Les actes complets du colloque - Fondation Gabriel Péri
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Afrique et Europe : néocolonialisme ou partenariat ?<br />
notre agriculture. Quelques plans de développement décidés récemment relèvent d’une<br />
telle conception.<br />
L’enjeu est bien de décider quelle forme de pro<strong>du</strong>ction agricole nous voulons. Voulons-nous<br />
aider les agricultures familiales à transformer leur agriculture quitte à passer<br />
à des formes d’entreprenariat agricole ? Si l’on opte pour ce choix, alors il faut aider les<br />
jeunes qui sont dans l’agriculture à passer à l’entreprenariat agricole. Mais ces trois<br />
formes de mise en valeur agricole sont en concurrence, pour les ressources naturelles,<br />
pour l’eau et la terre, pour la main-d’œuvre, et pour l’allocation de ressources financières.<br />
<strong>Les</strong> décideurs politiques doivent donc réguler cette compétition.<br />
L’exploitation agricole familiale pose également des questions et fait apparaître des<br />
contradictions. <strong>Les</strong> jeunes partent des campagnes pour les villes parce qu’ils ne veulent<br />
plus que l’aîné de la famille accumule en sa faveur, mais à leur détriment, en utilisant<br />
leur force de travail. Ces jeunes cadets ne bénéficient pas de l’accumulation faite au niveau<br />
de l’exploitation agricole. <strong>Les</strong> rapports de caste et de genre doivent aussi changer.<br />
Dans la vallée <strong>du</strong> fleuve Sénégal, les candidats au départ sont les plus jeunes des familles<br />
de castes inférieures et d’anciens quartiers. La population doit accepter de négocier<br />
de nouveaux rapports au sein de l’exploitation agricole familiale pour qu’il y ait un<br />
partage plus équilibré <strong>du</strong> surplus dégagé.<br />
La réforme foncière constitue un autre enjeu fondamental qui ne se pose pas seulement<br />
en Afrique australe. Elle se pose aussi en Afrique de l’Est et dans nos pays. Depuis<br />
toujours, on parle de la corruption dans nos systèmes politiques clientélistes, des<br />
détournements des deniers publics et de l’aide publique au développement. Mais, la<br />
forme de corruption la plus grave et la plus répan<strong>du</strong>e est avant tout celle qui se fait autour<br />
<strong>du</strong> foncier. Nos décideurs politiques transfèrent systématiquement les terres agricoles<br />
à leurs clientèles politiques et pour calmer les populations urbaines. On n’en parle<br />
pas alors que cette pratique dépasse de très loin les montants de la corruption par l’argent<br />
direct. L’État est le principal créateur d’insécurité foncière au niveau des exploitations<br />
agricoles familiales. On ne peut pas demander à nos paysans d’investir dans la<br />
transformation de leur système de pro<strong>du</strong>ction en leur déniant tous droits sur le foncier<br />
et sur les ressources naturelles dont ils sont propriétaires historiquement de surcroît. Ce<br />
problème est extrêmement difficile à régler.<br />
L’autre condition de la révolution verte est le développement d’activités économiques<br />
non agricoles en milieu rural et en milieu urbain. Celle-ci va se tra<strong>du</strong>ire par un<br />
excédant de main-d’œuvre agricole, qu’on le veuille ou pas. Il faut que des gens sortent<br />
de l’agriculture pour que ceux qui restent puissent en vivre et dégager des surplus pour<br />
alimenter l’appareil économique.<br />
Cette population sans emploi est chassée vers les villes ou tente désespérément de<br />
partir à l’étranger. Dans le nord <strong>du</strong> bassin arachidier, j’ai pu constater au cours d’enquêtes,<br />
que les familles se réunissent pour décider de la répartition des jeunes actifs selon<br />
les différentes options : certains iront à Touba servir le marabout, d’autres iront en Mauritanie<br />
apprendre la menuiserie, d’autres encore iront à Dakar faire <strong>du</strong> commerce, on cotisera<br />
pour payer une pirogue à ceux qui sont désignés pour gagner l’Espagne. C’est ainsi<br />
que les familles s’organisent pour répartir la main-d’œuvre familiale.