'est inquiétée de cet exode formidable, le dépar
tement d'Oran s'est trouvé envahi. Que revienne une meilleure
récolte et le Maroc aura besoin de sa main-d'œuvre. L'Algérie
ne recevra plus que les saisonniers traditionnels du Sud. Nous
demandons pour eux le bon accueil qu'elle leur a toujours
réservé.
Nota. —
On
a dû modifier à deux reprises ce paragraphe
tant il y a de caprice dans le climat marocain. « En mars 1938,
quand on a commencé la rédaction de ce travail, les espérances
étaient grandes, la venue trop tardive des pluies du printemps
les a en partie anéanties, la récolte prochaine ne sera guère
supérieure à la précédente, la répartition seule changera. Le
Gharb, la région de Fès, l'an dernier privilégiés, seront tou
chés cette année, tandis que quelques coins du Sud-Ouest et
du Sud-Est marocain verront se desserrer un peu l'état de
misère. »
*
**
En face des bouches qui se multiplient, considérons la pré
carité et la faiblesse des ressources indigènes : une récolte de
céréales de 30.000.000 quintaux en année providentielle qui,
avec les caprices du temps, peut tomber au-dessous de
15.000.000 ;
d'hectares,
une superficie cultivée de moins de 4 millions
pour plus d'un million de chefs de famille atta
chés à la terre ; un troupeau qui se fait et se défait au hasard
des années heureuses ou meurtrières avec des saisons trop
sèches ou trop froides, des pacages ou de l'eau qui font brus
quement défaut. Il était de 18.000.000 de têtes en 1936 pour
15.000.000 en 1925,
avec un recensement alors moins précis
et sans les animaux d'un pays insoumis encore important.
L'accroissement réel apparaît insignifiant alors que le Sud-
Ouest marocain vient de perdre par la sécheresse et la fièvre
aphteuse près du tiers de son effectif.

— — 23
Aujourd'hui, les incapables, infirmes,
vieillards et enfants
sont en perdition sur divers points. On en nourrit journelle
ment plus de 11.000 dans les confins de Goulimine à Taouz,
pour un total de 78.000 habitants. Ils ont été plus de 100.000
entre les territoires de Ouarzazat et du Tafilalet. Au Nord de
l'Atlas,
on les a comptés par dizaines de milliers dans le ter
ritoire d'Oued-Zem et dans le Maroc oriental.
Le nombre des prestataires est en régression sur beaucoup
de points, parce que le fellah vend ses terres et s'achemine
vers la ville.
Le mouvement s'accélère singulièrement. Casablanca, qui,
il y a seulement un siècle, se réduisait à peu près à la maison
blanche, le dar el beïda, du Caïd chargé par le maghzen de
surveiller la contrebande maritime, comptait 30.000 Maro
cains en 1913, 105.000 en 1931 et 185.000 en 1936,
après avoir
aggloméré une foule de ruraux, dont beaucoup sont, aujour
d'hui,
sans emploi.
Les ventes de terres continuent sans qu'aucune mesure
légale ait pu intervenir pour les limiter. On a souvent suggéré
le bien de famille inaliénable. Il s'est, jusqu'à ce jour, mon
tré inefficace,
il ne joue en Egypte qu'à la demande des pro
priétaires qui s'en gardent bien de peur de se priver de tout
crédit, cher évidemment, car l'autre, à bon marché, le crédit
d'Etat surtout, se fait prudent quand le débiteur ne s'embar
rasse pas du souci de rendre et l'inaliénabilité est, par sur
croît, un danger social si le fellah se refuse à mieux cultiver.
Il y a d'abord à faire son êdmcation morale pour éveiller le
goût du travail et à développer sa formation technique pour
que son effort soit profitable.
La faiblesse du potentiel rural s'accuse partout. En pays
Ouerba, dans la montagne riffaine au Nord de Taza, peuplé
de plus de 40 habitants au kilomètre carré, mais de ressour
ces si diversifiées et si bien réparties dans le temps,
qu'il en
résulte une stabilité dans la pauvreté et une sauvegarde con
tre la famine, les trois quarts des contribuables payent moins
de 100 francs de terbib et ce chiffre caractérise déjà l'insuffi
sance qui les oblige à émigrer pour trouver le complément de
ressources indispensable.
Dans la banlieue de Fès, sur 15.000 familles indigènes, plus

- 24
—
de la moitié ont un avoir inférieur à 1.000 francs et dans cette
moitié il ne dépasse pas 100 francs pour les deux tiers.
Dans la région de Roulhaut, en Chaouia-Nord,
pays de
•riches cultures, où se trouvent les magnifiques vignobles
d'Ouled-Taleb, Reni-Amar, Sidi-Larbi,
autant de crus que vous
aurez sans doute le plaisir d'apprécier dans votre randonnée
marocaine,
près des deux tiers des fellahs doivent compléter le
revenu de la terre insuffisant en s'employant sur place comme
salariés.
La différence du pays pauvre au pays riche s'accuse cepen
dant parce qu'en pays Ouerba on ne compte, sur 2.000 contri
buables, que 7 arrivant jusqu'à l'aisance, c'est-à-dire payant
au moins 500 francs de terbib, tandis que dans le Contrôle
de Roulhaut on en totalise près de 800 dont 271 au-dessus de
1.000 francs et 10 au-dessus de 5.000 francs pour un total de
5.000 possédants.
Dans les bonnes terres, il y
a de plus en plus concentration
de la propriété, disparition progressive des petites exploita
tions. Les riches fassis achètent dans les banlieues de Fès et de
Meknès et jusque dans les tribus de l'Ouergha. Les chefs indi
gènes et les notables ruraux arrondissent leurs biens, au moins
pour ceux qui savent régler leur économie particulière. La
colonisation étend son domaine dès que la récolte apporte des
bénéfices, le petit fellah vend partout au Tadla,
de Sefrou, dans le Rharb autour de Meknès et de Fès,
dans la région
et au
jourd'hui, jusque dans le Sous à des prix qui l'éblouissent
mais ne lui procurent qu'un court moment d'aisance.
*
**
Voilà suffisamment démontré l'état précaire de bon nom
bre de ruraux,
aux prises avec la crise de production dès qu'il
pleut trop peu, ou trop tard, avec les troubles monétaires qui
bousculent les prix et les pouvoirs d'achat, avec la concurrence
dans un Maroc rapidement ouvert à tous les courtiers du
monde,
avec le chaos d'une économie moderne qui se déve
loppe à un rythme trop accéléré.

— 25 —
Chacun de nous connaît ces budgets fragiles,
à la campa
gne comme à la ville, incapables de s'accommoder de la mobi
lité des valeurs, tirant sur le crédit autant qu'ils peuvent.
Je n'en citerai que l'exemple de nos cuisiniers indigènes
accrochés à quelque épicier chleuh de quartier, qui tient leur
ardoise tandis qu'ils n'ont d'autre souci que de tâcher de con
fondre dans la même boutique leur fourniture et la nôtre. Ils
nous font régler au jour le jour les menus achats de la mai
son,
en ajournant le plus possible le payement du fournisseur.
Ce n'est pas de l'escroquerie, mais de l'insouciance dans la
difficulté de régler, chez eux, l'équilibre du gain et de la dé
pense.
Le salarié, artisan ou fellah, est lié, pour la grande majorité,
au rendement de la récolte. Si elle est belle, le grain baisse,
l'appel à la main-d'œuvre fait monter les salaires ; quand elle
manque, le blé et l'orge sont chers, les bras restent sans em
ploi et le pouvoir d'achat en est doublement réduit.
On a souvent invoqué le mouvement croissant des impor
tations de sucre pour en conclure à l'enrichissement général.
Il est vrai qu'il est impressionnant : 75.000 tonnes en 1913,
164.000 tonnes en 1936, avec une consommation moyenne par
habitant de 30 à 35 kgr. pour 25 en France, mais puisque le
total a grandi encore dans ces années de misère, il faut bien
en conclure que le sucre avec le thé ont seulement pris le
pas sur d'autres besoins aux dépens du vêtement, du mobi
lier, et, par conséquent,
çant qui les fabrique ou qui les vend.
On a fixé un salaire minimum,
aux dépens de l'artisan et du commer
par deux fois il a été re
haussé. Mais peut-il être scrupuleusement respecté lorsque
les travailleurs sans technique qui ne trouvent pas d'emplois,
réclament eux-mêmes d'être moins payés pour se trouver plus
nombreux à l'ouvrage.
D'ailleurs la courbe des salaires et celle des prix des den
rées indispensables vont trop
l'autre.
Au début de 1927,
souvent à l'inverse l'une de
les salaires moyens des ouvriers indigè
nes variaient de 8 à 30 francs, de 10 à 35 francs en 1929, et
les saisonniers agricoles étaient payés 8, 12 et 15 francs, ceux

26
que les fermes retenaient en permanence 15 et 18 francs. On
connut en 1930 une crise de hauts salaires et de main-d'œuvre
rare qui faillit compromettre tous les rendements. Surpayé
par rapport à ses besoins, l'indigène, insouciant,
ne travaillait
que juste le temps nécessaire pour les satisfaire. Ce fut
l'heure du machinisme agricole et d'un équipement coûteux
pour la colonisation. Mais de 1930 à 1934,
avec la crise mon
diale, les salaires dégringolent entre 6 et 12 francs en 1932,
2,50 et 8 francs en 1934 et, sans la loi du salaire minimum, ils
auraient fléchi encore et partout avec les récoltes déficitaires.
Parallèlement, en 1921, le blé dur était à 176 francs, l'orge
à 100 francs pour tomber à 133 et 63 francs 'en 1930, 92 et
47 francs en 1932, 50 et 30 francs en 1935, mais ils revien
nent en 1936 à 93 et 68 francs et en 1937 à 147 et 105 francs,
juste au moment des salaires minima.
Encore ces prix sont-ils dépassés sur les marchés intérieurs
où la loi de l'offre et de la demande est plus forte que la
réglementation des prix. Avec les incidences des transports, ils
ont pu atteindre 330 francs et 160 francs dans le misérable
district de Zagora.
C'est l'époque des plus grandes discordances, énormes, bru
tales,
entre les prix et les pouvoirs d'achats indigènes.
En pareilles conditions, la famine n'a reculé qu'en mettant
en œuvre des ressources exceptionnelles, qui avec un don de
la Métropole se totalisèrent à près de 200 millions d'avances
ou de secours.
Essor démographique, chute des pouvoirs d'achats, misère et
famine pour les plus humbles. Telle est la situation de crise.
Gardons-la en mémoire, car l'indigène a encore de si faibles
besoins d'existence,
il a si peu souci des besoins de civilisation
que les années normales paraissent le satisfaire complètement.
Il n'y a pas de Marocains désespérés. La vie n'est pour eux
qu'un usufruit que le destin règle à son gré. Il faut que le
climat accuse ses rigueurs pour que s'affirme, contre l'in
souciance et l'indolence naturelles du fellah,
la nécessité d'ou
vrir rapidement et largement des voies aux progrès les plus
simples, ceux de la technique de la terre, de l'économie fami
liale, de la morale paysanne.

II. —
27 -
La résistance au progrès
L'indigène résiste au progrès trop rapide. Le Nord-Africain
des champs et de la rue ne dit pas : « Aide-toi, le ciel t'aidera,
mais mektoub rebbi». Dieu a tout décidé. Nous savons la
force du slogan, jusque sur les plus civilisés et jusque dans
l'action ; le « faut pas s'en faire », né dans la guerre, a bousculé
la mentalité française. Pour le fellah ou l'artisan l'effort tra
ditionnel doit suffire à tout,
celui de la raison ou de l'imagi
nation lui paraît aussi dangereux que les écarts auxquels ses
passions l'entraînent. Prévoir, projeter,
presque sacrilège.
est chose inutile et
Si on le fait pour lui, si on l'entraîne dans des chemins nou
veaux, il suit sans conviction, il s'échappe dès qu'il peut, il
revient à la tradition qui lui paraît être la sauvegarde contre
le mauvais œil.
Les exemples sont de tous les jours et de tous les domaines.
Dans la région de Meknès, l'Inspecteur de l'Agriculture ex
pose les avantages du traitement cuprique des semences :
« C'est très bien, lui répond-on, il n'est plus possible de les,
manger, par force on les sème, malheureusement sais-tu que
Moulana mécontent a fait cette année tomber la grêle sur les
champs qui ont reçu cette semence ? »
De fait, il avait grêlé dans la région,
ce qui permettait de
s'accrocher à la plus mauvaise explication pour condamner
une formule nouvelle.
Une autre fois,
on distribue en tribu des volailles sélection
nées en recommandant de les nourrir convenablement. Ce fut
un éclat de rire, jamais personne n'avait donné à manger aux
volailles ! Que de gorges chaudes on a dû faire ce soir-là sous
les tentes,
mortes.
et peu de temps après toutes les poules étaient
Dans la région de Fès,
un Contrôleur civil écrit : « Rien
qu'une propagande continue ait largement diffusé en tribu
les nombreux avantages de la Caisse de Crédit Agricole in
digène, bien qu'on ait souligné le puissant appui qu'elle assure
au fellah contre l'usure, il n'y vient pas volontiers,
il se méfie
de toute institution officielle, il répugne aux formalités et aux

- 28
—
garanties qu'elle exige. » A Rerkane, comme à Sefrou,
on n'est
pas sûr que l'indigène tiré des griffes de l'usurier ait en même
temps pris le goût de rembourser la Société de Prévoyance,
son sauveur.
Prêtons l'oreille encore du côté de Marrakech : Cette an
née, en pleine sécheresse,
on put à trois reprises lâcher l'eau
du barrage du Nfis pour un total de 8 millions de m3, mais
avec l'indigène des tribus guichs aux environs de la ville,
nonchalant, négligent, ne sachant rien encore des pratiques
de l'irrigation, il a fallu sévir contre les pertes et le mauvais
entretien des canaux.
Allons au faîte de l'échelle sociale, et nous trouvons de
nombreux notables qui, de plus en plus endettés, s'avouent
incapables de régler leurs dépenses sur leurs revenus.
Les arbres qui sortent des pépinières vont mourir dans les
jardins indigènes et les propriétaires Reni-Snassen, des
orangers du Zegzel déclarent : « Vous nous reprochez de ne
pas tailler nos arbres, mais regardez-les ; ils ont plus d'un
siècle et sont encore de magnifiques producteurs ! Les maux
qui les atteignent aujourd'hui étaient inconnus avant la venue
des Français.
« Vous nous avez obligés, pendant deux ans, à acheter des
gobelets,
à les remplir d'appât pour attraper les mouches. Nous
l'avons fait, pour vous être agréables,
laissant à la pluie le
soin de refaire le plein des godets, et les mouches sont parties
comme elles étaient venues. »
La fenaison, faite sur les conseils d'une autorité de passage
n'est pas renouvelée l'année suivante et c'est là cependant un
problème capital. Aucune amélioration des cultures indigènes
n'est possible en quantité comme en qualité si les attelages de
la charrue, mal entretenus pendant l'été,
ne peuvent fournir à
l'automne l'effort suffisant. On eût pu cette année ensemencer
plus de grain encore si les animaux, en maints endroits, n'a
vaient pas été à bout de forces,
après une saison sèche et une
récolte déficitaire qui avait limité leur nourriture au mini
mum.
En tournée, il nous arrivait souvent de rencontrer ces
lamentables attelages au labour. Une jument et une vache
accouplées,
la jument était en association entre le propriétaire

- 29 -
du champ et un de ses coreligionnaires. La vache avait été
prêtée par un israélite en même temps que la semence.
Pareille combinaison n'aboutissait qu'à de bien faibles rende
ments, car à la récolte le prêteur récupérait le grain de
semence,
plus la moitié du reste et sur l'autre moitié il se
payait, souvent avec usure, d'avances faites en cours d'année
pour la nourriture ou le terbib. Le fellah n'avait plus d'autre
ressource que de poursuivre une association onéreuse.
Ailleurs encore, dans une tribu d'éleveurs, en bordure de
l'Oued Grou, les céréales sont tout à coup en faveur. On
défriche les plus médiocres terrains, la couche d'humus, trop
mince, s'en va aux premières pluies, le roc est mis à nu, la
végétation spontanée disparaît, on prévoit que dans peu de
temps la zone sera impropre à l'agriculture comme à l'éle
vage.
Même déception du côté du médecin, abandonné pour aller
au charlatan, au guérisseur, parce que le patient a plus de
goût pour le miracle, que pour les soins méthodiquement pour
suivis. Les enfants, dans les villes, sont ainsi perpétuellement
menés du dispensaire au fqih ou bien à la matrone, riche de
pratiques invraisemblables, et trop
souvent ils n'échouent à
l'hôpital que pour y mourir, ce qui est loin de rehausser le
prestige de la médecine. L'insuccès, l'impasse est au bout de
beaucoup d'efforts.
Revenons encore à l'Egypte si riche d'enseignement. Emile
Ludwig écrit dans « le Nil,
pauvre depuis les Pharaons ».
vie d'un fleuve » : « Le fellah est
« Mais pourquoi est-il resté pauvre ? Il n'est ni paresseux, ni
sot ; il est laborieux, intelligent,
jeune,
mais on le maintient dans l'ignorance.
tout au moins quand il est
« Ainsi peut-il reconnaître dans le tombeau des Pharaons
l'image fidèle de sa propre destinée,
lénaires.
vieille de plusieurs mil
« Voilà le chadouf dont la perche s'élève et s'abaisse éter
nellement pour puiser de l'eau,
voilà les champs en longues
bandes séparées par des rigoles, la charrue n'est qu'une plan
che attachée à une corde ; il y manque seulement la pointe de
fer, mais elle a déjà les deux poignées et voilà l'enfant qui,
avec son bâton, pourchasse les moutons afin qu'ils piétinent le
3

30 -
grain dans le sol, tandis qu'un autre attire le mouton de tête
avec du blé. »
Et par le seul effet de la paix et de l'ordre,
ils sont aujour
d'hui douze millions de paysans endettés pour deux millions
de propriétaires, de commerçants, de docteurs,
politiciens dans l'aisance ou la richesse.
D'ailleurs,
Méditerranée,
d'avocats et de
où qu'on aille dans le monde musulman de la
on retrouve une même élite intellectuelle mi
noritaire presque entièrement urbaine à côté de la masse
rurale ignorante et toutes les générosités concurrentes d'Europe
ou d'Amérique, qui se sont dépensées en œuvres sociales, n'ont
abouti qu'à élever encore la culture de l'élite,
à grossir le nom
bre des privilégiés de l'esprit sans sortir le fellah de sa routine
et de sa misère.
Au Liban, on comptait, l'an dernier, près de 1.200 étudiants,
en médecine, en droit, en pharmacie, dans les lettres ou dans
les sciences, pour un pays qui n'est en superficie que la moitié
de la zone espagnole ; et la Syrie, la Palestine,
l'Irak,
suivent le même exemple.
*
**
l'Egypte et
Mais pour la masse, que faire contre l'insouciance, l'igno
rance,
l'erreur alliées de la tradition ?
Partout l'indigène reste immuable dans sa coutume, le pro
grès gagne autour de lui sans l'entraîner,
déception pour le
tuteur qui l'apporte et le traduit en merveilleux exemples,
rancœur pour le protégé qui le subit parce que le peu qu'il en
retient développe plus ses besoins que ses aptitudes.
III. —
La
colonisation et son exemple
En Afrique du Nord une voie vers le progrès est cependant
ouverte,
celle de l'imitation au contact des exemples. La coloni
sation les développe sous les yeux du paysan marocain. Ils
sont magnifiques dans l'effort et les résultats et plus encore
dans la rapidité avec laquelle le pays en a été transformé. Des
bois d'eucalyptus et de mimosas ont rendu méconnaissable

- 31
—
l'itinéraire de Kénitra à Petitjean ; la région de Fédala est
devenue un jardin maraîcher ; dans la plaine de Sidi-Slimane,
les orangers s'ordonnent comme à la parade en vastes figures
géométriques ; le pays se transforme au large de toutes les
villes. Mais plus cet exemple se développe moins il est à la
portée des indigènes. A pareille vitesse, il n'a pu suivre.
D'ailleurs, au Maroc, le problème de la colonisation s'est
traité d'emblée à la mode du siècle, qui réalise vite et grand,
industrialise et spécialise tout travail, met en équation les
moyens et les résultats. Au 31 décembre 1935, on comptait
3.822 exploitations européennes pour 840.000 hectares, soit
une moyenne de 219 hectares par propriété. En Algérie, qui
est l'aînée de près d'un siècle, la colonisation rassemble en
viron 2.400.000 hectares pour 70.000 propriétaires, soit 34 hec
tares de moyenne. En France,
cette moyenne tombe à un peu
moins de 12 hectares. Le fellah marocain n'a sous les yeux
que des exemples peu nombreux et trop grands pour lui,
il ne
les saisit ni dans leur technique, ni dans leur économie. Par
ailleurs, pour des raisons diverses, ils se rejoignent, s'agglo
mèrent et sont de moins en moins pénétrés par la petite pro
priété indigène. On a fait au Maroc de larges périmètres de
colonisation,
la terre du fellah,
qui se développent sur eux-mêmes en grignotant
en écartant celui-ci sur la périphérie. On en
voit un cas typique dans la plaine Reni-M'Tir,
et El-Hadj eb.
entre Meknès
Tout comme en Oranie, un élément petit nomade, éleveur
de moutons, peu enclin au travail de la terre, regarde sans
s'adapter une colonisation en rapide croissance, il s'est dessaisi
sur elle de son domaine pour se retirer dans le haut pays et,
il regrette une terre qu'il a abandonnée pleine de
aujourd'hui,
palmiers nains sans l'avoir jamais soupçonnée aussi féconde ;
le voilà cantonné au-dessus de la ligne rocheuse qui domine
la plaine colonisée. Il s'attaque au parpaing, pour ensemencer
quelques hectares,
rude travail et maigre profit. Entre ses
champs et la réalisation des colons, une longue falaise s'étire,
qui marque non un contact,, mais la séparation de deux éco
nomies qui se tournent le dos.
Le fellah qui s'emploie dans les fermes françaises, s'éduque
sans doute, mais il est fixé à demeure, il ne noyaute pas ses

- 32
coreligionnaires et son apprentissage n'est le plus souvent
pour eux d'aucun profit ; quant aux saisonniers, ils ne font
que passer pour moissonner ou labourer à leur manière. S'il y
a dressage, il est mince, il est lent. Il ne vise qu'un travail
limité ; il se fait au bénéfice de la moisson, plus que du tra
vailleur qui aurait justement besoin d'apprendre un peu de
tout.
**
L'exemple ici est défaillant, par la faiblesse du nombre, par
le défaut des contacts, les trop vastes dimensions de ses réali
sations européennes. Ceci est si vrai, qu'il joue efficacement
dès qu'il se fait plus modeste en dimension. Je veux parler des
primeuristes. Il ne s'agit plus de grandes cultures, mais de
jardinage. Ici, le nombre des ouvriers plus que la machine
réalise l'étendue, le dressage est plus précis,
étalé dans le temps,
il est aussi plus
les moyens sont moins mécanisés et voilà
que l'indigène s'essaye à reproduire un modèle qui est à sa
portée. Dans la région de Fédala,
une centaine de primeuris
tes indigènes se révèlent soucieux de réaliser entre eux une
coopérative, sans savoir au juste l'activité à lui donner, mais
ils se sentent déjà solidaires dans un métier nouveau. Une
corporation d'ouvriers de la terre est née de l'exemple français.
Au Sous, sur la route d'Agadir à Taroudant, les Chleuhs si
industrieux,
si malléables qu'ils sont appréciés jusque dans les
usines de France, insèrent aussi des jardins de tomates, de
haricots ou de tabac entre les plantations de colons. Ils imitent
les méthodes de production, ils s'associent à la coopération
européenne pour le transport et pour la vente. La moto-pompe
bourdonne nuit et jour, chez les uns comme chez les autres.
On peut regretter que le Maroc n'ait pas encore découvert
au moment où il s'engage dans l'arboriculture une formule à
complant qui, associant le colon à l'indigène,
la technique de
l'un, la terre de l'autre, éduque le fellah à mesure que la pro
priété prospère pour le libérer sur la part qui lui revient, dès
que la production est assurée. L'arbre pousse lentement, le
dressage se fait de même ; à longueur d'année se répètent les
mêmes gestes, les mêmes conseils dans un contact durable.

33 -
La méthode a fait merveille avec l'olivier dans la région de
Sfax. La colonisation a donné là le plus bel exemple de son
devoir social en transformant à la fois le pays et l'autochtone.
IV. —
Le
cadre administratif et les oeuvres sociales
Mais le peuplement métropolitain est extrêmement réduit
dans le milieu rural marocain : 30.000 Français pour plus de
5.000.000 d'indigènes, 1 pour 200, et si dans les régions privilé
giées, par exemple Fédala avec ses primeurs, on note,
pagne, un millier de Français pour 23.000 Marocains,
en cam
c'est au
détriment d'autres pays, qui cependant sont loin d'être à la pé
riphérie du Protectorat. Ainsi, on ne compte plus que 23 Fran
çais pour 40.000 indigènes dans la tribu des Reni-Meskine
d'El-Roroudj, à moins de 150 kilomètres de la côte atlantique,
et 18 pour 1.700 dans le centre même d'El-Roroudj : rien que
les fonctionnaires du bureau de Contrôle et leurs familles,
peu près.
Chez les Ouerba-Rranès du Nord de Taza,
ou à
aucun Français
ne s'égare parmi les 10.000 indigènes d'une tribu d'arboricul
teurs. 30 sont groupés dans le petit village de Taïrest et c'est
encore le cadre administratif d'un chef-lieu de cercle qui em
brasse d'ailleurs plusieurs tribus.
En beaucoup de lieux,
ce cadre est donc seul à décider du
progrès indigène. On a osé le déclarer pléthorique, cadre bien
léger au contraire au regard des besognes qu'il assume, cadre
de plus en plus absorbé par les méthodes d'administration qui,
au Maroc comme ailleurs,
nouvelle.
sont en retard sur le train de la vie
Nous sommes dans une époque de générosité sociale qui se
dépense en réglant minutieusement les étapes vers le bon
heur, il en résulte une floraison de textes,
un formalisme de
centralisation et de contrôle qui s'accordent de moins en moins
avec les réactions rapides, multiples, nées du rythme accéléré
de l'existence,
rythme plus sensible encore dans un pays qui
en est à son premier équipement.
Il devient difficile de connaître d'abord, d'harmoniser en-

- 34
-
suite les principes et les réalités. La réformation de l'homme
devrait peut-être précéder celle des lois.
C'est ce que sentent Contrôleurs et Officiers d'Affaires indi
gènes, ensembliers du social, prospectant le milieu et le pays,
avec un grand appétit pour le soucieux progrès, d'être partout
où il peut naître, où il a besoin d'appui, réalisant par le con
tact, par l'exemple,
car aucun texte ne saurait s'adresser effi
cacement à une foule illettrée en arabe comme en français ;
auprès d'elle tout est action, expérimentation ; il s'agit plus de
vulgariser les résultats que de les codifier.
***
Des résultats ? En voici trois exemples parmi les meilleurs.
Ils soulignent bien les vrais progrès.
Dans le Sous, à Inzegane, près d'Agadir,
500 pêcheurs indi
gènes ont été peu à peu rétablis à la mer par un effort de cinq
ans, dans un cadre coopératif aussi préoccupé d'éducation que
d'action. L'indigène a retrouvé une vente rémunératrice du
poisson frais,
salé ou cuit qu'on place jusqu'à Casablanca et
même en Afrique noire. Les pêches trop miraculeuses se trans
forment en guano, elles ne pèsent plus sur le marché, elles
l'élargissent. En 1932, un tassergalt de trois ou quatre kilos,
qui était vendu parfois à 2 pour cinq sous, est aujourd'hui
régulièrement payé 0,28 le kilogramme, au pêcheur par la Coo
pérative, et celui-ci reprend goût à son travail qu'il avait aban
donné parce qu'il ne le rémunérait ni de ses efforts, ni de ses
risques.
En pays Reni-M'Tir, on rénove, on développe une vieille ins
titution berbère : la timesguida ou bien de mosquée du douar,
c'est-à-dire troupeau et terres de la collectivité, dont les reve
nus pourvoyaient autrefois aux dépenses en commun, celles
de la charité et celles de la guerre. Au-dessus du douar cha
que tribu a constitué sa timesguida majeure, sa bergerie col
lective, mais celle-ci, avec ses luzernières, sa source aménagée,
son abreuvoir, ses abris, son verger, son potager, est devenue
un exemple de ferme indigène modèle, déjà répandu à une
douzaine d'échantillons. Réalisé par la collectivité, il sera à
son tour imité par les individus.

Enfin, un dernier miracle,
35 -
une oliveraie de 6 à 8.000 pieds
est née, il y a six ans, sur la rive gauche de la Moulouya, au
sud de Guercif, en pleine steppe déserte, à la faveur d'un point
d'eau qui se perdait en marécage. On l'a équipé de barrages,
canalisations, bassins d'irrigation, pour édifier une oasis qui
entre aujourd'hui en production par les seuls moyens d'une
collectivité devenue propriétaire.
Si je ne cite pas les noms des réalisateurs, pleins de cœur,
d'intelligence et de volonté, c'est que l'hommage à leur ren
dre doit être partagé avec beaucoup d'autres qui se dépensent
de même pour améliorer le sort du fellah marocain.
*
**
Il leur est impossible, évidemment, de suivre un par un les
indigènes au travail. On ne rejoint ceux-ci qu'à travers les
cadres d'œuvres sociales diverses. La difficulté est de trouver
des formules locales déjà acclimatées, acceptées et de les aider
à prospérer. II est vrai qu'on peut déjà, dès qu'on les décou
vre, leur assurer l'appui de la plus ancienne et de la plus forte
qui recouvre providentiellement toute l'Afrique du Nord, je
veux parler des Sociétés Indigènes de Prévoyance.
Vous en connaissez le mécanisme. Propriétaires, petits et
grands, en alimentent les ressources à la mesure de l'impôt
qu'ils paient pour venir en aide aux plus pauvres à l'automne
ou au printemps. C'est sous le contrôle de l'Etat, une mutualité
obligatoire. On lui reproche de manquer de souplesse et d'avoir
le souffle court. J'ai cependant connu une époque, en Algérie,
où le prêt saisonnier était limité entre 5 et 20 francs, encore
allait-il pour une part au Caïd avant son départ à Vichy. Au
jourd'hui, entourée d'une élite indigène, des techniciens de
l'élevage et de l'agriculture, l'autorité de Contrôle, ensemblier
de l'économie locale, y trouve le moyen d'échanger des idées,
d'établir des plans autour de la S.I.P et par elle, d'amorcer des
propagandes. Les réalisations se multiplient : pépinières, ver
gers modèles, station de monte, bains parasiticides. On y pra
tique le rachat des créances usuraires, on y organise con
cours et primes de toute sorte. Chaque Société Indigène de
Prévoyance se ramifie en sections qui vont, loin des bureaux,

— - 36
toucher le fond des campagnes. Il ne s'agit que d'animer ces
sections pour multiplier les centres d'éducation rurale. Enfin,
toutes les Sociétés Indigènes de Prévoyance sont assurées de
l'appui d'une Caisse centrale commune,
aux groupements en lutte contre quelque calamité.
prête à venir en aide
Elles ont fait merveille dans ces dernières années de mi
sère, tant par leurs moyens directs,
qu'en prêtant leur méca
nisme à l'action complémentaire du Gouvernement ;
elles se
sont associées à l'Office du Rlé dès sa création pour mettre en
œuvre un bon système d'achats et de paiements. J'entends
bien qu'elles sont essentiellement un organe officiel, avec des
budgets et un formalisme administratif, lent, encombrant, cen
tralisateur à l'excès qui, par prudence, freine l'action ; mais
peu à peu, si chacun y prend soin, si les sections vivent, si
elles s'ajustent aux économies si étroites,
mais si diverses des
multiples cases du damier marocain, si elles prennent sous
leur protection quelques exemples améliorés de l'élevage, de
l'arboriculture ou de toute autre activité paysanne, l'appareil
sera susceptible d'encadrer,
d'entraîner la masse des fellahs.
Il ne suffira que de lui adjoindre les maîtres de pratique que
toutes les Sociétés Indigènes de Prévoyance réclament et
qu'elles commencent à prendre à leur charge en dépit de leurs
faibles moyens.
On veut espérer que cette association obligatoire sous la
tutelle de l'Etat pourra un jour devenir volontaire et agissante
avec la seule initiative et le seul dévouement de tous ses mem
bres, ce qu'elle fut d'ailleurs à l'origine, en Algérie, avec ses
inventeurs, le capitaine Lapasset, en 1846, le général Liébert,
en 1868, nos anciens des bureaux arabes, à deux dates de cala
mités agricoles et d'extrême misère indigène.
Si l'organe offre aujourd'hui un grand exemple, un peu
théorique sans doute, il est du moins solide et on peut y atta
cher de petites réalisations plus concrètes et plus vivantes,
plus fragiles aussi à leurs débuts.
C'est un devoir pour celui qui les éveille, mais qui passe, de
les nouer à une institution vigoureuse et qui dure. L'ensemble
formera vraiment l'école sociale de l'adulte. Tout le mouve
ment coopératif qui s'amorce doit se développer avec l'aide
des Sociétés Indigènes de Prévoyance et au besoin avec leur

Fie. 9. —-
Volubilis.
Photo Esquer.

- 37
-
crédit, dût-il leur être avancé par l'Etat. Pour débuter nous
éviterons d'obliger l'indigène à regarder dans de multiples
directions, le fonctionnement de mécanismes trop divers qui lui
sont totalement étrangers et semblent en appeler chaque
fois à des personnels différents. La même équipe doit sous ses
yeux mener tout le progrès social. C'est le moyen pour lui de la
rencontrer plus souvent, de la mieux comprendre et de ce
point de vue, il conviendrait d'établir aussi des liens solides
entre les Sociétés Indigènes de Prévoyance et les collectivités
qui, au Maroc, possèdent encore des terres en commun, favo
rables à l'application de méthodes nouvelles avec le secours
d'un encadrement spécialisé.
Nous verrons peut-être, dès la prochaine campagne céréa-
lière, de petites coopératives, celles-ci volontaires, venir pré
senter à leur aînée, l'officielle, l'obligatoire, la coopérative du
blé, liée d'ailleurs à la S.I.P., une récolte groupée, triée, tararée,
transportée à l'initiative et par l'activité de leurs mem
bres qui, réglant entre eux leurs comptes, travailleront plus
et mieux au lieu de s'en remettre aux quelques 40.000 inter
médiaires qui commercialisaient la production.
Le blé ne sera plus vendu en vert, la laine achetée sur le
dos, le fellah s'éveillera à une économie plus saine.
Les œuvres sociales auront été à la fois éducatives et actives.
V. —
Les
cadres techniques qui se développent
II faut seulement aider au départ, des compétences seraient
nécessaires pour chaque forme d'activité ; de partout on ré
clame le praticien conseil. Si avertie des choses marocaines
que puisse être l'autorité de contrôle, on ne peut espérer qu'elle
ait à la fois le temps et la capacité suffisants pour entraîner
des économies nombreuses et diverses, éparses sur de grandes
étendues. Son rôle est de direction, de coordination, d'harmo
nisation.
Le Maroc bénéficie, il est vrai, d'un cadre supérieur des
affaires économiques conseillant prospectant, le milieu rural,
colons et indigènes, mais pour l'indigène un cadre subalterne
de maîtres de pratique est indispensable, pénétrant le bled

- 38 -
et touchant le paysan au travail. « Il a un y paradoxe insup
portable, écrit un ingénieur du Génie Rural, entre l'effort réa
lisé pour la construction d'un barrage, pour une distribution
dirigée des eaux d'irrigation et la stagnation des méthodes
de culture des indigènes.
« Ceux-ci ne changeront moralement et professionnellement
qu'en créant sous leurs yeux des exploitations d'essais à leur
mesure, en basant la vulgarisation sur des exemples, menés
sur place, par des agents de culture, à tout instant guides et
conseillers des fellahs. »
L'action de contact revient à ces praticiens de l'agriculture,
de l'arboriculture, de l'élevage ou du Génie Rural mettant
leur savoir à la disposition de l'ensemblier du social. On les
désire jeunes, actifs, capables de rayonnement,
allant en tribu
d'un groupe à l'autre, mettant partout la main à la pâte, par
lant la langue arabe ou le dialecte berbère local,
soucieux de
comprendre et de se faire comprendre, décelant les possibili
tés dans les hommes comme dans les faits.
On les verrait volontiers dotés d'un matériel léger pour
les démonstrations et des moyens de transport et de campe
ments réalisant simplement une manière de ferme-école rou
lante au service du travailleur rural. Une préparation du per
sonnel est d'abord nécessaire.
L'idée est en route. Au Maroc, dans le cadre de 10 inspec
teurs pour l'agriculture, de 28 pour l'élevage,
on compte 10 mo
niteurs agricoles. 9 équipes d'agents d'élevage et 4 en création
entièrement à la disposition de l'économie indigène.
Dans le Tadla, aux Reni-Amir,
un moniteur agricole est à
demeure pour aider une collectivité à passer de la culture
sèche à la culture irriguée,
à la faveur d'un barrage et d'un
réseau de séguias distribuant l'eau de l'Oum-er-Rebia jus
qu'alors inutilisée.
Un autre est dans la région de Fès guidant un groupe de
familles indigènes rétabli dans la pratique agricole.
On souhaiterait que des maîtres horticulteurs puissent aider
à la création en tribu de quelques vergers modèles, en liaison
avec les pépinières des Sociétés Indigènes de Prévoyance pro
longeant leur action à travers les collectivités indigènes qui en
relèvent.

— — 39
Des équipes d'élevage, un Français et un indigène, visitent
les tribus de pasteurs menant la lutte contre les épidémies,
organisant les baignades, les transhumances, les mises en
défens, indiquant aux éleveurs les animaux à préparer pour
être vendus dans les grands marchés saisonniers, qui se tien
nent à leur profit, mettant en contact direct l'offre et la
demande, celle-ci manifestant sur place des exigences, celle-là
mesurant d'après sa vente les progrès à réaliser.
L'un de ces marchés réunissait à Guercif, en janvier dernier,
45.000 moutons, mais trois agents de l'élevage, dès le début de
décembre,
avaient couru le bled à la recherche des éleveurs et
des troupeaux pour marquer, claveliser, castrer 25 à 30.000
sujets en bonne condition de présentation.
On voudrait multiplier ce personnel, l'étoffer de plus en
plus en indigènes, le préparer dans les fermes expérimentales
et les stations de génétique où s'élaborent les meilleures mé
thodes et, tout en les laissant sous le contrôle des inspections
techniques, les mettre à la disposition de l'autorité locale, mais
toujours dans le cadre d'éducation sociale des Sociétés Indigè
nes de Prévoyance.
Ainsi s'ébauche auprès des adultes l'école de redressement
de l'économie paysanne. Elle n'attend pour se développer que
des crédits aujourd'hui trop mesurés dans un budget trop
étroit.
VI. —
L'ÉCOLE ET SES MOYENS
Avant de redresser l'adulte on pense logiquement à édu-
quer l'enfant. En vérité, l'école de l'enfance est le grand
moyen.
L'enfant naît curieux ; dès qu'il le peut, il interroge ; il
exige des réponses. Il ébauche avec elles le complexe de son
intelligence, de sa raison, de sa volonté ; une lutte est ouverte
entre les réflexes ataviques qui sont en lui et les réactions du
monde extérieur. L'enfant s'adapte pour se préparer à agir.
L'adolescent est moins souple et plus timide, il retient sa
curiosité,
il faut le questionner pour le connaître. L'adulte est
encore plus réservé. Il a grandi en force comme en expérience,
il a acquis en même temps des libertés et des besoins, il faut
qu'il produise pour les satisfaire, le voilà occupé, de moins

40
en moins saisissable, il n'est plus perfectible que de sa propre
il s'arrête volontiers dans des habitudes.
volonté,
Seule la magie du verbe peut l'emporter parfois vers l'idéal
ou l'idéologie,
tence,
loin des moyens pratiques qui améliorent l'exis
et il en revient souvent découragé par la distance qu'il
a rapidement mesurée en retombant dans la réalité.
Si nous voulons cependant rejoindre dès maintenant l'homme
pour l'entraîner dans le cadre des œuvres sociales avant de
toucher l'enfant,
duction,
c'est qu'il est urgent de développer la pro
parce qu'il faut aussi continuer l'école de l'enfance
par celle de l'adulte, mais le problème serait pris à rebours,
si on s'attaquait seulement aux résistances des réflexes et des
préjugés du fellah, c'est l'enfant qu'il faut d'abord éduquer.,
tous les enfants, garçons et filles,
sinon les privilégiés de
l'école se retrouveront au retour dans le milieu social à 1 con
tre 20 ou contre 100,
tine.
sans rayonnement et repris par la rou
*
**
Où en est donc l'école et ses moyens ?
J'évoque le souvenir, vieux de trente ans,
d'une de mes pre
mières tournées d'officier des Affaires Indigènes en Algérie.
J'accompagnais un inspecteur de l'enseignement franco-arabe,
islamisant notoire. Après deux jours de cheval nous arrivions
dans une délicieuse oasis des gorges de l'Aurès en lisière du
Sahara. Là, un jeune instituteur, seul Français du lieu, Rre-
ton venu directement de Rretagne, qui n'avait aucune connais
sance d'arabe ou de berbère,
débutait dans l'enseignement
ou à peu près, et, courageusement, entamait son programme
comme en France avec l'A. R. C. et les premiers rudiments de
notre histoire. Les dimanches d'hiver, dans sa solitude, il culti
vait les légumes de son pays breton. Nous devisâmes sur l'édu
cation des indigènes autour d'un pot-au-feu auquel notre jeune
ami avait apporté tous ses soins.
Plus tard, arrivant au Maroc, j'eus la surprise d'entendre par
la fenêtre d'une école ouverte sur un jardin d'oliviers cente
naires,
un chœur d'enfants chanté en canon. Vous devinez
lequel : C'était « Frère Jacques » et 40 petits musulmans
criaient à tue-tête : « Sonnez les matines ». La musique d'en-

semble, école de discipline,
biance locale.
- 41
Mais j'ai vu encore, il y a moins longtemps,
à l'abandon, en plein été,
n'avait pas pris souci de l'am
un jardin d'école
pendant la longue durée des vacances
africaines, défaillance aux dépens de la morale paysanne,
toute remplie de l'amour de la terre et des soins qu'on lui
doit. On pouvait toucher là une solution de continuité dans
une œuvre d'ensemble,
l'école et quelque autre organe, la Société Indigène de Pré
voyance, par exemple,
une liaison qui ne jouait pas entre
aussi soucieuse que l'école de la forma
tion de l'indigène : il lui revenait d'aller au secours du jardin,
pour que les petits le retrouvent, à leur retour, aussi entouré
de soins qu'à leur départ,
terre ne s'abandonne pas.
en prenant ainsi conscience que la
*
**
Tout cela est du passé, la bonne impulsion est donnée : on
prépare les maîtres à leur tâche dans une ambiance africaine,
les programmes naissent des réalités, les méthodes se réfor
ment en vue des buts à atteindre.
Rendons hommage à ceux qui les premiers, avec leur bon
cœur et leur intelligence, ont bousculé les routines pour adap
comme elle le
ter l'école à la vie locale ; la doctrine est née,
devait, des plus modestes réalisations,
de celles qui s'avéraient
aussi vivaces qu'une plante du pays, et elle s'est répandue,
non par l'élaboration de programmes impératifs, mais par la
diffusion d'expériences heureuses, que le film aujourd'hui
pourrait aider au mieux.
On a compris qu'il y avait bien des étapes à franchir dans
les campagnes, avant d'imposer le régime de l'école de
France.
Au Maroc, aussi bien qu'en Algérie,
et en Afrique Occiden
tale Française, l'école ne se fait plus en vase clos ; elle s'ouvre
toute grande sur la vie. Chaque centre de formation diffère du
voisin, comme les pays sur lesquels ils s'installent, car le
Maroc rural, répétons-le, est un damier de petits pays, de collec
tivités étroites, d'activités particulières, qui, entre elles, ont à
peine adouci les transitions. Tout cela vraiment ne peut se
rejoindre dans un seul type d'école rurale.

42 -
C'est dans la vocation locale que chaque centre d'enseigne
ment veut apprendre à mieux produire, mieux bâtir, mieux
manger,
mieux diriger l'économie familiale et l'entr'aide mu
tuelle, mieux utiliser le temps, le sol et l'énergie des hommes.
De bons exemples illustrent les progrès accomplis dans
l'école de la vie améliorée.
cole,
A Sefrou,
on a depuis des années développé la section agri
elle a heureusement bénéficié du voisinage immédiat et
de la fréquentation d'une station d'horticulture et elle essaime
aujourd'hui des jardiniers, qu'on retrouve,
nord de l'Atlas,
Indigènes de Prévoyance.
au sud comme au
dans les pépinières de nombreuses Sociétés
A Ahermoumou, dans le sud-ouest de Taza, on note que cer
tains parents, prenant, par leurs enfants, contact avec l'école,
viennent y demander des conseils de culture.
A Rerguent, des propriétaires indigènes,
embarrassés au
moment des repiquages, réclament au jardin scolaire le trop-
plein de ses semis.
A Martimprey du Kiss, on perçoit une orientation nouvelle
des cultures, parce que l'école se fait autant chez les colons
voisins que dans la classe. En plusieurs points, des arbres par
tent de la pépinière scolaire pour aller dans le champ pater
nel où l'enfant saura bien imposer ses quatre volontés et don
ner à son arbre les soins appris auprès du maître.
Des légumes nouveaux sont passés du jardin de l'école
dans les terres du fellah, pour apparaître maintenant sur les
souks.
**
En qualité, l'effort est excellent, il est insuffisant en quan
tité. En 1936, sur 95 écoles de garçons, une quarantaine seule
ment donnaient un enseignement agricole plus ou moins déve
loppé.
On ouvrira cette année 100 classes nouvelles, mais les villes,
toujours exigeantes, en retiendront le plus grand nombre.
II faut, il est vrai, faire accepter l'école en tribu, lutter con
tre le préjugé qui a joué longtemps à ses dépens. En 1925, à
la demande d'un maître, je m'efforçais de l'aider à remplir une
école toute neuve. Je vis les notables pour tenter de les con-

- 43
—
vaincre. Quinze jours après le plein était, fait,
mais avec une
trentaine de gamins des plus meskines, pas toujours les mêmes,
rétribués dix sous par jour, par les plus riches fellahs, compro
mis qui leur semblait arranger au mieux le maître, le hakem
et la tribu.
Dans une excellente étude sur la vulgarisation agricole,
dans la région de Marrakech, qui date déjà de quelques an
nées,
un inspecteur de l'agriculture écrivait :
« Qui cherchera-t-on à toucher en pareille matière ? Le
riche propriétaire qui ne cultive pas, ses khammès associés
qui n'ont que le 1/5 de la production et comptent beaucoup
plus sur leur astuce que sur leur savoir, pour augmenter leur
profit, les mokkademines, intermédiaires du fellah au proprié
taire, qui exploitent l'un et l'autre sans se soucier beaucoup
de la terre ». Dans ces conditions, où l'école trouvera-t-elle sa
première clientèle ?
Cette répugnance est encore vivace. On vient d'adjoindre
au collège d'Azrou, à quelque 60 kilomètres au sud de Mek
nès, une section agricole. Elle compte onze élèves, mais des
Sahariens, des Arabes, des Soussis et aucun Reni-M'Guid ber
bère du pays. Ceux-ci, dédaigneux de la charrue, ne compren
nent l'école que pour former de leurs enfants des savants à
l'image des citadins. L'école, pour s'acclimater en pareil lieu,
et en bien d'autres plus rébarbatifs encore, doit changer de
visage et peut-être de nom. Rien que la belle ordonnance de
ses tables et de ses bancs,
appelle des réalisations tradition
nelles, éveille jusque dans les têtes paysannes l'espoir d'une
science qui classera leurs enfants dans les candidats aux
fonctions maghzen, aujourd'hui si sûres et si régulièrement
rétribuées,
mais qui ne sauraient suffire à tant de demandes.
Le centre de formation de la jeunesse rurale, pour éveiller
d'autres idées,
aurait avantage à s'éloigner de la formule
habituelle jusque dans ses formes extérieures.
Ainsi le personnel enseignant se compose déjà tout aussi
bien de maîtres des pratiques agricoles qui ont reçu des rudi
ments de pédagogie, que d'instituteurs initiés à l'activité du
Maroc rural.
Les villes, toujours privilégiées,
ont pour leurs écoles une
quarantaine de maîtres ouvriers du fer, du bois, du cuir. Les

—
- 44
campagnes n'ont encore reçu qu'une demi-douzaine de moni
teurs d'agriculture, auxquels s'ajoutent quelques instituteurs
titulaires de diplômes d'ingénieur agricole. C'est qu'il faut
former des maîtres avant d'ouvrir des écoles,
il faut compter
aussi avec les réalisations d'un passé qui pèsent sur le présent
et sur l'avenir. Heureusement, au Maroc, on taille encore dans
le neuf, et il suffit de changer de gabarit, de multiplier la
ferme-école.
Cependant, dans cette voie, encore, nous arriverions vite
aux limites des possibilités budgétaires.
*
**
On estime qu'il y a au Maroc plus d'un million d'enfants
en âge scolaire, qu'il faut trois maîtres pour 100 élèves, 30.000
pour un million, trois fois autant que le total des fonctionnai
res du Maroc déjà si lourd pour le budget. Encore devrait-on
par surcroît construire les écoles et les doter en matériel.
N'atteindrait-on que le quart des ruraux, l'effort déborderait
toujours les ressources.
La difficulté apparaît, budgétairement, insurmontable si
l'on veut poursuivre les créations à la mesure des effectifs et
les accélérer jusqu'au rythme de l'essor démographique.
VII. —
Coordonner.
Collaborer
De quelque côté qu'on agisse, sur l'adulte ou sur l'enfant,
par les cadres administratifs, techniques ou scolaires, les cré
dits arrêtent l'effort au-dessous de l'indispensable. Or,
ces cré
dits ne grandiront qu'à la mesure de la production, celle-ci est
attachée au développement de la formation paysanne, dilemme
sans issue, qui nous condamne à réviser nos moyens et,
d'abord,
à n'en rien perdre pour limiter un appel obligatoire
aux générosités de la Métropole.
Autour de l'école rurale en difficulté,
il s'agit de bloquer les
aides les plus proches. Quand la charrette est embourbée tous
les passants sont bons pour la tirer d'affaire,
sans chercher
quel est au juste leur habituel emploi. La spécialisation con
vient surtout aux riches.

— 45
L'école ne fait que préparer les futurs membres des œuvres
sociales qui poursuivent après elle l'éducation du fellah. Elle
forme des sociétaires avertis pour les Sociétés Indigènes de
Prévoyance,
des coopérateurs pour développer les activités lo
cales. Les personnels d'encadrement de ces œuvres sociales ont
donc leur place à côté du maître et le maître doit trouver la
sienne dans les conseils de direction de chacune d'elles. Le jar
din d'apprentissage de l'école peut aussi bien se confondre
avec la pépinière de la Société Indigène de Prévoyance, ou
l'une de ses annexes modèles, dispersées en tribu. Les équipes
des moniteurs de l'élevage et de l'agriculture prêteront leur
collaboration au maître comme à la Société Indigène de Pré
voyance et à la tribu. L'établissement d'expérimentation, où
qu'il soit, s'ouvre largement à l'école. La coordination de l'en-
tr'aide n'en doit être que plus serrée et elle revient toujours à
l'ensemblier local, à l'autorité de contrôle. L'enfant n'en ap
prendra que mieux à connaître les institutions et les cadres
qui, comme homme, le mèneront encore au progrès. Plus de
figures nouvelles, pour lui, à chaque étape de la vie, un seul
cadre social en place de multiples organisations dont le fellah
ne réalise pas les vocations spéciales.
**
Un exemple élémentaire fera mieux comprendre les possi
bilités de la coordination. C'est celui d'un bureau d'affaires
indigènes, à la périphérie du Maroc, loin des grands centres,
de leur personnel et de leurs moyens. Il est isolé au milieu
d'une ou deux tribus que la piste est encore seule à pénétrer,
et qui vivent dans une économie traditionnelle étroite.
Il est doté d'un goum. C'est une force supplétive spécifique
ment marocaine,
bat,
unité de police et éventuellement de com
mais en même temps foyer d'éducation militaire pour les
réserves qu'il instruit et par surcroît instrument de politique
indigène, parce qu'il s'ingénie à relever le niveau matériel,
moral et social,
en s'occupant aussi bien des hommes qu'il
encadre que de leurs familles rassemblées dans le village de
l'unité. Par les familles, le bureau rayonne dans les tribus
où il recrute.

- 46
-
C'est le goum qui a construit le village et qui l'améliore
sans arrêt. Il a formé ses ouvriers du bâtiment, mais il sait
aussi faire fructifier le jardin commun et soigner le troupeau
familial. Autour de lui, on tisse la jellaba d'uniforme,
on con
fectionne les naïls pour la marche. Il naît, dans le goum ou
autour du goum, pour l'entretien de l'habitat et du vêtement,
un embryon d'artisanat rural. La propreté, l'hygiène, pénè
trent partout, l'infirmerie avec le médecin est à la disposition
de tous.
Le chef se préoccupe encore de préparer les plus anciens
goumiers au retour à la terre. Dans ce but on leur amasse un
pécule qui ira. non à l'homme, mais à la Société de Prévoyance
de la tribu qui le reprend. Auprès d'elle il trouvera conseil,
appui, pour employer au mieux l'argent qui lui revient.
Le commandant de l'unité a, pour le seconder, un cadre de
sous-officiers français,
attirés pour une besogne étendue et
variée, des terriens pour la plupart, mais aussi pour certains
d'excellents bricoleurs, menuisiers, mécaniciens, charrons, des
chefs d'équipes et d'apprentissage suffisants pour les besoins
de la vie rurale.
Et voici qu'on commence à doter les goums de leur école,
pour les enfants qui peuplent abondamment le village de l'unité.
II s'agit déjà d'un total de 5.000 petits répartis entre les
51 goums mixtes marocains. L'un d'eux en compte jusqu'à
205, dont 96 jusqu'à 5 ans, 75 de 5 à 10 ans et 32 au-dessus
de 10 ans. Si on y ajoute les petits en âge scolaire des douars
environnants qui sont peu ou prou leurs parents, qui peuvent,
s'ils viennent de loin, trouver asile dans le village de goum, on
voit que l'école n'est pas en peine de clientèle.
Le commandant du goum, qui est en tribu l'autorité de con
trôle, c'est-à-dire l'ensemblier de l'administratif, du politique,
de l'économique et du social, reçoit aujourd'hui mission d'o
rienter l'activité de l'école de l'unité. C'est d'ailleurs l'unité qui
l'a bâtie, elles ont l'une et l'autre même souci : faire du pay
san amélioré, élever l'enfant comme l'adulte en bonne santé
physique et morale, les préparer côte à côte à leur tâche
future de rural. Ils sont au contact de la terre, de l'arbre, du
bétail, ils apprennent à satisfaire des besoins familiaux de plus
en plus élargis.

— — 47
Le programme social du goum est le même que celui de la
tribu et de l'école, parce qu'il y
a partout les mêmes préoccu
pations pour les mêmes réalisations et les mêmes progrès.
Les moniteurs de l'élevage ou de l'agriculture attachés à la
Société Indigène de Prévoyance, autant qu'à la tribu, aident
aux travaux pratiques de l'école, les goumiers assurent au
besoin le gros œuvre, les techniciens dispensent leurs conseils
en tribus comme à l'école.
Le goum soigne son école comme les goumiers leurs petits.
Les enfants admirent l'unité qui manœuvre sous leurs yeux,
mais les pères ont le respect de l'école qui prend soin de la
jeunesse. Les écoliers sont de toutes les fêtes de l'unité, les
goumiers participent à celles de l'école.
Voici l'école à Insgane à côté d'un maghzen, qui n'est qu'une
autre forme de forces supplétives, au contact de la Coopéra
tive des pêcheurs qui sont aussi des paysans ; on y apprendra
donc les choses de la terre et de la mer, tout en même temps.
Dans les tribus de l'Anti-Atlas qui envoient le plus d'ou
vriers dans la Métropole, l'école préparera les enfants prati
quement, mais moralement aussi,
indispensable ;
des primeuristes du Sous.
à l'émigration lointaine
on la verra s'adapter autrement dans la région
La pépinière, le verger, le jardin de la Société Indigène de
Prévoyance sont chaque fois qu'il se peut communs à l'école, au
goum,
à la tribu. C'est à l'école qu'on peut rassembler les
adultes pour tenter, par la parole ou le cinéma, d'enfoncer
encore mieux quelques idées nouvelles. Les petits y ont appris
les avantages de la coopération, qu'ils regarderont en action.
L'école et sa mutuelle bénéficient de l'appui moral et mater
nel de la Société Indigène de Prévoyance et de ses satellites.
La cantine scolaire profite du jardin du goum. C'est à l'école,
que la Société Indigène de Prévoyance ou les œuvres sociales,
le plus souvent ses filiales,
nions.
tiendront de préférence leurs réu
La tribu, le goum, l'école, les œuvres sociales et leurs ca
dres se fréquentent et s'entr'aident dans une ambiance de tra
vail, de discipline, de moralité. L'équipe du progrès indigène
apparaît cohérente autour des organes qu'elle anime.
On a tout coordonné pour ne rien perdre de moyens divers

mais limités. On a vraiment créé le cadre de la formation
rurale.
Les mêmes idées imprègnent le père et l'enfant qui se com
prennent aussi bien dans le progrès que dans la tradition.
Nous avons vu, dans les villes, l'élite des générations nou
velles bénéficier, dès le début du Protectorat, du meilleur de
notre savoir et il en est résulté, dans les familles, un désac
cord des esprits parfois dramatique dont jeunes et vieux
nous font également reproche. Dans l'ivresse des idées, ces
jeunes, pendant leur enfance,
ont suivi avec les maîtres de
notre culture, une belle route sans obstacle et ils s'étonnent
de ne pas rencontrer, au bout du chemin, des réalités toutes
prêtes,
pratiques et substantielles juste à la mesure de leur
idéal ; l'effort les rebute, les voilà mécontents, presque hosti
les. En campagne, au contraire, dans une économie simpli
fiée,
tout le monde peut suivre le même chemin vers la vie
améliorée. Le social épaule l'économique, tous deux reflètent
favorablement sur le politique. La coordination qui joue
entre les personnes comme entre les faits est ici majeure.
Attachés à la terre, elle ne divise pas, elle associe pour des
résultats tangibles et durables.
*
**
Cette coordination se révèle en particulière qualité autour
des forces supplétives. On peut mettre autant d'espoir dans
l'œuvre sociale de l'armée régulière. Celle-ci dépasse les
supplétifs en effectifs, elle rejoint en importance le groupe
indigène à l'école,
l'un et l'autre au-dessus de 20.000 Maro
cains. Elle bénéficie d'un cadre français trois fois plus impor
tant que le corps enseignant.
Casernées en majorité dans les villes, les unités plongent
moins dans le social que les goums ou les maghzen ; elles ne
rassemblent pas les familles en même temps que les hom
mes, et, chaque année par le jeu des contrats à long terme,
seul mode de recrutement au Maroc, l'armée rend à la vie
civile 12 à 1.500 indigènes après 4, 8,
12 ou 15 ans de servi
ces militaires. Ils sont en grande majorité d'origine paysanne,
mais, pour être restés longuement éloignés de la terre, ils en

— - 49
ont perdu le goût, sans avoir appris des techniques suffisantes
pour s'employer à l'atelier ou à l'usine, d'ailleurs suffisam
ment pourvus. Les voici libérés,
pour un grand nombre en
chômage, les plus favorisés bénéficiant d'une pension qui ne
dépasse pas 2.500 francs. Elle vient d'être augmentée, mais
ne sera-t-elle pas encore trop étroite pour assurer l'entretien
d'une famille urbaine ? Ils cherchent une place dans l'Admi
nistration, ils croient même avoir des droits, tandis qu'il n'y
a pour eux que des priorités, et ils ne briguent le plus sou
vent que des emplois sans technique. On ne saurait en offrir
à pareille cadence.
A Paris, il nous est arrivé de prendre part aux travaux
d'une Commission qui siégeait au Conseil d'Etat avec la
charge de répartir les emplois réservés aux anciens mili
taires indigènes. Les bonnes volontés y étaient au désespoir,
car chaque réunion accumulait des milliers de demandes
insatisfaites,
tandis que quelques dizaines d'emplois restaient
vacants, faute de candidats capables d'affronter des examens
de très petite capacité. Le même problème s'étend à toute
l'Afrique du Nord,
à toute l'armée d'Afrique.
Au Maroc, les villes s'inquiètent d'un encombrement pos
sible. L'armée, sous l'impulsion généreuse de M. le Maréchal
Franchet d'Esperey, n'entend pas abandonner ces vieux ser
viteurs. Pour les retrouver elle a créé le Dar-el-Askri, la
Maison du Soldat, présente dans toutes les garnisons, aidant
à la recherche du travail, prodiguant des conseils, distribuant
les secours indispensables,
mais elle n'a pas les moyens qui
permettraient la rééducation nécessaire dû paysan et ison
recasement à la terre. L'armée et ses cadres doivent y aider,
s'associer à leur tour à l'œuvre du progrès rural, apporter
leur collaboration à l'action d'ensemble, chercher à coordon
ner leurs moyens avec ceux du Protectorat, car le pays et
l'armée seront en même temps satisfaits.
VIII. —
Appel
a la métropole
Pour développer le progrès paysan nous avons appelé à
l'aide la colonisation et son exemple,
mais ils sont de faible
rayonnement, le cadre administratif et les œuvres sociales,

50
mais nous n'y trouvons que des moyens insuffisants, les
cadres techniques qui commencent seulement à pénétrer le
milieu rural, l'école qui réforme ses méthodes et demande
personnel et crédits.
Par des liaisons étroites entre ces diverses activités nous
avons esquissé ce que peut être le centre de formation rurale
et son œuvre auprès de l'enfant et de l'adulte.
Autour de lui nous avons tout coordonné, nous avons fait
appel aux collaborations touchant de près ou de loin le pro
blème de l'éducation indigène et l'encadrement de la masse
paysanne.
L'essor démographique, aussi bien que les temps difficiles
commandent de hâter la marche du progrès. Ce n'est plus
qu'affaire d'argent.
Le Maroc,
bent le tiers du budget,
accablé par ses charges d'emprunt qui absor
gêné par une balance commerciale
encore déficitaire, ne peut qu'en appeler à la Métropole,
générosités,
à son sens impérial.
à ses
Il est vrai qu'elle a sacrifié annuellement, jusqu'en 1934,
une moyenne de 7 à 800 millions pour la pacification et l'en
tretien du corps d'occupation. La paix, partout établie, ces
charges n'ont décru que de 100 à 150 millions, mais elles
payent un surcroît de forces et de sécurité au bénéfice de la
France autant que du Maroc.
Entre les deux pays associés la coordination a joué dans
l'ordre militaire, les cadres métropolitains ont formé des sol
dats, des unités, des réserves. Dans l'ordre économique,
si le
pays est déjà fortement équipé, il reste à mieux instruire les
hommes pour qu'ils en tirent profit, à développer leurs apti
tudes pour obtenir du temps, du sol et du travail,
un rende
ment amélioré, élargir avec la Métropole et les autres parties
de l'Empire des échanges susceptibles de tirer d'embarras la
masse indigène et d'accroître aussi la puissance économique
du bloc français. Mais pour forcer une terre ingrate, un cli
mat capricieux, il faut dépenser beaucoup de savoir et de
méthode. Le paysan marocain en est assez mal pourvu. L'ar
mée des travailleurs aurait besoin, au moins pour le départ,
de cadres aussi étoffés que celle des soldats. La formation
du paysan est plus complexe que celle des guerriers, seule-

51 —
ment le service de la terre dure autant que la vie, il ne libère
pas chaque année des hommes instruits, il les attache au
sol, à ses générosités,
ensemble ils font corps à tel point
qu'ils se modèlent et se réforment réciproquement, et parce
qu'ils seront nombreux à communier dans la même alliance,
les paysans marocains deviendront comme les paysans de
France,
une des grandes forces morales du pays. Les tenants
du sol, attachés de plus en plus à leur petite patrie, iront à la
force française qui les protège et dont l'encadrement social
est en toute occasion la vivante expression. Les fellahs trans
mettront scrupuleusement un bien qui leur aura coûté beau
coup de peine, ils feront avec zèle l'apprentissage de leurs
successeurs. On pourra alors desserrer les cadres de forma
tion. Le sacrifice que ceux-ci exigent n'est que temporaire,
nous avons montré qu'il était urgent et puisqu'il aboutit, par
surcroît, à grandir ensemble la puissance de l'Afrique du
Nord et celle de la France, il ne peut guère être discuté dans
un moment où les arguments de force ont leur poids.
Rabat, 7 Avril 1938.

52 -
Discours de M. MORIZE
MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE
M. Morize souhaite la bienvenue aux congressistes et les
félicite de n'avoir pas hésité devant les fatigues d'un long
voyage pour tenir au Maroc leur quatrième congrès. Il rend
hommage à l'œuvre que les Sociétés Savantes ont réalisée en
France. Le meilleur éloge que l'on puisse faire de leurs tra
vaux est que ceux-ci constituent la base de toute synthèse. Il
n'est pour s'en rendre compte que de se reporter à la biblio
graphie de ces travaux, au « Lasteyrie » auquel pour sa part
l'orateur eut souvent recours lorsqu'il enseignait l'histoire.
L'établissement de la paix française en Algérie, en Tunisie,
au Maroc, a ouvert ces pays aux libres recherches. Nom
breuses et actives y sont les Sociétés Savantes. Dans ce domai
ne aussi l'œuvre de la France est synonyme de civilisation. La
paix qu'elle a fait régner en Afrique du Nord a fait avancer
notre connaissance du pays et de ses habitants, et elle a assuré
la conservation des monuments du passé. Grâce à la France,
conclut M. Morize, les admirables témoignages de l'art hispano-
mauresque que les congressistes ont déjà pu admirer, ont été
sauvés d'une ruine qui, sans l'intervention des savants fran
çais, aurait été irrémédiable.

Fie. 13. —
Vallée de l'Oued N'iïs.
Photo Service K A Maroc.

Fio. 15. --
Mosquée
de Tinmel.
Pltoicl service [I, A. .Mar.jo.

53
MARDI, 19 AVRIL 1938
Le mardi 19 avril 1938, à 14. heures, les congressistes se
sont réunis à l'Institut des Hautes Etudes Marocaines en
Sections séparées. Les communications suivantes étaient ins
crites au programme :
Section de Géographie
Limites d'aridité et nature physique des sols dans la zone
prémharienne, par J. Despois,
chargé de cours à la Faculté
des Lettres d'Alger, Membre du bureau de la Société Histo
rique Algérienne.
Le processus de l'érosion fluviale en Oranie, par R. Tinthoin,
Instituteur à Oran, Secrétaire de la Société de Géogra
phie et d'Archéologie d'Oran.
Sur les ruines de villages dans les vallées du Plateau Cen
tral Marocain, par Jean Célérier, Directeur d'Etudes de l'Ins
titut des Hautes Etudes Marocaines,
Société de Géographie du Maroc.
Secrétaire général de la
Caractères généraux de la vie pastorale dans le Massif
Central du Grand Atlas, par V. Dresch, Professeur au Lycée
Membre de la Société d'Etudes Economiques et Sta
Gouraud,
tistiques du Maroc.
Contribution à l'hydrologie du M'Zab, par R. Capot-Rey,
Professeur à la Faculté des Lettres d'Alger, Membre du
bureau de la Société Historique Algérienne.'
Les Ifoghas de Temassinin,
marocains à travers le Sahara.
Tribus sahariennes d'origine marocaine,
ancien Uinéraire des pèlerins
par le lieutenant
Lesourd, Membre correspondant de la Société Archéologique
de Constantine.

— 54 -
Section des Sciences
Les eaux chlorurées sodiques, hypotoniques, homéotherma-
les d'Hammam Sidi el Kheir, près de Lalla-Maghrnia, par
François Llabrador, Docteur en Pharmacie,
Société des Amis du Vieux TIemcen.
Membre de la
La percolation des eaux dans quelques types de sols maro
cains, par E. Miège, Docteur es sciences, Conseiller technique
du Comité d'Etudes des Eaux Souterraines.
Méthode de diagnose spécifique dans le Triticum, par
par E. Miège et J. Courtine.
Les mouvements postcrétacés en Chaouïa et leur influence
sur la répartition des eaux souterraines, par R. Yovanovitch,
Ingénieur géologue, Secrétaire général du Comité d'Etudes
des Eaux Souterraines.
Les « Meloidae » des possessions françaises de l'Afrique du
Nord, par le Docteur A. Cros, Membre de la Société d'Histoire
Naturelle de l'Afrique du Nord.
L'analyse harmonique de la courbe plwviome'trique d'Alger,
par Lucien Petitjean, Membre de la Société des Sciences
Physiques et Chimiques de l'Afrique du Nord.
Aperçu phytogéographique sur la flore cryptogamique médi
terranéenne dans l'Afrique du Nord, par R. G. Werner,
Secrétaire général de la Société des Sciences Naturelles du
Maroc.
Etudes sur la faune des hautes montagnes (massif de Toubkal,
Maroc), par J. de Lepinay, Doyen de l'Institut Scientifi
que Chérifien, Membre de la Société des Sciences Naturelles
>du Maroc.
Etude sur la< morphologie externe de quelques aigles maro
cains, par F. Nemeth, Membre de la Société des Sciences
Naturelles du Maroc.
Contribution à l'étude zoogéographique de la faune des
Aphiâoidae des pays subméditerranéens, par M. Mimeur,
Membre de la Société des Sciences Naturelles du Maroc.

55
La fréquence des gelées au Maroc, par le lieutenant de
vaisseau Roux, Chef du Service de Physique du Globe et de
Météorologie de l'Institut Scientifique Chérifien.
Sur la séismicilé du Maroc, par J. Debrach, Géophysicien
à l'Institut Scientifique Chérifien, Membre de la Société des
Sciences Naturelles du Maroc.
Note préliminaire sur les variations de la température avec
l'altitude dans le Sud Marocain, par G. Ridault, Météorolo
giste à l'Institut Scientifique Chérifien, Membre de la Société
des Sciences Naturelles du Maroc.
Section de Préhistoire
Une exploitation de sel à l'époque néolitique dans la vallée
de l'Oued Beth, par A. Ruhlmann, Inspecteur des Antiquités
préhistoriques du Maroc, Membre de la Société de Préhistoire
du Maroc.
Les stations dolméniques de l'Atlas médéen, par le Docteur
H. Marchand, Membre de la Société d'Histoire Naturelle de
l'Afrique du Nord.
Contribution à la recherche des stations' préhistoriques dans
la région de Gambetta et de l'Oued Mellègue (C. M. de Souk-
Ahras), par P. Rodary, Inspecteur des Eaux et Forêts, Vice-
Président de la Société Archéologique de Thagaste.
Présentation d'une série de pierres taillées recueillies dans
la région de Skirat, par P. Resson et A. Ruhlmann, Membres
de la Société des Sciences Naturelles du Maroc.
Section d'Archéologie Préislamique
La vaisselle romaine d'après le mobilier funéraire des nécro
poles de Portus Magnus (Saint-Leu), par Mme Malva M. Vin
cent, Secrétaire de la Société de Géographie et d'Archéologie
d'Oran.
Les tombeaux ronds du Djebel Mistiri, par R. Le Du, Ins
pecteur des Eaux et Forêts,
rique et Archéologique de Tébessa.
Président de la Société Préhisto

- 56
-
Note sur quelques nouvelles inscriptions libyques de l'Est
constantinois, par P. Rodary, Inspecteur des Eaux et Forêts,
Vice-Président de la Société Archéologique et Touristique de
Thagaste.
Les citernes romaines de Constantine, par E. Vallet, Pré
sident, et A. Rerthier, Secrétaire général de la Société
Archéologique de Constantine.
Les reliquaires des basiliques chrétiennes du Centre de la
Numidie, par A. Rerthier et F. Logeart, Administrateur prin
cipal de la Commune Mixte d'Aïn-M'Lila,
Société Archéologique de Constantine.
Membre de la
Fouille d'une ville rurale à M'Chira, par A. Rerthier et
M. Martin, Propriétaire, Membre de la Société Archéologique
de Constantine.
Images d'un satyre aulète, par L. Poinssot, Correspondant
de l'Institut,
Directeur des Antiquités et Arts de la Tunisie.
Contribution à l'étude de la céramique dans l'Afrique
romaine, par L. Leschi, Directeur des Antiquités de l'Algérie,
Membre du Rureau de la Société Historique Algérienne.
La route frontière au IIIe siècle entre Grimidi et Touta, par
P. Massiera, Principal du Collège Colonial de Sétif,
et le Doc
teur Megnin, Médecin de Colonisation à Sidi-Aïssa, Membre
de la Société Historique et Géographique de la région de Sétif.
Noie sur l'Hippone romaine, par L. Figuière, Secrétaire
général de l'Académie d'Hippone.
Le cimetière de Sidi Messaoud chez les Beni-Saddène, par
ïe Docteur Secret, Membre de la la Société des Amis de Fès.
Section d'Archéologie Musulmane
Note sur la technique de certaines poteries découvertes à
Salé, de 1930 à 1937, par A. Delpy, Inspecteur des Arts Indi
gènes à Meknès.
Une forteresse musulmane de l'Anti- Atlas, par P Ricard,
Directeur honoraire du Service des Arts Indigènes au Maroc.

- 57 -
Sur les poteries estampées du Moyen-Age en Berbérie, par
G. Marçais, Directeur de l'Institut d'Etudes Orientales.
Un sanctuaire de Moulay Ismaël : la Mosquée de Lalla
Aouda, par H. Terrasse, Directeur d'Etudes à l'Institut des
Hautes Etudes Marocaines.
Silos anciens à Fès-Djedid.
La grande noria de l'aqueduc du vieux méchouar à Fès-
Djedid, par J. Delarozière, Architecte,
Pensionnaire de la Casa
Velasquez, et H. Rressolette, Professeur agrégé au Collège
Musulman de Fès, Membre et Secrétaire général de la Société
des Amis de Fès.
Etude sur un heri : Habs Zebbala à Fès-Djedid, par J. Dela
rozière.
Section d'Histoire
Les notes de voyage d'Al-Ghazzâl sur le Maroc en 1767 et
les Cartas maruecas de Cadalso, par H. Pérès,
cours à la Faculté des Lettres d'Alger,
Historique Algérienne.
Chargé de
Membre de la Société
Mers-el-Kébir. Historique, description du fort espagnol, par
A. Pestemaldjoglou, Archiviste départemental d'Oran, Secré
taire de la Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran.
Histoire de la Colonisation à TIemcen (1842-1848), par
A. Lecocq, Avoué,
TIemcen.
Président de la Société des Amis du Vieux
■ La politique berbère d'Ibn Abï A'mir al Mansour, par
I. Allouche, Directeur d'Etudes à l'Institut des Hautes Etudes
Marocaines.
Sur le « Qirtas », par Georges S. Colin,
à l'Institut des Hautes Etudes Marocaines.
Un manuscrit arabe du XVIIIe
Sofyan,
Rabat.
Directeur d'Etudes
siècle sur l'Histoire des
par A. Roux, Directeur du Collège Musulman de

- 58
-
La peste de Ceuta (1743-1744), d'après des documents inédits,
par le docteur H. Renaud, Directeur d'Etudes à l'Institut des
Hautes Etudes Marocaines.
Les étapes du pèlerin de Sijilmassa à La Mecque et Médine,
par Lakhdar Mohammed, Professeur au Collège Moulay Idriss
à Fès.
L'état économique et social de la Mitidja en 1830, par
H. Isnard, Professeur d'E.P.S.,
que Algérienne.
Membre de la Société Histori
Section de Droit et Législation
et d'Etudes Economiques
L'institution du salaire minimum en Algérie, par Maurice
Gaffiot, Professeur à la Faculté de Droit d'Alger, Membre
du Centre d'Etudes de Colonisation comparée.
Le régime législatif des pays de protectorat, par Pierre
Lampue, Professeur à la Faculté de Droit de Caen.
La diffusion du droit français en Algérie, par René Maunier,
Professeur à la Faculté de Droit de Paris.
Problèmes posés par la constitution de l'état civil dlaxns les
milieux indigènes de l'Afrique du Nord, par P. Decroux, Juge
au Tribunal d'Oujda,
ques et Administratives du Maroc.
Membre des Centres d'Etudes Juridi
La colonisation en pays de coutume berbère.
Des aliénations mobilières par des membres de la tribu à
des étrangers, par G. Raves, Juge au Tribunal de lre Instance
de Rabat, Membre des Centres d'Etudes Juridiques et Admi
nistratives du Maroc.
Les habous dans l'économie marocaine, par J. Luccioni,
Chef de Rureau à la Direction des Affaires chérifiennes, Mem
bre des Centres d'Etudes Juridiques et Economiques du Maroc.
De certains traits essentiels de la législation minière maro
caine (zone française), considérée à son origine et dans les

- 59
-
diverses phases de son développement, par H. Lantenois, Ins
pecteur général des Mines, Membre de la Société d'Etudes
Economiques et Statistiques du Maroc.
Le rôle de la mine dans l'économie indigène au Maroc fran
çais, par L. Clariond, Ingénieur en chef du Service minier du
Rureau de Recherches et de Participations minières, Membre
de la Société d'Etudes Economiques et Statistiques du Maroc.
Le chapitre de vente de l'Amal el Fassi, par V. Loubignac,
Chef de bureau au Service de l'Enregistrement Marocain.
La Turquie kémaliste. Contribution à l'étude du conflit entre
le droit international public occidental et le droit public orien
tal, par J. Surdon, Magistrat, Maître de Conférences à l'Ins
titut des Hautes Etudes Marocaines, Membre des Centres
d'Etudes Juridiques et Administratives du Maroc.
Essai sur l'esprit de la coutume berbère marocaine, par
M. Chauvel,
Affaires Politiques.
Contrôleur civil suppléant à la Direction des
Section de Sociologie et d'Etudes Sociales
L'habitat indigène dans la région de Souk-Ahras, par
Administrateur principal de la Commune
E. Felgerolles,
Mixte de Souk-Ahras, Président de la Société Archéologique
et Préhistorique de Thagaste.
L'enfant chez les Kabyles jusqu'à la circoncision,
mani Slimane, Instituteur à Alger,
torique Algérienne.
par Rah-
Membre de la Société His
Le jeûne des Algéroises et le Fiqh, par G. H. Rousquet,
Professeur à la Faculté de Droit d'Alger, Membre de la
Société Historique Algérienne.
Observations sur la nature juridique du mariage berbère au
Maroc Central, par G. Marcy, chargé de cours à la Faculté des
Lettres d'Alger, Membre de la Société Historique Algérienne.
Le mariage d'un fils de famille à Fès, par Francis Guay,
Chef de l'Interprétariat au Tribunal de Fès.

- 60
-
Masques carnavalesques en Kabylie,
par le Docteur Mar
chand; Membre de la Société d'Histoire Naturelle de l'Afrique
du Nord.
Essai sur les origines des tribus Ida ou Mahmoud, Ma
Ouziki et Ida ou Zal, d'après la tradition et la légende, par
Okbani Hadj Hamida, Interprète civil à Midelt.
L'origine de décor des tatouages marocains,
J. Herber, Membre de la Société Historique Algérienne.
par le Docteur
L'enfance musulmane indigente à Rabat, par J. Nouvel,
Membre de la Société des Sciences Naturelles du Maroc.
Contrôle de l'état de nutrition des indigènes musulmans du
« bidonville » de Port-Lyautey,
par les Docteurs Mathieu et
Lummau, de la Direction de la Santé et de l'Hygiène publiques
du Maroc, et M. Herce, Contrôleur civil stagiaire, Membres
de la Société d'Etudes Economiques et Statistiques du Maroc.
Le mellah de Rabat, par Raron, Professeur agrégé au Col
lège Musulman de Rabat, les Docteurs Mathieu et Lummau,
Membres de la Société d'Etudes Economiques et Statistiques.
Le bréviaire de la fiancée, par Lakhdar Mohammed, Profes
seur au Collège Musulman de Fès,
Amis de Fès.
Membre de la Société des
Section des Arts et Techniques Indigènes
Un métier qui meurt. Le batteur d'or du mellah de Fès,
Inspecteur principal de l'Enseignement Musulman
par Paye,
et Roger Le Tourneau, Directeur du Collège Musul
à Rabat,
man de Fès.
Valeur
économique et sociale de l'artisanat indigène en
Afrique du Nord. Chances et succès de tentatives actuelles de
rénovation, par R. Moris, Contrôleur civil, Membre de la
Société d'Etudes
Economiques et Statistiques du Maroc.
Chants du Zemmour, par A. Chottin, Directeur du Conser
vatoire de Musique marocaine de Rabat.

- 61
La technique du tissage à Fès et les modifications à y appor
ter, par R. Le Tourneau, Directeur du Collège Musulman de
Fès, M. Vicaire, Inspecteur des Arts Indigènes à Fès, et
Noyelle, Ingénieur textile à Fès.
La fabrication de Taritat Ahel Telt,
par Marcel Vicaire.
L'artisanat marocain à la croisée des chemins, par Jean
Raldoui, Chef du Service des Arts Indigènes à Rabat.
L'artisanat indigène de Mila (Algérie), par N. Noël, Mem
bre de la Société archéologique de Constantine.
Section des Langues et Littératures Orientales
Note sur les parlers rifains du Zerhoun, par A. Rasset, Pro
fesseur à la Faculté des Lettres d'Alger, Membre du Rureau
de la Société Historique Algérienne.
Les parlers arabes de l'Algérie, par J. Cantineau, Profes
seur à la, Faculté des Lettres d'Alger,
d'Etudes Orientales.
Membre de l'Institut
Le Tuhfat el Kadim d'Ibn el Abbâs, d'après un manuscrit
de l'Escorial, par A. Mahdad, Professeur agrégé au Lycée
de la Société de Géographie et d'Archéologie
d'Oran, Membre"
d'Oran.
Influence du substrat arabe dans la prononciation du fran
çais dans les classes élémentaires, par L. Rrunot, Directeur
de l'Institut des Hautes Etudes Marocaines.
Note sur la Bibliothèque de la Médersa Ben Youssef, par
Gaston Deverdun et Messaoudi Larbi,
de Marrakech.
Professeurs au Collège
Poésie populaire arabo-berbère du Maroc Central, par
A. Roux,
Directeur du Collège Musulman de Rabat.
Eludes sur la poésie populaire du Maroc, par M. El-Fassi,
Maître de Conférences à l'Institut des Hautes Etudes Maro
caines.

62 -
SÉANCE PLÉNIÈRE
La séance plénière du Congrès eut lieu mercredi 20 avril,
à 10 h. 15, dans la grande salle des Etudes Marocaines, sous
la présidence de M. Roudy, Président de la Fédération.
Le Président remercie les personnes qui avaient bien
voulu assumer la présidence des Sections : MM. Lespès
et Célérier (Géographie),
Rouyer et de Lépinay (Scien
ces), Aymé et Ruhlmann (Préhistoire), MM. Poinssot, Châte
lain, Leschi, Eugène Vallet, Mme Vincent (Archéologie pré
islamique), Henri Terrasse et Raldoui (Archéologie musul
mane), Lecocq (Histoire), Lantenois, Gaffiot,
Lampué (Droit
et Etudes Economiques), Marcy et Funck-Rrentano (Sociolo
gie et Etudes Sociales), Vicaire (Arts et Techniques indigè
nes), William Marçais, André Rasset (Langues et Littératures
Orientales).
La parole est ensuite donnée aux délégués des Sociétés
Savantes adhérentes à la Fédération pour présenter le compte
rendu de l'activité de ces Sociétés (*).
(1) Les noms des auteurs des rapport» et des personnes qui les ont
lus sont entre parenthèses.

COMPTES RENDUS
de l'activité des Sociétés Savantes
Académie d'Hippone
(M. Figuière, Secrétaire général)
Voisines de l'actuelle et vivante Rône, les ruines d'Hippone
(Hippo-Regius), ville tour à tour phénicienne, numide, romaine,
dominée par la haute figure de Saint Augustin, ont de tout
temps parlé à l'imagination.
Leur intérêt historique, archéologique, artistique ne pou
vait laisser indifférents les Français devenus maîtres de
l'Algérie.
En 1863, l'Académie d'Hippone était fondée. Servie par
d'heureux hasards,
et aussi par la bonne volonté de la Muni
cipalité de Rône, par la bienveillance active des archéologues,
en particulier de MM. Rallu, Cagnat, Gsell, Albertini, Les-
chi, par des crédits que les circonstances n'ont pas permis à
l'Administration d'élever au niveau des besoins, l'Académie a
fait bien des efforts pour mettre au jour une partie, bien
petite encore, des ruines d'Hippone.
Ses Bulletins, au nombre de 37 (le 38° est en préparation),
en ont présenté et présenteront les résultats. Les publications
de la Fédération des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord,
dont le premier Congrès est de juin 1935, contiennent un rap
pel des découvertes anciennes et des comptes rendus illustrés
des derniers travaux.
Ceux-ci ouvrent de belles perspectives :
Le Forum romain dont M. Choupaut a dégagé l'angle N.-E. :
beau péristyle, salles en bordure,
deux moitiés de belles sta-

64
tues colossales, inscription très importante, etc., etc.. On est
arrêté par la nécessité d'acheter le champ voisin.
Le Théâtre romain trouvé par M. Rélorgey : élégant, riche
et ample édifice, belles stèles offrant de délicats dessins géo
métriques, une autre animée par une belle danseuse, sœur de
celles qu'on admire à Sabratha de Tripoli. Le terrain a pu
heureusement être acheté aux Petites Sœurs des Pauvres.
Dans l'usine Rorgeaud,
emplacement probable de l'Adminis
tration impériale et d'un quartier chrétien : inscriptions, pier
res sculptées, mosaïques, poteries, objets divers curieux et
précieux, les uns transportés à la Villa Chevillot, les autres
gardés par M. Rorgeaud, en attendant qu'un Musée puisse les
recevoir.
Une construction tout récemment dégagée par M. Choupaut,
contre le péristyle nord du Forum et qui semble avoir été une
fontaine monumentale.
Les Grands Thermes de Caracalla,
en partie découverts
depuis 1925 par les soins de M. Marec, pourraient voir repren
dre les travaux, grâce à l'achat, décidé, semble-t-il, de la pro
priété Gautheron, etc.
Tout cela, et la création d'un Musée où ranger, mettre en
valeur et surtout mettre à l'abri tant de pièces intéressantes
ou belles, réclame des crédits considérables, dont l'obtention
ne semble pas devenir plus facile... bien que le Conseil Géné
ral nous envoie un chèque complémentaire de 227 francs !
Faveat Jupiter... et ceux qui approchent les dieux !

- 65
-
Centre d'Etudes de colonisation comparée
d'Alger
(Maurice Gaffiot, Professeur à la Faculté de Droit d'Alger,
Délégué)
Le Centre d'études de colonisation comparée, dont le siège
est à l'Université d'Alger, est une création de M. le Recteur
Georges Hardy. Il a été constitué le 9 février 1933, alors que
son fondateur avait été placé depuis peu à la tête de l'Acadé
mie d'Alger.
Cette création apparaît ainsi comme une marque, parmi bien
d'autres, de l'intérêt agissant qu'a toujours porté son auteur
aux questions coloniales ; elle est une des initiatives les plus
caractéristiques de son fondateur, et elle cadre parfaitement
avec l'activité générale de celui qui, malgré les très lourdes
charges attachées à ses fonctions administratives, a trouvé le
temps de faire paraître de précieux ouvrages consacrés aux
problèmes coloniaux ; après de longues années passées au
service de la France d'outre-mer sous des formes très diver
ses, M. le Recteur Hardy a abandonné l'Académie d'Alger pour
prendre en charge la plus septentrionale et la moins coloniale
des Académies de France, mais son attachement aux progrès
des populations coloniales reste toujours aussi vivace, et il
n'est pas douteux qu'il en donnera encore maintes fois la
preuve.
Lorsque M. le Recteur Pierre Martino est revenu à Alger,
en 1937,
pour administrer à son tour l'Université où s'était
exercée, jusqu'en 1933, sa carrière de professeur et de doyen,
il a tenu à assurer la survivance du Centre d'études de coloni
sation comparée, et l'on peut être certain que les travaux de
cet organisme se poursuivront régulièrement sous sa haute
direction malgré Péloignement fortuit et momentané des per
sonnes qui devaient, au cours des premiers mois de 1938,
'
fournir un aliment à l'activité du Centre.
Le Centre d'études de colonisation comparée est un institut
modeste. Sa fondation s'est faite sans apparat ; on cherche
rait vainement des documents officiels relatant son apparï-

— 66
tion ; tout s'est fait par quelques échanges de lettres et par
quelques conversations particulières. Mais le petit Comité cons
titué par son fondateur s'est étendu progressivement, car dans
les milieux les plus divers on a eu vent de son activité et on
a tenu à s'y associer ; comme, de son côté, le Centre d'études
accueille libéralement les collaborateurs qui s'offrent à lui, il
groupe maintenant non seulement des professeurs des quatre
Facultés d'Alger,
mais en outre de hautes personnalités des
services administratifs et de l'armée,
des membres des Assem
blées algériennes, des missionnaires, des ingénieurs,
des tech
niciens de tous ordres, et aussi les consuls généraux de plu
sieurs pays, dont les avis permettent d'utiles comparaisons
entre les expériences coloniales entreprises par des nations
différentes. ■» '•■
L'activité du Centre d'études s'exerce principalement sous
forme de communications présentées par ses membres ; ces
communications donnent lieu à des discussions et des échan
ges de vues, au cours desquels les conceptions les plus diffé
rentes peuvent s'affronter et se confronter ; comme l'Institut
se réunit, en principe, une fois par mois, il a ainsi l'occasion
de mettre au point, chaque année, un certain nombre de ques
tions d'intérêt colonial.
Les sujets traités sont d'ailleurs d'une grande diversité, et
les membres du Centre d'études de colonisation comparée ont
pu entendre successivement des communications sur les ques
tions les plus différentes :
Doit-on permettre que les oasis de l'Extrême-Sud disparais
sent ? par M. le Général Meynier, Directeur des Territoires du
Sud de l'Algérie ;
La question des musulmans naturalisés devant la loi musul
mane, par M. le Commandant Warocquier ;
Le statut des indigènes convertis et évolués,
Randau, Gouverneur honoraire des Colonies ;
par M. Robert
Problèmes de l'Inde, par M. Churchill, Consul général
d'Angleterre ;
Le protectorat d'Annam-Tonkin, par M. Rienvenûe, Profes
seur à la Faculté de Droit d'Alger ;

- 67
-
Le droit de colonisation (d'après un ouvrage récent), par
M. Robert Randau ;
La nouvelle charte de l'Empire portugais, par M. Rataillon,
Maître de conférences à la Faculté des Lettres d'Alger ;
La propagande de la Deutsche Kolonialgesellschaft, par
M. Guignahd, Maître de conférences à la Faculté des Lettres
d'Alger ;
Problèmes de Kabylie, par M. Larnaude, Chargé de cours à
la Faculté des Lettres d'Alger ;
L'usure en Algérie, par M. Gaffiot,
de Droit d'Alger ;
Professeur à la Faculté
Le droit musulman et ses applications, par M. Rousquet,
Professeur à la Faculté de Droit d'Alger ;
Les relations franco-musulmanes, d'après l'article de
M. Pym, par M. Rerque,
Administrateur principal de com
mune mixte, Chef de service au Gouvernement général de
l'Algérie ;
Lois anglaises sur le mariage des indigènes, par le Révérend
Père Mazé ;
Les relations de l'Afrique du Nord et de l'Afrique Occiden
tale, par M. le Général Meynier ;
L'éducation du paysannat et de l'artisanat indigènes, par
M. le Recteur Hardy ;
La politique indigène aux Indes Néerlandaises, par M. Rous
quet ;
La réforme des Assemblées algériennes, par M. Viard, Pro
fesseur à la Faculté de Droit d'Alger ;
L'habitat indigène en Algérie, par M. Rerque ;
Les communes mixtes de l'Algérie du Nord,
veau, Doyen de la Faculté de Droit d'Alger ;
par M. Chau-
Les institutions de crédit à l'usage des indigènes en Algérie,
par M. Gaffiot ;
La répression de la sorcellerie en A.O.F.,
Randau ;
La justice musulmane en Algérie,
cier, Délégué financier ;
La Libye, par M. Rousquet ;
par M. Robert
par M. Gustave Mer

- 68
-
Les débuts de la colonisation italienne en Ethiopie, par
M. Alazard, Professeur à la Faculté des Lettres d'Alger ;
La colonisation française en Afrique du Nord vue d'Orient,
par M. Pérès,
d'Alger ;
Chargé de cours à la Faculté des Lettres
La question agraire en Algérie, par M. Roussier-Théaux,
Professeur à la Faculté de Droit d'Alger ;
Impressions sur l'enseignement et la vie intellectuelle en
Egypte, par M. Lévi-Provençal,
Lettres d'Alger ;
Professeur à la Faculté des
La petite colonisation au Brésil dans l'Etat du P'arana, par
M. Lespès, Professeur honoraire au Lycée d'Alger ;
Evolution du droit musulman en Syrie et en Egypte, par
M. Rousquet.
Tous ces travaux ont été fructueux,
échanges de vues qu'ils ont provoqués,
non seulement par les
mais aussi par la pré
cision et le sens concret qu'ils ont permis d'apporter à des
notions trop
abstraction. Reaucoup ont été publiés dans des revues scien
tifiques et ont pu toucher, par ce moyen,
nombreux que l'auditoire habituel du Centre d'études. Cer
souvent laissées dans le vague et dans la pure
des lecteurs plus
tains ont révélé à leurs propres auteurs l'intérêt des sujets
traités et les ont orientés vers des recherches nouvelles qui
n'auraient sans doute pas été entreprises sans eux.
Les membres du Centre d'études de colonisation comparée
se sont ainsi trouvés tout naturellement préparés à une parti
cipation active aux travaux des Congrès annuels de la Fédé
ration des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord, lorsque ces
Congrès ont été organisés, et c'est pour eux une grande satis
faction que de penser qu'ils ont contribué, par leurs efforts,
à assurer le succès constant de ces manifestations scientifi
ques,
où ils s'honorent de collaborer avec les représentants les
plus éminents des milieux savants des trois contrées nord-
africaines.

Fig. 16. —
Mosquée de Tinmel. Le mirhub.
Photo Sir-vice B A. Maro

- 69
—
Institut d'Etudes orientales
de la Faculté des Lettres d'Alger
(M. Georges Marçais, Directeur)
L'Institut d'Etudes Orientales,
auquel un arrêté du Minis
tre de l'Education Nationale daté du 8 janvier 1934 a donné le
droit à l'existence, est en premier lieu un organe de coordina
tion des enseignements relatifs au monde musulman profes
sés à l'Université d'Alger. Comme tel,
son activité et les servi
ces qu'il est appelé à rendre s'expriment par une affiche pou
vant renseigner les étudiants de l'Afrique du Nord,
de la
Métropole ou de l'Etranger. Les cours y sont répartis sous
quatre rubriques : Histoire et Archéologie ; Linguistique ; Lit
térature et Philologie ; Sociologie et Droit musulman. Cela
représente une quarantaine de leçons par semaine, faites pour
la plupart à la Faculté des Lettres,
Faculté de Droit.
mais quelques-unes à la
Le second but de l'Institut est la publication d'ouvrages
intéressant les études orientales. La collection compte aujour
d'hui six numéros :
Peltier et Rousquet,
Les successions agnatiques mitigées-
Etude comparée du régime successoral en droit germanique
et en droit musulman ;
André Rasset, Atlas linguistique des parlers berbères ;
Léon Gauthier, Hagy ben Yaqdhân, texte et traduction
annotée du roman philosophique d'Ibn Tofayl ;
Jean Cantineau, Grammaire du palmyrénien épigraphique ;
Henri Pérès,
XIe siècle ;
La poésie hispanique en arabe classique au
Henri Pérès, L'Espagne vue par les voyageurs musulmans
de 1610 à 1930.
Le 7° volume : Deux récits de voyage inédits en Afrique du
Nord au XVe siècle, par Robert Rrunschvig, paraîtra incessam
ment.

70 -
L'Institut assume de plus la charge de publier les textes
arabes dont l'ensemble forme la Bibliotheca arabica et qui
compte déjà neuf volumes.
— si
Chaque mois,
l'occasion le permet —
l'Institut tient une séance où ses membres et
des
orientalistes étrangers pré
sentent des communications relatives à leurs recherches du
moment,
aux travaux qu'ils préparent. Ces exposés donnent
lieu à des échanges de vue, que l'on estime profitables à tous.
La Société Historique Algérienne s'est généreusement offerte
à publier —
comme annexe à la Revue Africaine —
un résumé
des communications faites aux séances de l'Institut. Celles de
l'année scolaire 1934-35 sont parues. Celles des années 1935-36
et 1936-37 sont à l'impression et paraîtront ensemble d'ici peu.

— 71
Société Archéologique de Constantine
(MM. E. Vallet, Président, A. Rerthier, Secrétaire général)
La Société Archéologique de Constantine a été fondée en
1852. C'est la plus ancienne des Sociétés Savantes de l'Afrique
du Nord. Elle compte 86 années d'existence. Elle affirmera
bientôt un siècle de labeur ininterrompu.
On comprendra sans peine qu'à son âge,
elle soit un peu
blasée sur les vanités de ce monde et qu'elle éprouve quelque
hésitation à étaler en public des états de service dont elle ne
s'enorgueillit qu'en souvenir des premiers artisans de son
œuvre.
Elle s'y résigne cependant en présence de la. décision inflexi
blement amicale de notre sympathique Secrétaire général,
M. Esquer.
Elle souligne du reste que sa naissance ne marque pas le
début d'un effort scientifique. File est comme la consécration
d'une œuvre qui se poursuivait depuis la conquête de l'Est
Algérien par la France.
Les mémoires, les feuilles de route de nos officiers débar
quant à Rône avaient précieusement noté les découvertes
archéologiques faites sur les itinéraires parcourus par nos
troupes. Hippo-Regius, Calama, Announa, Cirta offraient, dès
1837,
leurs vestiges aux méditations de nos soldats. En 1838
le plateau de Cuicul, couvert de ruines antiques,
était le théâ
tre de l'un des plus grande drames militaires de la grande
épopée africaine.
Construisant la Casbah Française de Constantine sur les murs
de la forteresse romaine qui avait précédé la Casbah Turque,
notre service du Génie, dans une pensée touchante, avait
inséré dans les murs, au lendemain du siège, les épigraphies
recueillies dans la capitale numide, transformant un monu
ment de défense, en musée lapidaire et en document d'histoire.
Un inventaire s'imposait. Un Comité se forma. Son premier
Président fut le général Greully
Commission de la Topographie des Gaules.
qui avait été Président de la
La Société s'était donné comme but de recueillir, conserver
et décrire les richesses archéologiques de la Numidie. Elle

72
s'est acquittée de sa tâche par des travaux de recherches direc
tes et par des publications.
Les études archéologiques, rédigées par ses membres, furent
imprimées dans un annuaire qui devint le « Recueil *de la
Société Archéologique,
Historique et Géographique de la Pro
vince de Constantine» à partir de 1863. La collection complète
comprend 28 bulletins mensuels et 64 volumes dont le der
nier,
tantine,
composé en 1937 pour célébrer le Centenaire de Cons
est réservé à l'histoire de Cirta.
Deux volumes de tables permettent de s'orienter dans la
riche matière de ces publications. Le premier publié en 1897
est l'œuvre de M. Poulie. Il comprend 398 pages. Le deuxième
publié en 1933 a été rédigé par M. Massiéra. Il compte 195
pages.
Les principaux auteurs qui ont collaboré aux Recueils
sont : Alquier, Rerbrugger, Rlanchet, Cagnat, Chabassière,
Cherbonneau, Dr
Carton, R. P. Delattre, Desjardins, Duvey-
rier, Féraud, Gauckler, de Goyt, Gsell, Commandant Guenin,
Ulysse Hinglais, Ernest Mercier, Masqueray, Motylinski, Paul
Monceaux, Pallu de Lessert, Prudhomme, Dr
Robert, Salomon Reinach, Vayssettes, Vars,
les disparus.
Reboud, Achille
pour ne citer que
Monographies, comptes rendus de fouilles, publications
d'inscriptions s'y trouvent en si grande abondance, qu'il n'est
pas possible de traiter un sujet relatif à l'histoire antique
de la Numidie,
sans consulter la collection des Recueils.
Pour donner une idée de l'importance des mémoires, on
peut citer au hasard :
Les fastes de la Numidie sous la domination romaine, par
Pallu de Lessert. —
— nation turque,
— Septentrionale, par Cohen.
L'histoire de Constantine sous la domi
par Vayssettes.
L'histoire
Les
Juifs dans l'Afrique
des villes de la Pro
vince de Constantine et la Monographie du Palais de Cons
— tantine, par Féraud. Les études algériennes, par Villot. —
— Le Sahara de la Province de Constantine, par Ragot. Cirta,
— par Vars. Les
d'Ernest Mercier.
« précieuses » pages d'histoire nord-africaine,
Pour les recherches directes, la Société Archéologique a
encouragé de nombreuses fouilles et en a entrepris sur ses
"
i

73
propres ressources. En 1902, elle avait dépensé plus de
20.000 francs consacrés uniquement aux recherches, ce qui
représenterait une somme beaucoup plus considérable aujour
d'hui. Elle a pratiqué des fouilles au tombeau du Kroub, au
Kreneg, à Mila, au Medracen, à Oued-Athménia, à Rougie, à
Tébessa, à la Kalaâ des Reni Ahmed, à Morsot, à Tobna, à
Lambèse.
Des récompenses publiques sont venues consacreT une si belle
tâche. Aux concours annuels des Sociétés Savantes,
fois,
par deux
la Société Archéologique de Constantine s'est vue attri
buer la Médaille d'honneur réservée aux Compagnies dont les
publications ont le plus contribué aux progrès de l'Histoire et
de l'Archéologie ; deux fois elle a obtenu, à Paris,
le diplôme
de première classe et des médailles d'or lui furent décernées
aux Expositions Universelles de Paris et de Lyon. Enfin elle
a reçu le Prix Rlanchet, de l'Institut.
C'est à la Société Archéologique que l'on doit la formation
du Musée de Constantine. Les collections furent réunies sous
son patronage. En 1855,
Costa.
la ville acheta les objets réunis par
Grâce à l'initiative de notre ami M. Gustave Mercier, le
Musée de Constantine, qui porte le nom de son bienfaiteur, est
installé dans un magnifique bâtiment, construit en 1930 ; il est
devenu le siège de la bibliothèque et du bureau de la Société
Archéologique. C'est un Musée dont les richesses archéologi
ques sont en constant accroissement. Des fouilles sont faites
chaque année pour son enrichissement.
La Société Archéologique compte actuellement 350 mem
bres et 33 Sociétés correspondantes étrangères.
Depuis quelques années,
elle donne chaque mois une confé
rence sur un sujet intéressant l'Algérie et son hinterland.
Elle a eu le grand honneur de recevoir en 1937, sur le rocher
de Cirta, le Congrès de la Fédération des Société Savantes de
l'Afrique du Nord ; elle avait tenu du reste à participer lar
gement aux travaux de cette assemblée, coïncidant avec la
commémoration du Centenaire de Constantine Française ; le
nombre des mémoires présentés par la Société Archéologique
a atteint le chiffre de 50.
Sous le titre : « Constantine, son passé,
son Centenaire »

74 -
cette Association a pu, il y deux mois, grâce à l'aide du Comité
du Centenaire,
assurer la publication d'un volume d'études
historiques relatives à Constantine et comprenant 490 pages.
Ces études avaient été pour la plupart présentées au Con
grès par la Société. Leur nomenclature donnera une idée de
l'importance du volume dont nous déposons un exemplaire
sur le bureau du Congrès :
E. Vallet, 13 Octobre 1837. —
L.
Joleaud, Le ravin de
— Constantine et les origines de Cirta. L. Leschi, De la capitale
— numide à la colonie romaine. E.
la conquête française. —
Commandant
Mercier, Constantine avant
Jolly, Les deux expé
— ditions de Constantine. E. Merle, Documents inédits sur les
— deux sièges de Constantine (1836-1837). A. Rernard, Une
lettre du général Négrier au maréchal Volée. —
Pages d'histoires. —
Constantine. —
Commandant
R.
département de Constantine. —
E.
Vallet,
Cura, Cent ans d'administration à
A. G., L'armée française 'dans le
E.
Vallet, Ernest Mercier,
Maire de Constantine et Historien de l'Afrique du Nord. —
O. Moline, L'assistance aux indigènes musulmans dans le
département de Constantine. —
lution urbaine de Constantine (1837-1937).
J. Chivé et A. Rerthier, L'évo
Avec la publication de son volume annuel on peut dire que
la Société Archéologique de Constantine a fait preuve en 1937
d'une activité qui fait honneur à son long passé.
Cette activité continue à se manifester en 1938 ; d'impor
tantes fouilles archéologiques ont, en effet, été dirigées par
MM. Rerthier, Secrétaire général de l'Association ; Logeart,
Administrateur, et Martin, agriculteur,
dans deux Communes
mixtes du département : Aïn-M'Lila et Châteaudun-du-Rhum-
mel ; elles ont provoqué l'exhumation de 10 basiliques chré
tiennes.
MM Rerthier, Logeart et Martin préparent en collaboration
une « Etude sur les basiliques chrétiennes de la Numidie
Centrale ».
Souligner de tels efforts, n'est-ce pas affirmer la volonté de
la doyenne des Sociétés Savantes de l'Afriques du Nord, de
continuer dignement une œuvre bientôt centenaire ?

— 75 -
Société Archéologique et Touristique
de Thagaste
(M. Rodary, Secrétaire général)
La Société Archéologique et Touristique de Thagaste n'a pu,
faute de crédits, poursuivre en 1937 ses travaux de recherches
dans les ruines de Ksiba (Civitas Pothensis), mais elle vient de
mettre ces jours-ci, des chantiers importants dans les ruines
de Taoura (Gambetta, anciennement Tagora) pour procéder au
déblaiement des thermes et de la citadelle byzantine.
Les thermes, dont le dégagement a été entrepris en 1934 et
1935,
paraissent très importants et en assez bon état de con
servation. La citadelle byzantine,
dont les pierres extérieures
ont servi à la construction du village de Gambetta, comporte
un certain nombre de bastions, salles et citernes, intacts, qui
peuvent renfermer des objets intéressants. Les murs contien
nent beaucoup d'inscriptions provenant des anciens édifices de
Tagora et il faut espérer que les fouilles prochaines livreront
quelques textes inédits donnant des renseignements précieux
sur la ville disparue et ses habitants. M. Mistre, Architecte de
la Commune mixte et Secrétaire de la Société,
la direction des chantiers.
En dehors des travaux entrepris par la Société, il y
est chargé de
a lieu
de signaler les recherches personnelles de certains de ses mem
bres.
M. Felgerolles, Administrateur de la Commune mixte et
Président de la Société, a fait une étude approfondie sur l'habi
tat indigène, qu'il a exposée dans une thèse qui est communi
quée au Congrès.
M. Rodary, Inspecteur des Eaux et Forêts, Vice-Président,
a poursuivi ses recherches d'inscriptions latines et libyques et
a adressé un certain nombre de textes inédits à la Commission
de l'Afrique du Nord et à la Direction des Antiquités à Alger.
Parmi les inscriptions latines se trouve celle d'un milliaire de
Trajan Dèce et Herennius découvert près de Vatari (Tarra-
guelt,
douar Moulhadeïn). Un compte rendu spécial est adressé
au Congrès au sujet des inscriptions libyques en même temps

- 76
-
qu'une note sur les gisements préhistoriques de la région de
POued Mellègue,
qui ont été récemment découverts.
Enfin M. Guey, membre de l'Ecole de Rome, vient de publier
le résultat de ses recherches dans la ville de Kaiba et de donner
un aperçu très documenté sur les sacrifices antiques, en se
basant sur la riche collection de stèles votives anépigraphes,
recueillie à Kaiba. Nous renvoyons les personnes que cette
question pourrait intéresser, à l'article de M. Guey, publié dans
les Mélanges de l'Ecole de Rome et que nous communiquons
au Congrès.
La Société, bien que très limitée dans ses crédits, continuera
comme par le passé,
à s'occuper activement de l'étude des
anciennes villes romaines de la région de Souk-Ahras et faci
litera aux touristes par tous les moyens possibles la visite de
ces monuments.
Comme chaque année, une représentation sera donnée par la
Troupe des Villes d'Or au Théâtre antique de Khemissa. Le
succès des spectacles précédents, démontre que beaucoup de
nos concitoyens s'intéressent aux cités disparues, dont le
charme et la grandeur incontestables augmentent encore la
valeur du jeu de nos excellents artistes.

— - 77
Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord
(M. Lefèvre-Paul, Président)
Depuis le Congrès de la Fédération tenu à Pâques en 1937,
la Société a organisé les conférences suivantes :
6 avril 1937. —
Senevet.
13 avril. —
Images
M. Messerschmitt.
4 mai. —
de la Guyane,
par le Professeur
La vie amoureuse et l'œuvre de Chopin, par
Le
M. RlMBAULT.
16 novembre. —
Cortot.
30 novembre.
LIER.
14 décembre. —
calvaire de l'Espagne contemporaine, par
Le
— Villages
Souvenirs
Général Laperrine,
28 décembre. —
mans,
L'Evolution
par M. Rethault.
14 janvier 1938. —
Colonel Raféty.
18 janvier. —
25 janvier. —
Togo et le Cameroun,
et ruines en Oranie,
par le Colonel
par Mme Rer-
sur le Père de Foucault et le
par le Capitaine Lehuraux.
moderne des peuples musul
L'Afrique Equatoriale Française,
La littérature annamite, par M. Van-Co.
Mon
voyage au Canada,
par le
par le R. P. Dieux.
— 9 février. La joie des Croisières, par M. Ricord.
22 mars. —
La
Padolie, par M. Matton.
Rulletin
3e et 4" trimestres 1936 :
Etudes de Maitrot de la Motte-Capron et Docteur Trenga :
Un correspondant de Révolution. —
Fez.
Journal
d'un Israélite de
Commandant Cauvet : Les Touareg Kel es Souk.
Commandant Rouch : Adrien de Gerlache.

— 78 —
1er trimestre 1937 :
Etudes de M. le Général Thévenet : Souvenirs de l'épopée
marocaine.
Roux-Rerger : Moulins* Soudan.
L. M. Enfrey : Le Sandjak d'Alexandrette.
Maitrot de la Motte-Capron : L'origine des noms patro
nymiques.
RlBLIOTHÈQUE
Installée au n°
24, rue de Constantine, la Ribliothèque de la
Société de Géographie est à la disposition des membres, qui
peuvent consulter sur place nos collections et emporter à domi
cile la plupart de nos ouvrages.

- 79
-
Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran
(M. Pestemaldjoglou, Secrétaire)
Notre Société, fondée en 1878 sous le nom de Société de
Géographie de la Province d'Oran,
prit en 1881 le titre de
Société de Géographie et d'
Archéologie de la Province d'Oran.
A la vérité, pour que son titre répondît exactement à son acti
vité, il eût fallu y adjoindre l'histoire. Pratiquement, c'est une
Société de géographie, d'archéologie et d'histoire. Elle a été
reconnue établissement d'utilité publique par décret du 29 mai
1922.
Le nombre des membres de la Société se maintient depuis
plusieurs années aux environs de 700, grâce à l'esprit de prosé
lytisme de quelques sociétaires.
Le siège et la Ribliothèque se trouvent au centre de la ville,
7, rue Schneider, dans un appartement de trois pièces, insuffi
samment aménagé et trop exigu pour répondre aux besoins
actuels.
La Société,
de par l'initiative des membres de son Comité
administratif et de son Rureau, et aussi, il faut le dire, sous
la pression de difficultés financières dues à la fois à l'accrois
sement constant de ses charges (surtout les frais d'impression
du Rulletin)
et à la diminution ou à l'irrégularité des subven
tions des Pouvoirs Publics, a déployé,
ans, une activité très grande,
nouvelles.
L'activité de la Société se manifeste :
1° Par la Ribliothèque ;
2° Par la publication du Rulletin ;
3° Par des conférences et des promenades ;
depuis environ deux
et pris de nombreuses initiatives
4° Par des encouragements aux travailleurs et érudits sous
forme de concours dotés de prix.
5° Par ses rapports avec le Musée.
La Ribliothèque,
Ribliothèque
ouverte tous les soirs de 5 à 7 heures pour
la consultation sur place et l'emprunt à domicile des ouvrages,
est en même temps un lieu de rencontre pour les sociétaires.

- 80
-
Elle se compose d'environ 5.000 volumes (livres et brochu
res, ces dernières en relatifs surtout à la géogra
majorité),
phie, l'archéologie et l'histoire de l'Oranie, de l'Algérie et de
l'Afrique du Nord, mais aussi à des sujets très divers.
Malheureusement depuis deux ans il a fallu supprimer au
budget les crédits d'achat des volumes et de reliure. Le fonds
ne s'accroît plus que par les dons du Gouvernement Général,
des Sociétés correspondantes ou de particuliers.
La fondation de biogéographie et de biologie générale, créée
en 1937, a pour but de pallier à cet état de choses en même
temps que d'attirer de nouveaux membres à la Société. C'est
une œuvre privée d'un certain nombre de sociétaires qui
s'entendent pour faire don chaque année à la Ribliothèque de
quelques ouvrages concernant ces sciences. Le Comité admi
nistratif se réserve, si les résultats en sont satisfaisants, la
faculté d'étendre ce système à d'autres branches scientifiques
se rattachant à l'activité de la Société.
Mais les deux tiers de la Ribliothèque sont occupés par les
revues et périodiques qui font environ 7.000 volumes. Il existe
en tout 278 périodiques dont 127 étrangers. Une centaine sont
reçus annuellement dont un peu plus du tiers étrangers. Pres
que tous sont acquis par voie d'échange avec notre Rulletin.
Rulletin
La Société publie très régulièrement depuis 1878 (il n'y eut
pas d'interruption pendant la Guerre), un Rulletin de trois
ou quatre fascicules formant un volume annuel de 200 à
300 pages. Elle publia aussi de 1878 à 1881 trois volumes
d'
« Antiquités Africaines ».
Trois tables parues en 1897, 1907 et 1927 facilitent les
recherches dans les cinquante premières années du Rulletin.
Voici par ordre méthodique les titres des onze études publiées
dans le Rulletin de l'année 1937 :
Géographie (2 articles) :
R. Tinthoin : Rhar Bou Djlida, étude géologique 'd'une grotte
sise près du barrage des Cheurfas au Sud de Saint-Denis-
du-Sig.

- 81
-
R. Tinthotn : Les paysages géographiques de l'Oranie. Essai
de synthèse géographique (premier en date du département
d'Oran).
Préhistoire (1 article) :
G. Vuillemot : La grotte d'El-Bachir (Bou-Sfer). Etude
d'une station préhistorique.
Archéologie romaine (3 articles) :
Mme M. Maurice Vincent : Les ruines romaines du Cap Ivi en
relation avec celles de Quiza. Leur identification avec Casr-
el-Folous d'El Bekri.
Mme M. Maurice Vincent : Aquae Sirenses (Bou-Hanifia).
Trois tombes, une hypogée et une inscription (résultats des
dernières fouilles de l'auteur).
Paul Courtot : Quatre inscriptions inédites d'Allava (Lamo
ricière) (découvertes par l'auteur).
Histoire (1 article) :
P. Guichard : Monographie de la commune de Sainl-Denis-
du-Sig (lre partie).
Questions musulmanes et indigènes (3 articles) :
Colonel Voinot : Confréries et zaouïas au Maroc (2 articles).
C. Kehl : indigènes et musulmans en Algérie. Notes histo
riques et juridiques. (Définition juridique de l'indigène musul
man).
Divers (1 article) :
Mlle Suzanne Coutière : Le haschich en Oranie (expérience
de chimie toxicologique) .
La partie bibliographique du Rulletin s'est considérable
ment accrue et cela en partie par suite de la fondation de bio
géographie.
Elle comporte, pour l'année 1937,121 ouvrages, brochures ou
articles cités,
dont 41 ont fait l'objet de comptes rendus attei
gnant parfois eux-mêmes aux dimensions d'un article.

— - 82
Dans le Rulletin de 1936, 53 ouvrages avaient été cités, dont
16 comptes rendus ; dans celui de 1935, en tout et pour tout,
8 comptes rendus.
Conférences et promenades
C'est dans ce domaine qu'il a été le plus innové en 1937.
En effet, alors que les années précédentes la Société se con
tentait d'organiser deux ou trois conférences au hasard des
personnalités de passage dans la ville, pour la première fois
une série de six causeries fut faite au Musée par des mem
bres de la Société sur des sujets concernant l'Oranie et faisant
l'objet propre de leur étude. En voici les titres :
Pierre Rarret : L'orientation de la science moderne et la
position vivante des Sociétés régionales.
Mma Vincent : Les grandes lignes de l'occupation romaine
dans l'Ouest de la Mauritanie Césarienne.
A. Pestemaldjoglou : A travers l'histoire et les monuments
d'Oran, conférence suivie d'une promenade dans l'ancienne
ville espagnole, la Casbah et le Château Neuf.
R. Tinthoin : Les paysages géographiques du Tell Oranais.
(Voir Rulletin).
P. Courtot : L'épigraphie au Musée Demaeght source de
l'histoire de la Mauritanie Césarienne.
Abbé Desjardins : L'histoire de la primitive église en Oranie.
A la même époque était organisée une première excursion à
Rou-Hanifia, l'Aquae Sirenses des Romains,
nes sous la conduite de M"16 Vincent.
avec visite des rui
Puis en juin conférence de M. Reygasse : Le tombeau royal
de Tin Hinan et les monuments funéraires du Hoggar.
En janvier 1838, de M. Piedallu : De nouveaux procédés de
culture appliqués à des sols ingrats.
Et une promenade en février dans la région du Chéliff (Rel-
levue, Quiza, embouchure du Chéliff) avec causeries archéolo
gique et botanique.

83
Enfin, à l'occasion du mardi-gras,
jours : Ténès, Cherchell, Tipasa, Orléansville,
de Mme Vincent,
et avec participation de M. Leschi.
une excursion de trois
sous la conduite
Conférences et plus encore promenades se sont avérées à
tous points de vue un excellent moyen de propagande pour la
Société.
Encouragement aux travaux d'érudition
Pour favoriser l'étude scientifique de l'Oranie et stimuler le
zèle des chercheurs locaux, la Société, depuis son origine,
avait mis au concours des monographies et des études locales.
dotées de prix pour les meilleures. Les restrictions récentes ont
obligé à rayer du budget ces crédits d'ailleurs minimes.
Cependant le plan de monographie élaboré par la Société
et tiré à part est toujours utilisé,
surtout depuis que M. l'Ins
pecteur d'Académie l'a fait connaître aux instituteurs par la
voie du Rulletin de l'Education Nationale du Département.
Deux donations ont également été faites à la Société dont les
arrérages, du reste modiques,
sont remis périodiquement à
l'auteur d'études parues dans le Rulletin, jugé le plus digne.
Musée
Rappelons pour mémoire que le Musée d'Oran (Musée Muni
cipal Demaeght),
installé depuis le Centenaire de 1930 dans le
somptueux Palais des Reaux-Arts, et dont les collections d'his
toire naturelle, de préhistoire et d'archéologie, pour ne citer
que les plus remarquables, sont fort riches, fut fondé par la
Société en 1882, sur l'initiative de son Président alors le Com
mandant Demaeght et remis à la ville en 1882 sous réserve que
le conservateur fût nommé sur proposition du Comité de la
Société.
Les catalogues successifs du Musée, rédigés par M. Demaeght,
puis par M. Doumergue, ont toujours été jusqu'à présent publiés
dans le Rulletin aux seuls frais de la Société.

Conclusion
La Société de Géographie d'Oran,
qui a réussi en 1937 à
surmonter des difficultés financières redoutables, en trans
formant le déficit prévu en excédent budgétaire, fait preuve
d'une vitalité aussi grande qu'à aucun autre moment de ses
soixante années d'existence.
Elle paraît amenée, dans une ville et dans une région où
l'activité intellectuelle n'est pas toujours prédominante, à jouer
un rôle de plus en plus grand. Elle peut notamment avoir son
mot à dire en ce qui concerne la protection du patrimoine artis
tique et pittoresque du département, souvent menacé.

],-]G 20. —
Img. 19.
— - Slogador.
Les remparts.
Mogador. Les Lettres déliant les Seienee
Pliolo H Terri
Pholo II. Terrace

Fig. 22. —
Fui. 21. --
Sali.
La Kechla
Sali. Le quartier des potiers.
Photo J, Roussel.
I'hoto Leschi.

- 85
Société d'Histoire Naturelle de l'Afrique du Nord
(M. Aymé, Président)
Au cours de l'année 1937, qui était la 28e de son existence,
la Société d'Histoire Naturelle de l'Afrique du Nord a mani
festé son activité par des séances mensuelles très suivies au
cours desquelles de nombreuses communications orales et
présentations d'échantillons ont été faites, se rapportant à
l'histoire naturelle du Nord de l'Afrique.
Pendant l'année écoulée, le Rulletin de la Société a atteint
un grand développement. Les neuf fascicules qui le consti
tuent forment un volume de 562 pages et de 40 planches hors
texte. L'édition d'un volume de cette importance, malgré les
ressources très restreintes de la Société, a pu être réalisé grâce
aux contributions des auteurs et à celle du Comité d'Etudes
de la Riologie des Acridiens qui a confié à notre Société l'édi
tion de ses travaux.
Le Rulletin de 1937 renferme 42 mémoires dont certains
très importants atteignent près de 100 pages. 18 d'entre eux
traitent de questions de Zoologie pure ou appliquée se rappor
tant à la Systématique et à la Riologie des mammifères et des
insectes du Nord de l'Afrique. Les travaux de Rotanique, au
nombre de 18 également, traitent les uns de l'Ecologie des
végétaux sahariens et de la Géographie botanique de l'Afrique
du Nord et de l'Afrique Centrale ; les autres de la Systéma
tique des Phanérogames nord-africaines. Des travaux de
Cryptogamie se rapportant aux Champignons, aux Algues et
aux Mousses de l'Afrique du Nord. On y trouve les descrip
tions de nombreuses espèces nouvelles.
Il y -a lieu de citer également des travaux sur les drogues
indigènes nord-africaines et sur le folklore botanique.
Les travaux de Préhistoire sont consacrés à la description
d'instruments préhistoriques et de peintures rupestres nouvel
lement découvertes.
Enfin un important mémoire de Météorologie, accompagné
de cartes, est consacré à la pluviométrie de l'Algérie.
Le Rulletin renferme en outre une bibliographie de travaux

- 86
-
publiés récemment sur la flore du Nord de l'Afrique (Maroc,
Algérie, Tunisie, Tripolitaine).
Telle a été l'œuvre accomplie en 1937.
Mais la Société n'a pas perdu de vue la poursuite de la
réalisation de l'un de ses désirs les plus chers : la création à
Alger d'un Musée d'Histoire naturelle. Il y a là une lacune
qu'il apparaît de plus en plus urgent de faire disparaître, car
des collections privées de premier ordre continuent à quitter
l'Algérie qui trouveraient leur place dans un Muséum.
Comment concevoir en effet que la capitale d'un pays neuf,
si riche en documents relevant des diverses disciplines des
Sciences naturelles, laisse ainsi disperser ses archives aux
quatre coins du monde ?
Qu'il me soit permis, pour terminer, de demander à la Fédé
ration des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord de faire sien
le vœu de voir créer à Alger le Musée d'Histoire naturelle qui
s'impose.

— - 87
Société Historique Algérienne
(M. Esquer, Secrétaire général)
L'événement le plus important en 1937 pour la Société His
torique Algérienne a, été sans doute qu'elle a accompli sa
82°
année. Elle a été, en effet, créée en 1856, avec l'appui effec
tif du Gouverneur général Randon, par Adrien Rerbrugger qui
fut le premier conservateur de la Ribliothèque-Musée d'Alger
et aussi le premier inspecteur des monuments historiques de
l'Algérie.
Les manifestations extérieures n'ont jamais tenu qu'une
très faible place dans la vie de la Société Historique. Je dois
cependant signaler l'initiative qu'elle a prise tout récemment
et qui a fait entrer dans la période d'exécution le projet tombé
en sommeil d'élever à Alger un monument aux héros de la
pénétration saharienne.
Sa tâche essentielle est la publication de son Rulletin tri
mestriel, la Revue Africaine, qui, interrompue par la guerre,
de 1914 à 1917, n'en est pas moins arrivée l'an dernier à son
tome LXXX.
Ce titre Revue Africaine est assez général pour donner à la
Société Historique comme champ d'action, l'étude de l'Afrique
du Nord et de ses habitants : les travaux qu'elle publie peu
vent ainsi ressortir à toutes les disciplines. Ajoutons qu'elle
publie le rapport annuel du Directeur des Antiquités de l'Algé
rie ainsi que les comptes rendus des séances tenues par l'Insti
tut d'Etudes Orientales.
Voici quels articles ont paru en 1937 dans la Revue Afri
caine :
G. Marcy Etude des documents épigraphiques recueillis
par M. Reygasse au cours de sa mission dans le Sahara Cen
tral, —
avec 4 planches h. t.
R.
Rrunschvig : Un document sur
une princesse hafside de la fin du 16' siècle. —
Jeanne
Alquier : Note sur un voyage au Cap de Fer, avec 1 carte et
J. Desparmet : Ethnographie de la Mitidja.
3 planches h. t. —
Le calendrier folklorique (fin). —
H.
1849 et l'agitation politique à Alger. —
lie. —
L'Abbé
Isnard : Les élections de
Mj Rémond : La Kaby
J. R. Chabot (de l'Institut) : Fantaisies libyques,

avec 1 planche h. t. —
— Dr
G.
88
Marcy : Réponse à M. l'Abbé Chabot.
L. Laurens : A propos de cinq cent cinq monnaies romai
nes des IV'
2 planches h. t. —
et V" siècles trouvées à Bou-Sedda (Aurès), avec
C.
Martin : L'affaire Doineau. —
Miriam
Astruc : Nouvelles fouilles à Djidjelli (Algérie), avec 2 plans,
4 planches h. t. et 18 figures. —
P.
Murati : Le maraboutisme
ou la naissance d'une famille ethnique dans la région de
Tébessa, avec 2 —
cartes,
— Recherches épigraphiques à Ksiba,
— gie : René Cagnat,
3 planches h. t. et 1 figure. J.
par E. Albertini.
avec 1 figure.
Comptes
Guey :
Nécrolo
rendus. —
— Revue des périodiques. L'archéologie algérienne en 1936, par
L. Leschi. —
vier 1937. —
Chronique.
—
Assemblée
générale du 17 jan
Liste des Membres de la Société Historique.
Tel est le sommaire de la Revue Africaine pour le 1er et le
2e trimestres 1937. Le 2e semestre est constitué par les Actes
du troisième Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes de
l'Afrique du Nord qui s'est tenu l'an dernier à Constantine.
Ils forment deux volumes contenant les Actes proprement dits
du Congrès (discours, vœux, réceptions et promenades)
texte de 49 communications avec illustrations.
et le
La création de notre Fédération à laquelle elle a contribué
de façon active, a étendu, en effet, l'activité de la Société His
torique. Depuis 1935 elle assume la charge de publier les Actes
de nos Congrès : Alger, TIemcen, Constantine,
soit déjà à
l'heure actuelle, six volumes importants par leur étendue et
par leur contenu. Du point de vue financier l'affaire est lourde ;
jusqu'ici la Société Historique a seulement reçu du Gouverne
ment Général de l'Algérie une subvention annuelle qui ne cou
vre qu'une faible partie des dépenses de cette publication.
Quel que soit l'intérêt de celle-ci, elle ne pourra être pour
suivie que si notre Société trouve des concours nouveaux. Il ne
faut pas oublier que la Fédération est nord-africaine et qu'elle
intéresse la Tunisie et le Maroc au même titre que l'Algérie.

89 -
Société Historique et Géographique
de la Région de Sétif
(M. Massiera, Président
Lu par M. Imbert, Délégué de la Société)
Développement
Le nombre des membres cotisants est passé de 124 à 146.
a) Préhistorique :
Fouilles et recherches
Deux nouveaux gisements capsiens : M. Champagne (Aïn-el-
Turk), et M. Rarral (Mesloug, II).
bïa).
Un gisement en surface du Hodna : M. Massiera (Aïn-Meïer-
b) Libyque :
Pierres à gravures et à cupules : M. V. Poisson (Ouest de
Rougie).
c)
Romain :
Fouille de l'huilerie de type industriel de Kherbet-Agoub :
M. Jehel et M. Meunier.
Cinquante inscriptions nouvelles de la Mauritanie Sitifienne :
MM. Massiera, Dr
Mazzucca, Ginther, Fages.
Exploration du « limes » dans le Hodna Occidental : MM.
Massiera et Dr Megnin.
d)
Musulman :
Découvertes d'inscriptions du XH1*-XIV< siècle à la Qalaâ
Béni Hammad : MM. Lestrade-Carbonnel, Leschi, Massiera.
Recherches historiques sur M'Sila : M. Massiera.

- 90
Publications et études
Préparation du Rulletin 1937-38,
Il comprendra notamment :
qui paraîtra incessamment.
Deux communications du Président de la Commission de
l'Afrique du Nord. —-
Rapport
provisoire sur les fouilles de la
station et du camp d'Ad-Aras (Tarmount) : M. Massiera. —
Catalogue des inscriptions du Musée épigraphique de Sétif :
M. Massiera.
Distinctions
L'Académie des Inscriptions et Relies-Lettres a décerné la
Médaille Paul Rlanchet au Président de la Société.

- 91
Société « Les Anus du Vieux TIemcen »
(M. Opitz, Secrétaire général
Lu par M. Lecocq, Président)
La Société les A.V.T. a présenté au cours des douze derniers
mois une activité très marquée qui s'est traduite par différen
tes réalisations dont nous donnons ci-dessous les caractéristi
ques les plus intéressantes :
Tout d'abord, elle a vu le nombre de ses membres augmenter
de façon inespérée. Son effectif atteint aujourd'hui plus de
70 sociétaires.
Les séances sont tenues dans une jolie salle très claire et
bien meublée, au centre même de la ville : la salle du Conseil
d'Administration de l'ESSI de TIemcen,
mise aimablement et
gracieusement à la disposition des A.V.T. par le Président du
Syndicat d'Initiative,
M. Routy.
Les réunions plénières de l'année ont toujours été très
vivantes et souvent d'un grand intérêt. Des communications
orales, fort goûtées, ont donné sur certaines questions, des
aperçus originaux d'une valeur incontestable.
M. Alfred Rel, Président fondateur,
series-conférences sur :
a fait de véritables cau
a) la route qui reliait TIemcen à Honain à l'époque des Reni-
Abd-el-Wad, sur les localités qui la jalonnaient avec leurs
mosquées et où les musulmans, conducteurs de caravanes, pou
vaient, au cours de leurs déplacements, satisfaire leurs besoins
religieux ;
b) un cadran solaire de l'Hôpital militaire ;
c) les déplacements des armées almohades avec une
étude particulière sur le camp fortifié établi au N.-E. d'Altava
(Lamoricière)
et dont les ruines sont encore bien visibles.
M. André Lecocq, Président actif,
certains sujets dont :
a)
a également développé
Modifications dans les modes de Vie de la tribu des Reni-
Ournid et sur la naissance d'un vrai village sur les hauteurs

de Terni,
- 92
-
prouvant l'adaptation toute récente de ces semi-noma
des aux exigences modernes de l'existence ;
b) Au retour du Congrès de Constantine,
très remarquée, au Cercle Civil, sur la région de l'Aurès,
connue des Algériens ;
une conférence
si peu
c) Sur la première colonisation de TIemcen, (Résultat de
travaux et de recherches personnelles faites par l'auteur aux
Archives départementales).
M. Renyarou, Instituteur à TIemcen, a fait une intéressante
causerie sur Rarberousse à TIemcen et sur l'existence d'un sou
terrain qui faisait communiquer le Méchouar avec le ravin de
la Medjkana,
ses bourreaux.
M. Estaunié,
aux Reni-Smiel.
voie par laquelle Rarberousse aurait échappé à
sur un vase en ophite taillée et polie découvert
M. Rrémond, Inspecteur primaire, sur différentes découver
tes de pièces et inscriptions romaines provenant du site de
Camarata (Guiard)
et de Siga.
En outre, plusieurs vœux ont été émis en séance :
1° Un vœu demandant le prolongement de la route touris
tique littorale jusqu'à Honain (de concert avec le Syndicat
d'Initiative ESSI de TIemcen). Ce vœu a reçu un commence
ment de réalisation par la mise en état de la piste.
2° Vœu demandant le classement de ce qui reste des rui
nes d'Honain,
pirates.
ancien port de transit de TIemcen et repaire de
3° Vœu au sujet des communications faites en séances plé-
nières dans les Congrès. Ce vœu a été adressé au Secrétaire
général de la Fédération pour être présenté au Congrès de
Rabat.
4° Vœu tendant à la création d'une collection rassemblant
les objets et costumes tlemcéniens appelés à disparaître.
Le Musée de la Ville, dont M. A. Rel est Conservateur, est
l'objet de la sollicitude de plusieurs membres des A.V.T. et
s'est enrichi de plusieurs pièces :

- 93 -
1° un cadran solaire en onyx calcaire blanc,
l'Hôpital militaire ;
provenant de
2° une borne milliaire romaine, provenant de la région de
Mamia ;
3° collection de silex taillés, par M. Estaunié,
qui a été
nommé Conservateur des Collections préhistoriques du Musée ;
4° monnaies et inscriptions romaines provenant de la région
de Guiard.
Un rudiment de bibliothèque a été installé dans une armoire
de la salle du Conseil de l'ESSI. Il est indispensable, en effet,
de rassembler le plus possible d'ouvrages et de revues pour
faciliter les recherches des membres. Un don important a été
fait par M. A. Rel. La Société Historique a bien voulu faire pré
sent de son Rulletin, d'un intérêt primordial, puisqu'il publie
les comptes rendus des Congrès. Les A.V.T. lui en manifestent
toute leur gratitude.
En dehors des séances, plusieurs membres font preuve d'une
activité louable dans les recherches historiques ou scientifi
ques. Ces travaux personnels se sont traduits par sept commu
nications adressées au Congrès de Constantine en 1937 et par
trois communications qui seront présentées au Congrès de
Rabat en avril prochain.
D'autre part, les collections d'Histoire naturelle du Musée
ont été mises en état par MM. Estaunié et Collet. M. Paul
Courtot a constitué à Lamoricière un petit musée romain.
Plusieurs excursions sont prévues pour le printemps pro
chain :
1° à Honain,
Société de Géographie d'Oran ;
avec le concours de l'ESSI de TIemcen et la
2° au Rarrage de Reni-Rahdel ;
3° à l'enceinte et à la Mosquée de Mansoura (avec causerie-
conférence).
La publication des séances et des travaux se fait, pour le
moment, par le moyen des journaux locaux, heureux de pou
voir donner l'hospitalité de leurs colonnes aux comptes rendus
et aux communiqués du Secrétariat.

94 -
Lorsque la situation budgétaire le permettra, on envisagera
la création d'un Rulletin. Dans ce but, les A.V.T. adressent des
demandes de subventions, tant à la Ville de TIemcen, qu'au
Gouvernement Général.
Quelques membres des A.V.T. ont été l'objet de distinctions
honorifiques : MM. Lecocq,
démie).
Opitz et Collet (Officiers d'Aca
MM. Rohbacher et Rucco (Mérite Agricole).

- 95
-
Société de Préhistoire et d'Archéologie de Tébessa
(M. Le Du, Président
Lu par M. le Docteur Marchand, Délégué de la Société)
La Société de Préhistoire et d'Archéologie de Tébessa, qui
compte actuellement 132 membres, a dirigé en 1937 tous ses
efforts sur la mise au point d'un Recueil consacrant ses pre
miers travaux. Il sortira prochainement des presses de la mai
son Raconnier d'Alger. Il comprendra plus de 250 pages et sera
abondamment illustré.
Préfacé par M. de Péretti, Conseiller général et Fondateur
de la Société,
il comportera un avant-propos de M. Louis Rer-
trand, de l'Académie Française, et les mémoires et articles
suivants :
Quelques remarques sur l'histoire de Thêveste, par M. Alber-
—
tini, de l'Institut. Inscription de la plaine de Guert, pays des
Némencha, par M. Leschi, Directeur des Antiquités de l'Algé
— rie. Mémoire sur les monuments funéraires du Hoggar, par
M. Reygasse, Maître de conférences à la Faculté d'Alger, Con
servateur du Musée du Rardo. —
Le
Capsien dans les environs
de Tébessa, par M. le Professeur Vaufrey, de l'Institut de
Paléontologie Humaine. —
Ergou
citadelle des Chabbia et
Notes sur deux tumuli de la région de Négrine, par M. Rattis-
tini, Administrateur de la commune mixte de Tébessa. —
Quelques remarques sur les lampes funéraires trouvées à
Tébessa, par M. Mellis, Administrateur de la commune mixte
La station capsienne d'Aïn-Khanga, par
de Morsott. —
M. Le Du, —
Président de la Société.
Bibliographie
de la
Région de Tébessa, par M. Truillot, Membre non résidant du
Comité des Travaux historiques et scientifiques. —
Influence
des basiliques chrétiennes, par M. Rerthier, Archiviste paléo
graphe, —
passé, —
Directeur du Musée Gustave Mercier.
Visions
du
par M. Fercot. Naissance d'une famille ethnique dans
la région de Tébessa, par M. Muratti, Administrateur adjoint
Notes de voyage et quel
de la commune mixte de Tébessa. —
ques fouilles à Tébessa, par M. Laout, Correspondant du Minis-

- 96
-
tère des Reaux-Arts et Conservateur du Musée de Tébessa. —
Quelques remarques sur un broyeur de la station capsienne du
Khanguet El Mouhad, —
—
romains,
— Territoire de Touggourt,
par M. Rocco. Quelques
par M. Sérée de Roch.
Bijoux
stations préhistoriques du
par M. le Docteur Marchand.
La
quatrième époque de la basilique de Tébessa, par M. le Com
mandant A. Maitrot de la Motte-Capron.
D'autre part, fidèle à son programme, la Société de Préhis
toire et d'Archéologie de Tébessa a organisé en 1937 une série
de conférences. C'est ainsi qu'au cours de l'une de ses plus
brillantes réunions, M. le Professeur Reygasse exposa ses admi
rables découvertes qui ont consacré l'importance de la région
de Tébessa et dont un film inédit permit d'apprécier de façon
saisissante toute la valeur et la diversité. Une conférence de
M. de Vivie de Régie, administrateur adjoint, traita de l'his
toire de Ressériani ou d'Ad Majores, place forte marquant la
limite de l'occupation romaine en Numidie orientale. Une cau
serie de M. Laout, sur ses fouilles de Tébessa Kralia permit de
dégager tout l'intérêt de ces belles ruines romaines, situées aux
portes de la ville. Enfin, une conférence de M. Rerthier sur
Djemila et une causerie de M. Fercot sur le Sahara apportè
rent aux sociétaires une documentation remplaçant le plus
agréable et le plus instructif des voyages.
La Société a continué d'autre part, grâce au concours très
dévoué que ne cesse de lui apporter M. Reygasse, à assurer
les études qui doivent être entreprises sur les documents du
gisement de Rekkaria dont les fouilles de M. l'Administrateur
Mellis, faites en collaboration avec la Société,
l'importance exceptionnelle.
ont relevé
D'autre part, grâce à la générosité de M. l'Administrateur de
la Commune mixte de Tébessa, la Société a pu effectuer, en
juillet 1937,
une fouille importante dans la nécropole du Dje
bel Mistiri et dont le compte rendu est donné au présent Con
grès.
La Société de Tébessa est heureuse de remercier la Fédéra
tion des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord de tout l'appui
qu'elle trouve auprès d'elle. Elle remercie également tous les
savants qui ont bien voulu lui assurer leur concours le plus

— 97 —
dévoué ; elle remercie le Département et les Communes de
l'aide financière qui lui a permis de publier son Recueil et
d'entreprendre des fouilles, et, fidèle au but qu'elle s'est tracé,
elle espère par des découvertes, des recherches nouvelles appor
ter une contribution active dans l'étude des richesses archéolo
giques et préhistoriques de notre belle Colonie.

— — 98
Société des Sciences Physiques et Chimiques
de l'Afrique du Nord
(M. Savornin, Secrétaire
Lu par M. Rouyer, Président)
La Société des Sciences Physiques et Chimiques de l'Afrique
du Nord, récemment créée,
a tenu régulièrement ses séances à
l'Amphithéâtre de Physique de la Faculté des Sciences d'Alger.
Le but que se propose ce groupement est de concourir au déve
loppement des sciences physiques et chimiques, de faciliter la
collaboration entre physiciens, chimistes et techniciens, et de
répandre le goût de la culture scientifique en Afrique du Nord.
L'assemblée générale constitutive s'est tenue le 18 mars
1937 : c'est devant le succès de la Section d'Alger de la Société
Française de Physique organisée en sur 1932, l'initiative de
M. F Wolfers, professeur de Physique générale, que fut déci
dée la création d'une Société autonome. Celle-ci fut présentée
au public le 20 janvier 1938,
à l'occasion d'une séance inau
gurale solennelle tenue à la Salle Gsell de l'Université. Après
un bref historique de la Société par le Président,
M. le Doyen
de la Faculté des Sciences L. Rouyer, le conférencier,
M. F. Wolfers, fit un exposé très écouté sur Les théories de
la lumière.
Depuis les réunions ont été tenues régulièrement, jumelées
parfois avec les séances des Sections algériennes de la Société
Française de Physique et de la Société Chimique de France.
Au cours de ces séances ont été présentées des mises au point
de nombreuses questions scientifiques, ainsi que des commu
nications originales, parmi lesquelles celles de M. L. Royer,
Phosphorescence et structure cristalline ; de M. A. Lasserre,
Le magnétisme terrestre en Algérie et dans les Territoires du
Sud ; de MM. A. Foix et Jean Mendousse, Recherches sur les
théoriques classiques des faisceaux lumineux,
et la présenta
tion d'impressionnantes Machines modernes d'essais de maté
riaux,
par M. L. Vérain.

99 -
Institut de Carthage (x) et Revue Tunisienne (2)
(M. Louis Poinssot, Correspondant de l'Institut)
La Section artistique de l'Institut de Carthage a organisé
cette année son 37° Salon. Cette persévérance dans l'effort est
tout à l'éloge de la Section, de son bureau et tout particulière
ment de son Président, M. Alexandre Fichet. Elle trouve sa
justification et sa récompense dans l'intérêt croissant que la
population de Tunis porte à cette manifestation.
**
La Revue Tunisienne a continué à paraître régulièrement ;
les fascicules de 1937 forment un gros volume de 513 pages.
Le succès de notre revue est attesté par l'augmentation du
nombre de nos collaborateurs, par leur fidélité,
par la qualité
et l'abondance de la matière à publier. Mais notre publication
se heurte à de grosses difficultés financières qui viennent de
l'augmentation du prix du papier et de l'impression.
Articles parus dans la Revue Tunisienne,
année 1937 :
Abdul-Wahab (H. H.) : L'insurrection de Mansour Timbo-
—
dhi,
— Kerkena et leurs bancs.
seigneur de la Mohammedia.
Farrugia
—
naies fatimites (fin). Gâteau (A.)
Despois
(J.) : Les îles
de Candia (J.) : Les mon
Ibn'
: Abd Al Hakam et les
sources arabes relatives à la conquête de l'Afrique du Nord
et de l'Espagne (suite). —
Grandchamp
(P.) : Une mission déli
cate en Barbarie au XVIIe siècle, J. B. Salvago, drogman
vénitien à Alger et à Tunis. —
Hugon
à Tunis (1831).
(H.) : La mission du
(R.) : Trouvail
— Commandant Guy Journet
—
les archéologiques sur la côte Nord de la Tunisie.
Lapeyre
(G. G.) : Du nouveau sur saint Augustin et saint Fulgence. —
(1) Président, M. Ch. Saumagne ; secrétaire, M. 3. Pignon ; trésorier,
M. A. Nicolas.
—

— - 100
Maquart (Cap.) : Etude sur la tribu des Haouaïa. —
(P.) : Les chants lyriques du Sud Tunisien (fin). —
Marty
Mzali
(M. S.) et Pignon (J.) : Documents sur Khéredine— Riggio (A.) :
Cronaca Tabarchina dal 1756 al primordio deU'ottocento. —
Notice nécrologique, Ch. Monchicourt. —
Bulletin
critique.

— - 101
Société Archéologique de Sousse
(M. Gandolphe, Président)
Par suite du décès de son ancien Président, le regretté
M. Fauche,
et le départ de quelques-uns de ses membres les
plus actifs, tels que MM. Chabanet, Vassalo, Fournier, etc.,
la Société Archéologique de Sousse a traversé une période
d'accalmie.
Elle est aujourd'hui en voie de réorganisation avec de nou
veaux membres qui nous ont apporté leur adhésion et sont
dans l'intention de lui donner un regain d'activité.
Néanmoins,
les membres restants n'ont pas négligé de rem
plir, au mieux des intérêts de la science, la tâche qu'ils avaient
entreprise en s'intéressant à toutes les découvertes faites for
tuitement au cours des travaux exécutés dans la ville et aux
environs en faisant entrer au Musée les objets recueillis au
cours de ces fouilles.
De plus, la Société a poursuivi la consolidation des Catacom
bes de Sousse et assuré la conservation des galeries de la
Catacombe du Ron Pasteur qui continue à recevoir de très nom
breux visiteurs.
D'autre part, le Musée de notre ville étant resté plusieurs
années sans conservateur, notre Société est intervenue pour
faire prendre fin à ce fâcheux état de choses et, à l'instigation
de son Président,
en plein accord avec M. le Directeur du Ser
vice des Antiquités et du Président de la Municipalité,
a été confié à M. Truillot qui a bien voulu,
ce poste
avec la compé
tence que l'on connaît, se charger de la réorganisation de cet
établissement.
Ce travail est aujourd'hui entièrement terminé et rien n'a
été ménagé pour rendre la visite de nos collections agréable
aux visiteurs et profitable aux érudits.
Au cours de l'année, la Société a reçu à Sousse la visite des
membres de la Société d'Archéologie et des Reaux-Arts de
Sfax, sous la conduite de leur Président,
M. Rédé. Grâce à
cette excursion de nos voisins, auxquels nous nous proposons
de rendre leur visite, des échanges de vue des plus intéres-

- 102
-
sants ont pu être faits entre les archéologues des deux villes
qui sont restés en correspondance pour leur plus grand profit
respectif.
Notre dernier Rulletin a paru en 1934, mais, en raison du
coût élevé des publications de ce genre, nos moyens ne nous
ont pas permis d'effectuer jusqu'ici l'impression du nouveau
numéro en préparation. Nous espérons d'ici peu que notre
Société, complètement reconstituée, fière de son brillant passé
et des éminents savants qui ont contribué à sa renommée,
fera preuve d'une vitalité nouvelle, grâce aux éléments actifs
qui sont venus spontanément à elle.

- 103
-
Institut des Hautes Etudes Marocaines
(M. L. Rrunot, Directeur de l'Institut)
L'Institut des Hautes Etudes Marocaines date de 1921. On
lui a rattaché administrativement depuis trois ans l'Inspection
des Monuments Historiques et l'Inspection des Antiquités. II
publie :
Une revue Hespéris de 4 fascicules par an, depuis 1921,
faisant suite aux Archives Berbères (1915-1920) ;
Une collection Hespéris d'ouvrages ayant trait à l'archéolo
gie et aux arts majeurs ou mineurs : 6 volumes parus ;
Une série d'ouvrages d'orientalisme dits Publications de
l'Institut des Hautes Etudes Marocaines : 31 volumes parus ;
Une collection de Textes Arabes : 8 volumes parus.
Depuis Pâques 1937,
*
**
l'Institut a fait paraître :
1° Un fascicule par trimestre de la revue Hespéris contenant
notamment :
H. P. J. Renaud : Notes critiques d'histoire des sciences chez
les Musulmans. I. Les Ibn Bâsn. —
Henri
Terrasse : La céra
mique hispano-maghribine du XIIe siècle d'après les fouilles
du Château de VÂin-Ghaboula (Dchira)
Le Coeur : Les
Sahara (6 photog.).
(1 fig. 5 pi.).
— Charles
«mapalia» numides et leur survivance au
— Georges
Marcy : Introduction à un
déchiffrement méthodique des inscriptions « tifinâgh » du
Sahara centrai. —
Louis
judéo-arabes de Fès. —
Zerhoum. —
Rrunot et Elie Malka : Proverbes
J.
Herber : Mythes et légendes de
—
La légende de Sidi Abdallah el Hajjâm. Robert
Ricard : Une description du Habt en 1648. —
val : Les émirs des Hintata, —
Pierre
« rois » de Marrakech.
de Céni-
Robert
Ricard : Les Portugais et l'Afrique du Nord sous le règne de
Jean III (1521-1557), d'après la chronique de Francisco de
— Andrade. I. S. Allouche : La révolte des Banû Askllûla
contre le sultan nàsrUe Muhammad II, d'après le « Kitâb
A'mcbl al-A'lâm » d'Ibn al-Hatlb.
— H. P. J. Renaud : Notes

— - 104
critiques'
d'histoire des sciences chez les Musulmans. II. Ibn
ai-Bannâ'
J. C-). —
Francis
de Marrakech, sufi et mathématicien (XIIIe-XlVe s.
Nicolas : Les industries de protection chez
les Twareg de l'Azawagh (UlUmiden de l'Est, Kel Grès, cercle
de Tawa, colonie du Niger).
2° Un texte arabe de Ibn Az-Zubair : la Silat as-SUa, édité
par M. E. Lévi-Provençal.
3° L'initiation au Maroc, deuxième édition,
revue et corri
gée par les professeurs de l'Institut des H. E. M. et de la Sec
tion Juridique.
4° Les Portugais au Maroc de 1495 à 1521, texte portugais
traduit et annoté par M. Robert Ricard.
édité,
5° Le Livre des Magistratures d'El Waneharisi, texte arabe
édité,
bynes.
traduit et annoté par H. Rruno et Gaudefroy-Demom-
6° Les Mosquées de Fès et du Nord du Maroc,
Maslow.
7° La Bibliographie Marocaine (1923-1933),
Cénival, Funck-Rrentano et Rousser.
L'Institut a subventionné les ouvrages suivants :
par Roris
par MM. de
G. S. Colin : Recueil de textes en arabe marocain. —
G. Marcy : Les inscriptions libyques de l'Afrique du Nord. —
E. Lambert : Delacroix el les femmes d'Alger.
II a en outre subventionné des éditions cartographiques nom
breuses.
*
**
Le IXe Congrès de l'Institut des Hautes Etudes Marocaines
ayant comme centre d'intérêt La Montagne Marocaine s'est
tenu à la Pentecôte de 1937. Les communications faites à
l'occasion de ce Congrès paraîtront dans les numéros II et III
^Hespéris en 1938.
*
**
Une exposition ethnographique du Sahara Maure est orga
nisée pendant les vacances de Pâques de cette année au Foyer

- 105
Scolaire à Rabat, en liaison avec le Musée de l'Homme (ex-
Trocadéro).
**
L'activité de l'Institut se manifeste encore dans les Direc
tions d'études :
Un mémoire sur le dialecte des nomades de Outat elhaj et
une monographie des mœurs et cérémonies du Mellah de Fès,
ont valu à leurs auteurs le diplôme supérieur d'études maro
caines.
D'autres mémoires concernant la cuisine marocaine, les
bijoux des femmes, le vocabulaire du tissage sont en cours de
rédaction,
ainsi qu'une étude sur le parler berbère des Aït-
Immour de la région de Marrakech.
Le cours de perfectionnement du personnel enseignant, qui
est l'hôte de l'Institut, donne de son côté 14 mémoires concer
nant la géographie du Maroc et 12 mémoires concernant
l'histoire.
**
Enfin l'Institut des Hautes Etudes Marocaines prend une
part directe à l'organisation des bibliothèques indigènes de
Rabat,
Fès et Marrakech entreprise par la Ribliothèque géné
rale du Protectorat. Il apporte encore sa collaboration à cette
institution dans le département des manuscrits arabes.
Centre d'études juridiques
L'Institut des Hautes Etudes Marocaines comprend, à côté
des directeurs d'études orientalistes, un Centre dfétudes juri
diques. Cet organisme s'est donné pour but un travail de
recherches juridiques et économiques qui permettront de pro
céder à un inventaire d'ensemble de l'organisation de l'acti
vité administrative et économique du Maroc nouveau.
Le Centre des études juridiques publie une collection qui
en est à ce jour à son dix-huitième tome.

- 106 -
De Pâques 1937 à Pâques 1938, ont paru dans cette collec
tion les ouvrages suivants :
La politique des contingents dans les relations franco-maro
caines, par Pierre Garcin, Docteur en droit.
La condition civile des étrangers au Maroc, par A. Acqua-
Viva, Docteur en droit.
La situation de Fès dans le Maroc moderne, par Georges
Lucas, Docteur en droit.
L'assistance aux indigènes musulmans au Maroc, par
Mm"
Woytt-Gisclard, Docteur en Droit.
Les libertés publiques au Maroc, par Pierre Stefani, Doc
teur en droit.
Les Marocains en France, par Joanny Ray, Docteur en
droit.
I. —
Restauration
**
Inspection des monuments historiques
(Pâques 1937-Pâques 1938)
des monuments historiques. —
1937 la grande mosquée de Taza,
frais des Habous,
En
mars
entièrement restaurée aux
a été solennellement rendue au culte en
présence de S. M. le Sultan. La mosquée et son mobilier litur
gique ont été relevés et photographiés. Une monographie
détaillée de la grande mosquée de Taza est en préparation et
paraîtra à la fin de cette année.
A Fès, la grande mosquée des Andalous a été aussi restau
rée dans son ensemble. L'édifice a fait l'objet de relevés com
plets. Deux inscriptions mérinides sculptées sur bois ont été
découvertes. Enfin, M. Terrasse a découvert,
servant d'arma
ture à un minbar du XIII0 siècle, une chaire du Xe siècle, qui
porte deux inscriptions historiques, l'une fatimide, l'autre
oméiyade. C'est le second en date des minbars qui nous ont
été conservés tant en Orient qu'en Occident, après celui de
Kairouan. C'est aussi un très riche répertoire de décor orien
tal. Mosquée et minbars feront l'objet d'une publication.

- 107
-
Les médersas ont donné lieu à des travaux importants. La
réfection des chambres des Tolbas a eu pour effet de consoli
der et d'assainir le gros œuvre de ces édifices. Les travaux ont
porté pour la campagne de 1937 sur les médersas Ren Youssef
de Marrakech et Rou Inaniya de Meknès,
sas Sahridj, Sbaïn, Attarin,
à Fès sur les méder
Rou Inaniya et de Rab Guissa.
Une seconde tranche de travaux qui comprendra les médersas
Cherratin, Seffarin et Mesbahiya doit être entreprise prochai
nement.
En collaboration avec les Municipalités des villes, d'impor
tants travaux de restauration de murailles et de portes forti
fiées ont été exécutés à Rabat et à Marrakech.
IL —
Conservation
des Médinas. —
L'Inspection
a, effectué
le visa des autorisations de bâtir dans les Médinas et assure en
liaison avec les autorités de contrôle, tout le travail courant
qu'exige la protection artistique des villes indigènes. Elle a de
plus mis au point un projet de réorganisation de la protection
des Médinas.
*
**
Activité de la direction d'études d'archéologie
et d'arts musulmans
(Pâques 1937-Pâques 1938)
En dehors de son activité personnelle, de ses cours et des
travaux relatifs à l'Inspection des Monuments Historiques, le
Directeur d'études a pu diriger un certain nombre de travaux
d'étudiants :
En 1936-1937 : 5 mémoires d'instituteurs et d'institutrices
stagiaires ; 2 mémoires d'officiers des Affaires Indigènes.
En 1937-1938 : 7 mémoires d'instituteurs et d'institutrices
stagiaires.
En 1936-1937 le Directeur d'études a eu à collaborer à la
préparation d'un diplôme d'Etudes Supérieures de l'Univer
sité de Paris sur un sujet d'archéologie musulmane.

En 1937-1938,
- 108
—
il est prié par l'Institut d'histoire de l'Art de
l'Université de Paris de diriger une thèse d'histoire de l'art
musulman.
*
Inspection des antiquités
Rattaché administrativement à l'Institut des Hautes Etudes
Marocaines depuis sa transformation en Inspection (30 juin
1936), l'ancien Service des Antiquités, créé par le Maréchal
Lyautey le 18 juillet 1918, continue sa triple mission de fouilles
et de publications.
a) Préhistoire. —
Les
I. —
Les fouilles
fouilles de préhistoire qui ont dégagé
en 1934 et 1935 les grottes d'El Khenzira, près du cap Rlanc,
mettent au jour depuis deux ans plusieurs centres importants
du Gharb et de la région de Rabat : trois enceintes préhistori
ques et une vaste station néolithique ; une grotte très étendue
dont la stratigraphie révèle différents niveaux échelonnés du
Paléolithique moyen au Néolithique ; un tumulus qui recou
vre un monument funéraire des plus intéressants.
En outre, la Section de préhistoire s'occupe de relever des
gravures rupestres et des graffiti libyco-berbères.
b) Archéologie classique. —
Volubilis.
—
Les
fouilles d'ar
chéologie classique se poursuivent lentement à Volubilis : le
nombre décroissant des recettes provenant des droits d'entrée
des visiteurs rend de plus en plus difficiles les découvertes
continues qui ont établi, voici vingt ans déjà,
tant auprès des
artistes et des savants que des touristes et du grand public, la
réputation mondiale de cette vaste cité. Les principales curio
sités de Volubilis sont en effet l'inscription de Valerius Seve-
rus,
relative à la concession par Claude du droit de cité romaine
aux habitants de la ville, le forum, l'arc de triomphe, le Capi
tule, les thermes et de nombreuses maisons ; le chien de
bronze et la tête de marbre du jeune berbère, pour la statuaire

- 109
—
romaine ; l'éphèbe à cheval, le Dionysos versant à boire à
l'éphèbe couronné de lierre, pour la statuaire grecque.
Thamusida. —
Les
par suite du manque de crédits.
Sala —
On
fouilles ont été momentanément arrêtées
a entrepris une étude d'ensemble du forum et
de ses abords en vue de la reprise des fouilles.
Banasa. —
Une campagne de fouilles de trois mois en 1937,
a poursuivi les recherches des campagnes précédentes. On
connaît déjà de cette ville un grand forum bordé de deux por
tiques, les vestiges d'un temple, de larges rues qui se cou
pent à angle droit et forment le tracé en damier caractéristi
que des colonies romaines ; plusieurs maisons ; deux diplô
mes militaires qui nous donnent la composition exacte du
corps d'occupation sous Trajan et sous Hadrien.
II. —
Les recherches
Les recherches se sont poursuivies, dans les différentes
zones où étaient signalées des antiquités préhistoriques et sur
les divers emplacements susceptibles de réaliser, en archéolo
gie classique,
l'identification des villes non encore retrouvées.
III. —
Les
publications
Les Publications' du Service des Antiquités ont consacré leur
premier fascicule à Volubilis, Ranasa et Thamusida, et leur
second fascicule aux Grottes d'El Khenzira.
Le fascicule 3, sous presse,
vures rupestres de l'oued Draa,
contient des études sur les gra
sur les centres romains du
Maroc, sur l'arc de triomphe, les chapiteaux, et plusieurs sta
tuettes de Volubilis.
Le fascicule 4, sous presse également, publiera un mémoire
sur la Géographie antique du Maroc.

— - 110
Comité d'Etudes des Eaux Souterraines
(M. Yovanovitch, Secrétaire général)
Le Comité d'Etudes des Eaux Souterraines (C.E.E.S.) créé
en 1932 par le Dr Russo qui était à cette date Chef du Service
Hydrologique de l'Institut Scientifique Chérifien,
s'est consa
cré essentiellement depuis cette époque à l'étude hydrogéolo
gique du Maroc.
Cette association scientifique qui groupe aujourd'hui près
de cent cinquante adhérents,
s'adonne à tous les problèmes
soulevés par la recherche des eaux, de façon permanente,
depuis sa fondation.
'
Il y a lieu de rappeler brièvement les différentes manifesta
tions concrètes de cette activité. En créant le C.E.E.S.,
son fon
dateur et ses principaux collaborateurs étaient animés avant
tout d'un sentiment foncièrement altruiste ; ils prétendaient
améliorer progressivement les conditions d'utilisation de l'eau,
et ceci dans l'esprit le plus général, touchant aussi bien le
domaine public que le domaine privé. Un accueil très favora
ble a été fait à ce groupement de bonnes volontés dont bien
des gens ou des Services administratifs pressentaient la néces
sité.
Les premiers Rulletins du C.E.E.S. des années 1932, 1933,
1934,
résument l'effort accompli tant par le nombre des exper
tises exécutées sur le terrain que par celui des conférences,
leçons, causeries, diffusions de toutes sortes. Les Congrès
d'Erfoud de 1934 et de Taroudant en 1935 marquent l'apogée
de ces manifestations qui ont laissé un souvenir durable en
Afrique du Nord. Le C.E.E.S. à cette date pouvait se glorifier,
à juste titre,
d'avoir été le premier organisme scientifique
appelé à connaître, au delà du Grand Atlas, de problèmes nou
veaux et délicats posés par la conquête française dans l'une des
régions les moins connues encore du globe.
Mais cet effort généreux devait dépasser sensiblement les
possibilités d'un organisme privé composé de techniciens béné
voles. Malgré le mouvement rétrograde de l'activité générale,
le C.E.E.S. n'en a pas abandonné pour autant l'expansion de

111
ses idées. On pourra trouver dans ses Rulletins de 1935 et 1936,
une vingtaine de communications scientifiques inédites sous
neuf signatures différentes,
plus de dix études d'hydrogéolo-
gie appliquée, enfin une copieuse documentation marocaine
ou internationale. Quant à l'année 1937,
elle aura vu naître la
mise en œuvre d'un travail de longue haleine qui ne pouvait
être abordé, sans présomption, qu'avec beaucoup de prudence.
Ouvrons ici une parenthèse : aussi rapide qu'ait pu être le
développement du Maroc, il fallait un minimum de temps
pour mettre debout ces deux auxiliaires indispensables de
l'hydrologie : la topographie de détail et la géologie générale ;
ces deux sciences viennent de nous permettre et depuis 1937
seulement, de faire un grand pas en avant. Nous avons aujour
d'hui entre les mains des documents d'une précision incon
testable, depuis Tanger jusqu'à Goulimine, depuis Casablanca
jusqu'à Tabelbala. Nous savons partout où nous sommes sur
notre territoire d'étude. Chacun de nos points d'eau peut être
repéré, coté, jaugé et analysé en toute sécurité ; chaque bas
sin d'alimentation nettement délimité, chaque courant souter
rain méthodiquement poursuivi.
En d'autres termes,
après nos premières années d'apprentis
sage sur le terrain, car on ne s'improvise pas hydrologue com
plet à l'école ou au laboratoire, nous avons pu commencer en
1937 à préparer les éléments d'une carte hydrogéologique régu
lière du pays, tâche particulièrement ingrate qui suppose à la
fois une grande latitude de mouvement,
une documentation
abondante et des moyens matériels non négligeables. Notre
Comité présente un document d'essai bien modeste d'appa
rence : la carte hydrogéologique de la Ville de Rabat, à savoir,
un calque au l/10.000me superposable au fond topographique
le plus récent de cette ville et une courte notice explicative.
Dans cette enquête locale et sous ce mode de présenta
tion, le C.E.E.S. a voulu montrer autour de lui comment il
entend réaliser feuille par feuille le programme qu'il s'est
assigné.
Pour 1938,
nous disposons déjà de presque tous les élé
ments qui feront l'objet de la feuille Kasba Temara,
la pre
mière à paraître autour de Rabat et nous avons mis en chan
tier la feuille Casablanca qui soulève des problèmes hydro
géologiques très différents de ceux de Rabat.

— - 112
Nous préparons entre-temps un nouveau volume de Mémoi
res pour 1937-1938 qui fera suite à ceux de 1934,
1936.
1935 et
Ces quelques indications sur notre passé et sur notre pré
sent mettent ainsi en évidence les raisons pour lesquelles le
C.E.E.S. aura pendant de longues années son rôle à jouer et
son mot à dire dans toutes les grandes questions de l'hydro
logie marocaine et ce n'est donc pas en vain que cette asso
ciation scientifique aura été reconnue d'utilité publique par
dahir du 16 février 1935.

113 -
Société d'Etudes Economiques et Statistiques
(M. Funck-Rrentano, Délégué de la Société)
La Société d'Etudes Economiques et Statistiques entre ces
jours-ci dans sa sixième année. Elle a été fondée au prin
temps 1933 par quelques personnes venues de points bien
différents : des affaires, de l'administration, des cercles
scientifiques. Etant liées d'amitié et constatant qu'un intérêt
commun les rapprochait, elles ont donné un rare exemple :
elles ne sont point entrées en lutte. Cet intérêt commun,
c'était le besoin de connaître et de publier en temps oppor
tun les statistiques de bonne foi sur l'évolution économique
du Maroc, d'éclairer ces chiffres, ces cartes et ces graphiques
par des commentaires autorisés. Ainsi, le Bulletin Economi
que du Maroc, qui est resté, depuis sa création, fidèle au
visage que lui a donné son rédacteur en chef, M. René
Hoffherr, n'est pas seulement l'organe de la Société, il est
sa raison d'être. Les services, publics ou privés,
manqué à leur promesse de fournir,
n'ont pas
par le canal du Bulletin
Economique, à ceux qu'intéresse la vie économique et sociale
du Maroc, la documentation utile. La part de collaboration de
ces fonctionnaires —
considérable.
ceux
que le monde nous envie —
est
C'est à la partie proprement rédactionnelle du Bulletin
que se marquent le plus visiblement les préoccupations de la
Société d'Etudes Economiques et Statistiques. Celles-ci, depuis
un an. se sont plus spécialement orientées vers l'étude d'une
organisation économique du Maroc conforme au plan impé
rial des besoins de la France, d'une part,
vers l'analyse des
conditions de vie des travailleurs indigènes et les possibilités
de rénovation de leurs institutions économiques, d'autre
part.
La première de ces
préoccupations a notamment inspiré les
articles consacrés par MM. Clariond et Rondon aux mines de
plomb, de zinc et de cobalt du Maroc français,
et celui de
M. Lesage sur les engrais phosphatés du Maroc au service
des colonies françaises. Mais c'est l'économie et la sociologie

- 114
-
indigènes qui ont inspiré le plus grand nombre d'études. Dans
ses quatre derniers numéros, le Bulletin Economique a publié
les éléments de la thèse que M. Ray vient de consacrer aux Ma
rocains en France, les conclusions de l'enquête de M. Colombais
sur les coopératives indigènes, les travaux de M. Prosper
Ricard sur les corporations et sur le problème du cuir, les ré
flexions de M. Roger Moris sur l'artisanat et sur le déséquilibre
de l'économie indigène en 1937, les articles de M. Le Coeur sur
les métiers et classes spéciales et spécialement sur les
pêcheurs d'Azemmour, de M. Duplessis-Hergomard sur l'évo
lution des indigènes en Kabylie, de M. Olivier sur la répar
tition des tribus et de la propriété dans la banlieue de Mek
nès, de MM. Rahnini et Lucas sur les budgets citadins à
Fès, de M. Truchet sur la propriété paysanne au Maroc, de
MM. Raron et Mathieu sur les budgets des travailleurs indi
gènes. Citons, d'autre part, les travaux de M. Philippe
Valent sur la répartition des propriétés au Maroc et de
M. Robert Montagne sur la formation des spécialistes d'affai
res musulmanes.
Cette liste de quelques-uns de ses principaux collabora
teurs pour l'année écoulée montre que la Société d'Etudes
Economiques et Statistiques fait largement appel à la contri
bution des artisans mêmes de l'œuvre marocaine : contrô
leurs civils, officiers d'affaires indigènes, magistrats, hom
mes d'affaires,
ingénieurs. C'est ainsi qu'elle s'efforce de rem
plir l'un des rôles d'une Société savante, qui est d'attirer
ceux que leurs carrières ne vouent pas aux travaux scienti
fiques;
vers des préoccupations gratuites sinon désintéressées.

- 115
Société de Géographie du Maroc
(M. Célérier, Secrétaire général)
Le dialogue du docteur Tant Pis et du docteur Tant Mieux
est éternel et les absurdités que Voltaire, avec une malignité
trop facile, prête à Pangloss, n'empêchent heureusement pas
les gens sains de corps et d'esprit, de trouver quelque conso
lation malgré les pires revers. Permettez-moi de vous rappe
ler que notre Société,
en plus de la bonne humeur et de la
confraternelle amitié de ses membres, possède dans son objet,
l'étude de la géographie et de l'Empire fortuné, les raisons les
plus solides d'une vue optimiste des choses.
Cet optimisme confiant nous l'avons opposé à tout ce qui,
soit dans la vie intérieure de notre Société, soit dans ses rap
ports avec le monde des travailleurs intellectuels, soit dans
son activité scientifique, aurait pu nous décourager. Ce n'est
pas une simple formule. L'optimisme nous a suggéré quel
ques décisions héroïques qu'un comptable strictement ortho
doxe trouverait imprudentes.
Nous avons dû déménager. Le petit appartement que nous
occupions à la Rourse de Commerce était une hospitalité à
peu près gracieuse que la Chambre de Commerce de Casa
blanca avait bien voulu nous accorder jadis sur l'interven
tion du Maréchal Lyautey. Comme l'immeuble n'est pas exten
sible et ne peut suivre le développement de Casablanca, M. le
Président de la Chambre de Commerce nous a demandé de
remettre le local à sa disposition,
en échange d'un autre plus
petit encore. Malgré l'ingéniosité de notre dévoué Vice-Pré
sident M. de Mazieres et la bonne volonté d'un de nos collè
gues qui a remis de l'ordre dans la Ribliothèque,
notre nou
velle installation est peu confortable : pour consulter sur
place notre documentation sur le Maroc, il faut une ferveur
géographique peu ordinaire.
Cette aventure qui fait
quelque peau de chagrin,
petit,
ressembler notre place au soleil à
a pour moralité : «Plus l'on est
plus on est exposé à être rapetissé ». Il faut donc réa
gir. Nous avons besoin du local de la Rourse de Commerce

- 116
-
comme Siège social, comme lieu de nos réunions,
pour nos
archives et notre réserve de Rulletins : nous le conserverons
donc. Pour que notre Ribliothèque puisse être utilisée moins
inconfortablement,
tion de M. Dupré,
nous avons décidé d'accepter la proposi
Conservateur de la Ribliothèque munici
pale. Notre collègue, que nous remercions, veut bien abriter,
dans une salle spéciale, nos livres. Dans la plupart des gran
des Ribliothèques, il existe de même, des collections particu
lières conservant une certaine autonomie. Rien entendu,
l'accès au fonds de 1a Société sera réservé, comme jadis, aux
membres porteurs de leur carte. Cette solution a de sérieux
avantages : la Ribliothèque sera ouverte, chaque jour,
à nos
membres et dans des conditions plus agréables que jadis.
Nous avons pensé que, malgré nos difficultés budgétaires,
nous ne devions pas reculer devant la légère augmentation
de dépenses représentée par cette double installation, qui
augmente nos moyens d'être utiles.
Les relations scientifiques de notre Société ont eu en 1937
une activité particulièrement intense. Cette constatation
mérite d'être soulignée ; elle prouve qu'en dépit des embarras
de tout ordre, pécuniaires ou moraux, le monde de ceux qui
trouvent que l'effort intellectuel et la recherche désintéressée
donnent à la vie tout son sens, reprennent courage et s'adap
tent à l'agitation désordonnée de notre époque. Il faut vivre
avec son mal et avec son temps.
La Fédération des Sociétés Savantes de l'Afrique du Nord,
à la fondation de laquelle nous avons participé, a tenu son
troisième Congrès annuel à Constantine, du 30 mars au
1er
avril 1937. Malgré la distance, un nombre important de
représentants de toutes les disciplines, assistaient à la réu
nion. Avec les délégués d'autres groupes marocains, votre
Secrétaire général qui vous représentait officiellement, a fait
décider que le Congrès de 1938 aurait lieu au Maroc. Mais la
nécessité d'obtenir l'appui des Services de la Résidence a fait
choisir Rabat. Lorsque les autorités de Casablanca auront
compris le rôle que pourrait jouer notre Société, peut-être
l'aideront-elles à mener une existence moins précaire.
Sur l'initiative de l'Institut des Hautes Etudes Marocaines,
un autre Congrès, consacré à l'étude de la montagne maro-

- 117
—
caine, a eu lieu à Rabat, les 13-15 mai 1937. Quelques-unes
des communications les plus importantes ont été présentées
par des membres de notre Société. Après entente avec le
Conseil d'Administration de l'Institut des Hautes Etudes, un
certain nombre de travaux consacrés à des problèmes géo
graphiques spéciaux, seront publiés par nos soins dans la
Revue de Géographie Marocaine.
Notre Société a naturellement éliminé toute question poli
tique. Mais nous ne saurions considérer comme tel le sort des
Colonies françaises. On sait la menace que fait peser sur
notre Afrique les revendications allemandes. Un Comité a
pris à Paris l'initiative de présenter un vœu au Gouverne
ment,
en faveur de la conservation de nos territoires afri
cains, mandats de la S.D.N. compris. Sollicité, le Conseil de
notre Société a donné son adhésion et envoyé une étude pour
la justification de notre point de vue.
Le Maroc, malgré ses embarras actuels, inspire toujours
le plus vif intérêt à l'étranger. Une bonne preuve,
autres,
entre cent
c'est le nombre de publications de tous les pays qui
nous demandent l'échange avec la Revue de Géographie
Marocaine. Les échanges acceptés sont déjà si nombreux que
nous sommes obligés de décliner les nouvelles offres dont
quelques-unes sont intéressantes : il y aurait lieu de procé
der à une révision et à une sélection.
Nous avons eu la grande satisfaction de constater que la
presse marocaine avait remarqué et apprécié notre effort pour
renouveler notre Rulletin, la Revue de Géographie Marocaine,
dans la forme et dans le fond. Rendons hommage à M. le
Capitaine Délaye, notre Collègue et Secrétaire,
qui a été le
magicien de ce rajeunissement. La Revue n'a pas seulement
changé de robe : une illustration cartographique et photogra
phique plus abondante et plus soignée,
des articles plus variés
s'ëtendant à toutes les manifestations de la vie marocaine,
ont amélioré à la fois la présentation et l'intérêt. Pour réali
ser cette amélioration,
résultat plus que nos moyens financiers.
Dans ces dernières années,
concours financier de la Résidence,
nous avons considéré l'importance du
nous avons vu diminuer le
alors que les frais
d'impression haussaient dans des proportions effrayantes.

- 118
-
C'est pourquoi nous avions dû nous limiter à trois numéros
seulement dans l'année. Mais la rupture d'équilibre va s'ag
graver cette année. Serons-nous dans l'obligation de nous
réduire encore,
ce qui risquerait de provoquer des protestations
et des défections parmi nos collègues. Pour éviter cet affai
blissement de notre vitalité, nous avons décidé de revenir en
1937 à une publication rigoureusement trimestrielle, et le
quatrième numéro de l'année a été particulièrement soigné.
Nous avons pu engager cette dépense,
qui dépasse nos recet
tes normales grâce à un petit fonds de réserve reporté cha
que année au bilan. Pour les années à venir, il nous faut
évidemment trouver un moyen d'augmenter nos ressources ;
mais il l'aurait fallu de toute façon sous peine d'une asphyxie
progressive. Nous avons eu la récompense immédiate de notre
effort et la preuve que nous étions dans la bonne voie. Le
nombre des membres s'est accru très sensiblement, et si ce
courant d'adhésions nouvelles s'amplifiait, nous aurions ainsi
la meilleure solution de nos embarras, puisque l'augmenta
tion des cotisations signifierait en même temps un plus grand
rayonnement scientifique, ce qui est notre désir essentiel. Le
plus sûr moyen d'inspirer confiance aux autres, c'est évidem
ment d'avoir d'abord confiance en soi, nous voulons dire dans
notre Société et dans le Maroc.

119
Société des Sciences Naturelles du Maroc
(R. G. Werner, Secrétaire général)
La Société des Sciences Naturelles du Maroc, fondée en
1920,
a fait paraître depuis cette année les Archives Scienti
fiques du Protectorat français comprenant des mémoires, des
bulletins, des variétés scientifiques et des comptes rendus men
suels ; elle en est actuellement au tome 18 de ses bulletins
et à son 45° mémoire.
Le nombre de ses membres, initialement de 14, n'a cessé
de s'accroître rapidement ; il oscille actuellement autour de
300, et les séances mensuelles,
grâce au dévouement de notre
actif Président, M. Roudy, Directeur des Eaux et Forêts, sont
très suivies par des auditeurs de plus en plus nombreux, ce
qui s'explique aussi par l'intérêt que suscite la variété des
sujets scientifiques traités dans tous les domaines. En outre
des séances extraordinaires ont été tenues cette année par
des chargés de missions du Gouvernement français ou des
savants étrangers : conférences de M. Vassy sur « l'Ozone de
l'atmosphère », de M. Pérès sur « la Faune des cours d'eaux du
Moyen-Atlas », enfin celle de M. le Professeur H. del Villar,
de l'Institut National d'Agronomie forestière de Madrid, sur
« la Science du sol ».
Des excursions scientifiques ont lieu régulièrement et
sont très suivies. La dernière, fin 1937,
l'étude des champignons.
a été consacrée à
Les séances mensuelles ont porté sur les principaux sujets
suivants :
Botanique :
M. Challot : Déboisement et régime pluviométrique à Safi.
M. Charnot : Toxicologie marocaine.
MM. Carle et Miège : Observations sur les sols et relations
de la Pédologie et de la génétique.
MM. Malençon et Delécluse : Flore mycologique autom
nale de la région d'Azrou. —
Observations
mycologiques.
M. Werner : Présentation d'un travail de Mme Werner sur
les Algues des Lichens isolées en culture pure. —
logique des Cédraies de la région d'Ifrane.
Flore
myco

Zoologie :
120
M. J. de Lépinay : Raguages d'oiseaux au Maroc. —
du Toubkal ; mission zoologique en Mauritanie.
M. L. Pérès : Pisciculture marocaine.
Géologie :
Faune
M. J. Marçais : Constitution et comportement du socle anté-
triasique du Rif oriental.
M. le Dr Russo : Observations géologiques sur le quater
naire atlantique.
M. Gubler : Etude lithologique et stratigraphique du grès
du Zerhoun.
Météorologie :
M. G. Roux : Sur la propagation de la houle.
En dehors de ces conférences et communications verbales,
la Société a publié, durant l'année 1937, dans ses Rulletins,
les travaux suivants :
Botanique :
MM. Delécluse R. et Malençon G. : Champignons pathogè
nes observés au Maroc.
M. Emberger L. : Matériaux pour la Flore marocaine (7).
MM. Emberger et Maire : Matériaux pour la Flore maro
caine (fasc. 4).
M. Malençon G. : L'Hypoxylon sertatum D.R. et Mtgn.
parasite des chênes-lièges marocains.
M. Malençon G. : Cent champignons nouveaux pour la
Flore mycologique marocaine.
M. Werner R. G. : Recherches phytogéographiques com
parées sur la Flore cryptogamique de l'Espagne méridionale
et du Maroc.
M. Werner R. G. : Essai d'une synthèse phytogéographique
des cryptogames en montagne marocaine, d'après nos con
naissances actuelles.
— Addition
Zoologie :
M. Antoine M. : Notes d'entomologie marocaine (XXV8 note).
à la faune des Carabiques du Maroc. —
XXVI"

- 121 —
note : Le genre Salubarius Esc. —
XXVIIe
note : Alphasida
nouvelles du Maroc ; tableau de détermination des Glabrasida
fortitertricus tatœ.
M. Renoist : Hyménoptères mellifères nouveaux du Maroc.
M. Rleton C. : Note sur Pachytychius strumarius Gyll,
parasite du pois au Maroc.
M. Gauthier H. : Euphyllopodes et Cladocères continen
taux récoltés par Th. Monod au Sahara occidental et en
Mauritanie.
M. Hustache A. Nouveaux curculionides du Maroc.
M. Jourdan M. : Observations sur la biologie de la Cécydo-
mie destructive (Mayetiola destructor)
au Maroc.
M. Laurent (Docteur) : Une forme nouvelle de la souris
ovaré : Mus musculus L. au Maroc oriental.. —
Une
chauve-
souris nouvelle pour le Maroc, Nyctalus noctula Sch. à Rabat.
— Présence
au Maroc d'une chauve-souris ibérique.
M. J. de Lépinay : Présence au Maroc d'un rongeur appar
tenant au genre Acomys.
MM. J. de Lépinay et F. Nemeth : Raguages d'oiseaux effec
tués ou contrôlés par la Station ornithologique de l'Institut
Scientifique Chérifien pendant l'année 1936.
M. Mimeur J. M. : Aphididœ du Maroc. IXe et Xe notes. —
Contribution à l'étude de la faune entomologique du Moyen
Atlas.
M. Rungs Ch. : Un nouvel ennemi du chêne-liège au Maroc.
Enfin deux mémoires :
1) N° 44 : Mémoire de Physique du Globe et de Météoro
logie au Maroc.
2) N° 45 : Maire-Werner : Catalogue des champignons du
Maroc (à l'impression).
La Société des Sciences Naturelles échange ses publications
avec 132 Sociétés étrangères du monde entier.

Fès,
- 122 -
Société « Les Amis de Fès »
(M. Rressolette, Secrétaire général)
Avant de résumer l'activité de l'Association des Amis de
je crois utile de vous faire un historique rapide de ce
groupement,
puisque c'est la première fois que notre Asso
ciation a l'honneur d'être représentée à un Congrès des Socié
tés Savantes.
En octobre 1932, 24 personnes qui s'intéressaient à la vie de
Fès jetèrent les premières bases d'une Association. Autorisée
par arrêté de M. le Secrétaire Général du Protectorat en date
dû 1er février 1933, la nouvelle Association s'appela « LdS Amis
de Fès ».
« Elle a pour but de grouper les amateurs d'archéologie,
d'histoire, de littérature et d'art et plus particulièrement ceux
qu'intéresse la vie de Fès et de ses environs. Elle a égale
ment pour objet de faciliter les travaux de tous ceux que
passionne l'histoire de Fès, de ses monuments, de ses habi
tants... Ses moyens d'action consisteront notamment à orga
niser des conférences, des expositions, des excursions de
caractère archéologique, artistique ou littéraire. » (Statuts,
art. 2 et 4).
En plus des membres fondateurs et des membres titulai
res, l'Association comprend des membres d'honneur et des
membres correspondants.
Rien que notre Association soit encore très jeune,
distinguer trois phases dans son développement :
I. —
La
on peut
première va de sa fondation à la fin de l'année
1937. Au cours de ces cinq années, l'Association, fidèle à son
programme, a organisé des excursions, des expositions, sur
tout des conférences sur les sujets les plus variés.
Voici les titres de quelques-unes de ces études :
— Visite
— Les
Marçais.
— L'Evolution
au Hammam d'Ibn Abbed, par M. Vicaire.
Chapiteaux de TIemcen, avec projections, par M. G.
artistique des jeunes musulmans, par
M. Raldoui.

— La
— La
— Etude
- 123
-
Décoration des minarets de Fès,
Philosophie de Maïmonide,
par M. Maslow.
par M. François Ronjean.
sur la corporation des potiers, sur la corporation
des tanneurs, par MM. Le Tourneau, Paye, le Capitaine Guyot
et M. Vicaire pour le côté technique.
L'Association s'est en outre occupée de la réception des
conférenciers, tels que M. Georges Duhamel, M. André Rel-
lessort, M. le Docteur Mardrus,
lors de leur passage à Fès.
Au cours de cette première phase, le principal mérite des
Amis de Fès fut à la fois d'offrir un cadre de travail à un
petit groupe de chercheurs et de procurer un public d'élite
aux conférenciers. Il y eut chaque année une moyenne de
5 à 6 manifestations, et plusieurs de ces études ont été publiées
dans la savante revue Hespéris.
II. —
Avec
l'année 1938 s'ouvre une nouvelle phase de
l'activité des Amis de Fès. Le programme de cette saison,
copieux et varié,
a valu à l'Association un rayonnement tel
que depuis le 18 décembre 1937 à ce jour, le nombre des
membres actifs a triplé à Fès. Les Amis de Fès comptent
aujourd'hui plus de 200 membres rien qu'à Fès et si l'on
ajoute à ce chiffre les membres d'honneur et les membres
correspondants,
on s'aperçoit que les Amis de Fès touchent
plus de 300 personnes tant au Maroc qu'en France et même
à l'étranger. Fait nouveau et important : Pour la première
fois depuis sa fondation, l'Association a vu venir à elle de
jeunes Marocains ;
zaine qui, pour la plupart,
Moulay Idriss.
elle en compte actuellement une quin
sont anciens élèves du Collège
En même temps qu'elle s'est développée numériquement,
l'Association s'est organisée :
1° D'abord le programme des manifestations a été centré
autour de sujets d'étude précis : c'est ainsi que nous avons eu
deux séries parallèles de conférences, l'une consacrée à
l'histoire et à l'archéologie
avec l'époque Mérinide comme
sujet d'étude, l'autre étudiant la vie d'aujourd'hui sous ses
aspects variés : à côté d'une conférence sur le Msid, sur la
Ranque à Fès avant le Protectorat, sur le commerce des tis
sus, nous trouvons des études sur les tisserands, sur Moulay

— — 124
Yacoub et la médecine arabe, etc., soit au total 12 manifes
tations dont le succès est allé croissant.
2° En second lieu le travail de recherche s'organise. Plu
sieurs équipes de travail ont été constituées :
— Une
tuel —
équipe de déblaiement —
de
déblaiement intellec
s'est attaquée à la table du Roudh El Qirtas. Cet hum
ble travail de classement sur un ouvrage primordial pour
Fès rendra sans aucun doute les plus grands services à ceux
qui s'intéressent à l'histoire de la ville.
— Une
deuxième équipe est l'équipe d'investigation, ou
plutôt les équipes, car il y en a actuellement deux au travail
dans ce domaine, l'une sur un sujet archéologique et histori
que : « Sources et fontaines de Fès », l'autre sur un sujet
actuel et vivant : « L'Activité économique de la Médina de
Fès en 1937».
Un plan d'ensemble a été tracé et déjà une trentaine de
personnes groupées en sous-commissions se livrent à une
enquête approfondie sur les différents modes de l'activité
économique de la ville arabe.
— Une
équipe de traduction est en formation et entamera
prochainement la traduction d'un ouvrage important dans
l'histoire de Fès.
—
octobre.
Enfin,
Tous ces travaux,
une équipe de fouilles sera mise sur pied en
toutes ces recherches seront publiés dans
le Bulletin des Amis de Fès ou conservés aux archives. Il est
intéressant de constater que toutes ces études se font en
étroite collaboration avec l'élément marocain. Il ne s'agit
nullement d'une collaboration à vide, laissant la porte ouverte
à toutes les aventures, mais d'une collaboration sérieuse, orga
nisée et dirigée, d'une collaboration dans le travail.
3° La participation des Amis de Fès à ce Congrès, bien que
décidée trop tard pour que le titre des communications ait pu
figurer sur le programme imprimé, s'est manifestée par cinq
communications :
Section de sociologie : « Le bréviaire de la mariée », étude

— 125 —
sur les cérémonies du mariage berbère, par Si Lakhdar, Pro
fesseur au Collège Moulay Idriss.
Section de préhistoire : « Le Cimetière de Sidi Messaoud »,
par le Docteur Secret.
Section d'archéologie préislamique : « La Ségui el Youdi »,
adduction d'eau potable à Moulay Yacoub, par le Docteur
Secret.
Section d'archéologie musulmane : 1)
« Etude sur un Heri :
Habs Zebbala de Fès-Djedid», par M. Delarozière, archi
tecte,
2)
pensionnaire de la Casa Velasquez.
« La Grande Noria et l'aqueduc du vieux méchouar à Fès-
Djedid», par MM. Delarozière et Rressolette, professeur
agrégé au Collège Moulay Idriss.
Au prochain Congrès,
duelles,
études collectives de nos équipes.
en plus des communications indivi
nous espérons pouvoir vous présenter le résultat des
4° En même temps les archives se constituent. Pour toutes
les études et conférences le principe du double dépôt est
admis, un exemplaire ne quittant jamais les archives, l'autre
étant destiné au prêt. Nous espérons bientôt communiquer un
inventaire de nos richesses et nous nous ferons un plaisir
d'ouvrir nos archives à tous les chercheurs.
Les archives photographiques se grossissent tous les jours.
Un exemple suffira à vous montrer combien elles seront pré
cieuses. Sans les archives des Amis de Fès, il ne resterait
bientôt plus aucune trace du Dar Raroud, ancien arsenal
mérinide qui va être démoli pour faire place à une école. Mais
les plans et les photographies conservés dans nos archives
constitueront une documentation unique sur ce monument
pour les chercheurs à venir.
L'idée de constituer aussi des archives cinématographiques,
destinées à fixer la technique de certains métiers en voie de
disparition n'est pas exclue de nos préoccupations.
Tel est le stade auquel est parvenue l'Association des Amis
de Fès au cours de la deuxième phase de son développement.
J'ajouterai que la situation financière est extraordinairement
florissante et cela grâce aux seules cotisations de nos mem
bres.

III. —
Pour
— — 126
brillant que soit ce développement, je suis
loin pour ma part de penser qu'il soit parvenu à son terme ;
tout au contraire, il n'en est qu'à ses débuts. Loin de se res
serrer, l'Association doit étendre son rayonnement. Dans un
très proche avenir, je la vois très bien composée de la façon
suivante :
1° Une Section savante, centre de recherches sérieuses qui
poursuivra, en collaboration étroite avec l'élément marocain,
la prospection méthodique de Fès dans tous les domaines.
2°
Une Section de vulgarisation intellectuelle, mettant à la
portée du grand public fassi les résultats des recherches de
cette Section savante. A aucun prix Les Amis de Fès ne doi
vent négliger ce rôle qui est de la plus haute importance au
point de vue social, car il est plus que jamais intéressant de
grouper dans une même salle à l'occasion d'études désintéres
sées, aussi bien l'élite intellectuelle de la population française
de Fès que d'établir une interpénétration de l'élément maro
cain et de l'élément français. 11 ne saurait en résulter, de part
et d'autre,
qu'une meilleure compréhension. Déjà on peut
remarquer les heureux effets de cette communion intellec
tuelle.
3° Le rôle du Conseil des Amis de Fès ne devra pas se bor
ner à imposer à l'Association une direction énergique, barrant
résolument la porte à toute intrusion politique, mais encore
devra tirer des résultats de ses recherches des suggestions
d'ordre pratique. Si par exemple, des études faites sur Fès
découlent des suggestions heureuses en matière d'urbanisme
par exemple, les Amis de Fès se doivent de les signaler aux
autorités compétentes en les abandonnant généreusement à la
collectivité,
réalisation.
mais sans intervenir en aucune manière dans la
Je suis persuadé que si les Amis de Fès restent fidèles à
ces directives, si leur activité se maintient désintéressée, s'ils
se développent comme groupement accueillant, généreux, lar
gement humain et compréhensif, non seulement ils verront
leur travail de recherche s'intensifier, leur rayonnement
s'accroître et leur position morale se fortifier, mais encore ils

— 127 —
joueront au point de vue social un rôle original dont nous
souhaitons vivement que les autres villes du Maroc suivent
l'exemple.
Permettez-moi, en terminant cet exposé,
d'adresser nos vifs
remerciements à la Fédération qui a bien voulu accueillir
dans son sein le jeune groupement des Amis de Fès, et
d'émettre le vœu que le jour où la Fédération décidera de
se réunir à nouveau au Maroc, Fès soit choisie comme siège
du Congrès.

- 128 -
Suite donnée
aux VŒUX adoptés par le Congrès
de Constantine (1937)
VOEU demandant que l'attention des Maires soit attirée
sur l'intérêt que présentent les dénombrements municipaux
ainsi que les états récapitulatifs et les listes nominatives qui
y
— de
sont joints.
Réponses :
M. le Préfet d'Alger :
Les documents en question sont centralisés au Service de
la Statistique du Gouvernement Général qui publie chaque
année un volume contenant tous renseignement utiles.
— de
MM. les Préfets d'Oran et de Constantine :
L'attention des Maires a été attirée sur cette question.
VOEU demandant que soit activée la mise en valeur des
richesses hydro-minérales de l'Algérie en général et du dépar
tement de Constantine en particulier.
Réponse de M. le Gouverneur Général de l'Algérie (Direc
tion de la Santé Publique) :
Un très gros effort a été fourni par l'Administration à
l'effet, d'une part, d'organiser l'exploitation rationnelle des
sources importantes telles que celles d'Hammam-Melouane ou
de Rou-Hanifia, d'autre part, de permettre aux populations
locales de faire usage des sources d'un intérêt moindre et
non susceptibles d'un développement considérable.
De plus, un projet de décret qui a reçu un avis favorable
de la Commission consultative d'hydro-climatologie d'Algérie
et de l'Académie de Médecine prévoit toutes les mesures con-

- 129
-
cernant l'autorisation d'exploiter, la surveillance des sources
et l'établissement d'un périmètre de protection et donne au
Gouverneur Général, en ce qui concerne les sources secondai
res,
certains pouvoirs de décision que possède en la matière
le Ministre de la Santé publique.
VOEU demandant que la « misérable » plaque de marbre
commémorant la « magnifique » donation à la Nation Fran
çaise du palais de Hadj Ahmed soit remplacée par un monu
ment avec inscriptions en latin, en français et en arabe.
M. le Président du Syndicat d'Initiative de Constantine pro
teste contre le qualificatif « misérable » et fait connaître que
le Conseil d'Administration de l'ESSI sera saisi de la ques
tion.
VOEU (émis en 1936 par le Congrès de TIemcen) demandant
à nouveau que le classement des sites tlemcéniens énusmérés
soit fait sous la seule réserve que toute construction ou recons-
tion d'immeuble envisagée ne soit réalisée qu'après approba
tion des plans par la Commission départementale des Sites et
des Monuments naturels.
M. le Vice-Président de la Commission départementale des
Monuments naturels et des Sites d'Oran fait connaître qu'en
raison de l'insuffisance de la législation actuelle, il y aurait
lieu de prévoir la promulgation d'un texte nouveau.
VOEU demandant que la mosaïque romaine représentant
des amazones, qui se trouve dans un escalier de la Préfecture,
soit transportée au Musée Gustave Mercier.
M. le Préfet de Constantine fait connaître qu'il n'est pas
possible d'enlever de la Préfecture son principal ornement.
VOEU demandant que les inscriptions romaines encastrées
dans le mur de façade de la Qasba soient dégagées des édicu-
les qui en rendent l'abord impossible.
tine.
La question sera soumise au Conseil Municipal de Constan

— — 130
VOEU demandant qu'un Musée archéologique soit installé à
Bône afin d'y abriter les statues, les mosaïques et tous vestiges
découverts au cours des fouilles de l'antique Hippo-Regius.
M. le Maire de Rône fait connaître que dans sa séance du
26 novembre 1937,
le Conseil Municipal a émis le vœu qu'il
soit procédé d'urgence à la construction d'un Musée à Rône.
VOEU demandant que soit apposée sur un des monuments
de La Calle une plaque commémorative rappelant le séjour
dans cette ville des naturalistes Peysonnel, de l'abbé Poiret et
de Henry de Lacaze-Duthiers, séjour remontant pour le pre
mier à plus d'un siècle avant l'installatum de la France en
Algérie.
M. le Maire de La Galle fait connaître que « la situation
budgétaire très mauvaise de la commune n'a pas permis au
Conseil Municipal de pouvoir envisager cette dépense ».
VOEU demandant qu'un Hôtel des Sociétés Savantes soit
édifié à Constantine.
tine.
La question sera soumise au Conseil Municipal de Constan
VOEU demandant que la statue de la Dame romaine de Dje
mila transportée dans l'ancien palais du Dey
devenu le palais
de la Division de Constantine, soit déposée dans un Musée (de
préférence celui de Djemila) et qu'un moulage soit déposé au
palais de la Division.
M. le Général commandant la Division de Constantine fait
connaître que « cette statue est l'objet des soins les plus atten
tifs et qu'à son avis, elle est dans son emplacement actuel plus
à portée du public qui visite en nombre l'ancien Palais du
Rey,
qu'elle ne le serait au Musée de Djemila ».
VOEU constatant que les décrets du 11 juillet 1936 et du
16 janvier 1937 relatifs à la répression de l'usure en Algérie
réalisent une réforme nuisible à tous sans être vraiment bien
faisante pour personne, et demandant qu'ils soient abrogés

- 131
—
purement et simplement et qu'une législation réalisant vérita
blement une répression efficace et pratique de l'usure, sans
nuire aux personnes de bonne foi, soit mise à l'étude.
L'Administration a fait procéder par le Parquet général et
par les Directeurs des Domaines d'Alger,
d'Oran et de Cons
tantine à une enquête dont les résultats seront portés à la con
naissance de la Fédération.

- 132
VŒUX
adoptés par le Congrès de Rabat
PREMIER VOEU
Que l'état civil au Maroc et en Tunisie soit adapté pour rece
voir les déclarations des mariages, des divorces,
des répudia
tions en une forme locale coutumière et pour rendre obligatoire
la déclaration de ces actes pour les Algériens en résidence
dans les Protectorats.
DEUXIEME VOEU
Qu'il soit rappelé aux agents administratifs et judiciaires
du Maroc et de la Tunisie que l'Algérien a un nom patronymi
que qui se place en tête, suivi du ou des prénoms.
TROISIEME VOEU
Que les Tunisiens établis au Maroc soient tenus de déclarer
les naissances et les décès de l'Etat Civil, alors qu'à l'heure
actuelle, en leur qualité d'étranger, ils ne sont tenus de les
déclarer qu'aux Services de police.
QUATRIEME VOEU
Qu'il soit envisagé au Maroc de rendre obligatoire comme
en Tunisie, les déclarations des naissances et des décès peur
lès indigènes, en procédant progressivement, circonscription
par circonscription.
(Vœux émis par la Section tie Droit et de Législation).

— 133
CINQUIEME VOEU
Considérant qu'Alger, capitale d'un pays neuf, riche en
documents relevant des diverses disciplines des Sciences Natu
relles, ne possède pas encore de Muséum,
Que, par suite, des collections privées de premier ordre
quittent l'Algérie et sont dispersées au grand désavantage des
travailleurs.
Le Congrès émet le vœu que l'attention des Pouvoirs publics
intéressés soit attirée sur l'urgence qu'il y a à voir créer à
Alger le Muséum d'Histoire Naturelle qui s'impose.
(Vœu émis par la Section des Sciences).
SIXIEME VOEU
Le Congrès demande que les Pouvoirs publics veuillent
bien faire augmenter les disponibilités budgétaires des Servi
ces archéologiques, pour les travaux devenus nécessaires en
présence de l'ampleur des découvertes réalisées et de l'intérêt
scientifique et touristique de la tâche poursuivie.
SEPTIEME VOEU
Que les Congrès futurs consacrent plus de temps à l'étude
des Musées et des chantiers de fouilles.
(Vœux émis par la Section d'archéologie préislamique).

du siège du Ve
- 134
Désignation
Congrès de la Fédération
et Election du Bureau pour 1939
Le cinquième Congrès devant avoir lieu à Tunis la semaine
après Pâques qui tombe le 9 avril 1939,
de cette ville proposent,
les Sociétés Savantes
comme Président de la Fédération et du Congrès de Tunis :
M. Charles Saumagne, Directeur de l'Administration dépar
tementale et communale, Président de l'Institut de Carthage,
Membre du Comité de Direction de la Revue Tunisienne ;
comme Secrétaire du Congrès :
M. Calvet, Professeur au Lycée Carnot à Tunis,
et comme Secrétaire adjoint :
Mlie Graf, Professeur au Lycée Armand Fallières à Tunis.
Le Secrétaire général de la Fédération a été réélu en 1937
pour trois ans. Ses pouvoirs expireront donc en 1940.
*
**
D'autre part, les Sociétés Savantes adhérant à la Fédération
ont désigné pour les représenter au Rureau en 1939 :
Académie d'Hippone : M. le docteur Quintard.
Centre d'Etudes de Colonisation comparée : M. Gaffiot.
Institut d'Etudes Orientales : M. Georges Marçais.
Société Archéologique de Constantine : M. Eugène Vallet.
Société Archéologique et Touristique de Thagaste : M. Fel-
GEROLLE.
Société d'Archéologie et de Préhistoire de Tébessa :
M. Le Du.
Société de Géographie d'Alger : M. Lefèvre-Paul.

135
Société de Géographie et d'Archéologie d'Oran : M"* Vin
cent.
Société d'Histoire naturelle de l'Afrique du Nord : M. Aimé.
Société Historique Algérienne : M. Gustave Mercier.
Société Historique et Géographique de la région de Sétif :
M. Massiera.
•Société des Amis du Vieux TIemcen : M. Lecocq.
Société des Sciences Physiques et Chimiques de l'Afrique
du Nord : M. Jean Savornin.
Institut de Carthage : M. Pignon.
Société Archéologique de Sousse : M. Reygasse.
Institut des Hautes Etudes Marocaines : M. Rrunot.
Centre d'Etudes Juridiques et Administratives du Maroc :
M. Mauchaussé.
Comité de Recherches des Eaux Souterraines : M. Yova-
novitch.
Société d'Etudes Economiques et Statistiques du Maroc :
M. Hoffherr.
Société de Géographie du Maroc : M. Célérier.
Société des Sciences Naturelles du Maroc : M. Werner.
Société des Amis de Fès : M. Rressolette.
(Applaudissements).
Le Président remercie les congressistes et leur souhaite
une heureuse continuation de leur séjour au Maroc.
Il déclare clos le Congrès de Rabat.

- 136
RÉCEPTIONS ET PROMENADES
Les congressistes ont reçu au Maroc un accueil qu'ils
n'oublieront pas,
aussi bien des Pouvoirs publics que des
diverses Sociétés savantes et de leurs collègues.
M. Morize, ministre plénipotentiaire délégué à la Résidence,
qui avait tenu à honorer de sa présence la séance d'ouverture
du Congrès, a offert aux membres de celui-ci un lunch et un
déjeuner intime dans les beaux appartements de la Résidence.
A Fès, ils ont été accueillis par M. Maître,
chef des Services
Municipaux, qui, assisté de son adjoint M. Jacques Rerque,
leur a offert un lunch au Café des Mérinides, d'où la vue
embrasse l'admirable panorama de la ville. A Rabat, M. Rru-
net, chef des Services Municipaux, les a conviés à entendre
inter pocula, dans le délicieux jardin des Oudaïas, un concert
donné par l'excellent orchestre du Conservatoire de Musique
dont chaque morceau fut accompagné d'un commen
arabe,
taire fort intéressant de M. Chottin,
directeur de cet établisse
ment. A Agadir, le commandant de la place, à Mogador, le chef
des Services Municipaux et le Président du Syndicat d'Ini
tiative, à Safi, le Contrôleur civil,
venue de la façon la plus cordiale.
leur ont souhaité la bien
Raconter par le détail ce que fut ce voyage au Maroc deman
derait presque un livre. Il suffit d'ailleurs d'en indiquer les
étapes pour montrer l'ampleur et l'intérêt du programme qui
avait été établi.
Le rendez-vous initial était, le 16 avril, au petit matin, Fès, où
les congressistes furent accueillis par la jeune et vivante société
« Les Amis de Fès ». Visite de la Médina qui est un monde,
Stations au collège Moulay-Idris, au Musée de Dar Ratha, dans
ces monuments d'art que sont les médersas, dans une tannerie
aux puissantes effluves où des ouvriers appartenant à une cor
poration très fermée, travaillent les peaux dans les mêmes
lieux et suivant les mêmes procédés qu'il y a des siècles. Entre

— - 137
temps déjeuner exclusivement fasi, très réussi, à la Maison du
Touriste : bhastilla, tadgin, méchoui, couscous.
Le 17 avril, après avoir passé devant la ville sainte de Moulay
Idris, du Zerghoun, arrivée à Volubilis, où M. Thouvenot les
guida dans, leur visite de la ville romaine, puis Meknès, la ville
aux belles portes : visite entre autres, du Musée d'Art musul
man et de ce qui reste des constructions colossales (magasins,
écuries) édifiées au 17» siècle par Moulay Ismaël ; le soir,
arrivée à Rabat.
Le 18, après un pèlerinage au mausolée où repose la
dépouille mortelle du maréchal Lyautey, visite de Chella, dont
les ruines jaillissent des roses, ascension de la Tour Hassan,
qui se dresse au milieu des colonnes de ce qui devait être une
mosquée « assez grande pour qu'une armée pût y prier ». Enfin
Salé, ville paisible de bourgeois, de lettrés.
Après le congrès, commença le 21 avril l'excursion du Sud,
qui se termina le 24 : Casablanca, Marrakech, la vallée de
l'Oued N'fis, le Tizi N'test, Agadir, puis retour par la côte
(Mogador, Safi, Mazagan) à Casa, pour reprendre —
quelque regret —
le
train pour l'Algérie.
non sans
Le trajet Marrakech-Taroudant constituait la partie inédite
du programme. Après avoir suivi la vallée de l'Oued N'fis dont
les points stratégiques sont marqués par les Kasbas que l'an
cien maître du pays, le caïd Goundafi éleva au siècle dernier
pour tenir le pays dans son obéissance, on s'arrêta à Tinmel,
berceau de la dynastie almohade. Là, dans un paysage âpre
et tourmenté, se dresse une mosquée qui, restaurée par les
soins de l'Administration française,
offre des voûtes et des
arceaux d'une harmonie et d'une sobriété admirables. Après
quoi la route monte en de nombreux virages jusqu'au Tizi
N'test où la caravane déjeuna,
à 2.200 mètres. Puis descente
rapide sur Taroudant, ville exclusivement marocaine, et
Agadir.
Agadir, Mogador, Safi,
Mazagan sont des villes charmantes.
On ne peut pas ne pas insister sur l'impression causée par le
siècle,
louis-quinzième, l'ingénieur français Cornut,
port que construisit à Mogador au 18e
et le Dar el Rahar de Safi.
dans le style
et par la Kechla
Avoir organisé de façon impeccable le déplacement de

— — 138
quarante-cinq personnes sur 1.600 kilomètres, les avoir fait
transporter dans 'des cars confortables aux chauffeurs impec
cables, loger dans des hôtels tel que le Mahmounia, à Marra
kech (là tout n'est qu'ordre et beauté...), les hôtels Marhaba, à
Agadir et à Safi,
repas,
leur avoir assuré en tous lieux d'excellents
et leur avoir permis de réaliser ce voyage à des condi
tions exceptionnelles, est une réussite dont les congressistes
garderont le souvenir. Ils le doivent à M. Roudy, président de
la Fédération, qui avait pris en main l'organisation de ce
voyage à travers le Maroc, dont chaque étape apportait la
marque de sa prévoyance, et à M. Jean Marçais qui, dans
ses fonctions de secrétaire du Congrès, a montré autant
d'à-propos et d'ingéniosité que de bonne humeur à subir les
à-coups inévitables qui se produisent dans la préparation de
tous les Congrès, et à y remédier sur-le-champ.
Enfin, les congressistes ont eu la bonne fortune d'avoir de
la première à la dernière minute le guide le plus sympathique
en la personne de M. Henri Terrasse, qui les a fait profiter
pendant ce long voyage de sa connaissance sans défaut de
l'histoire et de l'art au Maroc.

COMMUNICATIONS
faites au
Quatrième Congrès
de la
Fédération des Sociétés Savantes
de l'Afrique du Nord

SCIENCES

Méthodes de diagnose spécifique
dans le genre «Triticum»
Application à l'identification de quelques blés intermédiaires
PAR
Em. miège
DOCTEUR ES SCIENCES
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES AGRONOMIQUES DE RABAT
ET
J. COURTINE
LICENCIÉ ES SCIENCES
INSPECTEUR-ADJOINT DE
L*
AGRICULTURE
AU CENTRE DE RECHERCHES AGRONOMIQUES
La systématique du genre Triticum a fait,
(1753), l'objet de très nombreuses études qui,
ont multiplié le nombre primitif des espèces,
depuis Linné
non seulement
mais ont eu
aussi pour but d'en préciser les caractères distinctifs. Leur
abondance, comme l'objet de ce travail, ne permettent pas
d'indiquer, même brièvement, les grandes lignes de ces diver
ses classifications qui, pour la plupart, reposent sur les parti
cularités morphologiques classiques de l'inflorescence et du
grain (compacité, couleur, villosité, adhérence, ornements,
etc.), tels que Jonnard [1], en particulier, les a rappelés
récemment ; elles ont, d'ailleurs,
fait l'objet d'une intéressante
étude critique par le Professeur Rlaringhem [2] .

Toutefois,
144
ces caractères que l'on peut qualifier de « primai
res », n'ont pas paru suffisants
tion des variétés
— et
— au
moins pour l'identifica
un certain nombre d'auteurs se sont
ingéniés à les compléter par la découverte de détails de struc
ture, que l'on a appelés fins ou « secondaires », comme la
forme, les empreintes et les ponctuations des glumes et des
glumelles, les dimensions, allure et section des barbes, la fra
gilité, la largeur, les poils du rachis, la forme du bourre
let, etc.. D'autres ont imaginé de représenter l'épi des céréales
par une figure géométrique typique et ont créé ainsi la sta-
chymétrie.
On a également examiné la forme et, surtout, les dimen
sions des grains : longueur, largeur, épaisseur, ainsi que les
rapports qu'elles ont entre elles, puis leur faculté et leur
énergie germinatives, leur pouvoir absorbant dans des solu
tions sucrées, les différences qui peuvent exister entre leurs
amidons et leurs téguments et, aussi, leur coloration dans
certains réactifs, tels que le phénol, etc..
Les caractères végétatifs —
tile jusqu'à la plante entière. —
depuis
le germe et la coléop-
en passant par ceux des diver
ses feuilles et de leurs annexes (gaine, stipules), des nœuds
et des entre-nœuds, des ornements épidermiques sans omettre
les particularités biologiques (longueur des divers stades de
végétation, précocité, résistance aux ennemis et maladies,
etc.), ont été, comme la structure anatomique, utilisés à leur
tour, sans parler de la sérologie, de la chlorophylle, de l'hybridologie,
etc..
Rien que cette énumération soit très incomplète, elle montre
les efforts des systématiciens et des sélectionneurs pour
résoudre un problème, dont elle révèle également la com
plexité, mais qui n'en présente pas moins un réel intérêt théo
rique et pratique, soit qu'il s'agisse d'identifier avec certitude
un type quelconque de blé, soit de constater sa pureté botani
que, soit même d'en caractériser les produits industriels
(farine). Le diagnostic est souvent difficile, et cette constata
tion n'est pas faite pour surprendre, car chacun sait que tou
tes les classifications sont conventionnelles et que, d'autre
part, l'ensemble des individus d'un même genre forment
une série continue avec de nombreux termes de passage, qui

T. inilgiire Tu. Huriim
1491 —
1758
—
19.H5
—
0.592 11593

1993 —
1440
--
1566
—
1433
—
1451
1444 —
1673
0599 —
1749
—
1679

— 145 —
participent, ou peuvent participer,
des caractères des espèces
qu'ils chevauchent. La notion, aujourd'hui de plus en plus
répandue,
de l'origine hybride d'un grand nombre d'entre
elles, de même que l'utilisation de plus en plus large des croi
sements artificiels, expliquent encore mieux la présence, dans
la nature et, à fortiori, dans les cultures, de formes k inter
médiaires » qui, comme leur nom l'indique, ne répondent pas
exactement aux critères spécifiques et s'éloignent plus ou
moins d'un certain nombre d'entre eux. Ces types intermé
diaires —
que
nous avons aussi appelés litigieux —
ont
été
reconnus et signalés de plus en plus fréquemment ; tels sont
les blés speltoïdes, durelloïdes, tendroïdes qui, sans constituer
des chimères, possèdent simultanément les particularités typi
ques de deux et, parfois même, de plusieurs espèces. Nous en
avons indiqué d'assez nombreux exemples dans la descen
dance d'hybrides interspécifiques artificiels [3] que nous
avons obtenus à Rabat et, dès 1922,
cains [4].
parmi les blés maro
II était à prévoir que l'introduction de ces formes spéciales
dans la taxonomie générale du genre présenterait de réelles
difficultés et qu'elle exigerait l'utilisation de plusieurs métho
des d'investigation. C'est précisément l'étude de ces divers pro
cédés, de leur valeur, et des résultats que chacun d'eux per
mettrait d'obtenir, que nous avons tenté de résumer briève
ment dans cette note sommaire,
en les appliquant à une quin
zaine de blés tirés de nos collections vivantes et dont, faute
de place,
nous nous sommes borné à résumer les caractères
dans les tableaux ci-joints.
L'anatomie comparée,
la systématique générale,
des Triticum. Cependant,
la structure de ce genre,
Caractères anatomiques
qui a rendu de grands services dans
devait offrir ses ressources à l'étude
peu d'études ont été entreprises sur
en dehors de celle de L. Rlaringhem
et E. Miège [S]. Abstraction faite des conclusions d'ordre
général auxquelles elle a abouti,
et ne considérant que les
différences qu'elle a relevées dans la morphologie interne des
diverses espèces,
elle a confirmé les faits observés par le
10

Professeur Rlaringhem [6]
— - 146
homogènes ou hétérogènes, et permis —
tion —
tout au moins leur groupement.
concernant l'existence d'espèces
sinon leur classifica
Elle a montré également qu'il existe des particularités assez
nettes dans les types considérés et, notamment :
a) que les faisceaux libéro-ligneux sont toujours disposé.*,
à la base du chaume, sur deux ou plusieurs rangées, dans
T. monococcum, souvent dans T. dicoccum et parfois, seule
ment, dans T. vulgare et T. turgidum, alors qu'ils ne forment
jamais qu'une seule rangée dans T. durum, T. spelta et T. com
pactum.
— aussi
b)
que le tissu conjonctif est constamment collenchymateux
bien au sommet qu'à la base des tiges —
dans
T. compactum et T. spelta, alors qu'il est parenchymateux
dans T. monococcum, T- dicoccum et T. durum.
c) que,
d'une façon générale
— mais
avec des exceptions
que nous avons trouvées ultérieurement assez nombreuses —
T. compactum, spelta et vulgare avaient une paille creuse,
alors que chez T. dicoccum, durum et monococcum, elle était
demi-pleine à la base et pleine au sommet.
d)
des variétés de même origine et au même état de développe
que T. durum constitue un groupe très homogène (pour
ment), avec 16-20 faisceaux à la base et au sommet, tandis
que T. vulgare est très hétérogène et contient habituellement
24-32 faisceaux à la base et 18-28 au sommet, c'est-à-dire un
nombre généralement beaucoup
plus élevé.
L'examen de ces divers caractères nous a malheureuse
ment révélé que, dans le cas particulier des blés litigieux con
sidérés ici, il ne pouvait être que d'un secours insuffisant, et
que ces caractères participaient fréquemment de ceux de plu
sieurs espèces, et même de plusieurs groupes, ainsi que le mon
trent les tableaux et les photographies ci- joints. En effet, on
voit entre autres que les faisceaux libéro-ligneux (surtout se
condaires) des échantillons à 28 chromosomes ne présentent
pas les piliers sclérenchymateux typiques, que l'on retrouve,
par contre, dans les échantillons à 42 chromosomes, où le
parenchyme tend, de son côté, à occuper toute la partie cen
trale de la tige, comme dans les blés durs.

CARACTERES ANATOM1QUES DE LA TIGE DE QUELQUES 1JLÉS TYPES ET INTERMÉDIAIRES
Type Yulgtire Blé litigieux 1491 (42 ch.)

a) Coléoptile. —
- 147
-
Caractères de la plante verte
Percival
[7]
a appelé l'attention sur les
particularités de la coléoptile des Triticum et, notamment, sur
le nombre des faisceaux libéro-ligneux, qui lui a permis de
séparer les formes européennes —
à
deux nervures —
des
formes abyssines et indiennes (deux à quatre). La coloration,
la longueur à un stade déterminé, l'épaisseur, etc., ont été
également envisagées, mais se sont révélées par trop incons
tantes.
Récemment, K. Miczynski [8] ,
Percival,
rappelant les observations de
puis celles de Jakovlev et de Nikolaenko qui les ont
confirmées et considèrent la structure anatomique de la
coléoptile comme un caractère systématique important, signale
que le nombre des faisceaux de cet organe est variable dans
un certain nombre d'espèces et de variétés, et peut être
influencé par les conditions de milieu, en particulier par la
nutrition ; il ajoute, toutefois, que, dans les limites de ce poly
morphisme, la nervation de la coléoptile est héréditaire et
caractéristique, pour une variété donnée. Cependant,
ses particularités de la coléoptile —
indiquées
ci-joint —
nous ont pas apporté de renseignements précis.
b) Feuilles et annexes. —
On
ces diver
ne
sait que, d'une façon générale,
certaines espèces au moins présentent des particularités végé
tatives qui leur sont propres et dont nous avons étudié autre
fois la constance [9] après Percival, R. Compton [10], etc.
Nous avons observé, à cette occasion, que les blés tendres (et
l'avoine) montrent une majorité insignifiante de plantes droitières,
tandis que les blés durs (et l'orge) ont une majorité un
peu plus nette de plantes gauchères ; T. compactum, spelta,
sphoerococcum,
hisbis ont une prédominance droitière et T. di-
cocccMes, dicoccum, persicum, thaoudar, villosum,
une domi-
nance gauchère, les deux modes d'enroulement existant en
proportions sensiblement égales dans les autres espèces.
Il n'existe pas de différences nettes et constantes dans la
torsion de la feuille adulte (toujours à gauche).
D'autre part, dans une même lignée pure, le comportement
de la première feuille n'est pas toujours le même ; l'enroule
ment de la gaine est alternatif dans les diverses variétés d'une

1491 Spelta-vulgare
Durum- 1566 vulgare
1440 Dicocc. durum
1433
1444
1451 Dicocco- Durum
Vulg.
0592 Duro-vulgare
0593
0599
1673
1679
1749
1758
Faciès
Durum-poloni
Vulg.
Vulgaro-durum
Duro-vulgare
Duro-vulgare
Vulgare-durum
Vulgare-inflatum
Dicocc-speltoïde
Vulgaro-durum
1985 Spelto vulgare
1993 Durum-vulgare
Caractères Morphologiques des Plantes Vertes (Rlés intermédiaires)
Lon-
gnenr
cm
Coléoptile
3,5-4 rougeâtre
4-5
4-4,5
4-4,5 blanche
4-5
4-5
5-6
5 5,5
8
4-5
6-7
6-6,5
3-6
Couleur
\
id.
id.
id.
roug. 1/3 infl,
blanche
id.
id.
id.
roug. 1/3
blanche
id.
Première j
feuille
Villo-
sité
o a
O «
SB
velue g
Feuilles (au
Dimen
sions Couleur
cm.
30X1,2 v. foncé
glabre d 30X1,1 v.
5-5,5 roug. 1/3 infl qq. poils g
31X1 v.
glabre d 32X1,3 v.
nb. poils d 31X1,1 v. foncé
glabre d 29X1,1 v.
velue S
qq. poils
velue
id.
id.
id.
id.
29X1,1 v.
5-5,5 roug. 1/3 infl. glabre g 27X1,1 v. clair
g
S
d
g
35X1,3 v.
28X1.3 v.
43X1,2 v. foncé
31X1,3 v.
35X1,5 v.
33X1,2 v. foncé
id. d 28X1.3 v. foncé
lisse-bords
dentés
duvet
lisse
lisse
lisse
lisse
lisse
lisse
lisse
duvet
lisse-bords
dentés
lisse
lisse
lisse
lisse
Gaine'
Villosité
Ornements
Villosité
et couleur
glab vert p. moy. rare
clair
poil vert
foncé
glab. vert p. t. courts moy.
clair
glab. vert p. t. courts
glab. vert p. longs
clair
glab. vert p. court
glab. vert p. long
clair
glab. vert
glab. vert
glab. vert
glab. vert
foncé
glab. vert
glab. vert
clair
glab. vert
roug.
glab. vert
roug.
p. moy.
long
long
long
long
long
long
long
long
Stipules
Dimen
sions
long
moy.
long
long
long
long
long
long
long
long
moy.
long
long
moy.
Tableau I
Port
1/2 érigé
érigé
1/2 érigé
id.
id.
id.
érigé
id.
1/2 érigé
id.
érigé
1/2 érigé
1/2 étalé
id.
érigé

Caractères \natomiqles de la tige de quelques Blés types et intermédiaires
Type Durum Blé litigieux 1985 (42 ch.

Carvcti'-.kes anatomiques de la tige de quelques Blés types et intermédiaires
Blé litigieux 14.Ï1 C2.S ch. Blc litigieux 14:!:! -:2S ch.)

— 149 -
feuille à la suivante et il est le même pour les feuilles et les
gaines correspondantes. De même, et toujours dans une lignée
pure, l'enroulement des feuilles,
à leur sortie de la gaine et
avant leur complet épanouissement (10 cm. environ), n'obéit
pas à une règle fixe ; toutefois, les blés durs semblent mon
trer une majorité de plantes droitières, alors que ce comporte
ment est très variable chez les blés tendres.
Nous avons également considéré les dimensions, le nombre de
faisceaux libéro-ligneux et les ornements des feuilles (poils,
que la longueur
cils, épines) et avons notamment constaté [11]
maximum du limbe est généralement atteinte par l'avant-
dernière feuille dans les variétés hâtives de T. vulgare, par la
troisième ou la quatrième dans les variétés tardives, par la
dernière ou l'avant-dernière dans T. durum ; que la largeur
augmente régulièrement de la base au sommet de la tige chez
T. vulgare et que la courbe de ses variations a la même allure
générale que celle des longueurs dans T. durum, que le nom
bre des faisceaux est habituellement proportionnel à la lar
geur des feuilles,
que les ornements (principalement la villo
sité) varient avec l'âge et, sur une même tige, avec la feuille
considérée, que dans les blés durs, les bords du limbe et les
stipules ne sont généralement pas ciliés, les faces de la lame
foliaire et la gaine sont le plus souvent glabres, les épines
sont rares et visibles seulement à partir de la cinquième ou
sixième feuille. Cependant,
suivant,
et comme le montre le tableau
ces divers caractères ne présentent qu'un faible inté
rêt pour la diagnose spécifique.
Dermatologie
La nature de l'éplderme et, surtout, celle de ses ornements,
par le
diffèrent avec les genres et les espèces et constituent,
fait même, un moyen non négligeable de différenciation,
ainsi que l'ont montré divers auteurs et spécialement Prat
Mm8 Lavierpour
les graminées [12] et, plus récemment [13],
George.
Dans les Triticum, toutefois,
ces caractères sont loin d'avoir
une fixité absolue et Prat lui-même déclare : «Nous avons
étudié diverses espèces et variétés en examinant,
non plus
il

«D
Faciès Paille
Caractères Primaires de l'Épi des Blés « intermédiaires »
BARBES
Raehis
GLUMBS
> Couleur Longueur Épines Allure Forme Carène Dépression
1491 Spelta. vulgare creuse blanche moyen très long diverg. résist. larg. T. vulg. fort.
tronquée
1566 Durum vulgare 1/2 creuse noire long long converg. résist. T. vulgare faible sans
1440 Dicocco-durum
vulgare
id. blanche très long
moyen diverg. id. peu tronq. » sans
1433 Durum-poloni- 1/2 pleine id. long id. id. fragile T. durum peu marq. i
cum vulgare
Tableau II
PartiGUIarités
marquée sans large épau-
lement
1444 Vulgare durum creuse id. moyen petites id. résist. T. vulgare » avec dsnt apicale
1451 Dicocco-durum 1/2 creuse id. id. très long id. ass. fragile T. dicoco. marq. sans
vulgare
0592 Duro-vulgare id. id. long long id. id. T. vulgare marq. sans
0593 Duro-vulgare id. id. id. id. id. résist. id. faible dent apicale
0599 Duro-vulgare id. id. id. id. id. id. id. faible
1673 Vulgare durum id. id. id. moyen id. id. id. faible avec dent apicale
1679 Vulgare-infla. pleine on 1/2 rousse courtes long id. id. id. faible avec
1749 Dicocco-spelto- creuse id. moyen id. id. id. id. marq. sans large épau-
vulgare
1758 Vulgare durum id. blanche long moyen id. id. id. faible faible avec
1985 Spelto-vulgare id. \ id. id. long id. ! id. T. vulgare peu marq. sans
1993 Durum-vulgare 1/2 creuse id. ass. court très petit id. fragile. id. faible avec
lement
o

— 151 -
seulement des portions de limbe, mais la distribution des épidermes
sur l'ensemble de la plante, le total des données ainsi
réunies est encore insuffisant pour permettre une mise au
point de la classification du genre Triticum».
Les nombreux examens que nous avons effectués, pendant
plusieurs années et sur des échantillons très variés (loc. cit.)
n'ont pu que corroborer ces conclusions.
Nature de la chlorophylle
Mlle A. Dusseau a tenté d'établir une relation entre la
richesse et la qualité de la chlorophylle des feuilles de blé et
l'aspect (glacé ou farineux) du grain et, dans une certaine
mesure,
entre ces premiers caractères et la nature spécifi
que [14]. En examinant les solutions colorées d'extraits alcoo
liques des feuilles de divers Triticum et l'absorption des radia
tions lumineuses au spectromètre A. Jobin et G. Yvon,
elle a
trouvé que : la coloration des solutions, le nombre et l'inten
sité des raies d'absorption, étaient dissemblables,
et décrois
saient des poulards ou blés durs vrais (Médéah), en passant
par les blés tendres demi-cornés ; les T. durum cornés don
nant les solutions de chlorophylle les moins absorbantes.
a) —
Caractères primaires.
CARACTERES DE L'EPI
La
plupart des systématiciens
ont choisi comme critérium de la classification des Triticum
—
et en dehors de ceux des grains
— les
caractères morpho
logiques de l'épi, en particulier : la couleur, la villosité, la
présence ou l'absence de barbes puis, plus tard,
Il est certain, qu'en principe
—
— et
la compacité.
d'une façon très générale
on peut ainsi diviser le genre en un certain nombre d'espè
ces, puis de variétés, mais il est évident qu'il ne peut s'agir
là que d'une subdivision large et grossière, et nettement insuf-
fisante%
Aussi, depuis longtemps, s'est-on ingénié à rechercher des
indications supplémentaires, des détails de structure, des
méthodes nouvelles d'investigation permettant de pousser plus
loin la classification, tout en la rendant plus précise.

) Stachymétrie. —
Colle et Sirodot [15]
Ce
— — 152
Ohlmer [16] et modifiée par —
eux,
—
de certaines dimensions déterminées
graphique de l'épi de blé,
terme a été adopté par Denaiffe,
pour définir la méthode imaginée par
qui consiste
à
au
moyen
tracer le schéma
examiné de face ou de profil.
Les mensurations sont les suivantes : sur une ligne verticale
représentant l'axe de l'inflorescence, on marque successive
ment : le sommet de celle-ci A, le point d'attache du dernier
épillet B, la moitié de la longueur de l'axe D, la base de
l'épi H, le point d'attache du premier épillet fertile G,
la dis
tance moyenne de deux épillets alternes consécutifs F, les
largeurs de l'épi,
aux points CD.F., et au point I correspon
dant au tiers de la longueur ; il suffit ensuite de joindre,
entre eux, tous les points marqués, en dehors de l'axe, de A
à G, pour obtenir le contour géométrique de l'épi vu de profil.
Un schéma identique est reporté en pointillé, sur la même
figure, pour représenter la face de l'épi ; enfin, on indique
également la longueur des arêtes de l'épillet terminal et, éven
tuellement, celle des barbes. M. Bonvicini [17] a proposé deux
légères modifications à la méthode de M. Denaiffe, à savoir
d'ajouter, sur l'axe du graphique, la longueur du premier
épillet fertile (H L) et, au niveau L la largeur de l'épi, de face
et de profil.
Dès 1922,
nous avons employé ce procédé dans l'étude des
blés durs marocains [18],
puis dans celle des autres espè
ces, parue dans diverses publications ultérieures. Il n'est pas
douteux que les figures corespondant aux divers groupes de
Triticum sont assez différentes,
ainsi que le montrent celles
de quelques blés durs et tendres marocains ; mais ce procédé
de représentation est nettement insuffisant.
c) Caractères secondaires. —
Il
semble que ce soient égale
ment Denaiffe, Colle et Sirodot [19] qui, les premiers, ont
présenté un travail d'ensemble sur les particularités nouvelles,
les détails morphologiques jusqu'alors négligés, dont l'emploi
judicieux peut aider à séparer des races affines, des sortes,
des variétés et même des espèces. Nous avons repris nous-
même cette étude d'une façon assez détaillée sur de très nom
breux types de blés que les précédents auteurs n'avaient pu
examiner [20]. Depuis, d'autres chercheurs se sont égale-

— - 153
ment attachés à cette question, notamment Alabouvette,
Friedberg et Bergal pour les Hordeum [21], Jonard pour
Triticum, etc..
Ces éléments d'appréciation —
ment, —
dont
déterminé la constance relative
nous avons, préalable
sont
concernent, plus spécialement : le bourrelet,
nombreux et
le premier entre
nœud, l'épillet basai et terminal, le rachis et ses ornements
(articles, poils, aigrettes, cils), les glumes et les glumelles
—
externes et internes —
observées
quant à leurs formes,
leur nervation, la présence ou l'absence de cils, poils, ponc
tuations et empreintes, les barbes (dimensions, épines et sil
lons, section, orientation), etc.. Nous avons pu constater, par
exemple, que les glumes sont généralement ovales, courtes,
ballonnées, à nervures peu saillantes, à dépression basilaire
accentuée, à empreinte marquée... chez Trit. vulgare, alors
qu'elles sont ordinairement étroites, allongées, à carène dor
sale nettement saillante, à empreinte absente ou confuse, à
ciliation beaucoup moins abondante chez Trit. durum, que
leur face interne est glabre dans Trit. polonicum, etc.. Les
barbes sont généralement longues (14-17 cm.) ou très longues
(18-20 cm.) dans les blés durs et beaucoup plus courtes dans
les blés tendres (8-13) ainsi que dans les autres groupes, sauf
leurs épines sont très nombreuses et
T. turgidum (17 cm.) ;
beaucoup plus courtes (la plupart même invisibles) dans
T. durum que dans T. vulgare ; le bourrelet, le premier entre-
nœud, les glumelles internes n'offrent pas de différences
importantes ; par contre, l'épillet terminal est plus caractéris
tique.
Le rachis est à peu près semblable, mais toutefois,
ses arti
cles sont plus courts dans les blés durs, dont la compacité est
ordinairement plus élevée, et il est surtout plus fragile ; de
plus, les cils sont presque constamment de longueur nettement
inférieure à celle des aigrettes et ne sont même pas appa
rents à l'œil nu dans un assez grand nombre de variétés, mais
les aigrettes sont plus développées et plus fournies que dans
les blés tendres.
Malheureusement, ces diverses particularités —
malgré
leur fixité dans la variété, dans le temps et dans l'espace —
présentent des fluctuations relativement [22]
fréquentes dans

■\
K/
N»s 1.
2.
3.
4.
5.
6.
- 154 —
Schémas stachymétriques de quelques blés tendres et durs
7. —
8.
9.
10.
-\>
Baladi.
Saifi.
Baida.
Trikkia Maizza.
Zrea Maizza.
Section transversale d'uDe
feuille de Triticum Du
rum Desf.
Section transversale d'une
feuille de Triticum vul
gare H.
Triticum Durum Desf.
Triticum Vulgare H.
Empreintes, poils et ponc
tuations sur la glume
d'un blé dur.
Légende des Figures
Nos 11. —
12. —
13. —
14. —
15. —
A)
A)
Empreintes,
poils et ponc
tuations sur la glume
d'un blé tendre.
Epillet terminal d'un blê
dur.
b) Première glume.
c) Deuxième glume.
Epillet terminal d'un blé
tendre.
b) Première glume.
c) Deuxième glume.
Rachis de blé dur.
Rachis de blé tendre.

—
- 155
*"V »|'jl| ■ l| i I » '|i|M pWTTW» ■ 1»^

en
-®
S:
9-
Faciès
Caractères Secondaires de l'Épi des Blés « intermédiaires »
Bourrelet
GLUME
Couleur Forme Empreinte Poils
Poils
du sommet
GLUMKLLE
impniiU
tt pili
Ptili
il SUBlt
Tableau III
PARTICULARITÉS
1491 Spelt. vulg.
1566 Durum-vulg.
1440 Die. Durum vulg.
1433 Durum polo
1444
1451
0592
0593
0599
1673
1679
1749
1758
1985
1993
ni-
.
droit-fermé roux
id. noirâtre
obliq. fermé blanc-lise
ré noir
id. roux
cum-vulgare
Vulg. durum droit-fermé jaune
Die. durum vulg. id. Blancroux
Duro-vulg. droit ouvert blanc
Duro-vulg. id. id.
Duro-vulg. obliq. fermé bl r o u
Vulg. durum id.
Vulg. infla id.
U i c o c c o spelto droit-fermé
vulgare
Vulg. durum obliq. fermé
Spelt. vulg. droit-ouvert
Durum-vulg. droit-fermé
s-
tronquée
non
peu ou pas
non
6' forme
5' forme
6» forme
non
tronquée
sâtre
4*
blanc f . petite dent
roui tronq.inflatnm
bl. roux très tronquée
blanc tronq.
id.
roux
6* forme
tronq, 5' absente néant
I- moyen
grande »
II- as. long
trèsgrande
absente »
IV -rares
IV-nomb.
as. grand
II- ass long
très petite ponctnation
très grande qq. poils
■ III as. nb
III
id. ponctuation
ass.grande id.
petite néant
ass. grande id.
absente
très petite
id.
ponctuation
forme ass. grande néant
non absente qq. ponctua.
-as qq. poils moy. Forme des Spelta, poils des vulg.
absence d'empr. des Durum.
néant rares Forme et empreinte de vulgare,
poils et glumelle de Durum.
id.
»
id.
id.
Forme et poils des Durum,
» id.
ponctua. qq. poils
long néant peu nb.
- IV assez id. dans le
sillon
conrt
- III courts id. id.
II -as. court id. id.
- I nb. moy. qq. poils ass. nb.
jV moy.
II et IV
id.
néant
qq. poils
id.
- II assez qq. poils peu nb.
courts
IV -courts néant qq. poils
em
preinte des vulgare
Ensemble des caractères de Du
rum.
Forme et empreinte de vulgare,
poils de Durum.
Forme et empreinte de vulgare,
glumelle de Durum.
empreinte et cils Forme, de vul
gare.
Forme, empreinte et cils de vulg.
mais ponctuation de Durum.
Forme, empreinte et cils de vulg.
mais ponctuation de Durum.
Forme, carène et arête durum.
Ensemble des caractères de vul
gare.
Forme de spelta. abs. de poils et
d'empr. et glumelle de Durum.
Forme de Durum, empreinte de
vulgare.
Forme et empreinte de vulgare,
nervure de spelta, poils et glu
melle de Durum.
Forme et absence d'empreinte de
1 Durum.
1"
Forme = glumes courtes, ballonnées, légèrement bossues sur le dos, avec la oarène fortement déclive vers la pointe et une largeur supérieure à la moitié
de la longueor, glumes dissemblables, non tronquées.
V Forme = glumes courtes, ballonnées, à longueur maxima plus grande que la 1/2 de la longueur, mais ici les deux glumes sont franchement tronquées au
3-
Form^'g^umes amples, assez allongées, à largeur à peu près égale à la 1/2 de la longueur, fortement tronquées au sommet, avec un bec très court et la
4' Forme"—
élûmes ovaiaires, assez amples,
5'
Forme = glumes ovaiaires, à peu près semblables avec une largeur inférieure à la 1/2 de la longueur, plus ou moins obliquement tronquées au sommet,.
non ballonnées, avec largeur moindre que la 1/2 de la longueur non tronquée, carène peu dêolive, avec bec bien marqué.
6* Forme = eîumes'étroites à bords subparallèles dans leur partie moyenne, avec une largeur voisine de la 1/2 de leur longueur, oarène peu déclive, grande
face pen bombée parfois presque plane avec bec prolonge, la carène dorsale qui parfois forme une véritable arête de 1 à 2 cent, de longueur.

l'espèce ; aussi,
— - 157
leur examen n'a-t-il pas permis de différen
cier avec précision les échantillons litigieux considérés ici.
L'examen des dimensions de l'épi et de leurs rapports a été
également envisagé par de Cillis,
plus loin.
d) —
Réaction phénolique-
La
ainsi que nous l'indiquons
réaction phénolique appli
quée aux grains (page 144), l'a été également à l'épi. Friedberg
a trouvé, qu'après trempage, pendant vingt-quatre heures,
dans une solution d'acide phénique à 1 %, et rinçage puis
séchage subséquents, les épis, au bout de trois à quatre heu
res, prennent une teinte définitive et caractéristique (qui avait
échappé aux précédents expérimentateurs) en même temps
que la solution se colore elle-même différemment ; il a cons
taté, en outre,
grain et celle de l'épi, les exceptions à cette règle étant indica
une corrélation inverse entre la coloration du
tives. Friedberg a observé, toutefois,
que l'épi d'un certain
nombre de variétés de T. vulgare ne se colore pas, de même
que celui de T. durum (de T. spelta et de T- turgidum) se
colore peu ou pas ; cette méthode ne peut donc pas suffire à
la différenciation des espèces. B. Miczynska et K. Mic-
zynski [23], appliquant ce procédé aux blés polonais,
ont pu
seulement les grouper en quatre classes d'après la coloration
du grain, et en six d'après celle de l'épi qui, d'après eux, est
sujette à fluctuation.
a) —
Forme 'du grain.
EXAMEN DU GBAIN
Elle
est évidemment différente dans
beaucoup de variétés et plus encore entre les espèces ; sans
parler de ceux qui restent vêtus, il ne fait pas de doute que
les caryopses des T. durum typiques présentent habituelle
ment une forme, une section, des dimensions, une texture et,
même parfois, une coloration (grains ambrés) très spéciales
et non comparables à celles des T. vulgare, leur poids moyen
est également dissemblable.
C'est ainsi, par exemple, que chez ces derniers,
sont le plus souvent : assez courts, renflés,
les grains
plus ou moins
farineux, de teinte allant du blanc crème au roux foncé, avec

— 158 —
une section arrondie et un poids unitaire oscillant aux envi
rons de 3-4 cgr., alors que ceux des blés durs sont : allongés,
vitreux, plus ou moins blonds, à section triangulaire, à sillon
fréquemment profond et large, et à poids élevé (5-6 cgr.).
La forme du grain est généralement constante dans une
même variété (Howard [24]) mais il s'agit là,
comme on le
sait, de caractères éminemment fluctuants, variant sous l'in
fluence de nombreux facteurs (en particulier du climat) et,
par ailleurs, d'appréciation très subjective et quelquefois dif
ficile. De plus, et comme pour les autres particularités —
les
différences qui séparent les représentants typiques des deux
espèces,
s'atténuent jusqu'à disparaître dans les échantillons
litigieux. Il en est de même, du reste,
du grain —
étudiés
pour les autres détails
et proposés par certains auteurs, bien que
(Eriksson), tels
Martin et Boll [25-26]).
leur inconstance ait été signalée par d'autres —
que la brosse (Cobb-Glark,
b) Dimensions. —
Les
dimensions des grains : longueur L,
largeur l, épaisseur e, ont fait l'objet d'un certain nombre
d'études, qui ont préconisé leur emploi,
lues (Baroulina [27]),
soit en valeurs abso
soit d'après les rapports qu'elles présen
tent entre elles et qui permettent d'établir des « indices » carac
téristiques. Comme le fait très justement observer L. Friedberg
(loc. cit.), la première méthode ne se justifierait qu'appliquée
selon la loi des grands nombres et sous la forme biométrique.
Quant à la seconde, elle a été imaginée dès 1909 par Pearl et
Surface [28], qui ont tenté, dans le genre maïs, de réunir
toutes les caractéristiques d'une variété déterminée en un
A O D a f
seul chiffre (nombre-indice) I = — _
, puis par
E-F' '
— D
Cornes pour les Nicotiana [29], par Marinucci pour la clas
sification des olives, etc.. E. de Cillis [30] a adapté ce pro
cédé des rapports linéaires aux grains du blé, dont il mesure
successivement : la longueur L, l'épaisseur e et la largeur l.
avec lesquelles il détermine les deux rapports — et —
e l
,
don-
nant les notations P et P\ dont il déduit -^ ce qu'il appelle
l'indice de race I ; il estime que l'examen peut ne porter, pour
le diagnostic d'une variété, que sur quinze à trente grains.
L'auteur a proposé d'appliquer le même principe pour la déter-

- 159
-
mination du « schéma typique » de l'épi et en déduire le nom
bre—indice de race I, d'après la formule I = (D, R, r, K)
D représentant la densité, R l'épaisseur relative, r la gros
seur,
K le rapport entre la largeur sur les profils et la
valeur D, rapport qui indique également l'ouverture des épil-
lets,
let» sur le rachis, André Barcos, en Argentine,
que l'auteur appelle l'angle géotropique de l'axe des épil
a adopté et pro
posé les caractéristiques suivantes : longueur totale du grain,
épaisseur totale, épaisseur de la face dorsale au fond du sillon,
largeur totale à la partie la plus renflée ; les mêmes dimen
sions à l'extrémité qui porte la brosse.
En 1930,
nous avons utilisé cette méthode pour la différen
ciation d'un certain nombre de variétés de blé tendre et de
races affines [31], plus tard, pour celle de diverses espèces
et, dernièrement, pour l'identification d'échantillons litigieux
en raison de la fluctuation des dimensions des
(tableau IV) ;
grains sous l'influence de nombreux facteurs, les résultats
ont été loin d'être satisfaisants et n'ont conduit à aucune con
clusion pratique.
c) Texture et couleur. —
Comme
on l'a vu, ce sont là des
caractères variétaux qui sont profondément affectés par les
facteurs du milieu, ainsi que de très nombreux auteurs l'ont
constaté, et qui, par le fait même,
sont nettement insuffisants
pour la distinction des espèces. Leur appréciation est, par ail
leurs, assez délicate, même après trempage dans l'eau ou dans
la potasse alcoolique, comme l'a conseillé Lewicki.
d) Téguments. —
déjà [32]
ments,
Zeuschner
(cité par Friedberg) avait
signalé des différences dans l'épaisseur des tégu
et l'on sait pratiquement que ceux des blés durs sont
généralement plus minces et moins abondants que ceux du
blé tendre. Récemment, Doroshenko [33],
tions des caractères anatomiques du grain —
lier de l'amidon —
a
étudiant les varia
et
en particu
constaté que l'épaisseur du péricarpe,
bien qu'héréditaire dans une sorte donnée,
tions
présente des varia
considérables et est en relation étroite avec les facteurs
géographiques ;
elle est plus épaisse dans les régions humi
des et septentrionales et ses modifications ont lieu aux dépens
du
parenchyme. Les cellules externes de l'épiderme subissent
des fluctuations corrélatives,
qui affectent également la

Variétés
N"
Faciès
Caractères des Grains des Blés « intermédiaires »
Réaction
phénolique
Indice
de race
(Italien)
Tableau IV
Couleur Section Forme Texture
1.491 Spelta-vulgare brune 4,17 roux arrondie très court farineux
1.566 Durum-vulgare noire 3,42 blanc rous- arrondie court farineux
1.440 Dicocco-durum vulgare blanche 4,12 roux arrondie court, bossu 1/2 vitreux
1.433 Durum-polonicum vul
gare
satre
blanche 4,02 violet triangulaire assez allongé vitreux
1.444 Vulgaro-durum brune 3,17 blanc rous-
1.451 Dicoccoîde durum vul
gare
satre
arrondie court, bossu 1/2 vitreux
brune 4,44 roux arrondie court vitreux
0.592 Duro-vulgare blanche 2,91 roux triangulaire court vitreux
0.593 Duro-vulgare blanche 2,8 roux arrondie court, bossu vitreux
0.599 Duro-vulgare blanche 2,75 blanc rous-
satre
triangulaire allongé vitreux
1.673 Vulgare-durum blanche 3,65 roux arrondie assez allongé vitreux
1.679 Vulgare-inflatum blanche 3,68 roux arrondie court bossu farineux
1.749 Dicocco-spelto vulgare brune 3,20 roux arrondie très court farineux
1.758 Vulgaro-durum brune 3,97 roux arrondie assez court farineux
1985 Spelto-vulgare brune 3,22 roux arrondie court, bossu farineux
1.993 Durum-vulgare blanche 5,0 roux arrondie très allongé vitreux 1
S

- 161
—
« brosse » du grain elle-même, plus longue et plus développée
dans les stations humides, et généralement en rapport avec les
dimensions du caryopse.
Nos propres observations ont confirmé ces conclusions et
l'amplitude des variations de ces divers caractères sous l'in
fluence des facteurs écologiques et individuels.
e) Amidon. —
Enfin,
on a pensé trouver dans l'endosperme
du caryopse des diverses espèces et variétés de Triticum, des
différences caractéristiques. Alb. Henry a examiné, à cet
effet [34], un certain nombre d'espèces,
de la Répression des fraudes —
par cette question —
ait
particulièrement
bien que le Service
intéressé
reconnu « qu'aucun des procédés
actuellement en usage ne permette de se prononcer en toute
certitude sur les caractères différentiels des amidons, des
orges et des blés », malheureusement ses observations n'ont
pas porté sur T. durum.
L'auteur signale la très grande analogie qui existe entre
l'amidon des orges et celui du blé tendre, à tel point, dit-il,
« que je suis aujourd'hui plus embarrassé pour distinguer ces
deux amidons que pour distinguer celui de cinq ou six espèces
de blé » ; l'amidon du seigle ressemble de même beaucoup à
celui du blé.
Il reconnaît, d'autre part, que toutes les formes des grains
d'amidon qu'il a observées « existent chez tous les lots de
caryopse de blé », mais que certaines se retrouvent plus fré
quemment pour certaines espèces de Triticum que pour d'au
tres ; aussi, semble-t-il attacher plus d'importance à leurs
dimensions ; il indique par les chiffres suivants, les moyennes
pour mille des grains plus longs que 30 /* :
T. dicoccum (trois variétés) .
T. compositum
T. polonicum
T. monococcum
T. spelta
T. orientale
T. pyramidale
T. vulgare
En dépit de ces différences,
. de
169 à 187
78
230
9
221
256
94
131
apparemment considérables et
caractéristiques,
cette méthode ne permet guère de distinguer

- 162
-
un blé dur d'un blé tendre par exemple, ni d'identifier les
échantillons qui nous intéressent ici. D'autre part, l'auteur
confirme le fait bien connu que la grosseur des grains d'ami
don n'est pas uniforme dans le caryopse et diminue du centre à
la périphérie, d'où la nécessité d'effectuer l'examen et les men
surations sur le grain préalablement écrasé et dont les produits
ont été bien mélangés, préparation qui
constaté —
— comme
nous l'avons
risque à peu près inévitablement de détériorer plus
ou moins les grains d'amidon et, par suite, d'entraîner de gra
ves erreurs d'interprétation.
Dorochenko a également abordé ce problème (loc. cit.), dans
le but de dégager l'influence des conditions géographiques sur
les caractères des grains d'amidon,
qu'il »a trouvés subordonnés
à la texture du caryopse, leurs dimensions étant plus grandes
chez les blés cornés que dans les blés farineux. Tous les fac
teurs qui influencent la texture modifient donc plus ou moins
la grosseur des grains d'amidon dans une même lignée.
En outre, l'auteur lui-même montre, à la fois,
les différen
ces sensibles qui existent entre variétés d'une même catégorie,
et les similitudes que l'on rencontre parfois entre celles qui
appartiennent à des groupes chromosomiques différents.
Si donc, et théoriquement, la forme, les dimensions, la
répartition des grains d'amidon sont bien dissemblables d'un
blé à l'autre, il est difficile, en pratique,
tères pour l'identification des espèces.
f) Coloration phénolique. —
d'utiliser ces carac
Friedberg, dans un travail très
complet sur la coloration des grains par l'acide phénique [35] ,
attribue une assez grande importance à cette réaction qui,
dit-il, « aide beaucoup à la reconnaissance des blés et peut
servir pour le contrôle d'identité et de pureté d'une semence » ;
il ajoute, toutefois, que « la plupart du temps, elle ne vient
que renforcer le faisceau des observations effectuées au
champ». Cette méthode, imaginée par Pieper en 1922 [36],
puis perfectionnée par Hermann [37], etc.. présente aussi
l'avantage, accessoire mais non négligeable, d'accentuer cer
tains caractères secondaires (empreintes, poils des glumes) et
de les rendre plus apparents et plus nets.
En fait, d'après Friedberg, les Triticum polonicum et près-

163 —
Courbes a l'Extensimètre (Types)
Farine de blé tendre Farine de blé dur
Forme et Section typiques de T Durum et de T. Vulgare
^"-^
T. Vulgare
T. Durum
&
O)
Types de glumes de T. Durum Types de glumes de T. Vulgare

- 164
-
que tous les T. durum ne réagissent pas à l'acide phénique,
vingt-trois sur essayés par vingt-cinq lui, ont pris une teinte
très claire ou sont restés incolores ; les T. turgidum se colo
rant, dans l'ensemble (neuf sur treize),
en brun ou brun clair
et les T- monococcum., en noir ; cette réaction serait un carac
tère dominant.
D'autres auteurs ont utilisé le même procédé, notamment
Dutkiewicz, Myczinska [38], K. Repnikov [39] qui,
plification,
par sim
a proposé de plonger les grains dans une solution
d'acide phénique à 0.5 % pendant dix-quinze minutes, puis de
les placer sur un papier-filtre imprégné de la même solution,
pendant deux heures à 40-50°, etc..
Le tableau ci-joint (tabl. V) montre,
en ce qui concerne les
blés litigieux considérés dans cette note, que la réaction phé
nolique est assez souvent en défaut et ne peut servir, seule, de
critérium à l'identification spécifique.
Il y a une dizaine d'années,
Pression osmotique
un certain nombre de recher
ches ont été entreprises à l'Ecole supérieure d'Agriculture de
Vienne sur la pression osmotique des plantes en germination
et les corrélations existant entre ses valeurs et diverses apti
tudes des variétés examinées. Elles reposaient sur deux
méthodes principales : 1° mesure par plasmolyse (*) de la tur
gescence des cellules, généralement épidermiques ; 2° mise en
germination des semences dans des solutions de saccharose,
de concentrations croissantes, jusqu'à inhibition de cette ger
mination,
méthodes dont l'emploi a révélé des écarts assez
forts lorsque l'on compare des espèces différentes. Eibl [40]
les a appliquées »aux céréales, surtout en vue de déterminer
leur résistance respective au froid et aux rouilles, ainsi que
leur durée de végétation. Pantanelli [41], qui a fait un exa
men critique des travaux de l'Ecole de Vienne (Buchinger,
Oppenheimer, Maader, Taschdjian, Pammer, etc...), signale
également la méthode de Merkenschlager, dans laquelle les
(1) La méthode plasmolytique a été utilisée depuis,
par d'autres
auteurs, pour la détermination du pouvoir germinatif des semences
(A. Doroshenko : Seed Sci. and Seedtesting. Bull. Bot. n°
2. Leningrad
1937, p. 112).

Classification des Blés « intermédiaires » examinés, d'après leurs principaux caractères.
Caractères morphoio
H 3

- 166
—
graines sont placées au contact d'agar-agar ou de gélatine et
qui, en mesurant la force de gonflement des semences, peut
compléter celle de Eibl.
Ces recherches ont été reprises récemment par Vasile G.
Velican [42], qui a trouvé également une corrélation entre le
pouvoir absorbant des grains de Triticum, la résistance au
froid et à la sécheresse de diverses variétés et, par suite, leur
individualité ; il admet toutefois que le pouvoir absorbant
varie d'une région et d'une année à l'autre et que « les
facteurs qui l'influencent sont le climat, le sol, l'ancienneté du
grain et sa grandeur ».
Ce caractère est donc, lui aussi, soumis à de trop larges
fluctuations pour posséder une valeur taxonomique réelle.
SÉROLOGIE
La spécification sérologique a été appliquée au genre Triti
cum par Zade,
à qui elle a permis de vérifier la classification
morphologique ; elle a été utilisée par d'autres auteurs : Wen-
delstadt et Fellmer, Fellmer puis Bertarelli, Magnus et Gasis,
etc.... Plus récemment, le Dr Franz Fielitz [43] l'a employée
pour un essai de détermination de quelques variétés de blé :
Klein H 32, Larranaga, Lin Calel, A.C.D. II,
en indiquant le
mode opératoire adopté. Il opère avec dix grammes de grains
triés, triturés dans un mortier métallique, tout le matériel
étant parfaitement stérilisé ; l'inoculation doit être faite sur
une série de lapins,
pour chaque variété de blé étudiée. Les
résultats obtenus ne sont pas toujours probants ; c'est ainsi
que, dans l'expérience en cause, l'A. obtint les réactions sui
vantes :
Variété A.C.D. II : précipitation spécifique totale.
Larranaga : précipitation partielle atypique.
Lin Calel : précipitation nulle.
Klein H. 32 : précipitation nulle.
En tout cas, la méthode est longue et délicate et, par suite,
peu pratique.
Hybridologie
L'hybridologie a été longtemps considérée comme un bon
moyen de séparer les espèces puisque, par définition même :

— - 16*7
« l'espèce est l'ensemble des individus nés les uns des autres
ou issus de tous ceux qui leur ressemblent autant qu'ils se
ressemblent entre eux » ; en règle générale, l'hybride prove
nant de deux espèces différentes est stérile.
Toutefois, les progrès réalisés récemment dans ce domaine,
ont montré qu'il était beaucoup plus vaste qu'on ne l'avait
supposé ; dans le seul cadre des graminées, on est, en effet,
parvenu, non seulement à croiser avec succès des espèces,
mais encore des genres apparemment éloignés tels que :
Secale x Triticum, Triticum X'Agropyrum, Triticum x Hay-
naldia, Triticum x Aegilops, Hordeum x Agropyrum, etc....
D'autre part, la ségrégation des hybrides intergénériques, et
même interspécifiques, n'obéit pas aux règles mendéliennes et,
comme nous l'avons montré (loc. cit.), renseigne difficilement
sur la nature des géniteurs, pour la différenciation desquels
elle ne constitue donc pas un critérium précis.
En 1918,
Cytologie
T. Sakamura établissait une classification chromo
somique [44] des espèces cultivées de blés,
qu'il divisait en
trois groupes : 14, 28 et 42 chromosomes diploïdes. Depuis, les
recherches de Kihara, Sax, Nikolajewa [45], de Mol, Thomp
son, Percival, Bleier, Kazimierz Miczynski [46], etc.. ont, non
seulement confirmé ces observations, mais ont également déter
miné les nombres haploïdes des divers Triticum, dont elles
ont montré la constance absolue.
Il ressort de tous ces travaux que l'on peut classer les blés
dans les trois groupes suivants :
Groupe à Groupe à
14 chromosomes 28 chromosomes
(2n)
T. Aegilopoïdes.
T. monococcum.
Dicoccoïdes.
Dicoccum.
Orientale.
Durum.
Polonicum.
T. Turgidum.
T. Pyramidale.
Groupe à
42 chromosomes
T. vulgare.
Compactum.
Sphaerococcum.
Spelta.

- 168
—
Les formules caryologiques apparaissent donc, à l'heure
actuelle, comme la particularité héréditaire la plus fixe, la plus
régulière et, par suite, comme le meilleur caractère systéma
tique et le critérium le plus précieux.
Malheureusement,
elles sont incapables de conduire jusqu'à
l'espèce linéenne et de discerner celles qui font partie d'un
même groupe. Néanmoins, et dans ces limites larges, leur
emploi reste extrêmement utile et c'est lui qui nous a permis
de résoudre le problème de l'identification des blés intermé
diaires et d'autres types litigieux.
**
EXAMENS TECHNOLOGIQUES
Il est de notoriété que les blés durs et les blés tendres, en
particulier, n'ont pas la même destination, les premiers servant
surtout à la fabrication des semoules et pâtes alimentaires, les
seconds à la panification. Cette sorte de spécialisation laisse
supposer une différence de composition ou de constitution,
entraînant elle-même des aptitudes dissemblables qu'il ne sem
ble pas impossible de mettre en relief par des méthodes appro
priées. En fait,
étudié.
Cependant,
ce problème n'a été jusqu'ici qu'encore peu
un assez grand nombre d'analyses chimiques des
deux espèces ont été effectuées dans divers pays et, bien
qu'elles aient été rarement entreprises du point de vue compa
ratif et avec des matériaux provenant des mêmes milieux et
obtenus dans des conditions aussi similaires que possible, elles
n'ont pas abouti à montrer que chacun des deux types spéci
fiques possédait une composition particulière et caractéristique.
Si, dans un certain nombre de cas, la proportion des princi
paux constituants révèle des écarts suffisants et apparemment
suggestifs, dans d'autres, au contraire,
ceux-ci n'existent pas
ou sont même inversés ; d'autre part, nous avons nous-mêmes
signalé combien était large l'amplitude des variations de cette
composition [47] ,
écologiques (climat, sol, fumure, culture, etc.). L'analyse
qui est fortement influencée par les facteurs

Chromosomes des Triticum
T. Vulgare. Type à 2 n = 42.

— — 169
chimique est donc impuissante à mettre en évidence des diffé
rences nettes et constantes entre les espèces de Triticum et, par
à permettre la discrimination.
suite,
Par contre, l'examen des propriétés plastiques des pâtes
fournies, dans des conditions identiques, par les deux types de
montre les dissemblances que laissait prévoir d'ailleurs
blé,
leur industrialisation. C'est ainsi que les valeurs et, surtout,
les courbes extensimétriques ne sont pas du tout les mêmes
avec les T. durum et les T. vulgare. De même, les « indices
Pelshenke » montrent, pour les deux espèces, des écarts suffi
samment nets pour permettre, sinon une détermination catégo
rique, tout au moins et dans certains cas,
précise, à condition d'opérer sur le grain,
(tableau VI).
Cependant, ces renseignements,
lons typiques,
une indication assez
et non sur la farine
valables pour des échantil
ne le sont plus si l'on s'adresse à des blés durs
riches ou à des blés tendres de faible qualité boulangère, pour
lesquels ils chevauchent, ainsi que le montre le tableau ci-
joint (tableau VI).
EXAMENS CHIMIQUES ET PHYSIQUES
Comme nous le disions,
les analyses chimiques ont surtout
porté sur Triticum vulgare, quelque peu sur T. durum [48],
sur certains genres voisins : Agropyrum, Aegilops, Elymus,
etc.. et sur leurs hybrides [49], mais exceptionnellement sur
les autres espèces. Elles n'ont, du reste, révélé, comme il fallait
le prévoir, que des différences qualitatives, qui ont d'autant
moins de valeur que les conditions écologiques en provoquent
au moins d'aussi grandes ; il ne semble donc pas que cette
_
V0ie par
ailleurs longue et délicate —
pour le diagnostic spécifique.
Ici, le champ
— bien
Caractères physiques
qu'à peine exploré
offre un grand intérêt
— paraît
beaucoup
plus vaste. Sans songer à rappeler, même sommairement, les
nombreux procédés d'investigation jusqu'ici adoptés, il suffira

— - no
Tableau VI
Indices «Pelshenke» et Valedrs extensimétriques comparés
1. —
2. —
3. —
Blés
Blés
de quelques Blés tendres et durs
tendres.
durs.
Mélanges.
a) blé tendre 4- blé dur
1.513 250
Caractères
Résistance
a la rupture
Variétés a l'extensimètre (en minutes)
G W Grain Farine
N° 588 21 444 180 »
422 20,2 309 133 112
386 19.1 177 120 »
1513 13,2 78 57 72
1513 14 70 54 68
corrigé
N» 020 15,6 133.5 58 108
253 » » 50 »
250 18,7 63 42 69
272 » » 35 95
089 19 122,5 26 99
020 17,6 119 32 »
181 20 105 » »
100'/. 0*/.
75 25 » » » 88
50 50 » » » 102
25 75 » » » 122
0 100 18,7 63 » 69
b) blé tendre + blé dur
422 250
13,2 78 » 72
îoo •/. o-/.
20.2 309 » 112
75 25 » » 130 105
50 50 » » 96 120
25 75 » » 75 116
0 100 16.2 140 » 115

- 171
-
de signaler: la réfractrométrie, la conductivité, la fluorescence,
la densimétrie, la viscosimétrie, la colorimétrie, etc..
C'est ainsi, par exemple, que J. Molin [50], à l'aide du
réfractomètre à immersion, a essayé un classement des farines
basé sur le comportement des enzymes, que Dedek [51] a
utilisé la conductivité électrique, après avoir trouvé que la
résistance était proportionnelle à la qualité des blés, etc..
L'emploi de la lumière de Wood a tenté un certain nombre de
chercheurs, bien que Siedel [52]
ait indiqué que la fluores
cence ne caractérise pas nettement les diverses sortes de blé et
que les graines d'une même variété ne fournissent pas cons
tamment des résultats identiques ; Guyot [53] s'est adressé à
la cellule photo-électrique pour mesurer les intensités de fluo
rescence de diverses farines, et Barbade [54]
a trouvé que la
lumière de Wood permettait de distinguer des lots de blés mé
langés, de lots homogènes ; la fluorescence bleue est caracté
ristique, dans une même variété, des grains les plus gros et
les plus sains, alors que la couleur jaune révèle des grains
plus ou moins altérés, notamment par l'humidité. D'après
déceler l'addition
Déribéré [55] on peut, par cette méthode,
d'orge ou de pomme de terre à la farine de froment, mais pas
celle du seigle. Kamensky et Orechova [56] ont aussi utilisé
la fluorescence pour la reconnaissance de l'identité de certai
nes graines (avoine, orge, pois, ray-grass, etc..)
celles de Triticum.
mais pas pour
Nos essais, effectués sur des sortes pures et sur des mélan
ges connus,
n'ont pas conduit à des conclusions précises et
nous ont fait abandonner provisoirement ce procédé.
Les propriétés viscosimétriques ont permis à E.-G. Bayfield
[57] de classer les blés d'après leurs qualités boulangères, ce
qui a été confirmé par E. Rich [58] , puis par E. Berliner [59] .
G. Kuhlmann a trouvé également que la viscosité des amidons,
déterminée à l'appareil d'Oswald, était plus grande dans les
farines des blés tendres d'hiver que dans ceux d'été, ainsi que
celles d'une qualité supérieure [60]. Shofield et Scott Blair
[61] ont, à leur tour,
viscosité.
Récemment, Grunder [62],
exposé une méthode de mesure de la
se basant sur l'hypothèse d'une
différence de constitution et de densité des farines, a imaginé

— 172 -
un appareil, le sédimentographe, qui,
photo-électrique,
à l'aide de la cellule
enregistre automatiquement les variations de
l'intensité lumineuse au cours de la sédimentation d'une farine
mise en suspension (dans le platinol), et permet ainsi de clas
ser les farines d'après leur finesse, elle-même en relation pos
sible avec leur nature et leur origine.
Mais ce sont surtout les méthodes colorimétriques qui ont
été employées. Déjà, Pékar en Hongrie [63] avait proposé le
procédé d'examen des farines qui porte son nom. Depuis,
a indiqué un mode de détermination de la
Pisani-Borg [64]
couleur des farines à l'aide de la cellule photo-électrique et de
filtres bleus et orangés, seules teintes où ont lieu les plus fortes
variations et qui sont, d'ailleurs, celles des solutions étalons
proposées en Amérique pour l'appréciation de celle des farines.
Après la préparation de la pâte, l'opération ne demanderait
que cinq à six minutes. Puis A. Schulerud [65]
trouva que le
« nombre-indicateur » (coefficient d'extinction mesuré au spec-
trofiltre S43 du photomètre Pulfrich) permet d'établir une
classification des diverses variétés de blé, mais toutefois que
les résultats sont insuffisants et situés dans les mêmes limites
pour un certain nombre de sortes. La recherche de la teneur
en carotène a donné lieu à d'autres travaux ; c'est ainsi que
W. Geddes [66]
a signalé qu'elle était abaissée par les intem
péries, que Binnington et W. Geddes [67], utilisant comme
solvant le naphtalcool et la méthode spectrophotométrique, ont
déterminé la teneur en carotène des semoules, teneur dont
Geddes et Aitken [68]
ont constaté la variation avec l'appa
reillage de mouture employé. Fifidd, Smith et Hayes [69] ont
entrepris la même étude sur les grains et les semoules, de
même que Binnington et Geddes (loc. cit.), qui classent les
pigments des blés durs et de leurs produits en deux groupes : les
caroténoïdes et les flavones,
ment progressif des farines —
ture élevée et une forte luminosité —
premiers.
Enfin, Markley [70]
et constatent que le blanchisse-
plus rapide avec une tempéra
est
dû à l'oxydation des
a examiné la variabilité du taux de ces
éléments et montré qu'elle n'obéissait pas aux règles de l'héré
dité mendélienne.
Evidemment, ces tentatives ne atta-
se sont pas directement

- 173
chées à l'identification des espèces de blés et ont visé d'autres
buts que, d'ailleurs, elles n'ont pas toujours atteint ; mais elles
ouvrent des horizons nouveaux et intéressants que nos recher
ches en cours s'efforcent d'explorer, avec l'espoir d'une réussite
au moins relative.
RESUME ET CONCLUSIONS
L'utilité des classifications et de la possibilité d'identifier,
avec certitude un type végétal quelconque ne fait de doute
pour personne. Cet intérêt, plus puissant encore pour les plan
tes cultivées et, spécialement pour le blé,
est accru par la
nécessité de distinguer certaines espèces, dont la destination et
la valeur sont différentes comme c'est le cas, par exemple,
pour le blé tendre et le blé dur, notamment en Afrique du
Nord.
Le nombre considérable des travaux entrepris en vue d'une
discrimination de plus en plus sûre et précise des blés et de
leurs produits prouve, à la fois, l'importance de cette question
et les difficultés de sa solution.
L'application, à un certain nombre de cas particuliers, des
diverses méthodes envisagées, nous a montré que, quels que
soient leurs avantages respectifs, aucune d'elles n'était suffi
sante pour séparer, sans contestation possible, les diverses
espèces de Triticum. Par contre, leur emploi méthodique per
met, par éliminations successives, de resserrer peu à peu le
problème et d'aboutir à un résultat positif ; leur choix est
subordonné à la nature et à la quantité du matériel disponible :
plante verte, inflorescence entière ou portion d'épi, grain,
farine.
C'est ainsi que A. Timofeeva et S. Zavylenkov [71] ont
envisagé plus spécialement le problème qui nous occupe et
recherché différents procédés de différenciation des blés tendres
et durs ; ils ont été ainsi amenés à essayer successivement :
1)
la réaction à l'acide phénique avec addition d'ammoniaque,
jours de
à 30-40°
; 2) -la coloration de la coléoptile après cinq
germination à 15° ; 3) le développement de la seconde feuille
au douzième jour de germination ; 4) la villosité de la première

- 174
-
gaine ; 5) les dimensions des stipules ; 6)
la villosité de la pre
mière feuille (au dixième jour) ; 7) le nombre des radicelles,
puis la nervation de la première feuille, le pH du suc cellulaire,
l'intensité de l'accumulation de la chlorophylle après étiole-
ment.
La cytologie constitue incontestablement le procédé le plus
rigoureux et le plus certain, car elle ne laisse aucune confu
sion ; malheureusement, elle ne fait que dégrossir le problème,
en indiquant le groupe auquel appartient l'échantillon, mais
sans pouvoir conduire jusqu'à l'espèce dont il fait partie. Les
caractères morphologiques, externes et internes, de la plante
non fleurie, n'apportent qu'un maigre secours pour le diag
nostic et il en est de même des résultats fournis par les métho
des, longues et délicates, de l'hybridologie, de la sérologie, de
l'examen chlorophyllien, etc.. ; par contre, l'ensemble des
—
particularités de l'inflorescence y compris les détails struc
turaux fins; la stachymétrie, les indices,
— peuvent
la réaction phénolique
suffire, dans la majorité des cas, à une approxi
mation assez satisfaisante, que l'étude complète du grain est
susceptible de préciser utilement. Toutefois, les dimensions,
les indices de race qui tendent à en exprimer les rapports,
celles des téguments ou de l'amidon, la mesure du pouvoir
absorbant, etc., ne procurent que des renseignements par
trop vagues et incomplets, et souvent de moindre valeur que
la coloration à l'acide phénique, pour si aléatoire qu'elle soit
dans des cas assez nombreux ; on en peut dire autant des indi
cations fournies par des épreuves technologiques (extensi-
mètre, Pelshenke)
et chimiques (composition comparée). Quant
aux investigations d'ordre physique, elles tirent leur intérêt de
ce qu'elles permettent d'entreprendre l'identification sur les
produits commerciaux (farine) et de répondre ainsi à des ques
tions posées par le commerce ou les services publics ; bien
qu'elles interviennent, comme les précédentes, sur des carac
tères fluctuants et, par ailleurs, qu'elles soient d'un usage
encore trop récent pour être parfaitement au point, elles doi
vent, semble-t-il, retenir l'attention et conduire à des résultats
convenables lorsqu'elles sont associées ; elles ont, en outre,
l'avantage d'être rapides et de n'exiger que de très faibles
quantités de matériel.

1. —
2. —
3. —
4. —
5. —
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5, sept.-oct. F
1935).
n"
1,

36. —
37. —
38. —
39. —
40. —
41- —
42. —
43. —
44. —
45. —
46. —
47. —
48. —
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céréales humides (Muhlenlaborat., juillet 1936).
et Scott Blair : Signification physique de certai
nes propriétés des pâtes mesurées par le Chopin (Cereal
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Chemistry, vol. XIV, 2, mars 1937, p. 257).
: «Le sédimentographe », appareil entièrement
automatique pour l'obtention des courbes caractéristi
ques des farines (Muhlenlaborat., vol. 7, cah. 12, décem
bre 1937).
: Méthode encore généralement employée, avec de
légères modifications (pyrocatéchine).
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mination (Rapport présenté au 39" Cong. de la Meunerie,
Paris, 1932).
A. Schulerud : La différenciation des variétés par la colo
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ration artificielle du son (Labor. du Moulin, Leipzig, vol.
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Rapport du Laboratoire d'étude des céréales
de Winnipeg, 1936 (Dominion Grain Research Laboratory,
94 Annuel Rapport, 1936).
Binnington et W. Geddes : Mouture expérimentale des
blés durs et des pâtes alimentaires (Cereal Chemistry,
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vol. XIII, 5, sept. 1936, pp. 497-522).
Geddes et Aitken : Comparaison des analyses boulangè
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n"
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'
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blé par les grains (Bull. Appl. Botan., série IV,
Leningrad, 1936, p. 22).
n"
1.
Voir Bibliographie complémentaire : P. Jonard et Pisani-Borg
(loc. cit.).

LA PERCOLATION DES EAUX
dans quelques Sols types du Maroc
PAR
Em. miège
DOCTEUR ES SCIENCES
MEMBRE DU COMITÉ DE RECHERCHE DES EAUX SOUTERRAINES DU MAROC
Dans une étude antérieure (x), nous avons essayé de déter
miner le bilan de l'eau et des éléments fertilisants dans quatre
sols typiques du Maroc, reconstitués en cases lysimétriques
et maintenus en jachère ou en culture continue, avec ou sans
fumure complète. Ces premiers essais ont été poursuivis pen
dant les deux campagnes agricoles 1934-35 et 1935-36, très
nettement différenciées par leur pluviométrie totale (329 et
648 m/m) et journalière ;
nous les avons continués en 1936-37
et 1937-38, dans les mêmes conditions, et c'est le résultat de
ces nouvelles observations, comparées et associées aux précé
dentes,
que nous donnons ci-dessous. Sans revenir sur la dis
position générale de ces recherches —
déjà
décrite —
rappellerons simplement les caractères des sols étudiés.
Matière organique totale. . .
(1) Cf. N» 1, bibliographie.
Tableau n o /
Hamri
(case 6)
92,5%
31,0
3,0
28,0
20,5
1,1
6,5
Tirs
(case 7)
88,5'/.
18,0
9,0
32,5
9,0
1,3
11,0
R'mel
(case 8)
96,0»/.
6,5
4,5
68,5
16,5
»
4,0
nous
Sable
46,4»/,
2,0
2,1
26,5
65,8
3,4
0,2
13

— - 182
Nous indiquerons également les conclusions tirées des deux
premières campagnes :
1. L'écoulement de l'eau a été directement proportionnel à
la quantité d'éléments grossiers, et en relation inverse avec la
teneur en éléments fins contenus dans le sol.
2. La présence de la végétation a diminué la quantité d'eau
de percolation.
3. L'apport d'une fumure organico-minérale a, au contraire,
favorisé l'écoulement de l'eau.
4. Le rythme de celui-ci a été très variable selon la nature
du sol considéré : immédiat, rapide, et continu dans les terres
légères, même emblavées ; il n'a commencé que tardivement,
et s'est arrêté très tôt dans les terrains compacts.
5. Contrairement à ce qu'on aurait pu supposer —
si, dans
l'ensemble, la masse totale des eaux de drainage est plus
abondante, en valeur absolue, dans une année très pluvieuse
que dans une année sèche, cette supériorité nvest pas consi
dérable et la proportion, de ces eaux, par rapport à la pluvio
métrie annuelle, est plus élevée lorsque celle-ci a été la plus
faible —
notamment dans les terres argileuses.
6. Dans tous les cas, le taux d'humidité contenue dans les
sols varie, dans une très large mesure, avec leur nature, leur
profondeur et l'époque des pluies.
L'allure du mouvement de l'eau est bien caractéristique de
la nature des terres.
L'exposé qui suit fait allusion à la série des terres ayant
reçu une fumure complète et porté :
En 1934-35, une culture de betteraves ;
En 1935-36, une culture de blé tendre ;
En 1936-37, une culture de pois ;
En 1937-38,
une culture de blé tendre.
Les observations concernant les autres cases feront l'objet
d'une note ultérieure, qui indiquera également le résultat des
analyses des eaux de drainage, effectuées mensuellement pen
dant les quatre années d'expérience.
Nous donnons ci-dessous les valeurs du pouvoir de réten
tion des quatre types de sol examinés :

183 -
Tableau n°
PROFONDEURS HAMRI TIRS R'MKL SABLE
25 cm. 14,5 17,0 8,4 9,8
50 cm. 16,6 17,0 11,4 9,8
75 cm. 16,0 22,0 16,2 11,5
Pluviométrie comparée. —
Le
2
tableau 3 indique la réparti
tion des pluies au cours des quatre campagnes agricoles
considérées :
PÉRIODES
Tableau n° 3
QUANTITÉ D'EaU tombée EAU TOMBÉE
en m/m . da total anime
1934-35 1935-36 1936-37 1937-38 1934-35 1935-36 1936-37 1937-38
Octobre » 75 60 13 » 12 13 3
Novembre.. 186 40 148 185 49 6 32 44
Décembre. . 40 55 61 120 10 8 13 29
Janvier . . . >j 62 61 94 » 9 13 23
Février 97
Total. . .
52
»
»
Année 1936-37. —
265 87
154 24
n
»
» »
25
13
»
»
40
19
»
»
24 5 »
381 632 458 417 » » » »
La
pluviométrie a été moyenne,
faible, et assez régulièrement distribuée,
printemps.
un peu
sauf peut-être au
La répartition de l'humidité à diverses profondeurs,
quatre types de sol, a été la suivante :
dans les

Hamri
Avant les pluies \ jirs
(première période) \ R'mel
( Sable
Deuxième période
(pluvieuse)
(novembre).
Cinquième période
(mars).
Sixième période
(début avril).
!
I
à
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
? m,
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
(1) Pendant la première période.
- 184
—
Tableau n° 4
25 50 75 90
cm. cm cm. cm.
7.
13 14 16 17
14 17 16 14
5 14 17 17
5 6 8 16
17 18 11 25
18 13 15 20
8 11 21 26
6 7 11 23
20 19 23 18
25 17 25 29
9 12 22 27
8 8 13 22
16 14 19 25
15 25 23 26
10 12 19 25
» 8 12 19
18 20 21 25
22 » 17 19
15 13 21 22
8 7 13 21
17 19 21 21
28 22 22 24
15 12 28 28
4 7 11 20
EAU PERCOLEE
0
0
5
23
66
56
99
87
46
39
46
48
36
33
47
40
27
21
30
26
•/.
0 (D
0
8
39
45
37
67
57
73
62
74
79
59
54
77
65
31
23
33
30
» »
» »
» »
» »
La répartition de l'eau de percolation au cours de ces diffé
rentes périodes de l'année a donc été la suivante :
Première période
Deuxième période....
Troisième période. . . .
Quatrième période.. . .
Cinquième période
Tableau n"
5
Hamri Tirs R'mel Sable
V.
»
45
73
59
31
't,
»
37
62
54
23
»
67
74
77
33
7.
47
57
79
65
30
Pluviométrie
correspondante
T
60
148
61
61
87

- 185
-
Comme on le voit, grâce à un ensemble de facteurs conco-
mittants : pluviométrie moyenne et répartie sur toute l'année
par périodes bien séparées, succédant à une année pluvieuse
et tardive ayant laissé dans le sol des réserves d'eau assez
importantes, les premières pluies, elles-mêmes assez abon
dantes et massives (208 m/m à novembre), ont rapidement
saturé toutes les natures de sols, assurant la percolation dans
les plus perméables dès la première période. A la seconde, l'eau
passe dans toutes les terres et le drainage se continue jusqu'au
mois d'avril. A partir de cette époque, l'humidité diminue et
les pluies insuffisantes de mai n'affectent que la couche supé
rieure de 25 c/m.
Année 1937-38. —
Les
soirement au 15 mars ; à cette date,
Avant les premières
pluies (octobre)-
Première période.
Après les deuxiè
mes pluies 185°/",
4 novembre 185 7"
Deuxième période
(9décem 120 T).
Troisième période
(début janvier).
Quatrième période
(mars).
observations ont été arrêtées provi
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Hamri
Tirs
R'mel
Sable
Tableau n" 6
on avait relevé :
HUMIDITÉ DU SOL A :
25 cm. 50 cm. 75 cm. 90 cm.
7. 7. •/• •u
11 22 11 14
11 11 14 14
4 10 17,4 21
3 3 3 3
18 19 20 26
22 22 23 »
9 14 23 25
7 7 9 22
21 20 21 18
23 21 24 »
9 12 21 18
10 7 11 20
18 19 23 22
22 20 23 »
10 11 22 20
10 5 16 18
16 25 20 21
23 » 22 »
7 13 21 14
6 6 8 23
EAU PERCOLEE
»
V.
»
»
» »
» 1)
32 17
25 13
64 35
71 38
75 63
» »
60 30
87 73
56 59
166 67
56 59
62 66
» »
» n
» »
» »

- 186
ANNÉES 1934-35 ANNÉES 1935-36
Profondeurs : 25 c/m 50 c/m 75 c/m 90 c/m Prof. : 25 c/m SO c/m 75 c/m 90 c/m
/ Septembre
Octobre
Novembre 25 18.9 19.7 - 20.0 —
l Décembre 21 19.4 20.6 19.0 —
5 16.6 16.6 16.1 12.2
— Janvier j
S J
21 19.5 20.9 21.0 19.4 7 19.7 20.3 19.5
Février

ANNÉES 1936 37
— 187
ANNÉES 1937-38
Prof. : 25 c/m 50 c/m 75 c/m 90 c/m Profondeurs : 25 c/m 50 c/m 75 c/m 90 c/dj
13.7 14.3 15.2 17.8 8 Septembre 10.9 12.5 14.3
13.5 13.8 15.6 15.8 9 Octobre 9.0 12.9
16.6 18.2 11.4 24.7 14 Octobre 11.0 22.3 11.5 13.7
18.2 11.7 18.8 25.2 4 Novembre 17.8 18.8 20.2 26.2
20.2 19.3 23.3 17.8 10 Novembre 17.7 19.1 25.3 24.1
20 15.8 14.3 19.0 25.2 1er
Décembre 19.2 18.8 22.0 18.1
18.4 20.5 20.8 25.5 9 Décembre 20.6 19.8 21.2 17.9
16.9 19.4 21.1 21.5 23 Décembre 18.5 19.4 22.6 22.0
12.6 14.9 14.6 14.4 11 Janvier 19.6 19.4 21.8 19.2
13.9 —
14.0 14. 28 Janvier 18.9 18.7 19.5 21.0
12.7 12.8 13.1 14.2 14 Février 19.5 19.0 21.1 16.7
22.0 12.4 14.3 11.4 5 Mars 16.4 25.0 20.0 21.4
14.3 16.8 16.5 16.6 8 Septembre 10.8 12.3 14.5 11.8
13.7 17.5 16.2 14.5 9 Octobre
17.7 13.1 14.8 19.8 14 Octobre 10.6 10.6 14.3 13.6
22.1 22.7 24.7 28.8 4 Novembre 22.1 22.4 23.3 17.3
24.8 17.5 24.8 28.8 10 Novembre 20.9 22.1 23.1 16.7
20 15.2 25.0 23.5 26.3
1er Décembre 21.6 20.8 23.4 16.3
22.1 —
15.8 13.8 9 Décembre 22.9 20.6 23.8 17.8
26.6 22.2 22.0 23.9 23 Décembre 21.6 19.8 23.2 18.8
12.4 21.6 14.2 19.8 11 Janvier 22.6 22.8 34.4 20.2
13.7 13.3 13.3 12.6 28 Janvier 22.0 22.9 27.6 20.1
10.1 13.3 13.0 13.3 14 Février 21.3 22.0 24.3 21.6
13.4 14.3 15.0 13.8 5 Mars 25.0 —
22.2
—
5.8 9.8 16.6 18.5 8 Septembre 9.0 4.8 21.0 21.2
4.7 13.8 16.8 16.6 9 Octobre 3.9 9.1 13.0
8.4 11.1 21.0 25.9 14 Octobre 4.5 10.0 17.4 21.4
8.3 12.0 34.9 24.3 4 Novembre 9.4 14.1 22.8 26.8
9,5 11.9 22.0 27.1 10 Novembre 10.1 12.5 22.0 25.5
20 10.5 12.3 19.4 25.3
lor
Décembre 17.2 13.1 22.3 25.2
15.5 12.6 20.8 22.1 9 Décembre 8.9 12.5 20.8 18.0
14.9 12.2 27.8 28.2 23 Décembre 9.5 13.4 21.4 21.4
4.4 10.5 22.0 28.0 11 Janvier 10.5 11.5 21.8 19.6
5.3 11.8 25.0 24.9 26 Janvier 9.4 13.4 20.7 17.6
4.9 13.4 15.2 24.2 14 Février 8.3 14.1 21.8 19.6
1.2 9.5 20.2 26.4 5 Mars 7.2 13.0 20.6 14.0
20 —
4.4 6.7 10.1 28.2 8 Septembre 2.5 3.4 2.0 3.2
4.6 6.3 8.5 16.2 9 Octobre 2.5 2.8 3.6 —
6.5 7.5 11.2 23.0 14 Octobre 3.3 3.2 3.3 3.3
5.6 7.3 11.5 21.8 4 Novembre 6.7 6.9 9.4 22.0
7.6 8.0 13.3 21.9 10 Novembre 6.9 5.2 17.6 20.3
7.6 12.4 19.0
1"
Décembre 5.9 7.0 10.7 20.8
8.1 7.5 12.7 20.8 9 Décembre 9.6 7.0 10.8 19.6
3.7 7.5 10.6 20.4 23 Décembre 9.6 5.4 15.9 18.0
2.9 2.2 2.5 2.4 11 Janvier — 8.2 15.5 26.6
5.3 3.9 3.4 3.5 28 Janvier 6.7 7.2 11.3 22.8
4.2 5.3 3.7 3.5 14 Février 8.2 6.4 12.8 17.4
2.8 2.8 2.7 2.9 5 Mars 6.5 6.2 8.5 23.3

- 188
-
Cette campagne agricole présente des caractères très spé
ciaux. Les pluies, particulièrement abondantes à l'automne —
puisque leur total s'est élevé, en deux mois et demi,
— ont
à 400 m/m
brusquement cessé le 5 janvier pour faire place à une
sécheresse absolue, qui n'avait pas encore cessé le 15 mars,
et qui n'a été troublée que par une chute de quelques milli
mètres en février. En dépit de ces conditions anormales, la
marche générale de la percolation a suivi à peu près la règle
générale. Au début de l'année, succédant à une pluviométrie
générale moyenne (458) et très faible au printemps (24 m/m
en avril-mai),
l'humidité du sol est moins élevée que l'année
précédente, mais les précipitations,
qui ne commencent guère
qu'en novembre, sont massives et continues et, de ce fait, pro
voquent, malgré des réserves faibles, et dans tous les sols,
une percolation rapide, qui s'arrête à la fin du mois de janvier.
Pourtant,
l'humidité des terres reste élevée et les prélève
ments effectués au mois de mars,
resse totale,
après deux mois de séche
ne montrent qu'un faible abaissement de la
teneur en eau dans les sols sableux.
Ainsi —
et
comme il fallait, d'ailleurs, le prévoir —
les
quantités d'eau percolée sont extrêmement variables dans le
temps et avec la nature des terres considérées. Le régime
hydrique de celles-ci se montre sous la dépendance d'un cer
tain nombre de facteurs, dont les principaux sont : 1) l'abon
dance et la répartition de la pluviométrie, non seulement de
Tannée en cours, mais aussi de l'année précédente ; 2) la
nature du sol ; 3) la température,
en tant qu'élément de l'éva
poration. 11 est fait abstraction, ici et provisoirement, d'autres
causes telles que la végétation, la fumure, la culture, etc.
a) De l'année précédente. —
I. Pluviométrie
La
pluviométrie antérieure joue
un rôle indiscutable, à la fois par sa valeur absolue, sa fré
quence, et l'époque à laquelle elle a cessé de se manifester, en
un mot par l'humidité qu'elle a laissée dans le sol au départ de
la nouvelle campagne et à l'apparition des nouvelles précipi
tations. Elle permet d'expliquer les anomalies apparentes que
révèle le seul examen des résultats immédiats.

- 189 —
11 semble évident, par exemple, que
africain tout au moins —
lorsque
—
sous le climat nord-
les longs mois d'un été chaud
et absolument sec (qui est la règle) suivent une année à plu
viométrie faible et brève, la terre, quelle qu'elle soit,
se des
sèche et ne contient plus, à l'automne suivant, qu'un stock
insuffisant d'humidité que les premières pluies devront recons
tituer avant que l'eau surabondante puisse, de nouveau, s'écou
ler. Inversement,
si la campagne précédente a été caractérisée
par des précipitations abondantes et tardives et que les chutes
soient précoces et copieuses à la fin de l'été, le sol,
qui aura
des réserves suffisantes, sera facilement saturé et permettra
une percolation rapide.
Le tableau suivant indique,
avec la pluviométrie de l'année
précédente, le taux d'humidité des diverses terres examinées,
à plusieurs profondeurs, et au mois d'août de chaque cam
pagne agricole :
Pluviométrie
de la saison
Fin des ploies
Tableau n" 7
Date
dn
prélève
ment
Sol
25cm.
de
pro
fon
deur
50 cm.
de
pro
fon
deur
75 cm.
de
pro
fon
deur
90 cm.
de
pro
fon
deur
Hamri 11 12 12 11
1934-1935 Milieu de février, Août Tirs 9 )) 11 10
381 m/m rares pluies au mois 1935 R'mel 1 5 12 12
de mai.
Sable 5 7 9 15
Hamri 16 15 17 18
1935-1936 Fin de mai. Août! Tirs 14 17 18 17
652
1936-1937
458 m/m
m/m 1936 J R'mel 6 70 18 28
Début d'avril,
rares pluiesau mois
de mai
Août
1937
Sable 5 7 10 19
Hamri 12 12 14 11
Tirs
R'mel
Sablé
13
1
3
14
9
3
15
20
3
14
26
3

— - 190
En août 1936, par exemple,
après une année relativement
très humide, la teneur en eau des différentes couches est
beaucoup plus élevée, dans tous les sols,
de 1935,
qu'à la même époque
où la pluviométrie antérieure n'avait atteint que
381 m/m au lieu de 652 ; en août 1937, les dosages donnent
à peu près les mêmes résultats qu'en 1935, mais un peu plus
élevés cependant, surtout dans les couches profondes et argi
leuses du r'mel,
en raison précisément de la plus grande abon
dance des précipitations précédentes. .
Les quantités d'eau de drainage au cours de la première
période de chaque année ne sont donc pas,
et pour cette rai
son,
diatement cette percolation, ainsi que le montrent les chiffres
suivants :
Année
en rapport exclusif avec les pluies qui précèdent immé
Pluvio
métrie
Tableau n° 8
Mois Hamri Tirs R'mel Sable
"t" 7"
1934 186 Novembre.
Septembre.
Octobre.
1935 232 < Novembre.
Décembre.
Janvier.
1936 208 Octobre.
Novembre.
Octobre.
1937 185 Début no
vembre.
7. T •/•
b) Répartition des pluies de l'année. —
7-
7.
-/-
56 30 54 29 61 33 82 44
17 7 » » 47 20 69 29
66 29 56 24 99 47 107 51
32 17 25 13 64 35 71 39
La répartition des
pluies, au cours de l'année, est peut-être plus importante que
leur volume global, ainsi que le montrent les chiffres des
tableaux précédents et suivants (tableaux nos
7.
8, 9, 10, 11).

- 191
Si on l'examine, pour chacune des campagnes envisagées
dans ses rapports avec la percolation, l'on voit que :
En 1934-35, 186 m/m de pluies, soit 49 % du total annuel,
sont tombes en novembre et dans une période de quinze jours-
cet afflux massif a suffi à assurer l'écoulement de l'eau mais
1 ensemble de 1 année a été sec, puisque la pluviométrie totale
n a pas dépasse 380 m/m, et que les précipitations ont cessé
des le mois de mars, ne laissant dans le sol qu'un stock très
ïainle d eau pour la campagne suivante.
En 1935-36, le régime pluviométrique a été différent, puis-
quon a recueilli 632 m/m d'eau ; toutefois, 232 m/m, soit
do % du total, sont tombés de septembre à janvier et d'une
façon beaucoup plus régulière, à savoir :
En septembre, un jour : 26 m/m.
En octobre, cinq jours : 3, 4, 5, 10, 25 m/m.
En novembre, sept jours : 9, 10, 19, 21, 23, 24 m/m.
En décembre, cinq jours : 23, 25, 27, 28 m/m.
En janvier, six jours : 2, 6, 16, 21, 24, 25, 29 m/m.
En février, trois jours : 2, 13, 25 m/m.
Malgré la précocité des pluies, la percolation a été retardée
et relativement tardive, en raison des caractéristiques de la
campagne antérieure dont elle a subi l'influence. Par la suite,
elle s'est maintenue grâce à la continuité des précipitations qui,
très abondantes jusqu'en mai, ont laissé, dans le sol, des
réserves suffisantes.
En 1936-37, celles-ci,
associées à des pluies précoces et
copieuses, ont assuré un écoulement rapide de l'eau,
qui s'est
poursuivi jusqu'au printemps, dont la sécheresse relative a
réduit le taux d'humidité des terres.
En 1937-38 enfin, une pluviométrie excessive à l'automne
(400 m/m) a compensé la faible teneur initiale des terres en
eau et permis une percolation rapide, qui s'est, toutefois,
arrêtée assez tôt, bien que les différents sols, en dépit d'une
longue sécheresse, aient encore conservé en mars,
dité relativement élevée.
une humi

- 192
-
On peut donc constater que, si les quantités d'eau percolée
par période varient en valeur absolue d'une année à l'autre, il
existe cependant, et malgré ces différences parfois grandes,
certains rapports qui restent relativement constants et indé
pendants de la pluviométrie :
1° Le taux maximum d'eau percolée par rapport à l'eau
tombée correspond aux mois d'hiver : décembre, janvier,
février,
parfois mars.
2° Le pourcentage d'eau percolée aux mois d'automne est
inférieur à celui des mois d'hiver.
3° A une pluviométrie tardive,
une percolation réduite en mars, avril, mai.
D'autre part,
correspond généralement
si les précipitations sont massives et accu
mulées dans un temps très court, la percolation est rapide et
abondante. Ce comportement initial de l'eau joue un rôle im
portant,
car il influe à son tour sur le régime hydrique des
sols au cours de l'année, soit dans un sens « positif »,
soit dans
un sens « négatif ». C'est ainsi, par exemple, que la campagne
pluvieuse de 1933-34 a été suivie, au début de la saison, par
une pluviométrie abondante (186 m/m dans quinze jours) qui
a assuré une percolation presque immédiate et l'écoulement
de la
d'environ 56 m/m (sur un total de 156 m/m), soit 30 %
quantité drainée dans l'année pour le hamri, et 54 m/m ou
41 % (sur 139 m/m) pour le tirs. Au début de 1935-36, les
seules pluies d'automne ont atteint 232 m/m et leur masse a
déterminé la percolation qui, toutefois,
janvier, et d'ailleurs faiblement,
ne cCmmença qu'en
puisque 17 m/m seulement
s'écoulèrent, soit 10 % de la percolation totale dans les hamris,
alors que rien ne passa encore dans les tirs. Ce retard et cette
allure sont imputables à la sécheresse de l'année précédente,
et à celle du sol qui en a été la conséquence ;
mais la pluvio
métrie s'est prolongée jusqu'au mois de juin et assez abon
damment (265 m/m) et tardivement (avril-mai : 154 m/m),
laissant ainsi, dans le sol, un stock élevé d'humidité. Par ail
leurs, les pluies de la campagne suivante (1936-37) ont été pré
coces et ont commencé dès le mois d'octobre (octobre-novembre
208 m/m), ce qui a permis une percolation rapide et importante,
atteignant 66 m/m —
38
% —
du total annuel
dans les hamris

'"i %-
- 193
—
°U ~ danS l6S tirS" La camPa^e picole
l^ 3W,7 Carac e"see P« «ne pluviométrie moyenne
(458 458 m/J m/m) assez régulière et abondante à l'automne'seul" mais
brève puisqu'elle s'arrêta pratiquement en mars, avec
P.reC1Pltations en (24 m/m), alors que l'an
née nTlQ^T iyd7-d8 a ete marquée par des pluies copieuses et pré
coce» ; aussi, la percolation fut-elle rapide et il est passé
32 m/m d eau, soit 19 % de la percolation totale, dans le hamri
et 25 m/m, soit 14 % de la percolation, dans le tirs.
Donc en 1934-35 et 1936-37, à l'influence prépondérante, et
lavorable a la percolation, de l'année précédente pluvieuse,
s est ajoutée celle de la pluviométrie abondante au début de la
saison. En 1935-36, à l'influence défavorable de l'année pré
cédente, s'est associée l'action « négative » d'une pluviométrie
faible et disséminée au début de la saison.
Les deux facteurs» : pluviométrie de l'année précédente et
précipitations du début de la campagne en cours, cumulent ou
contrarient leurs effets, et c'est la résultante de ces deux
actions, agissant dans le même sens ou en sens contraire, qui
règle en grande partie l'allure de la percolation.
3° La nature du sol. —
Nous avons indiqué dans le tableau
suivant la quantité totale d'eau de drainage recueillie de cha
que type de sol, au cours des quatre années d'expérience :
ANNÉES
Pluviométrie
annuelle
7" 7"
Tableau n° 9
HAMRI TIRS R'MEL SABLE
V.
7°
7. T ■7.
1934-1935... 381 156 47 139 42 174 53 202 62
1935-1936... 652 178 27 38 6 200 32 261 42
1936 1937... 458 175 38 149 32 222 48 221 48
1937-1938... 417 163 39 171 41 180 44 220 53
7"
7.

- 194
—
On peut donc classer ces sols comme suit, d'après la quan
tité d'eau qu'ils ont laissé passer : sable, r'mel (sable sur
hamri), hamri et tirs ; le sable laisse passer plus d'eau que le
r'mel et ce dernier plus que les sols argileux (1).
Or, parmi ceux-ci, —
le hamri
qui
contient 31 % d'argile —
laisse écouler une plus grande quantité d'eau que le tirs, qui
n'en renferme que 18 %. L'examen des graphiques traduisant
le rythme de l'humidité du sol montre que, dans le hamri, les
la répartition de
courbes ont une allure tranquille et douce,
l'humidité est régulière et augmente avec la profondeur, tan
dis que, dans le tirs,
mentée,
leur allure est irrégulière et mouve
ce qui laisse supposer que l'évaporation est plus
accusée dans cette terre noire que dans les autres et (2), d'autre
part,
négligeable.
que la « structure » du sol joue également un rôle non
Dans le r'mel, on observe deux régimes, dus à la superpo
sition du sable et de l'argile qui constituent ce type de sol.
Dans la partie supérieure sableuse,
les pluies traversent faci
lement et rapidement, l'humidité est "régulière et se maintient
à un degré correspondant au pouvoir retentif du sable. Dans
la partie argileuse, on retrouve le régime aquatique du hamri,
mais moins accusé. Dans le sable, l'humidité est répartie assez
uniformément et reste, en général, voisine des chiffres qui
expriment le pouvoir retentif ; seule, la courbe de l'humidité
à 90 cm. se maintient aux taux élevés de 20-25 %
sent excessifs pour les sables,
qui parais
ce qui semble imputable à la
rétention de l'eau par les particules du sol lorsque leur conti
nuité avec la couche sous-jacente est rompue. Pour vérifier
cette observation, déjà faite par certains auteurs allemands,
nous avons effectué l'expérience suivante :
Deux colonnes de terre, constituées avec la couche supé
rieure du r'mel de Rabat,
ont été introduites dans deux tubes
ouverts, dont l'un a été « suspendu » sur une toile métallique,
de manière à rompre toute continuité avec les couches sous-
(1) En outre, dans les sols sableux, la percolation commence plus tôt que
dans les sols argileux.
(2) Cette importance de la structure et de la texture des terres avait déjà
été signalée par Draghetti [2].

- 195
—
jacentes, l'autre étant placé sur un vase rempli de la même
terre pour assurer, au contraire, un contact étroit ; les deux
colonnes ont été arrosées avec une égale quantité d'eau
(35 cm3). Dans le premier cas, le sol a absorbé 94 %
d'eau et
dans le
n'en a laissé passer que 6 % (humidité du sol 36 %) ;
second, il en a retenu 64 % (humidité du sol 24 %) et laissé
passer 36 %.
Après une nouvelle addition de 12 ce. 5 d'eau (correspondant
à 36 % de la quantité précédemment apportée), la percolation
a atteint 17 % et le taux d'humidité de la colonne de terre :
38 %. Dans deux autres essais, le poids de la terre utilisée a
été porté à 68 gr. et 58 gr., et on l'a arrosée avec 60 cm3
; on
a obtenu respectivement un taux d'humidité de : 48 % et 53 %,
tandis que 49 % et 50 % de l'eau ajoutée était recueillie
(36 %
: humidité de la colonne de sable dans les deux cas).
Cette épreuve met en évidence l'influence, sur la percolation,
de la continuité des diverses couches du sol, ou du sol et du
sous-sol, ainsi que celle de sa rupture ; elle montre,
même,
par le fait
que le drainage doit être moins abondant dans les cases
lysimétriques que dans les terres en place.

ANNÉES
1934-1935
Pluviométrie
totale :
381 m/m.
1935-1936
Pluviométrie
totale :
652 m/m.
1936-1937
Pluviométrie
totale :
458 m/ in.
1937-1938
Pluviométrie
totale :
417 m/m.
PRINCIPALES PÉRIODES
PLUVIEUSES
Fin janvier- début février..
Tableau n"
PLUVIOMÉTRIE
(A)
saison
nière
186
40
97
52
6
75
40
55
62
265
154
1
60
148
61
61
87
41
185
120
94
18
•/. de la
précipitation
annuelle
49 7.
10
25
14
2
12 7.
6
8
9
40
24
0
13"/.
32
13
13
19
10
44%
29
23
4
10
7"
56
20
80
0
0
PERCOLATION
HAMRI TIRS r'mel SABLE
•/.de(A)
30"/.
50
82
7*
54
20
63
0
0
V.de(A)
29"/.
50
65
7"
61
28
83
0
0
7.de(Ai
33%
70
87
7
82
32
88
0
0
156 137 172 202
0
0
0
17
116
45
22°/.
44
29
0
0
0
0
0
38
0
15 7,
0
0
14
33
123
30
25 7.
55
46
19
0
0
45
24
129
64
178 38 200 262
6
66
46
36
27
10'/.
45
73
59
31
0
56
39
33
21
37"/.
62
54
23
5
99
46
47
30
87.
67
74
77
33
23
84
48
40
26
181 149 227 221
32
75
56
163
17"/.
63
59
25
146
13 •/.
67
64
60
56
35 7.
50
59
71
87
62
171 180 220
7. de (A)
44 •/.
80
90
82%
39
48
41
39 •/,
57
79
66
30
38 V.
73
66

MOIS
Septembre.
Octobre
Novembre .
Décembre. .
Janvier
Février. ...
- 197
—
Tableau n°
RÉPARTITION DE L'EAU PERCOLÉE PAR PÉRIODE
11
(EN % DE LA PERCOLATION TOTALE)
HAMRI TIRS
1934-3K 1935-36 1936-37 1937-38 1934-35 1935-36 1936-37 1937-38
36
13
51
» )
1
38
19
46
41
14
( 26
10 ) 45 0
24
100
38
26
22
u 12
J
liaititt: d'iau
pireoléa n un. 163
. 156 178 173 169 38 149 171
Nous avons traduit la plupart de ces résultats par des gra
phiques dont, faute de place,
0
14
86
nous ne pouvons donner ici que
deux exemplaires, qui concernent le hamri et le tirs.
Nous y avons inscrit,
de chaque année exprimée en m/m,
en abcisses la pluviométrie journalière
et en ordonnées les varia
tions de l'humidité dans le sol et celles de l'eau de percolation,
pour chaque période de pluie. Ils montrent : que l'amplitude
des
variations de l'humidité est plus grande dans le tirs que
14

dans le hamri,
- 198
—
où le passage de l'état de sécheresse à l'état de
saturation a lieu d'une façon plus régulière, plus progressive,
et moins brusque que dans le tirs. Dans ce dernier, l'humidité
n'est pas répartie également dans la masse du sol et, dans le
hamri,
elle croît avec la profondeur.
J--T T'"""
" "» «' » 'V V VI V I I» K kl t , ,» v VI VI,
'33+ I33S 133B
r sa —
%'Z &~
ffta g/7
t- -equ or
nom -^-^V**oe
so ....
'■Hait
--*■
* t*
"*o &/J
'* *"
Les courbes qui représentent les variations de la percolation,
au lieu d'être droites, sont dentelées, chaque crochet corres
pondant à la succession de pluies abondantes au cours de la
percolation.
Ligne conventionnelle, courbes de l'humidité :
—
-/■/-/
profondeur de 25 cm.
profondeur de 50 cm.
profondeur de 75 cm.
profondeur de 90 cm.

199 -
**
Relation entre les rythmes de la pluviométrie
et de la percolation :
Dans le tableau ci-dessous, nous indiquons, pour chaque
année agricole, les dates et la durée des périodes successives
de pluie et de drainage :

31 octobre —
— — 200
Tableau n°
12
PLUIES PERCOLATION
1934-1935 1934-1935
15 novembre.
— 9 décembre 22 décembre.
9 février.
18 janvier —
13 novembre — 5 décembre.
— 11 décembre 13 janvier.
10 mars.
18 janvier —
1935-4936 4935-1936
— 26 septembre 24 novembre
(disséminées).
— 23 décembre 16 janvier.
2 février.
24 janvier —
13 février — 12 mars.
20 mars — 24 mars.
7 avril — 19 avril.
2 mai — 25 mai.
6 octobre —
3 novembre — 28
5 décembre : dans les sables 16 ■/■•
— 27 décembre : Sable 13 janvier.
— 27 janvier 21 février (sauf Tirs
où la percolation = 0).
— 24 février 17 mars.
— 25 mars 30 mars isauf Tirs).
Faible percolation 30 avril.
9 mai — 31 mai.
1936-1937 1936-4937
14 octobre.
novembre.
— 11 décembre 16 décembre.
27 janvier — 9
février.
— 28 février 29 mars.
30 septembre
4937-4938
— 7
novembre.
3 décembre — 17 décembre.
— 30 décembre 6
janvier.
17 octobre —
31 octobre : Sable.
31 octobre : R'mel.
— 23 novembre 8 décembre.
— 13 décembre 31 décembre.
30 janvier — 24 février : Tirs,
R'mel, Sable.
2 mars —
22 mars
22 mars
1"
avril :
avril :
avril :
— 1"
— 29
29 septem.
28 octobre —
29 octobre
29 octobre — — 12 décembre
— 31 décembre
R'mel, Sable.
1937-4938
R'mel, Sable.
Hamri.
Tirs.
— 5 novem. R'mel.
9 novem. Sable.
— 9 novem. Hamri.
16 novem. Tirs.
24 décembre.
30 janvier : Tirs,
Comme il était à prévoir, il n'y a pas de synchronisme entre
la chute des pluies et la percolation, qui ne peut évidemment
commencer que lorsque l'eau tombée a traversé toute l'épais
seur du sol ; il existe donc, entre les deux phénomènes, un
décalage dont la durée est, du reste, variable avec les divers

- 201
-
facteurs que nous avons déjà examinés. D'autre part, l'écoule
ment de l'eau continue longtemps après la fin des pluies
d'hiver,
alors qu'il cesse presqu'aussitôt après au printemps.
Les expériences effectuées en Tunisie, par Boeuf et
Novikoff, sur une terre brune à croûte [3]
ont abouti aux
mêmes conclusions que les nôtres. Le sol, argilo-siliceux
(argile 47 %, sable fin 40 %, sable grossier 13 %), était cultivé
en blé ou laissé en jachère, et la pluviométrie annuelle a
atteint 525 m/m la première année et 639 m/m l'année
suivante.
L'influence des pluies antérieures et du stock d'humidité
qu'elles laissent dans la terre —
surtout
après jachère —
a
été
également constatée, principalement sur le début de la perco
lation, qui est plus ou moins retardée, alors qu'elle s'unifor
mise dans toutes les cases pendant les mois d'hiver, pour se
différencier de nouveau au printemps. Le taux d'humidité et
le drainage sont toujours plus élevés dans les sols en jachère.
Conclusions
On peut déduire de cette série d'essais que, dans les condi
tions où ils ont été effectués :
1. La percolation de l'eau est conditionnée par :
a)
divité),
La pluviométrie de l'année précédente (abondance et tar-
qui règle le stock hydrique du sol au début de la cam
pagne en cours ;
b) La pluviométrie de celle-ci (abondance,
répartition) ;
c) La nature du sol.
précocité et
2. La quantité maximum d'eau percolée, par rapport à la
pluviométrie de l'année, correspond aux mois d'hiver, les
pluies d'automne étant retenues par le sol,
printemps sont perdues en partie par évaporation.
alors que celles du
3. Au cours des mois d'hiver, l'humidité du sol reste tou
jours élevée et constante, même lorsque les précipitations sont
faibles.

— — 202
4. La pluviométrie totale ne règle pas seule les mouve
ments de l'eau dans le sol et sa répartition joue un rôle aussi
important.
5. Il semble que le régime pluviométrique le plus favorable
au maintien d'un taux élevé d'humidité dans le sol soit cons
titué par de fortes pluies dès le début de l'année (mois de no
vembre),
suivies de faibles précipitations au cours de l'hiver
et d'une pluviométrie assez tardive et abondante au printemps.
6. Les sols à éléments fins retiennent beaucoup mieux l'eau
que ceux à éléments grossiers dominants, mais leur structure
intervient également dans leur pouvoir retentif et leur perméa
bilité ; c'est elle, par exemple, qui explique (en partie au
moins) le comportement des tirs par rapport aux hamri.

1. E. Miege. —
203 -
BIBLIOGRAPHIE
Etude du bilan de l'eau et des éléments fertilisants
dans quelques sols types du Maroc. (Extrait des Annales Agro
nomiques, Paris, mai-juin 1937).
2. Draghetti. —
Miglioramenti
e trasformazioni fondiarie nel
podere sperimentale « Molza » in S. Prospère (An. delta
R. Stat. Sperim. di Modena, vol. III, 1932-34, Modena, 1934.
3. Bœuf et Novikoff. —
Cultures
en cases de végétation et en
cases lysimétriques au Service Botanique et Agronomique
de Tunisie. (An. du Serv. Bot. et Agron. de la direct, des
Aff. Ecanonu de Tunisie, p. 677, t XII-XILI, 1935-36, Tunis,
-*rVWW-

Sur la Faune des plus hauts sommets
du massif du Toubkal (Maroc)
(Résumé)
PAR
J. DE LÉPINAY
D0Y8N DE L'INSTITUT SCIENTIFIQUE CHÉRIFIEN
L. Emberger a défini un « étage culminai » botanique du
grand Atlas marocain ; la limite inférieure en est située vers
3.700 mètres d'altitude. Au point de vue zoologique, on peut
distinguer dans cet étage un milieu culminai proprement dit
et des stations abritées : ces milieux sont surtout habités par
des Aranéides, Opilionides, Acariens, Collemboles, Myriapo
des ; on y trouve aussi un Gastéropode et un Isopode. Par
rapport aux végétaux, les animaux sont relativement abon
dants : ce sont, en majeure partie, des carnassiers etdessapro-
phages, dont la nourriture provient de la chute du plancton
atmosphérique.

Contribution à la connaissance
de la Morphologie externe des espèces
du genre « Âquila » au Maroc
(Résumé)
PAR
F. NÉMETH
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES NATURELLES DU MAROC
Peu d'aigles marocains ayant été antérieurement étudiés,
M. Németh apporte quelques éléments nouveaux. En mesurant
32 individus d.'
Aquila chrysaetos homeyeri Sewerzow, il a
reconnu que la taille de l'Aigle royal du Maroc est notablement
plus petite que ne l'a indiqué Hartert,
ouvrage existant sur les oiseaux paléarctiques.
auteur du principal
Quant à l'Aigle ravisseur Aquila rapax belisarius Levaillant
et à l'Aigle impérial Aquila heliaca adalberti Brehm, l'étude
faite au Maroc ne donne que des résultats provisoires, le nom
bre des exemplaires étudiés étant très faible.

L'Analyse harmonique
de la
Courbe pluviométrique d'Alger
PAR
L. PET1TJEAN
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D'ÉTUDES PHYSIQUES ET CHIMIQUES
DE L'AFRIQUE DU NORD
La sécheresse qui sévit, depuis quelques mois, sur la pres
que totalité de l'Afrique du Nord, attire de nouveau l'attention
des météorologistes sur les causes de cette calamité périodi
que. La variation des conditions climatériques auxquelles se
trouvent soumises nos contrées dépend des modifications de la
circulation générale de l'atmosphère. C'est pourquoi l'ensem
ble du problème de la sécheresse comporte, comme première
partie, l'établissement et l'étude des diagrammes pluviométri-
ques de stations choisies dans les différentes régions naturelles
et, comme deuxième partie, la construction des cartes de la
pression moyenne et des anomalies de pression pour les épo
ques diversement humides et sèches.
La première partie, que l'on peut qualifier d'analytique,
relève du domaine climatologique. La seconde, de nature syn
thétique,
s'élève au niveau dynamique. Le problème entier de
la sécheresse ressortit ainsi à cette branche nouvelle de la
météorologie qu'est la climatologie dynamique. Le sujet exposé
dans cette note, n'est, d'ailleurs,
qu'une parcelle d'une étude
plus vaste sur la variation des climats destinée à être publiée
ultérieurement.

— 210 —
Le diagramme pluviométrique relatif à une station détermi
née est habituellement tracé, par années successives, à l'aide
des totaux des précipitations recueillies annuellement en cette
station. On trace également, pour chaque mois particulier, des
graphiques obtenus en utilisant les totaux mensuels des
années successives. La première représentation offre l'incon
vénient de masquer la répartition de la pluie au cours de cha
que année ; la seconde, de multiplier les graphiques au lieu
de les condenser comme il convient pour une étude compara
tive. Parfois, on reporte, sur une même courbe,
les quantités
d'eau tombée au cours des mois successifs, mais dans ce cas,
leur répartition annuelle apparaît plus nettement que leur évo
lution interannuelle en raison des variations saisonnières de la
pluviométrie.
C'est pour échapper à ces divers défauts que nous préférons
employer, pour notre étude, une courbe construite avec les
totaux pluviométriques annuels calculés à partir de chacun
des mois successifs. Lorsque cette courbe monte, c'est que la
pluie est plus abondante à l'époque considérée que douze mois
auparavant et inversement. L'extrapolation de cette courbe
permet donc de connaître —
qualitative —
l'importance
tout
au moins d'une manière
de la pluie escomptée, par rapport
à celle qui est tombée douze mois auparavant. Il est, par suite,
nécessaire de construire la partie extrapolée de la courbe avec
le plus de précision possible, et par conséquent, de faire, au
préalable, l'analyse harmonique de la partie de la courbe déjà
construite d'après les observations.
En ce qui concerne la courbe pluviométrique d'Alger, nous
avons montré antérieurement (*),
en utilisant simplement les
totaux annuels des précipitations que, de 1842 à 1927, cette
courbe comportait deux ondes principales de périodes respec
tivement égales à 35 ans et 15 ans ainsi que des ondes dé
période moindre dont l'une, de 6 ans, paraissait jouer un rôle
important. D'après la symétrie présentée par la courbe résul
tante de part et d'autre de 1903, nous avons pu annoncer, il y
a plus de 10 ans, que « la moyenne des précipitations serelève-
(1) L. Petitjean : La prévision des précipitations atmosphériques en
Algérie. Rapport présenté au Congrès de l'Eau, Alger, 1928.

- 211 -
rait jusque vers 1935 puis qu'à partir de cette époque, elle
diminuerait constamment pour atteindre son minimum le plus
aigu entre 1940 et 1945, période correspondant à celle de la
grande disette de 1866 ».
La courbe pluviométrique d'Alger-Port construite, comme
il est dit plus haut, en prenant pour abscisses, les mois consé
cutifs et, pour ordonnées, les totaux de pluie correspondant
aux intervalles de douze mois y aboutissant, est représentée
sur la figure cijointe,
relative à l'intervalle décembre 1915-
mars 1938, par la ligne brisée en traits continus. On y observe
bien qu'après les années pluvieuses 1915 à 1918, les totaux
pluviométriques furent déficitaires, en grande majorité, de
1919 à 1927 alors que, de 1928 à 1936, ils furent,
—
partie, supérieurs à la moyenne
—
1932 furent des années sèches.
en grande
exceptionnellement 1930 et
Enfin, l'année dernière 1937,
année sèche, doit commencer une nouvelle série d'années en
majorité déficitaires. C'est ce que vient confirmer l'analyse
harmonique. Le mode particulier de construction de la courbe
pluviométrique fait apparaître une onde de 2 ans 5, sixième
harmonique de l'onde de 15 ans et dont le rôle paraît prépon
dérant. (Les ondes de 15 ans et de 2 ans 5 ont été représentées
sur la figure au moyen de sinusoïdes en pointillé ainsi qu'une
autre onde de 6 ans.)
En prenant le mois de décembre 1919
pour origine d'un intervalle fondamental de 15 ans et la
moyenne des précipitations au cours de cet intervalle ayant été
égale à 600 1%l, les amplitudes sont respectivement égales à
5"% et 10% et les constantes de phase égales à
— 61°
—68°
et
pour les ondes de 15 ans et de 2 ans 5. La courbe en
trait interrompu a été obtenue par la superposition de ces deux
ondes et de l'onde de 6 ans dont l'amplitude est égale à 7 %,
—
avec une ordonnée égale à 6% en décembre 1919. Cette
courbe résultante suit fidèlement les accidents de la courbe
déduite de l'observation. Elle permet donc de prévoir, par
extrapolation,
l'allure que présentera cette dernière au cours
des prochaines années (x). On retrouve, en particulier, le fait,
(1) Nous ne nous lasserons pas de répéter que le but principal de la
météorologie doit être de prévoir le temps : prévoir pour organiser le
calendrier des travaux agricoles, pour utiliser au mieux les époques

— - 212
déjà établi par la seule considération des ondes de 35 et de
15 ans, que 1937 marque le début d'une série d'années en
majorité déficitaires se prolongeant jusque vers 1940. En
ce qui concerne les mois prochains,
comme la courbe ré
sultante monte rapidement à partir de février 1938, ceci
signifie qu'à partir de cette époque, les quantités mensuelles
de pluie seront supérieures à celles de l'année précédente,
mais cela ne veut pas dire qu'elles seront exceptionnellement
importantes puisque ces dernières furent elles-mêmes très
faibles ou, même, nulles (respectivement : 0 r%i
en juin et en
juillet, 2 *%! en août, 34 % en septembre, 16 % en octobre,
25 % en novembre). A partir de décembre, la courbe résul
tante s'aplatit pour redescendre durant toute l'année 1939, ce
qui implique une prévision de chutes d'eau mensuelles encore
plus faibles, dans leur ensemble, l'année prochaine, que pen
dant la présente année. Nous pouvons donc pronostiquer un
abaissement croissant du niveau de la nappe phréatique lié à
l'aggravation du déficit pluviométrique au cours des prochains
mois.
Ces résultats,
d'Alger,
tirés de l'étude de la courbe pluviométrique
pourraient paraître n'être applicables qu'aux régions
voisines. Il serait intéressant de construire et d'analyser des
courbes analogues à celle d'Alger pour de nombreux points.
Nous montrerons plus loin que la sécheresse actuelle provient
d'une anomalie de la circulation générale atmosphérique dont
le résultat est d'entraîner le même phénomène dans presque
toute l'Afrique du Nord. Auparavant,
nous voudrions recher
cher s'il existe un parallélisme entre la courbe pluviométrique
et la production en céréales.
Sur la figure, les points entourés de cercles représentent la
production de céréales en millions de quintaux pour le dépar
tement d'Alger. On observe que, de 1915 à 1918, au cours
pluvieuses et les époques de beau temps, pour répartir les cultures sui
vant la succession de ces époques. Ceci est assurément plus fructueux
que de »se laisser guider par les données climatologiques. dont le tort est
d'englober des, époques de caractère souvent opposé et de ne donner
qu'un aperçu moyen du temps. Or, ce qui est précisément intéressant au
point de vue utilitaire, ce sont les écarts par rapport à la moyenne et la
météorologie doit s'astreindre à les prévoir.

0*U* «mjw*^ (1*5 , ^, IS*)
, Année*

- 213
-
d'années pluvieuses, les récoltes furent excédentaires ; de 1919
à 1926, période sèche, elles furent en majorité déficitaires (l'an
née excédentaire 1923 correspond à la courbe pluviométrique) ;
elles furent ensuite en majorité excédentaires, notamment en
1928, 1929 et 1930. De 1931 à 1933, une sécheresse temporaire
influença les récoltes ; enfin, depuis 1934, les totaux de céréales
récoltées vont en décroissant et l'affaissement prévu de la
courbe pluviométrique permet d'entrevoir des récoltes forte
ment déficitaires pendant au moins deux ans.
La période sèche qui débute en Afrique du Nord résulte de
la faiblesse du nombre des perturbations génératrices de pluie.
Il faut rechercher la cause de cette insuffisance «cyclogéné
tique » dans la rareté des invasions d'air polaire qui parvien
nent jusqu'à nos régions. Il est bon qu'à ce sujet,
nous dissi
pions une erreur trop répandue même dans certains milieux
scientifiques : l'influence des forêts ne s'exerce que dans une
très faible proportion sur la quantité des précipitations et le
déboisement n'a rien à voir avec la sécheresse considérée au
point de vue météorologique. Si les étendues boisées favorisent
la condensation de la vapeur d'eau atmosphérique il n'en est
pas moins nécessaire que l'air qui circule au-dessus de ces der
nières doit être chargé d'une humidité suffisante et animé de
mouvements ascendants indispensables au phénomène de la
condensation. La pluviosité n'augmente pas par le seul fait du
passage d'une masse d'air au-dessus d'une forêt ; il faut aussi
que cette masse d'air se trouve dans les conditions physiques
et dynamiques voulues. Or, actuellement,
la fréquence du pas
sage de masses d'air tropical sur l'Afrique du Nord est plus
grande que celle du passage de masses d'air polaire : des
averses, même torrentielles, mais trop espacées,
ne suffisent
pas à imbiber suffisamment la terre avant que. les vents secs
ne viennent, dans l'intervalle, en détruire l'effet.
Depuis quelques mois, la pression est anormalement élevée
sur l'Europe occidentale, le bassin méditerranéen et le Nord de
l'Afrique. Dans ces conditions, les courants de perturbations du
« front polaire » passent, sur la face septentrionale de l'anticy
hautes latitudes pour pouvoir attein
clone océanique, à de trop
dre nos contrées. Seuls, de temps en temps,
des cyclones régé-
15

— 214 —
nérés par le Sud apparaissent au large du Maroc ou en Médi
terranée et se propagent lentement vers l'Est en ne déversant
que de faibles ondées. Cependant, à partir du printemps, l'anti
cyclone océanique remontant vers le Nord, les dépressions du
« front saharien » la suivent dans son mouvement en latitude
et s'avancent, par intermittence, jusqu'au bassin méditerra
néen, -
tefois,
dans une direction générale Sud-Ouest
Nord-Est.
Tou
la présence de hautes pressions en Europe occidentale
s'oppose à leur progression et retarde leur apparition au cours
des mois de printemps : les pluies se trouvent d'abord limitées
au Sahara et aux Hauts-Plateaux jusqu'à une époque assez
avancée et ne gagnent que plus tard le Tell et le littoral médi
terranéen. Pour que cesse la situation actuelle, il faudrait que
les hautes pressions d'Europe s'effondrent et livrent passage
aux dépressions du « front saharien ». Or,
l'étude continue de
la variation du climat de nos régions, au moyen d'une méthode
synoptique différentielle, nous a montré que cet événement
n'était malheureusement pas à prévoir.
On comprend, par ces quelques considérations de climatologie
dynamique, l'intérêt que présente, pour la prévision du temps
à longue échéance, la comparaison de l'allure des phénomènes
météorologiques en différentes régions avec les mouvements
généraux de l'atmosphère.
Avril 1938.

Contribution à l'étude zoogéographique
de la Faune des Aphidoidae
des pays sub-méditerranéens
(Résumé)
PAR
J. M. MIMEUR
MEMBRE DE LA SOCIETE DES SCIENCES NATURELLES DU MAROC
Parmi les sept pays bordant la Méditerranée au Sud, depuis
la Syrie jusqu'au Maroc,
il n'en est que quatre dont nous con
naissions les principaux Aphidoidae qui les habitent,
la Palestine, l'Egypte, l'Algérie et le Maroc ;
ce sont :
encore n'avons-
nous sur l'Algérie que des renseignements fragmentaires.
L'examen du tableau suivant montre :
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ta
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Total des Espèces
reconnues
S.
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M
<
•
62
a
09
eu
g
«J
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Espèces
spécialisées
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60
H
Espèces spéciales à la fois à :
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«
a
«
&
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«•r
3«SW
*

d'une part,
216
un endémisme que l'on peut qualifier de normal
tant en Egypte qu'au Maroc, endémisme au contraire faible en
Palestine et en Algérie. Cette faiblesse résulte peut-être de l'in
suffisance de l'inventaire.
Il révèle, d'autre part, l'existence d'affinités beaucoup plus
sensibles entre le Maroc et l'Egypte qu'entre ce dernier pays et
son voisin la Palestine. En effet, sept espèces placées dans
quatre genres de la même tribu sont spéciales à la fois au
Maghreb et à l'Egypte,
alors que deux seulement appartenant
chacune à un genre de tribu différente sont communes à la
Palestine et à l'Egypte. Enfin,
dans les trois pays on trouve
cinq espèces qui leur sont propres, elles relèvent de quatre
genres inclus dans deux tribus.
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- 217
—
Les éléments tropicaux ou subtropicaux sont très réduits,
ils suivent l'aire de dispersion des genres végétaux restreints
auxquels ils sont inféodés.
Les espèces ubiquistes, généralement assez polyphages,
représentent moins de 15 % du total. Le reste des composants,
soit 17,8 %
est constitué par des espèces ayant chacune une
aire de dispersion large et disjointe, embrassant à la fois deux,
trois, parfois même quatre grandes régions.
Sur 12 catégories différentes d'aires de dispersion combinées,
la grande région Holarctique figure 10 fois, ensuite viennent
PIndo-Malaise qui entre dans 6 combinaisons, la Néotropicale
dans 5 et l'Ethiopienne dans 4.
Les facteurs historiques et écologiques étant encore inconnus,
il ressort de la statistique où nous sommes contraints de nous
cantonner exclusivement pour l'instant,
que le caractère mar
quant de l'Aphifaune du Maroc est méditerranéen. D'autre
part, l'Egypte, tout au moins la basse vallée du Nil et son
delta,
qui est placée par certains botanistes et zoologistes dans
la région Saharo-sindienne, a, en regard à son aphifaune, éga
lement beaucoup
de caractères méditerranéens.

Aperçu phytogéographique sur la Flore cryptogamique
méditerranéenne de l'Afrique du Nord
L'Endémisme et les Caractères propres au Maroc, à l'Algérie
et à la Tunisie
PAR
Roger-Guy WERNER
DOCTEUR ES SCIENCES, LAUREAT DE L I.VSTITUT
CHEF DU SERVICE BOTANIQUE DE L'INSTITUT SCIENTIFIQUE CHÉRIFIEN
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES NATURELLES DU MAROC
INTRODUCTION
Dans un Mémoire récent [32] (*), condensé ensuite et
amendé par une note [33], nous avons tenté d'incorporer les
Cryptogames marocaines dans l'ensemble phytogéographique
méditerranéen en prenant comme fondement naturel les étages
tel travail, fructueux pour
tant, reste actuellement encore fragmentaire par suite de l'in
suffisance des documents bibliographiques concernant la flore
de végétation d'Emberger . [24] Un
cryptogamique méditerranéenne ; il est, en outre,
retouches incessantes,
des stations de ces végétaux,
sujet à des
solidaires de l'accumulation du nombre
d'où la nécessité de travaux d'or
dre systématique. Plus nos notions sur les localités s'accroî
tront,
mieux nous arriverons à déterminer exactement la posi
tion phytogéographique des Cryptogames dans les étages ; pour
le moment nous sommes obligé de nous baser sur leur fré
quence dans un étage donné et sur la connaissance de leurs
(1) Les chiffres entre crochets se rapportent à la bibliographie.

— 220 -
conditions stationnelles au Maroc. Les microclimats non ou à
peine permettant connus,
l'existence simultanée des plantes
inférieures dans différents étages et même en dehors de la
région méditerranéenne,
soit une plasticité écologique plus ou
moins grande de certaines, jeu logique de la nature, compli
quent singulièrement le problème. Chaque cas exige donc un
examen très détaillé avant de pouvoir être classé dans un étage
plutôt que dans un autre,
et quelques données esquissées dans
notre « Essai » précédent et valables pour le Maroc seulement
demandent à être rectifiées, lorsqu'on les analyse dans le cadre
de l'Afrique du Nord, but de ces lignes,
méditerranéenne.
ou même de l'aire
A ce travail se trouve annexée une bibliographie cryptoga
mique de l'Afrique du Nord qui n'a pas la prétention d'être
complète à cause de sa grande dispersion dans les périodiques,
dont certains nous font défaut. Nous estimons, cependant, faire
œuvre utile en signalant tout ce que nous avons pu relever,
même si l'une ou l'autre étude n'intéresse pas directement les
recherches présentes.
CONSIDERATIONS GENERALES
La flore cryptogamique de l'Afrique du Nord,
celle du Maroc sensu stricto,
tout comme
se compose d'éléments méditer
ranéens dans l'ensemble relativement peu nombreux et, mal
heureusement,
notre territoire ; il faut y
peu étudiés quant à leur répartition exacte sur
ajouter un élément tropical faible
ment représenté et enfin une forte proportion de plantes prove
nant surtout des régions tempérées, dont l'existence est assurée
par des conditions locales similaires à celles de leur contrée
d'origine. Le cas des flores cryptogamiques extra-méditerra
néennes a été suffisamment développé dans notre mémoire
antérieur [32] pour que nous n'y
revenions pas momentané
ment. Seules les espèces méditerranéennes et, parmi celles-ci
un nombre restreint, nous intéressent, afin de corroborer la
continuité de cette flore en Afrique du Nord et d'en indiquer
aussi les divergences. Les tableaux annexés condensent et
résument le sujet.

- 221
—
LES ETAGES MEDITERRANEENS DE VEGETATION
I. —
Etage
aride
L'étage aride, caractérisé en Phanérogamie par Acacia gum-
■mifera. Stipa tenacissima, Zizyphus et, au Maroc en outre, par
l'Arganier [24], peut être circonscrit en Cryptogamie par la
présence de Lichens du genre Heppia, par Acaraspora reagens
et Acarospora Pitardi. Parmi les Heppia, citons principalement
pour nos territoires H. subrosulata existant au Maroc dans les
Mesfioua (Grand Atlas) à 900 m. [28],
en Algérie près d'El
Kantara et de Batna [44] ; il croît aussi à Biskra [44]
et dans
le Hoggar en plein Sahara [§]. Plus répandu est Acarospora
reagens qui atteint son optimum dans cet étage,
dans l'Arganietum [25, 28, 29] ;
soit au Maroc
on le connaît d'Algérie à Oran
(semi-aride) [15], de Tunisie d'Aïn Draham (humide) [15], et
il se retrouve au Portugal, en Espagne, en Corse, en Italie, en
Russie asiatique, en Mésopotamie, en Californie jusqu'à
1.900 m. près du désert et sous une autre forme en Egypte et
en Judée. Malgré donc une répartition s'étendant jusque dans
l'étage humide,
grâce probablement à des conditions micro
climatiques d'aridité locale, sans y
qu'il prend dans les arganiaies marocaines,
atteindre le développement
nous n'hésitons
pas à le considérer comme un Lichen xérophile extrême. Quant
à YAcarospora Pitardi il n'est, pour le moment, signalé que des
Hauts-Plateaux marocains [25] et des monts arides au Nord
qui existent pourtant dans le
de Gafsa [15, 70]. Les Mousses,
désert, semblent jusqu'ici faire défaut dans l'étage aride, sauf
peut-être Tortula desertorum des steppes asiatiques plus ou
moins halophiles, d'Espagne (plateau de Castille) [1] et,
paraît-il [3], de l'Algérie, où, dans tous les cas,
espèce vicariante, T. Saharae, dans le Sud Oranais [68] .
2. —
Etage
semi-aride
croît une
Cet étage s'étend sur les contrées peuplées de Pin d'Alep, de
Callitris, de Genévrier rouge et, à une certaine altitude déjà,
peut se définir, au point de vue
de Genévrier thurifère . [24] Il

- 222
-
cryptogamique, par les Lichens Acarospora Laqueata, Calo-
placa inspersa et par la Mousse Tortula atrovirens. Acarospora
Laqueata [13] est connu d'Espagne (Saragosse),
du Maroc (Fès
et environs ; Anoceur, Azrou et Ifrane dans le Moyen-Atlas
[25, 29]), d'Algérie (Azéba,
Mila et surtout depuis Constantine
à El Kantara par Batna [43]), de Tunisie (Le Kef, mont Azeied,
mont Ben Younès au Nord de Gafsa [70], de Kurdistan et de
Mésopotamie ; quoique pénétrant donc, au moins au Maroc,
dans l'étage subhumide (Moyen-Atlas), il est actuellement sur
tout répandu dans l'étage semi-aride. Caloplaca inspersa se
trouve pour le moment seulement au Maroc (Fès),
tamie et en Iran . [25]
en Mésopo
Tortula atrovirens, croissant çà et là en
Europe occidentale et moyenne sans dépasser vers l'Est la
Bavière et la Saxe,
l'Europe méridionale, l'Afrique du Nord (Maroc : Hauts-Pla
appartient à l'aire méditerranéenne depuis
teaux, environs de Fès, Djebilet, Tinghir du Todra, Rabat et
environs [26] ; Algérie : Oran et Extrême-Sud Oranais, Alger,
Djurdjura, Blida [36, 38, 39] ; Tunisie : environs de Gabès,
Aïn Draham [62] et du Sud (Cap), d'Asie (Syrie et Caucase)
jusqu'en Amérique (Californie) et en Australie. Il existe aussi
aux Canaries, au Hoggar [5], au Chili, en Tasmanie et en
Nouvelle-Zélande. Le Cap détient, en vica-
outre, une espèce
riante, T- recurvata [13]. Malgré sa grande plasticité écologi
que —
ne
pénètre-t-il pas sur notre territoire restreint de
l'Afrique du Nord dans les étages subhumide (Rabat, Alger,
Blida, Djurdjura) et humide (Aïn Draham) —
cette Mousse peut
être considérée comme une plante typique de l'étage semi-aride.
A ces espèces s'en ajoutent d'autres non moins caractéristi
ques,
à répartition actuellement cependant plus restreinte en
général, telles Lecanora (Aspicilia) fruticulosa (Maroc, Algérie,
Grèce, Asie mineure) avec une espèce voisine, L. esculenta
(Algérie, Tripolitaine, steppes de la Russie méridionale, Asie
mineure et Iran), Dermatocarpon monstrosum (France méri
dionale, Italie, Maroc, Algérie, Tunisie, Lecanora (Squamaria)
fragilis (France méridionale, Corse, Espagne septentrio
nale occidentale, Italie, Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine),
Peccanm coralloides (Corse, Italie, Maroc, Algérie, Tunisie),
Lecanora Agardhiana (Italie, Maroc, Algérie, Tripolitaine),
Verrucaria amphibôla (France méridionale, Maroc, Algérie) et

—
- 223
d'autres pour les Lichen, telles pour les Mousses Cmssidium
squamigerum et var- griseum (Europe méridionale, Italie sep
tentrionale, Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Sinaï, Asie
Crossidium chloronotos
mineure, Syrie, Caucase, Iran),
(France méridionale, Sardaigne, Malte, Maroc, Algérie, Tuni
sie, Tripolitaine, Caucase, Afghanistan)
et vraisemblablement
Pleurochaete squarrosa, très répandu au Maroc, en Algérie,
en Tunisie et ailleurs. Détailler les stations pour ces plantes
caractéristiques secondaires allongerait inutilement ce travail
et nous renvoyons à la bibliographie. L'existence de certaines
d'entre elles dans d'autres étages s'explique par les conditions
locales, microclimatiques, à aridité relative proche de celle se
rencontrant généralement dans l'étage semi-aride. Une étude
ultérieure nous permettra, d'ailleurs, de préciser, d'après nos
connaissances actuelles, cette plasticité écologique pour les
espèces les plus marquantes.
3. —
Etage
subhumide
L'étage de l'Olivier, du Pistachier, du Chêne-liège et du
Chêne-vert est celui qui convient parfaitement à la végétation
par suite de la douceur de son climat [24]. Rien d'étonnant
d'y rencontrer, en Cryptogamie également, le plus grand nom
bre de plantes non seulement méditerranéennes, mais aussi tem
pérées et froides, car l'équilibre de l'eau s'y réalise le mieux ei
donne naissance à des conditions microclimatiques similaires
à celles des régions tempérées ou froides. Il peut être circons
crit par les Lichens et les Mousses suivantes : Acarospora
complanata (France dans le Var ; Maroc à Azrou dans le
Moyen Atlas [15, 25]), avec une espèce vicariante,
A. rufoalu-
tacea, en Algérie (province de Constantine [15]), Lecanora
(Aspicilia) polychroma (Corse ; Italie ; Maroc : région du Sud
de Rabat [28] ; Grèce : mont Oeta) avec une espèce vicariante,
L. polychromoides en Iran, Lecidea advena du Maroc (environs
de Bab Taza dans le Rif occidental à 875 m. [28]) et de l'Hima
laya, Verrucaria marmorea (France méridionale ; Baléares ;
Italie ; Yougoslavie ; Corfou ; Grèce ; Maroc : Rif occidental,
Moyen Atlas, à Immouzer, mont Zalagh près de Fès [25, 29] ;

- 224
—
Algérie : département de Constantine [43] ), Diploschistes ocel-
latus (France méridionale ; Corse ; Italie ; Sardaigne ; Grèce ;
Portugal ; Espagne ; Maroc : Fès et environs, Immouzer dans
le Moyen Atlas, monts Zaïan, Casablanca, Anti-Atlas côtier
[25, 29] ; Algérie : TIemcen, La Calle, Constantine et départe
ment [42, 43] ; Tunisie : Sousse [60] ; Tripolitaine [8]) avec
une espèce vicariante,
D. subocellatus en Australie, et Scleropodium
Illecebrum (Europe méridionale ; Marjc : Tanger,
Tetuan, Rabat, Camp Boulhaut, monts Zaïan, Azrou dans le
Moyen Atlas, Asni et le Tizi-n-Tachdirt dans le Grand Atlas à
1.000 et 1.300 m. [26] ; Algérie : Alger, Philippeville, La Calle,
Bône, Le Tiaret, Kabylie, Atlas de Blida de 1.000 à 1.600 m.,
Constantine [34, 36] ; Tunisie : Aïn Draham, Sousse, Le Kef
à 800 m., Hammam-Lif [60, 62] ; Californie), Epipterygium
Tozeri (Europe méridionale ; Maroc : Tanger, Rabat et envi
rons, monts Zaïan, Anti-Atlas dans le mont Siroua à 3.200 m.
[12, 26] ; Algérie : Alger, Bône, La Calle [36] ; Tunisie : Aïn
Draham [62, 63] ; Caucase ; Himalaya ;
Pterogo-
Californie),
nium ornithopodioides (Europe méridionale ; Maroc : Tanger, Té
touan, Camp Boulhaut,
Immouzer et Azrou dans le Moyen Atlas
[26] ; Algérie : Atlas de Blida de 1.000 à 1.600 m., La Chiffa,
Tizi-Ouzou, Philippeville, Bône, La Calle [34, 36] ; Tunisie: Aïn
Draham surtout [62, 63, 68] ; Syrie ; Californie ; Afrique du
Sud), Bartramia stricta (France méridionale ; Corse ; Espagne ;
Maroc : Tanger, Tetuan, Rabat et environs, Casablanca et envi
rons, Moyen Atlas de 1.000 à 1.200 m.,
Grand Atlas de 1.200
à 1.850 m., mont Zalagh près de Fès, Meknès [26] ; Algérie :
Alger, Blida, Kabylie, Philippeville, Bône, La Calle, Le Tiaret,
Mascara, mont Aïssa, 2.250 m. dans le Sud Oranais [36, 53] ;
Tunisie : Aïn Draham surtout [62, 68] ; Asie mineure ; Cau
case ; Californie) avec une espèce vicariante, B. substricta, en
Afrique du Sud.
A ces plantes bien caractéristiques on peut adjoindre des
espèces rentrant jusqu'ici sans doute dans l'étage subhumide :
Toninia tabacina (Italie, Sardaigne, Portugal, Maroc, Algérie,
Tunisie), Toninia cinereovirens (France méridionale, Italie,
Portugal, Maroc, Algérie). Ijecanora (Aspicilia) trachytica (Ita
lie, Corse, Maroc, Algérie), Psora testacea (France méridionale,
Italie, Maroc, Algérie), Squamaria deceptoria (Corse, Italie,

— - 225
Maroc,. Algérie, Tunisie), Candelariella granulata (Corse, Ita
lie, Espagne, Maroc, Algérie, Tunisie),
(France méridionale, Portugal, Espagne, Maroc, Algérie, Tuni
Timmiella barbuloides
sie, Tripolitaine, Asie mineure, Iran, Californie), Bryum bicolor
(Europe méridionale, Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine,
Sinaï, Syrie, Asie mineure, Caucase), Funaria mediterranea
(Europe méridionale, Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine,
Syrie, Mésopotamie, Caucase, Californie),
Hymenostomum tor-
tile (France méridionale, Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine,
Caucase), Camptothecium aureum (France méridionale, Espa
gne, Portugal, Maroc, Algérie, Syrie, Palestine, Californie),
Fissidens serrulatus (Europe méridionale, Maroc, Algérie,
Tunisie), Neckera Menziesii (France méridionale, Péninsule
ibérique, Maroc, Algérie, Grèce, Californie).
Parmi les champignons susceptibles de rentrer dans cet
étage citons : Terfezia Leonis (Europe méridionale, Maroc,
Puccinia Asphodeli (Europe
Algérie, Tunisie, Asie mineure),
méridionale, Maroc, Algérie, Tunisie), ïaghouania Phyllirecte
(Maroc, Algérie), Taphrina Kruchii (Europe méridionale, Maroc,
Algérie), Taphridium algeriense (Europe méridionale, Maroc,
Algérie), Clitocybe olearia (Europe méridionale, Maroc, Algérie,
Tunisie, Australie), Mycena lenta (France méridionale, Maroc,
Algérie), Colus hirudinosus (France méridionale, Maroc, Algé
rie).
4. —
Etage
humide
L'étage humide, celui des Chênes à feuilles caduques, du
Cèdre et de YAbies Pinsapo,
occupe encore de grandes surfa
ces au Maroc et en Algérie ; il est, par contre, moins étendu en
Tunisie et reste localisé dans le Nord surtout. On peut, au
point de vue nettement cryptogamique, le délimiter et le carac
tériser par Parmelia contorta (France méridionale ; Maroc :
sur les Cèdres du Moyen Atlas à 1.650 m. [29] ; Algérie : Atlas
de Blida sur les Cèdres à 1.600 m. ; Grèce : mont Taygète sur
Conifères, 2.400 m. [42], Parmelia Jacquesi (Maroc,
lac Sidi
Ali-ou-Mohand dans le Moyen Atlas, 2.000 m. [29] ; Liban :
sur les Cèdres [21]), Acarospora bullata (Italie ; Maroc : Grand
et Anti-Atlas de 2.600 à 4.149 m. [28, 29] ; Iran : provinces

- 226
—
d'Ispahan et de Téhéran vers 2.500 m. ; Californie [15]) avec
une variété en Phrygie à 1.300 m. ; ce dernier pénètre donc au
Maroc dans l'étage de haute montagne. Le cas de YAcarospora
sulphurata doit être réservé momentanément jusqu'à plus
ample information,
car il s'étend depuis l'étage aride jusqu'à
celui de haute montagne avec, jusqu'ici, une prédominance
dans les étages humide, subhumide et semi-aride.
Complétons cette énumération des Lichens par des espèces
secondairement importantes à répartition actuellement moins
étendue, mais strictement localisée dans cet étage, telles Thelidium
Pertusati (Italie ; Maroc [28]), Staurothele Fontqueri
(Maroc : Rif occidental [29]), Leptogium Mairei (Espagne :
Sierra Nevada à 2.600 m. [11] ; Maroc : Rif occidental, Moyen
Atlas, monts Zaïan [29]), Pertusaria Lapieana (Espagne :
Sierra Nevada, 2.600 m. [11] ; Maroc : Rif occidental, Moyen
Atlas,
mont Siroua dans l'Anti-Atlas de 1.500 à 3.000 m. [28,
30] ; Algérie : Kabylie dans la contrée d'Akfadou à 1.200 va.
[44]) et d'autres. Comme on le constate, la Tunisie ne semble
pas touchée par cette flore lichénique, mais certaines espèces
peuvent s'y retrouver.
Il n'en est pas tout à fait de même pour les Mousses et Lep-
todon Smithii (France méridionale ; Péninsule Ibérique [2] ;
Maroc : Tetuan, cédraie d'Azrou dans le Moyen Atlas [12, 26] ;
Algérie : Atlas de Blida, Kabylie, Alger, Philippeville, La Calle
[34, 35] ; Tunisie : forêts d'Aïn Draham [62] ; Caucase ; Le
Cap ; Australie) constitue une excellente espèce de cet étage.
On peut y ajouter Homalia lusitanica (France méridionale,
Italie. Péninsule Ibérique, Maroc, Algérie, Tunisie), Antitri-
chia californica (France méridionale, Corse, Italie, Péninsule
Ibérique, Maroc, Algérie, Syrie, Californie), Syntrichia prin-
ceps (Europe méridionale, Maroc, Algérie, Asie occidentale,
Ceratodon cedicola (Maroc : Moyen
Californie, Chili, Cap),
Atlas).
Comme Champignons citons Trabutia quercina (Europe
méridionale, Maroc, Algérie, Tunisie), Trametes cinnabarina
(Afrique du Nord, Asie) et les belles espèces du Cedretum maro
cain et algérien, Clavaria cedretorum, Gomphus Tri-
crassipes,
choloma cedrorum. Cortinarius cedretorum, C. aurasiacus,
Sepultaria Sumneriana et d'autres.

5. —
Etage
—
— 227
de Haute Montagne
Caractérisé par des Phanérogames xérophytes en coussinet
[24],
cet étage n'existe ni en Algérie ni en Tunisie. Nous le
définissons par le Lichen Candelariella australis (France méri
dionale ; Espagne : Sierre Nevada à 2.600 m. [11] ; Maroc :
Grand- et Anti-Atlas de 2.000 à 4.149 m. [28, 29, 30] ; Grèce :
mont Khelmos, 2.000 m.) et surtout par des endémiques, tant
Lichens que Mousses : Aspicilia Toubkalensis, DermMocarpon
atlanticum, Bryum Mairei, Encalypta Litardieri, Maireola
atlantica. Nous y rencontrons, en outre, des espèces alpines et
subalpines, Umbilicaria et autres, dont quelques-unes, Squa-
maria rubina, S. melanophthalma, Grimmia montana, pren
nent l'aspect si spécial en coussinet. Ce fait connu pour les
Mousses, surtout les Grimmia, mérite d'être également signalé
pour les Lichens.
ENDEMISME
L'endémisme en Afrique du Nord s'est développé chez les
Cryptogames principalement en faveur des Lichens et des
Champignons ; certains groupes effroyablement polymorphes,
donnent de nombreuses espèces ou plutôt des races locales, tels
les groupes du Lecanora subfusca et du L. campestris. Il est
moins fréquent chez les Mousses et les Hépatiques, fait d'ail
leurs général pour elles et attribué par Herzog [3] à « la trans
formation plus lente de l'espèce due à des possibilités moins
grandes de combinaisons des caractères ». L'endémisme nord-
africain est à considérer, en majorité, comme un néoendé-
misme à partir d'espèces des régions tempérées consécutif aux
conditions climatiques particulières à la région méditerra
néenne. Dans. chaque étage ont pris naissance des espèces spé
ciales, principalement dans le semi-aride, le subhumide et
l'humide. L'aride en a façonné le moins ; par contre, l'étage de
haute montagne ne peut être caractérisé presque entièrement
que par des Lichens et des Mousses endémiques, en petit
nombre d'ailleurs, descendant d'espèces tempérées. Une seule,
Acarospora Rageoti, est si étroitement apparentée à A. bella
tropical, que notre savant confrère, le Dr
Magnusson, spécia
liste de cette famille, la considère comme une variété nitro-

- 228
-
phile [16]. Parmi les Mousses nous y rencontrons même un
genre endémique, Maireola, vraisemblablement reliquaire. Dans
ce cas rentre, semble-t-il, aussi le genre Thelococcwn décou
vert près d'Oran. Citons enfin au Maroc deux autres genres
•lichéniques spéciaux, Wemera (Rabat) et Candelariellopsis
(Arround à 2.000 m. dans le Grand Atlas) [29].
Il serait fastidieux de donner la liste complète des endémi
ques ; leur nombre s'élève actuellement à 11 Mousses,
69 Li
chens et 100 Champignons pour le Maroc, à 18 Mousses,
5 Hépatiques, 66 Lichens et environ 200 Champignons pour
l'Algérie, à 5 Mousses, 12 Lichens et environ 75 Champignons
pour la Tunisie.
Cette tendance à la production d'espèces spéciales ne reste
pas toujours spécifique à chacun des trois pays composant
l'Afrique du Nord ; des conditions similaires peuvent favoriser
la formation d'espèces endémiques identiques dans deux terri
toires ou même dans l'ensemble nord-africain, dont voici des
exemples : Archidium Durieuanum (Maroc et Algérie), Rhyn-
chostegium Letourneuxii (Algérie et Tunisie), Pyramidula alge-
riensis (Maroc et Algérie), Clevea Rousseliana (Maroc et
Algérie), Fossombronia verrucosa (Maroc et Algérie), Aca
rospora Pitardi (Maroc et Tunisie), Thyrea nummula-
rioides (Maroc et Algérie), Caloplaca quercina (Maroc et
Algérie), Lecania porracea (Maroc et Algérie), Pertusaria ilicicola
(Maroc et Algérie), Rinodina albidorimulosai (Maroc et Algé
rie), Sepultaria Sumneriana (Maroc et Algérie), Hypoxylon
serlatum (Maroc et Algérie), les espèces fongiques du Cedre-
tum algéro-marocain déjà citées, Puccinia Launeae (Afrique du
Nord) et d'autres. Lorsque l'Afrique du Nord, principalement
la Tunisie, sera mieux explorée au point de vue cryptogami
que,
on pourra rassembler une documentation plus complète
dans cet ordre d'idées. Il est même certain, que différentes
plantes citées précédemment sortiront du cadre de l'endé
misme pour rentrer dans celui des Cryptogames méditerra
néennes à répartition plus étendue, tel déjà actuellement Hexagona
nitida du Maroc et de l'Algérie, qui vient d'être décou
vert en Yougoslavie orientale (x).

- 229
-
Un cas intéressant d'endémisme vicariant nous est offert par
YAcarospora rufoalutacea de l'Algérie [15],
voisin de l'A.
impressula des régions tempérées et de YA. cornplanata médi
terranéen. L'A. rufoalutacea est, d'autre part, étroitement
apparenté à 'YA. assimulans du Sahara et du Turkestan,
et ce
dernier a des affinités avec YA. Bornmulleri de l'Asie mineure
et de Mésopotamie, ainsi que de YA. placenta d'Espagne,
d'Egypte et d'Iran. Par l'intermédiaire de ces plantes homolo
gues nous arrivons ainsi à comprendre la plasticité extrême et
fort curieuse d'une espèce donnée à travers l'aire méditerra
néenne. Des exemples analogues et aussi typiques sont mal
heureusement encore rares et nous estimons prématuré d'in
sister sur ce chapitre, tant que nos connaissances touchant à
la répartition de la flore cryptogamique restent si rudimen-
taires.
DISJONCTIONS
Ce sujet non moins intéressant que le précédent ne peut être
détaillé momentanément comme nous le désirerions pour des
raisons identiques. Le cas rare du genre disjoint se rencontre
en Afrique du Nord pour le Gigaspermum (Maroc-Afrique du
Sud- Australie, Tasmanie), exemple maintenant classique [3],
qui reste localisé dans l'aire méditerranéenne. La disjonction
plus fréquente des espèces s'étend soit sur un rayon restreint
tel l'Afrique du Nord et l'Europe, soit sur un espace plus vaste
tel l'Afrique du Nord et du Sud, l'Asie, l'Amérique ou l'Aus
tralie. En nous maintenant toujours aux espèces méditerra
néennes,
on peut citer à ce sujet comme exemples Fissidens
algarvicus (Tunisie-Portugal, France méridionale [1], Grim
amphi-
mia Pitardi (Tunisie, Tripolitaine-France), Verrucaria
bola (Maroc, Algérie-France), Heppia obscurans (Hoggar [5]-
Maroc, Algérie-Corse, France méridionale), Thelidium Antonellianum
(Maroc [28] -Italie), Thelidium Pertusati (Maroc [28]-
Piémont), Gyalecta thelotremella (Maroc- Sardaigne), Lichinella
stipatula (Algérie -
France
méridionale),
Lecidea strepsoêea
(Maroc, Algérie-Corse, France méridionale), Caloplaca tenuatula
(Maroc-France méridionale), Solenopsora Montagnei (Ma
roc-France méridionale), Hexagona nitida (Maroc, A!lgérie-You-
16

230
goslavie [loc. cit.]), Colus hirudinosus (Maroc, Algérie-France
méridionale), Mycena tenta (Maroc, Algérie-France méridio
nale) et Caloplaca inspersa (Maroc-Mésopotamie, Iran), Lecidea
advena (Maroc-Himalaya), Acarospora bullata (Maroc-Europe
Acarospora peltastica (Maroc-Califor
méridionale-Californie),
nie), Caloplaca aegyptiaca (Maroc-Egypte, Asie occidentale),
Caloplaca ferruginella (Tunisie [68] -Egypte), Parmelia Jacçutwi
(Maroc [29] -Liban [21]), Terfezia Deflersii (Maroc, Algé
rie-Egypte),
ainsi que d'autres citées par Allorge [1]. A ce
sujet signalons aussi la répartition disjointe et fort curieuse
de quelques plantes tropicales, quoiqu'elles ne fassent pas
directement l'objet de ce travail : Opegrapha graphidiza (Maroc
méridional [28] -Angola-Philippines), Acarospora tenais (Ma
roc-Angola [15]), Lecanora substraminella (Maroc-Mexique
[25]),
[28]),
Teloschistes cymbalifer
(Maroc- Amérique méridionale
Arthonia paknicola (Tunisie méridionale-Egypte-Améri
que centrale [68]).
RESUME ET CONCLUSIONS
En rassemblant tous les faits actuellement connus sur la flore
cryptogamique méditerranéenne nous arrivons à ce résultat
corroborant celui déjà acquis pour les Phanérogames : le
Maroc, l'Algérie et la Tunisie forment un ensemble étroite
ment uni par sa flore ; la plupart des plantes caractérisant les
étages de végétation existent simultanément dans les trois
départements nord-africains, sinon que le Maroc totalise à lui
seul toute la gamme des étages. Les tableaux de concordance
terminant ce travail en donnent un aperçu plus succinct et
plus évident ; ils détaillent aussi plus clairement que nous ne
pourrions l'exposer par une énumération fastidieuse les carac
tères propres au Maroc, à l'Algérie et à la Tunisie. Une consta
tation déjà remarquée par Pitard [70] pour les Phanérogames
s'impose à la fin de cette étude, celle de l'appauvrissement
considérable du nombre des espèces cryptogamiques, tant médi
terranéennes qu'endémiques, de l'Ouest à l'Est.
La flore cryptogamique nord-africaine est avant tout en rela
tion étroite avec celle de l'Europe méridionale occidentale ; le
pont est établi par certaines espèces non seulement avec le

- 231
—
bassin méditerranéen oriental, mais aussi, parfois par l'inter
médiaire d'espèces vicariantes, avec les autres régions (Cali
fornie, Cap, Australie)
composant l'aire méditerranéenne. Il est
enfin indéniable, que l'endémisme s'est particulièrement bien
développé en Afrique du Nord.
Beaucoup
reste à faire en Cryptogamie dans le sens esquissé
par ce travail, dont le but sera atteint s'il peut réussir à attirer
l'attention des chercheurs sur les grands problèmes de la géo
graphie botanique rationnelle.
Pâques 1938.

1. —
2. —
3. —
4. —
5. —
6. —
7. —
8. —
9. —
10. —
11. —
12. —
13. —
14. —
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30. —
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32. —
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40. —
41. —
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J. Maheu et R.-G. Werner : Etude sur la flore cryptogami
que du Maroc I et II (Ann. Crypt. exot. 1933, 6, 3-4 ;
1935, pp. 173-194).
R.-G. Werner : Contribution à la Flore cryptogamique du
R.-G.
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R.-G.
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Maroc I-XVI. (Principalement in Bull. Soc. Se. Nat. Ma
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roc et Bull. Soc. Hist. Nat. Afr. N., 19294937. Le
fasc. 4 en collaboration avec le D'
Maire, le fasc. 11
avec J. Gattefossé).
Werner : Etude sur la végétation cryptogamique du
Siroua (Anti-Atlas) (Bull. Soc. Se. Nat. Maroc, 1934, 14,
pp. 45-66).
Werner : Esquisse sur la répartition phytogéogra
phique des Lichens océaniques du Maroc (Livre jubil.
Daniel, 1936, 12 p.).
Werner : Essai d'une synthèse phytogéographique
des Cryptogames en montagne marocaine d'après nos
connaissances actuelles (Bull. Soc. Se. Nat. Maroc, 1937,
17, 2, pp. 99-126).
Werner : Cryptogamie et Phytogéographie (C. R. A.
S., 1937, 205, pp. 388-390).
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Battandier, R. Maire, L. Trabut : Rapport sur les
herborisations faites par la Société pendant la session
d'Alger (Bull. Soc. Bot. Fr. 1914, sess. extraord. 61,
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Battandier et L. Trabut : Atlas de la Flore d'Alger,
I-V (Alger, 1886, 1895, 1913, 1920).
Bescherelle : Catalogue des Mousses d'Algérie (Alger 6
1882).
Boulay : Muscinées de la France (Paris, P Klincksieck,
1884 et 1904).
Camus : Muscinées récoltées en Algérie pendant la ses
sion de la Société Botanique de France (Bull. Soc. Bot.
Fr., 1906, 53, pp. ccxvi-ccxvm).
Coppey : Mousses du Sahara (Bull. Soc. Bot. Fr 1911.
58, pp. 500-504).
et Pinoy : Sur le parasitisme des Terfaz (Bull. Soc.
Bot. Fr., 1906, 53, pp. lxxi-lxxiv).
Duvernoy et R. Maire : Champignons algériens nou
veaux ou peu connus (Bull. Soc. Hist. Nat. Afr. N., 1922.
13, pp. 27-28).

42. —
43. —
44. —
45. —
46. —
47. —
48. —
49. —
50. —
51. —
52. —
53. —
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Exploration
C.
Abbé
A.
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1896).
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Lhomme, éd.).
Julien : Flore de la région de Constantine (Constantine,
1894).
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Lapie : Etude phytogéographique de la Kabylie et du
Djurdjura (Thèse Paris 1909, éd. Ch. Delagrave, 156 p.,
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de Lesdain : Lichens du Sud Algérien recueillis par
M. Seurat (Bull. Soc. Hist. Nat. Afr. N., 1911, pp.
95-98).
de Lesdain: Notes lichénologiques V, VII, XV, XVIII bis
(Bull. Soc. Bot. Fr., 1906, 53, pp. 515-519 ; 1907, 54,
pp. 442-446 ; 1912, 59, pp. 686-689 ; 1921, 68, pp.
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Maire : Contribution à l'étude de la flore mycologique
de l'Afrique du Nord (Bull. Soc. Bot. France, 1906, 53,
sess. extraord. Oran, pp. clxxx-ccxv).
Maire : Les variétés méditerranéennes du Boletus impolitus
Fr. (Bull. Soc. Bot. Fr., 1909, 56, sess. extraord.
Tunisie, pp. lix-lxiii).
Maire : La flore mycologique des forêts de l'Atlas (Bull.
Soc. Myc. Fr., 1914, 30).
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(Bull. Soc. Hist. Nat. Afr. N., 1916, 7, pp. 210-292).
Maire : Excursions mycologiques (Bull. Soc. Myc. Fr.,
1926, sess. extraord. Alger, 3 et 4).
Maire : Contribution à l'étude de la flore des montagnes
de Numidie (Bull. Soc. Hist. Nat. Afr. N., 1927, 18, pp.
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Roumeguère et P.-A. Saccardo : Fungi algerienses Trabutiani
(Rev. Mycol, 1881, 3, pp. 26-30).
Sauvageau : Algues récoltées en Algérie (Bull. Soc. Bot.
Fr., 1892, 39, sess. extr. Algérie, pp. civ-cxvin).
Dr Trabut : Quelques Mousses désertiques (Bull. Soc. Hist.
Nat. Afr. N., 1927, pp. 12-13).

59. —
60. —
61. —
62. —
63. —
64. —
65. —
66. —
67. —
68. —
69. —
70. —
71. —
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M.
P.
A.
L.
E.
B.
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Bizot : Contribution à la flore bryologique de Tunisie
(Bull. Soc. Bot. Fr., 1931, 78, pp. 724-726).
Burollet : Le Sahel du Sousse (Tunis, 1927).
Chatin : Truffes (Terfas) de Tunisie et de Tripoli (Bull.
Soc. Bot. Fr., 1894, 41, pp. 558-560).
Corbière et J.-C. Pitard : Muscinées de Tunisie (Bull.
Soc. Bot. Fr. 1909, sess. extraord., 56, pp. ccxv-ccxlii ;
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Cosson : Note sur la flore de la Kroumirie centrale
(Fxplor. Scient. Tunisie, 1885 ; Bull. Soc. Bot. Fr., t. 32).
de Lesdain : Notes lichénologiques XXII, XXVI (Bull.
Soc. Bot. Fr., 1925, 72, pp. 787-791 ; 1932, 79, pp. 686-
688).
Maire: Contribution à l'étude de la flore mycologique de
la Tunisie (Bull. Soc. Bot. Fr., sess. extraord. Tunis,
1909, 56, pp. cclxv-cclxxxi).
Maire : Deuxième contribution à l'étude de la flore my
cologique de la Tunisie (Bull. Soc. Hist. Nat. Afr. N.,
1914, 5, 254).
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N.
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C.-J.
C.-J.
J.
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Patouillard : Catalogue raisonné des plantes cellulaires
de la Tunisie (Paris, 1897, in Explor. Scient. Tunisie.
Mousses (Bescherelle), Characées (Barratte), Algues
(Sauvageau), Lichens (Hue), Champignons (Patouil-
lard).
Patouillard : Addition au Catalogue des Champignons
de la Tunisie (Bull. Soc. Myc. Fr., 1897, 13, p. 197 ; con
tient aussi des localités algériennes).
Pitard : Rapport sur les herborisations de la Société
pendant la Session de Tunisie (Bull. Soc. Bot. Fr., 1909,
sess. extr., 56, pp. cxii-cxcviii).
Pitard et B. de Lesdain : Contribution à l'étude des
Lichens de Tunisie (Bull. Soc. Bot. Fr., 1909, sess. ex
traord., 56, pp. ccxliii-cci.xiv).
Pitard et L. Corbière : Additions à la Flore des Musci
nées de la Tunisie (Bull. Soc. Bot. Fr., 1909, 56, pp. lvlviii).

237 -
Explications pour la lecture des tableaux
Sàh. = Sahara, A = étage aride, SA = étage semi-aride, SH =
étage subhumide, H = étage humide, HM = étage de haute mon
tagne.
Les chiffres de 0 à 5 indiquent la présence des Cryptogames
citées au Maroc, en Algérie et en Tunisie dans les étages corres
pondants ; les traits d'union entre les chiffres = et, donc lire
3-5 = 3 et 5, etc.. Les Cryptogames en italiques et en tête des
tableaux caractérisent les étages. Puis suivent les autres par ordre
d'importance et selon leur présence plus ou moins générale en
Afrique du Nord, afin de faire ressortir les caractères propres de
cette flore au Maroc, à l'Algérie et à la Tunisie.
E = endémique, dont seules les saillantes sont données; pour les
autres se rapporter à la bibliographie et au chapitre de l'endémisme.
x = présence dans les étages; X = optimum; vie. = vicariant.
Tableau de concordance des Mousses méditerranéennes
Tortula desertorum
T. Saharae E
T. atrovireus
en Afrique du Nord
NOMS MAROC ALGERIE TUNISIE
Crossidium squamigerum . . .
C. sq. var. griseum
C. chloronotos
Pleurochaete squarrosa
Scleropodium Iltecebrum .
Epipterygium Tozeri
Pterogonium ornithopodioi
des
Bartramia stricta
Leptodon Smithii
Homalia lusitanica
.
X x
X x X
X x
X x
X x
X X X X
X X X
X X
x X X
x X
X X
1-2-3
1-2-3-4
2-3
1-2
1-2-3
3-5
3-5
3
2-3-4
3-4
3
K?)
1
1-2-3
1-2-3-4
2-3
2-3
2-3-4
3
3
2-3
3
3-4
3
2-3-4
1
1-2
2-3
2-4
3-4
3-4

Autitrichia Cdtifornica
Syntrichia princeps
Ceratodon cedricola E
Bryum Mairei E
- 238
-
NOMS MAROC ALGÉRIE TUNISIE
Encalypta Litardieri E ...
Maireola atlantica E
Acaulon piliferum
Pottia Starkeana
Grimmia orbicularis
G. crinita
Pterygoneuron pusillum . . .
Timmiella barbuloides
Bryum bicolor et vars. . . .
Funaria mediterranea ....
Hymenostomum tortile ....
Eucladium verticillatum . .
Tortella nitida et vars.
Tortula marginata
T. Vahliana
Syntrichia inermis
Grimmia Lisae
Funaria curviseta
F. convexa
Bryum torquescens
B. Donianum
Fabronia pusilla et var. . . .
Scorpiurium circinatum . . .
Rhynchostegiella curviseta
Rhynchostegium megapolita-
num
Trichostomum mutabile ....
Fontinalis Duriaei
Eurhynchium méridionale . .
Tortula cuneifolia
Acaulon triquetrum
Funaria attenuata
Bryum murale
Fissidens serrulatus et var..
Ceratodon chloropus
Gyroweisia reflexa ,
Camptothecium aureum ....
X 4
X
X
X
X
X
X X X 1-2-3
X X X 1-2-3
X X X X x 2-3 4
X X X
X
X
X
X X X X 1-2-3-4
X X X X X 1-2 3
X X X X 2-3-4
X X X X 2 3-4
4
4
5
5
5
3
2
X X X 2-3-4
X X X X 1-2-3
X X X 2-3
X X X 2-3
X X X X 3-4
X X X 2-3
X X 3
X X X 2-3 4
X X X 2-3-4
X X X 2-3
X X X 2-3-4
X X X 23
X X X 2-3
X X
X
X
x
X
X
X
X
2 3
3
3-4
X X X 1-3
x X x X 2
X X X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
3
2-3
2-3
3
2-3
3
X X X 3-4
2-3
2 3
1-2-3-4
1-2-3
2 3
2-3
2-3-4
2-3-4
2-3
3
3-4
2-3
2-3
2-3-4
2-3
2-3
3
2-3-4
2 3
3
2-3
3
3-4
3
3
4
3
3
0-3
2-3
4
2-3
2-3
2-3-4
2
1-2
1 2-3
1-2
2
1-2-3-4
0-1-2-3-4
1-2
1-2-3
3-4
3-4
2-3-4
2-3-4
2-3
3-4
3
4
2-3-4
3-4
3
2-3-4
4
2
4
4
4
4
2-4
1
2
3-4

- 239
-
NOMS MAROC ALGÉRIE TUNISIE
RhynchOstegiella algiriana
et var
Neckera Menziesii
Acaulon muticum
Pottia recta
Ditrichum subulatum
Tortella inflexa
Philonotis rigida
Raphidostegium Welwitschii
Scorpiurium deflexifolium .
Barbulata revoluta
Trichostomum triumphans et
vars
Leptobarbula berica
Tortula canescens
Barbula revolvens
Leucodon morensis
Habrodon perpusillus
Bryum canariense
Cynodontium Bruntoni
Weisia crispata
Tortella flavovirens
Astomum crispum
Dialytrichia mucronata
Camptothecium lutescens . . .
Fissidens ovatifolius
Aschisma carniolicum
Tortula Solmsii
Orthotrichum acuminatum . .
Anacolia Webbii
Cryphaea arborea
Anomobryum juliforme
Fissidens algarvicus
Tortula pellucida
Grimmia Pitardi
X X
X
X
X
X
X
X x
X
x
3
3
3
3
3
3
2-3
2-3
x X 3 4
X
X X
X
3
2
3
3
3
3
3
2
3
3 ?
2-3
3
—
X X x 2-3 —
X
X
X X ? 3
X x — 3
X
X
x
X X 2-3 —
X x
x
x
x
x
X x
x
X
X
X
X
X
3
3
2-3
3
3
3
3
2-3
3
—
2
—
3
3
3
~
3
3
3
1-2
3-4
3-4
4

- 240
-
Tableau de concordance des Hépatiques méditerranéennes
Plagiochosma rupestre
Tesselina pyramidata
Grimaldia dichotoma
Marchantia paleacea
en Afrique du Nord
NOMS MAROC ALGERIE TUNISIE
Corsinia marchantioides . . .
Riccia lamellosa
Southbya nigrella
Fossombronia caespitiformis
F. Husnoti
Riella Reuteri
Southbya stillicidiorum
Riccia Michelii
Anthoceros dichotomus
Riccia nigrella
R. Gougetiana
R. macrocarpa
R. Trabutiana
Fimbriaria africana
Clevea Rousseliana
Riccia helicophylla E
Lophozia turbinata
Exormotheca pustulosa
Cololejeunea Rossettiana .
Cephaloziella Turneri
C. Baumgartneri
Riccia Crozalsii
Riella Battandieri
. .
Gongylanthus ericetorum . .
Riccia atromarginata
Madotheca Thuya
X x X X 1-2-3
X X X 1-2-3 ?
X X 2-3 3
X X 2-3 3
X X 3 4
X X X 2-3 sans stat.
X X X 2-3 id.
X X X 2-3 id.
X X X 2-3 3
X
X X 2 3
X X X 2-3 sans stat.
X X X 2-3 id.
X X 3 id.
X X 2-3 id.
x X 3 2
X X 2-3 2
X
X
2
3
sans stat.
X X 2-3 3
X — 2
X X
X
X
X
X X
X
X
X 2-3
X
3
3
3
2-3
3
—
sans stat.
3
3
- —
4
1-2
1-2
1
1
2
4
4
4

- 241
-
Tableau de concordance des Lichens méditerranéens
Heppia subrosulata
Acarospora Pitardi
A. reagens
A. Laqueata
Caloplaca inspersa
Acarospora complanata
Lecanora polychroma
Lecidea advena
Verrucaria marmorea
Diploschistes ocellatus
Parmelia contorta
P. Jacquesi
Acarospora bullata
en Afrique du Nord
NOMS MAROC ALGERIE TUNISIE
Candelariella australis : . . . .
Aspicilia Toubkalensis E . . .
Dermatocarpon atlantièum E
D. monstrosum
Peccania coralloides
Squamaria fragilis
Toninia tabacina
Squamaria deceptoria
Acarospora sulphurata
A. Schleicheri et var
Thyrea Girardi
Caloplaca lactea
C. teicholyta
Aspicilia circummunita E .
Candellariella granulata
Anaptychia intricata et var.
Teloschistes villosus
Ramalina Duriaei
Dirina ceratoniae (côte) .
Rocella tinctoria (côte)
.
. .
Lecanactis patellarioides . . .
Aspicilia fructiculosa
Lecanora Agardhiana
Heppia obscurans
x
x x
x x
'• X
1
2
1-2
2 3
2
3
3
3
2-3
2-3
4
4
5
2-5
5
5
2-3
2
2
2 3
3
2 3-5
1-2-3
3
2-3
3
2
3
1-3
1-2-3
1-2-3
1-3
3
3
2
2-3
3
0-1-2
2
1-2-3
vicar Ë
0-2-3
2-3
4
2
2
2-3
0-2-3
2
3-4
2-3
2
0-1-2-3
0-1-2-3
0-2
2-3
1-2-3
2-3
3
2-3
2-3
2-3
2
2
3
1
4
1-2
2
1 (var)
1-2
2
1-4
1-2
4
0-1-2
1-2-4
2-3-4
1
2
1-2-3
0
1-2
2
2
2

Toninia cinereovirens
Psora testacea
Aspicilia trachytica
Pertusaria ilicicola E
P. Lapieana
Verrucaria amphibola
242
NOMS MAROC ALGERIE TUNISIE
Dermatocarpon subcrustosum
Arthonia albopulverea E .
A. aphtoides E
. .
Thyrea nummularioides E .
Lecidea strepsodea et var.
Lecania porracea E
Buellia Dubyana
Rinodina albidorimulosa E
Caloplaca quercina E ...
Opegrapha saxatilis
Ramalina pusilla
Opegrapha arthonioidea (cô
te)
O. Dirinaria (côte)
O. Durieui (côte)
O. grumulosa (côte)
O. platycarpa (côte)
Dirina repanda (côte) .
Ramalina tingitana
Verrucaria fuscata
Caloplaca interfulgens .
. .
. .
Lecanora rimosula E
Parmelia glabrans
Thelidium Antonellianum ,
T. Pertusati
Gyalecta thelotremella ...
Caloplaca tenuatula
C. aegyptiaca
Leptogium Mairei
Acarospora peltastica
Lecanactis pictonica .
Parmelia subincana et var.
Ramalina Bourgeana
R. subgeniculata
Caloplaca carphinea
2-3
2-3
3-4
3-4
4
2-3
2
1
4
1
1-4
3
2
3
3
3
3
2-3
1
3
3
3
3
3
3
3
3
3
3
3
4
5
3
3
3
3
1-3
2-
2
2
-3-4
4
4
5-3
3-4
2
2
! (var)
2-3
2-3
4
4
2-3
3
2-3
0-2
0-2
4
3(?)

Thyrea nummularia
Aspicilia esculenta
Caloplaca fulva
NOMS a n <
— 243 -
X
X
X
X
X
X
Si.
<
en
X
X
X
X
X
X
X
ID
X X
X
X
-g
a a
X
MAROC ALGÉRIE TUNISIE
,
2
2
0-2
2
0-1-2
0-2
0-2-3
raMeau de concordance des Champignons méditerranéens
Terfezia Boudieri
T. Claveryi
T. ovalispora
T. Pinoyi
Puccinia Launeae E
Phellorina Delestrei
NOMS ■a
ta
KD
Tylostoma tortuosum . .
Puccinia Barbeyi
P. Carduncelli
P. Asphodeli
Clitocybe olearia , .
Polyporus giganteus
Trabutia quercina
Trametes cinnabarina . . .
Uromyces Bupleuri
Melampsora pulcherrima
Acanthocystis Chevalieri
en Afrique du Nord
<
ce
se
«3 a a
3
3
4
MAROC ALGÉRIE
X X X X 0-3 0-1-2-3
X X X 0 1-2
X X 0 sans stat.
X X X 0 1-2
X X X X 0-1-2-3 0
X X X X 0-1-3 2
X X 0 0-1
X X X 1-2-3 sans stat.
X X
X 1-2-3 2
X X 2-3 2-3
X X
X
X 2-3
3
2-3
X X 4 3-4
X X 3 3-4
X x X 2-5 4
X X X 1-2-3 3
X X 1 2
3
1
1
1
1
1
1
M
1
TUNISIE
0-1
0-1
1
sans stat.
0-1
0-1
0-1
3
1
2-3
4
ns stàt.
4
4

NOMS
Puccinia pulvinata
Terfezia Deflersii
Taphridium algeriense
Diaporthe picea E
Cintractia Stipae-barbatae E.
Entyloma Eryngii-tricuspi-
dati E
Puccinia Kundmanniae
Taphrina Kruchii
Hypoxylon sertatum E
Tuburcinia Mustaphae E . . .
Zaghouania Phillyreae E . .
Gymnosporangium gracile .
G. oxycedri
Puccinia Magydaridis E.
Hebeloma Cistophilum
Pholiota suberis
Mycena lenta
Colus hirudinosus
Sepultaria Sumneriana E. . .
Aleurodiscus atlanticus E .
Hexagona nitida
Tricholoma caligatum
Nolanea africana E
Hebeloma sordidum E
Cortinarius aurasiacus E . . .
C. cedretorum E
Gautiera Trabuti E
Clavaria cedretorum E ....
Gomphus crassipes E
Tricholoma cedrorum E ...
Terfezia Leonis
Ustilago Penniseti
Pleospora Asphodeli
Clathrus cancellatus
Amanita caesarea
Lepidella Boudieri
Puccinia Atractylidis
Patellea cedrina E
.
o
a
en
- 244
-
<

LES MOUVEMENTS POSTCRÉTACÉS EN GHAQUIA
ET LEUR INFLOENCE
SUR LA RÉPARTITION DES EAUX SOUTERRAINES
PAR
B. YOVANOVITCH
INGÉNIEUR GÉOLOGUE
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU COMITÉ DE RECHERCHES
DES EAUX SOUTERRAINES DU MAROC
Une récente étude de détail de la circulation des eaux dans
le Sud de la Chaouïa nous a incité à reprendre l'un des pre
miers problèmes posés par la Géologie marocaine, celui de la
faille bordière du plateau de Settat.
Il faut avoir relu sur le terrain les descriptions qu'ont don
nées du « balcon de la Chaouïa » les explorateurs du début de
la conquête, pour rester confondu, avec le recul du temps, de
la hardiesse des contours inobservés et du caractère prématuré
des interprétations tectoniques qu,e révèlent cartes et profils de
cette époque. Que sont devenues les «petites collines rouges
moutonnées de conglomérats triasiques » de la montée de Ben
Ahmed ? Et les argiles rouges de Settat, qui se traduisaient sur
les cartes par une large bande violette,
épousant le bord de la
falaise, d'un Permo-Trias qui a n'y jamais existé ! Encore ne
s'agissait-il pas, aux abords de Settat, d'une fausse attribu
tion,
ou d'une confusion entre Crétacé et termes sous-jacents
qui eussent été justifiées à Mechra ben Abbou, plausibles à
n'af-
Bou Laouane ou à Boucheron, mais interdites à Settat où
17

— - 246
fleurent même pas de couches rouges, et auxquelles malheu
reusement l'autorité scientifique des premiers explorateurs
conférait pour longtemps force de loi.
Pair contre, ni Louis Gentil,
ni P. Russo et L. Tusseau ne
figuraient sur leurs cartes de faille bordière limitant le bord
septentrional du Plateau des Phosphates. C'est L. Joleaud qui
admit le premier, pour des raisons paléogéographiques, l'exis
tence d'une fracture longeant la falaise (B. S. G. F. XXIII, 4,
p. 172) et cette hypothèse a retenu l'attention de G. Lecointre
(Mémoires de la Société des Sciences Naturelles du Maroc,
n°
XIV, 1926, p. 103)
parce qu'elle lui fournissait la possibilité
d'envisager un prolongement vers le S.-W. des failles vues
par cet auteur autour de Camp Boulhaut.
Avec les travaux de F.-A. Rolland, l'idée de faille bordière
prit corps (B. S. G. F., XXIV, 5, p. 245). Ce géologue nous mon
trait en effet que les terrains constituant l'abrupt de la falaise
relevaient, de bas en haut, du Crétacé Supérieur et localement
même, en crête, de l'Eocène Inférieur. Il ne fut dorénavant
plus question de Permo-Trias au Nord et à proximité de
Settat.
C'est dans cet état de nos connaissances que l'ingénieur en
chef, chef du Service des Mines du Protectorat,
a bien voulu
me charger du levé régulier de toute la région située entre
Casablanca, Ben Abbou et la mer (1934-1937) et plus particu
lièrement, en ce qui concerne le Mzab, de celle comprise à
l'Ouest du cours de l'Oued Tamedghoust.
Le fragment de carte inédite au 1 /500.000e, qui accompagne
ces lignes, complète, sans en altérer la signification, l'esquisse
de F.-A. Rolland de 1924.
Les choses semblent s'être passées de la façon suivante : la
partie marginale de la table des Phosphates, ou Plateau de
Settat proprement dit, s'est inclinée progressivement vers le
N.-W. sollicitée par un affaissement du socle hercynien limité
sommairement au compartiment Mêdiouna, Sidi el Mekki, Set
tat, Boucheron, Boulhaut, Mêdiouna.
Notre but n'est pas de nous étendre sur la genèse de ce mou
vement épirogénique,
quences.
. Dans
mais d'en déduire surtout les consé
la partie ainsi sous-cavée, l'inclinaison a provoqué

- 247 -
dams le matériau de la couverture, à la fois des flexures du
style de celle du Tamedghoust signalée autrefois par Rolland,
flexures orientées N.N.E.-S.S.W., et des ondulations transverses
de direction générale E.S.E— N.N.W., qui n'avaient pas retenu
l'attention jusqu'ici. Comme le substratum de la région est
constitué en grande partie par des schistes très plastiques du
Gothlandien et que la couverture crétacée est elle-même relati
vement souple, il n'y a pas eu rupture brutale mais plissement
localisé entre deux zones de Crétacé restées subtabulaires.
La table supérieure correspond au Mzab actuel. La table
inférieure est masquée par la plaine là où elle n'a pas été
détruite avant la formation de cette dernière. L'affaissement
s'est produit par gradins pendant la fin de la période Nummuli-

- 248
—
tique. Il est contemporain du plissement du Moyen Atlas sep
tentrional et présente, sous une forme très adoucie, le caractère
ondulatoire affecté par le Causse Moyen atlasique que H. Ter-
mier a si heureusement désigné sous le nom de « plissottement
en clapotis » (Mémoires du Service des Mines, n°
33, 11,
p. 1025). Enfin, l'aire de répartition des flexures est très res
treinte et ne couvre guère plus de 250 km2, ce qui explique que
seuls des levés de grand détail et des profils de forages en aient
permis la délimitation.
En outre, la transgression Miocène qui s'est manifestée ici
par le N.-E. a dû vraisemblablement en masquer une partie.
C'est depuis très peu de temps d'ailleurs que nous soupçon
nons la présence du Miocène dans cette région. Des sondages
entrepris en mars 1936 à proximité de Sidi el Aïdi au point de
coordonnées X : 292 -
Y
: 283,5,
ont recoupé sous des argiles
rouges continentales d'abord quelques mètres de grès pliocè-
nes connus à l'affleurement,
puis des grès sableux jaunâtres
assez fins dont la diagnose micropaléontologique, effectuée par
P. Marie au Muséum d'Histoire naturelle de Paris,
examen attentif.
Un échantillon pris sur carotte entre —
mérite un
— 33 et 37 m. a été
l'objet de quatre plaques et de nombreux lavages qui ont
donné :
débris de poissons (écailles), bryozoaires, ostracodes,
débris d'oursins (spicules, têts fragmentaires), débris
d'ostréidés.
FoRAMlNIFÈRES
Spiroloculina cf. Rotunda d'Orb.
Nonion incisa Cushman.
Rotalia Beccarii Linné.
— cf.
Gyroidina sp.
Viennensis d'Orb.
Cibicides lobatula d'Orb.
Elphidium Macellus Fishtel et Moll.
— striato
— Fichtelliana
punctatus Fich. et Moll.
d'Orb.
— ch. Crispum Linné (variété plate, grande
1 mm. 75).

- 249
—
Chrysalidinella dimorpha H. B. Brady.
Lagena sp.
L'état de conservation de la faune est en général assez défec
tueux,
les têts sont très altérés par suite de la dissolution du
calcaire,
L'association de quatre espèces d'Elphidium différentes
provoquée par la circulation de l'eau.
reconnues dans les préparations n'a été signalée jusqu'à ce jour
que dans le Maroc septentrional, dans le Miocène du Rharb où
la grande variété de ce genre y est considérée comme caracté
ristique de PHelvétien Inférieur ou du Burdigalien supérieur.
Quant aux autres espèces, on les rencontre également dans
le Vindobonien de la région de Rabat sauf peut-être Elphidium
striato punctatus qui ne figure ici qu'en un seul exemplaire.
Par ailleurs, l'examen d'un échantillon pris sur carotte vers
— 20 m. dans les argiles de la couverture, a fourni :
débris de roches primaires, quartzites blanches,
gris verts, très usés et rares,
schistes fin.:
débris de phosphates (dents, ossements) rares, très roulés et
très usés,
débris de silex rares,
sables fins résiduels (25 % du résidu total)
0 mm. 35, peu roulés.
à éléments de
Faune autochtone inexistante, faune allochtone très rare et
brisée provenant d'un grès à ciment calcaire :
Orbulina
Anomalina
Cristellaria Bolivina.
On pouvait évidemment s'attendre à déceler dans cette for
mation continentale de plus de 25 m. d'épaisseur des matériaux
provenant de toutes les roches affleurantes du pourtour de la
plaine, mais il est intéressant signaler d'y des résidus certains
du Miocène sous-jacent.
Or,
nous n'avons trouvé trace de ce Miocène ni en couronne
ment normal du Plateau ni en discordance ou en terrasse sur
l'un quelconque des termes du Crétacé. La falaise bordière
était donc individualisée dès le dépôt du Néogène et, s'il y a eu
depuis cette date, de nouvelles oscillations du socle de la
Meseta, c'est sur un secteur plus beaucoup étendu qu'a dû

— 250 —
s'exercer le jeu des mouvements épirogéniques sous l'influence
des dernières poussées tangentielles post-pliocènes du Prérif.
En d'autres termes, si la transgression néogène a pu avoir
été favorisée par des effondrements locaux datant de la fin du
Nummulitique comme c'est le cas entre Boucheron,
Mêdiouna,
Settat et
ces compartiments ressoudés n'ont pas joué entre
eux depuis lors, et le modelé de l'ensemble de la Chaouïa n'a
plus subi d'autres modifications que celles toutes superficielles
qui ont pu lui avoir été imposées par des changements de base
successifs d'ailleurs très faibles.
*
**
Dans la région de Settat, les eaux souterraines semblent
avoir même échappé à ces influences : les lois qui régissent
leur circulation actuelle, leur emmagasinage et leur entraîne
ment progressif vers la profondeur sont conditionnées par des
facteurs indépendants de la surface topographique.
Nous retiendrons de ces facteurs :
— le
— la
— la
— la
pendage général des assises du Crétacé à l'amont
de la zone des flexures.
disposition des couches du Crétacé dans la zone
même des flexures,
capacité aquifère de ce Crétacé,
disposition et la capacité aquifère du substratum.
D'une manière générale, en pays calcaire, l'étude de l'emma
gasinage et de la circulation des eaux ne vaudrait pas la peine
d'être entreprise si l'on connaissait à la base du Crétacé un
imperméable de fond servant de plan d'écoulement à tous les
filets aquifères divaguant dans les calcaires. Une disposition
d'une telle simplicité a été décrite depuis longtemps dans tous
les traités spéciaux d'hydrologie.
Or,
pour le lecteur d'une carte détaillée comme celle de la
feuille Ben Ahmed au 1/50.000°, l'interprétation du modelé, la
position de "bon nombre de sources, l'allure des talwegs, con
corderaient toutes à lui permettre une explication simple de
l'hydrologie locale. Mais, en pratique,
s'il existe bien dans les
parties supérieures du Plateau, des lignes de sources continues,
dont quelques-unes offrent des débits de plus de 20 litres-

— 251 —
seconde, ces eaux, surtout celles de la base du Turonien, sont
rapidement réabsorbées pour participer à de nouvelles appa
ritions en contre-bas et finalement pour disparaître sans avoir
donné naissance à aucun cours d'eau permanent digne de ce
nom.
C'est donc que les différents termes du Crétacé supérieur
reposent sur des couches plus poreuses ou plus fissurées que
celles des affleurements visibles et nous devons à la prospec
tion systématique à laquelle nous nous sommes livré des puits
de cette région, de pouvoir donner ici quelques indications
inédites sur la capacité aquifère de la base du Crétacé.
Des puits creusés autrefois par des indigènes,
pas un n'a
dépassé la nappe superficielle et bien peu y sont entrés pro
fondément.
Des puits de colonisation par contre, quelques-uns ont
recoupé sous les calcaires des sables quartzeux, assez produc
tifs,
Settat, M. Rosso,
et il nous est agréable de citer ici le nom d'un colon de
qui a réussi à maintenir ses puits pendant
plus de vingt mètres dans ces sables blancs gras, très boulants,
dont il n'a malheureusement pas pu atteindre la base. La pré
sence des sables quartzeux a été confirmée en 1937 par une
série de forages d'environ 100 mètres de profondeur, entrepris
par l'Administration des Travaux publics. Des essais de pom
page systématique ont montré qu'avec un rabattement de
7 m. 40 du niveau piézométrique, on a pu maintenir des débits
constants de 18 ms à l'heure ;
avec un rabattement de 50 m. on
pourrait atteindre un débit probable de 80 à 90 m3 heure.
Mais les points choisis pour ces sondages n'ont pas corres
pondu géologiquement à des fonds de cuvette et de nouveaux
travaux seront nécessaires pour obtenir le maximum de résul
tats dans ces horizons propices à l'accumulation des eaux.
Quoi qu'il en soit, la combinaison du dispositif de « plisse
ments en clapotis » avec l'existence de sables à la base des
calcaires nous laisse déjà pressentir qu'une grande partie des
eaux tombées sur le Plateau de Settat est en pratique irrémé
diablement soustraite à la consommation.
Eneore devons-nous être très réservé sur la capacité aquifère
de ce dispositif ; car, si le «mur» des sables était étanche,
nous aurions, nécessairement, aux points sourbas,
de grosses

- 252 -
ces forcées le long des principaux accidents tectoniques mis en
évidence pas nos levés, et nous ne connaissons pas de points
d'eau de cette nature dans la région. C'est donc que ce mur,
quel qu'il soit, n'est pas étanche et c'est ici qu'intervient le
problème de la capacité aquifère du socle paléozoïque lui-
même. < ' '":"''' iT!
Le socle ancien, tantôt psammitique, tantôt schisteux, tantôt
calcaire,
n'est pas hydrologiquement homogène. Il ne l'est pas
non plus morphologiquement car la pénéplanation des chaînes
anciennes est loin d'avoir été complète et c'est avec une véri
table topographie souterraine, imprévisible de la surface, que
nous sommes amené à compter dans le choix des emplace
ments éventuels de puits ou de forages profonds.
Une expérience heureusement acquise dans les parties dénu
dées du socle paléozoïque nous a permis toutefois de pressen
tir les grandes lignes de cette topographie souterraine dont les
sommets pointent parcimonieusement sous forme de sokhret
au sein du Crétacé. Elle nous autorise à considérer pour le
Mzab des bassins d'alimentation et de concentration des eaux
souterraines nettement différents des bassins versants superfi
ciels, le drainage en profondeur s'effectuant de préférence
parallèlement aux directions des arêtes paléozoïques. C'est
ainsi que la plupart des eaux du bassin de l'Oued Tamdghoust
sont entraînées d'Est en Ouest vers les cuvettes de Settat par
intervention occulte de l'Ordovicien dans le Cénomanien et
cette intervention explique pourquoi la basse vallée du Tamd
ghoust ne présente pas d'underflow en rapport avec l'impor
tance de son bassin versant.
Quant à la pénétration et à la descente des eaux dans les
couches mêmes du Paléozoïque, il ne nous est pas permis de
les contrôler directement ni d'affirmer si elles se produisent de
préférence dans la zone des flexures post-crétacées, c'est-à-dire
à la hauteur des joints de compartimentage, ou si elles sont
générales chaque fois que la base du Crétacé est au contact
d'assises primaires fortement diaclasées.
Nous avons cependant une preuve indirecte de cette circula
tion profonde par l'apparition au N.W. de Settat dans toute la
région qui s'étend de Foucauld jusqu'à la mer, d'innombrables
dayas et de sorties d'eaux fortement minéralisées dont l'impor-

253
tance, sans être considérable, dépasse néanmoins les possibi
lités pluviométriques locales.
Nous nous étions proposé, à la suite d'études objectives sur
plus d'une centaine de points d'eau à proximité de Settat, de
tenter une schématisation rationnelle du mouvement des eaux
à travers les assises, si faiblement inclinées d'apparence, de la
terminaison occidentale du Plateau des Phosphates.
Deux notions se dégagent de cette enquête : la première,
d'ordre hydrologique,
réside dans le fait que rien ne s'oppose
stratigraphiquement à une incessante soustraction par la base
des richesses aquifères superficielles du Mzab ; la deuxième,
consiste dans la répartition très limitée
d'ordre tectonique,
d'un jeu de flexures entrecroisées propres à localiser les points
de fuite de ces eaux vers la profondeur.
Puisse la deuxième de ces notions constituer un palliatif
inespéré aux graves manquements de la première !

LA FRÉQUENCE DES GELÉES
AU MAROC
PAR
G. ROUX
LIEUTENANT DE VAISSEAU
CHEF DU SERVICE DE PHYSIQUE DU GLOBE ET DE MÉTÉOROLOGIE
DE L'INSTITUT SCIENTIFIQUE CHÉRIFIEN
La fréquence des jours de gelée,
c'est-à-dire des jours où le
thermomètre descend jusqu'à 0° ou au-dessous, est une don
née importante de la connaissance du climat ; et bien que les
gelées soient observées sur des thermomètres placés sous abri
à 1 m. 50 du sol, dans une position mieux protégée du froid que
les plantes près du sol, leur étude présente cependant une
grande utilité pour l'agriculteur et le botaniste. Aussi m'a-t-il
semblé intéressant de réunir et de commenter la documenta
tion actuelle sur la fréquence des gelées au Maroc,
qui com
prend des relevés d'observations encore peu nombreux, mais
plus exacts que tous ceux utilisés jusqu'à ce jour.
J'ai utilisé dans cette note toutes les séries de température,
arrêtées au 31 décembre 1936, qui présentent une durée suffi
sante et dont les observations offrent quelques garanties. J'ai
déjà étudié dans leur ensemble ces matériaux et j'ai pour
chaque station indiqué les conditions d'observation et donné le
détail des séries utilisées (1).
—
(1) G. Roux. Contribution à l'étude du climat du Maroc. Les tem
pératures maxima et minima. Troisième Mémoire de la Société des
Sciences naturelles du Maroc consacré à la physique du Globe et à la
Météorologie

- 256
-
Plusieurs stations utilisées ont été déplacées et ces déplace
ments ont entraîné des modifications d'altitude. Il est néces
saire de tenir compte de ces changements dans le calcul de la
fréquence des gelées.
A Tanger,
aux deux altitudes de 75 m. et de 45 m. auxquelles
ont été faites les observations, on peut admettre que la très
faible fréquence des gelées (1 jour en 19 ans)
A Oujda,
est la même.
la différence d'altitude entre l'ancien et le nouveau
poste n'est que de 19 mètres (574 et 555) ;
l'effet.
j'ai dû en négliger
A Taza, je n'ai utilisé que les observations faites à l'Aviation,
(du 1er février 1918 au 1er juillet 1924 et depuis le 1er février
1925), laissant de côté celles antérieurement effectuées aux
Travaux publics.
A Kasba-Tadla, je n'ai utilisé que les observations faites à
l'Aviation, à partir du 1er mars 1920, laissant de côté celles
antérieurement effectuées à l'Agriculture.
Enfin à Safi aucune gelée n'a jamais été observée, quel que
soit l'emplacement de la station.
Le calcul des fréquences de gelée, effectué dans ces condi
tions, donne les résultats portés dans le tableau ci-joint.
Sur ce tableau sont portés d'une part le nombre total, pour
chaque mois, de journées pendant lesquelles la gelée a été
observée, durant le nombre d'années indiquées entre parenthè
ses et, d'autre part, la fréquence moyenne des gelées pour
chaque mois et pour l'année. De juin à octobre inclus, aucune
gelée n'a jamais été observée dans les postes étudiés. C'est en
janvier que les gelées sont les plus fréquentes, puis en février
et décembre. Dans certains postes, on a observé des gelées
tardives en mai, dont les conséquences peuvent être impor
tantes.
Pour donner une représentation plus vivante de la réparti
tion des gelées dans le Maroc, j'ai tracé une carte provisoire
de la fréquence annuelle des gelées. Cette carte n'a qu'une
valeur indicative pour deux raisons : D'abord parce que les
chiffres utilisés ne sont pas en tout état de cause comparables
entre eux ; le nombre encore restreint des observations ne per-

STATIONS
Tanger
Berkane
Oujda
Port Lyautey
Guercif
Taza
Fès
Rabat
Tiflet
Meknès
Sefrou
El Hajeb ....
Casablanca . .
Marchand . . .
Azrou
Ontat OnlaSElHaij..
Mazagan
Settat
Khenifra
Khouribga .
.
Kasba Tadla .
El Borouj .
Safi
. .
El Kilaa in Srariiii.
Marrakech . .
Chichaoua . .
Mogador
Tamanar
Taroudant ...
73
144
555,574
25
362
506
412
65
320
532
850
1050
50
390
1250
747
55
370
831
799
505
405
5
466
460
340
7
361
256
NOMBRE TOTAL DE JOURS DE GELÉE
Noy. Dec. Janv. Fév. Mars Avril Mai
0(19)
0(11)
0(11)
22 (20)
1(11)
0(15)
0(11)
0(15)
0(13)
0(21)
13 (12)
18 (13)
0(17)
6(17)
29 (12)
55 (19)
0(12)
6(22)
2(10)
0(11)
0(15)
1(13)
0(17)
12 (18)
0(15)
0(10)
0(12)
0(10)
0(10)
1(19)
6(13)
19(11)
102 (20)
28 (12)
26 (14)
42 (14)
1(15)
3(13)
23 (20)
37(11)
175 (16)
0(17)
49 (17)
53 (12)
198 ( 9)
0 (11)
46 (24)
106 (13)
4(11)
15 (16)
27 (14)
0(17)
57 (18)
14 (15)
59 (10)
0(12)
0(10)
0(10)
0(18)
8(13)
62(11)
131 (20)
53 (12)
32 (12)
54 (14)
0(16)
11 (12)
44 (19)
96 (11)
199 (17)
6(15)
93 (17)
98 (12)
212 ( 8)
10 (10)
103 (23)
124 (11)
8(11)
37(13)
76 (14)
0(16)
40 (19)
37 (15)
97(11)
0(11)
0( 9)
5(11)
0(19)
10 (11)
36 (11)
80 (20)
28 (11)
28 (15)
36 (13)
0(16)
7(13)
35 (20)
80(11)
138 (16)
0(16)
52 (18)
77 (12)
128 ( 7)
3(12)
63 (23)
70 (11)
H (H)
4( 9)
54 (14)
0(16)
25(20)
15 (15)
39 (11)
0(11)
0( 9)
0(11)
0(19)
1(13)
13 (11)
9(20)
3(12)
1(14)
1(15)
0(14)
0(13)
9(20)
29 (11)
63 (15)
0(17)
14 (17)
39 (12)
37 ( 8)
0(12)
24 (22)
3(10)
2(11)
1(14)
10 (14)
0(16)
1(19)
0 (15)
3 (12)
0(11)
0( 8)
1(11)
0(19)
0(15)
1(10)
0(20)
0(12)
0(17)
0(14)
0(14)
0(13)
0(18)
10(11)
27 (16)
0(17)
1(18)
20 (12)
4( 8)
0(12)
3(23)
1(11)
0(11)
2(15)
0(14)
0(16)
1(18)
0(16)
0(12)
0(11)
0( 9)
0(10)
0(18)
0(15)
0(10)
0(20)
0(12)
1(17)
0(14)
0(14)
0(13)
0(19)
0(12)
2(16)
0(17)
0(18)
0(12)
K 9)
0(12)
0(20)
0(12)
0(11)
0(14)
0(14)
0(16)
0(21)
0(16)
0(13)
0(11)
0(10)
0(10)
PBÉQDBHOE HOTESHE DES JOUIS 1E GELÉES
N»v. Me. Jaov. F«?. Mars Avril Bal kmte
0
0
0
1.1
0.1
0
0
0
0
0
1.1
1.4
0
0.4
2.4
6.1
0
0.3
0.2
0
0
0.1
0
0.7
0
0
0
0
0
0.1
0.5
1.7
5.1
2.3
1.9
3.0
0.1
0.2
1.2
3.4
10.9
0
2.9
4.4
22.0
0
1.9
8.2
0.4
0.9
1.9
0
3.2
0.9
5.9
0
0
0
0
0.6
5.6
6.6
4.4
2.6
3.9
0
0.9
2.3
8.7
11.7
0.4
5.5
8.2
26.5
1.0
4.5
11.3
0.7
2.8
5.4
0
2.1
2.5
8.8
0
0
0.5
0
0.9
3.3
4.0
2.5
1.9
2.8
0
0.5
1.8
7.3
8.6
0
2.9
6.4
18.3
0.3
2.7
6.4
1.0
0.4
3.9
0
1.3
1.0
3.5
0
0
0
0
0.1
1.2
0.5
0.3
0.1
0.1
0
0
0.5
2.6
4.2
0
0.5
3.3
4.6
0
1.1
0.3
0.2
0.1
0.7
0
0.1
0
0.3
0
0
0.1
0
0
0.1
0
0
0
0
0
0
0
0.9
1.7
0
0.1
1.7
0.5
0
0.1
0.1
0
0.1
0
0
0.1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0.1
0
0
0
0
0
0.1
0
0
0
0.1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0

- 258
—
mettant pas, comme je l'ai indiqué par ailleurs (*),
de compa
rer des données en nombre suffisant relatives à une même
période,
j'ai dû me contenter pour chaque poste d'utiliser le
plus grand nombre possible d'observations. En outre, on sait
que les gelées dépendent de la topographie dans ses moindres
détails, de l'exposition du poste et du sol, facteurs qui peuvent
varier notablement pour deux points très rapprochés.
Cette carte laisse voir trois anomalies de fréquence par
excès, l'une près de Port Lyautey s'étend sur le Rharb, la
seconde va de Settat aux pentes occidentales du Massif Zaïen,
la troisième semble localisée à Chichaoua. A l'Est et en amont
de ces deux premiers maxima de fréquence, apparaissent deux
minima. Ces anomalies se retrouvent d'une manière frappante
sur les courbes des minima moyens de janvier 1935 (2).
L'anomalie de Port Lyautey
a été attribuée à l'influence des
sables qui provoquent un fort rayonnement nocturne (3). Cette
explication est fragile,
car cette anomalie s'étend sur toute la
région marécageuse du Rharb, jusqu'à Sidi Slimane,
où les
terres à céréales sont de nature très différente. Il semble plutôt
que cette région marécageuse, dominée à l'Ouest par un cordon
de dunes littorales et à l'Est par les contreforts du Riff, forme
une cuvette propice à l'accumulation de l'air froid. L'existence
des deux couples d'anomalies positives et négatives, bornées à
l'Ouest par Port Lyautey et Settat, trouve une explication plus
générale dans l'influence du relief : L'air froid glisse sur les
pentes des contreforts du Riff et du massif Zaïan et stationne
à leurs pieds.
L'anomalie de Chichaoua s'explique par la situation topogra
phique de cette localité, qui se trouve dans un fond de vallée.
Les grands traits de cette carte montrent les influences habi
tuelles de la latitude, du relief et de l'Océan. A partir de Safi,
vers le Sud,
gelée n'a été observée.
s'étend une bande littorale dans laquelle aucune
(1) G. Roux, loc. cit.
(2) Annales du Service de Physique du Globe et de Météorologie de
l'Institut scientifique chérifien (en préparation).
(3) Emberger et Maire, Tableau phytogéographique du Maroc, 1 par
tie, p. 154 {Mém. de la Soc. des Se. Nat. du Maroc, n°
XXXVII, 15 mai
1934).

JMOGADi
fez de Gelée
de Od Ijour
de i â Sjbt/rj
CASAS.
de S â loJours
Carte provisoire de la fréquence des gelées

— - 260
Le personnel très limité dont nous disposons pour les calculs
météorologiques, ne permet pas, pour le moment,
de pousser
plus loin cette étude. Mais pour la connaissance du climat et
pour ses applications pratiques à l'agriculture il serait d'un
grand intérêt de la reprendre dans le cadre des ((types de
temps », et notamment de ceux favorables aux gelées, déjà
décrits par Debrach et Bidault (*).
(1) J. Debrach et G. Bidault, Types de temps d'hiver favorables aux
gelées (Mémoire annuel de la Société des Sciences naturelles du Maroc
consacré à la physique du Globe et à la météorologie, année 1933,
n°
XLI, 15 septembre 1935).

SUR LA SÉISMICITÉ DU MAROC
PAR
J. DEBRACH
GEOPHYSICIEN A L INSTITUT SCIENTIFIQUE CHERIFIEN
MEMRRE DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES NATURELLES DU MAROC
Les tremblements de terre sont fréquents en Afrique du
Nord comme dans la plupart des contrées riveraines de la
Méditerranée ; mais si la séismicité de l'Algérie et même celle
de la Tunisie commencent à être suffisamment bien connues,
on n'a eu que de trop rares documents sur le Maroc jusqu'à
ces dernières années. Montessus de Ballore, dans son étude des
«Pays Barbaresques» (1), devait se borner pour le Maghreb
extrême à des notations très générales et souvent à des hypo
thèses : « Le Maroc, écrit-il, est fort peu connu au point de vue
« des tremblements de terre. U y a tout lieu de penser que la
« bande primaire de la côte entre Melilla et le détroit de Gibral-
« tar doit y être peu sujette. Du bassin de la Moulouya et de
« l'Atlas marocain l'on ne sait absolument rien... Tétouan,
« Ceuta et Tanger, bref les abords mêmes du détroit, sont assez
« souvent secoués ;
ces parages participent ainsi en quelque
« mesure à l'instabilité de l'Andalousie... Il est probable que le
k bassin du Sebou renferme une région instable autonome...
« On ne saurait rien dire des quelques séismes sévères signa-
« lés à Marrakech et à Agadir. On sait seulement que le massif
« qui les sépare est extraordinairement disloqué. »
Mme Hée,
dans une étude récente sur « La séismicité
dans l'Afrique du Nord » (2), doit encore constater que « le
(1)
Géographie séismologique, Paris, 1906, p. 342.
(2) Matériaux pour l'étude des calamités (Société de Géographie de
Genève, IV, 1932, pp. 291-326).
18

- 262
-
Maroc est, en ce qui concerne ces renseignements, le plus
mal doté des trois pays considérés ».
Dans les « Notes sur les Tremblements de terre ressentis au
Maroc avant 1933 » où G. Roux a recueilli toute la documenta
tion antérieure à cette date (3),
les noms qui reviennent le plus
souvent sont encore, à part ceux de quelques centres très
secoués de la zone riffaine, ceux des villes du littoral méditer
ranéen ou atlantique. On ne s'en étonnera guère si l'on songe
que ce pays a été fermé jusqu'à une date des plus récentes à
la pénétration européenne et que ce n'est qu'en 1934 que le
« Bled el Maghzen » a recouvert tout le territoire marocain.
Depuis 1932 des enquêtes suivies sur tous les séismes signa
lés ont été effectuées au Service de Physique du Globe et de
Météorologie de l'Institut scientifique chérifien. Bien qu'elles
ne portent encore que sur une période bien courte, de cinq
années,
j'ai pensé que leur résultat pourrait nous apporter un
complément d'information utile sur la séismicité de ce pays et
notamment sur les régions hier encore en dissidence et sur les
quelles nous n'avions quasi aucun document (4).
En effet des renseignements recueillis même sur une courte
période, d'une manière régulière et systématique, peuvent don
ner une idée de l'instabilité d'une région (comme le montrent,
par exemple, les études de Mme Hée (5) sur l'Algérie), la faible
durée de la période considérée étant compensée dans une cer
taine mesure par la densité des observations.
Les conclusions de ce travail ne seront données d'ailleurs
qu'avec les réserves qu'impliquent les remarques précédentes,
mais on verra déjà que l'instabilité n'est pas limitée, comme
on a pu le croire, à la région riffaine, et d'autre part que la
séismicité du Maroc, si elle est moindre que celle de l'Algérie,
(3) Mém. Soc. Se. Nat.- du Maroc, XXXIX, 1934, pp. 42-70.
(4) Le résultat détaillé de ces enquêtes paraît régulièrement dans
l'Annuaire de l'Institut de Physique du Globe de Strasbourg ; 2« partie,
Séismologie : Bulletin, du bureau central séismologique français. La plu
part des observations macroséismiques utilisées sont dues aux observa
teurs du réseau climatologique de l'Institut scientifique chérifien (300 pos
tes environ en 1938) que nous sommes heureux de remercier ici de leur
collaboration.
(5) Public. Bureau central séismologique international. Sér. B, fasc. 2,
1925, p. 111, et fasc. 5, 1933, p. 59.

— 263
n'en diffère pas autant que les documents antérieurs, rares el
fragmentaires,
auraient pu le laisser penser.
*
:£ s):
Dans la présente étude je n'ai retenu que les observations
postérieures à l'année 1913,
où les observations commencent à
présenter quelque continuité (presse, postes météorologiques)
et j'ai donné un poids particulier à celles du dernier lustre
(1933-37)
qui sont plus homogènes et plus complètes.
Dans l'espace je me suis borné à la zone comprise entre les
parallèles 30° et 35° N. et les méridiens 2° et 10° W de Green-
wich ; on élimine ainsi d'une part la zone espagnole du Maroc
pour laquelle les ciconstances actuelles nous privent de la
documentation nécessaire, d'autre part, l'Extrême Sud maro
cain, région vraisemblablement très stable, mais sur laquelle
il est malaisé d'obtenir des renseignements.
*
**
Comment peut-on caractériser la séismicité d'une contrée ? —
Montessus de Ballore a montré qu'on arrivait à la représenta
tion la moins sujette à critique en notant la fréquence des
chocs, soit dans les diverses localités ébranlées,
mailles d'un réseau déterminé et, autant que possible, homo
soit dans les
gène : en divisant par exemple le territoire à étudier en qua
drilatères sphériques d'un degré de côté (6). J'ai employé ces
deux modes de représentation (7).
Les cartes des planches 1 et 2 représentent la répartition de
la fréquence des secousses pour les deux périodes 1913-1932 et
1933-1937. Leur comparaison montre l'insuffisance très proba
ble des documents les plus anciens. La carte des fréquences
du dernier lustre met en évidence deux zones principales d'insta
bilité : La zone du Riff et du détroit sud-riffain bien connue, la
(6) Montessus de Ballore, loc. cit., p. 10. —
tremblement de terre », Paris, 1932,
V. aussi :
ch. 1, p. 26.
E. « Rothé, Le
(7) Ce sont d'ailleurs ceux qui ont été le plus généralement adoptés
(Algérie, Japon, etc.).

- 266
—
zone de l'Atlas pour laquelle nous manquions jusqu'à présent
de documents. C'est ce qui ressort aussi de l'examen du tableau
de la page suivante, qui donne la fréquence des secousses par
degré carré et par groupe de cinq années. Les quadrilatères de
1° de côté ont été groupés en 4 régions naturelles :
—
-- ■ 2)
—
— A)
1) Riff et détroit Sud riffain,
Meseta marocaine,
3) Allas,
Maroc oriental et saharien.
Ces régions sont délimitées sur la carte de la figure 1 où
sont aussi portés le nombre total de secousses par degré carré
pour la période de 25 ans considérée et l'intensité la plus forte
que l'on a observée.
Le nombre de secousses par degré carré permet de caracté
riser la séismicité par un coefficient. Montessus de Ballore a
utilisé le nombre annuel de séismes par kilomètre carré (soit,
si A est la surface considérée,
p —
années : S—
).
pA
Rey
n le nombre de secousses en
Pastor a également proposé d'adop-
ter un coefficient de séismicité qui ne diffère du précédent que
parce qu'il y remplace le nombre de secousses par le nombre
de jours séismiques (8). Il peut être parfois difficile, en effet, de
distinguer entre plusieurs secousses lorsque les chocs prémo
nitoires ou les répliques sont nombreux et rapprochés, mais à
de rares exceptions près les deux nombres diffèrent peu. On
obtient ainsi des nombres de l'ordre de n. 10~6 que Rey Pastor
multiplie par 106 pour éviter les décimales. On peut admettre,
avec une approximation très suffisante,
que la surface d'un
quadrilatère sphérique d'un degré est sous nos latitudes de
104 km2
; on obtient alors facilement ce coefficient en multi
pliant par 102 la fréquence annuelle moyenne par degré carré
que l'on peut aisément déduire du tableau des fréquences. Ces
coefficients nous permettront quelques comparaisons avec les
contrées avoisinantes, Algérie et Péninsule Ibérique (9) :
(8) Traits sismiques de la Péninsule Ibérique. Madrid, 1927.
(9) Nos réserves dues à la brièveté de la période considérée s'appli
quent évidemment plus encore ici puisque nous devons comparer des
séries d'observations s'étendant sur des périodes différentes. Cf. : Pour
l'Algérie : Mme Hée, op. cil. Pour l'Espagne : Rey Pastoi*, op. cit.

267 -
QUADRILATÈRE NOMBRE DE SECOUSSES g
:
ZONE E~- (M t-~ (C
(M
•
a es
!>■ (M ï~- Ïh in at m n m n
Q«
o>
N" COORDONNÉES m 00
a os
m œ m m m

— — 268
La séismicité n'atteint nulle part au Maroc une valeur aussi
élevée que celle des zones les plus instables des pays voisins :
Régions de Grenade ou d'Alger, par exemple. La zone riffaine
(Riff et détroit sud riffain) est comparable à la zone bétique
considérée dans son ensemble, à la zone Pyrénées-Catalogne, à
la zone littorale et sub-littorale de l'Algérie. L'Atlas est, par
endroit, d'une instabilité de même ordre, mais on ne peut pas
encore préciser davantage ni effectuer les subdivisions souhai
tables.
L'intensité des tremblements indique aussi une stabilité
relativement plus grande que celle des régions voisines : Il n'a
été question jusqu'ici que des fréquences ; l'intensité, en effet,
est souvent difficile à évaluer et l'on préfère généralement,
pour coter la séismicité, ne considérer que la fréquence des
secousses,
ce qu'a pu justifier Montessus de Ballore en mon
trant pour certaines études particulières que fréquence et
intensité varient dans le même sens (10). On ne saurait cepen
dant donner une idée exacte de la séismicité d'un pays sans
parler de l'intensité des tremblements de terre qui l'affectent.
Cette intensité est évaluée suivant l'échelle empirique suivante,
à peu près universellement employée aujourd'hui :
Degré I
Degré II —
Degré III —
Degré IV —
Echelle internationale des intensités (X1)
— Secousse
Très
Faible
Médiocre
séismique inscrite seulement par les
séismographes.
faible ; constatée seulement par un petit
nombre d'observateurs au repos.
; séisme constaté par plusieurs person
nes au repos.
: constaté par des personnes en acti
vité, faiblement en plein air, mieux dans les
maisons, ébranlement des objets mobiles, des
portes, des fenêtres, craquement des plan
chers.
(10) Montessus de Ballore, ..
ch. IV
•
Séismicité et fréquence, pp. 126-138.
La Science sismologique », Paris, 1907,
(11) E. Rothé, Guide pour l'observation des tremblements de terre
(Congrès des Soc. Savantes, 1925, pp. 115-125).

Degré V —
Degré VI —
Degré VII —
Degré VIII —
Degré IX —
Degré X —
Degré XI —
Degré XII —
Assez
Fort
Très
Ruineux
Désastreux
Très
Catastrophe
Grande
— — 269
fort : constaté en général par toute la
population ; ébranlement d'objets plus
lourds ; de meubles et de lits.
: réveil général des dormeurs ; tintement
des sonnettes, oscillation des lustres, arrêt
des pendules ; ébranlement apparent des ar
bres. Frayeur.
fort : renversement d'objets mobiles ;
chute des plâtres du plafond et des murs ;
tintement de cloches ; épouvante générale
sans dommage aux édifices bien construits.
: chute des cheminées ; lézardes dans
les murs.
: destruction partielle ou totale de
quelques édifices.
désastreux : des bâtiments très solides
sont détruits. Il se produit des fentes dans
le sol. L'eau des rivières, lacs, etc.. est pro
jetée.
: destruction des bâtiments, ponts,
digues.
catastrophe : aucune œuvre humaine
ne subsiste. Changements géographiques.
Au cours de la période étudiée, le Maroc n'a pas connu de
tremblement de terre désastreux ; les secousses observées
n'ont pas dépassé, le plus souvent, le degré V de l'échelle pré
cédente et n'ont atteint qu'exceptionnellement les degrés VII
ou VIII : c'est dire que les dégâts se sont heureusement bornés
à des murs fissurés, à des chutes de plafonds ou de cheminées.
Les intensités les plus fortes observées sont notées en chiffres
romains sur les cartes.
Il est intéressant de signaler en passant le véritable essaim
de secousses qui a affecté la région de Tiloughit (Cercle d'Azi-
lal) depuis 1936. Cette période d'instabilité a débuté par un

- 270 -
tremblement de terre assez important qui a ébranlé le 14 octo
bre l'Atlas central, a atteint le degré VII (limite de VIII) dans
la zone épicentrale (Azilal, Ait M'Hamed, Zaouïa Ahansal VI,
et s'est étendu jusqu'à la région de Marra
Tiloughit VII-VIII)
kech. Ce séisme a été suivi de près de 50 répliques jusqu'à fin
décembre 1937.
Essayons maintenant de préciser la position des aires épicen-
trales et la nature de ces mouvements.
La zone riffaine renferme un certain nombre de foyers, mais
elle est aussi affectée par les séismes de la zone bétique et par
ceux du golfe de Cadix ou plus généralement de la portion
atlantique du géosynclinal « méditerranéen ». Ce sont ces
mêmes tremblements de terre qui secouent, lorsque leur inten
sité est suffisante, la Méseta marocaine qui paraît stable par
elle-même (12).
L'Atlas possède aussi ses propres centres d'ébranlement,
mais les séismes y ont généralement une faible extension, ce
qui laisse supposer un foyer voisin de la surface, et conduit à
penser que ce sont des « séismes dynamiques externes »,
suivant la nomenclature de Montessus de Ballore, dus à des
effondrements liés aux dislocations des plissements atlasiens.
Les tremblements de terre de la zone bético-riffaine dont
l'aire pléistocéiste est généralement plus vaste, seraient par
contre, pour la plupart, en relation avec la persistance des
efforts tectoniques da.ns les plis couchés ou charriés du Riff.
Quant au Maroc oriental (Hauts plateaux, bouclier saharien)
il paraît à peu près aséismique, et les séismes, même sévères,
de l'Algérie (tremblement de terre de Carnot en 1934, par
exemple)
région.
ne semblent avoir aucune répercussion dans cette
(12) Ce fut vraisemblablement le cas du fameux tremblement de terre
dit de Lisbonne qui, en 1755, dévasta le Portugal et de nombreuses villes
du Maroc. Cf. L. Gentil et Perreira de Sousa, Sur les effets» du grand
tremblement de terre du — Portugal (C. R. Ac. Se. CLVII, p. 805). F.-A.
Rolland, Notes de séismologie {Bull. Soc. Se. Nat. du Maroc, III, 9, 1923,
— p. 138. G. Roux, loc. cit.
On sait que Montessus de Ballore situait dans le géosynclinal médi
terranéen l'origine de plus de la moitié des séismes du globe.

271
En résumé, on peut distinguer au Maroc :
1° une zone aséismique : Le Maroc oriental,
2° une zone penesismique : La Meseta,
3° deux zones d'instabilité moyenne : a) Riff el détroit sud-
riffain ; b) Atlas.
S'il est prématuré de donner une interprétation précise de
cette répartition,
on peut au moins remarquer que les zones
instables correspondent aux aires d'activité orogénique
récente.
Les inscriptions des séismographes qui sont entrés en ser
vice l'an passé à l'Observatoire Averroës (13) permettront
désormais de mieux connaître la répartition des épicentres
et de déterminer la profondeur des foyers. Ces données
ajoutées aux résultats d'un plus grand nombre d'années d'ob
servations macroséismiques nous donneront, sans aucun doute,
à l'avenir, une vue plus précise et plus détaillée de la séismicité
de ce pays.
(13) Cet observatoire, situé à 40 kms au S.-S.E. de Casablanca, près de
(33° 18' 7° 25'
Berrechid N., W. Grw.), dépend du Service de Physique
du Globe et de Météorologie de l'Institut scientifique chérifien.

NOTE PRÉLIMINAIRE
sur les Variations de la Température avec l'Altitude
dans le Sud Marocain
PAR
G. BIDAULT
météorologiste a l'institut scientifique chérifien
membre de la société des sciences naturelles du maroc
Pour les besoins toujours croissants de la météorologie
dynamique, l'Office national météorologique a fait procéder
au Maroc à des sondages aérologiques par avion depuis la fin
de l'année 1934 ; 106 ascensions ont été réalisées à Rabat de
novembre 1934 à août 1935 et 505 à Marrakech d'août 1935 à
fin décembre 1937. M. Wherle, directeur de l'Office national
météorologique, a bien voulu communiquer cette importante
documentation à notre service,
ment.
nous l'en remercions bien vive
Le plus souvent les sondages aérologiques complètent les
renseignements synoptiques utilisés par les météorologistes
pour l'établissement des cartes du temps ; ils permettent de
caractériser des masses d'air troposphériques d'origines diffé
rentes et de déterminer le degré d'instabilité des couches
atmosphériques.
Nous nous proposons dans cette courte note de chercher jus
qu'à quel point la température moyenne à différents niveaux
dans l'air libre est un élément caractéristique du climat.
De l'ensemble des documents mis à notre disposition, nous
n'avons utilisé pour cette étude sommaire que les 187 sondages
effectués à Marrakech pendant l'année 1937 ; les moyennes

- 274 -
des valeurs ont été ordonnées dans le tableau ci-contre suivant
les mois, les saisons, l'année, d'une part et les altitudes au-
dessus du niveau de la mer, d'autre part.
Variations annuelle et saisonnière.
— La
loi générale de
décroissement de la température avec l'altitude se vérifie très
mal dans les couches basses de l'atmosphère où les influences
du sol et de la nébulosité sont prépondérantes.
Les sondages aérologiques par avion étant généralement
effectués aux premières heures de la matinée (entre 6 et
7 heures en été et entre 8 et 9 heures en hiver), au moment où
l'influence du refroidissement nocturne du sol est encore
importante,
des « inversions » de température dans les cou
ches basses apparaissent dans les valeurs moyennes. C'est
ainsi qu'en février la température moyenne s'élève de 2°8 dans
une couche de 400 mètres d'épaisseur au-dessus du sol, en
juillet de 2°6 pour 600 mètres et en novembre 0°3 pour
200 mètres.
Ces inversions peuvent aussi être provoquées par un phéno
mène analogue au « Fœhn », lorsque les masses d'air, dirigées
du Sud-Est vers le Nord-Ouest, franchissent l'Atlas et se
compriment adiabatiquement le long du versant sous le vent
de la montagne (*).
Les effets du rayonnement nocturne du sol et du « Fœhn »
peuvent d'ailleurs s'ajouter pour accroître l'inversion.
La considération des fréquences de la direction des vents en
altitude que nous avons négligée présentement et une série
plus longue d'observations permettront de préciser le caractère
permanent de ces « inversions de température ». A un même
niveau l'amplitude moyenne annuelle de la température est
d'autant plus faible que ce niveau est plus élevé.
Le tableau met en outre en évidence :
1° un réchauffement moyen (5° environ) dans toute la masse
atmosphérique de mars à avril ;
2° un autre réchauffement, moins bien marqué dans les
couches élevées que dans les couches basses (3 à 5°) de juin à
juillet ;
(1) J. Debrach et G, Bidault, Etat de nos connaissances sur le climat
de la montagne marocaine (Congrès de la Montagne marocaine, Rabat,
1937).

GRADIENT mar^akcch
THERMIQUE i95?
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T/tAfPC^UCCLE,
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ETE. .
HIVER
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.... .... ... .. 1
-■ -
nu/vf

— - 276
3° un refroidissement général
(5° environ) d'août à sep
tembre ;
4° un autre refroidissement (5 à 3°) de novembre à
décembre.
La température moyenne de l'atmosphère à divers niveaux
d'après 416 ascensions de ballons-sondes à Trappes, Stras
bourg, Uccle et Munich, effectuées de 1900 à 1912 (*) a été
représentée par 2 courbes, l'une se rapportant à l'été, l'autre
à l'hiver.
Sur le même graphique figurent les valeurs correspondantes
de la température à Marrakech en 1937 (-). En Europe l'altitude
moyenne de l'isotherme 0° oscille entre 800 mètres en hiver
et 3.200 mètres en été,
soit une dénivellation annuelle moyenne
de 2.400 mètres. Dans le Sud marocain, les valeurs correspon
dantes sont : 3.200 mètres en hiver et 4.300 mètres en été : la
dénivellation annuelle moyenne est donc de 1.100 mètres, c'est-
à-dire légèrement inférieure à la moitié de ce qu'elle est en
Europe.
A un même niveau l'écart entre la température moyenne
d'été et la température moyenne d'hiver est plus important en
Europe que dans le Sud marocain.
Ecart moyen en Europe : 11°
Maximum de l'écart : 12°5 près du sol.
Minimum de l'écart : 10° à l'altitude de 2.000 mètres.
Ecart moyen dans le Sud marocain : 7°
Maximum de l'écart : 8°5 à 2.000 mètres.
Minimum relatif de l'écart : 6° dans les couches basses.
L'atmosphère du Sud marocain semble donc être plus tem
pérée que celle de l'Europe. La moins grande inégalité de durée
des jours et des nuits paraît en être la cause.
Les températures moyennes de l'année 1937 des stations
situées à différentes altitudes dans l'Atlas méridional ont été
également portées sur le graphique ; l'écart aux températures
(1) W.-J. Humphreys, Physics of the air (New-York and London, 1929,
p. 55).
(2) G. Roux, Les températures maxima et minima (valeurs provisoi
res), 3e Mémoire annuel consacré à la Physique du Globe et à la Météo
rologie {Mémoires de la Société des Sciences naturelles du Maroc) (sous
presse).

Mois
Saisons
l Mai
Année
/ Août
\ Septembre
£ ( Octobre
Eté
Sondages Aérologiques effectués a Marrakech en 1937
Températures moyennes à l'air libre et à différents niveaux
Sol
460
6.2
10.7
12.4
19.3
17.7
18.2
22.4
21.5
19.4
15.6
17.7
11 6
12.4
19.7
16.1
660
10.8
12 8
9.7
17.6
17.0
16 6
24.1
21.0
17.9
13 8
18.0
12.0
12.9
19.1
15 9
860
10.9
13.5
9.2
17.3
16.9
16.2
24.9
21.4
18 0
12.7
17.8
11.1
12.5
19.1
15 8
1060
Altitudes au-dessus du niveau de la mer (en mètres)
10.4
13.0
9.1
17.0
16.4
15 6
25 1
21.7
18.1
11.9
17 0
10.0
11.9
19.0
15 4
1260
9.3
12.4
8.5
16.5
15.8
15.1
24.6
21 5
17.4
10.9
16 1
9.2
11.1
18.5
14.8
1460
8.3
11.4
7.8
15.8
15.2
14.7
24.1
21.2
16.7
9.8
15.3
8.0
10.1
18.0
14.0
1660
7.4
10.7
7.4
15.1
14.5
14.4
23.1
20.5
15.9
8.6
14.2
7.3
9.3
17.3
13.3
1860
6.8
9.8
7.0
14.0
13.9
14 1
22.5
19.6
15,3
7.6
12.6
6.1
8.3
16.6
12.4
2060
5.8
8.5
6.5
12.9
12.8
13 6
21.5
18.7
14.7
6.5
11.1
5.0
7.2
15.7
11.5
2260 2460 2860 3260 3660 4060 4460 4860
5.0
6.5
5.6
11.8
11 4
12.9
20.1
17.6
13.6
5.3
9.7
3.7
6.0
14.6
10.3
4.1
4.6
4.4
10.6
10 0
12.0
18.2
16.1
12.2
4.4
8.2
2.5
4.7
13.2
9.0
1.5
2.0
2.1
7.3
7.3
9.8
14.7
13.1
9.3
2.7
5 0
0.3
2.3
10.2
6.3
-1.1
-0.5
0.1
5.0
4.7
7.6
11.3
9.9
6.8
0.6
2.7
-1.9
0
7.6
3.8
-3.0
-2.7
-2.6
2.2
1.6
4 4
7.4
6.4
4.1
-1.8
-0.1
-4.0
-2.4
4.4
1.0
-5.3
-5 4
-5.1
0.5
-0.6
1.9
4.1
3.1
2.0
-1.4
-2.0
-5.9
-4.2
1.8
-1.2
-8.0
-8 1
-7.7
-2.1
-9.4
-8 5
-5.6
-3.1 -3.8
-0 6 -4.2
0 2 -3.2
1.7 -4.4
-0.2
-2.4
-7 5
-6.8
-0.7
-3.4
-9.0
-4.2
-5.6
Sombre
de
sonda
ges
effec
tués
15
19
18
22
13
14
15
17
17
3
14
20
89
98
187
1
î

-
— 278
moyennes de l'air libre décroît régulièrement depuis le niveau
de Marrakech jusqu'à l'altitude de 2.000 mètres L'influence
du sol sur la température moyenne de l'air paraît être de
moins en moins importante au fur et à mesure de l'élévation
sur le flanc de la montagne. Faut-il voir là une influence de
la forme du relief ? —
Des
être préciser cette hypothèse.
Gradient de température. —
études ultérieures pourront peut-
Chacun
sait que l'on appelle
« gradient de température » la variation de température pour
une élévation de 100 mètres.
Les valeurs particulières de cet élément sont très importan
tes en météorologie dynamique pour l'analyse des masses
d'air. Les différentes valeurs moyennes du gradient ont été
portées sur le diagramme Dans les couches voisines du sol, la
décroissance de la température avec l'altitude est notablement
plus forte en Europe que dans le Sud marocain. Dans les cou
ches élevées les différents gradients moyens ne varient que
très lentement avec l'altitude et ont des valeurs voisines les
unes des autres oscillant entre 0°5 à 2.500 mètres et 0°65 à
4.500 mètres, sauf toutefois le gradient moyen d'été du Sud
marocain qui a une valeur constante égale à 0°7 dans toute
l'épaisseur de la couche considérée.
Le gradient moyen des stations de l'Atlas méridional pour
l'année 1937 est très légèrement supérieur à 0°5 entre 460 et
2.100 mètres au-dessus du niveau de la mer.
En résumé : La température moyenne de l'air libre à diffé
rents niveaux dans le Sud marocain est supérieure à celle de
l'Europe.
L'état thermique de l'air libre au-dessus de Marrakech en
hiver est voisin de celui de l'Europe en été.
L'atmosphère du Sud marocain paraît plus tempérée que
celle de l'Europe.

Les Richesses Hydro-Minérales de l'Ouest Algérien
m
Les Eaux chlorurées sodiques, hptonips, homéothermales
d'Hammam Sîdï-Bel-Kheïr (près de Lalla-Maghrnia)
PAR
Francis LLABADOR
DOCTEUR EN PHARMACIE
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE ALGÉRIENNE
ET DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DU VIEUX TLEMCEN
Situation géographique
La petite station d'Hammam Sidi-Bel-Kheir est située, à dix
kilomètres au Nord-Est de Lalla Maghrnia, à 800 mètres envi
ron de l'ancienne Smala des Spahis de Chahba (*)
mètres de la rive droite de la affluent Mouïlah, de la Tafna.
et à 200
Pour y accéder, il faut prendre la route nationale n° 7 qui va
de Lalla Maghrnia vers TIemcen. A 1.800 mètres on emprunte,
à gauche de la route, le chemin carrossable, bordé sur un long
(1) Le nom de Chahba (la blanche) donné à ce lieu était le nom d'une
des sept juments qu'un Sultan mérinide de TIemcen avait lancée à la
poursuite d'un prisonnier évadé, du nom de Moussa Salah. La bête épui
sée s'était arrêtée à cet endroit ne pouvant plus continuer la poursuite.
(Nous tenons cette légende de MM. lés caïds Bensalem Abdelkader et Sol-
tane Abdelkader ;
remerciements).
qu'ils veuillent bien trouver ici l'expression de nos

- 280
-
parcours de genêts épineux, de scilles, d'asphodèles et de juju
biers sauvages, qui mène à la smala précitée.
A un kilomètre environ avant d'y parvenir s'embranche, sur
la droite de ce chemin, une piste,
en fort mauvais état d'ail
leurs, permettant d'atteindre péniblement Hammam Sidi-Bel-
Kheir.
Le site est très pittoresque et d'un caractère sauvage qui
frappe le visiteur. Un gros bouquet de palmiers donne à cette
station l'aspect d'une véritable petite oasis. Elle doit son nom à
un marabout : Sidi Bel Kheir, qui vivait, dit-on, au XVIe siècle
et dont la Koubba, perchée sur un mamelon voisin, domine la
source thermale.
II
LA LÉGENDE DE SlDI BEL KhEIR
Le Mokaddem Tadj Mohamed Belarbi,
qui se prétend le des
cendant de Sidi Bel Kheir, a bien voulu nous conter la légende
de son pieux ancêtre, patron de la source. Nous la rapportons
fidèlement :
... « Il y a quatre cents ans environ, Sidi Bel Kheir, issu
d'une famille maraboutique de Figuig, vint s'établir à Aïn
Sabra (Turenne). Dès son arrivée, il épousa une « cherifa » de
la région et, comme il était riche, il se rendit acquéreur des
terrains environnant la source qui nous occupe.
Quelque temps après, il vint se fixer définitivement, avec sa
tout près de la source où il fit bâtir une maison d'ha
famille,
bitation qui, d'ailleurs, n'existe plus aujourd'hui, mais dont
l'emplacement exact nous a été montré par le Mokaddem.
La réputation de sainteté de cet « ouali » ne tarda pas à se
propager parmi les tribus des alentours. On venait demander
ses prières et son intercession auprès de Dieu. C'était égale
ment un grand guérisseur. La tradition a conservé le souvenir
de plusieurs guérisons miraculeuses. Il prenait par les deux
bras ceux qui se présentaient à lui, les soulevait» légèrement,
en invoquant le saint Nom d'Allah, et les malades repartaient,
paraît-il,
entièrement guéris.
Il avait, nous confie religieusement Tadj Mohamed Belarbi,
en hochant la tête, la « Baraka ».

- 281
-
Après une existence toute remplie de bonnes œuvres et de
guérisons surprenantes, Sidi Bel Kheir s'éteignit doucement,
sur le petit mamelon qui domine la source. Il fut pieusement
enseveli à l'endroit même où il rendit le dernier soupir et les
fidèles élevèrent, sur son tombeau, une Koubba qui devint rapi
dement, et qui est encore, l'un des lieux de pèlerinage les plus
fréquentés de la région.
S'il faut s'en rapporter au mokaddem, il y a une trentaine
d'années, la Koubba de Sidi Bel Kheir, qui tombait de vétusté,
fut complètement démolie et reconstruite, au même endroit,
aux frais des descendants de ce saint musulman.
Les vieux murs furent abattus non pas par les maçons indi
gènes chargés de la reconstruction, mais par Tadj Mohamed
Belarbi lui-même,
parce qu'il convenait que cette opération
fût faite par un descendant de ce vénéré marabout.
Aujourd'hui encore, la blanche Koubba est tenue en grande
vénération par les populations musulmanes environnantes. Les
malades viennent y faire des sacrifices d'ovins et de volailles.
Nous avons vu, le dimanche 23 janvier 1938, une vieille
négresse, venue de Lalla Maghrnia, avec sa petite-fille, âgée
d'un an à peine, faire égorger un poulet par son gendre qui
l'accompagnait, afin d'obtenir de Sidi Bel Kheir la guérison
de la petite malade qui présentait de l'œdème des membres.
Elle nous a déclaré que, chaque fois qu'une personne de sa
famille était atteinte d'un mal quelconque, elle venait accom
plir ce sacrifice propitiatoire.
III
Aperçu géologique
« Cette source, écrivait l'ingénieur Baills en 1888,
se trouve
placée à la limite même des pouddingues et des marnes ter
tiaires, sur une faille très nette du système de Vercors,
5° 40'
orientée N. E., qui a déterminé sur un assez long par
cours la discordance en falaise utilisée pour la séparation des
étages inférieur et moyen du Miocène dans cette région. Tou
tefois, les rejets verticaux,
conséquences immédiates des

failles,
— - 282
empêchent d'attacher à ce genre de discordance la
même valeur stratigraphique qu'à la discordance proprement
dite. Deux ou trois bouillons donnent lieu à de petites mares
ombragées de lauriers-roses et de bouquets de palmiers ; des
concrétions calcaires ont été déposées à la longue par les
eaux (2). »
IV
Aperçu climatologique et épidémiologique
La petite station d'Hammam Sidi Bel Kheir est située à
290 mètres environ d'altitude,
lequel est assise la Smala de Bled Chahba.
au pied sud d'un mamelon sur
La température y est, en hiver, plus basse que sur le littoral
et, en été, beaucoup plus élevée. Comme dans toute cette
région, les vents régnants, en hiver, sont ceux d'Ouest, et en
été ceux de l'Est.
Quant à la moyenne des pluies, elle est absolument la
même que celle d'Hammam Bou Ghrâra qui a fait l'objet
d'une précédente étude, soit 500 m/m (s).
Hammam Sidi Bel Kheir est également un foyer de palu
disme,
par suite de la proximité de la Mouïlah et des collec
tions d'eau, assez nombreuses, aux abords de la petite oasis.
Il conviendrait, comme pour la station voisine d'Hammam
Bou Ghrâra,
outre la quininisation systématique des habitants
de l'endroit, de régulariser et de désherber les rives de l'oued
Mouïlah, proches de la station, et d'empêcher les collections
d'eau stagnante, en procédant à l'épandage alternatif des eaux
d'écoulement de la source et de la piscine. Enfin, pour la des
truction des larves et des nymphes d'anophèles dans les eaux
dormantes, on pourra employer, soit le pétrole, soit certaines
poudres larvicides comme le vert de Schweinfùrt et le Stoxal.
(2) Baille, Notice sur les sources thermales et minérales du département
d'Oran (in A. F. A. S., Congrès d'Oran, 1888, p. 266).
(3) F. Llabador, Les eaux bicarbonatées sodiques, hypotoniques hyperthermales
d'Hammam n"'
bou Ghrâra (in Revue Africaine, 368-369,
3e et 4« trimestres 1936 ; deuxième Congrès de la Fédération des Sociétés
Savantes de l'Afrique du Nord).

- 283 —
Toutes ces mesures prophylactiques et antilarvaires auraient
pour résultat de rendre cette station plus salubre et, par là
même,
plus fréquentée.
Historique
Les eaux de Sidi Bel Kheir semblent avoir été connues des
Romains. Il existe à 2 kilomètres, à l'Ouest du bordj de
Chahba, des ruines romaines, au lieu dit Tagraret. Ces ruines
sont indiquées sur l'Atlas archéologique de l'Algérie de S.
Gsell (feuille 30)
que de l'Armée à 1/50.000',
Cependant,
ainsi que sur la carte du Service géographi
Nédroma (feuille n°
269).
malgré la proximité de ces ruines et de la sta
tion de Bou Ghrâra où deux bornes milliaires ont été décou
vertes, l'une en 1883, l'autre en 1898, rien ne permet d'affirmer
que les eaux de Sidi Bel Kheir aient été utilisées à l'époque de
la domination romaine en Afrique du Nord.
Toutefois, il est permis de supposer que les Romains
devaient préférer les eaux de Bou Ghrâra, en raison de leur
thermalité plus élevée, et, aussi, pour la raison qu'elles étaient
placées sur le parcours de la voie reliant Numerus Syrorum
(Lalla Maghrnia) à Siga (Takembrit)
la Tafna.
VI
La source thermale
près de l'embouchure de
Lors de notre dernière visite à cette petite station, le 23 jan
vier 1938,
le gardien nous a montré trois points d'émergence :
l'un sert de fontaine d'alimentation en eau aux indigènes de
l'endroit ; le second alimente la piscine ; le troisième, presque
entièrement colmaté, est inutilisable et inutilisé.
Le débit de cette source »a été évalué à sept litres à la seconde
par l'ingénieur Baills (*), soit 420 litres par minute. Le Profes
seur Hanriot, membre de l'Académie de Médecine, qui visita
cette station, fait remarquer, en 1911, que ce débit est fort
réduit,
mais ne donne aucun chiffre.
(4) Baille, loc. cit.,
p. 267.

284
L'émergence qui alimente en eau potable les habitants du
lieu coule au pied d'un gros bouquet de palmiers séculaires.
Aux alentours, ondulent des lauriers-roses,
chèvrefeuilles,
des buissons de
des touffes de roseaux. Le chant des oiseaux
se mêle au doux murmure de l'eau et aux rires cristallins des
femmes arabes qui,
tiède,
agenouillées au bord du ruisseau d'eau
lavent leur linge multicolore à l'abri des rayons solaires.
Les eaux des trois émergences précitées s'écoulent dans un
bassin situé, un peu en contre-bas, à 50 mètres à peine de la
piscine. Ce bassin, mesurant 8 X 8 m. environ, est envahi par
la végétation et par la vase. Il conviendrait d'y faire quelques
petits travaux de déblaiement pour le rendre utilisable, dans
l'intérêt des indigènes.
Le 9 mai 1900. le Médecin aide-major de 2e classe Faubert,
médecin chef de l'hôpital militaire de Lalla Maghrnia, écrivait,
dans un rapport manuscrit, au sujet de l'adduction à la Smala
des Spahis de Chahba des eaux de la source thermale de Sidi
Bel Kheir : « L'eau de la source Bel Kheir est très abondante
et est déjà captée dans un bassin servant de piscine où elle
arrive à 34° Le débit est considérable et invariable,
le degré
hydrotimétrique total de 36° Très bonne au point de vue des
matières organiques, l'eau de la source Bel Kheir,
qu'il serait
facile de ramener à une température où elle deviendrait potable,
serait à tous points de vue supérieure à toute autre, et il y
aurait lieu de souhaiter qu'à l'exclusion des eaux qui font
l'objet du présent rapport, elle servît exclusivement à l'ali
mentation de la smala (5). »
Le vœu formulé par ce médecin militaire fut pris en consi
dération et suivi d'exécution, puisqu'en 1911, le Professeur
Hanriot constate qu'une partie de l'eau de Sidi Bel Kheir est
amenée à la smala de Chahba par une canalisation en fonte,
qu'elle y est refroidie et utilisée comme eau potable.
« L'eau, écrivait-il, un peu opalescente, est agréable à boire,
elle est légèrement purgative, un peu alcaline, habituellement
non ferrugineuse ; toutefois, à certains jours, elle laisse,
paraît-il, un dépôt ocreux dans les carafes. Comme ce dépôt ne
(5) Archives de l'Hôpital militaire de Lalla Maghrnia.
Nous avons trouvé un degré hydrotimétrique total se rapprochant de
28" et un degré hydrotimétrique permanent de 15" environ.

Fig. 1. —
Vue
Fig. 2. —
générale d'Hammam Sidi-Bel-lvlieir.
La koubba de Sidi-Bel-Kheir.

- 285 —
se forme jamais dans la piscine, qui est alimentée par une eau
identique,
il est vraisemblable qu'il provient des longs tuyaux
de fonte (800 mètres) qui conduisent l'eau à la smala (3).»
Cette canalisation n'existe plus aujourd'hui ; en 1913, elle
était déjà hors d'usage (7).
VII
Aperçu sur la Faune des eaux homéothermales
de Sidi Bel Kheir
La faune des eaux chlorurées sodiques, hypotoniques. homéo
thermales d'Hammam Sidi Bel Kheir est caractérisée par la
présence des melanopsides qui vivent en très grande abon
dance dans la « seguia » qui canalise ces eaux vers le bassin,
puis à travers champ. Tous les exemplaires que nous avons
recueillis appartiennent à une seule espèce : Melanopsis alge-
rica. Plry
1904 == Maroccana Bgt 1864.
Nous avons constaté l'absence complète de la petite néritine
noire : Neritina numidica Recluz 1841,
espèce Théophile qui
abonde dans les eaux chlorurées sodiques, hypotoniques. bypo-
thermales d'Hammam Sidi Chîger, dont la température est un
peu moins élevée (30 à 32° environ).
VIII
L'Etablissement
Ingénieur au Corps
Vers 1853, il n'existait, d'après Ville,
impérial des Mines,
recevait le trop-plein des eaux destinées à l'irrigation (8).
que le bassin carré de 8 mètres de côté qui
En 1888, la situation est encore la même. Baills aussi n'y
(6) Hanriot, Les eaux minérales de l'Algérie, Paris, 1911, p. 367.
(7) Nous tenons à remercier ici M. le Caïd Soltane de qui nous tenons
ce renseignement.
(8) Ville, Notice minéralogique sur les Provinces d'Oran et d'Alger,
Paris, MDCCCLVII, p. 61.

— 286 -
constate que l'existence d'un ancien bassin, à quelques mètres
en contre-bas, servant de piscine aux indigènes et de réservoir
pour l'irrigation des jardins qui bordent la Mouïlah (9).
Trente-trois ans plus tard, le Professeur Hanriot remarque
que le captage de la source se trouve dans un petit bâtiment
en maçonnerie de style arabe, et qu'il existe une piscine de
2 m. 5 X 3 m. (10).
Le 7 septembre 1923, l'Administrateur de la Commune mixte
de Lalla Maghrnia,
écrivait au sujet de cette petite station :
« Depuis la désaffectation militaire de la Smala de Chahba, ce
petit établissement qui n'était utilisé que par les militaires de
la Smala et leurs familles,
n'a plus été entretenu. Il est en
partie en ruines et ses eaux ne sont plus employées que comme
eaux d'alimentation par les riverains et le petit groupe d'Euro
péens qui exploite les terrains de la Smala,
par le Génie à un particulier. »
aujourd'hui loués
Actuellement, l'établissement balnéaire est réduit,
peut dire,
si l'on
à sa plus simple expression. Il n'existe qu'une seule
piscine ayant 3 m. 50 de longueur sur 4 m. 90 de largeur et
0,90 de profondeur. Elle est abritée dans un bâtiment en
pierres, de 25 mètres carrés environ, entouré d'oléastres, de
lauriers-roses et de quelques gros palmiers. Cette piscine cou
verte aurait été construite par les officiers du détachement de
spahis de Chahba.
« La Commune mixte a fait procéder à ses frais, il a y trois
ans, à la réfection du bain dont elle confia la garde au mokad
dem (") du Marabout de Sidi Bel Kheir qui, en compensation,
cultive, par tolérance de l'Administration, quelques hectares
irrigués par le trop-plein des bains.
Enfin,
la Commune mixte a demandé l'acquisition à l'Admi-
(8) Ville, Notice minéralogique sur les provinces d'Oran et d'Alger,
Paris, MDGCCLVII, p. 61.
(9) Baills, Notice sur les sources thermales et minérales du départe
ment d'Oran (in : A. F. A. S., Congrès d'Oran, 1888. Oran et l'Algérie en
1887, p. 267).
(10) Hanriot, Les eaux minérales de l'Algérie, Paris, 1911, pp. 366-7.
(11) Le Mokaddem détient seul la clef du bâtiment dans lequel se
trouve la piscine. Une rétribution de 0 fr. 50 lui est due par bain et par
personne.

— - 287
nistration des Domaines d'une parcelle de quelques hectares
pour constituer une réserve autour du bain,
tion n'a pas encore été résolue (12). »
IX
Classification
mais cette ques
En 1888, Baills (") classe les eaux de Sidi Bel Kheir, dans
la catégorie des eaux salines (variété chlorurée sodique), ce
qui n'empêche pas Ardouin-Dumazet, en 1889, de les qualifier,
à tort, de sulfureuses (14).
Le Service des Mines, en 1900 (15),
conserve la classification
de Baills, ainsi que le docteur Trolard,
Pasteur d'Alger, président de la Commission des Eaux ther
Directeur de l'Institut
males et minérales de l'Algérie, dans son étude sur les eaux
thermo-minérales de l'Algérie,
en 1901 (p. 56).
Dix ans plus tard, le Professeur Hanriot les place parmi les
eaux indéterminées,
c'est-à-dire parmi celles qui n'offrent
dans leur composition ,aucun principe minéralisateur spécial
et dont le principal mérite est la thermalité (I6).
Enfin,
minérales,
en 1927. dans sa « Nouvelle classification des eaux
d'après leur constitution et leurs propriétés physi
co-chimiques », le Dr
Valls, par rapport à Fanion type,
concentration moléculaire et à la température, range plus pré
à la
cisément les eaux de Sidi Bel Kheir parmi les chlorurées sodi
ques hypotoniques homéothermales (").
(12) Lettre de l'Administrateur de la commune mixte de Marnia en
n°
date du 4 avril 1938, 2358.
(13) Baills, loc. cit.,
p. 264.
(14) Ardouin-Dumazet, Etudes Algériennes, Chez les Arabes,
3" édi
tion, 1889, pp. 111-2.
(15) Service des Mines, Notice sur les sources thermales et minérales de
l'Algérie, Alger, 1900, p. 14.
(16) Hanriot, loc. cit., p. 361.
(17) Dr
Valls, Nouvelle classification des eaux minérales d'après leur
constitution et leurs propriétés physico-chimiques, Thèse, Alger, 1927.

- 288
-
Analyse
La première analyse des eaux d'Hammam Sidi Bel Kheir,
faite au laboratoire des mines d'Oran, par M. Baills, a donné
les résultats suivants exprimés en sels hypothétiques, selon
l'ancienne méthode :
Chlorure de sodium 0 gr. 850
Chlorure de magnésium 0 150
Carbonate de chaux et magnésie... 0 080
Carbonate de soude 0 070
Sulfate de chaux 0 065
Sulfate de magnésie 0 025
Silice 0 030
Matières organiques 0 020
Total au litre 1 gr. 290
Le Professeur Hanriot qui a fait l'analyse de ces mêmes
eaux énonce les résultats en ions :
Alcanilité par litre 8 ce
Résidu sec à 160° 1 09
Ca 0.0637
Mg
0.0337
Na 0.3699
K 0.0257
Si03 0.03
C03 libre et des bicarbonates . 0.1432
C03 neutre 0.0656
S04 0.0407
Cl (18) 0.4595
I traces
Nitrates traces
(18) Le dosage du Cl nous1 a donné 0 fr. 461.

- 289
-
D'après les résultats obtenus par le Professeur Hanriot,
nous avons calculé le nombre des ions-milli et des cations
milli, la mobilité des électrolytes, le cation type, le poids
moléculaire type et, enfin, la concentration moléculaire
moyenne en millimolécules.
Si03
Bulletin d'analyse des eaux
Chlorurées sodiques, hypotoniques, homéothermales
d'Hammam Sidi Bel Kheir
(Situation géologique :
Miocène au contact du Cartennien et de l'Helvétien)
ANIONS
C03 libre et des bicarbo
nates
C03 neutre
S04
Cl
Ca..
Mg.
Na..
K ..
CATIONS
POIDS
en
milligrammes
par litre
30.0
143.2
65.6
40.7
459.5
739.0
63.7
33.7
369.9
25.7
493.0
NOMBRES
des
ions-milli
0.39
2.38
1.09
0.42
12.95
17.23
1.58
1 38
16.08
0.65
19.69
Anion type 42.89
Cation type 23.03
Poids moléculaire type 67.92
Concentration moléculaire moyenne
en millimolécules 18.13
MOBILITÉ
des
électrolytes
57.70
847.31
164.50
128.60
700.28
42.02
1.035.40

— 290 —
Le Dr Valls compare les eaux d'Hammam Sidi Bel Kheir
avec celles d'Hammam Figuig, Hammam Sidi Djaballa, Ham
mam Ouled Kaled et enfin avec celles de la Métropole : Rennes
les Bains, Brides les Bains et Bains les Bains.
Le tableau comparatif de ces stations,
valeur croissante de l'anion type est le suivant,
du groupe homéothermales :
Eaux chlorurées sodiques
hypotoniques
homéothermales
Hammam Figuig
Bel Kheir (")
Hammam Sidi Djaballa..
Hammam Ouled Kaled. . .
Bains les Bains
Anion type
42,43
42.89
49.15
51.97
58.12
62.77
64.99
Radio-Activité
Concentra
tion
moléculaire
18.36
18.13
13.25
6.49
23.02
68.17
5.33
classées suivant la
pour les eaux
Température
3b'
35»
37'1
37°5
34'
34°5 \
Nous reproduisons ci-dessous les résultats obtenus par
MM. I. Pouget et D. Chouchak (20) au cours de leurs recherches
sur la radio-activité des eaux des sources du département
d'Oran :
Caractéristique
de la source
Clorurée sodique.
Tempéra
ture
Émanation de Ra
en
millimicrocnries
par litre
Formation
géologique
35» 1,55 Miocène près de
Rljyolites hel-
vétiennes.
(19) Valls donne anion type : 43.04 ; concentr. moléc.
rature : 35°.
37e
Résisti-
vité
589
18,10 ; tempé-
(20) Radioactivité des eaux des sources du Département d'Oran (in
Bulletin Stè Hist. Nat. Afrique du Nord, tome quatorzième, 1923, p. 354).

- 291
-
XI
Indications thérapeutiques
En 1857, Ville, qui visita la station quelques années avant,
fait remarquer que cette source ne paraît pas fréquentée par
les Arabes, sans doute parce que sa température est beaucoup
moins élevée que celle d'Hammam Bou Ghrâra, située dans le
voisinage (21).
« On leur prête le même effet thérapeutique qu'aux eaux
voisines d'Hammam Bou Ghrâra, écrivait Baills en 1888, c'est-
à-dire une action surtout thermale pour la guérison des dou
leurs rhumatismales. »
L'abandon de cette station au profit d'Hammam Bou Ghrâra
est attribué, par ce même ingénieur,
tion (22).
au manque d'installa
En 1901, le Dr Trolard admet que les effets thérapeutiques
de la source de Sidi Bel Kheir sont identiques à ceux de la
même catégorie : douleurs, maladies de peau,
etc.. (23).
Le Professeur Hanriot ne semble pas reconnaître cette effica
cité. « On lui attribuait autrefois, écrivait-il en 1911, une effica
cité dans les rhumatismes, les maladies de peau,
mais le voi
sinage de Bou Ghrâra, autrement actif, a fait délaisser cette
station. La piscine ne sert plus aujourd'hui que pour les bains
des officiers. » (24).
Comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire à propos des
eaux de Sidi Chîger, les eaux chlorurées sodiques auraient une
action tonique et reconstituante dans certaines affections rhu
matismales, gynécologiques et dans le scrofulo-lympha-
tisme (2B).
Actuellement,
ce sont les indigènes qui fournissent à cette
station déchue la majeure partie de sa clientèle. Ils y viennent
(21) Ville, loc. cit.,
p. 61.
(22) Baills, loc. cit., p. 267.
(23) Dr Trolard, Les eaux thermo-minérales de l'Algérie, 1901, p. 56.
(24) Hanriot, loc. cit.,
p. 367.
(25) F. Llabador, Les eaux chlorurées, sodiques, hypotoniques, hypothermales
d'Hammam Sidi Chîger (in : Revue Africaine,
nos
372 et 373,
3" et 4e trimestres 1937, Extrait du 3" Congrès de la Fédération des Socié
tés savantes de l'Afrique du Nord).

292
de Lalla Maghrnia et des alentours, surtout au printemps et
en été,
au moment de certains pèlerinages. Ils utilisent la
piscine plutôt pour les soins de propreté, avant d'aller invoquer
le marabout Sidi Bel Kheir, que dans un but thérapeutique.
Bien qu'il ne soit pas tenu compte du nombre des baigneurs,
on peut les estimer à une centaine environ, s'il faut en croire
le gardien de la piscine.
Conclusions
Cette étude vient clôturer le travail que nous avions entre
pris sur les richesses hydro-minérales de l'Ouest Algérien et,
plus particulièrement, de la région de Lalla Marghnia.
Si la petite station de Sidi Bel Kheir est loin d'être aussi
connue et aussi fréquentée que celles d'Hammam Bou Ghrâra
et d'Hammam Sidi Chîger, elle mérite cependant de retenir
l'attention.
Ses eaux, comme celles d'Hammam Sidi Chîger, sont clas
sées dans la catégorie des eaux chlorurées sodiques, hypoto
niques.
L'avantage incontestable de la station de Sidi Chîger sur
celle de Sidi Bel Kheir,
c'est qu'elle se trouve située à 5 kilo
mètres à peine de Lalla Maghrnia et qu'elle est d'un accès
beaucoup plus aisé. De ce fait,
Sidi Chîger a la préférence des
habitants de Lalla Maghrnia et de la région environnante qui,
à toutes les époques de l'année, viennent s'y baigner et s'y repo
ser, à l'ombre de ses frais ombrages.
D'autre part, l'installation balnéothérapique y est moins
rudimentaire que celle de Sidi Bel Kheir, puisqu'on y trouve
deux grandes piscines bien aménagées avec 13 cabines qui ser
vent de vestiaire aux baigneurs.
Enfin, il existe aussi un café maure avec quelques tables
rustiques autour des piscines.
Une autre raison pour laquelle on délaisse Sidi Bel Kheir,
c'est que cette petite station se trouve dans le voisinage
d'Hammam Bou Ghrâra où l'on se rend plus volontiers parce
que les eaux de cette dernière station sont plus chaudes
(44-45°) et, par conséquent, dans l'esprit du vulgaire, plus effi
caces que les eaux de Sidi Bel Kheir (35°).

— 293 -
Il est cependant à remarquer que, si les eaux de Bou
Ghrâra sont hyperthermales, elles n'ont pas du tout la même
composition chimique que celles de Sidi Bel Kheir qui, hypo-
thermales,
sont des eaux chlorurées sodiques alors que celles
de Bou Ghrâra sont bicarbonatées sodiques.
Toutefois,
malgré les inconvénients d'Hammam Sidi Bel
Kheir : absence de route carrossable tout au moins sur une
partie du parcours, absence d'une grande piscine avec cabines
pour les baigneurs et inexistence de tout café maure, il n'en
reste pas moins vrai que l'eau de Sidi Bel Kheir,
en raison de
sa radioactivité et de sa thermalité, beaucoup plus élevées que
celles de Sidi Chîger, mériterait qu'on s'y intéresse davantage.
Voici d'ailleurs le tableau comparatif de ces deux sources
chlorurées sodiques, par rapport à la température, à la radio
activité et à la résistivité, d'après MM. Pouget et Chouchak (20) :
Sources
chlorurées sodiques
Hammam Sidi Chiger .
. .
Hammam Sidi Bel Kheir.
Température
31°
35'
Émanation deRa
en
millimicrocnries
par litre
0.85
1.55
Résistivité
La radioactivité des eaux bicarbonatées sodiques, hypotoni
ques, hyperthermales d'Hammam Bou Ghrâra atteint, selon les
0.63 et 0.46.
captages considérés : 0.48, 0.43,
Il serait utile, à notre avis, de ne pas délaisser complète
ment cette petite station d'Hammam Sidi Bel Kheir. Si elle
était tant soit peu aménagée, elle pourrait rendre encore de
réels services quand ses propriétés thérapeutiques seront mieux
étudiées et mieux connues. Elle concourrait, avec Hammam
Bou Ghrâra et Hamman Sidi Chîger, à fournir aux malades de
la région, justiciables de la cure hydrominérale,
206
589
des ressour
ces appréciables et jusqu'ici inappréciées ou méconnues.
(26) Pouget et Chouchak, loc. cit., p. 354.
20

- 294 -
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Archives de l'Hôpital militaire de Lalla Maghrnia.
Ardouin-Dumazet : Etudes algériennes. Chez les Arabes, Paris-
Lille, 1889.
Baills : Notice sur les sources thermales et minérales du départe
ment d'Oran (in : Oran et l'Algérie, A.F.A.S., Congrès d'Oran,
1888).
Battandier et Trabut : L'Algérie, le sol et les habitants, 1898.
Bertherand : Sources thermales de l'Algérie, 1878.
Canal : Les villes de l'Algérie, Marnia (Lalla Maghrnia), Paris,
1887. (Extrait de la Revue de l'Afrique Française).
Cardonne et Rabot : La colonisation dans l'Ouest oranais, Alger,
1930.
Chassevant : Hydrologie élémentaire à l'usage des médecins, 1912.
Gentil : Etude géologique du bassin de la Tafna, 1903.
Hanriot : Les eaux minérales de l'Algérie, Paris, 1911.
Institut Pasteur d'Alger ; Carte du Paludisme en Algérie, Alger,
1928.
Llabador F. : Les eaux bicarbonatées sodiques, hypotoniques,
hyperthermales d'Hamman Bou Ghrâra (près de Lalla Maghr
nia). Extrait du 2« Congrès de la Fédération des Société savan
nos
tes de l'Afrique du Nord (Revue Africaine, 368 et 369, 3e et
4*
trimestres 1936).
Llabador F. : Les eaux chlorurées sodiques. hypotoniques, hypo-
thermales d'Hammam Sidi Chîger, près de Lalla Maghrnia.
Extrait du 3" Congrès de la Fédération des Sociétés savantes
nos
de l'Afrique du Nord (Revue Africaine, 372 et 373, 3e et
4" trimestres 1937).
Manquené : L'Oranie et ses richesses agricoles, Oran, 1930.
Pouget et Chouchak : Radioactivité des eaux de sources du dépar
tement d'Oran (in : Bulletin de la Société d'Histoire Naturelle
de l'Afrique du Nord, décembre 1923, tome quatorzième).
Service des Mines : Notice sur les sources thermales et minérales
de l'Algérie, 1900.
Trolard (D') : Les eaux thermo-minérales de l'Algérie, 1901.
Valls : Nouvelle classification des eaux minérales d'après leur
constitution et leurs propriétés physico-chimiques. Thèse
Alger, 1927.
Ville : Notice minéralogique sur les provinces d'Oran et d'Alger,
Paris, 1857.

LES MELOIDAE
DES POSSESSIONS FRANÇAISES DE L'AFRIQUE DU NORD
Etude Biogéographique
(Résumé)
PAR LE
Docteur Auguste CROS
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE NATURELLE
DE L'AFRIQUE DU NORD
La famille des Meloidae est très largement représentée dans
les possessions françaises de l'Afrique du Nord, où elle compte
26 genres avec environ 120 espèces, soit 9 genres de plus que
n'en possèdent la France, l'Espagne ou l'Italie,
et plus du dou
ble d'espèces qu'aucun de ces pays. Tous les genres qui exis
tent dans les pays européens qui bordent la Méditerranée se
retrouvent en Afrique du Nord,
par les mêmes espèces qu'en Europe ;
où ils sont souvent représentés
mais ils ont générale
ment d'autres espèces spécialement africaines, et certains
d'entre eux sont incomparablement plus riches : le genre Mykt-
bris notamment compte à lui seul près de la moitié du nombre
total des espèces Méloïdes nord-africaines. L'Afrique du Nord,
d'autre part, possède deux genres : Horniu (Allendmalazaria)
et Filalia dont les représentants n'ont pas été jusqu'ici ren
contrés ailleurs qu'au Maroc et en Oranie.
Au point de vue biogéographique,
on peut distinguer deux
groupes principaux : 1° un groupe méditerranéen, comprenant
un certain nombre d'espèces qui ne se rencontrent guère que
dans la zone du littoral ou la région du Tell ; 2° un groupe

LÀ DIFFUSION DU DROIT FRANÇAIS
EN ALGÉRIE"
PAR
René MAUN1ER
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS
Quand on parle aujourd'hui de colonisation, on porte
l'attention sur le conflit des peuples. On voit surtout se
déployer l'opposition des dominés aux dominants. Et l'on voit
s'affirmer la revendication que font valoir, en notre temps,
tous les peuples sujets : le vœu d'un droit à plus de liberté, à
plus d'égalité, à plus d'humanité. L'on voit surgir,
esprit, l'idée de nationalité,
dans leur
qui est notre œuvre en Afrique du
Nord. Les indigènes algériens n'avaient pas eu, avant notre
venue, le sentiment de constituer une nation. Ils étaient gens
de leur tribu, ou gens de leur cité ; gens de leur secte ou de
leur confrérie. Chaque région avait sa loi, et chaque secte
avait sa foi : ils ne concevaient pas, pour tous les Algériens,
les mêmes pouvoirs, les mêmes devoirs. C'est nous qui, en
organisant tout le terroir de l'Algérie communément et unifor
mément, en élaborant donc, dans l'Algérie en son entier, tout
un statut commun territorial, valant pour tous, régnant pour
tous, pesant sur tous ; c'est nous ainsi qui avons pu souffler, à
tous les habitants, un esprit commun, un génie commun, un vou
loir commun. Si le mot d'
«Algérie;) fut inventé parles Français,
(1) Voir, pour les détails : René Maunier, Mélanges de sociologie nord-
africaine (1930) ; Loi française et coutume indigène en Algérie (1982) ;
Coutumes algériennes (1935) ; Sociologie coloniale, 2 vol. (1932-36) ;
toutes éditions Domat-Montchrestien, Paris.

la chose, aussi,
— - 300
est l'œuvre des Français : l'unité de droit a
élaboré l'unité d'esprit. La diffusion du droit français en
Algérie a préparé ainsi l'opposition des Algériens et des
Français.
Mais, d'autre part, la colonisation produit aussi Yassociation,
l'agrégation entre les peuples. Il se fait échange de leurs
conceptions ; il se fait mélange de leurs traditions. C'est Clark
Wissler, un ethnologue américain,
« la diffusion organisée ». Je parlerais, sans hésiter, d'un syncré
qui définit la colonisation
tisme culturel ; une accommodation, une amalgamation,
qui se
déploie dans les deux sens : des dominés aux dominants, des
dominants aux dominés ; une « assimilation », comme on dit
en français, qui crée des ressemblances, au lieu des dissem
blances, et qui a lieu surtout, en pays algérien, par la franci
sation des goûts, des mœurs, des lois des habitants. Les coloni
sateurs sont donc des porteurs d'unité : c'est leur fonction, ou
leur mission.
Je veux marquer, pour l'Algérie, comment s'est faite la
francisation des lois : comment s'est fondé un ordre commun
et un droit commun. Ayant été, dans ce pays, fonctionnaire
français, j'ai collaboré à ce mouvement : ainsi, je vais parler
de choses vues et de choses vécues.
Deux faits fondamentaux se sont manifestés, qui sont par
tout l'effet des colonisations. —
Premièrement, le gain du
droit écrit sur le droit coutumier : l'apparition des codes en
pays algérien : la tradition de droit oral fait place à la législa
tion de droit écrit. —
Secondement,
le gain du droit territorial
sur le droit personnel : l'institution de lois ayant vigueur pour
tous les habitants d'un territoire circonscrit ; autrement dit,
des lois de l'ordre national, et non des lois de secte ou de tribu ;
des lois laïcisées et uniformisées. Un droit écrit ; un droit
commun.
On est parti, pourtant, de la diversité et, plus grossièrement,
de la dualité. En promettant aux habitants d'Alger, selon la
Capitulation du 5 juillet 1830, que leurs traditions seraient
respectées, on a établi un double statut : statut pour l'Algérien,
statut pour le Français. Deux corps de lois sont donc coexis
tants, en Algérie : statut ancien, statut nouveau ; statut oral,
statut écrit ; statut local, statut français. Ce fut ainsi la per-

- 301
—
sonnalité des lois. En Algérie, ainsi qu'ailleurs,
ce sont les
habitants qui ont voulu que leur statut traditionnel fût con
servé à leur profit. Car ils n'ont pas, pour la plupart,
l'idée que
nous avons, du droit laïc, qui se suffit à soi, et qui n'est pas
l'œuvre d'un dieu. Pour nos sujets, le droit offre deux traits
fondamentaux,
qui font obstacle à la fusion du statut algérien
et du statut français. C'est un droit personnel et un droit reli
gieux. —
C'est
un droit personnel, non un droit national : un
droit fondé sur la filiation, un droit qui vaut pour des parents,
un droit qui se transmet, par conséquent, avec le sang, un
droit hérité, et non accepté ; c'est, ou c'était, le droit d'une
tribu, qui changeait donc de tribu à tribu ; un droit parental,
comme l'a dit, très justement, J.-W. Powell pour les Amérin
diens. La loi des gens d'ici n'était donc pas la loi des gens de
là : diversité, —
et non du tout conformité.
C'est
un droit reli
gieux, non un droit national ;
les gens de la tribu est une idée mythique, ou une idée mysti
car cette idée de parenté entre
que : c'est la vertu du héros fondateur qui se transmet par la
filiation ; c'est l'unité d'esprit, autant que l'unité de sang, qui
fait la parenté. Le lien n'est pas coupé de la tradition à la reli
gion. Les Algériens ne pensaient pas qu'on pût subir les mêmes
lois si l'on était chrétien, israélite ou musulman ; et musulman
d'ici, ou musulman de là ; adepte d'un rite, ou d'un autre rite
du droit musulman. Autant de cultes, et autant de statuts ;
autant de fois, autant de lois.
L'on est parti ainsi, voici cent ans passés, du contraste pro
fond de deux états d'esprit. Eloignement mental, moral, légal.
Distance extrême à parcourir : ifs a long way.... Personnalité,
religiosité du statut de droit : pouvait-on s'y tenir, sans en rien
altérer ? On ne le pouvait pas, du moins si l'on voulait civiliser
les habitants !
Civiliser : qu'entendons-nous par là ? L'idée a bien changé,
depuis trois siècles d'expansion ! On crut que c'était donner
le salut ; on crut que c'était donner le bonheur. Mais on n'a
plus, ou l'on a moins,
ces ambitions : car nos sujets ont leur
salut, et leur bonheur, qui valent les nôtres,
yeux. Civiliser, ainsi,
du moins à leurs
c'est donner le confort : créer plus d'ai
sance en un pays neuf. La civilisation serait, aux colonies, le
règne du confort. Qu'est donc le confort ? Au sens du fait, c'est

— — 302
la commodité. Au sens du droit,
habitants, par la législation et la juridiction,
et des droits garantis ;
c'est la sécurité. Donner aux
des droits certains
assurer mieux les conditions et les
situations ; faciliter les relations ; réglementer les transac
pour tions, l'utilité des intéressés : c'est élaborer un confort de
droit ; c'est établir, selon les mots d'Auguste Comte, un ordre
et un progrès. Confort, ordre et progrès : c'est le même fait, et
le même bien.
Pour y parvenir, il fallait toucher au statut de droit,
qu'il gênait la sécurité. C'est donc, tout d'abord,
en tant
pour l'utilité
que s'est transformé le droit algérien. Mais c'est aussi pour la
moralité : en tant que certains traits du vieux droit coutumier
ont pu nous paraître en contradiction avec l'ordre moral que
faisons régner partout où nous faisons flotter notre drapeau.
L'ordre et le progrès ont un double aspect : ils sont matériels,
ils sont spirituels. Nous estimons donc qu'en pays français un
ordre spirituel ou un confort moral doit être assuré par
notre pouvoir. Nos commentateurs parlent volontiers d'un ordre
public dans les colonies : en désignant par là un corps de droit
fondamental, qui est l'essentiel du statut français,
et qui doit
régner partout où nous sommes, dans tout le pays, à l'exclu
sion de tout autre statut ; et en entendant bien que cet ordre
public est matériel et spirituel en même temps ; qu'il a pour
but de garantir l'utilité de tous les habitants,
et la moralité de
tous les habitants ; qu'il est ainsi, à tous égards, bienfait com
mun. Et c'est pourquoi, depuis cent ans, l'on a, de plus en
plus, porté la main sur le statut des Algériens.
—
On l'a touché de deux façons : par abolition, par adaptation.
Abolition, ou bien abrogation,
quand on supprimait des
règles de droit qu'on jugeait contraires à l'ordre français, et
qu'on ne croyait pas pouvoir y adapter. —
altération,
Adaptation,
ou bien
quand on transformait des règles de droit qui pou
vaient être accommodées, par quelque changement, à cet ordre
français. Elimination, accommodation : c'est l'alternative, dans
tous les combats, et tous les conflits !
L'abolition a dû parfois être opérée sans qu'on pût hésiter.
En introduisant le Code Pénal dans nos colonies, comme nous
faisons, nous transformons en infractions des usages anciens
des premiers habitants, que leur coutume permettait ou
impo-

- 303
—
sait. Ainsi, chez les Kabyles d'Algérie,
le meurtre des épouses
adultères : meurtre rituel, commis, non pas, ainsi qu'ailleurs,
par le mari, mais par le père ou par le frère de l'épouse. La
femme ayant été vendue par sa famille à la famille du mari,
c'est donc l'honneur de ses parents qui est atteint quand elle
est coupable d'infidélité. Son ou père, bien son frère, aura le
droit et le devoir de la tuer, pour laver dans son sang l'hon
neur de ses parents. —
Le meurtre par vengeance est aussi un
devoir, de famille à famille, en cas de meurtre, ou bien en cas
d'offense à un parent : la vendetta, nommée rekba en Kabylie,
est imposée par loi d'honneur ;
ne point se venger est « perdre
la face », ou perdre l'honneur. Mais ce sont là des crimes pour
le droit français ! Le meurtre par vengeance, étant prémédité
et étant préparé, est un assassinat, punissable de mort ! Con
tradiction marquée avec éclat, et qui requiert, de notre part,
intervention. Qu'advient-il donc souvent quand notre autorité
poursuit le criminel, coupable d'infraction à la sécurité, en
même temps que d'attentat à la moralité ; ennemi public de
l'ordre français,
mais qui a agi selon la coutume toujours res
pectée ? C'est que les témoins de l'assassinat,
qui sont ses
parents ou sont ses voisins, se garderont d'en dénoncer l'auteur ;
interrogés, ils prétendront ne savoir rien ; et la poursuite, donc,
ne pourra aboutir. Un magistrat français a pu parler de « la
conspiration du silence chez les Algériens » : conspiration qui
a pour but de préserver les traditions, toujours suivies et
obéies,
contre la mainmise de notre pouvoir. C'est l'aspect
tragique du conflit des lois. Un décret récent défend au mari, en
pays kabyle,
de tirer profit arbitrairement de la faculté qui lui
est donnée, selon son statut, de répudier sa femme en exigeant
que soit payé, par le nouveau mari, un prix très élevé : c'est
la coutume du lefdi. Et désormais, celui qui épouse une répu
diée n'a rien à payer à l'ancien mari. Mais il paraît que le
premier qui a voulu se prévaloir du droit nouveau a été tué,
pour avoir violé l'antique statut. L'abolition du droit ancien ne
va pas toujours sans protestation ni opposition. Ce qui est un
crime était un devoir : et la sécurité que nous faisons régner
vient s'établir parfois au détriment de la « superstition » ; ce
sont les dieux et les esprits qui puniraient, croit-on, celui qui
manquerait à venger son honneur. Il faudrait ici une conver-

sion,
- 304
-
au vrai sens du mot : car c'est la croyance qui vient
empêcher le progrès du droit. C'est œuvre de temps.
L'adaptation a lieu, par notre fait, plus fréquemment, dans
tous les cas où le vieux droit peut être accommodé, par quelque
changement, à notre ordre français. Altération, transformation
du statut établi, toujours pour des motifs d'utilité ou de mora
lité. Ainsi, il a fallu, pour la commodité des transactions et la
sécurité des relations, qu'on établît en Algérie, l'état civil et le
recensement, ce qui heurtait les sentiments des habitants, en
ces pays où la famille est un cercle fermé,
où règne un père
encore tout puissant, maître chez soi, et qui n'a pas à rendre
compte, au pouvoir de l'Etat,
des faits et gestes de ce monde
clos. Tout ce qui s'y passe doit rester discret : c'est être gra
vement inconvenant que de parler au musulman de son harem,
et de lui demander nouvelles de ses femmes. Compter, et
nommer, les hommes et les femmes,
est donc porter atteinte
au pouvoir paternel, en pénétrant dans le for intérieur : c'est
ébrécher l'autonomie du groupe des parents ; grave conflit de
la famille avec l'Etat. Serait-ce le motif pourquoi le roi David
fut puni par son Dieu,
pour avoir voulu compter ses sujets ?
En Algérie, au moins, il a fallu qu'on s'y reprît trois fois, par
trois décrets réitérés, pour imposer aux habitants l'état civil.
C'était toucher aussi au pouvoir paternel, pour le modérer
dans ses attributs, que de borner, par nos décrets, le droit de
— djebr ; qui est le droit donné, par tradition, au pater f amilias,
de marier ses enfants, sans leur consentement, qu'ils
soient majeurs, ou bien qu'ils soient mineurs —
et en fixant,
du moins pour les Kabyles, un âge de quinze ans, au-dessous
duquel, pour les deux époux, l'union n'a pas lieu. C'était enfin
toucher au statut familial que d'octroyer, en Kabylie, aux
femmes et aux filles, un droit restreint de succession, alors
qu'elles étaient, par la coutume du pays, exclues de toute suc
cession : exhérédées, selon le mot du droit français. C'est
l'amélioration du statut féminin, par un rapprochement, mais
qui reste prudent, avec nos façons et avec nos mœurs. En fai
sant, récemment, un règlement de la tutelle, avec institution
d'un « conseil de famille », on a borné aussi l'antique potestas.
Mais c'est dans l'ordre du statut réel qu'on a changé le plus,
pour la commodité et la sécurité, les règles du vieux droit. Le

- 305
—
droit des possessions, le droit des conventions,
ont été transfor
més, parfois du tout au tout : le régime des biens a été adapté,
ainsi qu'il le fallait, à nos nécessités. Ce qui gênait les transac
tions de nos colons avec les habitants, ce qui créait l'incerti
tude et l'insécurité, dans les rapports de droit des Algériens et
des Français, c'était l'imprécision, c'était l'indécision du vieux
statut foncier. Un acquéreur ne pouvatt être jamais, sûr d'avoir
acquis du vrai vendeur, et sans risquer d'être évincé. Plusieurs
personnes, ou plusieurs groupes,
sés,
avaient des droits entre-croi
enchevêtrés sur un même terrain. Et les parents pou
vaient, en cas de vente, intervenir pour empêcher l'acquisition.
Des droits mal connus pouvaient s'exercer. Et c'est pourquoi
il a fallu qu'on fît régner de plus en plus un droit foncier
apparenté au droit français. Des lois ont donc soumis à la
francisation, et c'est-à-dire au droit foncier français, une
grande partie du terroir algérien : pour tous ces immeubles,
toutes transactions ont lieu désormais selon notre loi. Bien
plus : l'on a soumis les biens fonciers, en Tunisie et au Maroc,
à l'Act Torrens de l'Australie, à titre tout au moins facultatif :
c'est ce qu'on nomme immatriculation, sur un Livre Foncier,
des biens immobiliers : c'est la nécessité que chaque tran
saction soit enregistrée par une inscription : la preuve par
écrit vient ainsi remplacer la preuve par témoins. Le passage,
toujours, de Yoral à Yécrit : c'est le grand changement que
nous introduisons dans les rapports de droit. Si l'invention de
l'écriture est un progrès très grand, l'application de l'écriture
aux relations et transactions est, peut-être bien,
plus grand.
un progrès
Abolition, ou bien réformation du statut algérien : c'est bien,
dans les deux cas, introduction du droit français. Mais cette
diffusion a lieu de deux façons : par proposition, ou imposi
— tion : tantôt on propose, tantôt on impose. L'on a procédé,
en mainte occasion, par éducation, par prédication, en remon
trant, aux habitants, le profit qu'ils auraient à changer leur
statut : conversion libre à nos règles de droit. Et l'on a obtenu
que certains habitants vinssent solliciter, de leur propre gré,
notre intervention. Ce n'est pas fréquent : le problème est là.
Ceux-mêmes qui voudraient devenir des Français entendent
conserver leur statut ancestral ; ils voudraient être des Fran-

— - 306
—
çais, mais non soumis au droit français. Et c'est pourquoi,
quand il y eut nécessité à réformer, on dut procéder par impo
sition, par obligation, et il fallut souvent contraindre l'habi
tant, par la décision du législateur, à trouver son confort
malgré lui. L'ordre commun et le progrès commun sont donc
réalisés par voie d'autorité. Pour établir, en Algérie,
un droit
territorial et national, pour le commun profit des Algériens et
des Français, il a fallu, le plus souvent, qu'on l'imposât, par
force de la loi. Notre expansion est diffusion : mais non tou
jours par liberté. Donner le confort,
ouvrir le progrès aux
moins avancés, cela ne se peut sans l'intervention des plus
avancés. Colonisation, c'est éducation par législation.

L'INSTITUTION DU SALAIRE MINIMUM
EN ALGÉRIE
PAR
Maurice GAFFIOT
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ D'ALGER
MEMBRE DU CENTRE D'ÉTUDES DE COLONISATION COMPARÉE
C'est un décret du 25 mars 1937 qui a, pour la première fois,
introduit dans la législation française le principe du salaire
minimum appliqué aux travailleurs agricoles, et cette impor
tante innovation mérite d'être soulignée à un double titre.
D'une part, elle vient démentir une imputation couramment
portée contre les pouvoirs publics en France,
qui sont volon
tiers accusés de se désintéresser du sort des travailleurs algé
riens. Cette accusation paraît trouver une justification dans
l'inapplicabilité de certaines lois sociales en Algérie, et l'on ne
manque pas de faire remarquer, à titre d'exemple, que la
législation française des assurances sociales, qui a pris nais
sance en 1928,
n'a pas encore été étendue aux territoires de
l'Afrique du Nord. En réalité, il y a quelque injustice à repro
cher au législateur français de n'avoir d'égards que pour les
travailleurs métropolitains : la plupart des lois sociales, sont
applicables et appliquées au Sud comme au Nord de la Médi
terranée, soit en vertu de leurs propres dispositions,
soit par
l'effet de décrets ultérieurs qui fixent les modalités d'applica
tion de ces textes en Algérie. Les institutions de protection
ouvrière dont le bénéfice reste réservé aux travailleurs métro
politains deviennent de moins en moins nombreuses, sous l'in
fluence d'un effort d'adaptation législative continu qui permet
de rendre réalisables en Algérie, sous réserve de quelques

- 308
—
différences de détail inéluctables, des réformes destinées à un
milieu européen. Il est permis de penser que l'extension à
l'Algérie des lois sociales faites pour la Métropole n'est retardée
que par des difficultés pratiques résultant d'une différence de
milieu et que cette extension tend à s'opérer aussitôt qu'il
devient possible de résoudre ces difficultés ;
tout récemment
encore deux décrets du 23 février 1938 ont rendu applicables à
l'Algérie les dispositions de deux lois en vigueur en France
depuis 1928, l'une sur le contrat d'apprentissage,
l'autre sur
les salaires des ouvriers de l'industrie du vêtement travaillant
à domicile. Le décret du 25 mars 1937,
relatif aux salaires des
travailleurs agricoles, confirme la tendance des pouvoirs
publics à protéger tous ceux qui peuvent légitimement récla
mer cette protection, quelle que soit leur résidence ; il montre
que,
des travailleurs algériens lorsque des différences de milieu
si certaines institutions françaises demeurent inconnues
s'opposent à leur extension, par contre une protection spéciale
est organisée en faveur de ces mêmes travailleurs lorsque les
conditions particulières du milieu algérien appellent des mesu
res tutélaires dont le besoin ne se fait pas sentir aussi impé
rieusement dans la Métropole.
D'autre part, le décret du 25 mars 1937 fait passer vérita
blement pour la première fois dans la législation française la
notion même de salaire minimum en décidant que les travail
leurs auxquels il s'applique devront obligatoirement recevoir
une rémunération au moins égale à un certain chiffre fixé sans
considération du montant des sommes versées à d'autres tra
vailleurs quelconques. Les dispositions légales qui sont cou
ramment citées comme des applications du salaire minimum
ne sont, en réalité, que des mesures prises en vue d'assurer à
certains salariés, considérés comme économiquement faibles,
une rémunération égale à celle des autres travailleurs, sans
que rien s'oppose à une diminution de cette rémunération lors
que cette diminution est générale ; avant le décret du 25
mars 1937, l'institution du salaire minimum était donc prati
quement inconnue en France.
Cette affirmation peut paraître surprenante, car elle est con
traire aux enseignements des juristes les plus éminents et
les plus qualifiés ; il n'est donc pas superflu de Pétayer par

- 309
-
une justification tirée des textes mêmes qui sont invoqués en
sens contraire.
La première application de l'institution du salaire minimum
en France a été réalisée, d'après les auteurs spécialisés dans
la législation ouvrière, par les trois décrets Millerand du
10 août 1899 sur les conditions du travail dans les marchés de
travaux publics. Ces trois décrets, récemment abrogés et rem
placés par trois décrets du 10 avril 1937, obligent l'Etat et
autorisent les départements, les communes et les établissements
publics de bienfaisance à insérer dans les cahiers des charges
des marchés de travaux publics une clause par laquelle l'entre
preneur est tenu de « payer aux ouvriers un salaire normal
égal, pour chaque profession, et dans chaque profession pour
chaque catégorie d'ouvriers, au taux couramment appliqué
dans la ville ou la région où le travail est exécuté ». Les trois
décrets du 10 avril 1937, qui ont pris la place des trois décrets
du 10 août 1899 et qu'un décret du 7 avril 1938 a étendus
à l'Algérie, reproduisent ces dispositions en substituant sim
plement au mot «ville» le mot «localité». Dans tous ces
textes, il s'agit uniquement de placer les salariés employés
par les entrepreneurs de travaux publics dans la même situa
tion que les salariés employés par d'autres patrons; aucune
limite n'est fixée à la baisse éventuelle de leur rémunération,
et les salaires de ces travailleurs peuvent descendre très bas
si les salaires des autres travailleurs de même profession
subissent une diminution équivalente; l'institution du salaire
minimum n'est donc pas prévue par les décrets relatifs aux
marchés publics.
La seconde application qu'il est d'usage d'attribuer à cette
institution concerne les ouvriers et ouvrières à domicile de
l'industrie du vêtement ou d'autres industries déterminées par
règlement d'administration publique. Cette prétendue applica
tion,
prévue par les lois du 10 juillet 1915 et du 14 décem
bre 1928, insérée aux articles 33 et suivants du livre Ier du
Code du Travail, et rendue applicable à l'Algérie par un décret
du 23 février 1938, tend en réalité à rendre obligatoires des
prix de façon tels qu'ils permettent à une ouvrière ou à un
ouvrier d'habileté moyenne de gagner un salaire quotidien
égal, en principe, au « taux du salaire quotidien habituelle-
21

— — 310
ment payé dans la région aux ouvrières ou ouvriers de même
profession et d'habileté moyenne travaillant en atelier, à
l'heure ou à la journée,
et exécutant les divers travaux cou
rants de la profession ». Cette fois encore, la législation n'a
d'autre but que d'assurer aux travailleurs visés une rémuné
ration égale à celle des autres travailleurs,
minimum soit fixé légalement.
sans qu'aucun
Un troisième exemple de salaire minimum est parfois invo
qué ; il est tiré de la loi du 26 avril 1924, applicable à l'Algérie
et aux colonies, complétée par le règlement d'administration
publique du 9 juin 1928. Ces textes,
relatifs à l'emploi obliga
toire des mutilés de guerre, décident qu'en principe « le salaire
des pensionnés de guerre ne pourra être inférieur au tarif nor
mal et courant de la profession et de la région » ; ils instituent
donc, eux aussi,
minimum.
une règle d'assimilation et non un salaire
C'est seulement en 1936 que l'on voit apparaître, bien timi
dement d'ailleurs, dans le droit français,
la véritable notion de
salaire minimum. Encore cette apparition est-elle voilée et
déformée par les conditions particulières dans lesquelles elle
se manifeste. La loi du 24 juin 1936 sur les conventions collec
tives de travail, applicable à l'Algérie, décide, en effet, dans
les articles 31 va et suivants qu'elle ajoute au livre Ier du
Code du Travail,
intéressée le ministre du Travail ou son délégué devra provo
qu'à la demande d'une organisation syndicale
quer la réunion d'une commission mixte composée des repré
sentants des organisations syndicales, patronales et ouvrières,
les plus représentatives de la profession en vue de la conclu
sion d'une convention collective de travail,- fixant notamment
« les salaires minima par catégorie et par région », et, en cas
d'accord réalisé au sein de cette commission, les dispositions
de la convention collective ainsi conclue pourront, « par arrêté
du ministre du Travail, être rendues obligatoires pour tous les
employeurs et employés des professions et régions comprises
dans le champ d'application de la convention ». Dans ce texte,
il est- bien question de fixer un barème obligatoire de salaires
minima, mais ce barème est l'œuvre des intéressés eux-mêmes,
et non celle des pouvoirs publics, et, d'autre part, il ne peut
être rendu obligatoire que dans la mesure où les syndicats les

- 311
-
plus représentatifs se sont mis d'accord pour l'adopter. Par
cette espèce de délégation de pouvoirs du législateur aux orga
nisations syndicales, l'institution du salaire minimum a pu
enfin faire son entrée dans le droit français, mais par une voie
discrète,
indirecte et détournée.
Au contraire, avec le décret du 25 mars 1937, l'institution
s'affirme nettement, dès l'article 1er : « Les salaires versés aux
travailleurs agricoles en Algérie ne peuvent être inférieurs
aux taux moyens normaux fixés dans les conditions détermi
nées par le présent décret.» Cette formule ne laisse place à
aucune équivoque,
et elle est d'autant plus caractéristique
qu'elle est incorporée au décret antérieur du 1er août 1936, où
elle remplace une autre disposition prévoyant simplement la
détermination des taux moyens normaux des salaires sans
qu'aucune idée de minimum obligatoire fût attachée à ces taux.
Le texte nouveau, qui introduit en Algérie une règle de pro
tection ouvrière inapplicable à la Métropole et qui établit for
mellement une institution dont la législation française ne con
tenait encore aucun exemple véritable, est rendu plus signifi
catif encore par son domaine d'application : sa portée se trouve
limitée aux travailleurs agricoles, alors que la protection des
salariés a toujours été beaucoup
moins complète en matière
agricole qu'en matière industrielle ou commerciale. Cette mar
que de sollicitude à l'égard des travailleurs de la terre, dans
un pays où les agriculteurs forment de beaucoup la majorité
de la population, dénote une volonté certaine d'adapter le droit
algérien au milieu algérien.
L'intérêt du décret du 25 mars 1937 se trouve ainsi princi
palement dans les tendances nouvelles dont ce texte est le
symptôme. Cependant, cet intérêt théorique se double d'un
intérêt pratique, puisque la situation des travailleurs algériens
doit normalement s'en trouver améliorée ; l'examen des pres
criptions posées par le décTet fait apparaître la nature exacte
de cette amélioration.
Le décret du 25 mars 1937 est entièrement formé de modifi
cations apportées au décret antérieur du 1er août 1936 (*) :
celui-ci tendait à la détermination de salaires moyens nor
maux ; celui-là prévoit la fixation de salaires minima. En fait,
(1) Ces deux décrets sont reproduits en annexe au présent article.

- 312
-
la différence entre ces deux textes, capitale au point de vue
théorique, est, au point de vue pratique, beaucoup
plus appa
rente que réelle : le décret de 1936 prévoyait déjà, dans son
article 7, un système de conciliation et d'arbitrage facultatifs
dans les différends relatifs à la détermination des salaires, et
cette disposition implique l'idée que la méconnaissance des
échelles de salaires normaux peut être une source de différend,
ce qui revient à dire que les employeurs et les salariés doivent,
en principe, se considérer comme liés par ces tarifs et que les
salaires effectifs doivent, en fait,
obligatoirement rester au
moins égaux aux salaires normaux ; d'autre part, le décret de
1937 prévoit expressément que les salaires minima seront
égaux aux salaires moyens normaux déterminés par la com
mission compétente. Concluons qu'en fait,
après comme avant
le décret de 1937, les salaires effectifs doivent être au moins
égaux aux salaires moyens normaux ; cette règle est d'ailleurs
assez bizarre,
puisqu'elle tend à transformer une moyenne eu
un minimum tout en conservant son caractère de moyenne.
Les personnes appelées à profiter de cette disposition ne sont
indiquées qu'avec une certaine imprécision. Il s'agit essentiel
lement des «travailleurs agricoles» ;or, cette appellation peut
englober, non seulement les cultivateurs, mais encore l'ensem
ble du personnel de toute entreprise qui s'occupe, directement
ou indirectement, de près ou de loin, de la mise en valeur du
sol ou de l'utilisation des produits de la terre, transformés ou
non ; dans le silence des décrets, la délimitation des profes
sions considérées comme agricoles dépend des conceptions de
chacun, de sorte que le domaine d'application effectif des salai
res minima est nécessairement arbitraire ; ainsi la commission
régionale des salaires agricoles d'Alger a décidé de réserver la
qualité d'ouvriers agricoles aux salariés qui s'occupent des
produits du sol jusqu'à la cueillette, à la récolte ou au ramas
sage, après quoi l'agriculture fait place au commerce ou à
l'industrie ; mais cette conception, admise par la commission
d'Alger, ne s'impose pas nécessairement. Par ailleurs, les
décrets de 1936 et 1937 protègent indifféremment les travail
leurs européens et les ouvriers indigènes, pourvu que leur acti
vité s'exerce en Algérie.
La mesure de protection prise en leur faveur consiste dans

- 313
-
l'obligation, imposée aux employeurs, de leur verser des salai
res au moins égaux aux « taux moyens normaux ». A cet effet,
le préfet de chaque département algérien découpe le territoire
placé sous son autorité en régions distinctes,
dont chacune doit
présenter une certaine homogénéité par la nature des cultures
et par les procédés d'exploitation ; par exemple, le départe
ment d'Alger compte cinq régions, mais il pourrait sans incon
vénient, semble-t-il,
en compter un plus grand nombre. Chaque
région est pourvue d'une commission mixte, présidée par le
préfet ou le sous-préfet ou le représentant de l'un ou de l'autre,
et composée d'un représentant du service agricole général, de
quatre représentants européens et indigènes des employeurs
et de quatre représentants européens et indigènes des ouvriers,
tous nommés pour un an par le préfet,
dans les conditions
fixées par les articles 2 et 3 du décret de 1936 ; la commission
peut d'ailleurs entendre à titre consultatif toute autre per
sonne. En fait, comme les décisions sont prises à la majorité
des membres présents, les deux représentants de l'administra
tion joueront bien souvent le rôle d'arbitres entre les deux
groupes de délégués professionnels.
La commission régionale est chargée d'une double mission.
Elle doit, premièrement et principalement, dresser « le
tableau des salaires normaux à allouer dans la région », sous
forme de rémunération en espèces ou d'avantages en nature.
Ce tableau doit contenir non seulement les salaires à allouer
aux différentes catégories professionnelles de travailleurs de
capacité professionnelle normale, mais en outre, le cas
échéant, les salaires des ouvriers dont les aptitudes physiques
sont notoirement inférieures à celles des autres travailleurs de
même catégorie. Les accords collectifs qui auront pu être con
clus entre organisations patronales et ouvrières serviront de
base, lorsqu'il en existera, aux travaux de la commission ;
cette invitation, adressée aux intéressés, de s'entendre pour
fixer les salaires, montre assez que la commission, en principe,
doit constater et adopter les taux effectivement pratiqués plu
tôt que fixer d'autorité des taux, plus ou moins fantaisistes,
établis sans aucune considération des coutumes locales. Le
tableau ainsi dressé est approuvé par le préfet et il reçoit une
large publicité dans les conditions prévues par l'article 5 du

— - 314
décret de 1936. Il peut d'ailleurs être revisé, sur l'initiative de
l'administration ou à la requête d'un ou plusieurs groupements
professionnels intéressés, de la même façon qu'il a été établi.
L'obligation de respecter le tableau de la commission est sanc
tionnée par des peines d'amende prononcées contre les em
ployeurs récalcitrants par le tribunal de simple police et, en
cas de récidive, par le tribunal correctionnel,
suivant les règles
posées par le nouvel article 8 du décret de 1936 ; ces pénalités
sont calquées sur celles que le Code du Travail (livre Ier, arti
cle 99 a)
établit pour la répression des infractions aux dispo
sitions concernant les salaires des travailleurs à dom'cile.
La seconde fonction confiée à la commission régionale est
une mission de conciliation et d'arbitrage. Les conflits du tra
vail pourront lui être soumis à une double condition : il faut
qu'ils soient relatifs au montant des salaires, et il faut qu'ils
soient collectifs (car le décret de 1936, dans son article 7, ne
mentionne que les différends « entre employeur et employés »).
La commission, saisie d'un conflit de cette nature, s'efforce de
concilier les parties ; elle peut aussi jouer le rôle d'arbitre, si
les parties en cause se sont engagées à accepter son arbitrage.
Cette procédure très simple de conciliation et d'arbitrage facul
tatifs remplace, dans les conflits collectifs relatifs aux salaires
des travailleurs agricoles, la procédure plus compliquée de
conciliation et d'arbitrage obligatoires instituée par les lois du
31 décembre 1936 et du 4 mars 1938 pour tous les conflits col
lectifs du travail dans l'industrie et le commerce. Elle s'ajoute
d'ailleurs à l'ancienne procédure, également facultative,
été instituée par la loi du 27 décembre 1892,
qui a
qui figure encore
aux articles 104 et suivants du livre IV du Code du Travail, et
qui reste applicable aux conflits collectifs du travail agricole ;
mais la procédure du décret de 1936 doit normalement présen
ter plus d'efficacité que celle de la loi de 1892 qui confie au
juge de paix et à des organismes non permanents la solution
pacifique des différends par la conciliation et l'arbitrage.
Tel quel, le régime établi par les décrets du 1er août 1936 et
du 25 mars 1937 apporte aux travailleurs algériens une amélio
ration d'autant plus précieuse que l'encombrement du marché
de la main-d'œuvre place les ouvriers agricoles dans une situa-

— - 315
lion très défavorable ; la libre concurrence des travailleurs,
dans les conditions démographiques actuelles, ne peut donner
que des résultats désastreux, et il est absolument
indispensa-
Ble d'écarter ces résultats par une réglementation protectrice
et rationnellement conçue.
La réglementation établie par les décrets de 1936 et 1937
est-elle rationnellement conçue? Les dispositions qu'ils con
tiennent n'appellent pas, semble-t-il, dans leur ensemble, de
critique vraiment grave. C'est plutôt leur application qui donne
lieu à certaines objections : on a fait remarquer que la répar
tition des travailleurs en catégories professionnelles distinctes
est parfois très difficile, surtout dans les petits domaines, où
chaque travailleur se livre, dans une même journée, aux occu
pations les plus dissemblables ; de même la distinction des
spécialistes qualifiés, des travailleurs ordinaires et des ouvriers
notoirement inférieurs manque de précision, et le montant des
salaires alloués à des travailleurs de valeur professionnelle
inégale ne correspondra pas toujours à ce qu'il devrait être ;
en outre, l'indépendance réciproque des commissions régiona
les entraîne une grande diversité dans les tableaux de salaires,
même entre deux régions voisines ;
enfin l'absence de tout con
trôle régulier permet trop souvent aux employeurs de mécon
naître les tarifs qu'ils devraient appliquer.
Ces défectuosités dans l'applicatiorf ne sont pas sans remède.
Pour tenir compte du défaut de spécialisation des salariés de
l'agriculture, il serait opportun que les commissions s'en tien
nent à des catégories très larges suivant une classification
assez souple. Pour distinguer avec une netteté suffisante les
travailleurs d'habileté différente, il ne serait pas impossible, en
cas de doute, de confier le soin d'apprécier la valeur de cha
cun à une commission tripartite composée de patrons, d'ou
vriers et de professeurs d'agriculture ; cette solution, bien im
parfaite, permettrait du moins d'éviter des erreurs trop graves.
Pour introduire une certaine homogénéité parmi les décisions
des commissions régionales, il suffirait de remplacer celles-ci
par une commission départementale,
où chaque région du
département serait simplement représentée par un délégué
ouvrier et par un délégué patronal, et de superposer aux trois
commissions départementales ainsi créées une commission

- 316
—
algérienne chargée d'assurer entre elles une certaine unité de
vues. Pour imposer en pratique le respect des tarifs établis, il
y
aurait lieu d'en confier la surveillance à des inspecteurs du
travail en nombre suffisant.
Ces réformes, déjà suggérées par l'expérience (1), permet
traient d'améliorer, dans son application,
une institution inspi
rée par des préoccupations de progrès social d'une portée incal
culable. A ce titre, elles contribueraient au succès d'une œuvre
qui mérite, par sa logique et par son idéal, d'être soutenue par
tous les hommes épris de progrès dans l'ordre social comme
dans l'ordre technique.
(1) Cf. L. Raucière-Grauès, Les salaires minima des travailleurs agri
coles (Alger, Supplément économique de la Revue Algéria, janvier 1938).

- 317
ANNEXE
DECRET DU 1" AOUT 1936
relatif à la détermination en Algérie des salaires moyens normaux
des travailleurs agricoles
(J. O. R. F., 2 août 1936, p. 8197)
Le Président de la République Française,
Sur le rapport du Ministre de l'Intérieur,
Vu les décrets des 23 août 1898 et 3 octobre 1934 sur le gouverne
ment et la haute administration de l'Algérie,
Article premier. —
Les
décrète :
taux moyens normaux des salaires des
travailleurs agricoles sont déterminés, en Algérie, dans les condi
tions fixées par le présent décret.
Art. 2. —
Il
par arrêté préfectoral,
suit :
est institué dans chaque région agricole déterminée
une commission mixte composée ainsi qu'il
Le préfet du département, ou son délégué, ou le sous-préfet de
l'arrondissement ou son délégué, président.
Le chef du service agricole général du département ou un con
seiller agricole délégué.
Un membre européen de la Chambre d'agriculture.
Un membre indigène de la Chambre d'agriculture.
Deux représentants des associations agricoles de la région.
Deux représentants français des groupements ouvriers agricoles
ou des ouvriers agricoles de la région.
Deux représentants indigènes des groupements ouvriers agricoles
ou des ouvriers agricoles de la région.
La commission peut, en outre, entendre, à titre consultatif, toute
personnalité qu'elle jugera utile,
et s'entourer des avis de toutes
organisations, autorités ou personnes compétentes.
Art. 3. —
Les
une durée d'un an,
membres de la commission sont désignés pour
par arrêté préfectoral. La commission est con
voquée par décision du préfet qui fixe également le lieu de sa
réunion.

— - 318
Copie des délibérations de la commission est adressée au préfet
du département et au gouverneur général de l'Algérie.
— Art. 4. La commission dresse le tableau des salaires moyens
normalement alloués, dans la région intéressée, aux travailleurs
agricoles de capacité professionnelle normale. Ce tableau, qui 'doit
distinguer les différentes catégories professionnelles concourant
aux travaux agricoles, tient compte tant de la rémunération en
espèces que des avantages en nature dont peuvent bénéficier les
travailleurs. Il indique, en outre, le cas échéant, les salaires nor
malement alloués aux travailleurs que leurs aptitudes physiques
mettent dans une contiition d'infériorité notoire par rapport aux
ouvriers de la même catégorie.
Le tableau se réfère aux accords collectifs qui ont pu intervenir
entre organisations agricoles patronales et ouvrières de la région
en ce qui concerne la fixation des salaires.
— Art. 5. Le tableau dressé conformément aux prescriptions qui
précèdent est approuvé par arrêté préfectoral et publié au recueil
des actes administratifs du département ainsi qu'au Journal officiel
de l'Algérie. Il est, en outre, affiché dans toutes les mairies de la
région à laquelle il s'applique, ainsi, ainsi que dans les offices et
bureaux de placement public.
Art. 6. —
Le
tableau des salaires est soumis à la revision, soit
sur l'initiative de l'administration, soit à la requête d'un ou de
plusieurs groupements professionnels intéressés, lorsque des varia
tions dans le taux des salaires auront reçu une application générale
dans une ou plusieurs des catégories professionnelles visées par
le dit tableau.
La procédure d'approbation et de publication prévue à l'article
précédent s'applique également au tableau ainsi revisé.
Art. 7. —
Lorsqu'un
différend naîtra entre employeur et em
ployés au sujet de la fixation des salaires, il pourra être porté
devant la commission instituée par l'article 2 du présent décret.
Cette commission s'efforcera de concilier les parties. Elle pourra
éventuellement être chargée d'arbitrer le conflit lorsque les parties
en cause auront pris l'engagement d'accepter cet arbitrage.
Art. 8. —
Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du
présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République
Française et inséré au Journal officiel de l'Algérie.
Par le Président de la République :
Le Ministre de l'Intérieur,
Roger Salengro.
Fait à Paris, le 1" août 1936.
Albert Lebrun.

-319 -
II
DECRET DU 25 MARS 1937
portant modification du décret du 1" août 1936 en vue
de la fixation des salaires minima des travailleurs agricoles
en Algérie
(J. 0. R. F., 1" avril 1937, p. 8732)
Le Président de la République Française,
Sur le rapport du ministre de l'intérieur,
Vu les décrets des 23 août 1898 et 23 octobre 1934 sur le gouver
nement et la haute administration de l'Algérie ;
Vu le décret du 1er août 1936 relatif à la détermination des
salaires moyens normaux des travailleurs agricoles en Algérie,
Article premier. — L'article
décrête :
remplacé par la disposition suivante :
1" du décret du 1" août 1936 est
« Les salaires versés aux travailleurs agricoles en Algérie ne
peuvent être inférieurs aux taux moyens normaux fixés dans les
conditions déterminées par le présent décret. »
Art. 2. —
L'article 3 est remplacé par la disposition suivante :
« Les membres de la commission sont désignés, pour une durée
d'un an, par arrêté préfectoral. La commission est convoquée par
décision du préfet qui fixe également le lieu de sa réunion.
« Les votes de la commission sont émis à la majorité des mem
bres présents. Copie des délibérations de la commission est adres
sée au préfet du département et au gouverneur général de l'Al
gérie. »
— Art. 3. L'article 4 du décret du 1" août 1936 est remplacé par
les dispositions suivantes :
« La commission dresse le tableau des salaires normaux à
allouer, dans la région intéressée, aux travailleurs agricoles de
capacité professionnelle normale. Ce tableau, qui doit distinguer
les différentes catégories professionnelles concourant aux travaux
agricoles, tient compte tant de la rémunération en espèces que des
avantages en nature dont peuvent bénéficier les travailleurs. Il -
indique, en outre, le cas échéant, les salaires normaux à allouer
aux travailleurs que leurs aptitudes physiques mettent dans une
condition d'infériorité notoire par rapport aux ouvriers de la
même catégorie.
« Le tableau se réfère aux accords collectifs qui ont pu interve-

- 320
-
nir entre organisations agricoles patronales et ouvrières de la
région en ce qui concerne la fixation des salaires. »
Art. 4. —
L'article
la disposition suivante :
6 du décret du 1"
août 1936 est remplacé par
« Le tableau des salaires peut être soumis à revision soit sur
l'initiative de l'administration,
soit à la requête d'un ou de plu
sieurs groupements professionnels intéressés. La procédure d'ap
probation et de publication prévue à l'article précédent s'appliqua
également au tableau ainsi revisé. »
Art. 5. —
L'article
8 est remplacé par les dispositions suivantes :
« Les propriétaires, chefs d'établissements, fermiers ou gérants
qui auront contrevenu aux dispositions du présent décret en
allouant des salaires inférieurs aux salaires moyens normaux
déterminés par les commissions seront poursuivis devant le tri
bunal de simple police et punis d'une amende de 5 à 15 francs.
« En cas de récidive, le contrevenant sera poursuivi devant le
tribunal correctionnel et puni d'une amende de 16 à 100 francs.
« L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura de per
sonnes à l'égard desquelles les prescriptions du présent décret
n'auront pas été observées. Toutefois,
en cas de pluralité de con
traventions, entraînant des peines de récidive, le maximum de
l'amende ne pourra excéder 3.000 francs.
« Les tribunaux correctionnels pourront appliquer les disposi
tions de l'article 463 du Code pénal sur les circonstances atténuan
tes, sans qu'en aucun cas l'amende, pour chaque contravention,
puisse être inférieure à 5 francs. »
— Art. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du
présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République
Française et inséré au Jounal officiel de l'Algérie.
Par le Président de la République :
Le Ministre de l'Intérieur,
Marx Dormoy.
Fait à Paris, le 25 mars 1937.
Albert Lebrun.

Problèmes posés
par la constitution de l'Etat Civil
dans les milieux Indigènes
de l'Afrique du Nord
Paul DECROUX
DOCTEUR EN DROIT
JUGE AU TRIBUNAL D'OUDJDA
MEMBRE DES CENTRES D'ÉTUDES JURIDIQUES
ET ADMINISTRATIVES DU MAROC
I
Parmi les multiples tâches qui incombent à la France en
Afrique du Nord, une des plus délicates à entreprendre, une
des plus difficiles à mener, une des plus lentes à réaliser, est
certainement la constitution d'un état civil dans les milieux
indigènes.
Problème complexe, à la fois politique, juridique et social,
mais problème qui se pose nécessairement et dont on ne peut
retarder indéfiniment la solution. Même dans les milieux indi
gènes,
ment utile.
la constitution d'un état civil est une œuvre éminem
L'état civil seul permet d'identifier l'individu jusque là
perdu dans la masse ; il fait connaître son nom exact, l'âge
auquel il peut exercer certains droits et être soumis à certai
nes obligations, civiles ou militaires. Il renforce la constitution
de la famille, surtout lorsqu'il impose un nom patronymique,

— 322 -
Il aide au bon ordre de la société; il permet le contrôle des nais
sances; des mariages, des divorces, des décès ; il facilite la
découverte des repris de justice ; il contribue à la sûreté du
régime foncier, etc....
II
En Algérie (1), il y a plus de cinquante ans que la constitution
de l'état civil des indigènes a été entreprise. C'est une loi du
23 mars 1882,
1930,
complétée récemment par une loi du 2 avril
qui a institué un état civil pour les indigènes musul
mans. L'application de cette loi s'est heurtée à de multiples
difficultés. De nombreuses circulaires du Gouverneur général
et du Procureur près de la Cour d'Alger sont intervenues, soit
pour tourner les obstacles qui entravaient le jeu des disposi
tions législatives, soit, surtout,
pour rappeler aux services
administratifs et judiciaires l'existence de la loi et l'obligation
qu'ils avaient de l'appliquer et de la faire appliquer.
Les indigènes israélites algériens, étant devenus citoyens
français, en 1870, sont régis, en ce qui concerne leur état civil,
par les règles du Code civil. Toutefois, l'arrêté du Gouverneur
général en date du 1er mars 1929, qui tend à assurer la conti
nuité des opérations de constitution de l'état civil des indigè
nes dans les Territoires du Sud, bien que destinée à l'applica
tion de la loi de 1882, vise en fait tous les indigènes du Sud,
musulmans ou israélites, demeurés sujets français (2).
L'état civil, ainsi institué, est obligatoire et général. Il
vise non seulement à l'enregistrement des naissances et des
décès, mais également à celui des mariages, des divorces, des
répudiations, et même, en Kabylie, à celui des fiançailles. Et la
loi a imposé un nom patronymique à chaque famille indigène.
*
**
En Tunisie, l'organisation de l'état civil indigène est plus
récente et moins complète. L'état civil institué par le décret
(1) Sur la question, cf. Kchl. L'état civil des indigènes en Algérie.
(Oran, 1931) ; L'état civil des indigènes (R. A. 1938, 1, 97) ; H. Benêt,
L'état civil en Algérie (Alger, 1937).
(2) Sur la question des israélites du Sud, cf. Benêt, op. cit.,
p. 351.

eylical du 29 juin 1886,
Régence : Français, étrangers,
lites,
— 323 -
visait tous les habitants de la
Tunisiens musulmans et israé
mais il était facultatif pour tous (*). Le décret du 28 dé
cembre 1908,
tout en énonçant que les déclarations des nais
sances et des décès seraient faites par tous les sujets tunisiens,
a maintenu à l'état civil son caractère facultatif. Il a facilité
toutefois ces déclarations en autorisant les chioukh de fraction
ou de quartier à les recevoir. C'est un décret du 26 décembre
1919 qui a rendu obligatoires les déclarations des naissances
et des décès pour tous les habitants de la Régence « sans aucune
distinction de race, de nationalité ou de religion ». Les décrets
des 30 septembre et 6 décembre 1929, qui ont réglementé à
nouveau l'état civil dans la Régence, n'ont fait que codifier les
dispositions antérieures.
L'état civil des indigènes tunisiens est soumis à la même
réglementation que celui des non-Tunisiens. Aucune mesure
ne prescrit, comme en Algérie, la déclaration des mariages, des
divorces et des répudiations,
été rendu obligatoire.
Au Maroc (2),
et le nom patronymique n'a pas
**
la constitution d'un état civil indigène n'est
même pas ébauchée. Un état civil a bien été institué par le dahir
du 4 septembre 1915, mais il n'a été ouvert à ses débuts qu'aux
Français et aux étrangers. L'arrêté viziriel du 5 janvier 1916 a
même eu soin de rappeler que les indigènes ne pouvaient avoir
recours à l'état civil. C'est un dahir du 13 septembre 1922,
complété par un arrêté viziriel du 23 décembre, qui a donné
latitude aux sujets marocains de déclarer les naissances et les
décès, dans les circonscriptions ouvertes à l'état civil. Cette
autorisation a été renouvelée par le Grand Vizir, le 23 juil
let 1933,
en application du dahir du 2 septembre 1931. Mais ce
n'esFlà qu'une simple faculté,
aucune sanction n'oblige les
(1) Les Français qui n'étaient pas obligés de déclarer les naissances et
les décès en vertu du décret beylical de 1886, étaient tenus néanmoins
de les déclarer, par application de l'article 56 du Code civil et 346 du
Code pénal, au contrôleur civil, l'état civil consulaire ayant été maintenu
en Tunisie, même après l'établissement du Protectorat.

- 324
—
indigènes, comme en Algérie ou en Tunisie, à faire ces décla
rations. « On a voulu, dit une circulaire de l'Administration,
écarter pour les sujets marocains : musulmans et israélites,
toute immixtion obligatoire de l'autorité française, dans les
manifestations de leur vie familiale. »
Pour remédier en partie aux conséquences de cette lacune,
le législateur local a dû prendre certaines mesures pour per
mettre en particulier aux sujets marocains de justifier dans
certains cas, tant bien que mal, et leur identité et leur âge.
Ainsi le dahir du 30 juin 1931, complété par le dahir du
3 août 1937,
détermine les conditions dans lesquelles les tra
vailleurs marocains, victimes d'accidents de travail, ainsi que
leurs ayants droit, peuvent établir leur état civil ou faire
preuve de leur qualité. A cette fin, ils peuvent produire un acte
de notoriété, délivré soit par le juge de paix, soit par leur caïd
ou pacha ; la preuve est facile mais elle est légale et évite
toute discussion.
Au Maroc,
d'actes d'état civil.
la notoriété pour les indigènes tient encore lieu
*
**
L'institution de l'état civil des indigènes n'a donc pas atteint
le même stade dans chacune des trois provinces nord-africai
nes, l'œuvre a évolué suivant la situation de chaque pays. Et en
cette matière, comme d'ailleurs en bien d'autres, la législation
nord-africaine n'est pas cohérente. En Algérie, l'indigène doit
obligatoirement déclarer à l'état civil son mariage, son divorce,
mais s'il réside au Maroc, le sujet algérien n'est tenu à aucune
déclaration, et le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas, l'état civil
local n'étant pas organisé pour les déclarations des mariages,
des divorces, reçus en une forme coutumière. Le Tunisien, au
Maroc, en sa qualité d'étranger,
n'est pas obligé de déclarer les
naissances à l'état civil, mais simplement aux services de
police (dahir du 25 juin 1932).
En Algérie, ce sont les mêmes registres qui servent pour les
Européens et pour les indigènes. Les caïds sont autorisés à
recevoir les déclarations des naissances et des décès des indi
gènes,
mais ils doivent transmettre les déclarations qu'ils

325
reçoivent à l'administrateur, qui les fait transcrire aussitôt sur
les registres ordinaires de l'état civil. En Tunisie, à l'excep
tion de Tunis- Ville où toutes les déclarations sont faites aux
services municipaux, les déclarations des naissances et des
décès des Tunisiens ne sont reçues que par les chioukh de leur
fraction,
indigènes,
déposé,
et il existe des registres d'état civil distincts pour les
tenus par les caïds. Le double de ces registres est
non au greffe du Tribunal de I'e
Instance,
mais à la
Direction de l'Administration Générale et Communale à Tunis.
Au Maroc, les officiers d'état civil sont les mêmes pour les
Européens que pour les indigènes. Le chef des Services muni
cipaux,
le Contrôleur civil ou l'officier des Affaires Indigènes
reçoit toutes les déclarations de naissances et de décès,
inscrit sur un même registre.
En Algérie, dans le territoire civil,
et les
où l'œuvre entreprise
paraît la plus achevée, il y a encore des lacunes. En 1896, qua
torze ans après la mise en vigueur de la loi de 1882, la moitié
seulement des naissances et des décès étaient déclarés, quant
aux mariages et aux divorces un nombre infime avait fait
l'objet d'une déclaration. De nos jours, de nombreux indigènes
n'ont pas d'état civil et les déclarations des mariages, des
divorces et des répudiations se font très irrégulièrement.
Cette marche lente, quelque peu chaotique, sans coordina
tion, de l'état civil dans les milieux indigènes de l'Afrique du
Nord, s'explique par les difficultés de toutes natures que ren
contre cette institution : d'ordre social, d'organisation pratique,
d'ordre juridique, etc....
III
L'indigène nord-africain ne se prête pas toujours de bonne
grâce aux opérations de recensement ; il voit avec plus de
méfiance encore les obligations qui découlent pour lui de l'ins
titution de l'état civil. Ce formalisme cache pour lui un but
fiscal, et l'obligation de déclarer les naissances est une opéra
tion de conscription. Le Gouverneur général de l'Algérie signa
lait, dans une circulaire du 6 décembre 1911,
que les indigènes
s'abstenaient de déclarer les naissances de leurs enfants, plus
particulièrement des garçons, espérant les soustraire plus tard
22

- 326
—
à l'obligation du service militaire. Cette crainte ne se justifie
rait pas, il est vrai, au Maroc où le recrutement de l'armée se
fait simplement par voie d'engagements. Et, d'après M. Mazard,
l'indigène algérien des campagnes commence à peine à entre
voir l'utilité de l'état civil ; jusqu'à ces dernières années, il ne
considérait les déclarations exigées que comme des inquisi
tions fâcheuses de son intimité familiale et comme une certi
tude d'obligation militaire pour ses fils (1).
L'indigène de Tunisie, et surtout celui du Maroc, est encore
moins évolué à ce sujet que l'Algérien, qui depuis plus de cin
quante ans est déjà soumis au régime de l'état civil. L'indigène
ne voit pas le but, en somme désintéressé et bienfaisant, pour
suivi par l'Administration.
Il faut procéder par paliers, ne pas heurter l'indigène, faire
son éducation,
l'amener progressivement à un état de choses
qui, de prime abord, l'effraye et dont il appréciera plus tard
l'utilité.
C'est pourquoi l'état civil est d'abord facultatif. C'est le
stade auquel se trouve le Maroc, celui qui a duré de 1886 à
1920 en Tunisie. On avait même pris la précaution dans la
Régence de n'ouvrir l'état civil que progressivement, circons
cription par circonscription.
En Algérie et en Tunisie,
on a autorisé les caïds et les
chioukh à recevoir les déclarations des naissances et des
décès. Excellente mesure, car ces fonctionnaires indigènes con
naissent exactement la population qu'ils sont chargés d'admi
nistrer et sont à même de la renseigner et de l'éduquer utile
ment.
L'état civil facultatif ne peut être qu'une période d'attente,
d'initiation ; il ne remplit pas son rôle ; quelques indigènes
seulement font des déclarations, ordinairement des fonction
naires civils ou militaires qui ont un intérêt à déclarer leurs
enfants.
Mais ces indigènes déclarés à l'état civil ignoreront le plus
souvent leur inscription ; ils auront recours, eux aussi, à l'acte
de notoriété ; ils sont noyés dans la masse des non-inscrits.
Aussi l'état civil doit-il devenir obligatoire, d'abord pour les
(1) Revue Algérienne, 1934, 1, 83.

- 327
—
déclarations des naissances et des décès, ensuite pour les
déclarations des mariages, des divorces et des répudiations. En
Tunisie,
sont seules obligatoires les déclarations des naissan
ces et des décès. En Algérie, depuis la loi du 2 avril 1930, les
déclarations des mariages, des divorces et des répudiations ont
été imposées sous peine de sanction.
Pour faciliter ces diverses déclarations, on donne un certain
délai, assez long, surtout dans les débuts de l'institution. Au
Maroc, ce délai est d'un mois, en Tunisie de 10 jours, en Algé
rie de 3 jours pour les naissances et les décès, de 5 jours pour
les mariages et les divorces, mais pour les Territoires du Sud
le Gouverneur général a dû assouplir ces dispositions et les
adapter aux conditions particulières des indigènes de ces pays ;
il a, dans ce but, autorisé les commandants militaires à fixer,
pour chaque tribu, les délais de déclaration qui leur paraî
traient indispensables, spécialement pendant les périodes de
l'hachaba et d'estivage.
Par une application pleine de souplesse de la loi, il faut
vaincre les appréhensions de l'indigène, L'amener à accepter la
réglementation de l'état civil. C'est là un problème d'ordre
politique et social (1).
IV
Pour arriver à englober dans les mailles de l'état civil tous
les indigènes,
deux solutions sont possibles. Laisser agir le
temps, attendre que génération par génération,
toute la popu
lation ait été inscrite sur les registres de naissance et ordonner
alors la déclaration obligatoire des mariages et des divorces,
cette dernière formalité n'étant possible que si l'identité des
intéressés est certaine et résulte d'un acte de naissance. Cette
voie est facile mais n'est pas rapide. Un délai d'un siècle envi-
(1) La notion d'utilité joue en la matière un rôle important, faisant
accepter l'institution aux indigènes sans idée de contrainte.
Ainsi, à l'heure actuelle, la vie des indigènes algériens tend de plus
en plus à être liée aux nécessités modernes, à la bureaucratie, aux forma
lités (pièces pour l'école, pour les voyages, pour le mariage), que l'état
civil sera bientôt pour eux une réelle o utilité ».
Dans la tribu berbère des Zemmour, au Maroc, les indigènes sont
venus spontanément déclarer à la Djemaâ judiciaire leur divorce. Là
aussi la notion d'utilité est intervenue. L'acte de divorce leur sert de
titre pour contraindre les parents de la femme à la restitution de la dot.

- 328
-
ron est nécessaire. Si cent ans dans la vie d'un peuple est peu,
cent ans pour une réforme est trop, ce n'est plus qu'une vaine
espérance ! C'est pourtant la solution qui a été adoptée, sem-
ble-t-il, —
en Tunisie.
Ou
bien, seconde méthode, faire un
recensement général de toute la population indigène, inscrire
tous les habitants sur des registres et leur fixer un lieu et une
date de naissance approximative. Tâche considérable,
mais qui
donne des résultats immédiats. C'est cette voie qui a été suivie
en Algérie, par la loi de 1882. Dans chaque commune ou sec
tion de commune, il a été fait un recensement de la population,
Le résultat a été consigné sur un registre-matrice, qui men
tionne le nom, les prénoms, la profession, le domicile et, autant
que possible, l'âge et le lieu de naissance de chaque inscrit. Le
travail de chaque circonscription a été homologué par arrêté
du Gouverneur général. Et le registre-matrice est devenu le
registre de l'état civil pour les inscrits. Une carte d'identité,
ayant un numéro de référence à ce registre et indiquant le
nom et les prénoms a été délivré à chaque indigène. L'œuvre
de constitution de l'état civil, ainsi entreprise en Algérie, est
achevée dans le territoire civil. Par la suite, les mêmes regis
tres d'état civil servent aux Européens et aux indigènes et les
actes des indigènes sont transcrits dans les mêmes formes que
ceux des Européens.
Pour donner à l'état civil ainsi organisé une réelle utilité,
une portée pratique, avec tous les avantages connus de l'insti
tution, il est presque indispensable que chaque famille ait un
nom patronymique. Or, quelques familles indigènes seulement,
les plus notables, ont un nom patronymique, un surnom. Ordi
nairement l'individu n'est désigné que par son prénom, suivi
de celui de son père, et, s'il est encore connu, de celui de son
grand-père. Il est bien difficile alors, sans fil conducteur, de
remonter, de génération en génération, le sillage d'une famille,
avec simplement des prénoms, dont certains reviennent fré
quemment, Mohamed fils d'Ahmed,
Jacob fils de Jacob, petit-fils d'Abraham,
petit-fils de Mohamed....
etc.... Un état civil
aménagé dans de telles conditions ne peut, tout au plus, qu'éta-
'

— 329 -
blir l'identité de la génération en cours, et encore il est souvent
difficile de retrouver un individu dans les tables alphabétiques
annuelles et décennales,
tables forcément sans clarté. Le vieil
acte de notoriété rend presque les mêmes services.
En Algérie, la loi du 17 mars 1882 a eu soin d'imposer à
chaque famille un nom patronymique lors de l'établissement
du registre-matrice. Déjà le décret du 7 octobre 1871 l'avait
imposé aux familles israélites. Le choix du nom a été laissé
à l'ascendant mâle de la ligne paternelle, et à défaut à
l'oncle paternel ou au frère aîné. Le nom patronymique est
placé le premier, suivi immédiatement du ou des prénoms. Son
emploi est obligatoire et les officiers publics et ministériels
doivent sous peine d'amende se conformer à cette obligation.
Cette prescription concernant le nom patronymique de l'indi
gène algérien est souvent méconnue au Maroc et en Tunisie. A
l'heure actuelle, en Algérie, la nekoua ou nekma ou kounia,
mots similaires signifiant sobriquet, est rentrée dans l'usage et
permet une certitude absolue dans la filiation.
Ni au Maroc ni en Tunisie,
on n'a obligé l'indigène à choisir
un nom patronymique ; dans la Régence pourtant l'état civil
est obligatoire pour les indigènes en ce qui concerne les nais
sances et les décès ;
quelques familles seulement ont un nom
patronymique, soit le prénom d'un ancêtre illustre, soit un nom
d'origine, un nom de métier, etc.. Un décret beylical du
30 juin 1925 a permis toutefois aux indigènes tunisiens d'ob
tenir un nom patronymique, s'ils justifiaient d'un motif légi
time. Il est statué sur la requête de l'intéressé par arrêté du
premier Ministre.
Au Maroc,
on a uniformisé l'orthographe des noms et pré
noms. Une commission de professeurs arabisants et berbéri-
sants, réunie en mars 1935, a établi un répertoire alphabétique
des noms de musulmans marocains usités en zone française du
Maroc. Ce répertoire comprend 4.302 noms et il a été recom
mandé aux officiers d'état civil d'orthographier les noms
des Marocains dans les actes de l'état civil en conformité de ce
répertoire.
Pourtant au Maroc et en Tunisie,
où fonctionne le régime de
l'immatriculation foncière, l'existence d'un nom patronymique
pour les indigènes serait très utile. Il est en effet difficile, lors-

- 330
-
qu'aucune mutation n'a été transcrite à la Conservation Fon
cière, cas assez fréquent,
point faible du système de l'imma
triculation, d'identifier le propriétaire originaire,
et cet incon
vénient ira s'accentuant avec le temps lorsque plusieurs géné
rations n'auront pas fait inscrire les diverses mutations suc
cessorales. Pour obvier à cette difficulté, peut-être pourrait-on,
comme l'avait fait en Algérie une loi du 26 juillet 1873, impo
ser un nom patronymique à l'occasion de la délivrance des
titres de propriété. Cette mesure faciliterait le travail de la
Conservation Foncière pour la transcription des titres, et elle
préparerait l'établissement du nom patronymique dans la
société indigène.
VI
L'état civil une fois institué, il faut veiller à l'exécution de
la loi. Et ce n'est pas là la tâche la moins ardue ; elle exige
une surveillance continue. L'indigène a vite fait d'oublier les
prescriptions de la loi. En 1896, le Procureur général d'Alger
constatait de telles lacunes qu'il estimait que l'œuvre même de
la loi était mise en péril. A l'heure actuelle, comme nous l'avons
signalé,
un grand nombre encore d'indigènes algériens ne sont
pas inscrits à l'état civil. Pour remédier à cette situation, on
utilise la procédure d'inscription d'office,
ments collectifs.
par voie de juge
Et il faut tenir compte non seulement de la négligence des
intéressés,
mais également de leur esprit de fraude. S'il est
relativement difficile dans les tribus, avec un caïd vigilant et
actif, de violer la loi en ce qui concerne les déclarations des
naissances et des décès,
par contre la fraude est plus facile
pour les déclarations des mariages et des divorces et un cer
tain nombre d'infractions peuvent être difficilement sanction
nées. Comme le signalait M. Mazard,
que dire d'un mariage
célébré «« la fatiha» et que les intéressés -dissimulent sous
l'aveu d'un concubinage notoire, d'une répudiation définitive
que le mari dira imparfaite ou n'être que le départ volontaire
de l'épouse dans sa famille ? (*).
(1) R. A., 1934, I, 78.

- 331 —
VII
Ce sont, en effet, les déclarations des mariages et des divor
ces qui exigent la surveillance la plus attentive. Ce sont d'ail
leurs les plus difficiles à réglementer. C'est pourquoi l'on com
mence à rendre obligatoires les déclarations des naissances et
des décès et ce n'est que plus tard qu'on exige les déclarations
des mariages et des divorces.
D'après la loi musulmane, le mariage est un acte purement
consensuel, la présence de deux témoins suffit ; un écrit, un
acte du cadi n'est pas nécessaire. Aucun formalisme n'est
exigé pour la validité de la convention intervenue. Il en est de
même de la répudiation, du divorce par consentement mutuel,
actes également consensuels qui n'exigent pas d'écrit. Or.
obliger l'indigène à déclarer ces actes à l'état civil, n'est-ce
pas en modifier la nature, imposer un formalisme inconnu des
lois coutumières ?
La loi de 1930 a résolu la difficulté, en Algérie, de la
manière suivante.
Pour faire cette déclaration à l'officier d'état civil, l'indigène
doit produire un acte du cadi comme preuve de son mariage,
de sa répudiation définitive ou de son divorce par consentement
mutuel. Si ces actes ont été passés devant le cadi, aucune diffi
culté ne se présente ; le cadi, le jour même de l'acte, en remet
un extrait au mari avec mention de sa destination spéciale et
exclusive. Si les époux se sont unis ou ont divorcé,
mari a répudié sa femme, hors de la présence du cadi,
ou si le
la loi
prévoit alors que le mari doit, pour faire sa déclaration, recou
rir à la rédaction d'un acte récognitif, dressé par le cadi dans
les cinq jours, et c'est sur le vu de cet acte récognitif que
l'officier d'état civil reçoit la déclaration du mari.
Cette obligation de recourir à un acte récognitif n'est pas
une disposition d'ordre civil, mais une prescription de police.
Cette formalité n'est pas imposée pour la validité de la conven
tion, la nature de l'acte n'est pas modifiée, ce dernier reste
consensuel. La loi punit simplement le mari qui n'a pas fait la
déclaration dans le délai prévu, mais l'acte reste valable. L'acte
d'état civil n'est qu'un mode de preuve, il ne constitue pas
l'acte lui-même. L'indigène, qui n'a pas fait de déclaration,

- 332 -
peut toujours prouver son mariage par les modes de preuve
de la loi musulmane.
La loi du 2 mai 1930, sur la déclaration des fiançailles et
l'âge du mariage des Kabyles, dont les dispositions doivent se
combiner avec celles de la loi du 2 avril n'a. 1930, pas eu tou
tefois le même souci de respecter le statut personnel de l'indi
gène. Cette loi impose aux Kabyles une majorité matrimoniale
de 15 ans et les oblige à déclarer leurs fiançailles à l'officier
d'état civil. Or, l'inobservation de cette formalité par les par
ties entraîne non seulement une sanction pénale mais égale
la nullité du mariage intervenu.
ment une sanction civile,
Cette déclaration des fiançailles a pour but de contrôler l'âge
des futurs conjoints. Ceux-ci sont tenus de justifier de leur
identité et de leur âge par la production d'un acte régulier
d'état civil et à défaut par la présentation d'un extrait de juge
ment en tenant lieu. Le mariage contracté doit également être
déclaré par application de la loi du 2 avril 1930.
*
**
Le même principe devra être observé au Maroc et en Tunisie,
quand on voudra rendre obligatoire la déclaration des maria
ges et des divorces, car plus encore qu'en Algérie, le statut per
sonnel de l'indigène doit être respecté, conformément à la loi
du protectorat ; aussi bien pour les israélites que pou>"
musulmans. La loi hébraïque, comme la loi musulmane, recon
naît au mariage le caractère d'un simple contrat consensuel qui
n'est assujetti à aucune forme sacramentelle. En pratique
pourtant les israélites recourent ordinairement à l'acte écrit, à
la ketouba. Le mariage à la suite d'un lévirat n'exige égale
ment aucun écrit. La répudiation hébraïque par contre exige
un écrit, le ghelt, qui doit être remis à la femme.
VIII
Il est un écueil à éviter. Il ne faut pas que la déclaration des
mariages et des divorces soit trop formaliste et onéreuse ;
sinon l'indigène est incité à frauder encore davantage la loi, et
la réforme entreprise aboutirait à un échec.
les

- 333
—
Les déclarations des naissances et des décès sont gratuites
et s'opèrent sans vaine formalité, celles des mariages et des
divorces sont plus complexes, comme nous venons de le voir,
et se sont révélées en Algérie onéreuses pour les intéressés.
L'établissement de l'acte récognitif a été souvent pour l'indi
gène algérien la cause de frais élevés et de multiples démar
ches. Ces frais furent parfois si lourds que l'application de la
loi de 1930 fut mise en péril. Le Gouverneur général signalait
que la déclaration du mariage pour deux époux qui ne figu
raient pas à l'état civil, revenait à 167 frs, droits et taxes
diverses du fisc, du cadi, de l'interprète, du chaouch,
etc.. Au
dire de M. Mazard, le résultat le plus clair de la loi de 1930
était d'avoir créé au profit des cadis et des interprètes une
source merveilleuse de revenus. Motif suffisant pour dégoûter
à jamais l'indigène des charmes de l'état civil, alors surtout
que le mariage est déjà pour lui une source de dépenses.
« Après son mariage devant les tolbas ou la djemaâ, écrit
M. Mazard, le mari doit faire dresser l'acte récognitif dans les
cinq jours. Or que se passe-t-il le plus souvent ? C'est qu'une
fois le mouton égorgé et le bruit des salves éteint dans la cam
pagne, une fois la fête finie, le mari néglige d'autant plus faci
lement de dresser l'acte récognitif que ses faibles ressources
ont été absorbées par le paiement de droit de fête,
de la dot et le festin obligatoire » (1).
le paiement
L'Administration Algérienne a tâché de remédier à cette
situation,
en invitant les cadis et les interprètes à prêter gra
tuitement leur ministère pour les indigents. Ne conviendrait-il
pas de réduire quelque peu les formalités,
d'éviter l'interven
tion obligatoire du cadi, de rendre l'état civil plus simple,
moins onéreux, plus accessible ?
IX
L'état civil réglemente et prescrit la déclaration des maria
ges des indigènes, reçus en une forme coutumière,
mais l'état
civil prévoit et organise lui-même une forme de mariage, dis-
(1) En Algérie, le futur époux doit solliciter de l'Administration com
munale le droit de célébrer la fête de son mariage, pour cela il acquitte
une taxe de 50 frs, dénommée droit de fête « eurs ». Ce droit n'existe
pas au Maroc.

- 334
—
tincte de celle prévue par la loi indigène,
une forme civile du
mariage, d'où le problème juridique et social suivant :
Les indigènes peuvent-ils contracter mariage en la forme de
l'état civil ? Si oui, quelle loi régit alors leur union ?
Le problème ne se pose pas de la même façon en Algérie,
territoire français, qu'au Maroc et en Tunisie, pays de protec
torat.
*
**
En Algérie, la forme civile du mariage a été rendue accessi
ble à l'indigène, celui-ci est français,
1886 la loi française, même à son égard,
et depuis le décret de
est le régime du droit
commun. Il est donc naturel que l'Algérien puisse se soumet
tre à la loi française, qui prévoit la forme civile du mariage,
dans le cas où il peut encore se prévaloir de ses coutumes par
ticulières. Et les époux indigènes qui contractent mariage
devant l'officier d'état civil sont présumés se soumettre à la loi
française pour tout ce qui concerne leur union.
C'est là une situation parfaitement normale, l'indigène sujet
français doit avoir le droit d'abandonner sa loi exceptionnelle
pour la loi générale à l'occasion d'un acte déterminé,
comme il
a le droit de renoncer intégralement à son statut exceptionnel
de sujet pour adopter le statut fondamental du citoyen fran
çais.
*
**
Au Maroc et en Tunisie, le problème est plus complexe. En
principe l'indigène ne peut pas se marier en la forme de l'état
civil, —
cette forme ne lui est pas ouverte article 1er du dahir
du 4 septembre 1915,
bre 1922 et 2 septembre 1931 —
complété par les dahirs des 13 septem
décrets
beylicaux des 28 dé
—
cembre 1908 et 6 décembre 1929, cette forme est d'ailleurs
incompatible avec leur statut. Pourtant, malgré les textes, la
pratique administrative a admis qu'un indigène pouvait se
marier valablement devant l'officier d'état civil, lorsqu'il épou
sait un Français ou un étranger, c'est-à-dire en cas d'union
— mixte. Et la Cour de Cassation, dans un arrêt du 3 mars
1937, a même jugé que pour les mariages mixtes, au Maroc, la
forme civile était seule valable.

— - 335
Cette pratique ne peut guère être approuvée. Elle est d'abord
contraire aux textes, l'état civil, soit au Maroc, soit en Tunisie,
n'est accessible aux indigènes que pour les naissances et les
décès. Un mariage mixte n'est valable pour l'indigène que s'il
a été célébré en la forme de son statut personnel, seule forme
autorisée pour lui dans son pays. Le mariage d'un Tunisien
avec une Marocaine, célébré au Maroc en la forme de l'état
civil n'est valable ni au Maroc pour la femme ni en Tunisie
pour le mari (*), D'autre part, si on admet la validité du
mariage célébré en la seule forme de l'état civil entre un Maro
cain et un Français ou un étranger,
comme l'autorise la pra
tique administrative, et à plus forte raison si on déclare nul un
mariage célébré en une forme locale coutumière entre une
Marocaine et un Français, comme l'a fait la Cour de Cassa
tion, on aboutit, alors que chacun des deux époux a conservé
sa nationalité d'origine, à un conflit insoluble de législation.
On sait qu'aux termes de l'article 4 § 1 du dahir sur l'orga
nisation judiciaire du Maroc et de l'article 2 du décret beylical
du 31 juillet 1884, le règlement des contestations relatives au
statut personnel et aux successions des indigènes est expres
sément réservé aux juridictions chérifiennes ou beylicales.
Et il a été jugé que cette compétence en matière successorale
s'imposait alors même que parmi les successibles il y avait
des ressortissants des tribunaux français (2).
Ainsi le Tribunal rabbinique qui ne connaît qu'une seule et
unique loi, celle de Moïse,
compétent pour s'occuper de la suc
cession de la femme, israélite marocaine, ne reconnaîtra aucune
valeur au mariage célébré en la forme de l'état civil, et par
suite ne reconnaîtra aucun droit successoral au mari. Inver
sement, alors même que le mariage more judaïco, au Maroc,
aura été déclaré nul par la juridiction française, le Tribunal
(1) D'après l'Administration marocaine, il faut en effet entendre par
mariage mixte n tout mariage entre deux personnes dont l'une est de
nationalité marocaine et l'autre de toute autre nationalité (citoyens,
sujets ou protégés français, par exemple sujets français d'Algérie et
Tunisiens ou ressortissants étrangers) ».
(2) Cour d'Appel de Rabat : Arrêts des 15 mai 1934 et 23 janvier 1937.
(Recueil Penant 1936, 2, 61 ; G. T.M. 13 —
mars 1937). Cour d'Appel
d'Alger : — Arrêt du 31 décembre 1902 (J. T. 1903, p. 536. Cour de Cas
sation : Arrêt du 31 janvier 1938.

-r 336 —
rabbinique lui reconnaîtra sa pleine efficacité, et le mari, bien
que non marié d'après la Cour suprême, sera appelé légale
ment à la succession de son épouse « illégitime ».
Les Tribunaux chérifiens : coutumiers, musulmans, rabbi-
niques ne sont pas liés en effet par la décision de la justice
française (sauf en matière de compétence),
puisque comme l'a
jugé la Cour de Cassation elle-même, confirmant la jurispru
dence de la Cour de Rabat, les juridictions locales sont dans
une indépendance absolue à l'égard de la juridiction française
et réciproquement.
La situation est la même en Tunisie. Toutefois, dans la
Régence, aucune disposition locale,
comparable à l'article 11
du dahir marocain sur la condition civile, n'existe, et le
mariage des Français et des étrangers en une forme locale
coutumière est, croyons-nous, valable (1). Mais le conflit de
législation n'en existe pas moins, en cas d'union mixte, célé
brée devant l'officier d'état civil. Et on a pu dire que le
mariage à la municipalité entre époux, dont l'un est Tunisien,
n'est « qu'une parodie de mariage », dénuée de toute valeur
légale (2).
*
**
Quelle loi en effet peut régir ce mariage ? L'officier de l'état
civil proclame les époux « unis au nom de la loi ». Il serait
utile de connaître cette loi pour le conjoint indigène. Ce n'est
pas sa loi, puisque d'après son statut personnel, il n'est vala
blement uni que pour le mariage religieux. Ce n'est pas non
plus la loi du Protectorat puisque celle-ci prévoit expressé
ment que l'état civil n'est pas accessible à l'indigène, en ce qui
concerne le mariage.
Et on ne peut pas soutenir, comme pour l'Algérien, que
l'indigène du Maroc ou de Tunisie, marié en la forme civile,
a opté pour la loi française. Aucun texte local n'autorise l'indi-
(1) Cf. Cass. civ., 2 mars 1937, R. A. 1938, 2, 13 et la note de M. Rous-
sier-Théaux. ■
(2) S. Ti'bi, Le statut personnel des Israélites et spécialement des
Israélites tunisiens, t. II, p. 42, 1921. Ceci reste vrai avec la nouvelle
législation.

— 337 —
gène à opter pour la loi française. Et l'officier d'état civil du
dahir du 4 septembre 1915 ou du décret beylical du 29 juin
1886 n'est pas un officier public français.
S'il en est différemment pour l'indigène algérien, c'est
d'abord que les textes législatifs en ont décidé autrement et
ensuite que le droit international n'a rien à voir avec la condi
tion des indigènes de l'Algérie.
Le statut personnel est, par nature et par nécessité d'ordre
public, immuable. Le Marocain ou le Tunisien ne peut en son
pays opter ni pour la loi française, ni pour la juridiction fran
çaise. Ainsi que l'a rappelé le Tribunal de Tunis (jugement du
27 décembre 1897),
la France en étendant son protectorat sur
la Régence de Tunis a respecté le statut personnel des indi
gènes, même en ce qui concerne les points sur lesquels il est en
désaccord avec l'ordre public français. Et a dit M. Rerge (juge
ment de Tunis du 2 février 1910),
les textes qui disposent que
les sujets indigènes restent soumis à leur statut personnel ne
prévoient aucune exception.
Même quand il épouse une étrangère, le Marocain ou le
Tunisien reste soumis à sa loi personnelle, chacun des époux
reste soumis à sa propre loi nationale (*).
Situation évidemment qui entraîne de nombreux conflits. En
particulier,
l'époux indigène pourra obtenir la dissolution de
son union, conformément à son propre statut, statut qui régira
et les formes et les conditions de dissolution, il pourra répu
dier sa femme,
et cette répudiation le déliera des liens du
mariage, sans qu'il soit nécessaire, tout au moins à son égard,
de recourir à une instance judiciaire. Et en l'absence de toute
réglementation sur ce point, un acte établi par l'officier d'état
civil se trouvera annulé par simple volonté de l'un des con
joints et cette dissolution ne sera même pas transcrite sur les
registres de l'état civil.
*
**
(1) On ne peut approuver certaine jurisprudence qui décide que l'indi
gène de Tunisie ou du Maroc qui épouse un Français ou un étranger
devant l'officier d'état civil opte pour la loi française. La Cour d'Alger,
dans un arrêt du 12 décembre 1936, a même décidé que le seul fait
d'avoir épousé une femme européenne, alors même que le mariage a été
célébré, non devant l'officier d'état civil, mais more judaïco, rend le
Tunisien soumis à la loi de sa femme, en l'espèce la loi italienne.

- 388
—
La solution du problème des unions mixtes, au Maroc et en
Tunisie, est délicate. Une double célébration, en la forme locale
coutumière et en la forme civile, donnerait à l'union une réelle
valeur et à l'égard du conjoint indigène et à l'égard du conjoint
étranger. Mais ce serait là une solution imparfaite,
une double
célébration n'est pas possible dans tous les cas. Certains
mariages ne peuvent, en effet, en raison de la diversité de reli
gions, être célébrés en une forme locale. La loi hébraïque n'ad
met le mariage qu'entre juifs ; la loi musulmane interdit à la
femme d'épouser un infidèle, etc..
La solution la plus pratique et la plus complète serait peut-
être la suivante : autoriser expressément, par un texte légis
latif local, les indigènes à se marier en la forme civile, en cas
d'union mixte ; soumettre à la compétence des tribunaux fran
çais les litiges nés de ces unions,
en particulier faire sanction
ner dans tous les cas la dissolution du mariage par l'autorité
judiciaire ; rendre l'indigène, ainsi marié,
justiciable des tri
bunaux français pour ce qui concerne son statut personnel,
tout au moins pour la. liquidation de sa succession. Le Tribunal
français, tribunal laïque,
appliquerait la loi du Protectorat
pour la validité du mariage et la loi personnelle pour les autres
questions de statut.
Tous ces problèmes, toutes ces difficultés,
d'étudier,
que nous venons
entravent évidemment l'institution de l'état civil
dans les milieux indigènes de l'Afrique du Nord, ils rendent
parfois fort complexe, à ce sujet, la tâche de l'Administration
française.
Mais peut-être, avant d'arriver,
tain, à un régime uniforme,
dans un avenir encore loin
général et parfaitement organisé
de l'état civil dans les trois provinces nord-africaines, il serait
possible dès à présent d'opérer quelques réformes : adapter
l'état civil du Maroc et de Tunisie pour les déclarations des
mariages, des divorces, des répudiations reçus en une forme
coutumière,
et rendre obligatoire la déclaration de ces actes
pour les Algériens en résidence dans les Protectorats ; rappeler
à ce sujet que l'Algérien a un nom patronymique qui se met

- 339
-
le premier, suivi du ou des prénoms ; obliger les Tunisiens
établis au Maroc à déclarer les naissances et les décès à l'état
civil, alors qu'à l'heure actuelle, en leur qualité d'étrangers,
ils ne sont tenus de les déclarer qu'aux services de police ;
envisager au Maroc de rendre obligatoire, comme en Tunisie,
la déclaration des naissances et des décès pour les indigènes,
en procédant progressivement, circonscription par circonscrip
tion, etc., etc....

LE ROLE DE LA MINE
DANS L'ECONOMIE INTERNE DD MAROC FRANÇAIS
L. CLAR10ND
INGENIEUR-CHEF DU SERVICE MINIER
DU BUREAU CHÉRIFIEN DP. RECHERCHES ET DE PARTICIPATIONS MINIÈRES
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D'ÉTUDES ÉCONOMIQUES
ET STATISTIQUES DU MAROC
Un rapport officiel sur l'activité économique du Protectorat
rangeait l'an dernier encore l'activité minière dans « les formes
de production sans participation indigène » et un géographe
distingué,
commentant en 1929 la portée démographique et
sociale de l'exploitation phosphatière de Khouribga, qui était
alors la seule mine importante du Maroc, la considérait comme
« le type pariait de ces industries extractives qui exportent
» une production brute,
« la substitution de la machine à l'homme,
poussant jusqu'à ses extrêmes limites
et n'ont pas sur la
« vie profonde des êtres voisins une action rapide et propor-
« donnée à leur richesse » (*).
La présente Note n'a d'autre prétention que d'évoquer en un
bref aperçu ce qu'a représenté l'activité minière traditionnelle
dans la vie de l'ancien M,aroc, et à faire ressortir, par contraste,
la variété et l'ampleur des incidences de la très récente implan
tation dans ce pays d'une puissante industrie extractive entiè
rement due aux initiatives,
européens,
à la technique et aux capitaux
sur l'économie interne du Maroc moderne.
(1) J. Célérier, Le Maroc est-i) un pays neuf ? (in Revue de Géogra
phie Marocaine, tome VIII, fasc. 11, 1929).
23

I. —
342
Les Mines de l'ancien Maroc avant les installations
PORTUGAISES
Les vestiges laissés sur la terre marocaine par les activités
minières indigènes des siècles passés ont servi plus d'une fois
de guide aux prospecteurs modernes pour la découverte des
gîtes ; tantôt ce sont des fouilles, grattages superficiels ou
excavations profondes jalonnant un affleurement, tantôt des
travaux souterrains développés au sein de puissantes masses
filoniennes, tantôt des haldes de lavages ou de scories de
fusion abandonnées à proximité des centres d'extraction. Ces
vestiges,
Taroudant et de l'ancienne Sigilmassa, semblent indiquer que
ces trois villes ont été longtemps les pivots de l'industrie
particulièrement nombreux autour de Marrakech-
extractive marocaine, mais leur histoire est à peine connue, les
textes anciens fournissant de bien pauvres renseignements sur
les activités de l'époque. El Yacoubi et El Moquadenni aux
IX8 et Xe
siècles, puis El Bekri (1067) et El Idrissi (1154) signa
lent, sans donner d'autre détail, des mines d'argent à Tazraret
et à Tamedelt dans l'Atlas et l'Anti-Atlas, des mines de cuivre
à Tihanamine et Ed Ouddadene sur la route de Sigilmassa au
Draa, à Dây et Tadela dans le moyen Atlas et nous apprennent
dès le XIe siècle que le Maroc exportait déjà du cuivre « au
pays des infidèles » (*). Les textes n'apportent aucune indica
tion nouvelle entre le XIP et le XVIe siècle, mais vers 1500 sur
vient un événement historique qui modifiera profondément
l'économie marocaine et tout spécialement l'économie minière.
Conséquences des installations portugaises. —
Les
Portu
gais s'installent sur la côte atlantique, ouvrent des comptoirs,
établissent des relations commerciales régulières avec les
pays d'outre-mer ; les minerais deviennent dès lors une mon
naie d'échange particulièrement recherchée en raison des
besoins de l'Europe.
Il est probable qu'à cette époque, l'or et le cuivre transpor-
(1) Cf. sur ce sujet : H. Despujols, Historique des recherches minières,
Service des Mines, Rabat, 1933, A. Colin. —
S.
Colin, les Mines marocaines
n°
13, juil
et les Marocains (in Bulletin Economique du Maroc, vol. III,
let 1936, p. 194).

- 343
—
tés jusqu'aux côtes par les caravanes du Tafilalet et du Draa
ont donné corps à des légendes transformant le pays en un
éden minier. « On disait que, dans les montagnes de l'Atlas, il
y avait des mines d'or (Torrès, in S. Colin)... » Non loin du Cap
d'Aguer est la ville de Toul très peuplée et très riche parce
qu'on y trouve une mine d'où l'on extrait beaucoup
(Id.) ;
de cuivre
des convoitises prennent forme et stimulent les recher
ches. A la faveur de leurs influences, les Portugais s'assurent
la jouissance de certaines mines de la région de Marrakech,
des spécialistes dirigent les exploitations comme en témoigne
l'ordonnance de certains travaux, des aventuriers pénètrent à
l'intérieur des terres avec l'espoir de découvrir de nouvelles
richesses,
des colons s'installent vraisemblablement daus le
Souss où les légendes berbères conservent leur souvenir. Telle
est, par exemple, la légende contée par les Indouzal célébrant
les exploits d'un chef religieux contre une colonie de mineurs
chrétiens installée dans la vallée de Tiout. Au fond d'une
M'
impressionnante gorge, le « Bordj Sara » couronne encore
de ses ruines les falaises d'un îlot rocheux ; la mine, gardée
par un bastion aux pierres façonnées,
est encore intacte avec
ses galeries rectilignes, ses chantiers admirablement rem
blayés.
Les trois historiens de l'époque portugaise : Léon l'Africain,
Marmol et Torrès,
fournissent dans leurs textes de nombreux
renseignements sur les mines. La galène, confondue souvent
avec l'antimoine par les auteurs ou les traducteurs, vient du
versant méridional de l'Atlas ;
saïr, une autre à Béni Tadjit. L'argent, sans doute confondu
lui aussi avec la galène dont il a les reflets, est extrait au Sud
de Meknès (Ouerkennas et Mader Aouame), dans le Souss
(Illalen et Zgounder),
une mine était exploitée à Cha-
dans la vallée du Draa (Tamedelt). Le
cuivre vient du Souss d'où l'on tire « le bon indigo qui sert aux
teintures,
l'alun et le meilleur laiton qu'on nomme Susi » (Mar
mol, t. II, p. 28) ; des mines existaient à Ifrane (x)
où le Sultan
entretenait un représentant. Les mines de cuivre de Day et
Tadela, signalées dès le XIIe siècle par El Idrissi,
sont encore
(1) Vraisemblablement Ifeghane dans le massif du Siroua, où l'on
—
retrouve effectivement de vieux travaux, Pour les autres synonymies
cf. H. Despujols et S. Colin.

- 344
—
en activité et de nouvelles mines sont découvertes dans l'Atlas
en 1539 entre Marrakech et Taroudant. Marmol,
fait,
qui relate le
signale qu'à la même époque un Maure du Souss « trouva
le secret de fondre le fer dont il faisait des boulets de canon,
ce qui était inconnu avant lui en Afrique ». Il semble bien
toutefois que ce secret ait été connu bien avant l'époque qu'in
dique Marmol,
puisque Mader Annam aurait été construite au
XIIe siècle sous le règne d'Ald el Mumen (1130-1163) «pour
connaître ces lieux estres fort fréquentez à cause des mines
de fer ». (Léon, t. II, p. 27). Le fer était d'ailleurs exploité au
début du XVIe siècle à Demsira, à El Djouma « où il y a une
à Isentar à une
mine et plusieurs forges » (Léon, t. I, p. 275),
étape et demie de Sali sur la route de Marrakech, à Adendum,
Béni Besseri et chez les Béni Yessiten de Debdou.
Après le départ des Portugais, vers 1540, les sultans saadiens
continuent à protéger et à développer l'industrie minière dont
les produits leur sont utiles pour commercer avec l'Europe.
L'étain est découvert en 1639 ; le Maroc exporte alors le cui
vre, l'étain, l'or du Soudan et reçoit le plomb, l'argent, lé sal
pêtre et le soufre. Ces relations cessent en 1660 avec l'avène
ment de la dynastie alaouite et reprennent seulement deux
siècles plus tard avec Moulay
Hassan passionné d'alchimie et
de trésors miniers. Il fait venir des ingénieurs anglais pour
étudier des mines et envoie des étudiants en Europe pour
s'initier aux sciences de la terre (S. Colin).
Au début du XXe
siècle,
l'industrie minière marocaine n'est
plus représentée que par des embryons d'exploitation à peine
suffisants pour couvrir les besoins locaux : cuivre dans la
région de Taroudant, fer et sel dans la région de Demnat ;
quelques indigènes grattent dans les montagnes les affleure
ments plombeux pour extraire la galène employée dans la con
fection du kohl domestique ou plus rarement dans la fabrica
tion des balles. Le pays s'ouvre aux prospecteurs européens ;
les missions envoyées par les grandes sociétés minières, les
indicateurs indigènes détachés dans les régions interdites,
reviennent avec des échantillons, décrivent des gîtes, le déve
loppement extraordinaire des vieux travaux, les apparences
favorables des dernières exploitations. Une fois de plus des

- 345
-
légendes prennent corps, le Maroc, riche de promesses, fait naî
tre bientôt des rivalités entre les nations, rivalités qui ne pren
dront fin qu'avec la guerre de 1914-1918.
II. —
L'Economie
minière traditionnelle
Bien que les connaissances actuelles sur l'économie minière
des siècles passés soit assez confuse, il paraît cependant pro
bable que les produits des mines étaient le plus souvent réser
vés au maître des lieux,
tel le gouverneur d'Ifrane dont parle
Léon l'Africain « qui reçoit le métal et le distribue en compte
A l'exception des mines où se manifeste l'étonnante habileté
des mineurs de Castille, les conditions de travail devaient être
pénibles si on en juge d'après les travaux de l'époqu,?. Ce
sont des galeries tortueuses, déconcertantes par leur irrégula
rité,
creusées sans aucune précaution spéciale pour assurer
l'aérage et le soutènement. Leur gabarit est fixé par la largeur
des filonnets minéralisés ; parfois elles se serrent au point de
laisser passer à peine un enfant, ailleurs s'élargissent dans
d'immenses chambres d'où partent, dans des directions quel
conques,
un réseau de galeries non moins capricieux. On
retrouve dans ces mines des lampes à huile,
> .
de minuscules
pics ou des outils de pierre, des débris humains. Des crânes
ouverts à coups de sabre, trouvés dans des vieux travaux de
la région de Marrakech, témoignent que les mines étaient par
fois de véritables bagnes réservés aux troupeaux de prison
niers et d'enclaves : leur découverte permet de mieux com
prendre le silence des historiens arabes.
Des familles d'artisans disposant du produit de leur travail
existaient cependant dans les régions assez éloignées pour ne
pas être soumises à l'influence des sultans. Au XVIe siècle, le
fer est vendu « en divers lieux » par les habitants de Demsira
et El Djouma et d'après Léon l'Africain les « Béni Yessiten »
reçoivent de leur fer « une grande somme de deniers à cause
qu'ils en vendent en quantité ». Au début du XX8 siècle où il
existait encore dans le Souss et au Sud de Demnat quelques
vestiges de ces industries familiales. MM. les docteurs Paris et
Ferriol ont visité en 1921 les mines et hauts fourneaux ber-

— - 346
bèrcs des Aït Chitachen ('), ils ont été frappés par l'état social
des artisans ; « misérables,
ils sont mis à l'index de la popula
tion, ne peuvent être propriétaires et sont toujours obligés de
se marier entre eux... ; les forgerons, prétendent les Berbères,
ne sont pas de Imazighen. Us forment une caste très fermée
dans laquelle la profession est héréditaire. »
Les conditions sociales étaient moins sévères dans le Souss
où j'ai pu observer encore en 1930 une dizaine de familles
attachées à l'exploitation du cuivre. Chaque artisan a son trou,
chaque groupe familial une fonderie ; le travail minier con
siste à creuser une fouille verticale à partir des affleurements
minéralisés d'où partent exceptionnellement des galeries hori
zontales qui suivent le minerai dans tous ses méandres. L'aba-
tage est fait au pic en s'aidant du feu lorsque la roche est un
calcaire ; le chantier est abandonné si le travail devient diffi
cile ou trop peu productif. Le minerai trié au chantier est
transporté au Ksar de Tataout où il est mélangé pour la fusion
à des minerais calcaires ou siliceux suivant sa composition. La
nécessité de trouver des minerais correctifs obligeait les fon
deurs à faire des échanges avec les mines voisines. En 1930.
les mineurs de Tataout recevaient des minerais des centres
d'extraction de Tazalacht situés à 60 kms au Sud,
dissidente.
en zone
La fusion est réalisée dans des ateliers fermés, sur un foyer
garni d'argile, disposé à la surface même du sol ; le vent est
amené sous le mélange de minerais et de charbon de bois par
deux tuyères reliées à travers le mur d'enceinte de la forge à
deux volumineux soufflets. Les femmes se relaient aux souf
flets tandis que le fondeur règle la fusion de la charge ; l'opé
ration est terminée au bout de quelques heures ; le cuivre ras
semblé dans le foyer forme un lingot de 3 à 4 kgs mêlé à des
débris charbonneux. Il est porté au souk dans cet état pour
être vendu aux chaudronniers. La production limitée par les
difficultés d'exploitation, la teneur extrêmement basse des
minerais traités (2 à 3 %)
el le faible rendement de la fusion
représente en moyenne 3 à 5 lingots de cuivre par famille et
par semaine, soit 100 à 150 frs de gain. Le niveau de vie des
(1) Paris ■CA.) et Fcrriol (F.), L'Industrie du fer chez les Berbères du
Maroc (in Hespéris. T trimestre 1922, pp. 339-345).

— - 347
artisans est assez bas, un peu supérieur cependant à celui des
indigènes cultivateurs ou pasteurs ; les mineurs forment ainsi
une caste relativement aisée dans laquelle la profession sem
ble avoir été, de tout temps, héréditaire.
Dans les vallées des Ida ou Zal et de l'Oued Tidsi, le sel
est exploité maintenant encore dans des salines réservées aux
membres de la tribu ; chaque ouvrier dispose de son travail
après avoir payé une redevance au chef indigène. L'eau pré
levée dans l'oued est remontée à dos d'homme,
dans des outres
de peau, jusqu'à des excavations creusées 10 à 20 m. au-des
sus du fond des vallées, pour être soumise à l'évaporation. Le
dépôt de sel sur les chairs provoque des ulcères ; le travail
n'étant productif qu'en période chaude, est. extrêmement péni
ble,
mais n'assure pas cependant un gain supérieur à 3 ou
4» frs par jour.
Le sel est exploité par travaux souterrains dans certaines
mines des régions de Demnat et Skoura,
bien que -les galeries
et les chambres de dépilage représentent plusieurs hectares de
vides,
la production ne semble pas avoir jamais dépassé quel
ques centaines de kilogs par an. Le plus souvent, l'ouvrier est
salarié par un tâcheron qui loue le gisement au propriétaire
indigène ; dans certains cas, il peut cependant disposer du sel
abattu après paiement d'une redevance.
Pour compléter cet inventaire des mines indigènes du
XXe siècle (-1), signalons enfin les exploitations de « rhassoul »,
argile magnésienne utilisée comme savon par les indigènes,
qui alimentent depuis des siècles les boutiques indigènes de
l'Afrique du Nord.
Le gîte appartient à la confédération religieuse de Ksabi qui
loue ses droits à des tâcherons. L'exploitation consiste à creu
ser des galeries à partir des affleurements jusqu'au moment
où le travail devient trop difficile ; l'ouvrier ouvre alors une
chambre qu'il abandonne dès que la sécurité n'est plus suffi
sante. L'industrie du rhassoul a été sans doute extrêmement
prospère il y a seulement un demi-siècle,
mais disparaît peu à
peu devant la concurrence des produits européens. La produc
tion des mines de Ksabi était de l'ordre de 500 tonnes en 1921.
(1) Je n'ai pas eu l'occasion de visiter l'exploitation salifère du lac Zima.

- 348
Il y a une vingtaine d'années,
—
l'exploitation des mines stric
tement indigènes occupait tout au plus 500 familles dont vingt
à trente dans les exploitations de « rhassoul », de cuivre ou de
fer. Actuellement, les mines métalliques ont presque entière
ment disparu,
sauf peut-être quelques exploitations de cui
vre dans le Souss, le développement des moyens de communi
cation ayant permis d'alimenter en métaux bruts les centres
d'utilisation les plus éloignés.
III. —
L'activité
minière moderne
Aux mines dispersées, rudimentaires,
produisant tout au
plus quelques centaines de kilogs de métaux bruts destinés à
la consommation locale,
se sont substitués des centres indus
triels modernes dont l'activité n'est plus limitée que par
le volume des débouchés sur les marchés extérieurs. Les
exportations minières du Maroc, presque nulles en 1918, repré
sentaient 153 millions en 1934 et 307 millions en 1937, soit
27 % de la valeur totale des exportations, et le Maroc se clas
sait en tête de toutes les dépendances françaises d'outre-mer,
par la valeur de sa production minière. En 1937 les mines du
Protectorat occupaient 14.000 ouvriers dont 13.000 indigènes
et ont distribué au seul prolétariat indigène près de 40 millions
de salaires.
Rapportés à la valeur de la production correspondante, les
salaires payés par les industries extractives sont cependant
plus faibles que dans la plupart des industries de transforma
tion : en 1934, par exemple, les statistiques font ressortir
33.125.000 frs de salaires pour 5.000 ouvriers et une produc
tion évaluée à 152 millions tandis que l'industrie du crin végé
tal distribuait 22.600.000 frs à 43.000 ouvriers (x) pour une
production estimée à 31 millions. Non moins frappantes
seraient les comparaisons avec les industries alimentaires, les
industries chimiques ou les industries de la mer.
(1) Cette main-d'œuvre est d'ailleurs utilisée pendant les périodes de
ramassage seulement.

— - 349
Cette constatation, rapprochée du fait que la main-d'œuvre
locale ne joue dans l'activité minière qu'un rôle technique
essentiellement subalterne, ne laissant que peu de place aux
manifestations des initiatives individuelles, explique sans
doute l'opinion rappelée au début de cette étude sur ce qu'on
peut être porté à considérer comme relativement superficiel
dans les transformations internes qui sont résultées de l'essor
minier du protectorat.
La mine n'en représente pas moins pour l'indigène un mar
ché de travail particulièrement important par sa stabilité. Elle
fixe en certains points des populations flottantes qui, sans elle,
encombreraient les villes dans les périodes de chômage agri
cole. Les villages ouvriers construits par les sociétés pour
retenir cette main-d'œuvre deviennent, par leur organisation
des centres d'attraction pour les éléments ethniques les
sociale,
plus pauvres. C'est ainsi par exemple que les mines de Gafsa
ont réussi, en moins d'un demi-siècle,
à fixer les éléments
nomades du Sud tunisien autour de villages ouvriers construits
à l'origine pour loger les ouvriers étrangers. Non moins remar
quables sont les résultats déjà obtenus au Maroc par les
agglomérations minières de Khouribga, Louis Gentil, Djerada,
Bou-Azzer pour ne citer que les plus importantes.
Il serait vain de contester cependant que, même actuelle
ment, les mines marocaines ne représentent pas en elles-
mêmes dans le marché du travail du Protectorat l'un des sec
teurs les plus importants,
l'un de ceux dont l'influence directe
se fasse le plus manifestement sentir sur la population labo
rieuse du pays, mais l'économiste et le sociologue doivent tou
jours prendre garde, à côté de « ce qu'on voit » ainsi immédia
tement à toute l'importance de « ce qu'on ne voit pas ».
Exposant en novembre 1929 les tendances de la nouvelle poli
tique minière où s'engageait alors hardiment le Protectorat.
c'est une sorte de loi économique des pays neufs qu'évoquait le
Résident général lorsqu'il déclarait que « c'est l'activité
« minière qui a conditionné la politique ferroviaire et routière,
« et l'évolution même de tout l'équipement national en vue de
« la production ».
L'histoire économique du Protectorat ne semble pas, effec
tivement, présenter d'événement plus important,
plus nette-

- 350
—
ment générateur de transformations plus profondes, plus rapi
des et plus étendues que la mise en valeur des énormes gise
ments phosphatiers de la meseta marocaine. Que ces transfor
mations n'aient pas influé d'une manière très sensible sur la
« vie profonde des êtres voisins » voilà certes qui ne peut éton
ner le géographe qui connaît mieux que quiconque le caractère
pratiquement désertique,
phosphates,
avant la mise en exploitation des
de ces plateaux des Ouled Abdoun ou des Gan-
tours, alors piqués seulement de quelques tentes. Par contre,
l'essentiel du dispositif financier, ferroviaire et portuaire du
pays, c'est-à-dire de tout ce qui a commandé sa prodigieuse
évolution durant les quinze dernières années, résulte à l'évi
dence de cette richesse phosphatière que le repliement du
Maroc sur lui-même devait cependant vouer jusqu'en 1920 à
une complète stérilité.
Si l'on a pu dire dans l'Antiquité que l'Egypte était un « don
du Nil » et si l'image paraît toujours exacte de la fortune bri
tannique assise sur un énorme bloc de charbon, n'est-il pas
aussi suggestif d'expliquer, du point de vue matériel, la
majeure partie de l'essor du Maroc moderne par cette harmo
nieuse mise en valeur d'une richesse dont le prix est loin de se
mesurer aux seuls chiffres des rentrées massives qu'elle a
procurées chaque année au budget du pays ?
Une Note résumant en 1936 l'apport de l'Office Chérifien des
Phosphates à l'économie marocaine de 1920 à 1935 fait res
sortir les chiffres suivants :
« L'Etat a engagé en 1920-21,
pour la mise en exploitation
« des phosphates marocains, une mise initiale et unique de
« 36 millions de francs. Avec ce capital l'Office a pu, en
« 15 ans seulement, grâce à ses bénéfices :
« —
« —
verser à l'Etat 840 millions de ressources nettes ;
payer
283 millions de dépenses de premier établisse-
« ment (Office 329 m. + -f-
Safi 60 m.
Chemin de fer Safi 19 m.
« = 408 m. sous déduction de 125 m. d'emprunts)
« les amortir de 155 millions ;
« — assurer
et ensuite
le service des intérêts et de l'amortissement des
« emprunts réalisés pour parachever depuis 1930 le premier
« établissement.

— 351 -
« En plus de ces sommes, l'O. C. P. a effectué dans les Cais-
« ses de l'Etat les divers paiements suivants en règlement des
« services rendus :
« Transports par les chemins de fer militai-
« res de 1921 à 1925 inclus 16.725.323 fr.
« Location de matériel aux chemins de fer
« militaires 448.114 »
« P. T. T 846.479 «
« Divers 3.614.203 »
« Total depuis l'origine. 21.634.119 fr.
« A côté de ces résultats directs,
touchant directement l'Etat
« Chérifien, l'O. C. P. a procuré à l'économie marocaine les
« ressources suivantes :
« —
« —
« —
« —
à
à
aux
au
la Compagnie des Chemins de fer du
Maroc (transports de phosphates et de
marchandises de 1925 à 1935 inclus).. 265 millions
l'Energie Electrique du Maroc (pour
fourniture de courant aux installations
minières et d'embarquement)
maisons de commerce marocaines
pour montant des achats effectués depuis
28 millions
l'origine 290 millions
personnel ouvrier à la journée, euro
péens et indigènes, en salaires, depuis
l'origine 152 millions
Il suffira d'évoquer ici, à côté de ce premier exemple, l'in
fluence prépondérante des considérations d'ordre minier dans
les décisions gouvernementales qui ont conduit à la construc
tion de la voie ferrée de Djerada-Bou-Arfa,
amorce du Trans-
saharien alors envisagé, à celle de la voie de Louis-Gentil à
Safi,
et dans celles qui devront intervenir dans un très pro
chain avenir pour la mise en valeur du Sud. C'est ainsi,
que sur les 620 millions de francs de 1928 dont la
notamment,
Conférence Economique de la France métropolitaine et d'outre
mer tenue à Paris en décembre 1935 et janvier 1936 a décidé

- 352
—
de proposer l'affectation au programme d'outillage du Maroc,
80 millions, soit plus de 14 %
ont été prévus pour cette seule
question des débouchés ferroviaires des mines du Souss et du
versant Sud du Haut-Atlas.
Mais l'ampleur des investissements indirects ainsi entraînés
par la mise en valeur des mines marocaines ne doit pas con
duire à sous-estimer l'importance des investissements directs
nécessités par leur propre équipement. Alors que les indus
tries textiles ne figurent dans les statistiques de 1935 que pour
27 millions seulement, et les industries alimentaires pour 153
millions (l), l'industrie minière représentait déjà à cette époque
458 millions, apportés à peu près exclusivement par des Euro
péens,
ce qui explique sans doute le classement officiel quelque
peu arbitraire que nous avons rappelé au début de cette Note.
L'industrie minière a ainsi entraîné la mise en mouvement
au Maroc d'un volume de capitaux beaucoup plus considérable
que toute autre forme d'activité économique,
et provoqué par
là même un incomparable foisonnement d'activités qui reten
tissent profondément sur tous les aspects de la vie du Protec
torat, et dont profitent, par suite, toutes les masses du pays.
Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que l'activité minière
constitue,
pour un pays de tradition agricole et pastorale
comme le Maroc, l'une de ces activités supplémentaires dues
presque exclusivement à la science, aux capitaux et au tra
vail des cadres européens. En considérant même seulement le
chiffre des affaires directement suscitées par cette activité, il
convient donc de multiplier ce chiffre au moins par trois pour
avoir une image exacte du véritable « mouvement » économi
que qu'elles créent par les diverses incidences commerciales,
fiscales et sociales de leur vie propre.
Les centres phosphatiers du Maroc occidental, la houillère
de Djerada, les mines de plomb, de zinc, de manganèse, de
molybdène et de fer, de cobalt, ont été ou vont être à ce point
de vue des facteurs décisifs de l'évolution économique du
Maroc, qui a permis, d'autre part, une extension considérable
du pouvoir d'achat, non seulement du Protectorat considéré
(1) Inventaire de l'Industrie au Maroc (in Bulletin Economique du
Maroc, avril 1935).

- 353
-
comme une entité économique, mais spécialement de ses popu
lations indigènes.
Que penser, enfin, de l'incontestable action en profondeur
qu'exerce cette concentration de milliers de travailleurs indi
gènes et de leurs familles, dans ces vastes agglomérations sur-
gies de toutes pièces à l'appel de la mine, et qui s'appellent au
Maroc Khouribga ou Louis-Gentil, comme elles s'appellent
Moularès ou Metlaoui en Tunisie, cette comparaison évoquant
à elle seule une foule de considérations psychologiques et
sociales qui sortiraient de notre sujet, mais dont l'importance
ne saurait échapper
Près de cinq cent millions d'investissements, un milliard de
bénéfices versés directement au budget par l'Office Chérifien
des Phosphates, plusieurs millions d'impôts,
300 millions d'ex
portations annelles, représentant déjà deux millions de tonnes
de minerais, des centres de peuplement dans les régions les
plus pauvres ou les plus reculées de l'Empire, une extension
considérable du pouvoir d'achat, non seulement du Protectorat
considéré comme une entité économique, mais spécialement de
ses populations indigènes, tel est le bilan de l'industrie minière
au Maroc vingt années à peine après les travaux des premiers
prospecteurs.
L'œuvre accomplie est encore incomplète ; des voies ferrées,
des routes, de nouvelles activités vont se développer dans le
Sud pour la mise en valeur des gisements de manganèse et de
fer du Souss et du Siroua. Le Maroc exportera dans quelques
années plus de 450 millions de francs de minerais représentant
50 % de la valeur de ses exportations actuelles et le tiers de la
production minière de la France d'outre-mer.
Il n'y a plus d'économie minière indigène particulière ou
locale ; l'industrie extractive du Maroc, dont le développement
est commandé par les fluctuations des marchés internationaux.
et tout particulièrement par le marché français,
un élément essentiel de la prospérité marocaine.
est devenue

LE CHAPITRE DES VENTES
de l'Amal al Fassi
V. LOUBIGNAC
CHEF DE BUREAU AU SERVICE DE L'ENREGISTREMENT MAROCAIN
Dans l'édition lithographiée de 1298,
le Chapitre des Ventes
de l'Amal al Fassi débute au fascicule 16, page 2 du tome pre
mier,
pour se terminer à la page 1 du fascicule 37, soit des
pages 122 à 273 ; il comprend donc 151 pages,
La traduction de la partie relative à la safqa a déjà été
donnée, il y a quelques années,
et publiée dans la Bévue Algé
rienne de Législation et de Jurisprudence ; il n'en sera pas
question ici.
Celle du reste du chapitre est présentée aujourd'hui, à l'ex
clusion toutefois de la plus grande partie du passage relatif au
change : les règles exposées en cette matière, d'ailleurs com
plexes et souvent fastidieuses, n'ont plus, en effet, qu'un inté
rêt académique en raison tant des variations subies par la
monnaie locale depuis l'époque où l'ouvrage a été rédigé, que
de l'introduction récente au Maroc d'une monnaie européenne
qui a complètement supplanté la première.
La traduction actuelle porte donc en définitive sur 85 pages
de texte arabe, nombre qu'il faut multiplier par un peu plus
de deux pour avoir une idée du développement du texte fran
çais correspondant.
Si le chapitre esl évidemment consacré dans sa majeure
partie à la vente, il ne traite pas exclusivement de celle-ci,
mais d'autres questions dont les rapports avec ce contrat sont
plus ou moins étroits ou même n'apparaissent guère.

356
Le rattachement du change à la vente n'a rien qui puisse
surprendre en droit musulman ; on conçoit à la rigueur que la
question de Youziâa ou partage de viande après achat en com
mun d'une bête de boucherie, trouve sa place dans ce chapitre,
le caractère translatif du partage étant généralement admis ;
on comprend encore que l'auteur ait traité ici de la mise en
commun de petites quantités de matières premières pour en
partager le produit ; par contre, l'insertion d'un hémistiche
relatif à la fusion en une seule masse des revenus des habous
n'est pas défendable ; il ne faut pas s'étonner de ces anoma
lies, courantes dans l'Amal al Fassi,
auteurs musulmans ;
comme dans tous les
celle-ci peut s'expliquer par des néces
sités de rime, ou bien l'auteur, embarrassé de cet hémistiche,
a tout simplement saisi la première occasion qu'il avait de l'in
sérer, bien qu'il disposât de tout un chapitre spécial relatif
aux habous au début du tome II.
Le but de l'ouvrage est, on le sait, d'exposer les points sur
lesquels la jurisprudence de Fès a complété la doctrine, plus
exactement la doctrine dominante —
al
machhour —
ou même
s'est substituée à elle sans heurter cependant les règles essen
tielles du droit. C'est celui que l'auteur expose tout au début
du tome 1er dans les premiers vers :
« Le but de ce poème est d'exposer certaines décisions des
magistrats
« Qu'a adoptées, pour prévenir les différends, la jurispru
dence de Fès s'inspirant des coutumes,
« Et que nous avons notées chez les personnes dignes de foi
parmi les notaires et les cadis. »
La doctrine dominante étant supposée connue du lecteur,
l'auteur se borne à l'exposé des particularités de la jurispru
dence ; son texte est concis ; par contre, les développements
du commentateur sont extrêmement abondants ;
cependant son
apport personnel est assez maigre ; il se borne le plus souvent,
selon la plus pure tradition des « mouqallidin », à rapporter de
nombreuses citations d'auteurs réputés ayant traité la ques
tion, ou les consultations rendues sur des cas d'espèces ; on ne
peut, certes, à l'examen de ces textes, que rendre une fois de
plus hommage à l'esprit d'analyse des juristes musulmans ;

*
- 357
—
ils excellent à examiner tous les cas, à envisager toutes les
hypothèses,
mais ils ne s'élèvent qu'exceptionnellement jus
qu'à la synthèse ; d'ailleurs le commentateur se plaît, le plus
souvent, à rapporter des arguments dans les deux sens,
pour et
contre la thèse émise ; il se garde de conclure, et termine sou
vent une longue discussion par cette formule « au lecteur
d'apprécier » ou « Dieu vous inspirera la solution préférable ».
Certains développements enfin pourront paraître superflus à
des esprits occidentaux, tel celui sur le point de savoir si un
musulman peut utiliser le savon fabriqué par les infidèles sou
mis, considérés comme impurs ; il y a là évidemment des idées
■d'un autre âge qui ont fort heureusement beaucoup évolué.
C'est dire que les différentes parties du chapitre présentent
un intérêt très inégal ; celle relative au change est négligeable;
le droit de priorité du copropriétaire en cas de vente, qui fait
en somme double emploi avec la préemption ; l'abandon de la
dernière surenchère, dont on retrouve à l'heure actuelle une
forme en tribu, notamment chez les Zaër,
sous forme de « bab
Allah » ; d'autres encore méritent à peine une mention.
Par contre, des apports nouveaux paraissant présenter un
réel intérêt sont à signaler, notamment en matière de transfert
de gage ou de cession de créance gagée, de dation en paiement,
de vente à réméré et de groupement de revenus des habous des
mosquées sous l'administration d'un même nadir.
Nous passerons rapidement en revue les innovations de la
jurisprudence sur ces points.
Souvent hardies,
mun, assez frappant,
elles présentent toutes un caractère com
celui d'être inspirées par le souci de
tenir compte des réalités, de plier les textes théoriques, souvent
anciens,
aux nécessités de la vie pratique en constante évolu
tion pour libérer le public d'entraves inutiles,
les solutions de l'équité, ou même du simple bon sens,
en substituant
à ceUes
que des discussions académiques avaient fait tout d'abord pré
valoir ; elles tiennent compte, dans la plus large mesure, de
cette notion d'intérêt général, de nécessité (maslaha, daroura)
qui est l'une des caractéristiques de la doctrine de Mâlik ; elles
sont en outre dictées par le désir de restreindre les sources de
litiges et même, précisent parfois les auteurs, de chicanes que
favorisent trop, sur une même question, la multiplicité des
textes et avis autorisés.
Î4

- 358
-
L'examen rapide des solutions ainsi consacrées justifiera
cette appréciation.
Le transfert de gage, par lequel débute le chapitre,
est un
cas particulier de la cession simultanée de la créance et du
gage qui la garantit ; l'innovation consiste en ce que le gage
passe,
sionnaire,
sans l'assentiment du débiteur, entre les mains du ces
qui bénéficie ainsi de tous les avantages accordés au
créancier primitif ; la garantie suit la créance en quelques
mains que passe cette dernière et grève toujours le gage :
situation comparable à celle de notre cession de créances hypo
thécaires,
mais s'en différenciant par la circonstance aggra
vante de dépossession du débiteur.
Le transfert de gage n'est pas prévu en doctrine.
En matière de garantie pour vices rédhibitoires, de larges
empéraments ont été apportés aux principes.
C'est ainsi que la jurisprudence fassie —
tique notariale —
interdit
ou
mieux la pra
de dresser un acte de vente d'escla
ves avec garantie de ces vices par le vendeur : cette vente
doit être conclue sans garantie, quel que soit le délai pendant
lequel l'esclave aura été propriété du vendeur ; or, d'après
l'opinion dominante, il était nécessaire que celui-ci fût pro
priétaire depuis quelque temps —
50
pouvoir s'affranchir de toute responsabilité.
jours au moins —
pour
La rigueur de cette règle est toutefois tempérée par cette
réserve, conforme à l'équité, que le vendeur était de bonne foi ;
il serait comptable des vices connus de lui.
En matière de vente de solipèdes, la Tohfa ne prévoit pas de
délai pour l'exercice de l'action en résolution fondée sur l'exis
tence de vices : elle décide seulement, vers 903-904,
que cette
action doit être intentée dès la découverte du vice ; il y avait
là une situation dangereuse pour le vendeur : la jurisprudence
décide que l'action devra être intentée dans le mois de la vente.
Passé ce délai, il y
est postérieure à la cession ;
aura présomption que l'apparition du vice
cette présomption pourra naturel
lement être combattue par la preuve contraire.
En matière de vices d'immeubles, l'innovation est encore
plus radicale : à la division doctrinale tripartite en vice léger,
négligeable,
lution,
vice grave donnant ouverture à une action en réso
et vice moyen ne permettant qu'un recours en indem-

- 359
-
nité pour dépréciation (Tohfa, vers 897-898), la jurisprudence
a substitué une division binaire, en supprimant le vice moyen
par son assimilation au grave ; ce vice constituait, en effet,
expose le commentateur, une source de chicanes fréquentes,
suscitées par des acquéreurs de mauvaise foi qui essayaient
d'obtenir ainsi, en l'invoquant, un abattement sur le prix.
Enfin, la vente du tuteur, pour le compte du pupille, est pré
sumée effectuée sans garantie s'il prend la précaution de stipu
ler qu'il agit en cette qualité ; on l'assimile ainsi à celle du
prince et du juge ; l'acquéreur évincé n'aura qu'un recours
pour le prix contre le mineur s'il est solvable, et encore s'il est
bien établi que le tuteur a employé le produit de la vente dans
l'intérêt de son pupille.
Dans la vente à réméré, contrat éminemment suspect au
droit musulman, une présomption de vérité est attachée par la
jurisprudence de Fès à l'affirmation de la partie qui déclare
que la promesse de résiliation a été régulièrement consentie ;
tel est, en effet, l'avis d'Ibn Acem (vers 809), mais le commen
taire observe que la plupart des juristes sont d'une opinion
différente : si la fraude en cette matière était de pratique cou
rante, c'est-à-dire si la vente à réméré servait le plus souvent à
dissimuler un prêt avec indue jouissance de l'immeuble par le
la présomption de vérité jouerait alors en faveur de
créancier,
la partie affirmant qu'il y a eu fraude ; au temps de l'Amal, la
jurisprudence a rejeté cette solution, pour prévenir les chica
nes de vendeurs de mauvaise foi, comme aussi surtout pour
inviter à la prudence l'emprunteur que la présomption de
régularité ainsi attachée au réméré, laisserait pratiquement
désarmé contre son créancier.
Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, la jurisprudence a
abandonné la solution de l'Amal ; considérant qu'en cette
matière la fraude est presque la règle, elle attache une pré
somption d'exactitude aux dires de la partie qui affirme que
cette fraude a été commise,
par application de ce principe
qu'une déclaration conforme à l'état de fait existant est pré
sumée exacte. On le voit,
lué au Maroc comme dans notre Droit.
la jurisprudence musulmane a évo
Un vers expose ensuite que, contrairement à la doctrine, on
peut retarder la livraison des denrées vendues, à la seule con
dition, toutefois,
qu'elles soient nommément désignées.

- 360
—
Un autre proclame l'impossibilité d'obliger le copropriétaire
à une adjudication restreinte avec ses co-ayants droit : on ne
peut donc que procéder par la voie de licitation,
qui est expo
sée immédiatement après, et à laquelle ce vers sert ainsi tout
naturellement de préface.
A la safqa succède l'examen d'une institution tellement
oubliée depuis la rédaction de l'Amal,
que le commentateur
n'est pas sûr de l'explication qu'il en donne ; nouvel exemple,
s'il était nécessaire, des constantes modifications du droit
musulman marocain qui, empruntant largement à la coutume,
se modifie avec elle (*).
L'auteur étudie ensuite deux cas particuliers de la vente
entachée de contrainte ;
dité de l'exposé.
nous les groupons ici pour la commo
Il s'agit, à la vérité, non pas de personnes obligées à vendre
sous l'empire de la violence, mais placées dans une situatiou
telle que la vente constitue pour elles la seule issue possible :
l'affamé pour ne pas mourir de faim, la personne arbitraire
ment incarcérée,
pour recouvrer sa liberté. La validité de ces
deux cessions est admise par la jurisprudence pour des rai
sons d'évidente nécessité : il faut aller au plus pressé ; au sur
plus, ajoute mélancoliquement un auteur, dans la seconde
hypothèse —
celle de l'incarcération —
pareille épreuve comprendra ».
«
quiconque aura subi
Cette raison est en soi suffisante ; le commentateur cepen
dant, soucieux de lui donner un fondement plus juridique,
observe, avec une remarquable subtilité d'analyse, que la con
trainte que constituent la faim ou l'incarcération s'exerce non
pas directement en vue de la vente, mais sur la cause de
celle ci ; ainsi est justifiée la solution prétorienne, qui s'oppose
à la doctrine, laquelle, on le sait,
cession entachée de violence.
proclame la nullité de toute
S'agissant ensuite de la dation en paiement, l'auteur expose
que sa validité est subordonnée à une prise de possession, qui
doit durer au plus un mois. Dans sa Tohfa, vers 1011, Ibn
Acem décide simplement que la prise de possession doit être
(1) On en relève un autre cas au chapitre de la chefàa : l'Amal expose
que l'exercice occulte de la préemption est admis, alors que la juris
prudence actuelle est fixée en sens contraire.

- 361
-
immédiate, pour éviter une cession de créance contre créance,
interdite par le droit musulman ; il ne fixe pas la durée de
cette possession ; il semblerait que,
tion,
par assimilation à la dona
elle devrait se prolonger une année : la jurisprudence
intervient pour ramener ce délai à un mois au maximum.
On observera que, en matière de vente ordinaire, l'appré
hension par le vendeur n'est pas une condition de validité : le
simple consentement des parties suffit à emporter mutation,
comme en droit français ; Khalil, entre autres auteurs, est for
mel à cet égard (Seignette, par. I).
Enfin, s'agissant toujours des solutions jurisprudentielles se
rattachant à la vente proprement dite,
l'auteur expose deux
particularités des ventes publiques. D'après la première, le
propriétaire de la marchandise peut choisir, parmi les divers
enchérisseurs, celui à qui il désire passer la vente,
quand bien
même il n'aurait pas offert le plus haut prix : faculté singu
lière, dont il faut admettre, avec le commentateur et divers
auteurs, qu'elle ne peut se justifier que par des considérations
de personne guidant le choix du vendeur ; on en déduit qu'une
offre plus élevée n'annule l'engagement d'aucun des enchéris
seurs précédents. Il ne semble pas que cette option soit encore
admise à l'heure actuelle.
D'après la seconde,
la première offre est considérée comme
ayant simplement pour but de déterminer la mise à prix, et
n'oblige pas celui de qui elle émane ; cette règle est encore
observée ;
une telle espèce se présente toutefois rarement.
Parmi l'examen des questions connexes à la vente se place
tout d'abord, nous l'avons indiqué plus haut, un long passage
relatif au change, long et touffu, sur lequel il ne sera pas autre
ment insisté. Il semble pourtant intéressant, à notre époque de
monnaies flottantes, de rapporter les règles exposées par l'Amal
en matière d'instabilité monétaire ;
celle-ci ayant été très sou
vent la règle en pays d'Islam, la question ne devait pas échap
per au droit musulman.
Tout d'abord, la monnaie dans laquelle le contrat est conclu,
doit être précisée quand plusieurs ont cours sans avoir la même
valeur —
précaution
évidente —
.
Si la monnaie ainsi stipulée a subi des variations entre la con
clusion du contrat et l'exigibilité, mais est toujours employée

— — 362
dans les transactions, le règlement se fera dans cette monnaie,
quelles que soient les fluctuations subies par elle dans le sens
de la baisse ou de la hausse ; telle est, à l'heure actuelle, la
situation de la majorité des monnaies mondiales.
Si la monnaie prévue au contrat a disparu, le règlement se
fera sur la valeur de cette monnaie, déterminée au moment où
sera réunie la double condition de l'exigibilité de la somme, et
de la disparition de la monnaie ; en d'autres termes,
au mo
ment où la dernière de ces deux conditions sera réalisée ; solu
tion qui, en somme, découle de la précédente.
La clause or, on le voit, est inconnue.
L'exposé d'autres règles présente un intérêt plus immédiat,
tel est celui notamment de l'association de fait constituée par
les petits producteurs de matières premières, qui groupent
leurs produits pour les traiter plus facilement et s'en répartir le
résultat ; la jurisprudence de Fès a admis l'opération. Ce sera
le cas pour les propriétaires d'oliviers, afin d'en extraire l'huile ;
pour les producteurs de lait, qui le feront traiter en commun
afin d'en obtenir du fromage ; les particuliers grouperont les fils
préparés à domicile pour en faire tisser les étoffes ; les déten
teurs de métaux précieux pourront en former une seule masse
en vue de la frappe de la monnaie ; le grain sera mêlé en vue
de sa mouture et cette énumération de l'Amal n'est évidemment
limitative. La répartition des produits obtenus se fera,
dans tous
les cas, proportionnellement aux apports.
C'est véritablement le fondement juridique des coopératives
de production qui est ainsi exposé, et, particulièrement des coo
pératives agricoles ; ce texte pourrait, au besoin, être invoqué
par le Gouvernement du Protectorat,
au cas où il jugerait
opportun d'entreprendre une action économique dans ce sens.
Du point de vue du droit, l'innovation est hardie ;
elle fait
table rase de cette notion d'aléa qui domine en droit musulman
la matière des contrats. Les olives des divers producteurs ne
donnent évidemment pas la même quantité d'huile,
ni le lait
une proportion invariable de fromage : les fils sont de qualité
différente, de même que le grain. Chaque participant est donc
à peu près certain de ne pas recevoir exactement sa part du
produit ; ces inconvénients théoriques ont cependant cédé
devant des raisons d'évidente nécessité: le droit musulman sait,

- 363
-
à l'occasion, bousculer les principes pour,
que,
se montrant prati
répondre aux besoins légitimes du public. La solution est
peut-être plus remarquable encore pour la mise en commun
des métaux précieux en vue de la frappe, les transactions sur
cet objet étant entourées de précautions fort étroites.
Une autre matière où la jurisprudence a suivi la coutume
est celle de Youziâa,
ou partage de la viande après acquisition
en commun de la bête. Ce partage s'opère à l'estimation, en ce
sens que les lots sont confectionnés sans le secours d'une
balance,
et ce procédé est admis en raison de la difficulté sou
vent réelle de se procurer cet instrument, tout au moins dans
les campagnes. Il ne permet pas d'assurer une rigoureuse éga
lité entre les co-partageants, mais la nécessité fait encore pas
ser outre à cet inconvénient, d'ailleurs plus doctrinal que réel.
On ne peut, sur ce point, que souscrire à la solution de la juris
prudence ;
mais sur cette question se greffe une longue con
troverse sur le. point de savoir si l'un des participants peut
acquérir une partie des abats qui sont préalablement séparés
de la chair et exceptés du partage ; il paraît superflu à des
esprits occidentaux d'agiter une telle question ; elle est longue
ment examinée par les auteurs musulmans, animés par le
souci, fort légitime en soi, d'éviter tout trafic abusif en matière
de denrées alimentaires.
Une autre longue discussion surprend aussi ; c'est celle que
pose l'utilisation, par les musulmans, du savon provenant des
infidèles soumis : ceux-ci sont en effet réputés impurs, et, en
conséquence, il semblerait que l'usage de leurs produits doive
être proscrit, même de ceux qui, comme les bijoux, ont les plus
grandes chances d'être purifiés par le feu ou par la nature
même de leur matière première. Reconnaissons toutefois, très
impartialement, que la jurisprudence s'est prononcée pour
l'affirmative, et que les auteurs sont même allés jusqu'à ren
verser le système des présomptions, en considérant ces pro
duits comme purs jusqu'à preuve du contraire. Pour donner
cependant une idée de la gravité de ces discussions, citons
celle qui s'est instituée sur l'emploi d'un savon pas trop mou,
pas trop solide, dans lequel aurait été enrobée une souris, ani
mal impur; le caractère religieux du droit musulman pose
ainsi de ces pénibles cas de conscience.

- 364
-
Une matière digne de retenir davantage l'attention est celle
de la fusion des revenus des habous des mosquées émanant
de particuliers (*)
en une seule masse qui constitue ainsi une
trésorerie unique, quelque chose de comparable, dit justement
le commentaire, au Trésor public, et sur laquelle sont opérés
les prélèvements nécessaires pour répondre aux besoins des
divers édifices attributaires.
Nous trouvons ici la justification de l'administration des
habous dans sa forme actuelle; et,
comme en matière budgé
taire, le principe de l'universalité triomphe sur celui de la spé
cialisation.
On groupe ainsi sous l'administration d'un même nadir, les
revenus des établissements religieux, et même de fondations
dont le caractère religieux est moins exclusif,
comme les éta
blissements d'enseignement supérieur (médersas). La mesure
a même été étendue aux fondations grevées d'affectation spé
ciale,
c'est-à-dire celles dont le fondateur a prévu expressé
ment dans le détail les dépenses auxquelles seraient consa
crés les revenus; il y a là évidemment violation de la volonté
du constituant;
cette violation est cependant plus apparente
que réelle. Tout d'abord en effet on ne prélèvera sur les fon
dations les mieux pourvues que l'excédent de leurs ressour
ces, après une dotation largement calculée;
ce prélèvement
sera considéré comme un prêt ainsi consenti par certaines
fondations aux autres, et cette fiction suffit à apaiser les
consciences ; d'ailleurs les temples ne sont-ils pas tous « les
demeures de Dieu ». Au surplus, les deux premiers vers du
tome II de l'Amal al Fassi disposent que la jurisprudence
de Fès tient compte, en matière de habous, de l'intention du
constituant, du but qu'il avait en vue, et non de la lettre.
Quand on se rappelle le précepte ancien : « La lettre du cons
tituant a force de loi », on mesure toute l'importance du che
min parcouru.
La répartition des ressources du fonds commun ne saurait
d'ailleurs être arbitraire: on commencera par faire face aux
(1) La même règle est appliquée sans conteste aux habous constitués
par le prince sur des immeubles domaniaux en faveur des mosquées,
ces constitutions ne pouvant avoir pour but que de répondre à l'intérêt
général.

- 365
-
dépenses de la grande mosquée, puis de celle la plus fréquen
tée après elle, et ainsi de suite; il est, par ailleurs, bien
entendu que l'excédent de ressources dont disposerait une
fondation ne saurait être affecté qu'à une fondation simi
laire; nous trouvons ainsi, esquissée par le droit musulman,
la règle bien connue, dans notre législation, de la spécialité
des établissements publics ou d'utilité publique: nouvelle
preuve que les institutions des peuples, même très différents,
ne sont pas toujours aussi dissemblables qu'un examen moins
attentif le laisserait supposer.

LES HABOUS
DANS L'ÉCONOMIE MAROCAINE
PAR
J. LUGCIONI
CHEF DE BUREAU A LA DIRECTION DES AFFAIRES CHERIFIENNES
MEMBRE DES CENTRES D'ÉTUDES JURIDIQUES ET ÉCONOMIQUES DU MAROC
Le habous est un acte juridique par lequel un musulman,
en vue d'être agréable à Dieu, affecte à perpétuité,
un ou plu
sieurs biens, généralement immeubles, à un but, une œuvre,
ou un service d'ordre religieux ou humanitaire. L'affectation
peut être directe et immédiate. L'acte constitue alors une véri
table fondation au sens technique du mot et prend le nom de
habous chaïri en Egypte et de habous public en Tunisie et au
Maroc. Le disposant peut aussi réserver la jouissance de l'im
meuble affecté, à un groupe déterminé de personnes, le plus
souvent à sa descendance en ligne masculine et l'œuvre ins
tituée ne devient pleine et entière propriétaire qu'à l'extinction
de ces dévolutaires intermédiaires. C'est ce qu'on appelle le
habous ahli en Egypte, le habous privé en Tunisie et le habous
de famille au Maroc.
Dans les deux cas, l'acte est soumis aux mêmes règles et
produit les mêmes effets. Le bien qui en fait l'objet est mis
hors du commerce, frappé d'affectation perpétuelle et partant
inaliénable et imprescriptible —
du
moins dans le rite malé-
kite. La volonté du constituant est libre et souveraine. Elle
s'impose aussi bien aux particuliers qu'aux autorités qui doi
vent se borner à la faire respecter. Le habous dont l'origine est
encore incertaine —
tume —
sans
doute parce qu'il dérive de la cou
a pris une extension considérable dans tous les pays

— - 368
d'Islam. En Tunisie, à la veille du Protectorat, il grevait de
nombreux domaines situés dans les régions les plus acces
sibles et représentant le quart du territoire. D'après M. Zeys,
quand la France s'est emparée de la Régence d'Alger, elle a
trouvé les 5/1 0e8 du sol immobilisés ; en Egypte le patrimoine
habous se compose de plus de 611.000 feddans représentant
près du l/8e de toute la superficie cultivée et de près de 19.000
immeubles urbains. Son revenu global s'élevait en 1929 à plus
de 250 millions de francs.
Au Maroc, l'institution a atteint son apogée sous les Almoha
des et les Mérinides. Par la suite, et malgré les efforts de
Moulay Ismaïl pour redresser la situation, elle n'a cessé de
décliner. A la faveur de l'instabilité ou de l'affaiblissement du
Pouvoir central, de la négligence ou de la complicité des Nadirs
(gestionnaires) les locations courantes ont été transformées,
dans de nombreux cas, en locations perpétuelles pour aboutir
à des situations juridiques génératrices de droits réels de
jouissance ; les usurpations se sont multipliées. A la fin de
l'ancien régime, les sultans eux-mêmes ont donné l'exemple
pour dilapider le patrimoine des Habous et ont conduit l'ins
titution au bord de la ruine. Un grand nombre d'immeubles
ont été usurpés. D'autres étaient détenus soit à titre gratuit en
exécution de tenfidas (concessions) délivrées par le Sultan,
soit moyennant une redevance dérisoire due par les bénéfi
ciaires de droits de menfaa (droits perpétuels de jouissance).
Ceux qui restaient entre les mains des Nadirs avaient besoin
de réparations urgentes et importantes. Faute de revenus, les
œuvres prévues par les constituants étaient souvent aban
données. Dans certaines villes, le service du culte ne pouvait
plus être régulièrement assuré et les mosquées menaçaient
ruine.
Dès le début du Protectorat, on a décidé de procéder à une
réorganisation complète de l'institution en utilisant un per
sonnel entièrement indigène, sous l'impulsion et le contrôle de
quelques fonctionnaires français. On a créé au sein du Makh-
zen une Direction générale des Habous, plus tard érigée en
Vizirat et, en même temps, au Secrétariat général du Gou
vernement Chérifien, un Contrôle général des Habous. Ces
doux organismes devaient conjuguer leurs efforts à la réali
sation des objectifs suivants :

- 369
—
1. Mettre un terme définitif à la dilapidation des biens
habous ;
2. Constituer un sommier de consistance du patrimoine des
fondations pieuses ;
3. Faire rendre à ce patrimoine, par une gestion pratique et
simplifiée, le maximum de revenus ;
4. Veiller à ce que les revenus soient intégralement affectés
à leur destination.
Des mesures ont été prises en conséquence. La plus impor
tante est le dahir du 21 juillet 1913 qui réglemente le mode
d'exploitation des biens habous. Il impose, pour toute location,
la procédure d'adjudication aux enchères publiques. En outre,
il supprime la mainmorte et réalise ainsi une heureuse réforme
pour la prospérité des Habous,
économique du pays.
voire pour le développement
D'après la loi musulmane telle qu'elle est interprétée dans
le rite malékite qui a prévalu au Maroc, les biens habous sont
frappés d'inaliénabilité quasi-absolue. C'est uniquement dans
le cas où un immeuble tombe en ruine que l'on peut procéder
à son échange contre un autre immeuble productif de revenus.
Encore l'opération doit-elle être entourée de formalités et de
précautions diverses. Ce principe était strictement observé
sous l'ancien régime et les habous se trouvaient figés en une
véritable mainmorte, mainmorte qui était de nature à gêner
l'œuvre du Protectorat,
notamment la création ou le développe
ment des villes nouvelles. Aux termes du dahir de 1913, ces
biens peuvent désormais faire l'objet de cessions par voie d'ad
judication aux enchères publiques, à charge de remploi. Et
c'est ainsi que depuis 1914, il a été consenti,
culiers,
soit à des parti
soit à des services publics 2.770 cessions immobilières
pour une somme globale de 57 millions de francs. Un très
— petit nombre cinquante
— ayant
pour objet des terrains de
culture d'une superficie globale de 4.600 ha sont intervenues
en faveur de l'Etat, pour les besoins de la colonisation. Bien
entendu, l'Etat n'a bénéficié d'aucune faveur et a payé, dans
tous les cas, un prix en rapport avec la valeur vénale réelle
des terrains.
Au début, le produit des aliénations était employé à l'achat
de nouveaux immeubles. Mais, de bonne heure,
sur les sugges-

- 370
—
tions du Gouvernement et des Municipalités, préoccupés par la
crise des logements dans les Médinas, le Vizirat a décidé d'af
fecter les sommes à remployer à la réalisation d'un vaste pro
gramme de constructions, à l'usage exclusif des Indigènes.
A ce jour, le capital investi est de l'ordre de 47 millions de
francs. Il a servi à construire plus de mille maisons, un mil
lier de boutiques, 25 bains maures, 20 fondouks, 8 kissaria,
8 fontaines, 11 mosquées,
des écoles coraniques etc.
Le plus gros effort a été fait à Casablanca où l'on a édifié,
à proximité du Palais du Sultan, tout un quartier indigène
comprenant 413 maisons, 500 boutiques, 2 bains maures,
4 fondouks et deux mosquées dont la plus importante a
coûté plusieurs millions. L'ensemble représente une dépense
de 14 millions de francs. Les travaux ont été exécutés en style
« médina », en tenant compte des conditions de l'hygiène et du
confort moderne (égouts, eau courante, électricité). Les mai
sons agencées suivant les goûts et les us et coutumes de la
clientèle indigène, comportent deux ou trois pièces, avec W.-C,
cuisine et patio. Leur valeur locative est modique. Elle varie
de 30 à 200 francs par mois. L'aménagement des boutiques a
été réalisé en tenant compte des besoins des commerçants et
des artisans.
Ce programme est loin d'être achevé. Il prévoit, au contraire,
des constructions importantes notamment à Marrakech, Casa
blanca, Rabat,
Meknès et Fès. Le Vizirat a pu se rendre compte
des avantages du mode de remploi adopté qui a pour effet de
fournir du travail à un nombre important d'ouvriers et d'arti
sans, de contribuer à réduire la crise des logements et à sup
primer les « bidonvilles » et enfin d'augmenter les revenus des
Habous.
Le recensement du patrimoine productif des Habous a été
fait et le résultat des opérations consigné dans des sommiers
de consistance. Il accuse 22.000 immeubles bâtis (dont 13.000
grevés de menfaa) évalués à 460 millions et 28.000 terrains
nus estimés à 230 millions. Les revenus qui, dès l'année hégi-
rienne 1332 (1914) formaient un total de 1.870.000 francs se
sent élevés progressivement, grâce aux réformes apportées par
le Vizirat, à 17 millions de francs en 1351 (1933). Avec la crise,
ils ont subi une baisse sensible (plus de deux millions). Mais,

- 371
-
et encore que les nouvelles constitutions de habous soient très
rares depuis le Protectorat, il est permis d'espérer qu'ils attein
dront dans quelques années le chiffre de 20 millions de francs,
en raison des constructions à réaliser et de la restauration pro
gressive des anciens immeubles.
A première vue, ce chiffre paraît loin d'être en rapport avec
celui de la valeur vénale du patrimoine. C'est que beaucoup
d'immeubles consistent en des terrains à bâtir improductifs ;
d'autres (13.000 environ) sont grevés de droits de menfaa au
profit de particuliers, tenus simplement au service d'une rede
vance, d'autres encore, pour des raisons politiques ou sociales,
sont loués à prix réduit à des tribus, des chorfas ou de petits
artisans.
Si les revenus sont modiques, les charges sont nombreuses.
On peut les grouper de la manière suivante :
a) —
I. Traitements et allocations
Fonctionnaires de gestion.
Ils
comprennent le personnel
du Vizirat (seul le Vizir est payé sur le budget de l'Etat),
85 Nadirs, 248 agents divers (adouls, secrétaires.., etc.). Leurs
traitements, augmentés d'une remise de 5 % sur les recettes,
faite aux Nadirs pour couvrir les frais de perception et aussi
pour stimuler leur zèle en les intéressant aux recouvrements,
atteignent le total de plus de 2 millions de francs par an.
b) Agents du culte.
—
Imans, Khatibs, Muezzins, Hazzab,
etc., au nombre de 7.000 environ.
En principe, ces agents doivent remplir leurs fonctions gra
tuitement. Mais de nombreux immeubles ont été constitués
habous en vue de leur rémunération. Les crédits affectés à
cette fin qui étaient de 203.800 frs en 1914,
s'élèvent à l'heure
actuelle à près de trois millions. En outre, certains de ces
agents continuent, suivant des errements anciens, à avoir la
jouissance directe des immeubles affectés à leur fonction.
c) —
Les membres de l'Enseignement musulman.
Sous
l'an
cien régime, leurs émoluments consistaient en allocations en
argent ou en secours en nature servis par le Makhzen et, dans
certaines villes, en une faible mensualité concédée par
Sui-
le

372
tan sur les revenus des Habous. Depuis 1914,
dans le but de
donner une impulsion nouvelle au haut enseignement musul
man et surtout de relever le prestige de l'Université de Qa-
raouyine,
le Vizirat a pris en charge le service d'un traitement
mensuel aux oulémas (professeurs). De ce fait, la dépense
imposée aux fondations pieuses,
modique au début (46.000 frs
en 1914), a augmenté d'année en année. Elle s'élève, depuis la
réorganisation de l'Université de Qaraouyine,
à 700.000 frs.
—
d) Les étudiants ou « tolbas ». Ils sont logés gratuitement
dans des immeubles habous appelés médersas. Ils bénéficient
en outre de distributions en nature (un pain par jour) payées
au moyen de revenus provenant de fondations particulières et
qui, à l'heure actuelle,
dépassent le chiffre de 200.000 francs.
En définitive, les Habous distribuent annuellement environ
6 millions de francs en traitements,
allocations diverses ou
secours. Us emploient plusieurs milliers de personnes, à des
postes dont quelques-uns sont rémunérateurs et constituent
des débouchés pour l'élite intellectuelle, tandis que les autres,
surtout les fonctions du culte, n'apportent à leurs titulaires
qu'un supplément de revenus.
II. Travaux -
Main-d'œuvre
—
Artisanat.
En principe, les revenus des Habous doivent servir, en pre
mier lieu, à l'entretien des immeubles de rapport, qui ont
besoin d'être maintenus en état de productivité pour permettre
d'assurer la pérennité des fondations pieuses. Ce principe a été
peTdu de vue sous l'ancien régime. Tous les immeubles urbains
étaient en très mauvais état. Leur restauration eût nécessité
des capitaux importants. On a dû se borner à prélever tous les
ans, sur le montant des recettes, une somme déterminée qui,
modique au début, n'a cessé de s'accroître pour atteindre le
total de près de 3 millions de francs. A ce jour le total du capi
tal investi pour la remise en état des immeubles de rapport
s'élève à 32 millions de francs.
Faute de revenus, les édifices du culte n'étaient plus entre
tenus. Certains d'entre eux menaçaient ruine. Là encore un
effort constant et progressif a été fait depuis 191,4. Il se chiffre

- 373
—
à plus de 26 millions. Parmi les travaux importants réalisés, il
convient de signaler la restauration de la Koutoubia à Marra
kech (1.800.000 francs), de la grande mosquée de Taza (400.000
et de la mosquée des Andalous à Fès (500.000 frs). Un
francs)
crédit de deux millions et demi est prévu tous les ans au budget
pour poursuivre le programme de conservation des mosquées
et sanctuaires. Si l'on tient compte de trois ou quatre millions
investis dans de nouvelles constructions, la masse des travaux
exécutés annuellement par les Habous, ressort à 9 millions ou
10 millions. Ces travaux font l'objet de marchés à forfait, par
voie d'adjudication aux enchères publiques, au profit exclusif
d'entrepreneurs musulmans. La main-d'œuvre est uniquement
indigène,
même pour la plupart des spécialités habituellement
réservées à des Européens (coffreurs et ferrailleurs de ciment
armé, plombiers, électriciens, etc.). Un millier d'ouvriers sont
ainsi employés en permanence sur les chantiers habous. L'ar
tisanat indigène du bâtiment tire le meilleur profit de cette
nouvelle forme de l'activité des Habous qui, au surplus, paraît
avoir une heureuse influence sur l'art musulman, tombé en
décadence.
Au Maroc, l'activité architecturale, due principalement au
fait du Prince,
a toujours été en rapport étroit avec la pros
périté des dynasties. Les almoravides mais surtout les almo
hades et les mérinides ont été de grands bâtisseurs. L'édification
de palais somptueux, d'importantes mosquées et médersas,
d'ouvrages militaires de défense, aux portes monumentales,
nécessitait le concours de nombreux artisans spécialisés dans
la sculpture sur pierre, sur bois ou sur plâtre, voire dans la
fabrication et l'assemblage de zellijs (terre cuite émaillée).
Sous la dynastie actuelle des chorfas alaouites l'art musulman
a décliné. L'artisanat a connu cependant une période de pros
périté avec Moulay Ismaïl,
actif et puissant bâtisseur. Les
successeurs immédiats de ce Sultan se sont efforcés de suivre
son exemple. Mais, depuis la mort de Moulay Sliman (1816)
qui fit rebâtir plusieurs portes et élever de nouvelles mosquées,
l'activité architecturale des Sultans subit un grand ralentisse
ment pour disparaître avec Moulay Abdelaziz et Moulay Hafid.
Dès lors,
on pouvait se demander si les corporations d'artisans
qui avaient collaboré à tant de monuments remarquables
25

- 374
—
n'avaient pas fini par s'éteindre, faute d'ouvrage. Heureuse
ment, quelques-uns de ces artisans existaient encore dans les
diverses villes, grâce sans doute à l'édification d'opulentes
demeures pour des dignitaires du Makhzen ou de riches
notables. Ils avaient hérité des vieilles techniques qui s'étaient
transmises de génération en génération. Or, l'Administration
des Habous avait besoin de leur concours pour restaurer un
giand nombre de mosquées parmi les plus belles, sans porter
atteinte à leur caractère artistique. Sous la direction éclairée,
soit de l'architecte des Habous, soit du Service des Beaux-Arts
et des Monuments historiques, ces artisans ont pu se perfec
tionner dans les anciennes techniques, étudier les modèles les
plus purs, s'en inspirer et les reproduire à l'occasion de la
construction de nouvelles mosquées. La réalisation en 1936, de
celle de Sidi Mohammed à Casablanca atteste leur habileté
manuelle et les progrès qu'ils ont déjà accomplis. Cette
mosquée couvre une surface de plus de 5.000 m2- Son minaret
inspiré de celui de la Koutoubia, mesure 8 mètres de côté et
56 mètres de hauteur (potence comprise). Son aménagement
intérieur comporte de véritables travaux d'art (sculptures sur
bois et sur plâtre, revêtements en zellijs, etc..) et il est permis
de dire qu'aussi bien dans l'ensemble que dans le détail elle
peut supporter la comparaison avec les beaux édifices de
l'époque almohade.
Dans cet ordre d'idées, d'importants travaux restent à réa
liser. Ils nécessitent de la part des Habous un effort soutenu et,
si possible, progressif, pendant plusieurs années. Mais il sera
limité et insuffisant pour donner l'essor qu'elles méritent aux
corporations des artisans du bâtiment. Les Habous auront eu
le mérite d'avoir montré la voie à suivre et fait la preuve qu'il
suffit d'apporter à ces corporations l'aide et l'encouragement
nécessaires pour opérer une véritable renaissance de l'art
musulman au Maroc.
III. Fournitures pour les édifices du Culte.
(Nattes, huile, eau, etc..)
Elles font l'objet d'un crédit annuel de un million et demi
de francs dont la plus grande partie est employée à l'achat de

- 375 —
nattes pour les mosquées. L'Administration des Habous con
tribue ainsi dans une certaine mesure à assurer l'existence des
corporations de nattiers qui, dans certaines villes, comme Salé
et Marrakech, comprennent un nombre important de maalems
et d'apprentis.
IV. Bienfaisance et assistance.
La plupart des habous sont constitués au profit du culte. Ceux
qui intéressent la bienfaisance sont peu nombreux, sauf à Fès
où le maristane (asile) de Sidi Fredj est doté de revenus assez
importants. La contribution du Vizirat aux œuvres d'assistance
esl donc nécessairement limitée. Elle a cependant augmenté
progressivement pour atteindre le chiffre de un million. Elle
consiste dans l'entretien des maristanes de Fès et de Meknès et
surtout dans des subventions allouées aux sociétés indigènes
de bienfaisance.
Le budget des Habous est alimenté presque exclusivement
par le produit des locations.
Ces locations sont faites par voie d'adjudication aux enchères
publiques sauf pour les locaux nécessaires aux petits artisans
ou certains terrains de grande étendue occupés par des tribus,
à prix réduit.
En ce qui concerne le patrimoine urbain, environ 13.000 im
meubles à usage commercial ou industriel sont détenus par des
tiers en vertu de droits de menfaa (droits perpétuels de jouis
sance). Ces droits, préjudiciables aux intérêts des Habous,
offrent du moins l'avantage de favoriser le commerce et l'in
dustrie en assurant aux bénéficiaires la stabilité de leur instal
lation et l'entière disposition de locaux moyennant le service
d'une simple redevance.
Le patrimoine rural se compose de 40.000 parcelles d'une
contenance globale de 25.000 ha environ. Sauf de rares excep
tions,
ces parcelles disséminées sur l'ensemble du territoire
— soumis au chraa il
n'y a pas de habous en pays berbère —
sont de faible contenance. Elles consistent souvent en des ver
gers situés à proximité, voire à l'intérieur des périmètres
urbains et, dès lors,
considérés comme des terrains à bâtir.

- 376
-
Elles sont louées tous les ans, à des Indigènes, aux enchères
publiques. Cependant, soixante parcelles environ d'une conte
nance totale d'un millier d'hectares font l'objet de locations à
long terme pour 10, 20, 30 ans au profit d'Européens. Ces loca
tions permettent la création d'exploitations agricoles dans des
conditions avantageuses puisqu'elles dispensent le preneur de
la mise de fonds nécessaire à l'achat du terrain. Elles sont
cependant peu recherchées,
sans doute en raison de la clause
obligatoire et impérative qu'à l'échéance du terme, l'immeuble
doit être remis aux Habous, tel qu'il se comporte, sans aucune
indemnisation au preneur pour les impenses effectuées. Dans
l'ensemble,
le patrimoine rural est d'un rapport peu élevé. Sa
gestion par les Nadirs de villes est souvent malaisée. Du point
de vue strictement financier, les Habous auraient sans doute
intérêt à en poursuivre l'aliénation progressive pour remployer
le prix à des constructions urbaines d'un rendement nettement
supérieur. Mais, dans les conjonctures actuelles,
il serait pour
le moins inopportun d'aliéner un patrimoine qui constitue une
sorte de réserve pour le paysannat indigène.
*
**
— Habous de famille. Les considérations qui précèdent s'ap
pliquent uniquement aux Habous publics, à l'exclusion des
Habous de famille sur lesquels le Vizirat a un simple pouvoir
de contrôle.
Cette dernière forme de Habous tend à constituer une pro
priété familiale plutôt qu'à créer de nouvelles fondations pieu
ses. Les biens qui en font l'objet sont mis hors du commerce et
soustraits au régime successoral, mais ils ne profitent aux
œuvres instituées qu'à l'extinction de nombreux bénéficiaires
intermédiaires. Ces bénéficiaires qui, d'une manière générale,
se confondent avec les descendants en ligne masculine du dis
posant,
possèdent un droit de jouissance viager et incessible
qui se transmet de génération en génération suivant les pres
criptions de l'acte constitutif. Ils sont appelés au partage des
revenus en vertu d'une vocation personnelle et non en qualité
d'héritiers. Ainsi tout musulman peut protéger son patrimoine
contre les entreprises du Prince —
les
biens habous étant à

— - 377
l'abri de toute mesure de confiscation —
contre
l'immixtion
d'éléments étrangers à la famille pouvant résulter du mariage
des femmes et du jeu de la loi successorale et surtout contre
l'esprit de prodigalité ou d'insouciance de ses enfants.
Partant, le habous de famille apparaît comme le procédé le
mieux indiqué pour résoudre la question du paysannat indi
gène en Afrique du Nord. Il était déjà préconisé en 1911, par
le Professeur Larcher, à l'effet de remédier à l'imprévoyance
du fellah algérien qui se dépouillait trop facilement de sa
terre pour obtenir l'argent nécessaire à la satisfaction d'un
besoin immédiat. Et cependant, cette institution si intimement
liée à la vie sociale et économique des musulmans, n'est guère
eu faveur dans les pays évolués. En Turquie, elle a été radica
lement supprimée par Mustapha Kemal Pacha, et en Egypte,
les intellectuels, représentant l'élément progressiste de la popu
lation,
en demandent l'abolition. Ils font ressortir qu'en met
tant obstacle à la libre circulation des biens,
source de toute
richesse, le habous entraîne le pays à la ruine. Le nombre de
biens qu'il grève, déjà important, augmente d'année en année
dans de notables proportions et la mainmorte avec tous ses
inconvénients tend à couvrir la plus grande partie du terri
toire. D'autre part, à mesure que les générations se succèdent,
le nombre des bénéficiaires se multiplie, la part de chacun
d'eux devient insignifiante et le habous finit par ne plus pro
fiter qu'au gestionnaire. Enfin,
la mise en valeur des biens ne
peut être assurée d'une manière rationnelle. Leur nature juri
dique exclut toutes possibilités de crédit et, d'autre part, les
bénéficiaires intermédiaires, simples usufruitiers, n'ont aucun
intérêt ni à investir des capitaux ni à constituer un fonds de
réserve pour procéder à des améliorations qui, très souvent, ne
leur profiteraient pas.
Ces arguments ne manquent pas de valeur. Ils sont perti
nents aussi bien pour les habous que pour tout autre procédé
de constitution du bien de famille. L'émiettement des parts, les
difficultés d'établir un système de crédit nécessaire aux tra
vaux d'exploitation et de mise en valeur paraissent constituer
des écueils redoutables à toute réforme que l'on voudrait tenter
pour fixer l'Indigène au sol en dérogeant au principe écono
mique de la libre circulation des biens.

Au Maroc,
378
on ne connaît pas encore le nombre exact des
biens grevés de habous de famille. On n'a pas pu procéder à un
recensement d'ensemble. La gestion de ces biens, soumise en
principe au contrôle du cadi, était en fait assurée par les béné
ficiaires intermédiaires, soit directement, soit par voie de loca
en dehors de toute intervention. Le plus souvent les béné
tion,
ficiaires procédaient à un partage provisionnel et jouissaient
de leurs lots respectifs en toute liberté et en pleine indépen
dance. Ils étaient d'ailleurs les seuls détenteurs des actes de
constitution qui n'avaient fait l'objet d'aucune inscription ni
dans les archives des habous publics, ni à la mahakma du cadi.
Le public, et même les autorités, pouvaient donc ignorer l'exis
tence de ce habous et voir dans la jouissance des bénéficiaires
intermédiaires une véritable possession à titre melk.
A la vérité, du moins dans les villes, la plupart étaient connus
et ont pu dès le début du Protectorat,
être inscrits sur les livres-
sommiers des Nadirs locaux qui, en qualité de représentants du
Vizirat sont tenus d'exercer un contrôle sur la gestion des béné
ficiaires intermédiaires. Désormais, les aliénations doivent
faire l'objet d'une autorisation préalable du Sultan et toute
location pour un terme supérieur à deux ans est soumise à la
procédure de l'adjudication aux enchères publiques et à l'ap
probation du Vizirat.
Les biens ainsi reconnus et régulièrement inscrits se com
posent surtout d'immeubles urbains ou suburbains (maisons,
boutiques, terrains à bâtir, vergers). Ils ne sont ni nombreux
ni importants, et ne méritent pas d'être pris en considération
pour l'examen de toute question intéressant l'ensemble de
l'Empire.
D'autres constitutions existent sans doute, surtout dans les
campagnes, mais les bénéficiaires intermédiaires prennent les
plus grandes précautions pour les laisser ignorées, dans le but
soit de se soustraire au contrôle du Vizirat, soit de transformer
leur droit viager de jouissance en pleine et entière propriété. En
apparence, leur possession s'exerce à titre de propriétaire. Il
leur est ainsi facile de faire dresser à leur profit des moulkyas
régulières qui leur permettront soit de demander l'immatricu
lation des immeubles,
soit de procéder à leur aliénation. C'est
seulement à la suite d'un désaccord survenu entre eux, voire à

- 379
—
l'occasion d'un litige avec un tiers ou d'une vente que le Vizirat
est quelquefois informé de l'existence de ces constitutions. La
tendance très nette des bénéficiaires intermédiaires à s'appro
prier des biens constitués à leur profit indique une désaffection
des Indigènes pour les habous de famille. Il faut ajouter que,
depuis le Protectorat et sans raison apparente, les nouvelles
constitutions sont de plus en plus rares. Celles qu'on a pu en
registrer au cours de ces dernières années présentent d'ailleurs
un caractère particulier : elles écartent délibérément toute
éventualité de dévolution définitive à une œuvre pîe. Une stipu
lation formelle prévoit, au contraire, qu'à l'extinction des dévo-
lutaires intermédiaires, les biens feront retour, à titre melk, à
l'hoirie du disposant. De tels actes sont improprement dénom
més habous. Ils tendent uniquement à tourner la loi successo
rale et dès lors leur licéité paraît pour le moins douteuse. En
tous cas, le Vizirat estime qu'ils ne rentrent pas dans le cadre
des habous soumis à son contrôle et bénéficiant de sa protection.
Conclusions
En définitive, les habous de famille sont en nombre très res
treint. Du point de vue général, leur rôle économique est à peu
près nul.
Les Habous publics sont certes plus importants. Ils ne sau
raient cependant être considérés comme un facteur appré
ciable pour l'ensemble de l'économie marocaine. Leur budget
de quinze millions de francs représente bien peu de chose à
côté de celui de l'Etat qui dépasse un milliard. Mais, dans toute
la mesure de ses moyens, l'Administration des Fondations
Pieuses, grâce aux réformes apportées par le Protectorat, con
tribue activement au développement du pays et au bien-être de
la Communauté musulmane.
Rabat,
7 avril 1938.

LA TURQUIE KEMALISTE
Contribution au moyen d'un cas concret
à l'étude du conflit entre le droit public
occidental et le droit public oriental
PAR
G. SURDON
MAITRE DE CONFÉRENCE A L'INSTITUT DES HAUTES ÉTUDES MAROCAINES
MEMBRE DES CENTRES D'ÉTUDES JURIDIQUES ET ADMINISTRATIVES DU MAROC
On connaît la désolante conclusion de Rudyard Kipling :
«.l'Orient c'est l'Orient, l'Occident c'est l'Occident,
jiamais ils
ne se rencontreront ». Elle vient après de nombreux récits
dans lesquels l'Occident se heurte à l'Orient. On voit en quoi
les deux conceptions du monde diffèrent. Mais nulle part on
ne dit pourquoi elles ne pourront jamais se rencontrer. C'est
sans doute parce que n'en voit Kipling pas la cause qu'il se
borne à une affirmation tranchante qui évoque, pour les aspi
rations des peuples du proche Orient et les acquiescements des
peuples d'Occident avec lesquels ils collaborent, la désespé
rance de Dante :
Lasciate ogni speranza 6 voï ch'entrate !
Mais voici qu'à l'appel d'une volonté puissante façonnée
par l'Occident, l'Etat le plus représentatif de l'Orient tradi
tionnel, la Turquie, s'est poussé d'un seul coup
au premier

ang
- 382
-
des formes du droit public de l'Occident. De par la
Mustapha Kemal
volonté d'un homme très remarquable,
Pacha, qui se dénomme aujourd'hui Ataturk, le Père de la
Turquie, l'Orient et l'Occident se sont rencontrés. Kipling a
cessé d'avoir raison. C'est en décrivant sommairement ce
qu'était la Turquie- avant Mustapha Kemal que l'on fera com
prendre en quoi le grand écrivain a eu tort d'être absolu dans
son affirmation. On ne saurait mieux faire que d'emprunter à
un Turc la comparaison des Turcs et des Français au début
du XVIIIe siècle. Le Sultan Turc Ahmed III avait envoyé à la
Cour de Louis XV encore enfant, un ambassadeur du nom de
Mohammed Effendi. Voici comment ce diplomate dépeignit à
son maître les Français, qu'il appelle des Francs : « Les
Francs ne ressemblent pas plus aux Turcs que la nuit ne res
semble au jour. Quand nous entrons dans un appartement,
nous ôtons nos chaussures et demeurons la tête couverte. Les
Francs, eux, gardent leurs souliers et enlèvent leur chapeau.
Nous laissons croître notre barbe et rasons nos cheveux. Ils
laissent croître leurs cheveux et rasent leur barbe. Nous écri
vons de droite à gauche, ils écrivent de gauche à droite. Nous
mettons les tapis sous les tables, ils les mettent dessus... Bref,
concluait ce diplomate, mettez un Turc la tête en bas, les pieds
en l'air, vous aurez un Franc ».
Cette comparaison traduisait très exactement les opposi
tions qui ont toujours existé entre l'Orient et l'Occident dans
le domaine du droit public. M. E. F. Gautier, professeur hono
raire à la Faculté des Lettres d'Alger, l'étincelant auteur des
Siècles obscurs du Maghreb et de Mœurs et Coutumes des
Musulmans,
en a dépeint avec une exactitude soulignée
d'humour les principales caractéristiques. Il a montré qu'en
Occident la clé de voûte de l'Etat a toujours reposé sur le sol ;
nous ajouterons : même au temps où Louis XIV faisait établir
par ses légistes la théorie de la monarchie de droit divin,
tout principe théocratique étant rigoureusement absent des lois
fondamentales du royaume. En Orient, au contraire, jamais
on n'a rencontré de liens juridiques de droit public entre le sol
et les habitants : ou bien c'était l'état tribal et la clé de voûte
de l'Etat reposait sur les liens du sang, sur la parenté par les
mâles ; ou bien c'était la théocratie, et la clé de voûte de l'Etat

— - 383
était au ciel. Sol, ciel, tels ont toujours été les deux termes de
l'opposition entre les concepts du droit public de l'Occident et
de l'Orient.
Le Prophète Mahomet a été le fondateur d'une religion et
aussi d'un Etat. Depuis 622, date de l'Hégire, on a eu, dans le
monde de l'Orient, la variété musulmane de la théocratie. Sous
les quatre premiers Califes c'est la théocratie musulmane
pure : le chef de l'Etat est Allah. Le Calife n'est que le lieute
nant du Prophète d'Allah pour la simple gérance de l'Etat. Le
Calife n'est qu'un gérant. Ce n'est pas un souverain bien qu'il
ait toute l'autorité entre les mains. Mais voici Moaouia victo
rieux d'un conflit aigu avec le Calife Ali au moyen d'un sub
terfuge d'arbitrage. Avec lui le gérant va devenir sultan, ou,
comme le dit Ibn Khaldoun, le grand juriste de droit public,
dans son Introduction, un monarque. Désormais la gérance
devient viagère et héréditaire. Mais c'est toujours Allah qui
est le chef de l'Etat. La souveraineté, la monarchie sont théo-
cratiques,
ne cessent pas d'être théocratiques. Puis la commu
nauté musulmane, la Oumma se fractionne en une multitude
d'Etats. Chacun de ces Etats a comme chef Allah et comme
gérant viager et héréditaire, le souverain régnant, quelle que
soit son origine. A l'inverse de l'Occident où depuis l'apparition
du christianisme on vit sur la règle qu'il faut rendre à César
ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, l'Orient ne con
naît pas César. Il ne connaît que Dieu. Dans un semblable Etat
on rencontre des fonctionnaires publics mais non le service
public,
la souveraineté mais non le gouvernement. La notion
de fonction publique, depuis le Grand Vizir jusqu'au plus
humble des scribes, repose tout entière sur la notion de
mandat. A chaque instant le fonctionnaire musulman est dans
la main du souverain comme le mandataire l'est dans celle du
maître de la Chose. C'est l'arbitraire le plus pur qui le choisit,
qui lui attribue une fonction, le fait passer d'un emploi à un
autre et le rend au néant. En Occident le cornes stabuli, le
surveillant des écuries est devenu le connétable, le chef de
l'Armée ; le secrétaire du souverain est devenu le ministre. En
Orient musulman, le caïd Roua, ou chef des écuries est
demeuré jusqu'à nos jours le préposé aux soins de l'écurie
souveraine, le secrétaire est demeuré secrétaire.

- 384
-
La Turquie, sauf quelques réformes superficielles, "était un
Etat de ce type.
Nous voici en 1922. L'Homme malade agonise. Les troupes
grecques à l'effectif de plusieurs centaines de mille hommes
occupent la Turquie depuis la mer Egée au Sud de Smyrne,
jusqu'au cœur de l'Anatolie. Constantinople est occupée par
les armées alliées. Les hommes les plus influents qui sont au
Gouvernement n'hésitent qu'entre deux solutions : placer la
Turquie sous le Protectorat britannique ou sous le Protec
torat américain.
Mais un chef a surgi qui a su grouper en un faisceau puis
sant les énergies du pays. Il a réussi à faire élire une grande
Assemblée nationale qui s'est réunie à Sivas. Elle décide, sur
sa proposition, que la souveraineté appartient à la Nation. Ce
geste, hardi pour un Oriental,
puisqu'il est de caractère occi
dental, a pour effet d'empêcher le Sultan qui règne à Constan
tinople de consommer la ruine de la Turquie. Le chef est un
jeune général de 40 ans à peine. C'est Mustapha Kemal Pacha.
S'étant ainsi assuré que pendant qu'il se battra,
son pays ne
court pas le risque de disparaître juridiquement, il va se
mettre à la tête de l'armée qu'il a su réorganiser. Quel prodige
à lui seul que ce redressement opéré sur des soldats qui se
battent depuis 12 ans ! Et le 26 août 1922, à 4 heures du matin,
les troupes turques d'Asie Mineure prennent sous son com
mandement, l'offensive générale contre le front grec. Au soir
de ce même jour le front est enfoncé sur son point faible.
D'un seul élan les escadrons turcs lâchés à toute bride trans
forment la retraite grecque en déroute, et peu de jours après,
rafraîchissent leurs chevaux dans les eaux d'azur de la
mer Egée.
Mustapha Kemal avait taillé. Il lui fallait coudre. L'homme
d'Etat allait se montrer à la hauteur du chef d'Armée. Il s'ap
pelle maintenant le Rhazi, le Victorieux.
Mustapha Kemal qui a fait ses études à Lausanne, se met
à légiférer. Il a appris que les Etats d'Occident sont organisés
sur le principe qu'il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à
César ce qui est à César, autrement dit sur la séparation du
spirituel et du temporel. Il fait décider cette séparation le
1er novembre 1922 avec effet rétroactif du 16 mars 1920. Le

- 385
—
Califat continuera à être exercé par la famille Osman mais
le Calife sera choisi par l'Assemblée nationale.
Le 17 novembre 1922, à 6 heures du matin, dans l'aube bla
farde, le Sultan Mohamed VI s'enfuit sur un cuirassé de la
flotte britannique. Les accents de l'envoyé du Rhazi, Refet
Pacha, l'avaient impressionné. « Monsieur, lui avait dit le
jeune général, la situation présente ne peut se prolonger.
N'oubliez pas que vous êtes dans nos mains. Quant à vos
ministres, s'ils persistent à rester à leur poste contre la
volonté du peuple, ce sera la corde pour chacun d'eux ».
Le 18 novembre —
de temps —
on voit que Mustapha Kemal ne perd pas
le prince Abdulmajid, fils du Sultan Abdulaziz,
est proclamé Calife par la grande Assemblée nationale. La
notification faite par le Rhazi se termine par ces mots : « Je
prie le Tout-Puissant pour que votre élection soit une source
de prospérité et de bonheur pour le monde islamique ».
On voit apparaître ici l'idée de Mustapha Kemal. Le Calife
turc sera pour les Musulmans ce qu'est le Pape pour les
Chrétiens.
Tout le monde était de bonne foi. Et Mustapha Kemal qui
pensait avoir pourvu la Turquie et l'Islam d'une autorité spi
rituelle analogue à la papauté. Et le prince Abdulmajid qui
était très favorable au mouvement jeune turc en général, et
à Mustapha Kemal en particulier, puisqu'il avait consenti à
passer plus de vingt années dans la réclusion au palais de
Ildiz Kiosque plutôt que de renier ses sentiments d'amitié à
l'égard de ce mouvement.
La cérémonie d'investiture du nouveau Calife fut entourée
du plus grand éclat. On ouvrit devant lui les trois cassettes
d'or qui contenaient les reliques du Prophète. La première ren
fermait le manteau de Mohammed, enroulé dans une enveloppe
de soie, portant, brodés en or, des versets du Coran. L'ayant
déployé, Abdulmajid le baisa avec vénération,
et tous les per
sonnages qui l'entouraient en firent autant. Dans les deux
autres cassettes reposaient l'arc, l'étendard, le sabre et la
barbe du Prophète, ainsi que les écrits sacrés, transmis pieu
sement, comme un héritage divin, de Calife à Calife.
Puis eut lieu la cérémonie du baise-main devant le fameux
trône incrusté de milliers de rubis, d'émeraudes et de perles,
que les Turcs enlevèrent au Schah de Perse en 1514.

— - 386
Rien n'y manqua et les premiers à venir s'incliner devant
le Calife spirituel furent les délégués à la grande Assemblée
nationale.
La réalité allait cependant démontrer qu'il ne suffit point de
séparer le temporel du spirituel pour anéantir la théocratie.
L'opposition conservatrice se mit à organiser contre le régime
kemaliste un savant travail de sape, aidée de façon sournoise
par une partie de la presse de Stamboul et faisant même
intervenir des princes musulmans étrangers comme l'Agha
Khan.
La réaction pénètre jusqu'auprès de certains chefs mili
taires et politiques, comme Reouf Bey, président des commis
saires du peuple et le général Kiazim Kara Békir, ancien com
mandant d'armée, qui n'hésitent pas à soutenir le point de vue
que la Turquie devrait poursuivre une politique panislamique.
Alors le Rhazi fait preuve de sa décision habituelle. Le
29 octobre 1923 il déclare que la Turquie est une République
et le même jour la grande Assemblée nationale élit Mustapha
Kemal président de la nouvelle République. Le Rhazi
devient chef d'Etat.
Mais l'opposition ne désarme pas. La mentalité théocratique
se refuse à accepter les réformes ordonnées par le sauveur du
Pays. Aussi, malgré le loyalisme du Calife Abdulmajid, le
Rhazi fait-il voter le 6 mars 1924 une loi abrogeant le Califat.
A dix heures du soir, le même jour,
la nouvelle est notifiée à
Abdulmajid, qui est prié de prendre le train pour la Suisse le
lendemain à cinq heures du matin. Il vit encore dans une
retraite dorée sur les bords du Léman.
Il était temps ! Le 11 février les conservateurs faisaient
éclater une terrible insurrection dans le massif montagneux
du Kurdistan,
peuplé de deux millions et demi d'habitants. La
révolte kurde a son origine première dans l'application de lois
occidentales modernes à des tribus incapables d'en saisir la
portée. Mais la population n'aurait sûrement pas pris les armes
pour cette seule raison contre la République si un chef ambi
tieux n'avait saisi l'occasion de proclamer la religion menacée.
Les montagnards kurdes partirent en guerre aux cris de :
« Nous voulons le Chrâa ». Trois corps d'armée furent
employés à la répression, et le 28 juin 1924 l'insurrection avait

387
son épilogue macabre : quarante-six cheikhs furent pendus à
la nuit tombante devant la grande mosquée de Diarbékir.
La révolte kurde fut une grande épreuve pour la Turquie.
Des milliers de victimes périrent, des villages entiers furent
détruits et des dizaines de millions de livres turques furent
dépensées. La Turquie fut menacée de paralysie.
Mustapha Kemal allait du moins pouvoir se donner tout
entier à l'équipement de la Turquie en Etat Occidental. Mais
la tâche était loin d'être aisée. Légiférer ne suffisait point ou
du moins il lui fallut légiférer dans un domaine très vaste et
c'est ici qu'il faut se souvenir de la comparaison de l'ambas
sadeur Mohammed Effendi. Le droit public oriental devait être
modifié depuis la façon de se coiffer jusqu'à celle de conduire
l'Etat. Il fallait remettre le Turc à l'endroit.
Il ne sera utile de parler que de deux réformes : celle de
la coiffure et celle de la réunion des sexes. Cela suffira à
donner une idée des difficultés que Mustapha Kemal eut à
vaincre pour faire de la Turquie une nation au sens que nous
attachons à ce mot.
Les détails qui vont suivre sont empruntés à une étude très
intéressante de M. Paul Gentizon parue aux Editions Boissard
en 1929.
On sait que la coiffure a toujours joué un rôle important
dans l'Orient musulman. Elle permettait en effet de distinguer
non seulement la race, la nationalité, la religion, les opinions
politiques des individus mais aussi leur profession.
Jusqu'au Sultan Mahmoud II qui ordonna la première
réforme des couvre-chefs, c'est-à-dire jusqu'en 1829, les
Turcs étaient obligés de se coiffer selon leur rang, leurs fonc
tions et leurs croyances, d'un turban dont la forme,
les dimen
sions et la couleur étaient minutieusement réglementées.
Le Padischah avait ses turbans. Il y avait celui pour le
divan, c'est-à-dire le Conseil du Gouvernement,
celui des céré
monies, celui de la chasse, celui de la guerre.
Le grand-vizir portait un turban blanc en forme de pain de
sucre coupé en son milieu d'un ruban d'or.
(grand amiral) et le Kislar-agha (chef des ennuques)
Le capitan-pacha
en arbo
raient un semblable avec cette différence que le ruban était
placé de biais, de droite à gauche pour l'amiral et de gauche à
droite pour le chef des eunuques.

388
Dans l'armée les différents corps de troupes se distinguaient
par une abondance de coiffures des plus bizarres. Les artisans
des diverses corporations, les écrivains publics, les étudiants,
les derviches, les fonctionnaires, les docteurs, les gens de loi,
les porteurs d'eau, les portefaix, les bateliers se distinguaient
les uns des autres par leur turban. Les couleurs vives et
joyeuses comme le rouge, le blanc, le vert étaient réservées
aux musulmans. Les membres des autres confessions n'avaient
droit qu'aux couleurs sombres.
Mahmoud II introduisit en 1829 le costume occidental et
supprima le turban, sauf pour ceux qui exerçaient une fonction
religieuse. Le turban fut remplacé par le fez. Et voici qui
évoque le Maroc Cette coiffure, originaire de la prestigieuse
cité idrissite, avait été introduite en Orient dès le XVIII" siècle
par les hardis corsaires salétins. Il avait été adopté comme
coiffure officielle en Egypte en 1824 par Mehemet Ali.
Chose curieuse, cette coiffure fut très mal accueillie par les
vrais croyants comme personnifiant un programme de révo
lution sociale inspiré par l'Europe. C'est-à-dire par des
Infidèles.
Les khodjas poussèrent le peuple à la résistance. Des insur
rections éclatèrent en Albanie, en Macédoine, en Bosnie, à
Bagdad. A Constantinople même, la révolte gronda. Lorsque le
Sultan se montrait dans la rue, la populace allait jusqu'à lui
jeter des pierres. On raconte même qu'un jour Mahmoud II
traversait à cheval le pont qui reliait Stamboul à Galata lors
qu'un derviche appelé Cheikh Satchili et que le peuple vénérait
comme un Saint,
« Padischah, giaour,
saisit la bride de la monture en s'écriant :
n'es-tu pas repu d'abominations ? Allah
te demandera compte de ton impiété. Tu ruines l'Islam et
attires la malédiction du Prophète sur nous tous ! ». Les aides
de camp essayèrent de lui faire lâcher prise et le Sultan, haus
sant les épaules, dit : « C'est un fou ! ». « Fou », reprit le der
viche avec indignation, « non, je ne suis pas fou. C'est toi,
Padischah giaour, ce sont tes infâmes conseillers,
c'est vous
autres qui êtes des insensés. L'esprit de Dieu parle par ma
bouche : je dois lui obéir et confesser la vérité ; il m'a promis
en récompense la couronne du martyre ». Le vœu du derviche
fut exaucé : il fut conduit au supplice. Mais la révolte redoubla,

- 389
-
Des exaltés tentèrent même de mettre le feu à la ville. Une
nuit, dix mille maisons flambèrent à Péra,
résidence des Euro
péens. Et le lendemain les libelles avertissaient que le sérail
serait aussi incendié si le monarque continuait à souiller la
ville en imitant les infidèles.
Quarante-cinq ans après, sous Abdulhamid, le Sultan rouge,
le fez symbolisait l'esprit traditionnaliste, national et religieux.
C'était un signe de ralliement pour les orthodoxes. Son abandon
aurait été une offense à la foi coranique !
Le fanatisme religieux s'exerça désormais contre le chapeau.
Les Européens étaient appelés chapkali,
Ce n'était pas un compliment.
porteurs de chapeaux.
Et voici qu'avec Mustapha Kemal Pacha le fez devient le
symbole de l'esprit de réaction.
La transition se prépare avec l'apparition, en 1908, du
Kalpak, bonnet d'astrakan, assez élégant, adopté par les
jeunes Turcs pour marquer leurs idées politiques et leur
volonté de considérer le Sultan comme mandataire de la Nation.
Et aussi pour marquer leur hostilité à l'Autriche-Hongrie qui
venait d'annexer la Bosnie Herségovine,
du fez.
centre de fabrication
•
« \ ?J .
Mustapha Kemal ne fait pas la réforme d'un coup. Il com
:\\
mença par ordonner l'adjonction d'une vizière au képi, dans
l'armée,
au printemps de 1925. Puis il entra en lice.
Avec un réel courage le Rhazi paya d'exemple. Le 1er
sep
tembre 1925, à Costamouni, petite ville d'Anatolie, située entre
Angora et la mer Noire, il apparut à ses concitoyens coiffé d'un
chapeau. Puis, tantôt coiffé d'un melon, tantôt d'un feutre ou
d'un panama, il entreprit par tout le pays une véritable tournée
de propagande. Mais il n'eut pas beaucoup de résultats. Alors
il l'imposa graduellement aux fonctionnaires de l'Etat, puis aux
employés des villes. L'élite porta le chapeau mais le peuple ne
marchait pas. C'est alors qu'une loi fut votée le 26 novembre,
rendant obligatoire le port du chapeau pour tous les citoyens.
Le croirait-on ? La mesure souleva la
protestation d'un des
plus glorieux artisans de la victoire turque, le Général
Noureddine Pacha,
Commandant de corps d'armée, qui avait
délivré Smyrne. Il déposa une motion disant que la loi surJe

— 390 -
port du chapeau violait l'article 103 de la constitution relatif à
la liberté individuelle. On passa outre mais ce geste traduisait
un sentiment qui se manifesta violemment dans les vilayets
orientaux du pays, près des montagnes kurdes. Les autorités
ne laissèrent pas s'étendre l'insurrection. A Sivas un imam fut
condamné à mort et pendu. A Erzeroum plusieurs douzaines
de condamnations à mort furent prononcées.
Cette réforme est l'une des plus lourdes de conséquences
parmi celles qu'ait réalisées Mustapha Kemal. En Occident,
c'eût été une réforme vestimentaire. En Turquie, c'était une
réforme de droit public.
Dès octobre 1922, pendant que les plénipotentiaires discu
taient à Moudania les conditions de l'Armistice, le Rhazi pré
conisait la réunion des sexes. « Un peuple, déclara-t-il, qui se
divise en deux catégories d'individus vivant chacun de leur vie
propre, d'un côté les hommes, de l'autre les femmes,
sera, tou
jours un peuple faible. Il nous faut arriver à une collaboration
des deux sexes pour le bien du pays ».
Ici encore il paie de sa personne. En septembre 1925 il pré
side à Smyrne à un bal qu'il avait voulu composé uniquement
de Musulmans et de Musulmanes. Ce fut le premier bal turc.
Un autre fut donné en l'honneur de la fondation de la Répu
blique. Dans ce dernier bal auquel assistaient tous les digni
taires de la République, députés, officiers,
la haute société turque en grande toilette,
avec les dames de
les danses se dérou
lèrent pleines d'entrain. Toutefois, vers deux heures du matin,
le Rhazi ayant remarqué que des officiers en uniforme ne se
livraient pas au plaisir du fox-trott, leur en fit l'observation.
Un lieutenant lui répondit que la faute en était aux dames, qui
avaient décliné toute invitation. Alors Mustapha Kemal s'écria
à haute voix : « Camarades ! je ne puis m'imaginer qu'il puisse
se trouver dans le monde entier une femme capable d'opposer
un refus de danser à un Turc portant l'uniforme d'officier. Et
maintenant je l'ordonne ! Dispersez-vous dans la salle ! En
avant, marche ! Dansez ! ». Bien entendu, toutes les dames et
demoiselles qui avaient entendu l'algarade et qui n'avaient osé
jusque là accepter l'invitation des officiers, du fait qu'elles
n'avaient pas été présentées à ces derniers, se levèrent aussitôt.
Et le bal se poursuivit dans la plus grande gaieté.

391
Depuis 1931 les femmes turques sont électrices. Elles sont
éligibles comme les hommes, c'est-à-dire si elles sont âgées de
trente ans et savent lire et écrire. Ce n'est pas illusoire car dès
1925,
Mustapha Kemal a créé à Smyrne une Ecole normale
d'institutrices.
Il crée un Service général de Statistique, qu'il place sous la
direction d'un savant belge réputé : M. Jaquard, grâce à qui
il peut effectuer le recensement de la population le 28 octobre
1927. Il révèle que la Turquie est habitée par 13.660.275 habi
tants ; que Stamboul renferme 810.000 âmes et Angora 75.000
(augmentation de 30.000 en cinq ans). On appréciera la gran
deur des difficultés qu'on eut à surmonter au moyen de deux
faits. D'abord la proportion des illettrés,
que l'on connut à ce
moment : 85 % environ. Ensuite les préventions qui régnaient
contre cette opération et qui sont assez bien traduites par cette
réponse faite par un cadi à un de ses amis, Sir Henry Layard,
orientaliste renommé, qui lui demandait des renseignements
sur la contrée, son histoire et son industrie :
« Mon illustre Ami... Ce que vous me demandez est aussi dif
ficile à connaître qu'inutile. Bien qu'ayant passé toute ma vie
dans ces lieux, je n'ai jamais compté le nombre des maisons,
ni celui de mes compatriotes qui l'habitent. Quant à savoir ce
qu'un individu charge sur ses mulets et un autre sur ses
chameaux, ce n'est pas là mon affaire. Mais surtout, pour ce
qui concerne l'histoire de ces lieux, Allah seul peut connaître
la quantité de boue et de confusion dans laquelle ont vécu les
Infidèles avant l'avènement du glaive de l'Islam ! O mon Ami,
ne cherche pas à faire des investigations sur les choses qui ne
te concernent pas. Tu es venu parmi nous et nous t'avons
accueilli avec bienveillance. Va-t'en en paix ».
C'était là l'opinion de tous les fonctionnaires turcs en 1892.
Elle n'avait pas changé en 1927.
Vers cette année-là,
la même opinion régnait chez certains
cadis marocains. L'Administration marocaine avait envisagé
l'éventualité d'allouer un traitement aux cadis. Elle avait
besoin de statistiques sur leurs revenus. Les uns pensèrent que
le traitement serait proportionnel au revenu déclaré. D'autres,
qu'on l'imputerait sur ce dernier. Les résultats de* l'enquête

- 392 -
donnèrent lieu à des résultats effarants. On constata que de
pauvres circonscriptions rurales rapportaient 200.000 francs
par an, et de riches ressorts urbains, 3.000 francs !
Mais Mustapha Kemal n'était pas homme à reculer. Il décréta
l'état de siège renforcé pour venir à bout de l'opération.
Le 28 octobre, du matin au soir, la circulation fut interdite
dans les villes comme dans les campagnes. Chacun dut rester
aux arrêts dans sa maison ou dans son appartement. Et l'on
connut enfin le chiffre de la population turque.
Le 23 décembre 1925 il modifie le calendrier orthodoxe
employé par les Grecs et les Arméniens ; les Latins catholiques
employaient le calendrier grégorien ; les Turcs officiels fai
saient partir l'année du 1er mars ; et les Turcs non officiels
utilisaient l'ère hégirienne.
Désormais seul le calendrier grégorien est utilisé. Par la
même loi la Turquie a adopté le comput de la journée de
24 heures.
Le 1er novembre 1928 il décida d'employer les caractères
latins au lieu des caractères arabes.
En 1928 on devient Turc jure soli et c'est là la marque la
plus complète de l'occidentalisation de la Turquie. Liens juri
diques de droit public entre le sol et les habitants. C'est à partir
de ce moment que la mentalité théocratique va pouvoir changer.
Dans le domaine de la législation de droit privé l'œuvre ne
fut pas moins considérable :
Mustapha Kemal a fait adopter : le Code civil suisse
désormais le mariage est possible entre Musulmanes et non
Musulmans ; le Code de commerce, qui est un amalgame des
codes de commerce allemand, italien et français ; il adopte le
Code foncier suisse et les codes correspondants de procédure.
Il rénove les arts.
Il crée de toutes pièces une industrie,
arsenaux.
—
allant des usines aux
Il crée un Conseil supérieur économique de la nation.
Enfin, et ce n'était pas le moins important, il a décidé le
transfert de la capitale d'Istamboul à Ankara, distante de 600
en plein centre de l'Anatolie.
kilomètres,
Comme on le voit et comme l'écrit M. Ahmed Rechid,
Professeur à l'Académie de Droit International de la « Haye, les

— — 393
changements qui se sont opérés en Turquie ces dernières an
nées, ne se réduisent pas à une variation dans la forme du Gou
vernement par la substitution de la République au Gouverne
ment du Sultan Calife et à des modifications dans les rouages
administratifs ; ils sont plus étendus, plus profonds».
Les réformes que l'on vient d'énumérer sont loin d'épuiser le
sujet. Il ne s'agit plus d'une révolution mais d'un bouleverse
ment intégral. La révolution française, ainsi que l'écrit M. Gentizon,
s'est limitée au domaine des institutions politiques ; la
révolution russe a porté le bouleversement dans les relations
sociales ; mais seule la révolution turque s'est attaquée à la
fois aux institutions politiques, aux relations sociales, religieu
ses, familiales, à la vie économique, aux mœurs et même aux
bases morales de la société.
En bon français et en employant le langage du droit public,
cela signifie que Mustapha Kemal a transformé la Turquie,
Etat oriental, pays de structure théocratique,
en un Etat occi
dental, en un pays de structure géographique et territoriale.
Il est aisé d'observer qu'il ne pouvait parvenir à cette trans
formation uniquement par la sécularisation de l'Etat ou par
la proclamation de la République.
En ce point il convient, en effet, de faire une remarque, qui
montre bien que pour faire une révolution en Orient il faut
encore se résigner à opérer à l'inverse de ce qui se passe en
Occident. En Occident,
c'est le peuple qui fait les révolutions.
En Orient, c'est un chef absolu qui les impose au peuple, au
besoin par la pendaison. La mentalité théocratique empêche
les choses de suivre un autre cours.
Le moment est donc venu d'indiquer les moyens employés
par Mustapha Kemal pour arriver à ses fins, c'est-à-dire à la
rénovation de la Turquie, à son occidentalisation. On l'a vu
faire : il est très courageux, il paie souvent de sa personne, il
est très actif. Mais cela ne suffit point. Il lui faut entraî
ner l'adhésion du Parlement turc, de la grande et unique
Assemblée nationale. Notre histoire montre combien il est diffi
cile de manier un parlement,
même lorsqu'il ne comprend
qu'une Chambre. Et voici le mécanisme de la constitution tur
que résultant de la loi organique du 24 avril 1924 : c'est une
combinaison de la constitution américaine et de la constitution

- 394
-
française. Les détails sont empruntés à une thèse de doctorat
juridique,
soutenue par M. Omar Redjai en 1934.
L'élection des députés se fait à deux degrés. Tout homme,
toute femme, âgés d'au moins 18 ans, jouissant de ses droits
civiques, a le droit de vote. Chaque groupe de deux cents élec
teurs primaires élit un électeur secondaire et chaque groupe
de cent électeurs secondaires a droit d'élire un député. C'est-
à-dire qu'il y a un député par vingt mille électeurs environ.
Sont éligibles les citoyens et citoyennes âgés de 30 ans
révolus,
quatre ans.
sachant lire et écrire. La durée du mandat est de
Ces députés doivent être, à l'image du chef de l'Etat, des
laborieux : un congé non autorisé prolongé pendant plus de
deux mois fait perdre la qualité de député.
Les ministres doivent être choisis obligatoirement parmi les
députés. Ils sont désignés par le Président du Conseil qui est
lui-même nommé par le Chef de l'Etat.
Les ministres sont responsables devant la grande Assemblée
nationale.
Le Président de la République est obligatoirement choisi
parmi les membres de la grande Assemblée. Il est irrespon
sable —
chacun
de ses actes doit être contresigné par un
ministre. Il est élu pour quatre ans.
Voilà l'apparence. Il est bien évident que s'il était constaté
Mustapha Kemal a accompli son œuvre immense avec le
concours ainsi organisé de la grande Assemblée nationale, on
devrait crier au miracle. Les députés turcs sans exception
auraient été des surhommes et le discernement d'un peuple au
sein de qui le recensement de 1927 a révélé une proportion de
85 % d'illettrés aurait été stupéfiant.
Mais voici la réalité :
La grande Assemblée est composée uniquement de repré
sentants du Parti Populaire dont Mustapha Kemal détient
l'administration totale : lui seul peut prononcer des discours,
faire des déclarations au nom du Parti.
Le Parlement n'est donc qu'une fraction du Parti que le
Rhazi dirige comme il l'entend, à l'extérieur.
Le Parti Populaire comporte un Comité de la présidence
composé du chef suprême (c'est ainsi qu'il se nomme), du vice-
président et du secrétaire général.

— 395 -
Ce Comité formule la politique générale du parti et choisit
des candidats aux élections législatives. Il propose des noms
pour les circonscriptions qui sont à la recherche d'un candidat:
pour être candidat il faut avoir bien mérité du Parti Populaire.
Tous les membres du Parti doivent souscrire l'engagement
suivant : promettre de suivre toutes les décisions du parti ;
s'abstenir rigoureusement de s'associer aux intérêts d'aucun
autre parti ; ne faire aucune opposition à un candidat proposé
par le Comité de la Présidence du Parti Populaire.
D'autre part chaque candidat du parti doit s'engager, en
cas d'élection,
à ne pas suivre son propre jugement mais à
obéir aux décisions du parti. Ceci est à rapprocher du passage
de la constitution où il est dit que le député une fois élu ne
représente plus sa circonscription mais l'ensemble de la
Turquie, disposition qui est destinée à éviter les effets du
mandat impératif !
Cela ne suffit pas —
Mustapha
Kemal connaît les hommes.
Il sait que promettre et tenir font deux. On surveille les
députés dans l'Assemblée au moyen d'un Conseil d'adminis
tration du parti dans cette Assemblée. Les membres de ce
Conseil sont des députés du Parti chargés d'assurer la disci
pline entre les membres, le vote unanime et conforme aux
décisions du Comité du Parti.
C'est pour cela que la discussion a toujours lieu au préalable
devant le Comité Parlementaire du Parti. Quand les projets de
loi arrivent devant le Parlement,
n'y
la discussion est épuisée. Il
a plus qu'à voter. Aussi est-on frappé par les majorités
écrasantes qui donnent naissance aux lois. C'est toujours par
180 ou 185 voix sur 200 députés que les résultats sont acquis.
Des résistances ont essayé de se manifester mais grâce à la
savante organisation du Parti Populaire,
étouffées dans l'œuf.
elles ont toujours été
En 1924 un parti républicain progressiste se forme au sein
du Parlement. Comme il représentait les tendances de la men
talité théocratique, il fut muselé, et aux élections de 1927 il
fut complètement éliminé !
En 1920 Fethy Bey, un des compagnons du Rhazi, donna
sa démission d'ambassadeur de Turquie à Paris et constitua,
avec l'approbation de Mustapha Kemal, un parti libéral. Il

- 396
—
entra comme député sous cette étiquette, à la grande Assemblée
nationale aux élections du 24 septembre.
Il fut jugé trop modéré, et le 18 novembre, soit trois mois
il dut dissoudre son Parti.
après,
Sur la proposition de Mustapha Kemal, la grande Assemblée
prononça sa dissolution le 17 mars 1931 et ordonna des élec
tions immédiates. Le Rhazi laissa 30 places aux candidats
indépendants,
ment furent élus.
aux critiques. Huit députés indépendants seule
Comme le Rhazi est lui-même le président général du Parti
au pouvoir, le Gouvernement n'est pas autre chose que le
Comité exécutif du Parti qui est seul représenté à l'Assemblée
Nationale, laquelle n'est composée que de ses représentants.
Le Cabinet, dans un semblable système, a le monopole de
l'initiative législative.
La création, la durée de l'existence des ministres ne dépen
dent que de l'appui du chef de l'Etat. Le Ministère actuel dure
depuis 1925 (x). Il y a là de quoi faire rêver nos ministres.
Les affaires importantes doivent être signalées au Président
do la République avant que le Cabinet ne les discute.
Tout repose en Turquie sur Mustapha Kemal. Il est bon qu'il
en soit ainsi car son œuvre immense a besoin maintenant de
prendre racine. Il y a nécessairement des hiatus et des à-coups.
Lui seul peut les combler et les amortir. Ce n'est que dans
la mesure où ses transformations auront pris racine que la
Turquie, après sa dentaliser.
disparition,
pourra continuer à s'occi
Dans l'ensemble la conduite de ce grand homme d'Etat jus
tifie l'appréciation d'Edouard Herriot : « C'est un Bonaparte
qui n'a pas voulu devenir Empereur, un Bonaparte dont la
civique ambition fut de faire sortir d'une révolution et d'une
invasion,
une République indépendante et stable ». On dirait
plus exactement, au lieu de République,
un Etat Occidental.
Mustapha Kemal a fait plus que cela. Il a transformé des
institutions théocratiques en institutions occidentales. Il ne
s'est pas borné à organiser un régime politique où son auto
rité est telle,
que tout autre régime totalitaire d'Europe
(1) Il vient d'être modifié tout récemment.

- 397 -
apparaît, comparé à lui, comme l'expression même de la liberté.
Il a créé l'Etat Turc. Il a créé une Patrie Turque, enracinée
au sol.
C'est à ce titre que la réussite kémaliste intéresse le Maroc.
Nous sommes, je crois, mieux placés que quiconque pour
apprécier, en connaisseurs,
Kemal, d'Ataturk,
la valeur de l'œuvre de Mustapha
comme on doit dire aujourd'hui.
Nous aussi nous avons eu, nous avons à faire se rencontrer
l'Orient et l'Occident, à équiper le Maroc, Etat théocratique, en
Etat Occidental.
Le Maroc, lui aussi, a son Kurdistan, qui est la montagne.
Et le Maroc a eu la chance d'avoir, pour la mise en place,
un homme d'Etat, qui a été, lui aussi, un soldat illustre en
même temps qu'un administrateur avisé. Plus tard, dans le
recul de l'Histoire, on fera sûrement des parallèles entre
Ataturk et Lyautey, ne serait-ce que pour le dynamisme que
l'on rencontre chez les deux hommes d'Etat.
L'organisation kémaliste nous rassure et nous enseigne.
Elle nous rassure parce qu'elle montre lumineusement que
le conflit qui s'établit quand l'Orient et l'Occident sont en
contact n'est pas d'ordre religieux. Il n'est pas non plus d'ordre
racial. Sans doute la consanguinité, la race et surtout la
religion sont mises en œuvre pour résister à la transformation.
C'est au nom de la religion menacée que le Kurdistan a été
soulevé. Mais, les Kurdes s'en rendent bien compte aujour
d'hui,
l'Islam n'a pas été touché et la libre pratique de leur
foi leur est assurée par la République turque.
Le conflit n'est pas là. Il est dans le droit public. Seulement
le domaine juridique est ici très vaste. Il va de la façon de se
coiffer à celle de conduire les affaires de l'Etat en passant par
la réunion des sexes.
La splendide histoire de Mustapha Kemal enseigne qu'il ne
convient pas de brûler les étapes et qu'en tout cas, il est néces
saire de traiter différemment les populations qui n'ont ni le
même degré d'évolution ni la même structure sociale.
Elle nous montre aussi qu'en matière de commerce, d'agri
culture et d'industrie on ne saurait être trop hardi ni trop
prompt. Mustapha Kemal a eu à surmonter des crises autre
ment graves que celle que subit le Maroc II les a surmontées

- 398
-
grâce à sa volonté, à son énergie et au talent des collabora
teurs dont il a su s'entourer.
Elle trace, au Maroc, la route à suivre, en partie, car la
Turquie n'est pas le Maroc. Mais ne contribuerait-elle qu'à
nous montrer la nature et la grandeur des difficultés à vaincre
qu'elle conserverait tout son prix pour nous.
Réjouissons-nous du fait que le Maroc,
d'œuvre, a rencontré le chef qui saura,
puleux des conventions et des croyances,
volonté de tous, mettre en valeur,
maintenant à pied
dans le respect scru
grâce à la bonne
par des mesures rapides et
appropriées, le dynamisme considérable, matériel et moral, que
renferme le Pays de Moulay Idriss,
fiançais.
fécondé par le génie

Essai sur l'esprit
de la coutume berbère marocaine
(Son fondement, ses traits essentiels, son avenir)
PAR
Germain CHAUVEL
CONTRÔLEUR CIVIL SUPPLÉANT, F. F. DE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT
PRÈS LES TRIBUNAUX COUTUMIERS BERBÈRES DES ZEMMOUR
Dans une remarquable « Introduction à la théorie géné
rale et à la philosophie du Droit » qui vient de paraître en
librairie, Claude du Pasquier, Professeur à l'Université de
Neuchâtel, étudiant la question de l'origine historique du droit,
écrit : « Dès que plusieurs hommes vivent en commun, il est
ï nécessaire que les caprices de chacun rencontrent une bar
rière qui protège les intérêts primordiaux des autres. Il faut
que l'arbitraire individuel se subordonne aux besoins essen-
;< tiels de l'ensemble : sans quoi, ce serait la lutte perpétuelle
et partant, une insécurité préjudiciable à tous... Aussi, dans
les communautés les plus primitives, voit-on les relations
sociales s'ordonner sous le signe de certaines idées qui,
stabilisées par la tendance naturelle à l'imitation et par le
sens de la tradition,
prennent bientôt l'aspect de règles de
:< vie collective : celles-ci déterminent entre autres, les situa-
:< tions respectives des divers membres de la famille, certains
droits de jouissance ou d'appropriation à l'égard de la terre
ou du bétail, la succession des vivants aux biens des morts,
les conséquences d'un acte illicite qui a porté préjudice à
autrui. Contre la violation des règles les plus importantes

- 400
-
« s'organise une réaction : dans le cadre de la famille patriar-
« cale, le père frappe d'une punition le coupable ; dans les
« rapports interfamiliaux,
la vengeance privée est considérée
« comme la suite normale d'une offense grave. Dans un stade
« de civilisation plus avancé, c'est le chef ou un conseil de
« notables, un tribunal ou une assemblée populaire, qui met
« en action la contrainte... Il n'est en effet pas de vie sociale
« sans un minimum de discipline ;
cette nécessité implique
« des règles et une autorité qui en assure le respect. »
On peut donc affirmer qu'il se produit rapidement, dans
toutes les peuplades primitives, une organisation, une régle
mentation de la vie en société qui tire son origine de la
consolidation progressive de certains usages, de certaines pra
tiques reconnues utiles ou nécessaires, et qui puise sa force
obligatoire dans la généralisation de ces pratiques et dans le
consentement unanime des individus. Ainsi naît la coutume,
règle de droit au même titre que la loi et qui, le plus souvent,
traduit mieux que celle-ci et plus fidèlement la conscience col
lective d'un peuple et ses plus secrètes aspirations. La loi est
quelquefois, en effet,
une création spontanée du législateur
dont elle exprime alors la propre volonté beaucoup
celle du peuple tout entier : à tout le moins
plus que
. n'est-elle généra
lement que l'expression de la volonté d'une majorité. La cou
tume apparaît au contraire comme le véritable reflet de l'âme
populaire, et, comme le disait « Pascal, elle fait toute l'équité
par cette seule raison qu'elle est reçue ». La coutume, c'est le
droit des mœurs, le droit des besoins sociaux ; c'est aussi la
consécration du principe d'un effort commun consenti en vue
de la satisfaction de ces besoins et d'une contrainte volontai
rement acceptée par chacun dans l'intérêt de tous.
La coutume « ne domine pas la société », elle « l'exprime ».
Il en résulte que pour la bien connaître et la comprendre, il
faut s'efforcer avant tout de bien pénétrer et d'assimiler le
milieu social dont elle est non seulement le produit, mais
encore l'expression. C'est dire qu'il convient de n'en aborder
l'étude qu'en faisant abstraction de toute idée préconçue, en
laissant de côté les valeurs juridiques ou morales qui nous
tout au moins momenta
sont familières, en écartant même,
nément, les procédés habituels de raisonnement et de synthèse.

- 401
—
Loin de « mettre les principes à la base des institutions », il
faut « mettre les institutions à la base des principes ». C'est
donc l'étude des institutions, c'est-à-dire l'observation des faits
sociaux, des réalités sociales, c'est le contact direct avec ces
réalités que doit rechercher en premier lieu l'auteur qui
s"aventure en pays de coutume avec la volonté bien arrêtée
d'apprendre le droit local, mieux, de le décrire.
On a souvent reproché aux juristes, et parfois avec raison,
de construire dans l'abstrait. La coutume, qui est essentielle
ment le domaine du concret, exige de celui qui l'aborde des
qualités de sociologue autant que de juriste. Ceux —
sont nombreux —
et
ils
qui ont entrepris la prospection méthodique
de la coutume berbère marocaine l'ont bien compris et ils ont
ainsi évité, du moins dans la très grande majorité des cas, de
porter des jugements erronés ou simplement superficiels sur
des institutions douées d'une valeur propre, mais relative, et
qu'il est par conséquent dangereux d'isoler, ne fût-ce que sur
le terrain de la spéculation, du milieu dont elles sont issues.
Robert Montagne, dans son beau travail sur « Les Berbères et
le Makhzen dans le Sud du Maroc », Georges Marcy,
dans sa
remarquable étude de la coutume Zemmour, Georges Surdon,
dans « Institutions et Coutumes des Berbères du Maghreb »,
pour ne citer que ceux-là,
ont ainsi utilisé avec bonheur la
méthode sociologique qui nous paraît en l'occurrence la plus
sûre pour saisir d'une manière palpable la réalité.
On peut dire des coutumes ce que Montesquieu disait jadis
des lois, à savoir qu'elles « sont dictées par la nature des choses,
« c'est-à-dire par un ensemble de circonstances qui en expli-
« quent l'infinie variété comme le physique du pays, la
« qualité du terrain, sa situation, sa grandeur,
le genre de vie
c des habitants, leur religion, leurs inclinations, leur com-

y est rude et rude doit y
Dans le Nord,
dantes,
402
être la vie. Rudes aussi les habitants.
où les précipitations atmosphériques sont abon
mais où les terres de bonne culture sont plutôt rares
car la forêt couvre une grande partie de la montagne, le Ber
bère sera sans doute agriculteur, mais il sera surtout pasteur
et pratiquera le semi-nomadisme, se déplaçant suivant les sai
sons avec ses troupeaux. Dans le Sud au contraire, où les
pluies sont insuffisantes, mais où les plaines et les vallées sont
fertiles et productives dès qu'un cours d'eau les traverse, le
Berbère se fixera solidement sur sa terre, qu'il grattera déses
pérément pour en tirer sa subsistance, surveillant jalousement
le ruisseau qui porte dans son lit tous ses espoirs.
La terre, l'eau, les troupeaux : toute la vie berbère est con
centrée dans ces trois mots, toute l'économie et aussi toute l'or
ganisation sociale gravitent autour d'eux car les rapports
sociaux, tant à l'intérieur du groupement qu'à l'extérieur,
vont être commandés par ces trois facteurs essentiels ou du
moins par l'un ou l'autre d'entre eux. Il importe en effet,
avant toute autre chose, de conserver ces biens, dons de la
nature ou fruits de la conquête, de les protéger et de les
défendre contre les entreprises étrangères, toujours à redouter
dans ce pays. D'où l'impérieuse, l'inéluctable nécessité de se
grouper, de s'unir entre gens de même sang, de même origine,
car l'individu isolé, la famille livrée à elle-même,
d'avance.
sont vaincus
Le groupe berbère se constitue ainsi peu à peu, d'après les
lois de la consanguinité et suivant les affinités naturelles, et,
en même temps, il s'organise en vue de la satisfaction des
besoins sociaux par la mise en valeur et la sauvegarde du
patrimoine commun. Dès lors, toutes les initiatives indivi
duelles, les efforts particuliers vont être ordonnés et orientés
vers un même but : la prospérité du groupement. L'intérêt de
l'individu s'efface devant l'intérêt supérieur de la commu
nauté. Les droits de chacun ne sont reconnus qu'autant qu'ils
ne peuvent porter atteinte au bien-être et à la sécurité de
tous. Des usages s'établissent spontanément, des règles appa
raissent insensiblement qui traduisent invariablement la
préoccupation dominante, le souci constant de maintenir la
force du groupement et son potentiel de résistance aux élé-

- 403 -
ments extérieurs en faisant régner à l'intérieur l'ordre et la
paix sociale. Ces usages, ces règles, dont l'expérience quoti
dienne démontre l'opportunité, l'efficacité,
acquièrent peu à
peu, du consentement de tous, force obligatoire. La conscience
publique les approuve et les enregistre, la tradition les trans
met,
la volonté des chefs de tente influents les fait respecter.
Voilà toute l'histoire de la coutume berbère.
Elle n'est pas autre chose, on le voit, que le moyen pour le
groupe berbère —
tribu —
d'assurer
qu'il
s'appelle le clan, la fraction ou la
son équilibre,
son équilibre à la fois physi
que et moral, son équilibre interne et externe, et de le main
tenir. Or cet équilibre, indispensable à l'avenir de la commu
nauté, il faut, pour le réaliser, disposer d'un instrument souple
et commode, calqué sur les nécessités de la pratique et les exi
gences quotidiennes de la vie en commun, susceptible aussi de
se plier aux contingences extérieures, quelles qu'elles soient,
et de s'y adapter. La coutume est ce merveilleux instrument
et elle remplit admirablement le rôle qui lui est assigné parce
qu'elle trouve son fondement dans la connaissance profonde
chez les individus des intérêts vitaux de la collectivité et dans
l'effort consenti par chacun d'eux en vue d'assurer l'harmonie
et la cohésion du groupe à l'intérieur,
rayonnement à l'extérieur.
sa puissance et son
La coutume berbère est par suite, il est à peine besoin de le
souligner, une règle de droit essentiellement pratique,
un sys
tème juridique dicté par l'opportunité. C'est aussi un ensemble
d'institutions à base utilitaire car dans la société berbère le
point de vue économique prime tout. Les besoins à satisfaire ne
sont peut-être pas très nombreux, mais ils sont impérieux. Il
y
a des besoins individuels et des besoins collectifs : ils ne sont
pas forcément identiques. Bien mieux, ils peuvent se contre
dire mutuellement. Il faut donc les discipliner, les hiérar
chiser, bref, faire la balance entre le point de vue très légi
time de l'intérêt privé et le point de vue supérieur de l'intérêt
général. La coutume tâche à y parvenir. Elle ne fait même que
cela. On ne peut pas dire qu'elle soit idéaliste,
du moins au
sens où l'on entend généralement ce mot, encore qu'elle serve
la réalisation d'un idéal très net, à savoir la sécurité matérielle
du groupe et des individualités qui le composent. En revanche,

—,,404 -
son réalisme s'affirme constamment car elle ne s'appuie que
sur des faits,
l'expérience,
sur des données réelles longuement vérifiées par
sur des équations sociales dont elle n'est en défi
nitive que la résultante, la solution.
Tout ce qui est social est sien, tout ce qui peut avoir, 'direc
tement ou indirectement,
une répercussion sur l'équilibre
général du groupement l'intéresse. Elle est le grand régula
teur de la vie berbère dont elle marque en quelque sorte le
rythme quotidien. Qu'il s'agisse en effet du droit privé que
nous appellerons le droit des intérêts particuliers ou du droit
public que nous préférons appeler ici le droit de l'intérêt géné
ral, les règles coutumières n'ont jamais d'autre but que de réa
liser et de maintenir l'ordre social par un équilibre approprié
des différents intérêts en présence. L'on ne saurait trop insister
sur cette notion d'équilibre. Elle est essentielle.
C'est elle en effet que l'on rencontre immédiatement dès
qu'on examine la structure de la société berbère et qu'on en
dissocie les éléments, c'est-à-dire le groupe, la famille et l'in
dividu. Ces trois éléments sont étroitement solidaires les uns
des autres, mais l'équilibre de l'ensemble ne peut être assuré
qu'en assignant à chacun d'eux une place déterminée, un rang
dans la hiérarchie des « valeurs » sociales qui concourent à
l'œuvre commune. Et dans la société berbère le groupe a nette
ment le pas sur la famille qui, elle-même, l'emporte largement
sur l'individu.
Il est sans doute permis de s'en étonner lorsque l'on connaît
la mentalité berbère et la tendance foncièrement individua
liste qui la caractérise. Et pourtant, comment nier que le Ber
bère a su, chaque fois que la nécessité lui en est apparue, faire
plier cette tendance devant les exigences de l'intérêt com
mun ? Georges Marcy ne croit pas à l'existence chez le Ber
bère du sentiment naturel de la solidarité. Pour lui, il ne peut
être question que d'une solidarité obligatoire, imposée. C'est
possible,
mais il n'est pas inutile de noter que c'est une obli
gation qui résulte des circonstances et non d'une contrainte
imposée à l'individu par ses semblables. Si donc le Berbère n'a
pas le sentiment de la solidarité, il en a du moins la notion, il
en comprend toute la portée et c'est pourquoi il accepte, dans
l'intérêt bien compris de la communauté, de refouler au fond

- 405
-
de lui-même ses goûts de liberté et d'indépendance qui conti
nuent d'ailleurs de bercer son rêve intérieur.
A-t-il au moins le sentiment de la famille,
le sens du devoir
familial ? Ici encore, il est difficile de répondre par une affir
mation catégorique. Et pourtant, quelle importance prend la
famille au sein du groupe berbère,
sur le terrain strictement
social comme dans les manifestations de l'activité économique !
Certes, il n'est pas exagéré de dire que c'est d'elle, de sa
force et de sa cohésion, que dépend la solidité du groupement.
L'individu isolé en effet n'est rien. Il faut qu'il soit incorporé
dans la famille et soutenu par elle et c'est seulement dans le
cadre de celle-ci, en se pliant à la discipline de son chef, qu'il
pourra servir utilement les intérêts de la communauté. La
famille doit donc être forte : pour y parvenir, il lui faut avant
tout être unie en vue de la conservation et de la défense de son
patrimoine. Rien d'étonnant dans ces conditions à ce que les
règles coutumières qui gouvernent les relations privées, indi
viduelles ou familiales, s'inspirent largement de cette idée,
comme nous le soulignerons plus loin.
D'autre part —
et
plan social proprement dit —
nous passons ainsi du plan familial au
s'il
est vrai que la famille doit
être puissante, il ne faut pas, non plus, qu'elle le trop, du
moins par rapport aux autres familles qui composent le grou
pement. Celles-ci risqueraient, en effet, d'être dominées, ce qui
aurait pour résultat de compromettre l'ordre établi. Mais la
coutume qui traduit à cet égard les goûts égalitaires du Ber
bère a tout prévu et elle a su donner au chef de tente les
moyens de défendre la famille et le patrimoine dont il a la
charge non seulement contre les entreprises de ses voisins mais
encore contre les imprudences ou les erreurs des siens.
Au surplus, il ne faut pas exagérer les risques de rivalités
ou de conflits entre familles faisant partie d'un même groupe.
Ce serait oublier en effet le principe de consanguinité qui a
présidé à la naissance du groupe et à son développement. Or,
les liens du sang facilitent grandement les relations sociales.
Mais est-il possible d'expliquer cette harmonie intérieure du
groupe,
cet équilibre entre les familles par la seule consan
guinité ? Georges Surdon paraît le croire qui, en maints pas
sages de son ouvrage, cité plus haut, insiste longuement sur
27

— — 406
l'importance de ce principe de consanguinité. Il oppose la tribu,
basée sur la consanguinité, à la cité, basée sur la territorialité.
Nous ne voyons pas où réside l'intérêt de cette opposition. Les
deux points de vue ne sont d'abord nullement inconciliables,
et, d'autre part, il est pour le moins hasardeux de prétendre
que la consanguinité fait toute la tribu et la territorialité, toute
la cité. Comme l'a très bien dit Robert Montagne, beaucoup de
tribus berbères ne sont certes pas exclusivement constituées
de familles de même sang et il est prudent, dans bien des cas,
de mettre en cause la croyance du Berbère à la consanguinité
plutôt que le principe de consanguinité lui-même. Pour cet
auteur, « c'est surtout l'unité géographique du territoire, le
« sentiment qu'il constitue le bien propre à la communauté

- 407
-
tent pas, à notre avis, l'appellation de « droit public coutumier »
que certains auteurs leur ont décernée. Nous les étudierons en
premier lieu parce qu'elles commandent dans une large mesure
les règles de droit privé : en pays berbère, il n'y
a pas de cloi
son étanche entre le droit public et le droit privé et le premier
exerce une action constante sur le second. Quant aux règles
d'ordre privé, il en est qui concernent les personnes st d'autres
qui se rapportent aux biens. Nous adopterons, pour plus de
clarté,
une classification plus poussée et nous distinguerons
successivement le droit de la famille, le droit des successions,
le droit de la propriété et le droit des contrats et obligations,
nous bornant d'ailleurs à mettre en relief les traits essentiels
do ces différentes branches de la coutume privée.
Notre concept moderne de droit public, étroitement lié aux
notions d'Etat et de souveraineté, ne saurait évidemment s'ap
pliquer aux sociétés berbères qui, au point de vue politique et
administratif,
n'ont pas franchi le stade d'une organisation
rudimentaire. C'est donc un tort que de vouloir comparer, com
me on l'a fait trop souvent, l'Etat et la tribu. La tribu n'est pas
l'Etat berbère pour cette raison bien simple qu'il n'y a pas
d'Etat berbère. Il y a des» sociétés berbères,
indépendantes les
unes des autres, et qui se suffisent à elles-mêmes parce qu'elles
sont organisées en fonction du problème économique qui laisse
loin derrière lui tous les autres. A cet égard, il n'est pas témé
raire d'affirmer que les problèmes de droit public qui se posent
en pays berbère se ramènent en définitive à des problèmes
d'économie, d'économie générale du groupement.
Il s'agit en effet uniquement d'édicter des règles de protec
tion de la communauté, envisagée à la fois dans les personnes
qui la composent comme dans ses biens : règles de protection
contre le désordre et la désagrégation à l'intérieur,
règles de
défense contre les dangers pouvant venir de l'extérieur. Ces
règles, il faut un pouvoir social pour les appliquer et les» faire
respecter,
mais la société berbère qui repose tout entière sur
l'organisation familiale ne saurait concevoir l'existence d'un
pouvoir suprême étranger à cette organisation. C'est donc dans
les familles que seront choisies les individualités les plus
qualifiées pour assurer, d'après les principes du droit cou
tumier, le maintien de l'ordre social. L'assemblée des notables

- 408
—
dira le droit et traduira, par ses décisions, la volonté du grou
pement tout entier de réagir contre les facteurs de désordre,
de punir les fauteurs de troubles qui sont un danger pour la
communauté.
Aussi la coutume pénale prend-elle davantage en considé
ration la notion objective de risque social, basée sur les réper
cussions possibles de l'acte individuel,
que la notion subjec
tive de faute liée à un élément psychologique qui lui paraît
dans bien des cas négligeable. Il importe beaucoup plus
d'apaiser la victime ou sa famille —
toujours
par crainte de
la discorde intérieure, préjudiciable à l'équilibre du groupe
ment —
que d'infliger au coupable la sanction personnelle
qu'il a méritée. Ceci ne veut pas dire qu'il ne sera jamais puni
car la coutume prévoit au contraire différentes peines qui
varient, selon les tribus, de la simple amende à la loi du talion.
Mais la sanction s'accompagnera dans tous les cas d'une répa
ration civile accordée à la victime ou à sa famille,
le point de
vue du droit privé se mêlant ainsi à celui du droit public. Cette
réparation pourra être mise indifféremment à la charge du
coupable ou de ses proches par une substitution du principe
de responsabilité collective au principe plus naturel de respon
sabilité individuelle, substitution qui s'explique par ce fait que
l'individu ne compte guère dans les rapports sociaux où il est
remplacé par la famille.
Nous allons d'ailleurs retrouver cette idée, plus nettement
et bien souvent affirmée, en abordant maintenant l'étude des
règles coutumières de droit privé.
Le statut familial y tient la plus grande place, ce qui ne
saurait surprendre puisqu'en pays berbère, la famille est la
cellule sociale par excellence. On la trouve donc fortement
organisée sous l'autorité de son chef qui rappelle à bien des
égards le « paler familias » du droit romain. Il a sous son
étroite dépendance tous les membres de la famille et le patri
moine commun est réuni entre ses mains.
Le trait le plus marquant du statut familial est la situation
très inférieure faite à la femme, au point de vue juridique,
dans une société domestique où son rôle économique est pour
tant de première importance. Elle n'y a guère en effet d'exis
tence légale et on a pu la qualifier d'
« éternelle mineure ».

- 409
-
Pourquoi cette infériorité ? Nous pensons, quant à nous, qu'elle
tient moins à son sexe, ainsi qu'on l'admet généralement, qu'à
sa destinée naturelle qui est de quitter sa famille originelle pour
contracter mariage dans une autre famille. Elle est donc essen
tiellement une cause de faiblesse et c'est pourquoi on ne lui
reconnaît guère de droits sur le patrimoine commun : elle ne
peut prétendre en effet qu'au gîte et au couvert. Elle n'entre
même pas à proprement parler dans la famille de celui qui
l'épouse, bien qu'elle soit appelée à devenir à la fois la mère de
ses enfants et la gardienne de son foyer. Ceci ne peut guère
s'expliquer à notre avis que par l'absence de stabilité qui
caractérise l'état de la femme par suite de la très large
faculté de répudiation laissée dans tous les cas au mari.
Cette faculté illimitée de répudiation peut d'ailleurs
paraître à première vue cadrer assez mal avec les besoins
d'une société familiale solidement constituée. Mais cepen
dant, la famille conserve sa force et sa cohésion car elle
n'existe en réalité que par les mâles et davantage encore
par l'autorité reconnue de son chef. Le mariage berbère n'a
nullement pour but de créer entre les époux une véritable
société conjugale : il tend uniquement à donner au mari des
enfants qui le continueront et surtout des mâles qui assu
reront la conservation et peut-être l'accroissement du patri
moine familial. Aussi l'absence de personnalité juridique
de la contractante est-elle sans importance : elle n'a qu'une
valeur d'échange et, par suite, n'est pas partie au contrat
qui la lie et qui confère à son époux un véritable droit
d'usage sur elle.
Dans le groupe chleuh, le droit de la femme à l'héritage
est courant tandis que dans le groupe Imaziren, il est excep
tionnel. Georges Marcy voit dans ce dernier cas une incapa
cité de la femme fondée uniquement sur son sexe, inca
pacité totale s'il s'agit de la succession de ses ascendants ou
collatéraux paternels, simple incapacité d'exercice s'il s'agit
de la succession de ses descendants. Il ne croit pas que la
règle soit dictée en pays zemmour par le souci d'empêcher
les biens de sortir du clan, motif pris de ce que ces biens
peuvent être appréhendés par le frère utérin des descen
dants,
lequel peut faire partie d'un clan différent.

410
Cette argumentation ne nous paraît pas décisive. Il y a
lieu de remarquer en effet que les frères utérins ne vien
nent à la succession qu'en quatrième rang, en l'absence de
descendants mâles par les mâles, en l'absence d'ascendants
mâles par les mâles,
en l'absence enfin de collatéraux mâles
par les mâles de la ligne paternelle. Le principe de la con
servation du patrimoine devient alors sans intérêt puisqu'il
n'y a plus, à proprement parler, de société familiale. Mais,
tant qu'il existe des parents à un degré rapproché, le prin
cipe joue et c'est de son application que découlent notam
ment la prohibition du legs universel, l'inutilisation pra
tique du testament, l'interdiction de déshériter les descen
dants, l'impossibilité pour les héritiers de renoncer à la
succession,
etc. C'est lui encore que l'on retrouve dans l'or
ganisation de la tutelle des mineurs et des interdits instituée
dans l'intérêt du groupement familial et de la collectivité
beaucoup
plus que dans celui de l'incapable. C'est lui enfin
qui commande tout le droit de la propriété.
Les Berbères,
comme l'a fait justement remarquer le Pro
fesseur Maunier, ignorent totalement le droit de propriété
des législations qui s'inspirent du droit romain. La pro
priété berbère n'est pas, tant s'en faut,
un droit absolu et
les avantages individuels qu'elle confère ont une contre
partie dans les restrictions qu'elle impose dans l'intérêt de
la communauté. C'est bien ici le cas de rappeler avec Duguit
qu'en définitive « le droit n'est pas une qualité inhérente à
(( la personne humaine ; il est fait en apparence dans l'in-
(( térêt de l'individu auquel il donne ainsi une sanction
« légale, mais en réalité il est fait dans l'intérêt général
« parce qu'il juge que le meilleur moyen de satisfaire ce
« dernier est d'accorder un droit à l'individu... La propriété
« n'est plus ainsi le droit réel par excellence, mais une
« fonction sociale. »
On ne saurait trop insister sur cette « fonction sociale »
de la propriété berbère, nous allions dire sur cette fonction
« vitale ». De même que les droits de l'individu s'inclinent
devant ceux de la famille qui cèdent eux-mêmes devant
l'intérêt supérieur du groupe tout entier, de même la notion
de patrimoine individuel disparaît derrière celle de patri-

— - 411
moine familial qui, elle-même, s'intègre dans la notion de
patrimoine collectif. C'est la consistance du patrimoine com
mun,
c'est sa force de résistance aux éléments de dispersion
et de désagrégation qui assurent la prospérité et l'indépen
dance du clan ou de la tribu. D'où la nécessité de protéger
ce patrimoine contre les abus que peuvent commettre, volon
tairement ou involontairement, ceux qui en ont l'usage. Et
l'usage devient abusif dès qu'il peut en résulter une atteinte
quelconque aux intérêts généraux du groupement.
A cet égard, quoi de plus dangereux pour la communauté
que l'aliénation, qui fait sortir un bien du patrimoine pour
l'incorporer dans un autre, qui peut amputer le domaine
commun d'une parcelle de terre pour en faire bénéficier
une collectivité rivale ? La coutume a prévu ce risque et a su
en prémunir le groupement : toute vente immobilière peut
être annulée, dans l'intérêt de la famille ou de la collecti
vité, par l'effet de la « chefaâ » qui permet à un tiers,
membre du groupement, de prendre au contrat les lieu et
place de l'acheteur, au besoin contre la volonté de celui-ci,
et de l'évincer définitivement. C'est la réaction d'auto
défense contre l'intrus. Nous verrons plus loin ce qu'il en
esl advenu.
Pour des motifs identiques, la coutume redoute les con
trats de location à long terme qui peuvent, avec le temps,
mener à de véritables aliénations. D'une manière générale,
elle ne marque d'ailleurs aucune sympathie pour les diffé
rentes formules de locations et leur préfère de beaucoup
les contrats d'association. Ceux-ci sont plus conformes à la
mentalité du Berbère,
mieux adaptés aussi à ses besoins et
à l'économie générale du pays. A vrai dire ils se sont même
révélés à l'usage comme étant les seuls possibles dans un
pays où les fantaisies du climat et les épizooties réduisent
à néant toutes les prévisions. Les risques sont souvent trop
grands pour que l'agriculteur, l'éleveur, s'aventure à les
supporter seul. Il a donc trouvé des formules de contrats
appropriées qui équilibrent les chances des deux parties et
qui, si elles réduisent les possibilités de gain,
partagent du
moins les pertes d'une manière équitable. Et nous voilà en
core ramenés, jusque dans cette manière des contrats et

obligations,
- 412
-
aux notions de risque et d'équilibre que nous
avons inscrites en tête de cette étude.
Nous pourrions encore, certes, multiplier les exemples de
ce genre en passant en revue toute la gamme des règles cou
tumières que l'on peut rencontrer dans un milieu aussi
élendu et aussi varié que le milieu berbère. Mais tel n'est
pas le but de ce modeste exposé qui a simplement cherché
à mettre en lumière la tendance générale de la coutume ber
bère et l'esprit de ses institutions,
me primitive.
envisagées dans leur for
Il nous reste toutefois, pour terminer la tâche que nous
nous sommes assignée, à porter un jugement, en fonction
des changements que nous avons pu constater depuis l'éta
blissement du Protectorat Français au Maroc,
de la coutume berbère,
sur l'avenir
sur la marche et le sens de son évo
lution. Car cette évolution n'est pas niable et s'il est vrai
que certains coins de la montagne résistent et résisteront en
core longtemps aux éléments extérieurs, il nous faut déjà
constater que la coutume a été, sur bien des points, entamée
et que, d'une façon générale, elle réagit assez mal contre les
sollicitations de toutes sortes dont elle est l'objet. Elle se
sent aujourd'hui désaxée, ébranlée dans ses fondements et
atteinte dans son équilibre parce que, sous la poussée des
événements,
elle a dû sortir peu à peu de ce splendide iso
lement dans lequel elle s'était confinée depuis des siècles et
qui faisait sa force et son orgueil. La société berbère n'est
plus une société fermée ; elle ne se suffit plus à elle-même,
en admettant qu'elle le puisse encore, parce que cette faculté
lui est désormais refusée ; elle est entrée, bon gré mal gré,
dans le grand courant des mouvements sociaux, des
échanges économiques et juridiques : elle est en marche
vers ce que l'on appelle aujourd'hui, à tort ou à raison, le
progrès.
Les principes de « droit public » se sont effondrés les
premiers et automatiquement du jour où la montagne ber
bère a été rattachée au makhzen, du moment où elle a été
administrée régulièrement comme les autres parties du
Maroc. Il ne nous viendra certes pas à l'idée de critiquer le
principe de l'installation de caïds en pays de coutume puis-

— 413 -
qu'il ne saurait évidemment y avoir qu'un seul droit public
marocain. Il ne pouvait donc en être autrement. Mais, indé
pendamment de l'action regrettable qu'ont exercée dans la
plupart des cas les caïds, inconsciemment d'ailleurs,
sur la
coutume et sur la société berbères, il était aisé de prévoir,
en raison de l'interpénétration réciproque du droit public et
du droit privé, que l'effondrement des notions coutumières
de droit public ne manquerait pas d'entraîner une transfor
mation rapide des notions de droit privé. Et ceci, il faut
bien le dire, est plus grave, plus lourd aussi de conséquences
que l'introduction en pays berbère des principes d'autorité
et d'impôt régulier qui, on doit le reconnaître,
acceptés sans grandes difficultés.
ont été
On assiste, en effet, à une sorte de désagrégation du
groupe et de la famille au profit de l'individu qui n'a pas
été suffisamment préparé à cette transformation. La cons
cience collective s'affaiblit, le sens de l'intérêt commun
s'atténue,
s'efface peu à peu devant l'intérêt personnel qui
reprend ses droits. L'autorité de la djemâa, du chef de
famille, s'effrite depuis qu'un pouvoir nouveau, et d'une
essence inconnue, s'est substitué à elle. Le Berbère, délivré
de la contrainte sociale qui pesait sur la plupart de ses actes,
peut enfin donner libre cours à ses goûts de liberté et d'in
dépendance. Au contact de l'Européen,
il s'émancipe rapide
ment et n'hésite pas, dès qu'il le peut, à vivre sa vie. Il
quitte volontiers sa famille, sa tribu,
l'armée, dans les goums,
pour s'engager dans
pour obtenir une place de mokhazni
dans les postes de Contrôle civil ou les Bureaux des Affaires
Indigènes. La famille se disperse ainsi progressivement et
le patrimoine ne tarde pas à suivre la même voie. On n'a
plus qu'une hâte, c'est de sortir de l'indivision, de prendre
sa part des biens et de l'administrer à sa guise, plutôt mal
que bien. Le partage donne lieu à des querelles, à des dis
cordes que ravivent encore, de temps à autre, les réclama
tions de l'absent et qui portent souvent le dernier coup à
l'esprit de famille,
déjà bien chancelant. Les anciennes
disciplines de travail et d'économie tombent en désuétude.
On entend se comporter comme le propriétaire du droit fran
çais, détenteur du k jus utendi et abutendi»,
alors que l'on

- 414
—
n'est nullement préparé à disposer d'un tel droit. Aussi
vend-on à tort et à travers, pour n'avoir pas à les mettre en
valeur, les parcelles jadis si jalousement défendues. On les
vend à n'importe qui, au voisin, à un étranger, et il ne se
trouve personne, au sein de la famille, pour exercer le retrait
coutumier, le traditionnel droit de « chefaâ ». Ceci n'est pas
une opinion en l'air, mais bien le résultat de notre expé
rience personnelle, basée sur des statistiques officielles en
pays Zemmour : dans les cas assez rares où la « chefaâ » est
encore exercée,
de surenchère,
elle l'est par intérêt personnel ou dans un but
mais non pour empêcher l'immeuble de sortir
du patrimoine commun. Ainsi le frein n'existe plus et il
s'ensuit que le domaine se rapetisse peu à peu jusqu'à se
réduire à néant : le fils de grande tente est devenu pro
létaire.
Que devient la coutume dans tout ceci ? Oh ! certes, elle
résiste comme elle peut et l'on a institué des juges coutu-
miers, choisis avec soin,
de l'appliquer,
qui ont mission de la défendre et
comme faisaient jadis les arbitres et l'as
semblée des notables. Ils y tâchent de leur mieux, aidés le
plus souvent par des autorités de contrôle compréhensives
et respectueuses des usages locaux. Mais ces juges ne sau
veront pas la coutume parce qu'à notre avis,
elle ne peut
pas être sauvée, du moins dans sa forme primitive. Il lui faudra
en effet évoluer désormais dans la mesure où les mœurs elles-
mêmes et les conditions de vie se modifieront et elle devra se
mettre à l'unisson de ces transformations. Le déséquilibre
actuel vient précisément de ce que la coutume est aujourd'hui
largement dépassée par l'évolution économique et sociale des
Berbères, laquelle s'est effectuée trop rapidement. Or, la cou
tume ne doit pas rester en arrière, sous peine de ne plus
répondre aux besoins pour lesquels, de toute évidence,
elle est
faite : elle doit suivre le mouvement, l'accompagner même
afin de le guider et de le contenir s'il en est besoin.
Il faut l'y aider. Le problème n'est pas, comme on paraît
le croire généralement, d'ordre judiciaire : il est écono
mique. II l'a toujours été. Mais l'ancienne économie fermée
tend à devenir de plus en plus une économie libérale et lar
gement ouverte sur l'extérieur, n faut aider le Berbère à

- 415 —
s'adapter à ce changement, si considérable pour lui. Il faut
le défendre à la fois contre les autres et contre lui-même,
maintenant qu'il n'est plus défendu par son isolement. Il est
temps d'arrêter la dilapidation des patrimoines et d'entre
prendre leur reconstitution. Il faut, en pays berbère, une
politique de la terre, de l'eau et des troupeaux. On semble
aujourd'hui s'orienter dans cette voie. Espérons qu'il n'est
pas déjà trop tard.

De certains traits essentiels
de la Législation minière marocaine
(zone française)
considérée à son origine et dans les diverses phases
de son développement
PAR
H. LANTENOIS
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES EN RETRAITE
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D'ÉTUDES ÉCONOMIQUES ET STATISTIQUES DU MAROC
Observations préliminaires. —
CHAPITRE PREMIER
Principes
et évolutîon récente
des législations minières étrangères.
La présente Note donne un aperçu sur quelques traits essen
tiels de la législation minière marocaine considérée à son ori
gine et dans les diverses phases de son développement. Elle
résume les considérations que je compte prochainement exposer
sur la législation minière marocaine dans une Note plus géné
rale insérée aux Annales des Mines de France et qui sera con
sacrée à une étude comparée des législations minières consi
dérées dans leurs principes et leur récente évolution. Si les
principes de ces législations sont très simples,
leur application
est, à la vérité, très nuancée dans les différents pays,
à une
même époque et dans chaque pays, à différentes époques. Cela
tient aux conditions techniques et économiques variables qui
président à la recherche et à l'exploitation des gisements dans
les divers pays, ainsi qu'aux conditions également variables qui
régissent la vie juridique, politique et sociale des divers pays

- 418
-
et de chaque pays à différentes époques. Les fréquents change
ments de législation minière témoignent d'un effort constant
d'adaptation de la réglementation aux conditions et circonstan
ces propres à ces pays.
A cet égard, rien n'est plus intéressant à étudier que la trans
formation qui s'est faite à une époque très récente dans trois
grands pays miniers qui sont l'Espagne, la Prusse et la Grande-
Bretagne.
Les deux législations minières de l'Espagne et de la Prusse
se rattachent au système juridique dit de Yoccupation, ainsi
dénommé par Aguillon dans son traité de Législation des Mines
parce que le droit minier principal s'y établit à l'origine par un
acte individuel, spontané, d'occupation ou, si l'on préfère, de
prise de possession des terrains miniers qui, dans l'ancien droit,
se réalisait matériellement par l'occupation effective des ter
rains miniers mais qui, dans les temps modernes, se réalise
fictivement selon des formes spéciales définies par la loi. On
désigne encore ce système juridique sous le vocable de « la
Mine à l'inventeur ».
La législation minière de l'Espagne repose sur le décret-base
de 1868, fondée sur la délivrance du titre minier au premier
demandeur.
La législation minière de la Prusse repose sur la Loi de 1865
d'après laquelle le titre minier s'acquiert, non à la simple prio
rité de la demande, comme en Espagne,
mais à la priorité de la
« déclaration de découverte » d'un « gisement en place », l'ex
pression gisement recevant d'ailleurs —
époque récente —
au
moins jusqu'à une
une interprétation extrêmement large.
Ces deux grandes lois minières ont subi récemment certaines
modifications fort importantes que je ne fais ici que signaler,
et qui tendent toutes au renforcement de l'autorité et à la par
ticipation active de l'Etat à l'effort réalisé par les entreprises
minières.
En Grande-Bretagne, le droit minier a été, jusqu'à ce jour,
tout autre qu'en Espagne, en Prusse et en France, mais il est à
la veille d'être bouleversé par suite de la suppression des
« royalties », c'est-à-dire des redevances dues par les exploi
tants de mine aux propriétaires du sol. Cette mesure a été votée
au début de l'année 1938 par la Chambre des Communes.

— 419 —
Si nous jetons maintenant nos regards sur les pays d'Outre-
Mer relevant de l'autorité française, nous remarquons que la
loi minière française a été et reste applicable à l'Algérie depuis
l'année 1851.
Dans quelques-unes de nos colonies françaises, la loi fran
çaise fut également appliquée au début mais on n'a pas tardé
à reconnaître, il y a quelque cinquante ans,
à l'époque de la
conquête du Tonkin, que la législation minière à la fois la plus
simple et la mieux opérante qui paraît convenir au développe
ment de l'industrie minière aux colonies est celle fondée sur le
système dit de « la mine à l'inventeur ». C'est précisément ce
système qui a été appliqué au Maroc par le dahir du 19 jan
vier 1914 réglementant pour la première fois, dans ce pays,
sous le régime du Protectorat français, la recherche et l'exploi
tation des Mines.
J'aborde maintenant le problème spécial de la législation
minière marocaine qui nous intéresse spécialement.
CHAPITRE H
RÉGLEMENTATION MINIÈRE MAROCAINE
L'exposé qui suit comprendra trois parties : la première,
concernant les origines jusqu'au seuil de la première régle
mentation marocaine édictée le 19 janvier 1914 ; la seconde,
exposant et expliquant cette réglementation minière ; la troi
sième, indiquant les modifications qui y ont été apportées jus
qu'à ce jour.
lre Partie. —
Origines
de la réglementation
minière marocaine
Les origines de la réglementation minière marocaine com
prennent elles-mêmes deux périodes : celle dite du Maroc
fermé et celle dite du Maroc ouvert.
Le Maroc fermé. —
Ce
que j'appelle la période du Maroc
fermé est l'époque antérieure à l'intervention active des Euro
péens qui commença à se dessiner vers l'année 1900.
Dans cette période,
il n'a jamais été fait mention d'un acte
du Sultan qui eût accordé à des Indigènes un droit minier

- 420
-
quelconque. Il est infiniment probable qu'il s'est autrefois
passé au Maroc ce qui s'est passé en Europe au Moyen-âge et
aux Etats-Unis au début de son peuplement. Le droit minier
s'y est alors constitué par l'occupation effective et spontanée
des terrains miniers. Nous savons que l'activité minière a été
grande au Maroc à l'époque de la domination locale portugaise
mais il ne paraît pas que quelques années avant l'année 1900,
c'est-à-dire au moment où les Européens ont commencé à
intervenir au Maroc, il y ait eu nulle part, dans ce pays, une
activité minière tant soit peu notable.
Le Maroc ouvert. —
Vers l'année 1900,
commence donc une
phase d'activité minière entièrement nouvelle déterminée par
l'intervention des Européens qui organisent la prospection
indigène de façon à recueillir le plus de renseignements pos
sibles dont ils firent état dans des déclarations de découverte
déposées en règle générale dans divers consulats étrangers et
qui étaient destinées par leurs auteurs à constituer plus tard
preuve, devant qui de droit, de leur activité minière effective.
Mais les renseignements ainsi obtenus d'une façon hâtive
furent des plus sommaires. A ce propos, je désire rendre ici
un hommage particulier à la mémoire du géologue français
Brives qui a reconnu et étudié le Maroc de 1901 à 1907, pour
le compte d'une compagnie française.
C'est vers cette époque que se dessine la concurrence entre,
d'une part, l'Union des Mines comprenant des Français et des
Allemands, et les Mannesmann, sujets allemands, d'autre part.
Ceux-ci se firent délivrer en 1908 par le Sultan Moulay Hafid
une immense concession dans des conditions qui ont soulevé
immédiatement de vives protestations, et dont l'irrégularité
a été, plus tard, formellement reconnue par la Commission
arbitrale des litiges miniers s'appuyant sur l'article 112 de
l'Acte d'Algésiras,
par lequel le Sultan s'était lié vis-à-vis de
l'ensemble des Puissances européennes.
Cet article 112, qui forme la charte internationale du droit
minier au Maroc, est ainsi conçu :
« Un firman chérifien déterminera les conditions de conces-
« sion et d'exploitation des mines, minières et carrières. Dans
« l'élaboration de ce firman le Gouvernement chérifien s'ins-
« pirera des législations étrangères existant sur la matière. »

- 421
-
Dans la période troublée dont je parle, l'activité politique et
diplomatique prit, en matière de Mines,
un caractère nouveau
par la réunion d'une conférence tenue à Paris en novembre
1909 et mai-juin 1910 et qui fut présidée par Aguillon, ins
pecteur général des Mines,
des Mines de Paris,
professeur de Législation à l'Ecole
représentant la France. Le protocole de
cette conférence fait connaître que les représentants de l'Alle
magne, de l'Espagne, de la France et de la Grande-Bretagne
ont été délégués par leurs Gouvernements à l'effet d'examiner
en commun un projet de règlement minier pour le Maroc, des
tiné, sur la demande du Sultan Abd el Aziz,
à l'article 112 de l'Acte d'Algésiras.
à faire porter effet
Au protocole se trouve joint le projet de règlement. C'est
un document capital, car le dahir du 19 janvier 1914 l'a repro
duit textuellement, sauf quelques rares modifications qui n'en
altèrent pas la substance.
2e Partie. —
Les dahirs de 1914
Le Protectorat français au Maroc a été institué en 1912.
L'organisation judiciaire générale du pays date de 1913.
La réglementation minière marocaine date du 19 janvier
1914. Il y a deux dahirs réglementaires portant cette date.
L'un dispose pour l'avenir,
c'est le règlement minier propre
ment dit ; l'autre s'attache à régler le passé et porte, d'après
son titre même, « réglementation pour la solution des litiges
miniers qui ont une cause antérieure à la promulgation du
dahir sur les mines en date du 19 janvier 1914 ».
Analysons l'un et l'autre de ces documents :
Premier dahir du 19 janvier 1914 portant réglementation
minière. —
Le
tenait 6 titres :
dahir portant Réglementation des Mines, con
Premier Titre : Dispositions générales ;
Deuxième Titre : Des recherches ;
Troisième Titre : De l'exploitation ;
Quatrième Titre : Droits et obligations des explorateurs et
des exploitants ;
Cinquième Titre : Du Service des Mines ;
Sixième Titre : Dispositions diverses.

-.422 -
Le titre premier définissait d'abord les substances miné
rales,
dites inconcessibles et laissées à la disposition des pro
priétaires du sol —
ce sont les « Carrières » —
et
définissait
ensuite les « Mines », sur lesquelles les particuliers pouvaient
obtenir soit un droit exclusif de recherche —
Chef du Service des Mines —
tation,
par dahir du Sultan.
soit
par
décision du
un droit exclusif d'exploi
Le permis de recherche s'attribue à la priorité de la deman
de. Il constitue un droit mobilier et a une durée normale de
trois ans.
Le permis d'exploitation constitue également un droit mobi
lier. Il ne peut être accordé qu'au titulaire d'un permis de
recherche non encore périmé qui en fait la demande. Le Sultan
statue souverainement sur cette demande.
Aucun travail n'est exigé ni du titulaire du permis de
recherche ni de celui du permis d'exploitation,
mais le défaut
de paiement des taxes annuelles, pour ce dernier permis, com
porte de droit la déchéance de son titulaire. C'est l'application
rigoureuse de l'adage espagnol « prenez mais payez », qui
résume en une formule saisissante le principe du décret base
espagnol de 1868 dont j'ai parlé plus haut.
Deuxième dahir du 19 janvier 1914 purgeant le passé —
Bespeot des droits coutumiers des Indigènes inscrit dans le
premier dahir du 19 janvier 1914. —
Le
deuxième dahir du
19 janvier 1914 organisait une Commission arbitrale dite des
litiges miniers, appelée à liquider le passé minier marocain.
Cela devait s'entendre en premier lieu dans l'examen de la
validité des titres miniers qui auraient pu être légalement ins
titués par le Sultan en faveur de particuliers,
avant 1914. Un
seul de ces titres existait, celui de la concession faite en 1908
par Moulay Hafid en faveur des Mannesmann. La Commission
a déclaré ce titre juridiquement non valable.
En second lieu,
la Commission avait le pouvoir de prendre
en considération, par motif d'équité, des faits d'activité minière
antérieure à 1914 et dont «les personnes ou Sociétés» pou
vaient «se prévaloir».
Cette disposition instituait la purge générale des situations
acquises.

— 423 -
Il est à remarquer que l'œuvre de la Commission arbitrale
ne s'étendait cependant pas à la situation acquise dont les
Indigènes eux-mêmes pouvaient éventuellement se prévaloir
à raison des droits coutumiers dont ils jouissaient, c'est-à-dire
dont ils avaient gardé la possession effective,
avant l'édiction
de la nouvelle réglementation minière. La question du respect
des droits coutumiers des Indigènes a été spécialement réglée
par l'article 5 du dahir du 19 janvier 1914,
dont les disposi
tions ont élé reproduites ultérieurement par les dahirs miniers
de 1923 et 1929. Il s'agit, répétons-le, de droits effectivement
exercés, qui sont, de toute évidence, incessibles, et pour les
quels les dahirs miniers ont d'ailleurs prévu la possibilité d'une
purge spéciale.
— Application de la réglementation minière de 1914. L'appli
cation de la réglementation minière de 1914 n'a soulevé aucu
ne difficulté mais a donné lieu à deux incidents qui méritent
d'être mentionnés, celui relatif à l'ouverture des zones et celui
relatif au changement apporté dans la législation des phos
phates.
Ouverture successive des zones aux recherches. —
Aux
termes de l'article 60 du dahir réglementaire du 19 janvier
1914, le Maghzen pouvait par voie de mesure générale et pour
des motifs de sécurité, suspendre le droit de recherche des
mines et celui d'acquérir des permis de recherche ou d'exploi
tation dans des régions déterminées.
Il résulte de cette disposition que la délivrance des permis
de recherche de mines ne s'est faite au Maroc que progres
sivement, dans les zones ouvertes successivement aux
recherches, par des dahirs spéciaux prévoyant chaque fois une
période de simultanéité de cinq jours pour la présentation des
demandes. Le Service des Mines a reçu chaque fois le pouvoir
de faire entre les demandeurs un choix déterminé par des rai
sons de technique minière. Deux considérations principales
ont prévalu dans ce choix, savoir celle du fait dûment établi
de la priorité de la déclaration de découverte du gisement, et
celle de l'ensemble des garanties financières et techniques qui
ont paru nécessaires pour assurer, au mieux des intérêts géné
raux du pays, l'étude et la mise en valeur du gisement.

— — 424
Changement apporté à la législation des phosphates. —
Le
dahir du 27 janvier 1920 a modifié l'article 51 du dahir du
19 janvier 1914, qui réservait l'exploitation des phosphates à
l'adjudication et a prescrit que désormais la recherche et
l'exploitation des phosphates sont exclusivement réservées au
Maghzen.
Cette décision souveraine a eu pour effet, comme l'on sait,
d'augmenter notablement les ressources financières du Magh
zen. Elle a été prise en accord avec l'article 112 de l'Acte d'Al-
gésiras qui se référait à l'exemple donné par les législations
étrangères. Or, plusieurs de ces législations,
moindres,
et non des
ont résolu l'étatisation de certaines catégories de
Mines. Un de ces exemples peut être donné notamment par la
Hollande où l'Etat s'est réservé complètement, à partir de
l'année 1901, l'exploitation des mines de houille, par régie
directe,
à son
profit.'
3e Partie. —
Les dahirs de 1923 et 1929.
Le dahir du 19 janvier 1914, réglementant la recherche et
l'exploitation des mines au Maroc, a été abrogé et remplacé
successivement, d'abord par le dahir du 15 septembre 1923,
puis par le dahir du 1er novembre 1929.
Les raisons d'être de ces deux changements successifs
apportés à la législation minière de 1914 ont été les suivants :
Tout d'abord se posait la question du caractère juridique
attribué au permis de recherche et au permis d'exploitation ou
concession de mine.
Sous l'empire du dahir de 1914, le permis de recherche et
le permis d'exploitation constituaient l'un et l'autre des droits
dits mobiliers. Jusqu'à l'époque où la nouvelle organisation
judiciaire du Maroc a pris corps, c'est-à-dire jusqu'en 1913,
on avait estimé inopportun d'attribuer aux titres miniers, quels
qu'ils fussent, le caractère immobilier,
par la raison que les
contestations auxquelles ils pouvaient donner lieu auraient
relevé, ipso facto, de la juridiction du Cadi, ce que l'on enten
dait éviter.
En 1914,
au moment où a paru le dahir portant réglemen
tation minière, calqué, comme je l'ai dit, sur le projet de 1910,

— 425 —
la réforme de l'organisation judiciaire était encore trop récente
au Maroc pour qu'on pût songer à refondre le projet de régle
mentation minière de 1910.
Cette réforme fut faite par le dahir du 15 septembre 1923
qui a donné au permis d'exploitation et à la concession qui peut
lui faire suite le caractère immobilier et les a donc soumis aux
conditions et garanties, et leur a conféré les privilèges que
comporte au Maroc, sous la nouvelle organisation judiciaire,
la propriété immatriculée.
Par ce même dahir de 1923 on a laissé au permis de
recherche son caractère mobilier antérieur à raison des compli
cations que l'on supposait alors devoir pratiquement s'opposer
aux opérations d'immatriculation appliquées
recherche.
aux permis de
En 1929 on a passé outre à cette difficulté, et depuis cette
époque le permis de recherche est devenu, dès le moment de
son institution, un titre immobilier, aussi bien que le permis
d'exploitation et la concession.
Cette réforme a eu le très grand avantage d'assurer la sécu
rité des transactions à tous les titres miniers, quels qu'ils
soient.
Le dahir minier de 1914 prévoyait deux étapes pour la
constitution du droit minier total, savoir le permis de recherche
et le permis d'exploitation. Le dahir minier de 1923 en a prévu
trois qui sont : le permis de recherche, le permis d'exploitation
et la concession. Le dahir minier de 1929 a entendu simplifier
cette disposition et n'a donc prévu que deux étapes qui sont
l'attribution du permis de recherche et celle de la concession.
A la demande de l'Union Syndicale des Mines Marocaines,
l'Administration marocaine envisage en ce moment la possi
bilité de rétablir les trois étapes de l'institution du droit minier
qui avait été organisé en 1923 : permis de recherche, permis
d'exploitation et concession. Mais le permis d'exploitation
serait essentiellement institué pour les gîtes de médiocre im
portance et ne serait suivi en conséquence, d'un titre de
concession que pour les gîtes d'une importance reconnue.
Le caractère immobilier donné à tous ces titres permettrait
d'ailleurs de simplifier beaucoup la procédure de l'institution
des permis d'exploitation, ce que l'on ne pouvait pas faire en

426
1923 lorsque le permis d'exploitation avait un caractère juri
dique différent de celui du permis de recherche.
Désormais, la demande de concession, seule, donnerait lieu
à l'ouverture d'une enquête permettant de fixer avec une pré
les limites de la conces
cision incontestable à l'égard de tous,
sion et qui jouirait du bénéfice de la purge vis-à-vis de tous les
permis quels qu'ils soient, de recherche ou d'exploitation.
D'autres modifications sont également à l'étude. On recon
naît communément aujourd'hui que les gisements de pétrole
devraient faire l'objet d'une réglementation particulière, non
absolument conforme à celle qui régit les gisements de mine
métallique.
11 n'est pas contestable, en effet, que la reconnaissance effec
tive des gisements de pétrole exige l'emploi de moyens techni
ques très développés, très puissants, très complexes,
et consis
tant d'abord en études préliminaires géologiques et géophysi
ques, ensuite,
dans l'exécution de sondages profonds pratiqués
avec toutes les ressources de l'art. Les permis de recherche
de pétrole doivent donc pouvoir être renouvelés plus souvent
que les permis de recherche de mines métalliques. Us doivent
aussi viser des domaines^beaucoup plus étendus.
L'obligation d'exécution des travaux de recherche et d'ex
ploitation de mines a été insérée pour la première fois au
Maroc, dans le règlement minier de pour 1923, les recherches
de pétrole, et dans celui de 1929, pour les recherches de pétrole
et de mines métalliques. L'application de ces dispositions a
souffert quelque retard dû à la crise mondiale des métaux sur
venue en 1930 et qui s'est prolongée jusqu'en 1936.
Une comparaison plus complète des dahirs de 1914, 1923 et
1929 et un examen plus poussé des conditions dans lesquelles
s'est poursuivie leur application me permettrait d'ajouter d'au
tres observations à celles qui précèdent. La Note que je compte
bientôt insérer dans les Annales des Mines donnera à cet égard
les éclaircissements nécessaires.
Je me borne au précédent exposé qui indique les faits
essentiels de notre législation minière marocaine.

LA COLONISATION
EN PAYS DE COUTUME BERBÈRE
PAR
G. RAVES
JUGE AU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE RABAT
MEMBRE DES CENTRES D'ÉTUDES JURIDIQUES ET ADMINISTRATIVES DU MAROC
Les limites du Maroc utile s'élargissent tous les jours. Après
les plaines de la Chaouïa, du Garb, des Cherarda ;
après les
collines et les plateaux des Guerrouane et des Zemmours, voici
que la montagne berbère et ses vallées sont, à leur tour,
défrichées et mises en valeur par la Colonisation. Dans ces
régions, qui furent les plus dures à pacifier,
la charrue euro
péenne vivifie aujourd'hui d'immenses étendues autrefois par
courues par les troupeaux de tribus en état de perpétuelle
alerte.
Pour juger des progrès de la colonisation dans ce pays
nouvellement ouvert à l'activité des étrangers, rien ne parle
plus clairement que les nombres. Voici une statistique des
transactions immobilières conclues entre berbères et étran
gers (l). De l'importance de ces chiffres et du sens de leur
(1) Sont considérés comme appartenant à une tribu de coutume ber
bère : a) les Berbères nés dans la tribu et y demeurant; fc) les Berbères
nés dans une autre tribu que celle du lieu de la situation de l'immeuble,
mais classée parmi celles de coutume berbère (pour les Berbères nés
dans une tribu de coutume, mais installés en pays de Chrâa, ils seront
considérés comme faisant partie de la tribu ou comme étrangers selon
que leur absence aura un caractère temporaire ou définitif, c'est-à-dire
qu'Us auront ou non conservé leur domicile dans leur groupement) ;
c) les Arabes, mêmes chorfas, installés à demeure dans une tribu
de coutume avant l'occupation française, ainsi que les Arabes nés dans
la tribu et domiciliés; d) les Israélites dans les mêmes conditions.

Nombre d'aliénations immobilières passées entre Berbères et étrangers
(Voir statist. détaillée spéciale depuis 1922).
Région de Meknès :
El Hadjeb '.
Midelt
Atlas central :
(Ventes à des Marocains Don berbères. Zone
d'insécurité),
1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 Total
146
m
o
s
a
CD
>
ce
a,
a
O
a
c»
a
a
*^
es
o
-S
a
99
450
120
1
48
N. G.
»
3
72
480
74
N. C.
N. C.
N. C.
N. G.
»
34
874
411
N. C.
N. C.
N. C.
N. C.
»
79
648
160
0
30
N. C.
»
2
103
500
115
4
47
46
u
0
77
364
88
5
29
49
12
2
40
400
63
27
35
56
»
6
64
627
79
21
48
89
1
1
(par régions)
714
4.343
1.110
TOTAL (par années) 146 721 626 1.319 919 815 626 627 930 6.729
Les années pour lesquelles les résultats ne sont pas connus sont indiquées par l'abréviation N . C
58
237
240
24
3
oo

— 429 —
variation dans le temps, on pourra tirer des conclusions sur
l'évolution de la colonisation dans les tribus qu'ils con
cernent (2). j
L'examen du précédent tableau permet d'affirmer que,
malgré un ralentissement postérieur à 1932, dû sans doute
à ce qu'il est convenu d'appeler la « crise », la colonisation en
pays berbère est en plein essor.
Laissant de côté tout problème d'ordre purement agricole, il
convient d'examiner deux questions en rapport direct avec
l'installation des étrangers en pays de coutume :
1° La chefaâ berbère et ses répercussions possibles sur le
développement de la colonisation.
2° Les conséquences sociales et économiques de l'acquisition
des terres par les étrangers,
la protection des Indigènes.
et les mesures législatives pour
La Chefaâ en pays de coutume
Lorsqu'on se demande quelle est l'origine du retrait coutu-
mier on est tout de suite frappé par cette constatation qu'aucun
dialecte berbère ne possède, pour désigner l'institution, d'autre
mot que celui de « chefaâ » vocable qui est, sans contestation,
de provenance arabe. Et l'on est alors amené à se poser la
question : la chefaâ n'est-elle point, dans les institutions cou
tumières,
Le simple raisonnement, en l'absence d'éléments historiques
un apport relativement récent ?
précis, permet de penser qu'avant les invasions arabes de
l'Afrique du Nord, la Chefaâ était inconnue des autochtones.
En effet, à cette lointaine époque,
chacun des groupements
ethniques que nous appelons aujourd'hui «tribu» étendait son
occupation de fait sur une aire géographique variable selon ses
besoins et selon ses forces. La terre faisait l'objet d'une pos
session en commun par des collectivités hostiles les unes aux
autres,
possession qui s'exerçait par le pacage des troupeaux
(2) Chiffres aimablement communiqués par MM. les Chefs des Services
de la Conservation Foncière et du Contrôle de la Justice berbère, ainsi
que par les Chefs des circonscriptions de Contrôle civil et bureaux de
renseignements.

— 430 -
et quelques maigres labours superficiels. Il est certain que la
propriété individuelle ou même familiale étaient incompatibles
avec un tel état social,
tions immobilières entre individus (s).
exclusif de toute possibilité de transac
C'est sans doute à l'influence de deux facteurs différents
qu'il faut attribuer la modification progressive de la conception
foncière des Berbères : l'islamisation du Maroc d'une part, et
la transformation des conditions de vie des tribus d'autre part.
Au contact d'envahisseurs qui connaissaient la propriété
individuelle,
à la suite de la sédentarisation des groupements
et de leur fixation sur des circonscriptions de plus en plus
stables, la notion de propriété s'est fait jour dans l'esprit des
Berbères. Propriété collective entre les membres de la tribu
tout d'abord, puis par voie de segmentation, propriété du clan,
de la famille (*).
Cette évolution ne s'est d'ailleurs pas produite partout au
même rythme ; les habitants des plaines, rapidement islamisés,
connaissaient déjà, lors du Protectorat, la propriété indivi
duelle, terme de l'évolution. Les populations montagnardes,
ont conservé plus longtemps le
moins pénétrées de chrâa,
régime collectiviste d'autrefois (5), et on peut affirmer qu'avant
l'arrivée des Français, les tribus de la siba connaissaient à
peine la propriété familiale et pas du tout le partage (6) .
(3) Ce très ancien régime des terres au Maroc semble pouvoir être
comparé à celui du « fundus », dont les parties cultivables étaient répar
ties entre les « oberati », les pâtures et les bois étant laissés à l'état
collectif (V. Recherches sur l'origine de la propriété foncière, par d'Arbois
de Jubainville).

- 431
-
L'influence française au Maroc, qui a eu pour effet, entre
autres,
de fixer définitivement les populations sur des terri
toires nettement délimités, n'a fait qu'accélérer l'évolution.
Aujourd'hui, même dans les régions les plus reculées, les
Berbères commencent à avoir le sentiment de la propriété per
sonnelle. Le partage,entre membres de la tente devient de plus
en plus fréquent.
En dehors des causes profondes déjà exposées, favorables
aux tendances individualistes, le partage est aujourd'hui sou
vent provoqué par la mésentente entre les femmes habitant
sous la même tente : influence certaine quoique indirecte de
la femme qui, de l'ombre de la Khaïma se projette sur la vie
sociale et tend à obliger l'homme à refaire son œuvre et à
façonner autrement ses institutions (7).
L'apparition de la notion de propriété s'accompagne tout
naturellement de la possibilité de disposer ; le droit de vendre
la terre, inconcevable autrefois,
en est le corollaire nécessaire.
Mais « le régime foncier survit à l'organisation sociale qui lui
a donné naissance» (8). La réglementation du régime foncier
traduit la défense des intérêts vitaux d'un peuple, et cède dif
ficilement devant des exigences nouvelles. De l'ancien prin
cipe d'inaliénabilité de la terre subsiste un vestige sous la for
me d'une notion de domaine éminent de la collectivité berbère
sur le sol. Et c'est ainsi que chez les Berbères,
longtemps hos
tiles au surplus à l'intrusion des étrangers, le droit de vendre
a pour contre-partie le droit pour tout membre de la collectivité
d'évincer l'acheteur en prenant sa place. La chefaâ entre dans
la coutume parallèlement à la nouvelle conception du bien
foncier.
Mais tandis que la chefaâ du rite malékite du chrâa, adoptée
dans les tribus arabisées, accorde le droit de retrait au seul
copropriétaire indivis (9), l'institution berbère comporte une
vision; les biens restent exploités en commun pendant des générations.
Ceux qui ont une origine melk finissent par constituer des véritables
collectifs où la part de chacun est indéterminée. Il y a là un problème
pour l'avenir du régime de l'immatriculation foncière.
(7) La constatation en a été faite dans la région d'El-Hadjeb et nous
a été rapportée par M. Khassed, interprète au Contrôle civil.
(8) Gay
: Essai sur la propriété familiale en pays de coutume et en
pays de Chrâa {Revue Algérienne, novembre 1925).
(9) Il est étendu au voisin dans le rite hanéfite.

- 432
—
étendue d'application bien plus considérable. En raison de la
persistance de la notion ancienne de domaine éminent de la
collectivité sur le sol, il est logique que tout membre du grou
pement ait le pouvoir d'évincer l'étranger acquéreur. Et c'est
ainsi que le retrait est permis, non seulement au proche parent,
mais au voisin du douar, au membre de la, même fraction, de
la même tribu, de la même confédération,
tout Berbère (10).
on pourrait dire : à
Dans l'ensemble du pays de coutume, une certaine unifor
mité paraît régner sur les règles générales concernant l'exer
cice théorique du droit de chefaâ. Les études entreprises iso
lément sur l'institution (") donnent, dans l'ensemble, les
mêmes directives : le droit de retrait est ouvert aux mêmes
personnes et dans le même ordre de préférence (12), le délai de
forclusion varie peu (huit jours à un mois si le retrayant est
présent à la vente, six mois à un an après son retour s'il est
absent lors du contrat (13). On se bornera,
quant à la réglemen
tation générale, à renvoyer aux travaux d'ensemble sur le
droit coutumier berbère marocain ("). Une comparaison entre
les modalités de la chefaâ coutumière et de la chefaâ du
Chrâa serait des plus intéressantes. Elle excède le cadre de
cette étude et nous ne pouvons que souhaiter de la voir traiter
par un spécialiste des questions arabo-berbères (15).
(10) Comparer avec Je retrait de bourgeoisie des anciennes coutumes
françaises, qui permettait à l'habitant du bourg d'évincer l'acquéreur
n'ayant pas droit de cité.
(11) G. Marcy : La propriété immobilière et les moyens d'acquérir en
— droit coutumier Zemmour. Lieutenant Bassac : La Chefaâ chez les
— Aïn Arfa et Ixklaouen. Aspinion: Etudes sur les coutumes des tribus
Zaïanes.
(12) A noter le parallélisme entre l'ordre de préférence pour l'exer
cice de la chefaâ et l'ordre de dévolution successorale. A noter également
que l'étendue d'exercice théorique de la chefaâ est d'autant plus grande
que la notion, du domaine éminent du groupe est plus vivace.
(13) Chez les Kabyles, le délai était, au moment de la conquête, de
trois jours lorsque le retrayant se trouvait présent au contrat (huit
jours chez les Aït Aïssa ou Mimoun) et de trois jours après, la date du
retour dans le cas contraire.
(14) Henri Bruno : Cours de droit berbère. —
titutions et coutumes des Berbères du Moghreb.
Georges
Surdon : Ins
(IS) Si elle est une importation arabe dans le milieu berbère, comme
nous en avons émis la conjecture au début il serait particulièrement
intéressant de suivre les déformations de l'institution dans des tribus
différentes et selon leur degré d'arabisation.

- 433
—
Devant l'étendue exorbitante du retrait coutumier tel que
le représentaient les renseignements recueillis au cours des
premiers temps du Protectorat on pouvait se demander, lors
de la parution du dahir du 15 juin 1922 sur les aliénations
immobilières en pays berbères, si les rudes « imaziren », usant
largement de la faculté qui leur était donnée d'interdire juri
diquement l'accès de leur territoire, n'allaient point paralyser
toute possibilité de colonisation (16).
Cette crainte s'est révélée vaine. Dans la pratique la chefaâ
n'a jamais constitué un obstacle sérieux à l'installation des
colons et les cas où elle a été effectivement exercée contre des
étrangers sont restés exceptionnels. Les renseignements
recueillis récemment montrent qu'aucun cas de chefaâ ne
s'est produit depuis 1929 dans les tribus : Béni M'Tir, Guer-
rouane du Sud, Irklaouen, Ait Abdi, Aït Oum El Bekht, Ait
Ouirra. Chez les Zemmours,
période récente ;
il en a été de même jusqu'à une
en 1936 quatre préemptions ont été exercées
contre des étrangers chez les Aït Ouribel (sur un total de 39
projets de ventes) ; en 1937 trois cas analogues se sont pro
duits chez les Béni Ameur (sur un total de 44 projets).
Que faut-il en conclure ?
Sans doute s'est-on fort exagéré autrefois la soi-disant
xénophobie des Berbères. Dans les régions actuellement ou
vertes aux transactions, les autochtones semblent faire excel
lent ménage avec les colons européens (17).
Peut-être faut-il ajouter à cette considération l'influence
discrète des autorités de contrôle chargées de faciliter les
débuts de la colonisation.
Enfin il est certain que dans tous les pays, lorsque le retrait
n'est pas exercé dans le but patriarcal d'empêcher l'immixtion
des étrangers dans la propriété du sol, il répond à des préoc-
(16) A la vérité, l'intervention du législateur, sous la forme du dahir
de 1922, s'est manifestée moins dans un but de consolidation de la cou
tume que pour éviter en pays de coutume les contestations, les abus et
les traudes que l'on a déplorés en pays de Chrâa.
(17) L'esprit rural s'est ainsi révélé moins hostile aux étrangers que
>
l'esprit citadin. L'observation a déjà été faite par René Maunier cons
tatant qu'il est moins malaisé d'entrer dans la Khaïma du bled que dans
la demeure du citadin {Loi française et coutume indigène en Algérie,
luûZ).

- 434
—
cupations tout à fait contraires à son origine et à sa portée
sociale. On y discerne un désir particulier de spéculation, très
net lorsqu'il s'agit de biens susceptibles d'une plus-value (18).
Les Berbères n'attribuent pas au sol une grande valeur ;
d'autre part l'esprit de spéculation ne les a pas encore ga
gnés ■(") ; il ne faut donc pas s'étonner de l'absence chez eux
de retraits à buts intéressés.
On peut, semble-t-il, aller plus loin. D'une façon générale,
c'est-à-dire non seulement contre les étrangers, mais même
entre Berbères, la chefaâ coutumière s'exerce fort rarement.
Si des informations contraires ont pu avoir cours jusqu'ici,
c'est peut-être que sous l'influence d'études algériennes (20)
certains auteurs ont exagéré l'importance de cette institution
dans les mœurs des Berbères marocains. Il est également pos
sible que la coutume soit, elle-même, tombée en désuétude. Si
elle n'a pas exercé d'action éliminatrice, n'est-ce pas parce que
cette coutume ne répondait plus aux véritables aspirations des
autochtones ? (21).
Certaines tribus ignorent complètement la chefaâ (Irkla-
ouène, Aït Abdi d'Aïn Leuh). Chez d'autres,
la chefaâ est con
nue, mais elle n'est exercée, en pratique, que par les proches
parents (fils ou frère) et les co-propriétaires du vendeur
(Zem-
mours-Beni M'Tir, Guerrouane du Sud,
Ait Izdeg). Mais il
s'agit là de populations fortement imprégnées de chrâa et le
retrait que l'on y pratique ressemble étrangement à celui du
droit musulman malékite. Il n'a plus cette immense étendue
(18) Comme les terrains pouvant être affectés à dès lotissements dans
les régions où peuvent naître des centres d'estivage ou de sports d'hiver.
(19) Voir pourtant la tendance nouvelle qui se manifeste chez les
Zemmours, les plus évolués des Berbères marocains.
(20) Etudes qui font une large part- à la chefaâ kabyle. En effet les
Kanouns recueillis peu après la conquête, par Hanoteau et Letourneux,
font preuve d'une violente hostilité contre les étrangers. Leur rigueur
s'est considérablement atténuée aujourd'hui.
(21) Il est normal qu'un droit coutumier n'oppose sa résistance que
tant qu'il traduit les aspirations du groupe. Dès l'instant où des aspiralions
nouvelles se font jour, les anciens usages s'atténuent ou dispa
raissent. On peut conclure qu'il devait en être tout naturellement ainsi
dans les rapports sociaux entre autochtones et colons si l'on admet que
la création de fermes européennes dans une région et leur extension sont
des facteurs économiques bienfaisants.

- 435
—
d'application qui est caractéristique de la chefaâ coutu
mière (22).
Nos recherches malheureusement trop rapides n'ont révélé
qu'un seul cas récent de chefaâ exercée en pays berbère par
les membres d'une fraction appartenant à la tribu des ven
deurs. Et encore, il s'agit d'une affaire tellement exorbitante
à tous points de vue que l'on peut la considérer comme un
monstre (23).
Quoi qu'il en soit, la mise en valeur du pays berbère, les
transactions immobilières qui en sont la conséquence posent
la question de la mise au point de la coutume. Voici quelles
en sont, à l'heure actuelle, les principales dispositions, dans
les régions les plus directement intéressées par la colonisation.
Tribus du Bloc Zemmour. —
Le
tribunal coutumier d'appel
de Khemisset, qui contrôle les décisions des sept tribunaux :
Qablyine, Aït Ouribel, Messaghra, Ait Yadin, Ait Zekri, Ait
Jbel Doum, Béni Ameur de l'Est, Béni Ameur de l'Ouest, a
établi la jurisprudence ci-après :
Le droit de chefaâ appartient, dans l'ordre de préférence
suivant :
1° Aux ascendants et descendants au premier degré (père,
fils);
2° Aux collatéraux au deuxième degré (frère) ;
3° Aux co-propriétaires indivis.
Le retrait doit porter sur la totalité de la chose vendue, sauf
si le préempteur a renoncé, au profit de l'acquéreur,
djemaâ,
à une partie de la chose.
devant la
(22) Le droit de retrait de la tribu ne s'exerce presque jamais « Ce
droit n'est que sur la langue », disaient déjà les Kabyles en 1842.
(23) Un vaste terrain dénommé Tagnaneit situé dans les Aït Youssi,
fut vendu selon acte du 5 novembre 1824 par les Aït Khalifa et les Aït
Makhlouf (deux fractions des Aït Youssi) à huit indigènes des Aït Brabra
(Aït-Raho). En, 1926, le Tribunal coutumier des Aït Segrouchen d'Im-
mouzer (celui des Ait Youssi ayant été récusé), saisi d'une demande de
validation de Chefaâ par les Aït Saïd ou Lahcen et les Ait Alaham (deux
sous-fractions des Aït Makhlouf qui n'avaient pas figuré à la vente de
1824 et n'avaient depuis cette époque cessé de revendiquer le bled), a
fait droit à cette demande. Les Aït Raho ont été condamnés à restituer
le terrain, contre remboursement du prix payé par eux 102 ans aupa
ravant. Ce jugement n'a pas été frappé d'appel.

— - 436
La chefaâ doit être demandée dans un délai qui prend fin
huit jours après la dernière des trois criées faites au souq. Ce
délai est de six mois si le préempleur habite hors de la tribu.
En cas de vente à un étranger, le délai de forclusion est
celui prévu par le dahir du IS juin 1922.
Tribu des Béni Hakem (Tedders). —
Cette
tribu est du res
sort du Tribunal coutumier d'Appel de Khémisset qui applique
la coutume définie plus haut.
Tribu des AU Amar (Oulmès). —
Une
délibération de la
Djemaâ du 13 janvier 1936 a posé les règles ci-après :
Peuvent exercer la chefaâ :
1° Parmi les héritiers du vendeur :
a) Les successeurs en ligne directe à l'infini (fils, petit-fils,
et leurs
etc..) et les assimilés (esclaves affranchis, adoptés)
descendants ;
b) En ligne collatérale : les frères ou assimilés, les oncles
ou assimilés (la représentation n'est pas admise).
2° A défaut d'héritiers, le ou les co-propriétaires indivis.
3° A défaut de co-propriétaires, le ou les riverains, et parmi
eux le plus diligent. Si l'acquéreur est riverain, la chefaâ ne
peut être exercée contre lui par les autres riverains.
— Tribus des Béni M'Tir et Guerrouane du Sud. Les
rensei
gnements sur l'état de la coutume dans la région d'El Hajeb
pendant les premières aimées du Protectorat sont peu précis.
La chefaâ paraît avoir été rarement exercée, en raison, sans
doute,
de la faible valeur des terrains. Aujourd'hui la terre est
devenue la principale richesse, le retrait s'exerce plus fré
quemment. Ce droit a été réglementé à deux reprises.
Une première décision de la djemaâ, du 8 octobre 1927, a
précisé que la chefaâ était ouverte aux seuls co-propriétaires
indivis (c'est-à-dire en fait, aux membres de la famille vivant
dans l'indivision). Le délai de forclusion était fixé à un mois
lorsque le retrayant se trouvait présent en tribu lors de la
vente, à un an lorsque le retrayant était absent (obligation
étant faite au vendeur d'aviser ses co-propriétaires absents).
La réglementation actuelle résulte d'une décision de la

_ 437
-
djemaâ en date du 23 janvier qui 1935, a eu pour but d'étendre
l'exercice du droit de retrait en mettant un frein aux ventes
exagérées consenties par les Indigènes :
La chefaâ est ouverte à rencontre de toute aliénation d'im
meuble bâti ou non bâti, à titre gratuit (24)
Peuvent l'exercer :
ou onéreux (25).
1° Le co-propriétaire indivis ;
2° Tout héritier possible, dans l'ordre successoral (£6), jus
qu'à la fraction. Pour ceux des héritiers possibles du vendeur
qui font partie de la société familiale, ils devront, en même
temps que leur demande de préemption, former une demande
en sortie de communauté et partage des biens.
3° Toute personne non héritière possible du vendeur, mais
faisant ou ayant fait partie avec lui de la société familiale
(amharès),
ainsi que les ayants droit de cette personne.
Le délai de forclusion est établi de la façon suivante :
a) Cas de vente à un Berbère : le délai est de un mois après
la dernière publication sur le souk (les publications sont au
nombre de trois) si le retrayant est présent dans la tribu lors
du contrat, il est de un an si le retrayant est absent ;
b) Cas de vente à un étranger : le délai est fixé par le dahir
du 15 juin 1922 (modifié le 25 avril 1928).
Dans tous les cas le préempteur doit consigner dans les
quinze jours qui suivent la notification de la chefaâ, le mon
tant du prix et des loyaux frais.
En cas d'aliénation gratuite, l'immeuble est estimé à dire
d'experts désignés par le Tribunal coutumier.
L'immeuble retrayé reste inaliénable entre les mains du
préempteur pendant deux ans. Il ne peut, pendant ce délai,
être donné en gage. Toutes conventions contraires sont nulles.
Toutefois, en cas de dénuement, l'autorisation de vendre ou de
donner en gage peut être accordée par jugement.
(24) Disposition remarquable et nouvelle en pays berbère.
(25) Il faut donc admettre la chefaâ en cas d'échange d'immeuble,
avec ou sans soulte.
(26) Ordre successoral: fils, petit-fils, père, grand-père, frère consan
guin, neveu (fils du frère), oncle paternel, cousin (du côté paternel), riff
(groupe de tentes les plus proches par le sang), tiguemmi (douar), sousfraction,
fraction.

— - 438
Si l'amharès préempteur quitte le douar de sa famille
d'adoption, le bien revient, sans indemnité, au chef de la com
munauté d'adoption.
Tribu des Irklaouen (Azrou). —
La
chefaâ paraît être tombée
en désuétude complète. Elle n'est jamais exercée, pas plus
contre les étrangers qu'entre Berbères.
Il faut sans doute, en trouver l'explication dans le fait qu'il
s'agit d'un pays d'élevage, habité par une population de pas
teurs. Les cultures ont été, jusqu'à ce jour assez peu étendues.
Il n'a jamais été pris de délibération par la djemaâ sur le
point particulier de la chefaâ.
— Tribu des Ait Abdi (Aïn Leuh). La
à celle exposée par les Irklaouen.
situation est identique
LA LÉGISLATION PROTECTRICE DES INDIGÈNES
Personne n'ignore que le fellah marocain vend volontiers sa
terre (27). On ne trouve pas chez lui cet amour tenace du paysan
français pour le sol que des générations d'ancêtres ont fruc
tifié sans arrêt. Le Marocain,
descendant de pasteurs semi-
nomades dont l'existence précaire n'était pas faite pour déve
lopper en eux les qualités de prévoyance, dilapide trop souvent
son bien et ses moissons futures en échange d'un peu de numé
raire qui lui procure des jouissances immédiates et éphémères.
PJt c'est ainsi que des régions entières changent de maître (28),
et que se détachent de la terre quantité de fellahs. Ceci est
vrai en tribu de coutume comme en pays de chrâa. L'exemple
le plus frappant en a été fourni par les M'Jatt, les Aït Yazem
el les Béni M'Tir. Dans ces tribus, les Indigènes se sont défaits
de la plus grande partie de leurs terres melk. Ils ont fait plus :
(27) Il la vend même plusieurs fois, s'il le peut. Et nombreux ont été
les nouveaux débarqués qui, acquéreurs d'une moulkya souvent fabri
quée dans les officines de Salé ou d'Azemmour, et convenablement culot
tée par un séjour prolongé dans la semelle d'une babouche, ont yu
disparaître avec leur espoir, tout recours contre un vendeur insolvable.
(28) Les acquéreurs ne sont pas toujours des Européens. Bien des
notables marocains plus prévoyants ou mieux conseillés que leurs core
ligionnaires, se constituent à bon prix d'importants domaines.

-
_ 439
le conseil de tutelle ayant autorisé des partages de biens collec
tifs dans lés conditions prévues au dahir du 27 avril 1919, les
attributaires,
cle 4,
malgré les prescriptions impératives de l'arti
se sont empressés d'aliéner leurs lots à des étrangers
sans attendre l'expiration du délai de dix ans prévu par le
dahir (29).
Quelles sont les conséquences de cet état de choses ?
Les populations rurales n'étant plus retenues dans le bled
abandonnent leur habitat, et cet exode posera peut-être un
jour le problème de la main-d'œuvre agricole. Cette même
population, transformée en un prolétariat errant et misérable,
s'entasse autour des villes européennes dont les bidonvilles
constituent la ceinture lépreuse. Aujourd'hui amorphe, cette
masse ne sera-t-elle pas un jour le milieu tout désigné dont
certains tenteront d'exploiter la rancune en évoquant une soi-
disant spoliation ? (30). Il y a là une situation qui n'a pas
échappé à l'attention des Autorités du Protectorat,
et la légis
lation foncière du pays porte la marque de cette préoccupation.
Quelles sont, à l'heure actuelle, les mesures législatives prises
dans un but de protection des Indigènes ? Elles sont de deux
sortes :
1° La réglementation des propriétés collectives, applicable
â l'ensemble du Maroc.
2° Les textes relatifs à la transmission de la propriété im
mobilière,
et plus particulièrement pour les tribus berbères
qui nous intéressent, le dahir du 15 juin 1922 et ceux qui
l'ont modifié.
Réglementation des biens collectifs. —
Dahir
du 27 avril
1919 (et textes subséquents) organisant la tutelle administra
tive des collectivités, et réglementant la gestion et l'aliénation
des biens collectifs. Dahir du 5 septembre 1921,
rendant appli
cables aux tribus de coutume berbère les textes ci-dessus.
(29) Dans la circonscription d'El Hadjeb 32.000 indigènes cultivent
23.000 hectares, 380 colons cultivent 37.000 hectares (renseignements
fournis par le Contrôle civil d'El Hadjeb).
(30) Autre conséquence de l'exploitation intensive par la colonisation
des terres antrefois affectées au parcours : le bétail n'a plus de terrains
de pacage; il encombre les bas côtés des routes, plus ou moins surveillé
par des bergers nonchalants, et constitue dans certaines régions un véri
table danger pour la circulation automobile.

- 440
—
Parmi les dispositions légales concernant les terrains des
collectivités,
l'inaliénabilité de ces biens est certainement la
mesure la plus propre à sauvegarder le patrimoine indigène.
La loi permet, toutefois, au conseil de tutelle d'autoriser le
partage entre membres de la tribu, sous la réserve que les lots
ne pourront être aliénés à des étrangers avant l'expiration d'un
délai de dix ans. On a vu plus haut comment cette interdiction
a été déjouée par les attributaires, et qu'en fait, les partages
effectués à ce jour ont été très rapidement suivis d'aliénations
déguisées. On a proposé d'étendre l'inaliénabilité aux lots pro
venant des partages, ou de procéder à des attributions de lots
en jouissance perpétuelle (ce qui revient au même) ; il y au
rait là, sous la réserve de l'organisation de mesures spéciales
de crédit, une modification heureuse de la Loi, dans le sens de
la protection des Indigènes (31).
Réglementation des transactions immobilières en pays
berbère. —
Le
dahir fondamental du 15 juin 1922 (portant
règlement des aliénations immobilières consenties par des
indigènes appartenant à des tribus reconnues de coutume ber
bère et non pourvues de Mahakmas pour l'application du
Chrâa, au profit d'acquéreurs étrangers) renouvelle, dans son
article premier, l'interdiction de vendre à des étrangers des
biens collectifs. Il défend même la vente de biens melk indivis.
Les articles 3 et suivants organisent une procédure particu
lière relative aux aliénations de terres melk à des étrangers.
Des formalités spéciales sont prévues : publication du projet
de vente par les soins de la djemaâ, enquête par la djemaâ,
avis au contrôle et à la conservation foncière. L'échange des
consentements devant la djemaâ est suivi de la rédaction d'un
procés-verbal ; ainsi le ritualisme coutumier, purement oral,
est. perfectionné par l'établissement d'une preuve écrite. L'ac
cord définitif doit être conclu devant le Conservateur ou son
délégué et accompagné obligatoirement du dépôt d'une réqui
sition au nom du vendeur.
(31) On consultera avec intérêt l'étude de Maître Bruno : « La pro
tection du paysannat indigène au Maroc », conférence donnée le 29 jan
vier 1938 à l'Institut des Etudes Islamiques et publiée par l'Afrique
Française (janvier et février 1938).

Enfin,
- 441
-
l'article 7 fait défense à l'acquéreur de prendre pos
session avant immatriculation (ou avant l'expiration des délais
d'opposition si la djemaâ a donné un avis favorable). Cette
interdiction est sanctionnée par la possibilité accordée au ven
deur ou à la djemaâ de requérir l'expulsion de l'acheteur.
Le 25 avril 1928, un nouveau dahir intervenait,
dont les dis
positions les plus intéressantes en ce qui concerne les forma
lités protectrices des Indigènes,
sont les suivantes :
Article 2 (modifiant l'art. 3 du dahir de 1922). —
« Le droit
de retrait ne peut être exercé que devant la djemaâ, et dans un
délai qui expire huit jours après la dernière publication ».
La question du retrait n'avait pas été abordée par le dahir
de 1922.
La loi nouvelle rend uniformes et restreint les délais d'exer
cice de droits coutumiers quant aux ventes consenties à des
étrangers. Le délai de forclusion est fixé à huit jours dans
tous les cas, que le retrayant soit ou non présent en tribu. On
a voulu supprimer l'incertitude qui pesait sur les ventes, par
suite du retrait ouvert à tout ayant droit absent lors du
contrat, quelle que fût la date de son retour (32).
— Article 3 (modifiant l'article 5 du dahir de 1922).
« Est
« également inscrite sur le titre l'action en résolution prévue
« par l'article 170 du dahir du 2 juin 1915 fixant la légis-
« lation applicable aux immeubles immatriculés et réservés
« de plein droit au vendeur à défaut de justification par l'ac-
« quéreur du paiement intégral du prix stipulé. »
Enfin le i"'
juillet 1930 un dahir dont l'objet était « de
« simplifier la procédure des aliénations et permettre leur
« aboutissement dans des délais plus courts » (voir exposé des
motifs), apportait les modifications ci- après :
— Article 2 (modifiant l'art. 5 du dahir de 1922). « Le dupli-
« cata du titre n'est remis à l'acquéreur que contre justifica-
« tion par lui du paiement du prix ou de la portion de prix exi-
(32) Il y a là une de ces manifestations signalées par René Maunier,
de conservation de la coutume par amélioration et accommodation (Loi
française et coutume indigène, p. 74). La question de compétence juri
dictionnelle en cas de litige à l'occasion de retrait exercé contre un étran
a été soulevée. Dans l'état actuel des textes, c'est bien la djemaâ
ger,
qui seule paraît avoir qualité pour statuer.

442
« gible au jour de l'immatriculation d'après l'accord des
« parties » (3S).
Article 4 (modifiant l'art. 7 du dahir de 1922). —
* L'ac-
« quéreur peut se mettre en possession du bien vendu dès que
« le plan de la parcelle ou des différentes parcelles qui le com-
« posent a été établi et remis à la djemaâ de la situation des
« biens. »
Le texte nouveau, revenant sur les prescriptions de l'arti
cle 7 du dahir de 1922 apporte une disposition plus favorable
aux acquéreurs, en leur permettant de s'installer sans attendre
la fin de la procédure d'immatriculation. Le législateur du Pro
tectorat a entendu prendre des mesures prévoyantes et conci
liantes. Mais la manière dont se sont établis, en fait, les rap
ports sociaux entre autochtones et colons, a été bien différente
de la manière dont la loi les a conçus. Une situation tout à fait
contraire aux dispositions du dahir de 1922, comme des dahirs
s'est créée et perpétuée en pays de coutume (34).
subséquents,
De nombreux colons se sont installés au mépris des prescrip
tions législatives en négligeant de requérir l'immatriculation
des terres qu'ils ont acquises (35). Les formalités exigées par
la Loi sont indéfiniment retardées ; il y a là, sans aucun doute,
une source de difficultés pour l'avenir.
On ne peut pas dire que les acquéreurs ont mis en échec le
droit coutumier ; du fait que les diverses modalités de ce droit,
en matière de chefaâ ne leur ont pas été opposées en pratique
par des autochtones qui eussent pu s'en prévaloir. Mais les
colons qui ne peuvent prétendre ignorer le droit écrit du Pro
tectorat seraient impardonnables d'en faire bon marché.
Le législateur se trouve placé devant une situation de fait
(33) Le but recherché est d'éviter des contestations ultérieures «ur le
paiement du prix.
(34) Le caractère d'ordre public de ces dispositions a cependant été
proclamé par la jurisprudence des tribunaux français du Maroc. La
Cour d'Appel de Rabat a déclaré nulle la vente par sous seing privé
sans l'intervention de la djemaâ et même la vente passée devant un
Contrôleur civil.
(35) Les ventes non régularisées sont très rares chez les Zemmours.
Elles sont plus fréquentes dans la circonscription d'El Hadjeb (tout en
restant inférieures en nombre aux transactions accompagnées des for
malités régulières). Elles deviennent la très grande majorité chez les
Irklaouen et Aït Abdi.

- 443
-
contraire à sa volonté expresse et au caractère d'ordre public
de ses dispositions. On conçoit l'hésitation de l'Administration :
doit-elle renforcer des règles écrites que la pratique révèle im
puissantes ? (3). On a proposé de rendre plus actif en pratique
le droit jusqu'ici nominal pour la djemaâ de poursuivre l'ex
pulsion des acquéreurs irréguliers (37). On a proposé (38) de
n'autoriser la prise de possession des terrains par les Euro
péens qu'après le dépôt de la réquisition d'immatriculation et
le versement d'une provision suffisante au Conservateur. Cette
solution, plus conciliante que celle prévue par le dahir de 1922
(obligation d'attendre la fin de la procédure d'immatricula
tion)
aurait l'avantage d'inciter les acheteurs à formaliser leur
acquisition.
Il ne s'agit pas, bien entendu, d'apporter la moindre entrave
à la colonisation. Personne ne songe à contester l'immense
bienfait qui résulte de la mise en valeur du pays. Quiconque a
parcouru le bled admire sans réserve ces splendides exploita
tions créées par des hommes courageux qui feront un jour du
Maroc une terre comparable aux plus riches. Mais il ne faut
pas perdre de vue les problèmes que pose la prise de possession
du sol par des étrangers et leurs répercussions dans l'avenir.
(36) Si l'on peut parler de désuétude pour la coutume, il ne peut en
être de même pour le droit écrit.
(37) En ce sens Henri Bruno.
J&&*---&u&$>.
j(|-5MAI196l |fêo]
(38) M. Rolland, Chef du Service de la Propriété foncière au Maroc.

LE RÉGIME LÉGISLATIF
DES PAYS DE
I. —
PROTECTORAT"
PAR
Pierre LAMPUE
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE CAEN
RÉSUMÉ
La souveraineté dans les pays de protectorat n'est pas
unitaire. Elle appartient à l'union constituée par l'Etat protec
teur et l'Etat protégé. Ce caractère réagit sur le régime légis
latif,
II. —
qui est donc complexe.
L'organe
législatif ordinaire du protectorat est un
organe composé, dans lequel entrent le chef de l'Etat protégé
et le représentant de l'Etat protecteur. L'acte législatif est émis
par le souverain local, sur la proposition du Résident général,
et soumis ensuite au visa, c'est-à-dire à l'approbation du Rési
dent général.
III. —
Dans
certains domaines,
l'organe législatif métropo
litain peut intervenir directement. Cela résulte notamment soit
de l'existence de services français dans le pays protégé, soit de
transferts de pouvoirs consentis au Gouvernement protecteur
par le chef de l'Etat protégé. Il arrive aussi que la législation
émanant du Gouvernement protecteur intervienne parallèle
ment à une législation identique émanant de l'organe du pro
tectorat ;
c'est le procédé des législations concordantes.
(1) Le texte de cette étude sera publié dans la Revue du Droit public
et de la Science politique en France et à l'étranger (Librairie générale
de droit et de jurisprudence, 20, rue Soufflot, Paris), année 1939, n°
1,
p. 5 et s.s.

Lorsque l'organe législatif métropolitain peut ainsi inter
venir, c'est le chef de l'Etat qui a normalement compétence.
Cette compétence se fonde sur l'art. 8 de la loi constitutionnelle
du 16 juillet 1875,
qui donne au Président de la République le
pouvoir de ratifier les traités internationaux et, par suite, de
prendre les mesures nécessaires à l'application de ces traités.
IV. —
Le pouvoir réglementaire appartient encore, dans les
pays de protectorat, à plusieurs autorités administratives. Dans
les pays de l'Afrique du Nord, il est exercé par des ministres
du Gouvernement protégé, sous réserve de visa par l'autorité
protectrice. Le Résident général peut aussi réglementer en ce
qui concerne les Français et les services français. Dans les
pays protégés d'Indochine, le pouvoir réglementaire des rési
dents supérieurs et du Gouverneur général est beaucoup plus
étendu.

TABLE DES MATIERES
Liste des Sociétés ayant adhéré à la Fédération 3
Statuts de la Fédération
Séance d'ouverture du Congrès
Discours de M. BOUDY, président de la Fédération 9
Rapport de M. Gabriel ESQUER, secrétaire général de la
Fédération
Pour le progrès rural indigène, par le Colonel COUTARD,
directeur du cours préparatoire du Service des
Affaires indigènes 19
Discours de M. MORIZE, ministre plénipotentiaire 52
Liste des communications faites au Congrès 53
Séance plénière
Comptes rendus ide l'activité des Sociétés savantes
Suite donnée aux vœux adoptés par le Congrès de Cons
tantine (1937)
Vœux adoptés par le Congrès de Rabat (1938)
Désignation du siège du V6 Congrès de la Fédération et Elec
tion du Bureau
Réceptions et Promenades
(Avec 22 illustrations).
Sciences.
COMMUNICATIONS
Méthodes de diagnose spécifique dans le genre « Triticum »,
par Em. MIEGE et J. COURTINE (avec 3 planches
de figures et 12 illustrations hors texte)
La percolation des eaux dans quelques sols types du Maroc,
par Em,. MIEGE (avec 2 graphiques)
Sur la faune des plus hauts sommets du massif de Toubkal
(Maroc) (résumé), par J. de LEPINAY 205
Contribution à la connaissance de la morphologie externe
'des espèces du genre « Aquila » au Maroc (résumé),
par F. NEMETH 207
L'analyse harmonique de la courbe pluviométrique d'Alger,
par L. PETITJEAN (avec 1 graphique hors . . texte) 209
Contribution à l'étude zoogéographique de la Faune des
Aphidoidae des pays sub-méditerranéens (résumé),
par J. M. MIMEUR 215
5
7
16
62
63
128
132
134
136
143
181

- 448
—
Aperçu phytogéographique sur la Flore cryptogamique
méditerranéenne de l'Afrique du Nord,
WERNER
par R.-G.
Les mouvements postcrétacés en Chaouïa et leur influence
sur la répartition des eaux souterraines, par B.
YOVANOVITCH (avec 1 carte) 245
La fréquence des gelées au Maroc, par le Lieutenant de vais
seau ROUX (avec 1 carte)
Sur la séismicité au Maroc, par J. DEBRACH (avec 2 cartes) 261
Note préliminaire sur les variations de la température avec
l'altitude dans le Sud: Marocain, par G. BIDAULT
(avec 1 carte)
Les richesses hydro-minérales de l'Ouest Algérien : III. Les
eaux chlorurées sodiques, hypotoniques, homéother
males d'Hammam Sidi-Bel-Kheir (près de Lalla-
Maghrnia,
hors texte)
par F. LLABADOR (avec 4 illustrations
Les Meloidae des possessions françaises de l'Afrique du
Nord. Etude biogéographique (résumé), par le
Dr A. CROS 295
Droit, Législation, Etudes économiques.
La diffusion du droit français en Algérie, par R. MAUNIER 299
L'institution du salaire minimum en Algérie, par M. GAF
FIOT
Problèmes posés par la constitution de l'état civil dans ,les
milieux indigènes de l'Afrique du Nord,
DECROUX
par P.
Le rôle de la mine dans l'économie interne du Maroc fran
çais, par L. CLARIOND
341
Le Chapitre des Ventes de l'Amal al Fassi, par V. LOU-
BIGNAC ._ 355
Les habous dans l'économie marocaine,
La Turquie kémaliste,
par G. SURDON
381
219
255
273
279
307
321
par J. LUCCIONI 367
Essai sur l'esprit de la coutume berbère marocaine, par G.
CHAUVEL 399
De certains traits essentiels de la législation minière maro
caine (zone française) considérée à son origine et
dans les diverses phases de son développement, par
H. LANTENOIS 417
La colonisation en pays de coutume berbère, par C. RAVES 427
Le régime législatif des pays de protectorat, par P. LAMPUE 445
Imprimeries « La Typo-Lltho » et Jules Carbone! réunies — Alger

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