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IRD journal Sciences au Sud n°19 de mars-avril 2003

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Recherches<br />

10<br />

Les Mexicains<br />

<strong>au</strong>x États-Unis<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> racines historiques profon<strong>de</strong>s<br />

et complexes, l’essor <strong>de</strong> l’émigration<br />

mexicaine <strong>au</strong>x États-Unis <strong>de</strong>puis<br />

vingt ans est le produit d’évolutions économiques<br />

divergentes entre les <strong>de</strong>ux<br />

pays. Alors que l’expansion <strong>de</strong> l’économie<br />

nord-américaine suscitait <strong>de</strong>s<br />

besoins accrus en main-d’œuvre peu<br />

qualifiée et peu coûteuse, l’économie<br />

mexicaine, en difficulté <strong>de</strong>puis le début<br />

<strong>de</strong>s années 1980, ne pouvait absorber<br />

l’arrivée sur le marché du travail <strong>de</strong> générations<br />

<strong>de</strong> plus en plus nombreuses.<br />

Parallèlement, la dégradation importante<br />

et continue <strong>de</strong>s salaires <strong>au</strong><br />

Mexique <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années 1970,<br />

notamment celle du salaire minimum,<br />

<strong>au</strong>gmentait progressivement les écarts<br />

<strong>de</strong> rémunérations entre les <strong>de</strong>ux pays et<br />

l’attrait exercé par le marché du travail<br />

nord-américain. Enfin, le développement<br />

<strong>de</strong> rése<strong>au</strong>x soci<strong>au</strong>x à travers la migration<br />

favorisait l’expansion du phénomène.<br />

Le recensement américain <strong>de</strong> 2000<br />

dénombre 20,6 millions d’individus<br />

d’origine mexicaine 1 , soit 7,3 % <strong>de</strong> la<br />

population recensée <strong>au</strong>x États-Unis.<br />

Parmi ceux-ci, 7,8 millions sont nés <strong>au</strong><br />

Mexique. Ils étaient 0,8 millions en<br />

1970, 2,2 millions en 1980 et 4,3 millions<br />

en 1990. Les natifs du Mexique<br />

représentent 27,5 % <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

28,4 millions d’individus nés à l’étranger<br />

recensés <strong>au</strong>x États-Unis, loin <strong>de</strong>vant<br />

la population originaire <strong>de</strong>s Philippines<br />

(4,2 %), second groupe en ordre d’importance.<br />

Selon le conseil<br />

national mexicain pour la<br />

population, le nombre d’individus<br />

nés <strong>au</strong> Mexique et<br />

rési<strong>de</strong>nts <strong>au</strong>x États-Unis<br />

pourrait atteindre 16 millions<br />

en 2030.<br />

Durant les années 1960,<br />

27 000 personnes par an<br />

migraient du Mexique vers<br />

les États-Unis. De 140000<br />

dans les années 70, ce<br />

chiffre est passé à 250000<br />

durant les années 80 et à<br />

près <strong>de</strong> 400000 <strong>au</strong> cours <strong>de</strong><br />

la décennie suivante. Ces<br />

migrations sont essentiellement<br />

masculines, même si<br />

la part <strong>de</strong>s femmes s’accroît<br />

progressivement <strong>de</strong>puis<br />

vingt ans. L’origine géographique<br />

<strong>de</strong>s migrants, longtemps dominée<br />

par la région du Centre-Ouest mexicain,<br />

s’est étendue à pratiquement tout<br />

le territoire mexicain <strong>de</strong>puis une dizaine<br />

d’années et la proportion <strong>de</strong>s urbains<br />

est <strong>de</strong>venue prépondérante.<br />

Environ 6 % <strong>de</strong>s ménages mexicains -<br />

mais le double dans la région traditionnelle<br />

d’émigration du Centre-Ouest<br />

mexicain – ont envoyé l’un <strong>de</strong>s leurs<br />

travailler <strong>au</strong>x États-Unis durant les<br />

années 1990.<br />

Malgré la diversification <strong>de</strong>s régions<br />

d’installation <strong>de</strong>puis 1990, la population<br />

d’origine mexicaine recensée <strong>au</strong>x<br />

États-Unis reste encore largement<br />

concentrée en Arizona (5,2 %), en<br />

Illinois (5,5 %) et surtout <strong>au</strong> Texas<br />

(24,6 %) et en Californie (41 %). Elle<br />

représente le quart <strong>de</strong> la population <strong>de</strong><br />

chacun <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux États.<br />

Aux États-Unis, les emplois exercés par<br />

les Mexicains se cantonnent <strong>au</strong>x tâches<br />

peu qualifiés <strong>de</strong> l’agriculture, <strong>de</strong> la<br />

construction, <strong>de</strong> la rest<strong>au</strong>ration et <strong>de</strong>s<br />

services, que les Nord-américains<br />

délaissent. Les salaires perçus sont nettement<br />

inférieurs à la moyenne <strong>de</strong> la<br />

population salariée nord-américaine,<br />

mais restent 5 à 6 fois supérieurs <strong>au</strong>x<br />

salaires moyens mexicains. ●<br />

Contact<br />

Jean Papail<br />

Jean.Papail@bondy.ird.fr<br />

1. soit 58,5 % <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la population<br />

hispanique recensée, qui forme la minorité<br />

actuellement la plus importante <strong>de</strong>vant<br />

les afro-américains et les asiatiques.<br />

<strong>Sciences</strong> <strong>au</strong> <strong>Sud</strong> - Le <strong>journal</strong> <strong>de</strong> l’<strong>IRD</strong> - n° 19 - <strong>mars</strong>/<strong>avril</strong> <strong>2003</strong><br />

Les dollars<br />

<strong>de</strong> l’oncle Sam<br />

L’émigration mexicaine vers les États-Unis s’est fortement accrue <strong>de</strong>puis 20 ans. Les « remesas »,<br />

transferts d’argent vers le Mexique effectués par les migrants, servent à l’entretien <strong>de</strong>s familles<br />

restées <strong>au</strong> pays et leur permettent, une fois <strong>de</strong> retour, <strong>de</strong> créer entreprises et emplois.<br />

Des chercheurs <strong>de</strong> l’<strong>IRD</strong> étudient ce phénomène et son impact sur l’économie mexicaine.<br />

stimées à près <strong>de</strong><br />

9 milliards <strong>de</strong> dollars<br />

en 2001 par le Banco<br />

<strong>de</strong> Mexico, les remesas<br />

constituent l’une <strong>de</strong>s<br />

principales sources <strong>de</strong> <strong>de</strong>vises du<br />

Mexique, avec les investissements<br />

étrangers directs (13 milliards), les<br />

exportations pétrolières (11,6 milliards)<br />

et le tourisme (6,5 milliards).<br />

Environ 5 % <strong>de</strong>s ménages mexicains<br />

bénéficient <strong>de</strong> ces apports financiers<br />

; 9 % du total sont à <strong>de</strong>stination<br />

<strong>de</strong>s princip<strong>au</strong>x États <strong>de</strong> la région<br />

traditionnelle <strong>de</strong> l’émigration internationale<br />

(Jalisco, Michoacan,<br />

Guanajuato et Zacatecas, dans le<br />

Centre-Ouest du pays). Dans un pays<br />

où le sous-emploi et la dégradation<br />

<strong>de</strong>s salaires ont conduit environ<br />

42 % <strong>de</strong> la population à vivre sous le<br />

seuil <strong>de</strong> p<strong>au</strong>vreté à la fin <strong>de</strong>s années<br />

19901 , les <strong>au</strong>torités mexicaines<br />

cherchent à canaliser une fraction<br />

importante <strong>de</strong> ces ressources vers<br />

<strong>de</strong>s investissements productifs créateurs<br />

d’emplois.<br />

Le montant moyen <strong>de</strong>s remesas<br />

s’élève à environ 300 dollars mensuels<br />

dans les villes <strong>de</strong> la région du<br />

Centre-Ouest mexicain. Malgré <strong>de</strong>s<br />

coûts <strong>de</strong> transfert <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 15-<br />

20 % 2 , les remesas dépassent <strong>de</strong><br />

près <strong>de</strong> 20 % le salaire moyen perçu<br />

dans ces villes. Ils constituent environ<br />

40 % du revenu <strong>de</strong>s ménages qui<br />

en bénéficient, voire même, pour<br />

près <strong>de</strong> 30 % d’entre eux, la totalité.<br />

La majeure partie <strong>de</strong> ces ressources<br />

(<strong>au</strong>tour <strong>de</strong> 75 %) a longtemps été<br />

L’amorce d’une négociation<br />

En 1942, un accord bilatéral conclu entre les États-Unis et le Mexique –<br />

le programme bracero - permit <strong>au</strong>x États-Unis d’employer jusqu’en<br />

1964 environ 5 millions <strong>de</strong> travailleurs temporaires mexicains, principalement<br />

dans l’agriculture.<br />

Depuis, l’émigration clan<strong>de</strong>stine entre les <strong>de</strong>ux pays s’est fortement accrue.<br />

Entre 1986 et 1990, près <strong>de</strong> 2,3 millions <strong>de</strong> travailleurs mexicains résidant<br />

sans <strong>au</strong>torisation <strong>au</strong>x États-Unis ont été régularisé1 . Cependant, le gouvernement<br />

nord-américain a pris différentes mesures pour dissua<strong>de</strong>r l’emploi <strong>de</strong><br />

travailleurs en situation irrégulière et tenter <strong>de</strong> contrôler l’immigration à sa<br />

frontière sud. Les moyens <strong>de</strong> la patrouille frontalière ont notamment été<br />

considérablement renforcés2 . Les opérations Guardian, Salvaguardia et Rio<br />

Gran<strong>de</strong>, lancées entre 1993 et 1997 en Californie, en Arizona et <strong>au</strong> Texas, ont<br />

eu pour conséquence <strong>de</strong> repousser les passages <strong>de</strong>s migrants en situation<br />

irrégulière vers <strong>de</strong>s régions à la topographie et <strong>au</strong> climat hostiles. Elles ont<br />

également accru l’insécurité et la violence dans la zone frontalière, sans pour<br />

<strong>au</strong>tant réduire l’immigration clan<strong>de</strong>stine.<br />

L’arrivée récente <strong>au</strong> pouvoir <strong>de</strong> nouvelles administrations, tant <strong>au</strong> Mexique<br />

qu’<strong>au</strong>x États-Unis, a permis <strong>au</strong>x prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux pays d’engager un dialogue<br />

sur le problème <strong>de</strong> la migration, afin d’en faire un phénomène ordonné<br />

et mutuellement bénéfique. Les discussions bilatérales ont débuté en 2000,<br />

<strong>au</strong>tour <strong>de</strong> 5 objectifs : la régularisation <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong>s quelque 3,5 millions<br />

<strong>de</strong> travailleurs mexicains résidant <strong>au</strong>x États-Unis en situation irrégulière, la<br />

création d’un programme <strong>de</strong> travailleurs temporaires, l’accroissement du<br />

utilisée pour subvenir <strong>au</strong>x besoins<br />

courants <strong>de</strong>s familles (logement,<br />

nourriture, santé, éducation, transports…).<br />

Cependant, <strong>de</strong>puis le début<br />

<strong>de</strong>s années 1990, les migrants semblent<br />

en modifier sensiblement le<br />

mo<strong>de</strong> d’utilisation <strong>au</strong> profit d’investissements<br />

productifs, <strong>de</strong>stinés à<br />

leur réinsertion professionnelle <strong>au</strong><br />

Mexique. À leur retour en effet, les<br />

migrants <strong>de</strong>viennent<br />

<strong>au</strong>jourd’hui davantage<br />

travailleurs indépendants<br />

ou chefs <strong>de</strong> micro<br />

entreprises. Le séjour<br />

dans le pays voisin,<br />

d’une durée moyenne <strong>de</strong><br />

5,3 ans pour les<br />

hommes et <strong>de</strong> 3,7 ans<br />

pour les femmes, donne<br />

lieu <strong>au</strong> déplacement<br />

d’une main-d’œuvre<br />

souvent agricole à l’origine<br />

vers les activités<br />

tertiaires. Il permet<br />

surtout à près <strong>de</strong> 35 %<br />

<strong>de</strong>s migrants <strong>de</strong> quitter<br />

le salariat, <strong>de</strong> moins en<br />

moins attractif en<br />

termes <strong>de</strong> revenus et <strong>de</strong> protection<br />

sociale. Environ 6 % du montant global<br />

<strong>de</strong>s remesas seraient ainsi investis<br />

dans la création <strong>de</strong> nouvelles<br />

activités, concentrées surtout dans<br />

le commerce (40 % <strong>de</strong>s activités).<br />

En moyenne, pour cent migrants<br />

revenant s’installer dans les villes<br />

du Centre-Ouest, 30 emplois sont<br />

créés, dont 20 sont rémunérés et 10<br />

© <strong>IRD</strong>/C. Seignobos<br />

correspon<strong>de</strong>nt à du travail familial,<br />

non rémunéré. Cependant, près <strong>de</strong><br />

10 % <strong>de</strong> ces activités non salariées<br />

disparaissent rapi<strong>de</strong>ment, obligeant<br />

le plus souvent les migrants à<br />

renouer avec le salariat.<br />

La migration <strong>de</strong> main-d’œuvre mexicaine<br />

<strong>au</strong>x États-Unis, indispensable<br />

à <strong>de</strong> nombreuses branches <strong>de</strong> l’économie<br />

américaine, constitue un<br />

apport non négligeable pour les économies<br />

locales, <strong>au</strong> Mexique. Mais<br />

elle reste une source <strong>de</strong> tensions<br />

entre les <strong>de</strong>ux pays. Il est possible<br />

que les emplois qu’elle contribue à<br />

créer, peu rémunérés et généralement<br />

sans protection sociale, ré-alimentent<br />

à leur tour la migration vers<br />

les États-Unis. Par ailleurs, on<br />

observe <strong>de</strong>puis peu une réduction<br />

<strong>de</strong>s t<strong>au</strong>x <strong>de</strong> réinstallation <strong>au</strong><br />

Mexique et <strong>de</strong>s montants <strong>de</strong>s remesas<br />

dans certaines zones d’origine <strong>de</strong><br />

la migration (Zacatecas), premiers<br />

signes d’une émigration définitive<br />

<strong>au</strong>x États-Unis. ●<br />

Contact<br />

Jean Papail<br />

Jean.Papail@bondy.ird.fr<br />

1. D’après les estimations <strong>de</strong>s services statistiques<br />

officiels (INEGI) et <strong>de</strong> la commission<br />

économique pour l’Amérique latine et la<br />

Caraïbe (CEPAL).<br />

2. Ce pourcentage comprend les commissions<br />

mais <strong>au</strong>ssi les manipulations <strong>de</strong>s t<strong>au</strong>x<br />

<strong>de</strong> change par les princip<strong>au</strong>x opérateurs du<br />

secteur.<br />

nombre <strong>de</strong> visas d’immigrants, la sécurisation <strong>de</strong> la zone frontalière, l’impulsion<br />

<strong>de</strong> projets <strong>de</strong> développement dans les principales zones mexicaines d’émigration<br />

et, à long terme, la création d’un "périmètre <strong>de</strong> l’Amérique du Nord"<br />

regroupant le Canada, les États-Unis et le Mexique3 . Ces négociations, malgré<br />

les pressions du gouvernement mexicain, ont été ajournées après les événements<br />

du 11 septembre 2001. Fin 2002, elles n’avaient pas progressé. ●<br />

1. Immigration Reform and Control Act, IRCA, ou loi Simpson Rodino.<br />

2. Le budget <strong>de</strong> l’Immigration and Naturalization Service a été multiplié par 3 entre 1993<br />

et 2001, pour atteindre 4,3 milliards <strong>de</strong> dollars à cette date.<br />

3. Ces trois pays ont signé en 1994, le traité <strong>de</strong> libre commerce (ALENA).<br />

© <strong>IRD</strong>/D. Del<strong>au</strong>nay<br />

© <strong>IRD</strong>/D. Del<strong>au</strong>nay

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