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17<br />

Dimanche 4 Juillet 2010<br />

Va savoir Par Khémais KHAYATI<br />

Zoomania<br />

Je reconnais d’entrée de jeu que je ne suis ni le Roi Salomon,<br />

ni ce quidam de négociant des pérégrinations de<br />

Sinbad. Ces deux là ont eu la chance de cancaner la «<br />

lingua animalia »… <strong>Le</strong> premier, faudrait-il le reconnaitre,<br />

outre que ses éléphants firent peur aux fourmis, était un tantinet<br />

implacable avec la Huppe. La pauvre, elle qui nous libère<br />

des scarabées, grillons, fourmis, courtilières, chenilles, larves,<br />

mille-pattes, limaces, escargots et que sais-je encore,<br />

doit-elle aussi cafeter sur la Reine de Saba? Quant au second,<br />

ne m’en parlez pas. Il était d’une déraison à vous donner le<br />

cafard … Imaginez que ce Monsieur, qui jacasse la langue<br />

des animaux, ait assisté à une chamaillerie entre un âne et un<br />

bœuf pour un tas de foin et ne manqua pas d’y fourrer son<br />

nez injustement. Quand il a remis les choses à leur ordre,<br />

l’âne, pour enquiquiner son ami de bœuf, lança une grosse<br />

prout qui fit rire le négociant, chose abominable, en présence<br />

de sa femme…<br />

Comme de bien entendu, dans notre culture populaire,<br />

nous n’avons ni Hélène ni Troie, mais nous avons cette<br />

volonté sourde de faire du second sexe un souffre douleur…<br />

Qu’à cela ne tienne ! De but en blanc, la dame exigea de son<br />

mari de négociant la raison de son hilarité car, pensait-elle si<br />

tant est qu’une femme pensa, il doit sûrement se moquer de<br />

sa tronche… Sauf qu’il y a un hic ! S’il révèle qui cause<br />

bébête, il avalera sa godasse séance tenante, geste glouton<br />

que toute personne normalement constituée ne peut concevoir<br />

étant connu que toute conscience ne peut pas avoir<br />

conscience de son propre anéantissement…<br />

Devant l’insistance de sa moitié, l’homme s’est incliné. En<br />

s’apprêtant à sa propre disparition, il prêta un peu attention et<br />

entendit le chien – cet ennemi juré des Anges – dire au coq :<br />

ne voilà-t-il pas que notre maître allait trépasser pour ne pas<br />

contrarier son amour d’épouse ? <strong>Le</strong> coq lui répondit, toute<br />

crête éclatante : « Je ne savais pas qu’il était si benêt. J’ai<br />

cinquante poules. Si jamais une, je dis bien une seule, oserait<br />

demander ce que je refuse de donner, j’irais tout simplement<br />

une tige d’un murier chercher… je la ferai bien nettoyer…<br />

puis, demanderai à la poule de gentiment s’amener… et dans<br />

un coin de la basse cour, je la coincerai… celle-ci est bienfaisante<br />

et celle-là est malfaisante… jusqu’à ce que raison, elle<br />

saura me donner… »<br />

<strong>Le</strong> négociant ne se le fit pas dire deux fois. Il fit ce que coq<br />

instituait. La tige eut raison de la goujaterie de la dame qui,<br />

nous dit l’histoire, « perdit connaissance et promis à son<br />

mari, son du, ne jamais demander. Elle lui embrassa les<br />

mains, lui baisa les pieds puis le talonna devant l’assistance<br />

animalière réunie dans la félicité…<br />

La mort de l’éléphant<br />

Cette histoire du coq et de ses poules, du négociant et de<br />

son épouse me vint à l’esprit en visitant dernièrement notre<br />

Zoo et voyant ce que sont devenus les locataires des différents<br />

box installés dans notre Belvédère national, j’en fus<br />

non seulement surpris, mais enchanté en plus.<br />

Il fut un temps, pas trop éloigné d’ailleurs, où pénétrer<br />

dans l’unique poumon de la capitale demandait de danser la<br />

gigue entre voitures stationnées n’importe où, marchands de<br />

bibelots made in China étalés n’importe comment, vendeurs<br />

de consommables humanoïdes bien rances et, cerise sur le<br />

gâteau, dans une indifférence généralisée…<br />

Il fut un temps, pas trop éloigné d’ailleurs, où dès que vous<br />

mettiez la pointe de votre pied au Zoo, vous étiez assourdi<br />

par les geignements, les gémissements, les pleurs et autres<br />

hurlements des animaux qui ne savaient plus à quel responsable<br />

se vouer… <strong>Le</strong> Macaque ne supportant plus le kaki,<br />

n’arrête pas de le renvoyer à la gueule des visiteurs parcimo-<br />

nieux en générosité… <strong>Le</strong>s flamants avaient perdu tout leur<br />

rose flambant qu’ils déployaient même naguère au lac de<br />

Tunis… Quant aux aras, leurs cris ne faisaient plus peur aux<br />

moineaux qui leur chipaient leur pitance, que dire des inséparables<br />

de Ficher que se sont collés à eux mêmes dans le<br />

silence… Il n’y avait que notre coq et ses poules qui jacassaient<br />

en toute quiétude convaincus que l’ordre du monde est<br />

ainsi fait et que rien ne sert de rouspéter… Seul le paon avait<br />

la liberté de se promener dans des allées parsemées de<br />

sachets en plastique que la brise s’amusait à faire virevolter<br />

même quand le paon faisait sa roue… <strong>Le</strong> reste croupissait<br />

dans ses cages, priant pour une nette délivrance en attendant<br />

des jours meilleurs… On voyait les ours bruns s’ennuyer<br />

dans l’attente d’un tombeur à croquer, l’otarie prise de tourneboule<br />

à force d’être confondue avec un simple fana de<br />

baguette salée, le lion et sa lionne s’enquiquinaient à qui<br />

ignoreraient le mieux l’autre quand le tigre ne cessait de faire<br />

les cents ronds… La chose a atteint un seuil tel que « Bambi<br />

» l’éléphant fétiche des lieux décida d’attirer l’attention<br />

publique en se jetant dans la fosse qu’il n’a cessée de lorgner<br />

à force de photos et de carottes… Il s’est donné la mort, lui<br />

qui a une mémoire d’éléphant !<br />

Mais à tout zoo malheur est bon. Cette disparition du<br />

pachyderme fit du bien aux habitants du Zooland quand on<br />

porta, enfin, un regard compatissant sur leur sort et, grâce<br />

aux efforts conjoints entre une ONG japonaise, la Municipalité<br />

de Tunis et l’Association des Amis du Belvédère, ils<br />

virent un jour débarquer pelleteuse et gros bras, grands seigneur,<br />

et gros portefeuilles qui passèrent un bon coup de lifting<br />

au Belvédère et à son Zoo, leur donnant un nouveau<br />

faciès…<br />

Pas d’Otarie, mais un Croco du Nil<br />

Dans l’attente des deux éléphants en provenance du<br />

Botswana et qu’on nous a promis depuis trois mois, les locataires<br />

du Zoo virent de leurs yeux les aménagements apportés<br />

à l’entrée du Belvédère. Nulle voiture n’a le droit de s’y<br />

garer… Nul marchand n’a le droit d’exposer ses bibelots en<br />

plastique hors espace réservé (qui s’étale de jour en jour), nul<br />

badaud ne peut s’étaler de son long au grand dam des promeneurs…<br />

Non, tout ceci n’est plus…<br />

Notre Zoo national vit un changement radical de régime…<br />

Déjà, plus de marchands de kaki mais certaines proposent du<br />

« harqûç »… De nouveaux locataires y montrèrent leurs pattes<br />

: de petits et mignons ratons laveurs vous adressent de<br />

profonds regards… des chèvres de je ne sais où (manque de<br />

pancarte) gambadent sur une pelouse bien verte… les léopards<br />

sont devenus d’une fainéantise de richards… <strong>Le</strong>s perroquets,<br />

les inséparables de Fisher, les perruches jacassaient<br />

dans un bonheur à vous casser les oreilles. Et même si Rhinocéros<br />

et hippopotames, macaques et autruches, zèbres et<br />

dromadaires ne virent rien changer, du moins ne seront-ils<br />

plus ignorés puisqu’ils sont bien exposés… Et si la fosse de<br />

l’Otarie demeure sèche, non loin et sous des panneaux solaires<br />

tout neufs, deux crocodiles du Nil se la coulent douce…<br />

Mais la meilleure de toute est cet aménagement de fond en<br />

comble du café du Zoo… Plus de tables bancales et de chaises<br />

estropiées, plus de sales gueules et de langues salées…<br />

même le petit lac, il a eu ses dix jets d’eau latéraux et son jet<br />

central, concert de filets qui vous donne envie de devenir un<br />

canard domestique, une oie sauvage si ce n’est un cygne noir<br />

… signe que vous pouvez passer autant d’heure dans ce petit<br />

paradis en plein centre urbain… Sans tchatcher la langue des<br />

animaux, vous enverrez sûrement paître Salomon et négociant,<br />

coq machiste et poules mouillées pour chanter la mélodie<br />

du Zoo des animaux heureux…<br />

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PM76424

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