Ba<strong>la</strong><strong>de</strong>s Dossier Agenda Gastronomie Itw 12 Ajaccio - Le magazine <strong>de</strong> l’été 2012
Ajaccio sur mer A <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s trésors disparus au fond <strong>de</strong>s mers En matière <strong>de</strong> pêche, comme pour tout ce qui a trait à l’activité ou à l’i<strong>de</strong>ntité insu<strong>la</strong>ire, il y a les cartes postales, et il y a <strong>la</strong> réalité. Il y a l’image qu’on se forme d’un endroit ou qu’on veut en donner, et puis les statistiques. Les idées, d’un côté, ce qu’on imagine, ce qu’on croit ; <strong>de</strong> l’autre, <strong>de</strong>s chiffres, les faits, ce qui est. En matière <strong>de</strong> pêche, il n’est pas très compliqué d’imaginer Ajaccio comme un petit port actif, riche <strong>de</strong>s ressources d’une <strong>de</strong>s plus belles mers du mon<strong>de</strong>, fier <strong>de</strong> ses traditions, d’un savoir-faire immémorial. D’autant que les pêcheurs, à Ajaccio, savent entretenir leur image. Ils ont offert une barque à <strong>la</strong> ville, p<strong>la</strong>cée <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> cathédrale, symbole <strong>de</strong> l’activité principale <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité. Chaque année, ils transportent solennellement <strong>la</strong> statue <strong>de</strong> leur patron, Saint Erasme, en procession à travers <strong>la</strong> ville et sur les flots: <strong>la</strong> « fête <strong>de</strong>s pêcheurs » est un <strong>de</strong>s temps forts <strong>de</strong> <strong>la</strong> sociabilité ajaccienne. Le port <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cita<strong>de</strong>lle est perpétuellement encombré – au moins à <strong>la</strong> morte saison – <strong>de</strong> leurs embarcations, qu’ils réparent, ou <strong>de</strong> leurs filets, qu’ils ravau<strong>de</strong>nt. Et puis il y a <strong>la</strong> halle aux poissons, contre <strong>la</strong> mairie, où tous les matins, dans <strong>la</strong> bonne humeur, s’échangent <strong>de</strong> merveilleuses bestioles multicolores et frétil<strong>la</strong>ntes. Sans parler <strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngoustes, que proposent quelques établissements huppés. Sans parler, l’hiver, <strong>de</strong>s oursins, qui donnent lieu à <strong>de</strong> sympathiques oursina<strong>de</strong>s, sur le port ou sur les p<strong>la</strong>ges. Sans parler du corail ou <strong>de</strong>s œils <strong>de</strong> Sainte-Lucie, à <strong>la</strong> base d’un artisanat prisé. Ajaccio, port <strong>de</strong> mer: l’image est rassurante, conforme à ce que les Ajacciens croient savoir d’eux-mêmes, et à ce que les visiteurs aimeraient trouver au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée. La réalité est sensiblement différente. Parce que <strong>la</strong> Méditerranée est en péril, surexploitée, polluée, que les ressources qu’elle procure fon<strong>de</strong>nt à vue d’œil, et qu’elle ne suffit plus à nourrir ceux qui aimeraient en vivre. Alors, <strong>de</strong>s pêcheurs, il y en a <strong>de</strong> moins en moins. Ceux qui restent sont <strong>de</strong> plus en plus âgés. L’avenir n’est pas riant. « En Corse, il y a environ 160 patrons pêcheurs, explique l’un d’eux, 80 dans <strong>la</strong> prud’homie d’Ajaccio, dont environ 50 pour <strong>la</strong> seule ville d’Ajaccio. Sur ces 50, on estime qu’il y a un tiers <strong>de</strong> retraités, un tiers <strong>de</strong> retraités actifs, un tiers <strong>de</strong> jeunes, soit moins d’une vingtaine <strong>de</strong> pêcheurs effectivement concernés par le développement <strong>de</strong> cette activité… » Il y a davantage <strong>de</strong> coiffeurs ou <strong>de</strong> taxis. Que faire? Pour Dominique Torre, corailleur, qui année après année voit <strong>la</strong> ressource s’épuiser – « dans le golfe d’Ajaccio, il n’y a plus rien, confie-t-il, le plus jeune corailleur <strong>de</strong> Corse a 43 ans… » -, <strong>la</strong> solution passe par d’ambitieuses mesures <strong>de</strong> protection pour mieux développer. « De capo di Feno à capo di Muro, en englobant tout, il faudrait créer une gran<strong>de</strong> aire marine protégée, exemp<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> ce qu’on peut faire si on veut sauver <strong>la</strong> Méditerranée. Il faudrait associer toutes les collectivités publiques – et Dieu sait s’il y en a… -, <strong>de</strong>s investisseurs privés, sans doute créer une fondation… Il faut se persua<strong>de</strong>r d’une chose: l’avenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> Corse va se jouer en mer. Si on ne fait rien, dans dix ans, il ne restera plus rien, et les sommes à investir pour rétablir <strong>la</strong> situation seront encore plus considérables… » Après l’opération « grand site » sur terre, ce pourrait être sur mer l’opération « grand golfe ». Séduisante, l’idée – un peu moins ambitieuse - vient d’être reprise par <strong>la</strong> prud’homie d’Ajaccio. Si les pêcheurs professionnels s’y mettent. A suivre. • Le magazine <strong>de</strong> l’été 2012 - Ajaccio 13