revue de presse - République et Canton du Jura

12 SUISSE LeMatinDimanche I 5 MAI 2013
Mis sous pression, le maire de Saint-Imier,
Stéphane Boillat, «défendra ses opinions»
QUESTION JURASSIENNE
La campagne pour le vote
du 24 novembre n’a pas encore
commencé, mais les tensions
sont déjà palpables.
Jean-Claude Péclet
jean-claude.peclet@lematindimanche.ch
«Un gentleman», «sérieux», «honnête»,
«compétent»: de tous bords,
les compliments pleuvent sur Stéphane
Boillat. Le maire de Saint-
Imier (Jura bernois) n’a qu’un défaut:
il est autonomiste. «Pendant quatorze
ans et trois mois, il a dirigé la
commune sans montrer qu’il l’était»,
apprécie John Buchs, chef du groupe
PLR au conseil de ville et antiséparatiste
de longue date.
Et voilà que le 15 avril dernier, Stéphane
Boillat a fait son «coming out»
en coprésidant aux côtés du maire de
Delémont PDC Pierre Kohler le comité
«Construire ensemble». Ce dernier
défend l’idée d’un possible destin
commun du Jura et du Jura bernois,
qui fera l’objet d’un vote dans les cantons
de Berne et du Jura le 24 novembre
prochain. «Il n’est pas question de
revenir quarante ans en arrière, explique
Stéphane Boillat, mais de dire si
nous voulons réfléchir ensemble à
l’avenir de toute la région. Ce processus
est une chance unique, rare dans
un pays démocratique. Le canton du
Jura accepte, lui aussi, de s’y remettre
en question, ce n’est pas rien.»
Propos mesurés, à l’image de cet
avocat de 48 ans souvent décrit
comme «réservé». Ils ont pourtant
suffi à provoquer une montée d’adrénaline
à Saint-Imier. Le groupe socialiste
voulait convoquer une séance
extraordinaire du conseil de ville, le
PLR déposer une motion urgente sur
l’engagement du maire. Dix jours plus
tard, les esprits se sont calmés, mais
l’incident en dit long sur les braises
qui, trente-neuf ans après le plébiscite
de 1974, rougeoient encore sous
les cendres de la question jurassienne.
«Respect mutuel»
D’autant plus qu’il n’est pas isolé.
Force Démocratique (antiséparatiste)
accuse le gouvernement jurassien de
«piloter en sous-main» le comité
Construire ensemble et en appelle à la
conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.
Des soupçons de financement
occulte fusent dans les deux
camps, alors que les budgets de campagne
ne sont qu’en projet. La Charte
interjurassienne, pour un débat mené
dans la «tolérance et le respect mutuel»,
n’a pas été signée par le Groupe
Bélier qui annonce des «coups d’éclat
pour attirer l’attention d’une région
parfois endormie». Les antiséparatistes
de Notre Jura bernois l’ont signée
– en fixant des conditions qui
étouffent le dialogue. «Les avis du
comité étaient très partagés sur la
charte», dit Virginie Heyer, qui le copréside.
Stéphane Boillat: «La question jurassienne m’a amené à la politique.» J.-C. Péclet
Surpris et peiné par cette agitation,
Stéphane Boillat assume néanmoins:
«Je n’ai pas été élu maire pour faire de
la politique jurassienne, mais j’ai mes
opinions et tiens à pouvoir les dire.»
Son père fut un des fondateurs d’Alliance
jurassienne: «Il m’emmenait
aux réunions autonomistes, on discutait
à table de la création du canton
du Jura. J’avais l’autocollant du
«oui» sur ma serviette d’écolier,
mais mon meilleur ami était pro-Bernois.
On peut dire que je suis tombé
dans la marmite de la question juras-
sienne quand j’étais petit, elle m’a
amené à la politique.» L’enjeu du
24 novembre est là: va-t-on faire de
la politique, débattre fermement et
sereinement des avantages/inconvénients
de la création d’un nouveau
canton élargi, ou simplement raviver
les plaies du passé? «Chacun doit
pouvoir exprimer ses opinions sans
être cloué au pilori», plaide Pierre
Kohler, surpris par l’attitude des socialistes
de Saint-Imier: «Je croyais
que c’était un parti d’ouverture…»
«Dans la rue, j’entends que mes con-
«Il n’est pas
question de revenir
quarante ans
en arrière» STÉPHANE BOILLAT
Maire de Saint-Imier
citoyens du Jura bernois sont fatigués
de cette discussion et qu’ils n’ont rien
demandé», rétorque John Buchs.
«Les rapports avec le canton de
Berne sont bons, admet Stéphane
Boillat. Ce n’est pas la question. Ma
conviction est que nous obtiendrons
de meilleurs résultats si nous pouvons
prendre nos propres décisions.»
Et de citer l’exemple de la Transjurane,
«qui n’aurait pas été construite
sans le canton du Jura, tandis que notre
région s’est battue en vain pour
obtenir une meilleure liaison routière
via les Convers. Le but du processus
sur lequel nous allons voter est de
montrer que le dialogue est possible
et que chacun se satisfasse du résultat
du processus, quel qu’il soit.»
Sera-t-il entendu? Les antiséparatistes
les plus virulents seraient bien
inspirés de relire cette citation de
l’écrivain George Orwell mise en
exergue sur leur site Internet: «Parler
de liberté n’a de sens qu’à la condition
de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas
envie d’entendre.» x