13.07.2013 Views

fr - Deza - admin.ch

fr - Deza - admin.ch

fr - Deza - admin.ch

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

C U L T U R E<br />

Le dessin animé est loin d’être étranger au « big business ». La Pologne est là<br />

pour le démontrer. Avant 1989, elle était un haut lieu du cinéma d’animation.<br />

Mais les nouvelles mœurs capitalistes ont eu raison de cette tradition. De<br />

Benedikt Eppenberger*.<br />

Oncle Picsou<br />

dans les studios<br />

polonais<br />

On est à la fin des années 50.<br />

Un rideau de fer coupe l’Europe<br />

en deux. À l’Est comme à<br />

l’Ouest, les gens ne savent pas<br />

trop ce qui se passe de l’autre<br />

côté. À la faveur d’un certain<br />

dégel politique en Pologne,<br />

quelques jeunes cinéastes<br />

d’animation se mettent à<br />

conquérir le monde avec des<br />

histoires surréalistes et poétiques.<br />

Non pas que cela fasse une<br />

concurrence féroce à Disney<br />

& Co., mais le public occidental<br />

goûte avec avidité ces petits<br />

joyaux qui sont la manifestation<br />

d’un nouvel individualisme<br />

artistique.<br />

Comme leurs célèbres con<strong>fr</strong>ères<br />

réalisateurs de longs métrages –<br />

tels Andrzej Wajda, Roman<br />

Polanski ou Krysztof Kieslowski<br />

– ces cinéastes des studios<br />

d’animation de Varsovie, de<br />

Cracovie, de Bielsko ou de<br />

Tuszyn profitent de leurs<br />

nouvelles libertés pour se faire<br />

remarquer par des œuvres<br />

en<strong>ch</strong>anteresses et troublantes.<br />

Ils utilisent diverses te<strong>ch</strong>niques<br />

(dessins, marionnettes ou<br />

truquages). Ils camouflent parfois<br />

leur critique du système sous la<br />

façade innocente de <strong>ch</strong>armants<br />

contes de fées. Mais le plus<br />

souvent, ils affirment<br />

Un seul monde N° 3/Septembre 1999<br />

<strong>fr</strong>an<strong>ch</strong>ement leur répulsion à<br />

l’égard du parti, entrant ainsi en<br />

conflit ouvert avec les cerbères<br />

de la culture d’État, qui<br />

considèrent leurs <strong>ch</strong>efs-d’œuvre<br />

comme «décadents et bourgeois».<br />

L’Occident, de son côté,<br />

apprécie l’humour grinçant ou<br />

farfelu du cinéma d’animation<br />

polonais. Un certain nombre de<br />

cinéastes profitent alors de leur<br />

succès à l’étranger pour<br />

s’expatrier.<br />

Walerian Borowczyk,<br />

l’enfant terrible de la bran<strong>ch</strong>e,<br />

s’établit en France où il é<strong>ch</strong>auffe<br />

bientôt les esprits en réalisant<br />

des films érotiques pleins de<br />

fantaisie.<br />

Le solitaire Piotr Kamler quitte<br />

aussi la Pologne, mais pour rester<br />

fidèle à sa vocation initiale: il<br />

s’installe à Paris et crée, à l’écart<br />

du cinéma commercial, des films<br />

d’animation expérimentaux qui<br />

ont aujourd’hui le statut de<br />

classiques.<br />

Beaucoup d’autres préfèrent<br />

toutefois rester en Pologne,<br />

même après 1968, alors que les<br />

conditions de travail se sont<br />

dégradées. Witold Giersz, Piotr<br />

Dumala et Jerzy Kucia sont de<br />

ceux qui continuent de faire<br />

tourner les caméras des studios<br />

d’État.<br />

Razzia fatale<br />

Lorsque le communisme<br />

s’effondre, en 1989, les ateliers<br />

protégés par l’État sont<br />

brutalement tirés de leur rêve<br />

d’animation cinématographique.<br />

Les auteurs, les dessinateurs,<br />

les réalisateurs et les cameramen<br />

tremblent pour leur emploi,<br />

jusque-là assuré. Myriam<br />

Prongué, ex-responsable de<br />

l’antenne Pro Helvetia à<br />

Cracovie et coïnitiatrice de<br />

l’atelier de dessins animés de<br />

cette ville, se souvient de cette<br />

période: «L’État a subitement<br />

coupé les vivres aux studios de<br />

cinéma d’animation de Varsovie,<br />

Tuszyn, Bielsko et Cracovie.<br />

Ces studios se sont alors rabattus<br />

sur les films publicitaires et les<br />

séries télévisées bon mar<strong>ch</strong>é, ce<br />

qui a entraîné la suppression de<br />

quantité d’emplois. Il fallait du<br />

commercial. On n’engageait que<br />

des gens disposés à s’adapter aux<br />

nouvelles conditions.»<br />

Après cette razzia, seul un<br />

nombre infime de cinéastes<br />

d’animation peuvent encore<br />

vivre de leur métier. Les anciens<br />

studios d’État de Cracovie sont<br />

livrés au pillage: on verra<br />

resurgir plus tard dans des studios<br />

privés d’anciennes caméras<br />

provenant de la masse en faillite.<br />

Quelques artistes connus vivent<br />

encore un certain temps de leur<br />

renommée, mais le prix d’un<br />

film est devenu rapidement<br />

inabordable pour eux aussi. Il<br />

n’est plus question de production<br />

artistique.<br />

Un autre obstacle, relevé par<br />

Myriam Prongué: «À de rares<br />

exceptions près, les anciens<br />

employés d’État ne possédaient<br />

pas le savoir-faire économique<br />

nécessaire pour se construire une<br />

nouvelle existence.»<br />

Beaucoup d’entre eux ont<br />

renoncé et <strong>ch</strong>angé de métier.<br />

Autrefois si créatif, le dessin<br />

animé polonais a sombré durant<br />

la privatisation, emportant des<br />

trésors de connaissances, de<br />

spécialités et de talents<br />

individuels. La maigre relève,<br />

issue des écoles rescapées, n’a pas<br />

trouvé d’emploi. Les contacts<br />

avec des festivals internationaux<br />

et des producteurs étrangers ont<br />

été coupés. La Pologne a<br />

provisoirement disparu de la<br />

scène du cinéma d’animation.<br />

Zbigniew Bielawka (3)

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!