Table des matières Allard, Michel Mika Page 1 Beaudet-Bélanger ...
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Martin Castonguay<br />
Mon père<br />
<strong>Page</strong> 31<br />
On vit tous de ces jours où on préférerait grandement être resté couché. J’ai vécu un jour comme ça très tôt<br />
dans mon enfance. Je proviens d’une famille monoparentale qui comporte quatre enfants, deux garçons et<br />
deux filles. Mon père qui n’avait, à cette époque, que très peu de temps à nous accorder, nous laissait<br />
souvent nous entraider et apprendre l’un de l’autre. Malheureusement, quatre enfants qui tentent<br />
désespérément d’apprendre la vie sans adulte développent <strong>des</strong> lacunes. L’une <strong>des</strong> principales était l’art de<br />
s’exprimer. J’ai appris beaucoup trop tard et à mes dépens qu’il y a certains filtres naturels à utiliser lorsque<br />
l’on parle à quelqu’un.<br />
Vers l’âge de 10 ans, j’ai découvert le regret. Je venais d’être puni et n’ayant pas la capacité de comprendre<br />
aisément, j’ai dit à mon père que je le détestais. Je ne me suis malheureusement pas contenté de le dire, mais<br />
je l’ai fait de façon très méchante. Sous la colère, mon père m’a avoué ne pas être mon vrai papa. Je ne sais<br />
pas si vous imaginez la situation, moi, dans une famille de quatre enfants où il n’y a que le père, on<br />
m’apprend que je n’ai rien à y faire. Le choc! Mon univers a basculé et s’est totalement effondré. Qui suisje?<br />
Qui est mon père? Pourquoi m’a-t-il abandonné? Ces trois questions pour lesquelles je n’avais aucune<br />
façon de répondre avec certitude m’ont fait découvrir le regret. Si seulement je n’avais pas rendu papa<br />
colérique… Si seulement j’avais tenu ma langue! Ce jour-là, j’ai sombré, j’étais beaucoup trop jeune et<br />
immature pour comprendre. Je n’osais plus l’appeler papa, je n’osais même plus prétendre faire partie de<br />
cette famille. Tout au fond de moi, je sentais que je n’avais plus aucune identité. Chaque jour à mon réveil, je<br />
regrettais amèrement mes paroles, et ce, même après plusieurs années.<br />
À l’âge de 14 ans, on m’a offert de partir de chez moi et d’aller vivre en centre d’accueil pour jeunes. J’ai<br />
accepté avec bonheur, j’étais enfin libéré. Par contre, à chaque fois que ma "famille" venait me voir, ma<br />
bouche se crispait en un rictus in<strong>des</strong>criptible. Immanquablement, je revivais constamment ce jour, lorsque<br />
j’avais 10 ans.<br />
Ce ne fût qu’à environ 27 ans que j’ai enfin pu avoir <strong>des</strong> réponses à mes questions. J’ai passé une journée<br />
seule avec mon "père". J’appréhendais cette journée parce que depuis 17 ans, chaque fois que je le voyais, je<br />
ne pouvais m’empêcher de revivre cet événement de mon enfance. Mais cette journée a tout changé. Je lui ai<br />
parlé de tout ce que cette révélation m’a fait vivre à l’intérieur et il m’a écouté <strong>des</strong> heures durant. Lorsque<br />
j’ai eu terminé, il m’a dit à quel point il avait regretté à la minute même ce qu’il m’avait avoué. Il m’a<br />
expliqué qu’il regrettait de m’avoir dit cette vérité et que s’il pouvait revenir en arrière, il garderait cette<br />
parole pour lui. Il avait ressenti ma tristesse durant toutes ces années et c’était pour cette raison qu’il m’avait<br />
parlé du centre d’accueil à mon adolescence. Il croyait sincèrement que ça m’aiderait à tirer un trait sur cette<br />
époque.<br />
Le plus important, il m’a dit qu’il m’aimait comme si j’étais son fils, qu’il était fier de ce que j’avais<br />
accompli malgré ma déchirure intérieure et qu’il serait toujours là pour moi quoi qu’il puisse se passer. Ce<br />
jour-là, à 27 ans, j’ai compris. J’avais mis tout ce temps à me chercher et à me demander qui j’étais et<br />
surtout, qui était mon père. La réponse était là, c’est lui! L’important n’est pas celui qui fournit sa semence,<br />
l’important c’est celui qui est là pour nous, celui qui nous comprend à un point tel qu’il voit notre souffrance<br />
et nous offre de partir pour nous aider.