L'école, un terrain d'expérimentation
L'école, un terrain d'expérimentation
L'école, un terrain d'expérimentation
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
El Watan ÉCONOMIE - Du 4 au 10 février 2013<br />
DOSSIER VIII<br />
Chérif Omari. Enseignant-chercheur à l’ENSA (ex-INA El Harrach)<br />
«Nos entreprises sont incapables<br />
de fi nancer les travaux de recherche»<br />
Le rapprochement entre la sphère <strong>un</strong>iversitaire<br />
et son environnement économique alimente<br />
le débat depuis quelques années déjà.<br />
Qu’en est-il réellement notamment dans le<br />
domaine de l’agriculture et l’agroalimentaire ?<br />
Oui, le rapprochement entre l’<strong>un</strong>iversité et le<br />
monde socio-économique est <strong>un</strong> débat toujours<br />
d’actualité, notamment en Algérie. Le système de<br />
formation et de recherche scientifi que est appelé<br />
a répondre aux besoins du développement économique<br />
du pays et aux exigences du progrès de la<br />
société, exacerbés par l’ouverture des marchés et<br />
la globalisation. Dans ce contexte, le développement<br />
de l’agriculture et l’agroalimentaire exige<br />
encore plus de rapprochement avec la sphère<br />
<strong>un</strong>iversitaire. Cette situation est plus pressante<br />
en Algérie du fait de la dépendance alimentaire<br />
qui risque de menacer à terme la souveraineté du<br />
pays. C’est d’ailleurs dans cette démarche que<br />
s’inscrit l’ENSA. Pour répondre aux besoins de<br />
l’environnement socioéconomique, en matière de<br />
formation d’ingénieurs de qualité et de compétences<br />
opérationnelles, capables de résoudre les<br />
problèmes concrets qui se posent à la société dans<br />
le domaine de l’agriculture et de l’agroalimentaire,<br />
l’ENSA lance <strong>un</strong>e grande réfl exion autour<br />
des grandes lignes de réforme de la formation,<br />
qui vise la refonte des programmes et la redéfi nition<br />
des profi ls d’ingénieur agronome de demain,<br />
et ce, en relation avec l’employabilité de nos diplômés.<br />
Il faut savoir que la défi nition du profi l<br />
d’ingénieur, actuel et futur, exigera <strong>un</strong>e réfl exion<br />
interactive avec le monde du travail. C’est dans ce<br />
sens que des échanges et des liens sont en cours de<br />
construction avec les partenaires institutionnels et<br />
économiques de l’ENSA. Actuellement, l’ENSA<br />
construit des liens de partenariat nationaux très<br />
prometteurs avec les leaders de l’agroalimentaire<br />
en Algérie, dont Cevital, Giplait, ONAB, Lactalis,<br />
et les institutions de développement et d’encadrement<br />
de l’agriculture comme l’INRAA, les<br />
instituts techniques et les chambres d’agriculture.<br />
Quelles sont les principales<br />
contraintes auxquelles est confrontée<br />
la recherche scientifi que en Algérie ?<br />
La recherche scientifi que est confrontée en<br />
Algérie à plusieurs contraintes. En premier lieu, la<br />
dimension quantitative et qualitative des acteurs de<br />
la recherche. Il faut noter que malgré les efforts<br />
tangibles des pouvoirs publics pour booster la<br />
recherche scientifi que, le nombre de chercheurs<br />
actifs est encore insuffi sant par rapport à la population<br />
totale en Algérie. La qualité et le niveau<br />
des chercheurs par rapport aux enjeux et défi s<br />
mondiaux de la science sont encore à relever. On<br />
parlait au début de l’interview de l’exemple de<br />
la maîtrise des nanotechnologies et ses applications<br />
dans différents domaines en Algérie. L’autre<br />
contrainte est liée au fi nancement. Il faut noter<br />
que le ministère de tutelle a mobilisé ces dernières<br />
années des fonds très importants pour développer<br />
la recherche scientifi que. Néanmoins, certaines<br />
procédures pour utiliser ces ressources sont encore<br />
lourdes et épuisantes, et peuvent démobiliser à<br />
terme les chercheurs. Des mesures d’accompagnement<br />
de cette volonté politique sont attendues pour<br />
assouplir davantage la gestion des laboratoires et<br />
l’administration des ressources fi nancières pour<br />
développer et optimiser le potentiel de recherche<br />
scientifi que dans le pays. Par ailleurs, l’équipement<br />
des laboratoires et des <strong>un</strong>ités de recherche<br />
constitue <strong>un</strong> frein réel à la production d’<strong>un</strong>e recherche<br />
certifi ée et reconnue à l’échelle internationale.<br />
Dans cet esprit, l’ENSA ambitionne la mise<br />
en place d’<strong>un</strong>e plate-forme d’expérimentation et<br />
de recherche de très haut niveau. La construction<br />
d’<strong>un</strong> hall technologique, ou <strong>un</strong> laboratoire pilote,<br />
est également envisagée pour mener des travaux<br />
de recherche et d’expérimentation de qualité à<br />
la mesure des défi s et des besoins de l’agriculture<br />
et de génie agroalimentaire dans le pays.<br />
Le monde entrepreneurial, notamment<br />
privé, est-il prédisposé à accompagner<br />
l’adaptation des programmes et des formations<br />
aux besoins du marché du travail ?<br />
Il faut dire que les entreprises, notamment celles<br />
du secteur privé, n’ont pas été souvent sollicitées<br />
pour accompagner l’adaptation des programmes<br />
et des formations au sein des établissements. Cependant,<br />
des tentatives de rapprochement ont été<br />
menées dans le temps. Actuellement, le ministère<br />
de l’Enseignement supérieur et le couple Université<br />
/Entreprise sont conscients des enjeux et des<br />
défi s à relever ensemble dans <strong>un</strong> monde fondé de<br />
plus en plus sur l’économie des connaissances et<br />
des savoirs, où la concurrence est féroce. Je pense<br />
que les entreprises nationales, publiques et privées,<br />
qui s’inscrivent dans <strong>un</strong>e logique de compétitivité<br />
sur le marché national ou qui se battent à l’international,<br />
sont disposées à accompagner l’adaptation<br />
des programmes et des formations et même<br />
à investir dans la recherche, pourvu que leurs<br />
besoins et préoccupations soient prises en considération<br />
prioritairement par les systèmes de formation<br />
et de recherche. L’exemple de la visite des<br />
enseignants et étudiants de l’ENSA, en compagnie<br />
de la délégation de l’Université Laval, au site de<br />
Cevital à Béjaïa, illustre parfaitement la volonté de<br />
ce rapprochement. Reste à prendre en charge réellement<br />
les problèmes concrets qui se posent sur<br />
le <strong>terrain</strong> à l’entreprise et essayer de les traduire<br />
en problématiques de projet de recherche-action.<br />
Le recours au fi nancement de la recherche<br />
scientifi que par la sphère économique (le monde<br />
de l’entreprise), comme c’est le cas dans plusieurs<br />
pays développés, serait-il <strong>un</strong>e solution effi cace ?<br />
Effectivement, dans les pays avancés la participation<br />
au fi nancement de la recherche scientifi<br />
que par les entreprises est très importante. La<br />
présentation à l’ENSA du modèle de recherche<br />
de l’<strong>un</strong>iversité de Laval montre clairement la part<br />
importante du fi nancement des partenaires privés<br />
à hauteur de 45% du budget de la recherche.<br />
Dans ces pays, le chercheur est obligé de trouver<br />
lui-même le fi nancement de ses travaux auprès<br />
des entreprises. Donc, il est contraint de travailler<br />
sur des projets qui intéressent ces entreprises.<br />
Même si la recherche fondamentale reste du domaine<br />
public. En Algérie, je pense que les entreprises<br />
qui sont capables de fi nancer les travaux<br />
de recherche ne sont pas nombreuses, notamment<br />
dans le secteur privé du secteur agricole et agroalimentaire.<br />
Ce sont les grandes entreprises et les<br />
fi rmes multinationales confrontées à la compétitivité<br />
et l’adversité qui fi nancent la recherche.<br />
Car cette compétitivité et cette adversité sont le<br />
moteur de l’innovation et de la création, notamment<br />
dans le secteur high-tech, où l’obsolescence<br />
technologique est très rapide et la durée de vie<br />
des produits est éphémère. Le fi nancement de la<br />
recherche par le budget public reste inévitable en<br />
Algérie, notamment pour les équipements lourds.<br />
Cependant, l’utilisation des ces équipements doit<br />
être optimisée par son partage et sa mutualisation<br />
entre les usagers des différentes institutions de<br />
recherche. Aussi, l’exonération fi scale des activités<br />
de formation et de recherche menées par les<br />
entreprises pourrait inciter ces dernières à s’impliquer<br />
davantage dans ces activités de recherche.<br />
Propos recueillis par M. N.