Les actes complets du colloque - Fondation Gabriel Péri

254
Afrique et Europe : néocolonialisme ou partenariat ?
À quoi j'ai rétorqué : « comment peut-on vivre dans le monde actuel et ignorer les questions
de l’agriculture, y compris la question de l’eau ? » À juste raison, on parle de l’arme alimentaire.
Dans le monde en construction, la question de l’accès aux ressources naturelles,
à leur contrôle et à leur exploitation, devient un enjeu capital dans l'établissement
du rapport des forces à l’échelle mondiale.
L’eau, c’est le pétrole de demain. Toutes nos ressources aquifères vont faire l’objet
d’une convoitise de plus en plus grande. De même pour l’alimentation. La population
mondiale poursuit sa croissance, alors que l'agriculture se développe dans une direction
inquiétante, surtout en Afrique. Nous n'avons pas beaucoup discuté d’OGM ni de biotechnologies,
mais la tendance est très perceptible. De nouvelles variétés sont développées
à partir des productions africaines, puis brevetées, et nos populations n'y ont plus
accès. Le paysan pauvre du Sénégal, du Mali, ou du Burkina Faso va perdre la technologie
ancestrale par laquelle il reproduit ses conditions d’existence. Le rapport marchand
qui prévaut aujourd’hui dans la chaîne mondiale va lui être appliqué et
transformera sa vie quotidienne. Voilà pourquoi nous avons eu raison d’accorder à
l’agriculture la place essentielle qui est aujourd'hui la sienne. Et je me félicite que nous
soyons allés au-delà du diagnostic, au-delà de la critique, pour faire des propositions de
stratégie qui, appliquées, pourraient nous aider à résoudre de façon satisfaisante cette
question.
Quant au troisième axe, son importance coule de source. C’est la question de la démocratie,
et nous ne l'avons pas abordée de façon abstraite. Nous avons fait en sorte que
l’expérience accumulée dans nos différents pays permette de mieux comprendre ce que
les anciens premiers ministres Martin Ziguélé et Mustapha Niasse ont respectivement
appelé « l’ingénierie » et la « technologie » de la fraude.
Que faire ? Si nous allons vers des élections, c’est la fraude assurée. Si nous récusons
les élections, il n’y a pas d’autre solution que la lutte armée. Il n'est pas évident que cela
nous ferait gagner en liberté ou en amélioration des conditions de vie. Là où cela a été
fait, les conséquences pour les peuples, dans ces deux domaines, ont souvent été dramatiques.
Tel est notre problème. Entre une légalité qui a cessé depuis longtemps d’être légitime,
et la légitimité dont nous pouvons nous prévaloir en raison de l’inadéquation des
politiques menées et des moyens par lesquels les pouvoirs se conservent, les forces progressistes
africaines sont confrontées à un dilemme. Toutefois, ce n’est pas encore une
impasse, parce que nous avons pris la pleine mesure de la complexité de la situation.
Mais si nous ne réglons pas ce problème, nous ne réglerons pas celui de la démocratie
comme condition indispensable à la mobilisation des peuples pour leur permettre de
prendre pleinement leur destin en mains. Comment les impliquer, comment les engager,
comment faire en sorte qu'ils redeviennent les maîtres, les artisans de leur propre
histoire ? C’est de démocratie, de développement, d’aptitude de l’Afrique à créer, dans
ce monde de plus en plus difficile, un rapport de forces qui lui soit favorable, dont il
est ici question. La réflexion amorcée doit donc se poursuivre ; au moins sommes-nous