dimanche 24 septembre

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DIMANCHE-ILLUSTRÉ mmum iiiulimi imn« ■■ iniiiiiiimiiiiuiM i 6 iiiïiiiiii iiiiiiiiiiuiiiiiiciiiiiimii i ""»"' iiiiiiiiiimiu LE 24 SEPTEMBRE 1933 iiiiimt? LA SUITE: AU PROCHAIN NUMÉRO... J'ai noté les termes mêmes de la discussion ; mais voici qu'elle dégénère en une bruyante dispute, où s entre-croisent les mois polysyllabes du jargon scientifique. C'est sans contredit un privilège... IUMMERLEE regarda et acquiesça. M'approchant à mon tour, je vis un être minuscule, qui semblait fait en verre pilé, glisser, dans une sorte de coulée visqueuse, à travers le rond de lumière. Lord John, lui, acceptait tout de confiance. — Peu me chaut que votre animal soit mort ou vif, dit-il. Lui et moi ne nous connaissons même pas de vue. Pourquoi m'en soucierais-je ? Je ne suppose pas qu'il s'inquiète de notre santé. Je partis de rire; sur quoi, Challenger me lança un coup d'œil si méprisant qu'il me glaça. — La légèreté de l'homme à demi éduqué, dit-il, est pour la science un pire obstacle que l'ignorance obtuse. Si lord John Roxton voulait se donner la peine... — Un peu de modération, mon cher George, fit Mrs Challenger, en passant sa main dans la noire crinière penchée sur le microscope. Qu'est-ce que cela peut faire que cette amibe vive ou ne vive pas ? — Cela peut faire beaucoup, répliqua, d'un ton pincé, Challenger. — Soit, nous vous écoutons ! fit lord John, qui sourit, sans rancune. Autant parler de cela que d autre chose, ci vous pensez que j'ai traité votre animal trop cavalièrement ou que je l'ai blessé en quoi que ce soit, je lui fais mes excuses. ■— Pour ma part, intervint Summerlee de sa voix grinçante et chicanière, je ne comprends pas l'importance que vous attachez a ce que votre amibe vive. Elle habite la même atmosphère que nous, d'où s'ensuit naturellement que le poison n'agit pas sur elle. Hors de cette chambre, elle périrait. — Vos observations, mon bon Summerlee, dit Challenger, énorme d'indulgence (ah ! que ne puis-je peindre cette tête hautaine, sous l'éclatant reflet circulaire que lui envoyait le miroir du microscope ! ) vos observations montrent que vous appréciez mal la situation. Ce spécimen a été monté hier, et il est hermétiquement clos. Il ne reçoit rien de notre oxygène. Mais, bien entendu, notre éther a pénétré jusqu'à lui, comme jusqu'à tout autre point de l'univers. Il a donc survécu au poison. Vous pouvez en conclure que toutes les amibes qui sont hors de cette chambre, au lieu d'être mortes, selon votre affirmation erronée, survivent à la catastrophe. — Eh bien, même à présent, je „ me sens pas l'envie de bu'/lei de joie. En quoi la chose a-t-elle une importance ? — Simplement en ceci : que le monde continue à vivre. Si vous aviez l'imagination scientifique, vous projetteriez votre esprit au delà du fait actuel ; vous verriez, d'ici à quelques millions d'années — simple période transitoire dans l'immense série des âges — fourmiller de plus belle, sur toute la terre, la vie animale et la vie humaine, issues de cet imperceptible germe. Vous avez rencontré de ces prairies où l'incendie, effaçant toute trace de gazon et de plantes, n'a laissé qu'une étendue noirâtre. Vous les croiriez vouées à n'être éternellement qu'un désert. Mais, dans le sol, les racines restent ; repassez par là quelques années plus tard, vous ne reconnaîtrez pas les plages ravagées. L'infime créature que voici porte en elle les racines de. la vie animale ; et par les puissances de développement qu'elle renferme, par son évolution, elle ne peut manquer, avec le temps, | de supprimer jusqu'à la dernière ' trace de la crise sans ______ pareille où nous som- __»___■! mes englobés. — Diablement Intéressant ! dit lord John, qui, sans en avoir l'air, s'était tout de même rapproché du microscope. Le drôle de petit personnage, à cataloguer numéro 1 parmi les portraits d ancêtres ! Il a sur lui comme un gros bouton de chemise. — Cet objet sombre est son nucléus, énonça Challenger, à la façon d'une gouvernante qui montre l'alphabet à un gamin. — Ainsi, maintenant, poursuivit lord John en riant, nous n'allons plus nous sentir seuls, il y a un autre vivant que nous sur la terre. — Vous semblez tenir pour acquis, dit Summerlee. que le monde, de par sa création, a pour unique objet de produire et d'entretenir la vie humaine ? — Mais, monsieur, quel objet différent lui supposeriez-vous? d urtanda Challenger, A.CONAN DO/LE TRADUCTION DE LOUIJT LABAT qui se gendarmait à la moindre contradiction. — Je trouve monstrueuse, quand j'y réfléchis, la prétention de i'nomme se figurant que le monde est un théâtre bâti pour qu'il s'y pavane. — Sans dogmatiser là-dessus, sans y mettre non plus de ce que vous appelez, bien témérairement, une monstrueuse prétention, nous pouvons à coup sûr affirmer que nous occupons le rang le plus élevé dans la nature. — Le plus élevé à notre connaissance. — Cela, monsieur, va sans dire. — Pensez aux millions, et peut - être aux billions d'années pendant lesquelles la terre roula toute vide dans l'espace, ou, sinon toute vide, du moins sans aucune idée ni aucun signe annonciateur de l'espèce humaine. Imaginez-la baignée par la pluie, grillée par le soleil, fouettée par le vent.^ durant ces innombrables siècles. L'homme ne date que d'hier dans l'ordre des temps géologiques. Pourquoi dt- RÉSUMÉ DES CHAPITRES PARUS ALONE, journaliste, est M chargé d'interviewer le professeur Challenger, à la suite d'un article paru dans le Times, sur les « possibi= lités scientifiques de la fin du monde». 11 rencontre à la gare des amis de Challen' ger qui ont reçu de ce dernier un télégramme leur demandant de le rejoindre, avec des tubes d'oxygène, dans sa villa de la grande banlieue de Londres. En arrivant, ils rencontrent le professeur Challenger, venu les chercher en automobile. Challenger leur explique que notre planète a rencontré dans l'éther une zone de poison, et qu'elle s'y" précipite à la vitesse de quelques millions de milles par minute. C'est de là que leur viennent les malaises ressentis par eux et par lui-même. Déjà l'atmosphère est devenue irrespirable et, dans la campagne, gens et bêtes s'abattent partout comme foudroyés. Par bonheur, une pièce de la villa se trouve être parfaitement étanche : c'est le boudoir de la femme du professeur, Mrs Challenger. Tous s'y précipitent munis des précieux tubes d'oxygène qui constitueront leur suprême ressource quand l'air viendra à leur manquer, ressource qui sera ellemême, inévitablement, trop vite épuisée. Pourtant, le professeur, grâce à un procédé ingénieux, a réussi à détruire chimiquement l'oxyde de carbone dégagé dans la pièce où sont emprisonnés les héros de cette aventure. Le petit groupe de reclus est convaincu que, grâce à un concours de circonstances providentiel, il est seul à avoir échappé, de par le vaste monde, à cette fin affreuse. Sur ces entrefaites, le professeur Challenger, que tracassent jusqu'au seuil de la mort les préoccupations scientifiques, étudie au microscope, une goutte d'eau, dans leur refuge y découvre un microbe vivant. Cette trouvaille, en apparence dérisoire, semble le plonger dans une joie si profonde, que ses compagnons d'infortune, qui n'en entrevoient guère l'importance, en arrivent presque à douter s'il a conservé toute sa raison— créter que cette formidable préparation se faisait à son bénéfice ? — Au bénéfice de qui, alors, ou de quoi ? Summerlee haussa les épaules. « Comment le dire ? C'est peutêtre ce que nous ne saurions même concevoir, car peut-être l'homme n'est-il qu'un simple accident, un sous-produit qui se sera dégagé au cours des choses : ainsi l'écume de l'Océan imaginerait que l'Océan fut créé pour la produire et l'entretenir, ou une souris de cathédrale que l'édifice fut construit et aménagé pour sa résidence. » j'ai noté les termes mêmes de la discussion ; mais voici qu'elle dégénère en une bruyante dispute, où s'entre-croisent les mots polysyllabes du jargon scientifique. C'est sans contredit un privilège que d'écouter deux hommes de cette intelligence débattre les plus hautes questions ; mais leur perpétuel discorde fait que des profanes comme lord John et moi n'en tirent pas grand'chose de positif. Ils se neutralisent l'un l'autre, et nous ^^^^^^ restons Gros - Jean ■■ — " — comme devant. A présent, tout ce beau vacarme a cessé ; Summerlee s'est rassis sur sa chaise, pendant que Challenger, manœuvrant encore les vis de son microscope, fait entendre, sans répit, un grondement sourd, profond, inarticulé, comme la mer après la tempête. Lord John me rejoint à la fenêtre, et nous regardons la nuit au dehors. Une lune nouvelle, la dernière que doivent contempler des prunelles humaines, luit d'un pâle éclat. Mais les étoiles ont une vivacité singulière. Même dans l'air transparent du plateau sud - américain, je ne les vis jamais plus brillantes. Est-ce que la modification de l'éther affecterait la lumière ? Le bûcher funéraire de Brighton flambe toujours, et une rande tache rouge âans le ciel, vers l'ouest, dénonce quelque sinistre à Auruiidel, Chichester ou Port3mout_. Je ...que d'écouter deux hommes de cette intelligence débattre les plus hautes questions ; mais leur perpétuel discord fait que des profanes comme lord John et moi n'en tirent pas grand'chose de positif. me rassieds, je médite, de temps en temps je prends une note. Il flotte dans l'air une mélancolique douceur. Jeunesse, beauté, amour, vertus chevaleresques, tout cela est-il fini ? Sous les rayons des astres, cette terre semble le pays du rêve et de la paix. Que nous voilà loin d'un Golgotha de la race humaine, terrible et couvert de cadavres ! Je me surprends soudain à rire. — Holà ! jeune homme, qu'y a-t-il ? fait lord John, me dévisageant, très étonné. Un bon sujet de gaieté a son prix en des temps si rudes. — Je pensais, dis-je, à toutes les grandes questions qui restent sans solution après ce qu'elles nous ont coûté de soins et de peine. La question de la rivalité anglo-allemande, par exemple, ou celle du golfe Persique, qui passionnait mon directeur. Aurions-nous jamais prévu, quand elles nous donnaient tant de tintouin, la façon dont elles devaient se résoudre ? Nous retombons dans le silence. Sans doute chacun de nous songe aux amis déjà partis. Mrs Challenger sanglote, et son mari, à voix basse, la console. Je revois toutes sortes de gens ; je me les représente couchés, rigides et blêmes, comme le pauvre Austin dans la cour. Me Ardle entre autres : je sais, par le bruit de sa chute, sa position exacte, le visage sur son bureau, la main sur son'téléphone. Et Beaumont, notre directeur : vraisemblablement, il s'allonge sur le tapis de Turquie bleu et'rougé qui orne son sanctuaire. Et les camarades, dans la salle des reporters, Macdonna, Murrey, Bond : ils sont certainement morts à l'œuvre, ayant en main leurs carnets bourrés d'impressions vivantes et de faits prodigieux. Je les imagine, celui-ci dépêché auprès des docteurs, cet autre à Wesminster, ce troisième à Saint-Paul. De quelles fulgurantes « manchettes » ils auront eu la vision suprême, qui jamais ne devait se matérialiser en encre d'imprimerie ! Je vois Masdonna chez les docteurs. « On espère à Harley Street. Interview de Mr Soley Wilson. Le grand spécialiste dit « Ne perdons pas. cou- » rage ». Notre correspondant particulier a trouvé l'éminent savant juché sur son toit, où l'avait forcé de se réfugier la foule de clients épouvantés qui avaient envahi sa demeure. Sans dissimuler qu'il mesurât l'immense gravité de la situation, le célèbre médecin a refusé d admettre que toutes les avenues de l'espoir fussent closes ». Ainal

•wiiiii.LE 24 SEPTEMBRE 1933 mm '■■muni iiniii m iniii m IIIIIIIIIIIIII m 7 IIIIIIIIIII IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIUIIIIIIIII iiiiiNiiiiniiiiiiiMi i ni DIMANCHE-ILLUSTRÉ immin débuterait Mac. Puis il y avait son col, que le hérissement touffu Bond. Sans doute avait-il « fait » conscience de la situation, les notre triste chambre empoisonnée, et luxuriant de sa barbe. Il ronfle, Et, de toute sa force, il lança' Saint-Paul. Il soignait son style. craintes de l'homme dominaient un nous contemplions comme un rê-ve en vibrant de tout son corps, et le sa lorgnette contre la vitre. Ma parole, quel thème pour lui ! instant chez lui le stoïcisme du sa- de beauté cette glorieuse et pure ténor aigu de Summerlee répond vant. Lord John était 'aussi froid, Les derniers éclats du verre « Tandis que, de la petite galerie campagne caressée par les brises. r ar intervalles à sa basse sonore, sous le dôme, je plongeais 'le re- aussi alerte que s'il se fût levé un n'avaient pas teinté sur le parquet Mrs Challenger tendait une main Eord John sommeille aussi, sa lon- matin de chasse. de la chambre qu'une bouffée de gard dans toute cette humanité vers elle, comme dans un geste gue personne pliée de travers dans — Cinquième et dernier, dit-il, vent salubre, à la fois violente et grouillante, prosternée par le dé- d'imploration. Nous rapprochâmes un fauteuil d'osier. Déjà l'aube lorgnant le tube. Or ça, jeune douce, frappait en plein nos visages sespoir aux pieds d'une puissance nos sièges pour les ranger en demi- glisse un peu de sa froide clarté congestionnés. homme, vous n'allez pas prétendre quelle avait si obstinément ignocercle devant la fenêtre. Déjà l'at- dans la chambre. Tout est gris et aue ' vous vous donniez la peine Je ne sais combien de temps nous rée, par dessus les remous de la mosphère devenait très lourde. morne. d'écrire vos impressions dans ce demeurâmes sur place, éperdus, foule montait jusqu'à mes oreilles Je regarde se lever le soleil, le — Ce cylindre n'a pas l'air de carnet sur votre genou ? muets. Enfin, comme dans un un tel murmure de terreur et de vouloir beaucoup durer, dit lord fatal soleil qui va éclairer un monde —■ Quelques notes, simplement, songe, j'entendis la voix de Chal- prière, une si frémissante adjura- John, respirant avec , peine. dépeuplé. Un jour a suffi pour pour tromper les heures. lenger : tion vers l'inconnu, que... ». Ainsi éteindre la race humaine ; mais les — La quantité d'oxygène varie de suite. — Je doute que l'idée en fût ve- — Nous voici revenus aux planètes continuent leur ronde, les d'un cylindre à l'autre, dit Chalnue à personne qu'un Irlandais. conditions normales ! criait-il. Le Oui, ç'avait été une belle fin marées s'élèvent et s'abaissent, le lenger. Cela dépend de la pression Pour avoir un lecteur, il va falloir monde a rejeté sa ceinture de poi-. pour un reporter, bien qu'il fût vent soupire ; la nature poursuit ses et du soin avec- lequel- on les attendre, je crois, que notre jeune son!-Mais, de toute l'humaniité, mort, comme je vais mourir, en | voies, jusque, semble-t-il, dans charge. Je croirais volontiers comme soeur l'amibe ait un peu monté en nous seuls avons échappé au dé- possession de trésors inemployés. l'amibe même, et pas un signe ne vous, Roxton, que celui-ci laisse à graine ; et elle n'en paraît pas sastre ! Que ne donnerait Bond, le pauvre désirer. manifeste que celui qui s'intitulait pressée. Eh bien, professeur, quel- garçon, pour voir ses initiales le roi de la création ait jamais réles perspectives ? — De sorte qu'on nous aura volé J.-H. B. au bas des lignes que je joui ou désolé l'univers par sa pré- crois lire ! Challenger regardait le brouil- la dernière heure de notre vie ! sence. En bas, dans la cour, Austin lard du matin noyer le paysage. s'écria Summerle avec amertume. Mais voilà bien du radotage. s'étale de tous ses membres, livide Sur cet océan d'ouate, les coteaux Admirable trait de notre siècle sor- Manière de passer le temps. Mrs sous la clarté du petit jour, et boisés dressaient des îlots conidide ! Allons, Challenger, voici pour JE no;,s revois tous, sur nos Challenger s'est retirée dans le ca- brandissant encore de sa main ques. vous le moment, si le cœur vous en chaises, aspirant gloutonnebinet de toilette ; elle dort, nous morte la lance d'arrosage. L'huma- — On dirait un linceul, dit Mrs dit, d'étudier les phénomènes subnement cette.bonne brise ma- dit le professeur. Lui, cependant, nité se personnifie dans cet homme Challenger, qui avait revêtu' un jectifs de la dissolution physique. rine du sud-ouest qui agitait la rend des notes et consulte des ainsi couché, à demi grotesque, à E peignoir. Elle était prophétique, — Mettez-vous sur ce tabouret, mousseline des rideaux et nous ra- ouquins à la table centrale, aussi demi pathétique, et totalement dé- George, cette chanson que vous contre mes qenoux, et donnez-moi fraîchissait la figure. Combien de calme que s'il avait en perspective chu de sa puissance, près de la ma- aviez coutume de chanter : Enve- la main, dit Challenger à sa femme. temps nous fûmes là sans bouger, des années de labeur paisible. Sa chine qu'il gouvernait... loppe le vieux, enveloppe le jeune. J'estime, mes amis, qu'il ne sert je me le demande. Plus tard, nous plume d'oie mène grand bruit sur Ici s'arrêtent mes notes. Depuis, Mais vous grelottez, mes pauvres plus à rien de résiter dans cette ne parvenions nas à nous accorder le papier, comme pour crier son les événements se sont trop préci- amis. J'ai passé la nuit au chaud intolérable atmosphère. Vous n'y sur ce point. Nous étions ahuris, mépris des opinions adverses. pités, et avec trop de violence, dans mes couvertures, pendant que tenez pas, ma chérie, n'est-ce pas ? étourdis, hébétés. Tous, devant la Summerlee, ployé de côté sur sa pour me permettre d'écrire. Mais vous geliez sur vos chaises. Je vais Mrs Challenger, avec une petite mort nous evions tendu notre cou- chaise, émet de temps à autre un la mémoire m'en restitue fidèlement réparer cela. plainte, cacha son visage dans les rage ; mais l'effrayante et soudaine ronflement qui m'exaspère ; lord chaque détail. Une impression de "Elle sortit dare-dare, la brave genoux de son mari. obligation d'avoir à continuer à John repose, enfoncé dans la suffocation, d'étranglement, me fit petite créature ; bientôt nous en- — J'ai vu, dit lord John, des gens vivre après l'anéantissement de sienne, les yeux clos. Comment les regarder les cylindres, et je frémis. tendîmes le ronron d'une bouilloire se baigner en hiver dans la Ser- notre race nous portait un coup qui gens peuvent dormir dans de telles Les sabliers de nos vies s'épui- et Mrs Challenger ne tarda pas à pentine ; alors que déjà tous les nous accablait. Cependant, petit à conditions, c'est inconcevable. saient. Challenger, dans le. cours reparaître avec un plateau où cinq autres baigneurs sont dans l'eau, petit, le mécanisme paralysé com- 3 heures du matin. Je m'éveille de la nuit, avait porté du troisième tasses exhalaient une vapeur de un ou deux frissonnent encore sur mença de se remettre en marche ; en sursaut. Il était 11 h. 5 quand cylindre au quatrième le conduit chocolat. la berge, enviant ceux qui ont fait les vannes de la mémoire fonction- j'ai tracé ma dernière ligne. Je me extérieur de l'oxygène ; évidem- — Voici qui vous fera du bien, le plongeon. Aux derniers le pire. nèrent ; les idées se rejoignirent souviens d'avoir remonté ma monment, le quatrième arrivait, lui buvez ! dit-elle. Je suis pour les premiers. dans nos cerveaux. Avec une artre et noté l'heure. J'ai donc — qui aussi, au bout de son contenu. Ma Et nous bûmes, Summerlee de- — Vous ouvririez la fenêtre ? dente, une implacable lucidité, l'eût jamais cru ? — gaspillé cinq gorge se contractait de plus en manda la permission d'allumer sa Vous affronteriez l'éther ? nous aperçûmes les rapports entre heures sur le bref délai dont nous plus sous l'horrible étreinte. Je pipe. Mes deux autres compagnons — Plutôt le poison que l'as- le passé, le présent et le futur, disposions. Mais je me sens renou- courus dévisser le conduit, je et moi, nous avions des cigarettes. phyxie ! entre la vie que nous avions vécue velé, prêt à ce qui m'attend. Du l'adaptai à notre dernier cylindre. Le tabac, je crois, nous calma les Summerlee, à contre-cœur, fit un et celle que nous allons vivre. Dans moins, je me le persuade. Et pour- Je sentais qu'il y avait urgence et nerfs, ce qui n'empêche pas que signe d'assentiment, et tendant à un sentiment de muette horreur, tant, plus un "homme est en bon que, si ma main avait tant soit peu nous eûmes tort de fumer, car l'at- Challenger sa main osseuse : cherchant les yeux de nos compa- état, plus la vie afflue en. lui, et tardé, tous mes compagnons aumosphère étouffée de la chambre — Nous avons eu bien des quegnons, nous y lisions ce qu'ils li- plus il doit avoir horreur de la raient succombé dans leur sommeil. devint irrespirable. Challenger dut relles, nous n'en aurons plus, dit-il. saient eux-mêmes dans les nôtres. mort. Que de sagesse et de miséri- Je fus d'ailleurs rassuré à cet égard ouvrir l'imposte. Dans le fond, nous nous aimions Loin que notre chance miraculeuse corde dans cette sollicitude de la par la voix de Mrs Challenger — Pour combien de temps en et nous estimions l'un et l'autre. nous causât aucune joie, nous nous nature qui veut que notre ancre criant, du cabinet de toilette : avons-nous, Challenger? questionna Au revoir ! abîmions dans la plus noire dé- terrestre se détache par une infi- — George ! George ! j'étouffe ! lord John. tresse. Le mystérieux océan de l'innité d'imperceptibles secousses, — Au revoir, jeune homme ! me — N'ayez pas peur, Mrs Chal- —' Peut-être pour trois heures, fini avait engouffré tout ce que jusqu'à ce aue, du port intenable dit lord John. Mais la fenêtre est lenger, réponais-je, cependant que, répondit-il avec un haussement nous aimions ici-bas ; nous n'étions où nous enchaînait le monde, no- calfeutrée. Pas moyen de l'ouvrir. d'un bond, les autres se mettaient d'épaules. plus que les prisonniers d'une île tre conscience dérive dans la sur pied ; je viens d'ouvrir un nou- Challenger se pencha, souleva sa — J'ai commencé par avoir grand déserte, sans amis, sans espoirs, grande mer au delà ! veau cylindre. femme, la pressa contre sa poitrine, peur, dit Mrs Challenger ; mais sans désirs. Quelques années Mrs Challenger dort toujours Même à une pareille minute, cependant qu'elle lui jetait ses bras plus le dénouement approche, moins encore, nous rôderions comme des dans le cabinet de toilette. Chal- je ne pus m'empêcher de sourire en autour du cou. il m'impressionne. Ne croyez-vous chacals parmi les sépultures ; puis lenger s'est endormi sur son siège. voyant Challenger, tel un mons. — Malone, fit-il gravement, pas que nous devrions prier, enfin, ayant tardé de mourir, nous Quel tableau ! Son énorme mem- trueux gosse barbu, passer sur ses donnez-moi cette lorgnette. George ? mourrions seuls. brure penche en arrière, ses paupières deux formidables poings ■— Priez si vous le voulez, ma Je la lui tendis. Alors, d'une voix CoNAN DOYLE. grosses mains velues s'agrafent a couverts d'une noire broussaille. chérie, répondit très tranquillement de tonnerre : son gilet, sa tête se dérobe, à tel Summerlee avait des frissons de le gros homme. Nous avons tous — Nous nous remettons aux Traduit de l'anglais par L. LABAT. point que je n'aperçois, par dessus fièvre ; à mesure qu'il reprenait notre manière de prier. La mienne mains de la puissance qui nous (Illustrations de M. SAUVAYRE.) créa est un consentement absolu ! prononça-t-il. et (A suivre.) joyeux à tout ce que le destin me réserve. Et par là se rejoignent apparemment la plus haute religion et la plus haute science. ■— Je ne puis pas dire, en bonne franchise, que mon état d'esprit soit celui du consentement, et surtout du consentement joyeux, grogna Summerlee sans quitter sa pipe. Je me soumets parce que je dois me soumettre. J'avoue que j'aurais aimé vivre un an de plus pour terminer ma classification des fossiles de la craie. — Que votre travail reste inachevé, cela ne compte guère, pontifia Challenger, si l'on songe que moi-même j'en suis encore au début de ma grande œuvre : L'Echelle de la vie. Mon Cerveau, mes lectures, mon expérience, tout ce qui, en somme, constitue chez moi, un bagage unique, j'allais le mettre dans ce livre destiné à faire époque. Et néanmoins, je vous l'ai dit, je consens. — Je présume que nous laissons tous quelque affaire en train, dit lord John. Vous, jeune homme ? —■ Je préparais un livre de vers, répondis-je. — Eh bien ! le monde aura du moins évité cela. Pour peu qu'on cherche, on découvre toujours qu'un malheur ne va pas sans compensation. — Et vous-même ? demandai-je — Moi, je faisais mes malles ; j^avais promis à Merivale d'aller au Thibet chasser avec lui, ce printemps, le léopard des neiges. Mais c'est vous, Mrs Challenger, qui devez trouver le coup dur, quand vous veniez de bâtir cette maison délicieuse ! — Où est George, là est ma maison, dit Mrs Challenger. Mais que ne donnerais-je pour une dernière promenade avec vous tous dans la fraîcheur du matin, sur ces magnifiques dunes ! Le mot retentit dans nos cœurs. Le soleil venait de déchirer son Austin s étale de tous ses membres, livide sous la clarté du petit voile de brume, la forêt tout entière « Nous nous remettons aux mains de la puissance qui nous créa ! » jour, et brandissant encore de sa main morte la lance d'arrosage.» baignait dans de l'or. Du fond de dit-il. Et, de toute sa force, il lança sa lorgnette contre la vitre.

DIMANCHE-ILLUSTRÉ mmum iiiulimi imn« ■■ iniiiiiiimiiiiuiM i 6 iiiïiiiiii iiiiiiiiiiuiiiiiiciiiiiimii i ""»"' iiiiiiiiiimiu LE <strong>24</strong> SEPTEMBRE 1933 iiiiimt?<br />

LA SUITE: AU PROCHAIN NUMÉRO...<br />

J'ai noté les termes mêmes de la discussion<br />

; mais voici qu'elle dégénère en une<br />

bruyante dispute, où s entre-croisent les<br />

mois polysyllabes du jargon scientifique.<br />

C'est sans contredit un privilège...<br />

IUMMERLEE regarda<br />

et acquiesça. M'approchant<br />

à mon<br />

tour, je vis un être<br />

minuscule, qui semblait<br />

fait en verre<br />

pilé, glisser, dans<br />

une sorte de coulée<br />

visqueuse, à travers le rond de<br />

lumière. Lord John, lui, acceptait<br />

tout de confiance.<br />

— Peu me chaut que votre animal<br />

soit mort ou vif, dit-il. Lui et<br />

moi ne nous connaissons même<br />

pas de vue. Pourquoi m'en soucierais-je<br />

? Je ne suppose pas qu'il<br />

s'inquiète de notre santé.<br />

Je partis de rire; sur quoi, Challenger<br />

me lança un coup d'œil si<br />

méprisant qu'il me glaça.<br />

— La légèreté de l'homme à<br />

demi éduqué, dit-il, est pour la<br />

science un pire obstacle que l'ignorance<br />

obtuse. Si lord John Roxton<br />

voulait se donner la peine...<br />

— Un peu de modération, mon<br />

cher George, fit Mrs Challenger,<br />

en passant sa main dans la noire<br />

crinière penchée sur le microscope.<br />

Qu'est-ce que cela peut faire que<br />

cette amibe vive ou ne vive pas ?<br />

— Cela peut faire beaucoup, répliqua,<br />

d'un ton pincé, Challenger.<br />

— Soit, nous vous écoutons ! fit<br />

lord John, qui sourit, sans rancune.<br />

Autant parler de cela que d autre<br />

chose, ci vous pensez que j'ai<br />

traité votre animal trop cavalièrement<br />

ou que je l'ai blessé en quoi<br />

que ce soit, je lui fais mes excuses.<br />

■— Pour ma part, intervint Summerlee<br />

de sa voix grinçante et chicanière,<br />

je ne comprends pas l'importance<br />

que vous attachez a ce<br />

que votre amibe vive. Elle habite<br />

la même atmosphère que nous, d'où<br />

s'ensuit naturellement que le poison<br />

n'agit pas sur elle. Hors de cette<br />

chambre, elle périrait.<br />

— Vos observations, mon bon<br />

Summerlee, dit Challenger, énorme<br />

d'indulgence (ah ! que ne puis-je<br />

peindre cette tête hautaine, sous<br />

l'éclatant reflet circulaire que lui<br />

envoyait le miroir du microscope ! )<br />

vos observations montrent que vous<br />

appréciez mal la situation. Ce spécimen<br />

a été monté hier, et il est<br />

hermétiquement clos. Il ne reçoit<br />

rien de notre oxygène. Mais, bien<br />

entendu, notre éther a pénétré jusqu'à<br />

lui, comme jusqu'à tout autre<br />

point de l'univers. Il a donc survécu<br />

au poison. Vous pouvez en<br />

conclure que toutes les amibes qui<br />

sont hors de cette chambre, au lieu<br />

d'être mortes, selon votre affirmation<br />

erronée, survivent à la catastrophe.<br />

— Eh bien, même à présent, je<br />

„ me sens pas l'envie de bu'/lei<br />

de joie. En quoi la chose a-t-elle<br />

une importance ?<br />

— Simplement en ceci : que le<br />

monde continue à vivre. Si vous<br />

aviez l'imagination scientifique,<br />

vous projetteriez votre esprit au<br />

delà du fait actuel ; vous verriez,<br />

d'ici à quelques millions d'années<br />

— simple période transitoire dans<br />

l'immense série des âges — fourmiller<br />

de plus belle, sur toute la<br />

terre, la vie animale et la vie humaine,<br />

issues de cet imperceptible<br />

germe. Vous avez rencontré de ces<br />

prairies où l'incendie, effaçant<br />

toute trace de gazon et de plantes,<br />

n'a laissé qu'une étendue noirâtre.<br />

Vous les croiriez vouées à n'être<br />

éternellement qu'un désert. Mais,<br />

dans le sol, les racines restent ; repassez<br />

par là quelques années plus<br />

tard, vous ne reconnaîtrez pas les<br />

plages ravagées. L'infime créature<br />

que voici porte en elle les racines<br />

de. la vie animale ; et par les puissances<br />

de développement qu'elle<br />

renferme, par son évolution, elle<br />

ne peut manquer, avec le temps,<br />

| de supprimer jusqu'à la dernière<br />

' trace de la crise sans ______<br />

pareille où nous som- __»___■!<br />

mes englobés.<br />

— Diablement Intéressant<br />

! dit lord<br />

John, qui, sans en<br />

avoir l'air, s'était<br />

tout de même rapproché<br />

du microscope.<br />

Le drôle de petit personnage,<br />

à cataloguer<br />

numéro 1 parmi les<br />

portraits d ancêtres !<br />

Il a sur lui comme un<br />

gros bouton de chemise.<br />

— Cet objet sombre<br />

est son nucléus,<br />

énonça Challenger, à<br />

la façon d'une gouvernante<br />

qui montre<br />

l'alphabet à un gamin.<br />

— Ainsi, maintenant,<br />

poursuivit lord<br />

John en riant, nous<br />

n'allons plus nous<br />

sentir seuls, il y a un<br />

autre vivant que nous<br />

sur la terre.<br />

— Vous semblez<br />

tenir pour acquis, dit<br />

Summerlee. que le<br />

monde, de par sa<br />

création, a pour unique<br />

objet de produire<br />

et d'entretenir la vie<br />

humaine ?<br />

— Mais, monsieur,<br />

quel objet différent<br />

lui supposeriez-vous?<br />

d urtanda Challenger,<br />

A.CONAN DO/LE<br />

TRADUCTION DE<br />

LOUIJT LABAT<br />

qui se gendarmait à la moindre<br />

contradiction.<br />

— Je trouve monstrueuse, quand<br />

j'y réfléchis, la prétention de<br />

i'nomme se figurant que le monde<br />

est un théâtre bâti pour qu'il s'y<br />

pavane.<br />

— Sans dogmatiser là-dessus,<br />

sans y mettre non plus de ce que<br />

vous appelez, bien témérairement,<br />

une monstrueuse prétention, nous<br />

pouvons à coup sûr affirmer que<br />

nous occupons le rang le plus élevé<br />

dans la nature.<br />

— Le plus élevé à notre connaissance.<br />

— Cela, monsieur, va sans dire.<br />

— Pensez aux millions, et<br />

peut - être aux billions d'années<br />

pendant lesquelles la terre roula<br />

toute vide dans l'espace, ou, sinon<br />

toute vide, du moins sans aucune<br />

idée ni aucun signe annonciateur<br />

de l'espèce humaine. Imaginez-la<br />

baignée par la pluie, grillée par le<br />

soleil, fouettée par le vent.^ durant<br />

ces innombrables siècles. L'homme<br />

ne date que d'hier dans l'ordre des<br />

temps géologiques. Pourquoi dt-<br />

RÉSUMÉ DES CHAPITRES PARUS<br />

ALONE, journaliste, est<br />

M chargé d'interviewer le<br />

professeur Challenger, à la<br />

suite d'un article paru dans<br />

le Times, sur les « possibi=<br />

lités scientifiques de la fin<br />

du monde». 11 rencontre à<br />

la gare des amis de Challen'<br />

ger qui ont reçu de ce dernier<br />

un télégramme leur demandant<br />

de le rejoindre,<br />

avec des tubes d'oxygène,<br />

dans sa villa de la grande<br />

banlieue de Londres.<br />

En arrivant, ils rencontrent<br />

le professeur Challenger,<br />

venu les chercher en<br />

automobile. Challenger leur<br />

explique que notre planète a<br />

rencontré dans l'éther une<br />

zone de poison, et qu'elle<br />

s'y" précipite à la vitesse<br />

de quelques millions de<br />

milles par minute. C'est de<br />

là que leur viennent les malaises<br />

ressentis par eux et<br />

par lui-même. Déjà l'atmosphère<br />

est devenue irrespirable<br />

et, dans la campagne,<br />

gens et bêtes s'abattent<br />

partout comme foudroyés.<br />

Par bonheur, une pièce de<br />

la villa se trouve être parfaitement<br />

étanche : c'est le<br />

boudoir de la femme du professeur,<br />

Mrs Challenger.<br />

Tous s'y précipitent munis<br />

des précieux tubes d'oxygène<br />

qui constitueront leur<br />

suprême ressource quand<br />

l'air viendra à leur manquer,<br />

ressource qui sera ellemême,<br />

inévitablement, trop<br />

vite épuisée.<br />

Pourtant, le professeur,<br />

grâce à un procédé ingénieux,<br />

a réussi à détruire<br />

chimiquement l'oxyde de<br />

carbone dégagé dans la<br />

pièce où sont emprisonnés<br />

les héros de cette aventure.<br />

Le petit groupe de reclus<br />

est convaincu que, grâce à<br />

un concours de circonstances<br />

providentiel, il est seul<br />

à avoir échappé, de par le<br />

vaste monde, à cette fin affreuse.<br />

Sur ces entrefaites,<br />

le professeur Challenger,<br />

que tracassent jusqu'au seuil<br />

de la mort les préoccupations<br />

scientifiques, étudie<br />

au microscope, une goutte<br />

d'eau, dans leur refuge y<br />

découvre un microbe vivant.<br />

Cette trouvaille, en apparence<br />

dérisoire, semble le<br />

plonger dans une joie si<br />

profonde, que ses compagnons<br />

d'infortune, qui n'en<br />

entrevoient guère l'importance,<br />

en arrivent presque<br />

à douter s'il a conservé<br />

toute sa raison—<br />

créter que cette formidable préparation<br />

se faisait à son bénéfice ?<br />

— Au bénéfice de qui, alors, ou<br />

de quoi ?<br />

Summerlee haussa les épaules.<br />

« Comment le dire ? C'est peutêtre<br />

ce que nous ne saurions même<br />

concevoir, car peut-être l'homme<br />

n'est-il qu'un simple accident, un<br />

sous-produit qui se sera dégagé au<br />

cours des choses : ainsi l'écume de<br />

l'Océan imaginerait que l'Océan fut<br />

créé pour la produire et l'entretenir,<br />

ou une souris de cathédrale<br />

que l'édifice fut construit et aménagé<br />

pour sa résidence. »<br />

j'ai noté les termes mêmes de la<br />

discussion ; mais voici qu'elle dégénère<br />

en une bruyante dispute, où<br />

s'entre-croisent les mots polysyllabes<br />

du jargon scientifique. C'est<br />

sans contredit un privilège que<br />

d'écouter deux hommes de cette<br />

intelligence débattre les plus hautes<br />

questions ; mais leur perpétuel<br />

discorde fait que des profanes<br />

comme lord John et moi n'en tirent<br />

pas grand'chose de positif. Ils se<br />

neutralisent l'un l'autre, et nous<br />

^^^^^^ restons Gros - Jean<br />

■■ — " — comme devant. A<br />

présent, tout ce beau<br />

vacarme a cessé ;<br />

Summerlee s'est rassis<br />

sur sa chaise, pendant<br />

que Challenger,<br />

manœuvrant encore<br />

les vis de son microscope,<br />

fait entendre,<br />

sans répit, un<br />

grondement sourd,<br />

profond, inarticulé,<br />

comme la mer après<br />

la tempête. Lord John<br />

me rejoint à la fenêtre,<br />

et nous regardons<br />

la nuit au dehors.<br />

Une lune nouvelle,<br />

la dernière que doivent<br />

contempler des<br />

prunelles humaines,<br />

luit d'un pâle éclat.<br />

Mais les étoiles ont<br />

une vivacité singulière.<br />

Même dans<br />

l'air transparent du<br />

plateau sud - américain,<br />

je ne les vis jamais<br />

plus brillantes.<br />

Est-ce que la modification<br />

de l'éther affecterait<br />

la lumière ?<br />

Le bûcher funéraire<br />

de Brighton flambe<br />

toujours, et une<br />

rande tache rouge<br />

âans le ciel, vers<br />

l'ouest, dénonce quelque<br />

sinistre à Auruiidel,<br />

Chichester<br />

ou Port3mout_. Je<br />

...que d'écouter deux hommes de cette<br />

intelligence débattre les plus hautes questions<br />

; mais leur perpétuel discord fait que<br />

des profanes comme lord John et moi<br />

n'en tirent pas grand'chose de positif.<br />

me rassieds, je médite, de temps<br />

en temps je prends une note. Il<br />

flotte dans l'air une mélancolique<br />

douceur. Jeunesse, beauté, amour,<br />

vertus chevaleresques, tout cela<br />

est-il fini ? Sous les rayons des astres,<br />

cette terre semble le pays du<br />

rêve et de la paix. Que nous voilà<br />

loin d'un Golgotha de la race humaine,<br />

terrible et couvert de cadavres<br />

! Je me surprends soudain à<br />

rire.<br />

— Holà ! jeune homme, qu'y<br />

a-t-il ? fait lord John, me dévisageant,<br />

très étonné. Un bon sujet de<br />

gaieté a son prix en des temps si<br />

rudes.<br />

— Je pensais, dis-je, à toutes les<br />

grandes questions qui restent sans<br />

solution après ce qu'elles nous ont<br />

coûté de soins et de peine. La<br />

question de la rivalité anglo-allemande,<br />

par exemple, ou celle du<br />

golfe Persique, qui passionnait<br />

mon directeur. Aurions-nous jamais<br />

prévu, quand elles nous donnaient<br />

tant de tintouin, la façon<br />

dont elles devaient se résoudre ?<br />

Nous retombons dans le silence.<br />

Sans doute chacun de nous songe<br />

aux amis déjà partis. Mrs Challenger<br />

sanglote, et son mari, à voix<br />

basse, la console. Je revois toutes<br />

sortes de gens ; je me les représente<br />

couchés, rigides et blêmes,<br />

comme le pauvre Austin dans la<br />

cour. Me Ardle entre autres : je<br />

sais, par le bruit de sa chute, sa<br />

position exacte, le visage sur son<br />

bureau, la main sur son'téléphone.<br />

Et Beaumont, notre directeur :<br />

vraisemblablement, il s'allonge sur<br />

le tapis de Turquie bleu et'rougé<br />

qui orne son sanctuaire. Et les camarades,<br />

dans la salle des reporters,<br />

Macdonna, Murrey, Bond :<br />

ils sont certainement morts à l'œuvre,<br />

ayant en main leurs carnets<br />

bourrés d'impressions vivantes et<br />

de faits prodigieux. Je les imagine,<br />

celui-ci dépêché auprès des docteurs,<br />

cet autre à Wesminster, ce<br />

troisième à Saint-Paul. De quelles<br />

fulgurantes « manchettes » ils auront<br />

eu la vision suprême, qui jamais<br />

ne devait se matérialiser en<br />

encre d'imprimerie ! Je vois Masdonna<br />

chez les docteurs. « On espère<br />

à Harley Street. Interview de<br />

Mr Soley Wilson. Le grand spécialiste<br />

dit « Ne perdons pas. cou-<br />

» rage ». Notre correspondant particulier<br />

a trouvé l'éminent savant<br />

juché sur son toit, où l'avait forcé<br />

de se réfugier la foule de clients<br />

épouvantés qui avaient envahi sa<br />

demeure. Sans dissimuler qu'il mesurât<br />

l'immense gravité de la situation,<br />

le célèbre médecin a refusé<br />

d admettre que toutes les avenues<br />

de l'espoir fussent closes ». Ainal

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