Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

sition au gouvernement est conduite par
le Parti de la Mère patrie (ANAP) de
M. Mesut Yilmaz qui a repris le flambeau
du défunt président Thrgut Ozal,
sans en avoir le charisme. L'opposition
entre le DYP, que l'on peut schématiquement
présenter comme le parti des
camp~es, et l' ANAP qui se définit
comme le représentant des villes, relève
plus de contradictions entre cliques de
notables que d'incompatibilité de programmes
politiques. Dès la proclamation
des résultats des municipales, le
premier ministre con~luait que la droite
devait s'unir. Uné alliance entre
l'ANAP et le DYP, qui totalisent plus de
40 % des voix, aurait inversé les résultats.
Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Car les incertitudes éc:Onomiquessont
nombreuses et il n'estpas s6,r que les
mesures prises le 5 avril, après les élections,
parviendront à juguler. la crise
monétaire, la dégradatiQI1des finances
publiques et le ralentiSSement de la
croissance. La livre turque a perdu la
moitié de sa valeur en un an. Face à cette
inflation croissante (70 % en 1993,
100 % probablement ~. 1994), la
banque centrale ne cesse de faire fonctionner
la planche à billets: elle a
imprimé certains jours du mois de mars
pour une valeUf quotidienne ~e 85 milliards
de livres - environ 4 i millions de
dollars. Les taux bancaires}lu jour le
jour atteignent des pourcentages astronomiques,
de 500 % à 1 000,%. Des
entreprises fennent ou mette~t leurs
salariés en chômage technique. La livre,
dévaluée une première fois de 13,6 %
par rapport au dollar en janvi~, l'a été
de nouveau de 28 % en avril, Il'. ~cours
officiel s'alignant ainsi sur celui du'marché.
Dans le même temps, les prix des
biens de consommation s'envolent. Les
produits pétroliers ont augmenté de
45 % à 90 %, le tabac et les spir,il}leux
de 77 % à 100 %, le sucre, le thé, de
50 % à 100 %, réduisant le niveau dè vie
des ménages populaires - qui devront
tout de même acquitter, cette année, un
impôt supplémentaire pour combler le
déficit public.
La guerre au Kurdistan mine l' économie
et, tant qu'elle se prolonge, toute
stabilisation de la monnaie est illusoire.
Selon le ministre de l'intérieur,
M. Nahit Mentese, les opérations
contre le PKK ont coûté, en dix ans,
25 milliards de dollars, soit l'équivalent
de deux années d'exportations. Cette
année, la facture s'élèvera à 6 milliards
de d911ars.
Dans le même temps, les attentats du
PKK - ou ses menaces - dans les principaux
sites to~tiques turcs. at:t:ectent
sérieusement 1 une des pnnclpales
sources de devises : 4 milliards de dollars
en 1993. La courbe des visiteurs de
la Thrquie en été ~nnaît ainsi ';ID. retournement
spectacularre: 2..6. millions de
touristes en 1985, 5,6 millions en 1991,
7 5 millions en 1992, puis une chute
d:un peu plus de 1 million en 1993, de
3 millions à 4 millions sans doute cette
année.
La crise est d'autant plus mal acceptée
par les m~agers turcs 9u:elle frappe
une.éconorme aux potentialités fortes:
le PNB s~t acl:ru de 7,3 % en 1993
(ddnt plus de 20 % dans la construction
mécanique,l1 % dans l'industrie métallurgique
et l'énergie) et de 6,4 % en
1992. Mais la plupart des experts
doutent que l'on atteigne 4,5 % en 1994.
Le monde des affaires a bien saisi les
racines de cette situation et ses dirigeants
sont de plus en plus nombreux
- c'est là un véritable tournantà
mettre en cause la politique de l'étatmajor
militaire et du gouvernement au
Kurdistan. Le président de la TUSIAD,
la Fédération des industriels et des
entrepreneurs, affirme qu'« une économie
forte ne peut prospérer que sur un
terrain démocratique ». La Thrquie
devrait consacrer ses ressources à
construire son leadership économique et
industriel dans la région plutôt qu'à
entretenir une guerre civile cofiteuse,
estime pour sa part M. Cem Boyner,
ancien responsable de la TUSIAD, qui
vient de fonder un Mouvement pour une
nouvelle démocratie.
L'économie turque souffre encore
des conséquences de la guerre du
Golfe. Ses relations commerciales avec
l'Irak, son premier partenaire dans la
région, sont gelées depuis l'embargo
imposé par l'ONU. Le long de la route
qui conduit de Diyarbakir à la frontière
irakienne, les citernes des camions qui
faisaient quotidiennement le commerce
du pétrole avec Kirkouk gisent démontées
sur le bord de la route depuis
quatre ans. Ankara vient de signer un
contrat avec Bagdad, afin d'échanger le
pétrole stocké dans l'oléoduc reliant
l'Irak à la Thrquie contre des produits
de première nécessité, entamant ainsi
un bras de. fer avec Washington, qui
parle de rupture de l'embargo (7). La
Thrquie tolère de moins en moins la
politique américaine à l'égard de
l'Irak, la protection de la zone kurde au
nord qui légitime une sorte de mini-
Etat à ses frontières. Selon une source
diplomatique à Ankara, la Thrquie soumet
les Etats-Unis à un chantage: soit
vous renversez le président Saddam
Hussein et vous constituez un gouvernement
irakien qui assure l'intégrité
territoriale de ce pays, soit vous n'en
avez pas les moyens, et alors il faut
traiter avec Bagdad.
L'état-major, qui a pris l'engagement
d'écraser la rébellion, s'estime
bridé tant que les Kurdes d'Irak, bon
gré mal gré, accueillent les combattants
du PKK qui se réfugient dans leurs
montagnes. Et il est impossible de
construire, dans ces reliefs tourmentés,
un mur de barbelés identique à celui
qui longe la frontière syrienne et qui fut
longtemps censé interdire le passage
des rebelles repliés en Syrie ou dans
leur camp d'entraînement de la plaine
de la Bekaa au' Liban, fermé
aujourd'hui.
Selon l'état-major, le PKK a perdu
un millier de combattants au cours de
ces derniers mois; des cadres aussi,
tels Muslim Dursun ou le docteur
Baran, chef de la guérilla dans la région
de Thnceli, et un proche de M. Abdullah
Oçalan, le dirIgeant. du PKK. Mais,
selon M. Cemil Bayik, chef de
l'ERNK, bras militaire ~ l'organisation
rebelle, l'année a subI' de lourdes
pertes en pourchassant les guérilleros à
l'intérieur du territoire irakien. Six cent
trente soldats auraient été tués, dont un
grand nombre de commandos héliportés
qui cherchaient à réduire des
groupes mobiles rebelles parfaits
connaisseurs de leurs montagnes. Il
faut évidemment toujours pr~ndre
garde aux bilans des camps qui
s'opposent dans une guerre. Mais,
selon Ismet G. Imset, journaliste et
l'un des meilleurs spécialistes du mouvement
kurde: «A l'inverse de ce que
disent les militaires, les rangs du PK/(
se sont considérablement renforcés ces
derniers mois. Il compterait environ
30 000 combattants actuellement. JO
A mesure que les années de guerre
passent, le paysage kurde se délabre.
Les ruines des villages détruits
s'accumulent le long de la route.
Le voyage est de moins en moins sûr.
A 18 heures, le bus qui va de Diyarbakir
à Cizre s'arrate à Nuzaibin; pour
passer une nuit en sécurité. Le voyageur
pressé doit poursuivre sa route en
taxi. De nuit, il se heurte aux contrôles
militaires, hommes en armes en position
derrière les sacs de sable, ou bien à
ceux de la guérilla. Les jeunes soldats
turcs qui retournent sans annes dans
leur caserne y laissent souvent leur
peau.
Cizre a perdu les trois quarts de ses
habitants. Soupçonnés de soutenir les
rebelles, ils ont été déplacés. Bâtiments
aux multiples traces d'impacts, vitrines
des magasins scotchées, hôtels dont les
étoiles se défraîchissent chaque année
un peu plus, à mesure que le trafic, les
échanges et le commerce avec le Kurdistan
d'Irak se raréfient: théoriquement
pacifiée, la ville paraît toujours en
guerre. Les blindés parcourent la nuit
les rues désertes. Dans la journée, les
soldats ont l'arme pointée vers les passants.
Ce sont pourtant des tribus
kurdes alliées à Ankara qui dominent
aujourd'hui la ville. Les « gardiens de
village », l'arme à la bretelle, déambulent
en ville. Dépendant de l'armée,
ils sont des ennemis jurés du PKK.
(1) Les uns et les autres font l' 4!logedu dernier
sultan ottoman, Abdul Hamid n, d4!feoscur du
monde musulman contre l'Occident avant la
" trahison » d'Atatürk et la suppression du califat.
Voir Faruk Bclici, «Islamistes de Turquie et
d'Egypte », in la Nouvelle Dynamique au Moyen-
Orient, L'Harmattan, Paris.
(2) C'est le cas du Hezbollah, qui s4!vitdans la
r4!gionkurde ; il a ex4!cu1l!des dizaines de responsables
du mouvement national, en bonne entente
avec les forces sp4!ciales d'Ankara
(3) Le nouveau maire de Sivas, islamiste, a fait
de mame.
(4) Lire Michel Verrier, "Carte blanche» à
l'arm4!e turque au Kurdistan », le Monde diplomatique,
octobre 1993.
(5) Selon les porte-parole de l'Union des adversaires
de la ~erre (fond4!e en d4!ccmbre 1992 à
Izmir), r4!fugJ4!s à B~me (Allemagne). et interdite
en novembre 1993.
(6) Un nouveau quotidien prokurde, Ozgur
Yülke, paraît depuis le d4!butdu mois de mai, mais
son r4!dacteur en cbef a 4!t4!rapidement arrall!.
(7) Internarlonal Herald Tribune, 30 avril
1994.
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