Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

REVUE DE PRESSE-PRESS REVIEW.BERHEVOKA ÇAPÊ-RIVISTA STAMPA-DENTRO DE LA PRENSA.BASIN ÖZETi
DIPLOMATIE
L'assemblée du Conseil de l'Europe examine des sanctions contre Ankara
Un avertissement à la Turquie pour sa politique' vis-à-vis des Kurdes
A la demande du groupe
socialiste, l'Assemblée parlementaire
du Conseil de l'Europe
devait examiner, jeudi 30 juin,
une demande d'exclusion temporaire
de la Turquie, à la suite
de l'incarcération et de la mise
en accusation, en mars dernier,
de six députés kurdes (le Monde
du 24 juin).
Même si le Conseil de l'Europe
décidait de ne pas sanctionner
la Turquie, cet épisode
. sera un avertissement pour le
gouvernement d'Ankara, objet
des critiques en raison de sa
politique vis-à-vis des Kurdes
du Sud-Est, fondée sur le « toutrépressif»
d'une logique exclusivement
militaire.
La justification des autorités
turques tient en deux points:
d'une part, en dehors des difficultés
économiques propres à la
région, il n'existe pas de « problème
kurde », les Kurdes sont
des citoyens turcs comme les
autres, ni plus ni moins; d'autre
part, les forces de sécurité turques
ne font que lutter par les
. moyens les plus adéquats contre
le terrorisme du Parti des Travailleurs
du Kurdistan (PKK).
Au-delà même de la seule
Turquie, les Kurdes, même s'ils,
s'entre-déchirent, forment bel et,
bien un peuple, réparti sur plu- I
sieurs pays, dont l'existence i
constitue précisément l'une des
sources d'instabilité permanente;
de la région. En Turquie les
quelques 12 millions de Kurdes
. forment une communauté -
a vec sa langue, sa culture, ses
problèmes propres qui
demande que ses droits soient
r
LE MONDE
1 er 'uillet 1994
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reconnus. Les Kurdes ne font
ainsi que s'inscrire dans un
mouvement général qui voit
partout les minorités revendiquer
leurs droits de plus en plus
vivement. Cette revendication
ne saurait être assimilée aux
visées indépendantistes qui semblent
rester celles du PKK, en
dépit des dénégations officielles
de ce mouvement.
Quant au second argument
d'Ankara, il n'est guère plus
défendable. Nul ne songerait à
soutenir le PKK, qui ne se
contente pas de mener une guerilla
contre les soldats d'Ankara,
mais pratique un terrorisme
(attentats aveugles, exécutions,
enlèvements de civils) dont la
population est aussi la victime.
Cela ne suffit pas à justifier que
l'armée brûle les villages et
mène une répression sans pitié
contre toute une population
accusée de servir de vivier au
PKK. Surtout quand lè pouvoir
s'emploie à étouffer toute
expression des revendications
kurdes dans un cadre légal et
démocratique, jetant ainsi une
partie de la jeunesse dans les
bras de cette organisation. Sans
même parler des actions menées
par des mystérieux « escadrons
de la mort », dont tout laisse à
penser que certains entretiennent,
au moins, des liens avec
les forces de sécurité. L'honneur
d'une démocratie consiste, précisément,
à refuser de répondre
au terrorisme avec les mêmes
armes.
Or les témoignages sont si
nombreux et si concordants
qu'il semble difficile de conserver
le moindre doute sur la gravité
des atteintes aux droits de
l'homme imputables au pouvoir:
le dernier rapport en date
est celui d'Amnesty international,
qui est allé jusqu'à affirmer
que la situation des droits de
l'homme empire « d'heure en
heure », notamment au Sud-Est,
mais pas uniquement (le Monde
du 23 juin). Les Kurdes et ceux
qui sympathisent avec leur
cause ne sont pas les seuls à
faire l'objet de la sollicitude du
gouvernement, qui pourchasse
les auteurs de délits d'opinion
« classiques », c'est-à-dire tout
simplement ceux qui critiquent
un peu trop vivement. les
atteintes à la démocratie portées
par le régime. Dans ces conditions,
il devenait de plus en plus
difficile pour les pays européens
de ne pas adresser un coup de
semonce à Ankara.
Vis-à-vis de l'Union euro-
.péenne, la Turquie nourrit une
sorte de « complexe musulman
». On a tôt fait, dans les
cercles dirigeants du pays, de
mettre au compte d'une réaction
de défense de l'Occident chrétien
les critiques qui sont adressées
au pays, officiellement candidat
à l'entrée dans l'Union.
Nier toute réalité à cet argument
serait hypocrite: il est
clair que, même si là n'est pas
le principal obstacle au rapprochement
avec l'Union, tout le
monde n'a pas envie de voir
une nation de soixante millions
d'habitants, musulmans à 99 %,
rejoindre les rangs de l'UE .
L'attitude des Occidentaux face
aux conflits en Azerbadjïan et
en Bosnie a renforcé ces dernières
années ce « complexe»
des Turcs. Mais les rigidités'
d'Ankara, renforcent à l'inverse
cette défiance latente des Européens
et aboutissent à dilapider
un capital de sympathie réel lui
aussi. à gâcher les chances
offertes par le dynamisme
impressionnant de ce pays
jeune.
Le blocage
chypriote
D'où le problème auquel se
heurte, par exemple, la diplomatie
française, soucieuse de
ménager la Turquie, à cause de
son importance à la fois géopolitique
et commerciale, notamment
en matière d'exportation
d'équipements militaires. En
visite à Ankara cette semaine, le
secrétaire général du Quai d'Orsay,
Bertrand Dufourcq a indiqué
: « nous cherchons à rassurer
les Turcs [sur leurs relations
avec l'Union européenne] », tout
en ajoutant que la question des
droits de l'homme demeure un
problème « pour un pays comme
la France qui souhaite être ('avocat
de (a Turquie dans l'Union
européenne». «Nous avons des
dijJicultés avec notre propre opinion
», a-t-il admis.
Le blocage de la Turquie dans
le conflit chypriote fournit un
autre exemple de ces difficultés:
après des mois et des
années de patience, les Douze
ont fini, semble-toil, par se
convaincre que, sauf miracle,
Ankara, occupant sans droit ni
titre du nord de l'île, ne bougera
pas d'un pouce, empêchant tout
progrès ver~ une solution politique
pour mettre fin à une partition
qui dure depuis vingt ans.
Résultat: au 1" janvier 1995,
l'Europe pourrait engager avec
la seule partie grecque de l'île
des négociations d'adhésion.
Celles-ci ne déboucheraien t
certes pas tout de suite - afin de
rassurer les Turcs après les décisions
du sommet de Corfou,
Bertrand Dufourcq, secrétaire
général du Quai d'Orsay a souligné
qu'un nouvel élargissement
ne pourrait pas' avoir lieu
« avant (e début du XXI' siècle»
(1) - mais elles aggraveraient la
fracture entre les deux communautés
chypriotes, jetteraient un
peu plus la ((République turque
de Chypre du Nord» «((RTCN»,
auto-proclamée, reconnue seulement
par Ankara) dans les bras
de la Turquie, rendraient encore
plus amère l'attente de cette
dernière aux portes de l'Europe.
JEAN-LOUIS ANDREANI
(I) Dans les conclusions du récent
sommet de Corfou, les Douze indiquent
que Il la prochaine phase de l'élargisse.
menr de l'Union ine/ura Chypre el
Malle».