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Texte adulte - Livres en fête!

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Concours Récréation littéraire <strong>Livres</strong> <strong>en</strong> <strong>fête</strong>! 2013<br />

Catégorie ADULTE<br />

Maude Perry Mélançon<br />

Saint-Maxime-du-Mont-Louis (Haute-Gaspésie)<br />

R<strong>en</strong>contre insolite<br />

Ce matin-là, je marchais sans but précis dans le parc. Tout me paraissait gris et<br />

terne. Je m’<strong>en</strong>nuyais. Je ne savais pas que je marchais vers un r<strong>en</strong>dez-vous<br />

improbable. Lorsque je le vis sur ce banc, mon cœur s’arrêta de battre…<br />

Il n’aurait pas dû être là. J’avais osé croire qu’il ne savait pas dans quel quartier<br />

je résidais. Mais malgré son capuchon et le foulard qui dissimulait son nez et le<br />

bas de son visage, je sus immédiatem<strong>en</strong>t que c’était lui; j’aurais reconnu ce<br />

regard sombre <strong>en</strong>tre mille. Il était dans ma classe de secondaire 2, mais il devait<br />

avoir deux ans de plus que nous tous. D’une voix m<strong>en</strong>açante, il articula :<br />

- Pas de prof pour te protéger, aujourd’hui?<br />

C’était sa façon de m’annoncer que je passerais un sale quart d’heure. Je le<br />

savais. Il savait que je savais. Je payerais pour l’interv<strong>en</strong>tion des profs dans<br />

cette affaire d’intimidation qu’ils jugeai<strong>en</strong>t classée. Une lueur de satisfaction<br />

transperça ses prunelles sadiques. Je reculai l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. Même si j’avais pris<br />

mes jambes à mon cou, il m’aurait rattrapé; je ne pouvais ri<strong>en</strong> contre lui. Je le<br />

savais. Il savait que je savais.<br />

Cette satanée journée de grisaille avait fait fuir les badauds. Personne ne pouvait<br />

ri<strong>en</strong> pour moi. À l’école, on avait t<strong>en</strong>té de m’aider… les <strong>adulte</strong>s avai<strong>en</strong>t fait ce<br />

qu’il fallait; c’est ce qu’ils aimai<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>ser. Quand cessait-on d’être la victime<br />

d’un intimidateur? Pas nécessairem<strong>en</strong>t quand le problème se réglait à l’école. Il<br />

restait une panoplie d’options, le parc <strong>en</strong> était un exemple. Je le savais. Il savait<br />

que je savais.<br />

Je t<strong>en</strong>tai tout de même une manœuvre. Je n’allais pas me laisser taper dessus<br />

sans ri<strong>en</strong> faire! Je me retournai avec l’int<strong>en</strong>tion de courir aussi vite que mes<br />

articulations chétives me le permettai<strong>en</strong>t. Je ne m’imaginais pas réussir à me<br />

débarrasser de lui, mais j’aurais peut-être la chance de tomber sur un passant<br />

qui pr<strong>en</strong>drait ma déf<strong>en</strong>se. Une brève analyse des lieux me permit de remarquer<br />

qu’une fine brume s’emparait de l’air et s’infiltrait <strong>en</strong>tre les arbres. Un brouillard<br />

salvateur. Une multitude de nouvelles cachettes.<br />

Empli d’une assurance nouvelle, mes jambes s’activèr<strong>en</strong>t avec une rapidité<br />

insoupçonnée. Un peu plus loin, je vis un arbre qui se laissait tranquillem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>rober d’un voile opaque de brouillard. Cachette idéale. Je le savais. Il l’ignorait<br />

peut-être.<br />

Vaine espérance; un complice de mon assaillant, caché derrière cet arbre, fonça<br />

droit sur moi.


L’impact fut brutal. L’acolyte de mon bourreau n’avait eu qu’à t<strong>en</strong>dre la jambe<br />

pour que je me retrouve plaqué au sol, mais il ne se cont<strong>en</strong>ta pas de contempler<br />

ma douleur; il lui fallait plus de viol<strong>en</strong>ce, je le voyais dans son regard mauvais.<br />

Peu importe qui il était. Peu importe ce que j’aurais pu dire. Ri<strong>en</strong> ne l’aurait<br />

empêché d’écraser son pied sur ma main qui t<strong>en</strong>tait désespérém<strong>en</strong>t de me<br />

décoller du sol.<br />

Je fus incapable de conserver la notion du temps. Les secondes paraiss<strong>en</strong>t une<br />

éternité quand la douleur assaille le corps de toutes parts. De temps à autre, je<br />

les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dais me traiter de « tapette » ou de « fif », mais la douleur avait trop<br />

d’emprise sur mon cerveau pour que j’<strong>en</strong> sois heurté. Ils n’aimai<strong>en</strong>t pas que je<br />

sois différ<strong>en</strong>t. Je le savais. Ils adorai<strong>en</strong>t savoir que je le savais. Que je me s<strong>en</strong>te<br />

jugé tous les jours aurait pu suffire, mais pas à eux.<br />

Je n’arrivais plus à faire autre chose que crier. Des hurlem<strong>en</strong>ts strid<strong>en</strong>ts qui<br />

appelai<strong>en</strong>t à l’aide, ou « des cris de fillette », comme eux aimai<strong>en</strong>t les appeler.<br />

J’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dis des pas approcher au trot. J’eus peur que ce soit les r<strong>en</strong>forts de mes<br />

agresseurs, mais les coups cessèr<strong>en</strong>t.<br />

Je demeurai <strong>en</strong> boule, mes mains sanguinol<strong>en</strong>tes protégeant toujours mon<br />

visage. La douleur irradiait dans tout mon corps. Des traces chaudes de<br />

souffrance circulai<strong>en</strong>t de haut <strong>en</strong> bas le long de ma colonne vertébrale, comme si<br />

des voitures de course ultra-rapides se creusai<strong>en</strong>t un circuit dans ma chair. Je<br />

s<strong>en</strong>tais mon pouls dans mes tempes, s’amplifiant, me donnant l’impression que<br />

quelques pulsations supplém<strong>en</strong>taires ferai<strong>en</strong>t exploser mon crâne. Mais qu’estce<br />

qui <strong>en</strong> sortirait, de toute façon? De la gelée de solitude, de la compote de vide<br />

intérieur et de la salsa-tristesse piquante, probablem<strong>en</strong>t.<br />

Des voix se voulant apaisantes t<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t de me rassurer. Des mains se voulant<br />

rassurantes m’effleurèr<strong>en</strong>t pour me calmer. « Tu n’es plus <strong>en</strong> danger, petit. »<br />

J’eus un incontrôlable hoquet de désespoir. Je ne serais jamais <strong>en</strong> sécurité. Être<br />

battu une fois, c’était être étiqueté victime toute une vie. Victime d’être « tapette<br />

» ou d’avoir l’air de l’être. Les g<strong>en</strong>s ne me verrai<strong>en</strong>t plus autrem<strong>en</strong>t, peu importe<br />

ce qu’on ferait à ces voyous. Il y <strong>en</strong> aurait certainem<strong>en</strong>t d’autres. Je le savais.<br />

Trop nombreux étai<strong>en</strong>t ceux qui préférai<strong>en</strong>t ne pas le savoir.

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