LA SOUMISSION D' ABD - EL - KRIM - fnaom-actdm

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LA SOUMISSION D’ ABD - EL - KRIM Le 27 Mai 1926, la séance d'ouverture de la session parlementaire fut marquée par un coup de théâtre inattendu. Le chef du Gouvernement donna lecture d'un télégramme que rendait inutiles beaucoup de discours déjà préparés, et le débarrassait de graves soucis. Abd-el-Krim, notre adversaire, venait de se soumettre au Général Ibos et au Colonel Corap, après leur avoir livré les quelque 200 prisonniers espagnols et français qu'il détenait encore. Or, naguère, du 9 Avril au 8 Mai, il traitait d'égal à égal avec l'Espagne et la France réunies, il avait délibérément rompu par son intransigeance les négociations relatives à un projet de règlement pacifique du conflit. Cependant, moins de trois semaines après en avoir de nouveau appelé aux armes, il s'avouait vaincu et se résignait à subir un sort plus rigoureux que celui qu'il avait dédaigneusement refusé. Et rien n'avait fait pressentir au public ce rapide dénouement. Les correspondants de presse eux-mêmes, qui télégraphiaient chaque jour à leurs journaux les péripéties des opérations, n'en avaient pas deviné © FNAOM-ACTDM / CNT-TDM l'imminence. Ils avaient cru choisir le meilleur poste d'observation à la liaison des troupes espagnoles et françaises, en face du Djebel Hamman. Quand ils eurent connaissance de ce qui s'était passé dans la plaine de Targuist, ils accoururent aux nouvelles, mais trop tard : l'instant des clichés et des reportages sensationnels était déjà révolu. Un bref exposé des événements qui l'ont précédé est nécessaire pour faire comprendre cet épisode intéressant de notre histoire nord-africaine. Dans les premiers mois de 1925, l'inquiétude était grande à Rabat. Après avoir refoulé dans quelques garnisons de la côte les troupes de la zone espagnole, Abd-el-Krim s'était retourné contre la zone française du Maroc. II espérait se substituer, au Sultan et supprimer le protectorat étranger, ou tout au moins constituer, entre la Méditerranée, l'Océan, l'Ouergha et la trouée de Taza un état indépendant dont il serait, selon les nécessités de sa diplomatie, le Président de République, l'émir ou le sultan. La ligne des postes, qui couvraient la frontière du Riff avait cédé en maints endroits, malgré l'héroïsme de ses défenseurs, dont beaucoup ne voulurent pas survivre à leur défaite. L'activité, la bravoure des troupes mobiles avaient pu contenir les assaillants et les arrêter sur la route de Fez et de Taza, mais le danger d'une nouvelle offensive n était pas conjuré. Le Maréchal Lyautey et le Maréchal Pétain établirent un plan de campagne où la concordance et la convergence des efforts étaient substituées aux actes fragmentaires des colonnes de pacification, de ronde et de police qui, depuis 15 ans, agrandissaient, protégeaient ou sillonnaient "le Maroc utile"; ils obtinrent pour l'exécuter l'envoi d'un corps expéditionnaire de six divisions homogènes, et surtout la collaboration effective des forces espagnoles que Primo de Rivera et Alphonse XIII accordèrent largement. Le maréchal Pétain en coordonna sur place les premières opérations, conduites en zone française par le Général Naulin. 1

<strong>LA</strong> <strong>SOUMISSION</strong> D’ <strong>ABD</strong> - <strong>EL</strong> - <strong>KRIM</strong><br />

Le 27 Mai 1926, la séance<br />

d'ouverture de la session parlementaire<br />

fut marquée par un coup<br />

de théâtre inattendu. Le chef du<br />

Gouvernement donna lecture d'un<br />

télégramme que rendait inutiles<br />

beaucoup de discours déjà préparés,<br />

et le débarrassait de graves<br />

soucis. Abd-el-Krim, notre adversaire,<br />

venait de se soumettre au<br />

Général Ibos et au Colonel Corap,<br />

après leur avoir livré les quelque<br />

200 prisonniers espagnols et français<br />

qu'il détenait encore. Or, naguère,<br />

du 9 Avril au 8 Mai, il traitait<br />

d'égal à égal avec l'Espagne et la<br />

France réunies, il avait délibérément<br />

rompu par son intransigeance<br />

les négociations relatives<br />

à un projet de règlement pacifique<br />

du conflit. Cependant, moins<br />

de trois semaines après en avoir<br />

de nouveau appelé aux armes, il<br />

s'avouait vaincu et se résignait à<br />

subir un sort plus rigoureux que<br />

celui qu'il avait dédaigneusement<br />

refusé. Et rien n'avait fait pressentir<br />

au public ce rapide dénouement.<br />

Les correspondants de<br />

presse eux-mêmes, qui télégraphiaient<br />

chaque jour à leurs journaux<br />

les péripéties des opérations,<br />

n'en avaient pas deviné<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

l'imminence. Ils avaient cru choisir<br />

le meilleur poste d'observation<br />

à la liaison des troupes espagnoles<br />

et françaises, en face du<br />

Djebel Hamman. Quand ils eurent<br />

connaissance de ce qui s'était<br />

passé dans la plaine de Targuist,<br />

ils accoururent aux nouvelles,<br />

mais trop tard : l'instant des clichés<br />

et des reportages sensationnels<br />

était déjà révolu.<br />

Un bref exposé des<br />

événements qui l'ont précédé est<br />

nécessaire pour faire comprendre<br />

cet épisode intéressant de notre<br />

histoire nord-africaine. Dans les<br />

premiers mois de 1925, l'inquiétude<br />

était grande à Rabat. Après avoir<br />

refoulé dans quelques garnisons de<br />

la côte les troupes de la zone espagnole,<br />

Abd-el-Krim s'était retourné<br />

contre la zone française du Maroc.<br />

II espérait se substituer, au Sultan et<br />

supprimer le protectorat étranger, ou<br />

tout au moins constituer, entre la<br />

Méditerranée, l'Océan, l'Ouergha et<br />

la trouée de Taza un état indépendant<br />

dont il serait, selon les nécessités<br />

de sa diplomatie, le Président<br />

de République, l'émir ou le sultan.<br />

La ligne des postes, qui couvraient<br />

la frontière du Riff avait cédé en<br />

maints endroits, malgré l'héroïsme<br />

de ses défenseurs, dont beaucoup<br />

ne voulurent pas survivre à leur défaite.<br />

L'activité, la bravoure des troupes<br />

mobiles avaient pu contenir les assaillants<br />

et les arrêter sur la route<br />

de Fez et de Taza, mais le danger<br />

d'une nouvelle offensive n était pas<br />

conjuré. Le Maréchal Lyautey et le<br />

Maréchal Pétain établirent un plan<br />

de campagne où la concordance et<br />

la convergence des efforts étaient<br />

substituées aux actes fragmentaires<br />

des colonnes de pacification, de<br />

ronde et de police qui, depuis 15<br />

ans, agrandissaient, protégeaient<br />

ou sillonnaient "le Maroc utile"; ils<br />

obtinrent pour l'exécuter l'envoi d'un<br />

corps expéditionnaire de six divisions<br />

homogènes, et surtout la collaboration<br />

effective des forces espagnoles<br />

que Primo de Rivera et<br />

Alphonse XIII accordèrent largement.<br />

Le maréchal Pétain en coordonna<br />

sur place les premières opérations,<br />

conduites en zone française<br />

par le Général Naulin.<br />

1


Contrariées au début par certaines<br />

divergences, trop tôt interrompues<br />

par un hiver prématuré, elles<br />

mirent les alliés en possession<br />

d'avantageuses bases de départ<br />

pour la campagne suivante. Pendant<br />

l'accalmie de l'hiver, la prévoyance<br />

et la méthode dans l'organisation<br />

des arrières, dans le<br />

ravitaillement et le bien-être des<br />

troupes, dans les préparatifs qui<br />

réduisaient au minimum la part du<br />

hasard sur les champs de bataille,<br />

et que caractérisèrent sur le front<br />

français « la manière de Pétain »<br />

eurent encore au Maroc leurs effets<br />

bienfaisants. Les services de<br />

renseignements ou affaires indigènes,<br />

se procurèrent en outre des<br />

intelligences chez l'adversaire et<br />

recueillirent des informations, complétées<br />

par des cartes dont une<br />

aviation diligente fournit les éléments<br />

essentiels.<br />

Abd-el-Krim n'était pas resté<br />

inactif. La prise d'Adjdir, sa capitale,<br />

par Sanjurjo, le 2 Octobre<br />

1925, l'offensive française qui<br />

avait définitivement dégagé Taza<br />

et la Moulouya et reconquis au<br />

long de la bordure-méridionale du<br />

Riff la plupart des territoires perdus,<br />

semblaient marquer l'arrêt de<br />

sa fortune grandissante depuis<br />

cinq ans et en présager le déclin.<br />

Il avait ranimé, en pratiquant quelques<br />

saisies d'otages, l'esprit<br />

guerrier des tribus, affaibli par les<br />

déboires de la campagne d'été; il<br />

avait mobilisé ses amis et protecteurs<br />

d'Europe et des Etats-Unis<br />

d'Amérique, qui multipliaient les<br />

intrigues et les appels de l'opinion<br />

publique des deux mondes en faveur<br />

du "président de la république<br />

riffaine"; il avait accueilli de<br />

nombreux émissaires et aventuriers<br />

qui, escomptant sa victoire finale,<br />

accouraient pour le conseiller<br />

dans la lutte décisive qu'il allait<br />

soutenir. Il ne manquait pas de<br />

moyens financiers et de matériel<br />

de guerre, car l'énorme butin ramassé<br />

dans les deux zones avait<br />

garni ses coffres et ses arsenaux.<br />

Ce fut donc en adversaire<br />

confiant dans sa puissance qu'il<br />

accepta de se faire représenter à<br />

la conférence d'Oudjda où l'influence<br />

de ses amis avait déterminé<br />

l'Espagne et la France à lui<br />

proposer une dernière tentative<br />

d'accommodement. Mais ses pré-<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

tentions étaient inadmissibles; du 9<br />

Avril au 8 Mai 1926 les négociateurs<br />

franco-espagnols les discutèrent<br />

en vain; seule la force devait<br />

trancher le différend.<br />

Des deux côtés, l'armistice<br />

avait été mis à profit (1) . Abd-el-<br />

Krim faisait fortifier les massifs qui<br />

protégeaient le Rlff et il intensifiait<br />

en Europe et en Amérique la propagande<br />

en sa faveur; cette propagande<br />

lui attribuait notamment<br />

80.000 guerriers bien armés et<br />

bien commandés, qui sauraient<br />

faire payer bien cher et lasser en<br />

fin de compte l'invasion de leurs<br />

montagnes. Chez les espagnols,<br />

Primo de Rivera augmentait les<br />

troupes de Sanjurjo, qui en affecta<br />

la majeure partie au corps Castro<br />

Girona, destiné à la coopération<br />

directe avec les forces françaises.<br />

Chez nous, le maréchal Pétain qui<br />

contrôlait de Paris l'ensemble des<br />

opérations, a donné au général<br />

Boichut, successeur du général<br />

Naulin, le commandement du<br />

corps expéditionnaire. Celui-ci est<br />

partagé en deux corps d'armée :<br />

celui de droite, dît de Taza, (Marty)<br />

comprend trois divisions, et celui<br />

de gauche, dit de Fez (Dufieux)<br />

est composé de deux divisions et<br />

d'un groupement. Pendant l'accalmie<br />

de l'hiver, nos troupes ont été,<br />

soit réunies dans de vastes<br />

camps, soit disposées sur leur<br />

base de départ; celles-ci sont couvertes<br />

à distance par les partisans.<br />

Pendant les négociations d'Oudjda,<br />

le général Boichut a fait prolonger<br />

jusqu'à Boured la route du Nador,<br />

dont le maréchal Pétain avait<br />

ordonné la construction. Cette section,<br />

longue de 42 kilomètres, praticable<br />

aux camions automobiles<br />

malgré son profil accidenté par le<br />

franchissement de trois cols élevés<br />

de 200 à 400 mètres au dessus<br />

des vallées qu'elle traversait,<br />

fut exécutée en six semaines par<br />

la division marocaine. Elle rendit<br />

d'énormes services pour le ravitaillement,<br />

et fut un des principaux facteurs<br />

du succès des opérations.<br />

Le plan de campagne était simple.<br />

Tandis que le général Dufieux<br />

contiendrait les riffains dans le<br />

secteur de l'Ouergha, le corps<br />

—————<br />

(1) Voir : la victoire franco-espagnole dans le Riff, par le lieutenant-colonel Laure.<br />

Marty et le corps Castro Girona<br />

effectueraient une manœuvre<br />

d'aile qui leur donnerait la possession<br />

du Djebel Hamman et refoulerait<br />

Abd-el-Krim au delà de l'Oued-<br />

Ghis, où la révolte ou la défection<br />

des tribus lassées par cinq ans de<br />

guerre et découragées par la victorieuse<br />

offensive des alliés, le réduirait<br />

définitivement à 1 impuissance.<br />

La supériorité des effectifs<br />

et des moyens matériels autorisaient<br />

à escompter ce résultat<br />

dans un délai plus ou moins prochain.<br />

Dès la reprise des Hostilités, le 9<br />

Mai 1926, il sembla cependant<br />

que la campagne serait longue et<br />

meurtrière, car les réguliers d'Abdel-Krim<br />

et les guerriers de ses tribus<br />

se défendaient âprement. Un<br />

froid tardif qui atteignit -10° dans<br />

les bivouacs et fut suivi d'un brusque<br />

dégel à la fin de l'armistice,<br />

gêna quelque peu la prise de<br />

contact. Elle s'exécuta cependant<br />

selon le programme, avec méthode<br />

et régularité.<br />

Le Général Castro Girona avait<br />

fractionné son corps d'armée en<br />

deux groupements, disposant de<br />

puissantes réserves : celui du Kert<br />

(Carasco-Pontes), en liaison avec<br />

la droite du corps Marty (l re division),<br />

celui d'Adjdir (Dolla-Castillo)<br />

qui devait opérer simultanément<br />

entre l'Oued Ghis Et l'Oued Nkor<br />

et prendre à revers le Djebel<br />

Hamman. Du 9 au 15 Mai, la l re<br />

Division (Dosse) et le groupement<br />

du Kert franchissent l'Oued Kert<br />

et s'alignent sur l'Oued Nkor pour<br />

se préparer à l'attaque du Djebel<br />

Hamman ; le groupement d'Adjdir,<br />

s'étend entre les vallées supérieures<br />

de l'Oued Ghis et de l'Oued<br />

Nkor et s'empare le 15 de Temassint,<br />

où Abd-el-Krim avait transporté<br />

sa capitale depuis la perte<br />

d'Adjdir. Le corps Dufîeux ramène<br />

de la dissidence les tribus jusqu'à<br />

la bordure méridionale du Riff. Le<br />

11, au centre du corps Marty, la<br />

brigade Kieffer, de la division marocaine<br />

(Ibos), attaque le Djebel<br />

Izkritène pour couvrir la progression<br />

de la division Dosse qui abordait<br />

le Djebel Hamman en liaison<br />

avec le groupe Carasco. L'enlèvement<br />

de l'Izkntène par une charge<br />

endiablée des partisans Gueznaïa<br />

du caïd Medboh et des goumiers<br />

du capitaine Schmidt, soutenus<br />

2


par le régiment de marche de la<br />

légion étrangère du lieutenantcolonel<br />

Gémeau fut un des beaux<br />

faits d'armes de la guerre au Maroc.<br />

Il fallut ensuite trois jours<br />

d'escarmouches sanglantes aux<br />

légionnaires pour chasser des<br />

fourrés du massif les combattants<br />

Aït-Ikhouanen des villages voisins<br />

et les renforts de réguliers Beni-<br />

Ouriaghel qu'Abd-el-Krim leur<br />

avait envoyés. Les conséquences<br />

de cet exploit dépassèrent toutes<br />

les prévisions.<br />

Tandis que la division Vernois<br />

abordait le Djebel Roukdi qui devait<br />

être le pivot de la manœuvre<br />

générale, la division Dosse s'élevait<br />

sur le Djebel Hamman, de<br />

concert avec le groupement Carasco.<br />

La division marocaine eut<br />

alors pour mission de s'emparer<br />

du Djebel Bou Zineb, bastion méridional<br />

du Djebel Hamman, dont<br />

la possession assurerait la continuité<br />

de front au corps Marty. Des<br />

renseignements concordants signalaient<br />

la difficulté de l'entreprise.<br />

L'adversaire disposait de<br />

canons et de mitrailleuses ; il<br />

avait multiplié les abris de bombardements,<br />

les tranchées, dont<br />

la plupart étaient visibles à l'observation<br />

directe ou sur les photos<br />

d'avions. On évaluait à 2.000<br />

guerriers au moins les défenseurs<br />

du massif, et à plus de<br />

3.000 le nombre des combattants<br />

des tribus voisines prêts à les<br />

renforcer au premier signal. Mais<br />

le commandant de la division<br />

pouvait aisément faciliter avec<br />

une puissante artillerie d'ensemble<br />

les mouvements de ses troupes,<br />

et divers indices lui faisaient<br />

d'ailleurs croire que l'affaire serait<br />

liquidée à peu de frais,<br />

On savait que, selon leur coutume,<br />

les guerriers riffains allaient<br />

passer la nuit dans les villages du<br />

massif, en laissant seulement<br />

quelques guetteurs sur les positions.<br />

Ils se confiaient à la difficulté<br />

du terrain, à peu près impraticable<br />

dans l'obscurité, plus encore<br />

qu'à la vigilance de leurs<br />

sentinelles. Les villages étaient<br />

bien défilés contre les vues et les<br />

coups; les guerriers y faisaient<br />

ripaille, s'endormaient tard, et le<br />

soleil était déjà haut sur l'horizon<br />

quand ils revenaient prendre leurs<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

postes de combat. Or, pendant<br />

chacune des trois nuits qui précédèrent<br />

l'attaque, les explosions<br />

d'une cinquantaine d'obus de 155,<br />

amplifiées par les échos des gorges<br />

et des rochers, si elles<br />

n'avaient pas fait de dégâts matériels,<br />

avaient singulièrement ébranlé<br />

les nerfs des femmes, des enfants<br />

et des vieillards dans les localités<br />

où les guerriers se divertissaient.<br />

Il suffisait donc d'exploiter à<br />

propos le découragement des<br />

"civils" et la paresse matinale des<br />

combattants.<br />

Le colonel Corap (1) , commandant la<br />

brigade indigène, dite 8 e brigade,<br />

(64 e R.T.M. et 14 e R.T.A.) de la division<br />

marocaine, était naturellement<br />

désigné pour accomplir à son tour,<br />

sur le Djebel Bou Zïneb, un fait<br />

d'armes analogue à celui de la brigade<br />

européenne du colonel Kieffer<br />

sur le Djebel Izkntène. Les circonstances<br />

le servirent encore mieux.<br />

Le 18 au soir, dès le crépuscule, il<br />

avait mis en marche sa colonne de<br />

droite (64 e R.T.M.) et groupe Mourret<br />

(2 batteries 65 M.), commandée<br />

par le lieutenant-colonel Argence (2) ,<br />

pour profiter de la faible clarté au<br />

premier quartier de la lune, et lui<br />

faire atteindre une avantageuse<br />

base de départ où la précédèrent<br />

goumiers et partisans plus mobiles.<br />

A peine arrivés, le capitaine<br />

Schmidt et le caïd Medboh se trouvèrent<br />

au contact des guetteurs Aït-<br />

Ierouschen, embusqués dans un<br />

chaos de rochers. La conversation<br />

s'engage, et les guetteurs conviennent<br />

qu'ils ne seront pas les plus<br />

forts. "Donc, soumettez-vous et<br />

marchez avec nous. - Nous le voudrions<br />

bien, mais il faut consulter la<br />

djemma. - Allez-y, maïs ne vous<br />

attardez pas, car le baroud doit<br />

commencer à l'aube". Ayant obtenu<br />

la promesse qu'on ne profiterait pas<br />

de leur absence pour occuper le<br />

terrain dont ils avaient la garde, ils<br />

vont dans les villages voisins ; la<br />

djemma s'assemble, impressionnée<br />

déjà par les criailleries des femmes<br />

qui, affolées par le vacarme du<br />

bombardement nocturne, ont déclaré<br />

qu'elles ne veulent plus vivre<br />

dans cet enfer. Les vieillards les<br />

appuient en évoquant l'immense<br />

harka prête à l'attaque et la défaite<br />

déjà subie par leurs voisins Ikhouanen.<br />

La soumission est décidée; à<br />

———–<br />

( l ) Actuellement commandant de la 2 e région.<br />

(2) Mort un mois plus tard, noyé en traversant un torrent formé par un orage sur les flancs du Djebel Bou Zineb.<br />

(3) Actuellement membre du Conseil Supérieur de la guerre.<br />

minuit, les guerriers sont de retour<br />

et amènent le taureau, symbole et<br />

victime de la réconciliation. Le lieutenant-colonel<br />

Argence survient à<br />

ce moment; l'agréable surprise<br />

d'une targuiba aux lanternes lui est<br />

réservée, la voie vers le sommet du<br />

Djebel Bou Zineb est libre. A l'aube,<br />

les goumiers de Schmidt et les partisans<br />

de Medboh s'élancent, guidés<br />

par nos nouveaux alliés et suivis<br />

de loin par les fantassins d'Argence.<br />

Les guetteurs Ouled Msita<br />

qui gardaient les ouvrages du<br />

sommet sont surpris; ils s'enfuient<br />

vers le nord après une brève résistance<br />

où les injures contre les<br />

faux frères A. lérouschen alternent<br />

avec les coups de fusil. A<br />

6h30, le drapeau flottait sur le<br />

marabout qui couronne la montagne,<br />

les abords étaient largement<br />

dégagés et l'on retrouvait sur la<br />

position un de nos canons 75 M.<br />

enlevé l'an passé par les riffains.<br />

A 1 1 h e u r e s , le lieutenantcolonel<br />

Argence avait fait solidement<br />

occuper, contre un improbable<br />

retour offensif, tous les<br />

passages donnant accès sur la<br />

zone orientale du massif.<br />

Pendant ce temps, la colonne de<br />

gauche (14 e R.T.A., groupe Germain:<br />

3 batteries 75 M et 105 M),<br />

commandée par le lieutenantcolonel<br />

Giraud (3) , s'était mise en<br />

marche et gravissait presque sans<br />

coup férir la zone-occidentale. Les<br />

goumiers de Bournazel et les partisans<br />

Marnissa du caïd Amar d'Hamidou<br />

qui formaient son avantgarde<br />

refoulaient sans peine les<br />

rares guetteurs Beni Amret, déconcertés<br />

par l'heure insolite de<br />

l'attaque et par la tournure des<br />

événements chez les lécrouchen.<br />

Quand ses premiers éléments furent<br />

parvenus vers 10 heures au<br />

Bab Aouizert, à quelques centaines<br />

de mètres du sommet, tout<br />

l'objectif assigné à la division marocaine<br />

était conquis. Il n'en coûtait<br />

que quelques partisans tués ou<br />

blessés ; pas un coup de canon<br />

n'avait été tiré, alors que l'on<br />

croyait à l'arrière qu'il y faudrait<br />

consacrer une semaine, en deux<br />

phases marquées par des préparations<br />

d'artillerie copieuses et des<br />

combats sanglants.<br />

3


Il paraissait évident que l'adversaire<br />

était démoralisé; il était donc<br />

opportun d'en tirer parti au maximum<br />

et de ne pas lui laisser le<br />

temps de se ressaisir. Or, le Djebel<br />

Bou Zineb détachait du Bab Aouizert,<br />

vers le sud-ouest, un puissant<br />

contrefort boisé, l'Aghil-Bendo, séparé<br />

du massif principal par une<br />

gorge profonde et qui masquait le<br />

pays des Beni Amret. On savait<br />

que les riffains y avaient accumulé<br />

les travaux de défense et dissimulé<br />

quelques canons. Des ordres sont<br />

donnés : la colonne Giraud, qui<br />

s'échelonnait en longueur sur la<br />

croupe constituant son axe primitif<br />

d'attaque, fait face à gauche et se<br />

trouve ainsi placée en ligne devant<br />

son nouvel objectif. La cavalerie<br />

divisionnaire, en flanc garde dans<br />

la vallée de l'Oued Boured pour<br />

maintenir la liaison avec la division<br />

Vernois et empêcher les mouvements<br />

ennemis par les fonds, la<br />

protège contre une manœuvre débordante.<br />

Les goumiers de Bournazel,<br />

les partisans d'Hamidou<br />

descendent dans la gorge, remontent<br />

le versant opposé ; quelques<br />

coups de canon les aident à chasser<br />

les Beni Amret et leurs alliés,<br />

enfin réveillés, et qui accouraient<br />

trop tard au baroud. L'infanterie<br />

suit avec peine sur un terrain<br />

extraordinairement accidenté. A 11<br />

heures, elle couronne la longue<br />

crête de l'Aghil Bendo et le groupe<br />

d'accompagnement du commandant<br />

Germain (1) peut s'y installer<br />

pour appuyer goumiers et partisans<br />

descendus dans la plaine et<br />

prendre à revers des groupes<br />

épars sur le Djebel Roukdi, qui gênaient<br />

la droite de la division Vernon.<br />

Si j'ai donné quelques détails sur<br />

cette affaire, bien mince en apparence,<br />

c'est parce que l'enlèvement<br />

de l'Aghil Bendo, rendu si aisé<br />

par les particularités de la<br />

conquête du Djebel Bou Zineb,<br />

peut être considéré comme l'une<br />

des deux causes déterminantes<br />

du rapide effondrement d'Abd-el-<br />

Krim. L'autre est le concours de<br />

circonstances qui fit du colonel<br />

Corap un commandant de brigade<br />

dans la division marocaine. Pendant<br />

les dernières semâmes<br />

avant la reprise des hostilités,<br />

deux colonels l'avaient précédé<br />

que la maladie envoya dans les<br />

————<br />

(1) Actuellement commandant la l re Division Coloniale.<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

hôpitaux. On ne trouve sur place,<br />

comme successeur possible, que<br />

le colonel Corap qui faisait alors<br />

partie du service des affaires indigènes<br />

et occupait en cette qualité<br />

l'emploi de chef du cercle, de Taza-Nord.<br />

II accepta de prendre le<br />

commandement de la brigade disponible,<br />

mais à condition de<br />

conserver en même temps la direction<br />

du cercle pendant les opérations.<br />

Le brigadier put faire<br />

connaître sans retard à son divisionnaire<br />

tous les mystères de la<br />

situation politique chez les riffains<br />

dont il avait, comme chef du cercle<br />

de Taza-Nord, et grâce à ses<br />

forces supplétives et ses agents de<br />

renseignements, les moyens de<br />

surprendre et de diriger l'évolution.<br />

Sans perte de temps dans<br />

un circuit de comptes-rendus ou<br />

de propositions, sans atténuations<br />

à travers les cascades d'appréciations<br />

hiérarchiques dans le service<br />

des affaires indigènes, les<br />

décisions purent être prises à la<br />

mesure des occasions et la force<br />

de la division marocaine se trouva<br />

toujours prête instantanément à<br />

les rendre sans appel. <strong>D'</strong>ailleurs,<br />

l'entente confiante et cordiale, qui<br />

avait son origine dans la commission<br />

de rédaction du Manuel à<br />

l'usage des troupes employées<br />

outre-mer dont le colonel Ibos<br />

avait été le secrétaire et où le<br />

lieutenant-colonel Corap avait représenté<br />

l'Etat-Major de l'Armée,<br />

était complète. Aussi l'exploitation<br />

à outrance des résultats entrevus<br />

sur l'Aghil-Bendo pût-elle être décidée,<br />

entreprise et accomplie<br />

avec une promptitude qui fut tout<br />

'd'abord considérée à l'arrière<br />

comme le témoignage des illusions<br />

d'une dangereuse témérité.<br />

Le 21 Mai, de grand matin, la visite<br />

du massif conquis conduisait<br />

le général Ibos sur l'Aghil-Bendo.<br />

Le développement logique et opportun<br />

des opérations se dessina<br />

aussitôt devant lui. Ce n'était plus<br />

à une offensive méthodique et rigide<br />

qu'il fallait le demander, mais<br />

à la saisie rapide des ultimes ressources<br />

d'Abd-el-Krim. Tout nous<br />

y conviait : sur le plateau largement<br />

ondulé qui semblait se prolonger<br />

jusqu'au minaret lointain de<br />

Targuist, les villages grouillants<br />

d'enfants et de femmes accueillaient<br />

avec aménité les "forces<br />

supplétives" lancées en reconnaissance<br />

par le colonel Corap; les<br />

moissonneurs dans les champs,<br />

les troupeaux épars sur les pâturages<br />

des collines, confirmaient<br />

les sentiments pacifiques des habitants,<br />

exprimés au colonel par<br />

leurs caïds et leurs cheikhs. Sans<br />

doute la rapide conquête du Djebel<br />

avait découragé ces guerriers<br />

arrivés trop tard à la bataille, mais<br />

le 14 e R.T.A. disséminé sur la longue<br />

crête de l'Aghil-Bendo et surtout<br />

les 10 canons de 75 M. et de<br />

105 M. du groupe Germain qui<br />

l'appuyaient et qui pouvaient<br />

anéantir sans danger leurs demeures<br />

et leurs richesses étalées sous<br />

leurs coups, les incitaient à demander<br />

l'aman et à nous offrir de<br />

livrer passage sur leur territoire si<br />

nous voulions aller à Targuist. Certes,<br />

nous le voulions, car nous savions<br />

qu'Abd-el-Krim y possédait<br />

un riche arsenal, une maison de<br />

commandement, un centre de liaisons<br />

et de transmissions dont la<br />

perte achèverait sa ruine, en provoquant<br />

la défection de nombreuses<br />

tribus. Aussi, les dispositions<br />

préparatoires sont-elles prises aussitôt.<br />

Il n'est plus question de maintenir<br />

l'occupation du Djebel Bou<br />

Zineb et l'alignement avec les divisions<br />

voisines : la brigade Corap<br />

tout entière se réunira sur l'ondulation<br />

du Djebel Eddid, qui s'élève<br />

sur le plateau des Béni Amret, à<br />

quelques kilomètres à l'ouest de<br />

l'Aghil Bendo; elle constituera,<br />

avec le groupe Germain (10 canons<br />

de 75 M. et de 105 M.) et le<br />

groupe Mourret (8 canons de 65<br />

M.), les escadrons de la cavalerie<br />

divisionnaire du commandant Cristiani,<br />

une colonne mobile qu'une<br />

petite étape séparera de Targuist<br />

et à laquelle les forces supplétives<br />

serviront d'avant-garde. Les ordres<br />

sont donnés sur place pour le stationnement<br />

articulé de ces importants<br />

effectifs qui doivent être tenus<br />

prêts à marcher le lendemain<br />

matin. Ensuite, c'est l'Etat-Major de<br />

la division qui s'affaire à Boured : il<br />

faut organiser un centre provisoire<br />

de distributions à Taïnest, près de<br />

la base de départ de la colonne<br />

mobile, pour le ravitaillement des<br />

troupes quand elles auront atteint<br />

Targuist et le faire protéger par un<br />

bataillon de légion ; il faut aussi<br />

que le commandant Pouchot, chef<br />

4


du génie divisionnaire, qui a déjà<br />

supérieurement dirigé les travaux<br />

de route Aknoul-Boured, disperse<br />

les reconnaissances de son personnel,<br />

pour l'étude d'une piste<br />

carrossable reliant Boured au centre<br />

de distributions. Il faut enfin obtenir<br />

la liberté de manœuvre pour<br />

le lendemain.<br />

Après bien des messages et des<br />

entretiens par téléphone, le généra]<br />

Marty n'accepte pas de laisser<br />

le général Ibos tenter l'aventure.<br />

Mais deux officiers de l'Etat-Major<br />

du général Boichut viennent par<br />

hasard aux nouvelles, vers le milieu<br />

de l'après-midi. On les conduit aussitôt<br />

sur l'Aghil-Bendo, magnifique<br />

observatoire d'où ils voient les bivouacs<br />

de la colonne mobile déjà<br />

rassemblés, l'aspect engageant de<br />

sa zone de marche, qui contraste<br />

avec les canonnades lointaines, entendues<br />

à droite sur le Djebel Hamman,<br />

à gauche sur le Djebel Roukdi.<br />

Les explications qu'on leur<br />

donne, l'impression qu'ils éprouvent,<br />

fixent leur opinion : "la poire<br />

est mûre, il faut la cueillir". De retour<br />

au quartier général de Boured,<br />

ils multiplient à leur tour les appels<br />

téléphoniques et ils finissent par<br />

annoncer joyeusement l'arrivée du<br />

général Boichut pour le lendemain<br />

matin. On n'en demandait pas autant,<br />

mais on pensa qu'il n'en résulterait<br />

qu'un retard de quelques<br />

heures dans le départ de la colonne<br />

mobile et que celle-ci pourrait<br />

toujours atteindre son objectif<br />

avant la nuit.<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

Dans l’attente de la<br />

Targuiba<br />

Deux compagnies de chars de<br />

combat se hâtaient lentement depuis<br />

Rabat pour venir renforcer à<br />

Boured la puissance offensive du<br />

corps d'armée ; le général Boichut,<br />

accompagné par le général Marty<br />

se fraya péniblement le passage<br />

pour devancer leur immense cortège<br />

sur la piste qu'elles encombraient.<br />

Le soleil était déjà<br />

haut quand l'automobile du com-<br />

mandant en chef s'arrêta devant le<br />

quartier général de la division marocaine.<br />

On part aussitôt à cheval<br />

pour l'Aghil Bendo où le colonel<br />

Corap se morfond depuis le matin.<br />

Pendant le trajet, il semble que<br />

l'accord ne sera pas facile entre<br />

les possibilités du moment et les<br />

restrictions que les consignes formelles,<br />

reçues pendant la nuit, imposent<br />

au général Boichut. Mais<br />

celui-ci est impressionné par tout<br />

ce qu'il voit et entend. Le colonel<br />

Corap lui présente les caïds nommés<br />

par Abd-el-Krim et qui ont ac-<br />

cepté de changer de maître; la colonne<br />

mobile, alertée par l'ordre<br />

préparatoire de mouvement, peut<br />

encore apparaître avant la nuit<br />

dans la région de Targuist où le<br />

général Ibos est prêt à la conduire,<br />

car les forces supplétives patrouillent<br />

sans obstacle sur la rive droite<br />

de l'Oued-Ghis; les 10 kilomètres<br />

de fourrés et de ravins que les généraux<br />

ont traversés depuis Boured<br />

avec quelques officiers, sans autre<br />

escorte que deux goumiers, témoignent<br />

de la tranquillité complète<br />

d'une région naguère hostile.<br />

La Targuiba<br />

5


Sans doute, le général Boichut<br />

accepterait de traduire le "dans la<br />

direction de Targuist" des instructions<br />

supérieures qui autorisent<br />

un nouveau bond en avant, par le<br />

"dans la région de Targuist" que<br />

lui propose l'ordre d'opérations<br />

présenté à son assentiment. Mais<br />

le général Marty préfère la méthode<br />

prudente qui ne laisse rien<br />

à l'imprévu et qui a donné jusqu'à<br />

présent de si bons résultats; Targuist,<br />

dit-il encore, est loin dans<br />

la zone espagnole et il convient<br />

de ménager les sentiments de<br />

nos alliés, sans négliger certaines<br />

susceptibilités européennes toujours<br />

en éveil. Et le général Boichut<br />

pense qu'il peut tout concilier<br />

: le général Ibos ne conduira<br />

pas la colonne mobile "dans la<br />

région de Targuist", mais la brigade<br />

Corap s'avancera de quelques<br />

kilomètres "dans la direction<br />

de Targuist" sur un massif bordant<br />

la rive droite de l'Oued Ghis,<br />

où le colonel pourra mieux appuyer<br />

et diriger la propagande<br />

politique de ses forces supplétives<br />

dans le territoire convoité. La<br />

majestueuse ordonnance du<br />

corps d'armée Marty n'en sera<br />

guère modifiée; l'opportunité du<br />

geste décisif apparaîtra évidente<br />

à Paris, par la facilité démontrée<br />

de l'accomplir, facilité dont le gé-<br />

néral Boichut témoignera luimême,<br />

puisqu'il accompagnera le<br />

lendemain la brigade Corap dans<br />

son déplacement. Pour en précipiter<br />

la conclusion, il fixe avec<br />

une générosité prévoyante les<br />

conditions de la soumission à imposer<br />

aux tribus.<br />

Ce n'était pas tout à fait ce que<br />

l'on souhaitait, mais enfin on était<br />

autorisé à "décoller", et peut-être<br />

l'occasion s'offrirait-elle de ne pas<br />

s'arrêter en si bon chemin. Pour<br />

être prêt à la saisir sans retard,<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

parce que toute journée gagnée<br />

par Abd-el-Krim dans cette période<br />

critique pouvait nous coûter cher,<br />

le général Ibos adjoignit discrètement<br />

à la brigade Corap tous les<br />

autres éléments de la colonne mobile<br />

qui se trouverait ainsi plus proche<br />

encore de son objectif. <strong>D'</strong>ailleurs,<br />

l'occasion espérée se montre<br />

bientôt, mais sous un aspect<br />

différent de celui qu on avait imaginé.<br />

La nécessité imprévue d'une<br />

conférence avec le général Sanjurjo<br />

dans la matinée du lendemain,<br />

modifia vers le milieu de la nuit les<br />

projets du général Boichut qui<br />

Fantasia d’une harka de partisans<br />

s'était arrêté à Boured pour assister<br />

au mouvement du colonel Corap.<br />

Il partit donc à l'aurore dans<br />

une direction opposée, laissant<br />

ainsi la division marocaine libre de<br />

ramasser une carte blanche n'était<br />

pas alors en son pouvoir de lui<br />

donner, mais dont il avait deviné<br />

qu'elle ferait bon usage. Et tandis<br />

qu'il se rendait chez les Espagnols,<br />

deux cavaliers expédiés par<br />

des voies différentes, apportèrent<br />

au colonel Corap un ordre de<br />

mouvement pour le lendemain 24,<br />

qui poussait la colonne mobile sur<br />

Type de bivouac<br />

la rive gauche de l'Oued Ghis. Elle<br />

s'installerait sur le Djebel Mesdoui<br />

qui domine la plaine de Targuist,<br />

d'où elle précipiterait l'effondrement<br />

d'Abd-el-Krim et où le général<br />

Ibos la rejoindrait le 25, pour<br />

coordonner, s'il en était besoin,<br />

l'action politique du colonel et l'action<br />

militaire de la division.<br />

Les estafettes firent diligence<br />

mais, lorsqu'elles l'atteignirent, le<br />

colonel Corap, avec toute la colonne<br />

mobile, était en train de franchir<br />

l'Oued Ghis. Il était arrivé sans<br />

incident, vers le milieu du jour, sur<br />

la position d'attente fixée par<br />

le général Boichut. Or, la<br />

curiosité sympathique des<br />

indigènes, ou leur passivité,<br />

signalée par les officiers des<br />

goums et les caïds des partisans,<br />

l'invitait à aller plus<br />

loin. Puisque, selon toute<br />

apparence, ils hésitaient à<br />

prendre un parti hostile,<br />

seule une opportune manifestation<br />

de force audacieuse<br />

pouvait empêcher ces indécis<br />

de se transformer en adversaires.<br />

Il ne fallait donc pas perdre<br />

son temps à stationner : la décision<br />

du colonel Corap avait été<br />

vite prise. Continuant sa marche,<br />

la colonne mobile traversa la<br />

gorge profonde de 300 mètres et<br />

remonta sans désemparer les pentes<br />

escarpées du Djebel Mesdoui,<br />

sous la protection morale de l'artillerie.<br />

Arrivés sur le plateau qui en<br />

forme le sommet, batteries, fantassins<br />

et spahis s'y installent paisiblement<br />

au bivouac, tandis que les<br />

goums et les partisans courent la<br />

6


plaine, palabrent avec les villageois,<br />

encore sur la réserve, et<br />

s'emparent de la mahakma d'Abdel-Krim,<br />

que nul ne tenta de dépendre.<br />

Bientôt après, apparaissent<br />

dans le ciel les avions de reconnaissance<br />

et de bombardement,<br />

qui venaient depuis Fez faire leur<br />

randonnée quotidienne au dessus<br />

de Targuist. Intrigués par le grouillement<br />

de foules qui ne leur manifestent<br />

aucune hostilité, les aviateurs<br />

lancent le signal "Qui êtesvous<br />

?" Ils furent encore plus<br />

étonnés en voyant se déployer les<br />

panneaux des corps de la colonne<br />

mobile et des forces supplétives,<br />

qui révélaient la présence de nos<br />

troupes sur un objectif dont la<br />

conquête était encore, pour l'arrière<br />

dans le domaine des impossibilités.<br />

Ils firent aussitôt demi-tour<br />

pour aller annoncer à Rabat cette<br />

invraisemblable nouvelle.<br />

En doublant l'étape pour accomplir<br />

un jour plus tôt la mission qui<br />

lui était assignée, le colonel Corap<br />

avait pris une initiative singulièrement<br />

heureuse et opportune. Outre<br />

qu'elle empêchait à propos les<br />

irréductibles de se concerter pour<br />

des actes de résistance, elle annihilait<br />

les espoirs d'Abd-el-Krim. On<br />

devait en effet apprendre, quelques<br />

jours plus tard, que la défection<br />

des Béni Amret et tribus voisines,<br />

avait découragé l'émir du<br />

Riff, déjà fâcheusement impressionné<br />

par la perte d'Adjdir, de Temassint<br />

et d'une partie du Djebel<br />

Hamman. Aussi longtemps que<br />

nos troupes seraient arrêtées devant<br />

la barrière de l'Oued Ghis, il<br />

pouvait encore faire figure de chef<br />

puissant et dresser de nouveau le<br />

piège des négociations. Il avait<br />

donc, dès que lui fut connue la<br />

vulnérabilité de Targuist, expédié<br />

par la voie des airs un émissaire à<br />

Rabat, pour proposer un armistice<br />

que des motif$ d'humanité lui faisaient<br />

paraître nécessaire, car<br />

trop de femmes et d'enfants, disait-il,<br />

étaient victimes des bombardements<br />

aériens sur les villages<br />

et les marchés. Heureusement, la<br />

nouvelle de l'occupation de Targuist<br />

sans coup férir fut connue<br />

presque simultanément et dévoila<br />

chez notre adversaire, une situation<br />

militaire et politique peu favorable<br />

aux intrigues de ses amis<br />

européens. Il ne restait plus qu'à<br />

laisser les événements suivre leur<br />

cours.<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

Cependant, à l'arrière, l'envoi et la<br />

présence de la colonne mobile à<br />

Targuist firent naître quelques inquiétudes.<br />

Faute de se trouver<br />

dans l'ambiance, on redoutait une<br />

catastrophe. On supposait que la<br />

duplicité des tribus avait entraîné<br />

nos troupes dans un traquenard.<br />

Ce ne fut pas sans grandes difficultés<br />

que le général Ibos put maintenir<br />

la colonne mobile sur sa position<br />

et conserver au colonel Corap<br />

la liberté de résoudre, selon son<br />

expérience des affaires indigènes,<br />

le problème politique que les circonstances<br />

avaient si brusquement<br />

modifié. Quand il partit le lendemain<br />

matin 24 pour Targuist, il<br />

emportait une sorte d'acceptation<br />

sceptique du fait accompli, suffisante<br />

pour en garder la responsabilité<br />

avec toutes ses conséquences.<br />

Une trentaine de kilomètres, à<br />

travers un pays soumis depuis<br />

deux jours, séparaient le Q.G. de<br />

Boured, du Djebel Mesdoui. La petite<br />

caravane, composée du général<br />

Ibos, du chef d'Etat-Major commandant<br />

Gailhard, du colonel Tinland<br />

chef de l'artillerie divisionnaire,<br />

du capitaine Barbet, le Sherlock-Holmes<br />

de la Division, du capitaine<br />

Lenglet, de 2 spahis d'escorte<br />

et des conducteurs de mulets<br />

porte-bagages, les franchit sans<br />

incident, saluée au passage par<br />

les villageois amènes et par les<br />

groupes d'émigrants qui venaient<br />

de bien loin chercher dans la zone<br />

française un refuge hors de la portée<br />

des réquisitions d'Abd-el-Knm<br />

et des représailles hypothétiques<br />

des Espagnols.<br />

Leur exode lamentable rappelait<br />

celui des populations de France<br />

s'enfuyant en 1914 devant l'invasion,<br />

mais il était aussi un indice encourageant<br />

de la débâcle imminente<br />

chez notre adversaire. Cet indice<br />

devint une certitude quand la caravane<br />

arriva au milieu des bivouacs<br />

de la colonne mobile, qui s'étalaient<br />

depuis la veille au soir sur<br />

les deux plateaux jumeaux du Djebel<br />

Mesdoui. Au loin, dans la<br />

plaine, goumiers et partisans fraternisaient<br />

avec les habitants des<br />

hameaux disséminés autour de la<br />

mahakma de l'émir. Devant celleci,<br />

quelques uns de nos cavaliers<br />

montaient la garde, pour préserver<br />

du pillage les stocks importants<br />

d'armes, de munitions, de matériel<br />

qu'Abd-el-Krim avait tenté en vain,<br />

la nuit précédente, de reprendre<br />

par un coup de main désespéré.<br />

Aux abords du bivouac, une foule<br />

de notables entourait le colonel<br />

Corap et ses officiers ; elle affirmait<br />

son loyalisme à l'égard du vainqueur,<br />

son mépris du vaincu et sacrifiait<br />

selon les rites d'une targuiba<br />

monstre les jeunes taureaux offerts<br />

en signe de soumission par les tribus<br />

de la région. Les nouveaux ralliés<br />

multipliaient les protestations<br />

de dévouement et certains, avides<br />

d'arriver les premiers dans la<br />

course aux honneurs et profits,<br />

proposaient en secret de guider<br />

nos troupes vers le dernier refuge<br />

de celui qui n'était déjà plus l'émir<br />

ou le sultan.<br />

Pendant la journée, le colonel Corap<br />

n'avait pas perdu son temps. Il<br />

avait déjà dépêché dans tous les<br />

villages et même dans l'entourage<br />

d'Abd-el-Krim des émissaires qui<br />

promettaient un aman généreux,<br />

en échange de la livraison des armes<br />

qu'un régime de justice et de<br />

paix rendrait désormais inutiles.<br />

Les adhésions affluaient et, le soir<br />

même, nous en avions assez pour<br />

préparer la capture d'Abd-el-Krim :<br />

elle devait être tentée, la nuit suivante,<br />

par un détachement de nos<br />

forces supplétives, dont la clarté cl<br />

une pleine lune favoriserait l'opération.<br />

Enfin, le centre provisoire<br />

de distributions établi à Taïnest se<br />

transformait en base bien pourvue<br />

et bien gardée à mi-chemin sur la<br />

piste de Boured, pour garantir<br />

contre tout retour imprévu de fortune<br />

les résultats politiques et territoriaux<br />

déjà obtenus.<br />

Les chances de réussite du<br />

coup de main projeté étaient<br />

confirmées par un hôte inattendu.<br />

Ce même soir, un fugitif de marque<br />

venait nous demander asile.<br />

C'était le propre beau père d'Abdel-Krim<br />

qui avait pu s'échapper<br />

avant un dénouement qu'il redoutait<br />

tragique et prochain. Abd-el-<br />

Krim, dit-il, n'était plus entouré que<br />

de quelques fidèles depuis qu'on<br />

l'avait vu revenir, accompagné par<br />

les rares survivants de son attaque<br />

nocturne à Targuist, épuisé,<br />

tirant son cheval par la bride,<br />

après l'échec de son entreprise<br />

désespérée. Isolé maintenant<br />

dans une kasbah, sous la protection<br />

d’un chérif vénéré, il assistait<br />

à la défection des tribus, comtem-<br />

7


plait les allées et venues de nos<br />

goumiers et partisans qui rodaient<br />

dans ses parages. Il ne pouvait<br />

même plus obtenir des villageois<br />

les 200 animaux de bât dont il<br />

avait besoin pour se mettre lui et<br />

sa smalah hors de notre portée.<br />

Aussi, la journée du lendemain 25<br />

mai s'annonça-t-elle pleine de promesses.<br />

Mais elles furent tout autres<br />

que celles qu'on escomptait.<br />

Tandis que s'exécutent de nouvelles<br />

targuibas qui amènent au<br />

camp les délégués de tribus riveraines<br />

de la Méditerranée, le chérif<br />

Ahmidou-el-Ouazzani, châtelain<br />

de la Kasbah Snada, apparaît escorté<br />

de quelques serviteurs et<br />

son arrivée suscite les commentaires<br />

étonnés de la foule. Il vient<br />

offrir sa garantie morale de la<br />

bonne foi d'Abd-el-Krim, réfugié<br />

chez lui, qu'il déclare méthug<br />

(fichu) et qui a l'intention de se<br />

rendre aux Français. Une telle solution<br />

semble aussitôt préférable<br />

au coup de main projeté qui,<br />

même assuré d'un heureux et<br />

complet succès, comportait des<br />

risques et des pertes. Le colonel<br />

Corap n'hésite pas à faire<br />

confiance au chérif. <strong>D'</strong>accord avec<br />

le général Ibos, il choisit trois de<br />

ses meilleurs officiers des affaires<br />

indigènes, le capitaine Suffren, le<br />

lieutenant de vaisseau Montagne<br />

et le lieutenant de Larouzière, qui<br />

partent sur le champ avec El<br />

Ouazzani dont ils seront les hôtes<br />

inviolables à Snada. Ils ont la mission<br />

d'obtenir d'Abd-el-Krim une<br />

prompte soumission sur les bases<br />

suivantes : comme gage de sa<br />

sincérité, l'émir fera conduire le<br />

lendemain, au camp, prisonniers<br />

espagnols et français, dont le refus<br />

de libération inconditionnelle<br />

par ses plénipotentiaires avait<br />

causé l'échec de la conférence<br />

d'Oudjda; en échange, le colonel<br />

Corap lui promettait la vie sauve,<br />

un sort honorable et la protection<br />

de sa famille et de ses biens!. Ainsi,<br />

les effets de notre présence à<br />

Targuist se succédaient avec trop<br />

de rapidité pour qu'on songeât à<br />

ralentir ou modifier le cours des<br />

événements, en sollicitant à l'arrière<br />

des ordres ou des instructions<br />

qui ne pouvaient plus être<br />

que contradictoires. L'isolement<br />

était donc la condition essentielle<br />

des initiatives et il n'était guère facile<br />

de le troubler hors de propos.<br />

Le poste de T.S.F. de la brigade<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

émettait rarement et d'innombrables<br />

"parasites" rendaient l'écoute<br />

aléatoire.<br />

Cependant, le capitaine Suffren<br />

et le lieutenant de vaisseau Montagne<br />

étaient arrivés à Snada et le<br />

chérif El Ouazzani les avait aussitôt<br />

présentés à Abd-el-Krim. Celuici<br />

les recevait avec courtoisie, entouré<br />

des derniers vestiges de son<br />

"conseil des ministres" : une cinquantaine<br />

de guerriers en uniforme,<br />

bien armés et bien équipés,<br />

constituaient toute sa garde<br />

du corps, trop faible pour empêcher<br />

sa capture dans un assaut de<br />

la kasbah, ou pour le protéger<br />

dans un exode vers une lointaine<br />

région du Riff occidental où son<br />

délégué Kheriro conservait encore<br />

quelque autorité. Pendant ce<br />

temps, le pittoresque caïd Haddou,<br />

accompagné par un médecin<br />

français de la mission sanitaire<br />

envoyée par la Croix rouge auprès<br />

des prisonniers, venait aux nouvelles<br />

dans le camp et tentait une<br />

dilatoire diversion. Mais l'époque<br />

des grandeurs était passée pour<br />

lui. Le "délégué de la république<br />

riffaine", qui paradait naguère à la<br />

conférence d'Oudjda, eut beau<br />

prodiguer ses sourires amènes et<br />

ses engageantes poignées de<br />

main. Le colonel Corap lui fit vite<br />

comprendre que Targuist était loin<br />

d'Oudjda; convaincu de son impuissance,<br />

Haddou repartit avec<br />

son compagnon, non sans avoir<br />

promis d'employer au service de<br />

la France tout son crédit sur Abdel-Krim:<br />

il posait déjà sa mise sur<br />

un nouveau tableau.<br />

En réalité, il jouait de son mieux le<br />

rôle de la mouche du coche. A<br />

peine avait-il disparu que survenait<br />

un messager envoyé par le<br />

capitaine Suffren et le lieutenant<br />

de vaisseau Montagne. Il apportait<br />

les premiers résultats de leur<br />

délicate mission. Abd-el-Krim<br />

consentait à libérer les prisonniers,<br />

qui seraient mis en route<br />

vers le camp à l'aube du lendemain;<br />

il se présenterait lui-même,<br />

vers la fin de la nuit suivante, aux<br />

abords du village de Tizenmourène,<br />

à 10 kilomètres environ au<br />

nord du Djebel Mesdoui, où il remettrait<br />

son sort entre les mains<br />

du colonel Corap si la protection<br />

de sa famille et de ses biens lui<br />

était garantie. Pour cette protection<br />

il refusait l'emploi de nos par-<br />

La plaine de Targuist<br />

et le djebel Mesdoui<br />

tisans, dont il redoutait les rancunes<br />

et les instincts pillards ; il exigeait<br />

un détachement de troupes<br />

régulières, qui lui inspirerait plus<br />

de confiance. Les officiers ajoutaient<br />

qu'une escorte serait utile<br />

pour préserver le cortège des prisonniers<br />

contre les sévices possibles<br />

des indigènes pendant le trajet<br />

et que des méprises étaient à<br />

craindre du côté de l'aviation espagnole<br />

qui commençait à prendre<br />

la kasbah Snada et le territoire<br />

environnant comme objectifs<br />

de reconnaissance et de bombardement,<br />

Les garanties demandées par les<br />

officiers ne concordaient guère<br />

avec la lettre des ordres récemment<br />

reçus, concernant l'emploi indésirable<br />

des troupes régulières<br />

hors de leur bivouac du Djebel<br />

Mesdoui, mais ceux-ci pouvaient<br />

être interprétés dans le sens des<br />

changements qui avaient suivi leur<br />

rédaction.<br />

8


Un capitaine aviateur, arrivé par<br />

la voie des airs pour reconnaître<br />

un terrain provisoire aménagé près<br />

du camp, se chargea de prévenir<br />

l'aviation espagnole et de faire survoler<br />

le convoi de prisonniers par<br />

quelques appareils français; les<br />

goums Schmidt et Bournazel, accompagnés<br />

d'infirmiers, furent envoyés<br />

pendant la nuit à Toufist<br />

pour servir d'escorte aux libérés,<br />

dont une cinquantaine environ devaient<br />

être transportés sur des mulets<br />

de nos trains régimentaires.<br />

Et, non sans quelque inquiétude,<br />

on attendit leur retour. De grands<br />

préparatifs étaient faits à l'ambulance<br />

de la colonne, dont l'unique<br />

médecin recevait un appréciable<br />

renfort dans la personne du médecin<br />

chef divisionnaire Camus, venu<br />

par avion de Boured, avec un chargement<br />

de médicaments et de matériel.<br />

Enfin, le 26 vers 10 heures, la tête<br />

du cortège, signalé depuis longtemps<br />

par les rondes de nos<br />

avions, apparaît au sommet d'un<br />

col lointain, Abd-el-Krim est donc<br />

résolu à tenir ses promesses et les<br />

envoyés du colonel Corap ont<br />

triomphé de ses dernières perplexités.<br />

Le cortège arrive au camp<br />

dans un tumulte d'acclamations.<br />

Sauf les Français qui<br />

avaient été relativement<br />

bien traités, les<br />

prisonniers portaient<br />

sur leur physionomie<br />

les marques des souffrances<br />

et des privations<br />

subies pendant<br />

une longue et dure<br />

captivité. Affublés d'invraisemblablesoripeaux,<br />

leur défilé ressemblait<br />

à une sorte<br />

de descente de la<br />

Courtille, dont nul<br />

spectateur ne songeait<br />

à l'égayer. Après<br />

l'examen à l'ambulance,<br />

les valides sont<br />

répartis dans les popotes<br />

et les<br />

"ordinaires" qui leur<br />

réservent un chaleureux accueil.<br />

La plupart croient encore faire un<br />

rêve et redoutent de se réveiller<br />

dans l'enfer riffain. Ils coupent les<br />

émouvants récits de leurs aventures<br />

par d'expansives assurances<br />

de reconnaissance éternelle à<br />

l'égard de leurs libérateurs. Dans<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

Un des centres de ramassage du matériel de guerre pris par la division marocaine<br />

l'après-midi, le dernier groupe, celui<br />

des 46 malades et impotents,<br />

arrivait sur les mulets et recevait à<br />

l'ambulance les soins les plus dévoués,<br />

mais deux d'entre eux,<br />

épuisés, n'y entrèrent que pour<br />

mourir. Ce furent ainsi 6 officiers, 8<br />

sous-officiers et 27 soldats français,<br />

115 tirailleurs algériens et 6<br />

sénégalais, 151 gradés et soldats<br />

espagnols, quelques civils, 2 femmes<br />

et 4 enfants razziés en zone<br />

espagnole, qui retrouvèrent sur le<br />

Les Etats-majors franco-espagnol, à la Mahakma d’Abd El Krim,<br />

à Targuist, le 13 avril 1926<br />

Djebel Mesdoui la joie de vivre et<br />

la sécurité des lendemains. Ils furent<br />

conduits le jour suivant à<br />

Boured où, grâce aux moyens de<br />

transport d'une grande base, ils<br />

ne s'attardèrent pas longtemps<br />

dans les austères parages du<br />

Riff.<br />

L'arrivée des prisonniers, aussitôt<br />

annoncée par T.S.F. commença<br />

d'ébranler le scepticisme persistant<br />

de l'arrière. En combinant l'automobile<br />

et le cheval, le colonel<br />

Huot, chef de la région de Taza et<br />

supérieur hiérarchique du colonel<br />

Corap dans le service des affaires<br />

indigènes, arriva vers le milieu de<br />

l'après-midi pour confronter de visu<br />

la réalité des faits avec les<br />

comptes-rendus sensationnels de<br />

son subordonné. Il admira, complimenta<br />

et repartit<br />

sans avoir renoncé<br />

à croire que la<br />

dernière scène du<br />

drame nous réserverait<br />

une amère<br />

déception. Mais<br />

un autre visiteur,<br />

le colonel Armaingaud,<br />

chef de l'aéronautiquemilitaire<br />

au Maroc, à<br />

peine débarqué<br />

de son avion reconnut<br />

que nous<br />

aurions partie gagnée,<br />

ai quelque<br />

intrigue de la dernière<br />

heure n'en<br />

venait compromettre<br />

le résultat.<br />

Or, à Rabat, où restait vivace le<br />

souvenir des faux roguis capturés<br />

ou livrés tandis que le vrai continuait<br />

de soulever Jes tribus contre<br />

le sultan, une tromperie analogue<br />

paraissait encore possible.<br />

Il semblait invraisemblable qu'Abdel-Krim<br />

en personne vînt jouer à<br />

9


Tizenmourène le rôle d'Eustache<br />

de Saint-Pierre à Calais; on soupçonnait<br />

qu'il s'y ferait représenter<br />

par quelque sosie. C'est sans<br />

doute en prévision d'une telle supercherie<br />

que le commandant Cyvoct<br />

fut envoyé en avion à Targuist,<br />

dans l'après-midi, porteui<br />

d'instructions pour la cérémonie du<br />

lendemain. On recommandait au<br />

général Ibos de ne lui donner aucun<br />

éclat, comme s'il ne s'agissait<br />

que d'un obscur caïd rebelle, qui<br />

serait ensuite conduit discrètement<br />

à Taza. Mais de$ ordres contraires<br />

étaient déjà donnés. Bien mieux<br />

préservé à la colonne qu'à l'arrière<br />

contre une erreur, chacun savait<br />

qu'Abd-el-Krim ne voulait et ne<br />

pouvait plus nous tromper. Le général<br />

Ibos avait donc résolu de<br />

donner à sa soumission toute la<br />

publicité possible, afin que nul fauteur<br />

de trouble ne pût tenter plus<br />

tard de prendre à son compte le<br />

nom et la personnalité de l'émir.<br />

Abd el Krim (à droite)<br />

et son frère Abdsselem (à gauche)<br />

A la kasbah Snada, en effet, le<br />

capitaine Suffren et le lieutenant<br />

de vaisseau Montagne avaient habilement<br />

fait échouer un malentendu<br />

qu'Abd-el-Krim essaya d'exploiter<br />

au dernier moment pour gagner<br />

du temps. Ils confirmèrent<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

son arrivée en leur compagnie, le<br />

lendemain à Tizenmourène, après<br />

lui avoir donné toutes satisfactions<br />

sur la qualité des troupes qui devaient<br />

protéger l'exode de sa famille<br />

et de ses biens. Aussi, fut-ce<br />

sans appréhension que nous allâmes<br />

au rendez-vous.<br />

Douze kilomètres environ de piste<br />

accidentée séparaient Tizenmourène<br />

du camp. On s'était mis en<br />

route à minuit, dans la radieuse<br />

clarté d'une pleine lune au zénith,<br />

qui rendait la marche facile<br />

comme en plein jour. On s'arrêta<br />

dans un vaste champ qui dessinait<br />

un amphithéâtre, pour y attendre<br />

l'arrivée d'Abd-el-Krim. L'assistance<br />

était nombreuse. Il y avait le<br />

détachement que le lieutenantcolonel<br />

Giraud devait ensuite<br />

conduire à Kemmoun et Toufist<br />

pour accomplir la mission de protection<br />

et de transport promise à<br />

notre adversaire vaincu : deux bataillons<br />

du 14 e R.T.A., disposés en<br />

ligne de colonnes de compagnie,<br />

dominés en arrière par deux escadrons,<br />

l'un de spahis, l'autre de<br />

goumiers, en ligne de pelotons. En<br />

arrière encore et sur les flancs, un<br />

millier de partisans branès, marnissa,<br />

gueznaïa, avec leurs caïds<br />

et leurs cheikhs, mêlés aux indigènes<br />

des villages voisins, qui seraient<br />

dans les tribus les témoins<br />

irrécusables de cet événement.<br />

Le soleil était déjà levé, quand un<br />

groupe de cavaliers apparut enfin<br />

sur une crête prochaine; il s'enfonça<br />

dans un ravin et surgit sur la<br />

lisière du champ près de laquelle,<br />

devant la troupe, le général Ibos et<br />

le colonel Corap qu'environnent de<br />

nombreux officiers venus en<br />

curieux, attendent les arrivants.<br />

C'est bien Abd-el-Krim, encadré<br />

par Suffren et Montagne dont la<br />

physionomie reflète la fatigue, la<br />

joie et la fierté; quelques fidèles<br />

l'accompagnent. Et tandis qu'ils<br />

mettent pied à terre, une sonnerie<br />

de clairons, des commandements<br />

brefs figent aussitôt l'assistance<br />

dans un silence et une immobilité<br />

impressionnants. Puis, la voix<br />

claire de Suffren s'élève : "Mon<br />

général, dît-il, voici Si Ahmed Abdel-Krim<br />

qui renonce à la lutte et se<br />

confie à la générosité du gouvernement<br />

français". L'interprète Frochier<br />

traduit aussitôt la réponse "II<br />

n'aura pas à le regretter. Je le re-<br />

mercie de sacrifier sa liberté pour<br />

que français et riffains vivent désormais<br />

en paix. Il s'est bien battu<br />

et mon pays estime les guerriers<br />

braves", — "Je sais que la France<br />

est généreuse et j'appelle sur toi<br />

les bénédictions d'Allah", fait dire<br />

Abd-el-Krim dont l'aisance et la<br />

dignité sont remarquables en ce<br />

moment solennel et qui semble<br />

indifférent à l'intense curiosité dont<br />

il est l'objet. Le général le présente<br />

alors au colonel Corap qui<br />

échange à son tour des compliments<br />

avec lui et l'invite à prendre<br />

quelques instants de repos dans<br />

une maison voisine, à l'abri des regards<br />

et des commentaires de la<br />

foule qui va se disperser. <strong>D'</strong>abord,<br />

le détachement du lieutenantcolonel<br />

Giraud s'ébranle vers Kemmoun<br />

et Toufist, emmenant 210<br />

mulets d'artillerie qui transporteront<br />

les bagages et le personnel<br />

de la Smalah dont le caïd Haddou<br />

lui fera la remise au nom de son<br />

ancien maître; puis les partisans,<br />

les indigènes s'éloignent à regret.<br />

Quand les curiosités indiscrètes<br />

ne sont plus à redouter, le colonel<br />

Corap conduit Abd-el-Krim et sa<br />

suite à la mahakma de Targuist.<br />

Notre ancien adversaire rentrera<br />

sans émotion apparente en prisonnier<br />

dans cette maison d'où, naguère,<br />

il soulevait les tribus contre<br />

nous et où le colonel Corap maintenant,<br />

lui parle en vainqueur courtois<br />

mais tout puissant. Le général Ibos<br />

était déjà de retour au camp avec<br />

les officiers qui se félicitaient d'avoir<br />

assisté à un tel spectacle et il avait<br />

annoncé en ces termes, par T. S. F.,<br />

l'événement.<br />

"Le 27 Mai, à 5h15, près de Tisenmourène,<br />

Abd-el-Krim, vaincu<br />

par les armes, s'est présenté devant<br />

les lignes françaises au général<br />

Ikos, commandant la Division<br />

marocaine, et au colonel Corap<br />

commandant la 8 e brigade et le<br />

cercle de Taza Nord. Il se confie à<br />

la générosité de la France et il demande<br />

seulement que sa famille<br />

et ses biens soient protégés. Il sera<br />

dirigé aujourd'huï sur Boured".<br />

Ainsi se terminait la campagne.<br />

Après une difficile, méthodique et<br />

10


prévoyante mise en place du<br />

dispositif d'offensive, trois semaines<br />

d'opérations avaient suffi<br />

pour abattre un adversaire qui,<br />

depuis des années, tenait l'Afrique<br />

en émoi. L'heureux dénouement<br />

qu'on devait attendre d'un<br />

plan magistralement conçu par<br />

un grand chef et fort habilement<br />

exécuté par<br />

des généraux<br />

tels que Boichut<br />

et Sanjurjo,<br />

avait été<br />

précipité par<br />

des "causes<br />

secondes" qu'il<br />

n'est pas inutile<br />

de rappeler,<br />

II y eut le respect<br />

des liens<br />

organiques, exigé par le maréchal<br />

Pétain. Les troupes combattirent<br />

avec leurs chefs, au lieu de<br />

constituer des groupements hétéroclites<br />

selon les convenances<br />

particulières du moment et l'esprit<br />

de corps put en outre produire<br />

ses bienfaisants effets. Il y eut le<br />

système des attaques simultanées<br />

sur de grands fronts qui,<br />

contre' des adversaires dépourvus<br />

de matériel puissant et surtout<br />

d abondantes réserves, devait<br />

promptement les décourager.<br />

Il y eut aussi la collaboration<br />

© FNAOM-ACTDM / CNT-TDM<br />

étroite des Affaires indigènes et<br />

du commandement militaire,<br />

qu'un rare concours de circonstances<br />

fit cordiale et complète à<br />

la Division marocaine, ainsi que<br />

je l'ai montré et qui seule pouvait<br />

provoquer l'effondrement subit<br />

d'Abd-el-Krim.<br />

La présence de la colonne mobile<br />

à Targuist, les accords politiques<br />

entre le colonel Corap<br />

et les tribus jusqu'à la Méditerranée<br />

qui en furent la conséquence,<br />

nous plaçaient dans une<br />

situation singulière à l'égard de<br />

nos alliés. Mais le général Sanjurjo<br />

et le général Castro Girona, au<br />

cours de visites particulièrement<br />

cordiales échangées à Targuist<br />

et à Kasbah Snada, comprirent<br />

aussitôt ce que notre intrusion<br />

dans leur domaine avait eu<br />

d'avantageux. Ils approuvèrent le<br />

modus vivendi provisoire que leur<br />

proposa le général Ibos, qui devait<br />

amener le colonel Corap à<br />

remettre à son collègue espagnol<br />

un territoire entièrement pacifié et<br />

désarmé (1) , où, la transmission<br />

des pouvoirs s'effectuerait selon<br />

une transition préparée de<br />

concert avec les remplaçants.<br />

Ainsi, après comme pendant les<br />

opérations militaires, la collaboration<br />

des deux armées fut<br />

confiante et complète. On ne<br />

pouvait donc manquer de souligner<br />

que l'expérience riffaine<br />

avait eu ailleurs un précédent<br />

aussi heureux. Non sans émotion,<br />

le général Sanjurjo et les officiers<br />

qui l'accompagnaient, apprirent<br />

que les noms de la place<br />

d'Espagne, des rues Jacarco,<br />

Palanca, Lanzarote, perpétuaient<br />

à Saigon le souvenir de la glorieuse<br />

part des troupes espagnoles<br />

dans l'expédition de Cochinchine<br />

et la victoire de Ki-Hoa.<br />

Alors encore, nos voisins avaient<br />

combattu avec nous pour accomplir<br />

une œuvre commune de justice<br />

et de paix. De tels liens sont<br />

assez forts pour résister, si nous<br />

le voulons bien, à l'action dissolvante<br />

de malentendus passagers.<br />

Pierre Khorat<br />

—————<br />

(1) Le butin de guerre recueilli par la Division marocaine dans su zone d'opérations comprit : 7 canons de 75 et de 80 M., 755 fusils à tir rapide, 16<br />

mitrailleuses, 1 JD, 6 fusils mitrailleurs et une quantité considérable de munitions. Les tribus désarmées par le colonel Corap lui remirent plus de<br />

30 mitrailleuses et près de 10.000 fusils modernes, de modèles divers.<br />

Paru dans la Revue des Troupes<br />

coloniales n°263 - juin 1939<br />

11

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