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Michelle Ndiaye Ntab : « Halte à l'Afro-pessimisme ! » Après l ...

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<strong>Michelle</strong> <strong>Ndiaye</strong> <strong>Ntab</strong> :<br />

<strong>«</strong> <strong>Halte</strong> <strong>à</strong> l’Afro-<strong>pessimisme</strong> ! <strong>»</strong><br />

<strong>Après</strong> l’Europe et l’Amérique, Greenpeace s’installe <strong>«</strong> durablement <strong>»</strong> en Afrique pour<br />

s’attaquer <strong>à</strong> la déforestation, <strong>à</strong> la surpêche et au changement climatique. Mais, pour toucher<br />

ses cibles en plein cœur, l’organisation internationale a, avant tout, besoin d’experts du<br />

développement, de la bonne gouvernance, des relations internationales et de la<br />

communication…<br />

Texte et photographies de Philippe Lamotte<br />

La Sénégalaise <strong>Michelle</strong> <strong>Ndiaye</strong> <strong>Ntab</strong>, qui correspond <strong>à</strong> ce profil, a récemment pris les rênes<br />

de Greenpeace Afrique, où elle occupe le poste de directrice exécutive. Valériane a profité de<br />

son passage <strong>à</strong> Bruxelles pour rencontrer cette activiste qui n’a pas sa langue en poche.<br />

Valériane : Vue d’Europe, l’Afrique paraît souvent déchirée par ses démons intérieurs –<br />

pauvreté galopante, corruption, guerres civiles, exodes, déforestation… – ou, au mieux,<br />

cantonnée dans une image d’Epinal faite de paisibles villages de brousse où rien ne se passe.<br />

Entre le <strong>«</strong> Continent oublié <strong>»</strong> et l’Afrique des couchers de soleil sur la savane, quelle est votre<br />

image personnelle de l’Afrique ?<br />

<strong>Michelle</strong> <strong>Ndiaye</strong> <strong>Ntab</strong> : Pendant très longtemps, j’ai été afro-pessimiste. Aujourd’hui, après<br />

des années passées <strong>à</strong> travailler sur le développement, la gouvernance et les droits de l’homme,<br />

je nuance fortement les choses. C’est vrai qu’il y a une Afrique qui n’est vraiment pas<br />

reluisante : celle de la corruption, de la mal gouvernance et de ses modes de gestion<br />

alarmants ; celle qui, embarquée dans le train de la mondialisation, s’évertue <strong>à</strong> respecter des<br />

modèles internationaux sans en avoir les moyens ; celle qui manque cruellement de<br />

gouvernements visionnaires et dont la société civile, faute de caisse de résonance, ne parvient<br />

pas <strong>à</strong> se faire entendre. Mais, <strong>à</strong> côté de cette Afrique qui piétine, il y a l’Afrique qui bouge et<br />

dont les média se font trop peu souvent l’écho. Je fais partie d’une génération d’Africains qui<br />

auraient pu aller travailler ailleurs et qui ont choisi de rester sur le Continent. Cette<br />

génération, petit <strong>à</strong> petit, prend le pouvoir. Elle est déj<strong>à</strong> présente ici et l<strong>à</strong> dans les<br />

gouvernements. Les équipes gouvernementales changent et les classes politiques se<br />

renouvellent beaucoup plus qu’avant. Même s’il y a des exceptions – particulièrement en<br />

Afrique du Nord –, l’époque où les gouvernements restaient en place pendant trente ans est<br />

révolue. Cette facette dynamique de l’Afrique est trop peu connue.<br />

Cette manière de voir n’est-elle pas <strong>à</strong> son tour une image d’Epinal, relevant davantage de la<br />

méthode Coué que de la réalité ?<br />

Ouvrez les yeux. Et ne vous laissez pas influencer par les médias occidentaux qui, trop<br />

souvent, consacrent leur énergie <strong>à</strong> ce qui ne marche pas. La première chose que fait un


journaliste occidental qui débarque en Afrique, c’est de chercher le lien avec son pays et, dans<br />

le meilleur des cas (une fois sur dix !), il réalise un reportage sur une expérience qui ne<br />

rencontre du succès que grâce <strong>à</strong> l’aide apportée par son pays ou son gouvernement. Je rêve,<br />

moi, de reportages sur les réalisations africaines faites par des Africains. Seuls ! Regardez<br />

l’exemple du Burkina Faso. Ce pays a réussi en quelques années <strong>à</strong> s’extraire d’un modèle<br />

agricole beaucoup trop dépendant de l’évolution du prix du coton et, au prix d’une<br />

reconversion de ses paysans, aidés et formés <strong>à</strong> cette fin, <strong>à</strong> diversifier considérablement sa<br />

production. Malgré ses handicaps de départ – ce pays est enclavé et dépourvu de ressources<br />

en eau, le Burkina réussit aujourd’hui <strong>à</strong> produire et <strong>à</strong> exporter des biens comme les haricots<br />

verts et les tomates-cerises vers l’Union européenne au réel bénéfice de la population.<br />

Observez également l’actualité de ces derniers mois. Quelques semaines avant la conférence<br />

de Copenhague sur le changement climatique, le groupe <strong>«</strong> Afrique <strong>»</strong> a présenté une position<br />

commune préparée pendant un an – une première ! – <strong>à</strong> la table des négociations<br />

internationales. Mieux : sa priorité ne consistait pas <strong>à</strong> réclamer des financements aux pays<br />

industrialisés, mais bien <strong>à</strong> tenter d’obtenir un engagement de leur part <strong>à</strong> baisser de 40 % les<br />

émissions de gaz <strong>à</strong> effet de serre au cours des vingt prochaines années. Ce groupe <strong>«</strong> Afrique <strong>»</strong><br />

avait pris conscience que les objectifs du Millénaire – NDLR : axés sur la lutte contre la<br />

pauvreté – ne pourraient pas être atteints dans les échéances fixées et que les conséquences du<br />

réchauffement du climat se faisaient déj<strong>à</strong> ressentir. Il leur fallait donc agir d’une seule voix.<br />

Ils l’ont fait !<br />

Il s’agit d’exemples encourageants. Mais sont-ils réellement les signes d’une Afrique qui<br />

change en profondeur ?<br />

Oui, je le crois. Cette Afrique qui bouge se reflète dans les choix de développement opérés<br />

depuis 2000-2001 par le <strong>«</strong> Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique <strong>»</strong>, le<br />

Nepad, supporté par de nombreux bailleurs de fonds. Même si cette agence n’a pas toujours<br />

donné les résultats escomptés, elle veut promotionner l’image d’une Afrique qui se ressource,<br />

qui se renouvelle. Quatre pays se sont accordés, via une stratégie bien précise, sur les plans de<br />

développement pour les années <strong>à</strong> venir et s’en sont partagé le leadership : l’Algérie, l’Afrique<br />

du Sud, le Sénégal et le Nigeria. A mes yeux, le Nepad est une réponse précise aux modèles<br />

de développement préconisés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international<br />

(FMI) qui ont trop souvent abouti <strong>à</strong> ce qu’on a appelé les <strong>«</strong> éléphants blancs <strong>»</strong>. La politique du<br />

Nepad est mesurée dans ses ambitions. Elle repose sur quelques projets pilotes, comme la<br />

construction des autoroutes transafricaines et la promotion de la fibre optique. Cette dernière<br />

permet déj<strong>à</strong> de réduire considérablement le coût des communications téléphoniques et l’accès<br />

au Net. Le résultat est déj<strong>à</strong> palpable : dans toutes les villes africaines, le Net et la téléphonie<br />

cellulaires connaissent une véritable explosion.<br />

La téléphonie, peut-être. Mais la promotion des autoroutes en Afrique ! S’il s’agit de<br />

copier le modèle européen, il va falloir expliquer cela aux membres européens de<br />

Greenpeace…<br />

Ces autoroutes sont un projet phare du Nepad pour une raison bien simple : si l’on veut<br />

débloquer les marchés régionaux, il est nécessaire de prévoir des infrastructures qui<br />

permettent aux populations de se déplacer d’un pays <strong>à</strong> l’autre. Il s’agit de décongestionner des<br />

régions qui n’ont pas accès <strong>à</strong> la mer au bénéfice de la mobilité des personnes et des<br />

marchandises. Il n’est tout de même pas normal que des produits transitent aujourd’hui par la<br />

Belgique ou la France pour passer d’un pays africain <strong>à</strong> un autre. Beaucoup de dirigeants<br />

africains ont compris que ces autoroutes constituent un moteur pour le développement


économique car, si nos marchés s’ouvrent l’un <strong>à</strong> l’autre, ils peuvent alors refuser certains<br />

produits venus du Nord qui cassent nos marchés, voire exporter. C’est une façon de résister<br />

aux pressions européennes. Cela dit, il faut reconnaître que les préoccupations<br />

environnementales n’ont pas toujours été intégrées aux plans de développement du Nepad.<br />

Mais l’impératif écologique mondial se fait aujourd’hui entendre et, grâce au soutien de la<br />

Commission économique pour l’Afrique des Nations-Unies, la gestion de l’environnement est<br />

en cours d’intégration dans les projets.<br />

Les prises de conscience semblent parfois si lentes, alors que sur le terrain les urgences<br />

sont nombreuses…<br />

C’est exact. Si l’on prend l’exemple des forêts de la République démocratique du Congo<br />

(RDC), on constate que la Banque mondiale, au départ, a financé le gouvernement congolais<br />

pour promouvoir un modèle d’exploitation forestière menant <strong>à</strong> des désastres. A l’époque, on<br />

lui faisait miroiter que ce modèle était la seule façon de générer des revenus. La forêt et ses<br />

habitants ont trinqué. Aujourd’hui, vu que les crédits consentis courent sur de longues<br />

périodes, le gouvernement congolais reste coincé par des choix qui remontent <strong>à</strong> quinze ou<br />

vingt ans. Mais la Banque mondiale commence <strong>à</strong> faire marche arrière. Heureusement qu’elle<br />

est l<strong>à</strong>, du reste, car elle seule a la possibilité d’imposer des critères durables dans les projets de<br />

développement – routes, barrages, etc. – et de les faire respecter.<br />

On dit parfois que l’Afrique a besoin d’<strong>«</strong> hommes forts <strong>»</strong> au pouvoir. On cite quelqu’un<br />

comme Paul Kagamé, le président rwandais, pourtant contesté. Qu’en pensez-vous ?<br />

Si l’Afrique est l<strong>à</strong> où elle se trouve aujourd’hui, c’est parce qu’elle a cru, <strong>à</strong> une époque, qu’il<br />

n’était pas important d’avoir des institutions politiques fortes. Seule comptait la nécessité<br />

d’attirer les investisseurs et, avec leur argent, de faire tourner l’économie. L’Afrique a oublié<br />

que les institutions politiques doivent être <strong>à</strong> même de garantir la stabilité des activités<br />

économiques. Or ce qu’on exige de nous aujourd’hui est énorme ! Nous devrions faire en<br />

cinquante ans ce que l’Europe a fait en trois siècles : attirer les investisseurs, assurer un<br />

développement économique durable, organiser des élections libres, respecter la liberté<br />

d’expression, etc. Ces exigences sont justifiées, mais l’Occident oublie parfois qu’une nation<br />

se bâtit toujours par étapes. Au fil de celles-ci, avoir des institutions politiques fortes est aussi<br />

essentiel qu’avoir des élections transparentes. Si le Rwanda s’en sort aujourd’hui après ce<br />

drame épouvantable que fut le génocide, c’est parce que Paul Kagamé est un homme fort, qui<br />

donne des signaux clairs et qui tient son pays en main. Il est en train d’obtenir de bons<br />

résultats. Le cas de Robert Mugabe, au Zimbabwe – NDLR : réélu l’année dernière, <strong>à</strong> 84 ans,<br />

<strong>à</strong> son poste de président et vivement contesté pour sa répression musclée des opposants –, est<br />

un cas <strong>à</strong> part, qui mériterait un long développement, mais je ne crois pas qu’il est vraiment un<br />

dictateur. Fondamentalement, les modèles de développement doivent tenir compte des<br />

niveaux d’éducation, de maturité et de réceptivité de la population. L’avènement de la<br />

démocratie est indissociable de l’arrivée d’une société civile forte, de partis forts et de leaders<br />

forts. Le Ghana et le Nigeria sont, aujourd’hui, de bons exemples de cette évolution.<br />

Quelles sont les priorités de Greenpeace en Afrique ? Allez-vous adopter les mêmes<br />

méthodes que celles pratiquées par les militants européens ou américains ?<br />

Nous avons actuellement un bureau en République démocratique du Congo et en Afrique du<br />

Sud. Nous ouvrirons notre bureau sénégalais en avril prochain. Mais grâce <strong>à</strong> un vaste travail<br />

de communication entamé <strong>à</strong> l’automne 2008 qui nous a fait connaître auprès des médias et des


adios communautaires, le médium le plus utilisé en Afrique, nous sommes connus jusqu’au<br />

Soudan et au Mozambique. Chaque jour, nous recevons des appels dénonçant ici une<br />

pollution, l<strong>à</strong> un trafic de déchets, plus loin des coupes illégales. Cette notoriété est<br />

extrêmement enthousiasmante. Tout le monde nous prédisait qu’un bureau africain de<br />

Greenpeace ne pourrait jamais voler de ses propres ailes – NDLR : Greenpeace refuse les<br />

aides d’Etat et des industriels – et qu’il serait continuellement dépendant des bureaux<br />

européens ou américains. Or, après une seule année, nous comptions déj<strong>à</strong> 3.800 membres<br />

africains – uniquement des particuliers – qui cotisent chacun pour 5,5 euros mensuels. Si ce<br />

succès se maintient, nous serons indépendants d’ici deux <strong>à</strong> trois ans.<br />

Et vos méthodes de travail ?<br />

Tout dépend des pays. En RDC, par exemple, nous travaillons beaucoup avec les<br />

communautés de base des régions jusqu’ici épargnées par la déforestation. Avec l’aide des<br />

bureaux européens de l’organisation, nous tentons de leur expliquer les mécanismes d’octroi<br />

des concessions forestières afin qu’elles fassent pression sur les autorités en faveur d’autres<br />

méthodes d’exploitation ou en faveur de la certification ou de plantations. Nous partons du<br />

principe que ce sont les gens qui vivent en forêt qui sont le plus <strong>à</strong> même de parler de leurs<br />

réalités. Nous devons les aider <strong>à</strong> faire remonter leurs revendications aux différents niveaux de<br />

décision. En Afrique du Sud, c’est différent. Nous avons affaire <strong>à</strong> une population urbaine et<br />

semi-urbaine plus éduquée, plus conscientisée. Nous pouvons nous livrer l<strong>à</strong>-bas <strong>à</strong> un travail<br />

de lobbying direct sur le gouvernement. Nous dénonçons certains choix politiques ou les<br />

agissements d’industries polluantes, mais nous insistons beaucoup sur les alternatives et leurs<br />

bénéfices. Ainsi, nous y avons démontré, études chiffrées <strong>à</strong> l’appui, que le recours <strong>à</strong> l’énergie<br />

solaire pouvait créer des milliers d’emplois et éviter les dégradations <strong>à</strong> l’environnement.<br />

Comme en Europe, nous préparons soigneusement nos actions, nous jouons la carte de la<br />

provocation, mais nos avocats étudient de près leur légalité. En Afrique du Sud, par exemple,<br />

pour faire part de nos revendications, nous avons choisi des lieux publics occupés par les<br />

statues de Gandhi et de Mandela : des symboles forts dans ce pays.<br />

Légende : <strong>Michelle</strong> <strong>Ndiaye</strong> <strong>Ntab</strong> : <strong>«</strong> les modèles de développement qu’on a choisi pour<br />

l’Afrique lui ont été imposés <strong>à</strong> un moment où elle n’avait pas la maturité politique requise<br />

pour les mettre en pratique <strong>»</strong>.

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