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munir J_JT 4 AOUT 1929 '■•Hiuiiiuiitiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiniiiiiiiiiiniiiiiiiiiiiiiiiiiiiiuiiiiuiimiiiiiuiiiui S iiiiiiiiniiMnitiiiiiiiiuiiniiiiuiiuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiniiiiniiiiiiiiiiniiiii' DIMANCHE-ILLUSTRÉ uiiinn<br />
LES ROM ANS DE LA VIE<br />
BOLIVAR, LE LIBÉRATEUR<br />
II, était impossible, après avoir fait figivrer<br />
Washington dans notre série des Romans<br />
de la Vie, de ne pas y donner place à<br />
Bolivar, le libérateur de l'Amérique<br />
du Sud.<br />
Libérateur ! Personne ne mérita mieux<br />
ce titre que ce -grand citoyen, qui, toute sa<br />
vie, batailla cruellement pour arracher sa<br />
patrie à la domination espagnole. De grande<br />
famille, suffisamment riche, il aurait pu couler<br />
une existence facile dans les joies paisibles de<br />
quelque gouvernement que lui auraient,<br />
certes, donné avec joie les Espagnols, mais il<br />
fut toujours hanté, dès son rjlus jeune âge,<br />
par cette grande idée de l'indépendance. Il lui<br />
consacra toutes les minutes d'une vie qui fut<br />
pleine de péripéties. Il connut les enivrantes<br />
satisfactions de la victoire comme les haines<br />
et les écœurantes trahisons, fatales autour de<br />
tous ceux qui s'élèvent au-dessus-de la commune<br />
humanité. Jamais abattu, ne lâchant<br />
l'épée du conquérant que pour se plonger dans<br />
les travaux du législateur; puis, obligé de reprendre<br />
cette épée pour défendre les institutions<br />
qu'il venait d'établir, il lutta ainsi jusqu'à<br />
sa dernière heure, sans désespérer jamais,<br />
même dans les circonstances les plus tragiques<br />
et les plus écœurantes.<br />
IMON BOLIVAR naquit à Caracas (Véné-<br />
S zuela), le 24 juillet 1783 ; il resta orphelin<br />
à l'âge de six ans ; son père, le colonel Juan<br />
Vicente Bolivar, mourut en 1785, et sa mère,<br />
Conception Palacios y Sigo, en 1789. Cet enfant<br />
était le seul héritier mâle d'une famille d'origine<br />
espagnole établie au Vénézuela après la<br />
conquête et faisait figure parmi les plus riches<br />
et les plus anciennes du Nouveau Monde.^ La<br />
première éducation de Simon fut assez négligée,<br />
car sou tuteur l'avait confié à un précepteur,<br />
très savant, certes, mais d'un esprit<br />
quelque peu incohérent. Il n'est pas douteux<br />
que c'est à l'influence de ce maître exalté<br />
et imprégné d'idées humanitaires qu'il faut<br />
attribuer la carrière tourmentée et superbe<br />
qui devait être celle de Bolivar.<br />
Pour le moment, l'enfant semblait manifester<br />
plus de goût pour les exercices du corps<br />
et la vie en plein air que pour l'étude. Son<br />
tuteur, ainsi que c'était la coutume pour les<br />
fils de famille, l'envoya en Espagne pour<br />
compléter ses études. En route, il s'arrêta<br />
au Mexique, et le vice-roi tint à le recevoir ;<br />
mais, au cours de leur entrevue, le fonctionnaire<br />
espagnol fut effrayé des hardiesses échappées<br />
à cet enfant de seize ans, lui parlant avec<br />
fougue de la Révolution française.<br />
Arrivé à Madrid, Simon, comme tous les<br />
jeunes gens de véritable valeur, s'aperçut<br />
des lacunes de son éducation, et,, sans qu'il<br />
fût besoin de l'y pousser, se mit au travail<br />
avec acharnement. Il faut croire qu'un rapport<br />
du vice-roi du Mexique avait du le suivre<br />
en Espagne, car il eut bientôt une aventure<br />
assez bizarre et qui met en valeur son caractère.<br />
Un jour qu'il se promenait à cheval<br />
dans les environs de la ville, il fut arrêté, en<br />
vertu d'une ordonnance du ministre des<br />
Finances, sous le prétexte qu'il avait sur lui<br />
des diamants dont le port était interdit. Il<br />
protesta, et on voulut le fouiller.<br />
— Jamais ! s'écria-t-il en tirant un poignard,<br />
jamais je ne permettrai à un louche<br />
policier de porter la main sur Bolivar !<br />
Devant cette ferme attitude, les argousins<br />
cédèrent, mais un ordre d'expulsion ordonnait<br />
le lendemain au courageux jeune homme<br />
de quitter l'Espagne. Ce fut naturellement<br />
en France qu'il se rendit, heureux, dit-il, d'y<br />
admirer les beautés d'un pays républicain.<br />
Mais ces grands sentiments politiques ne<br />
l'empêchaient pas de se rappeler les amours<br />
qu'il avait laissées en Espagne,-où il avait<br />
f romis mariage à une jeune fille, Mll « Zoro.<br />
1 l'épousa, à peine âgé de dix-neuf ans, et<br />
s'embarqua avec elle pour son pays. A son<br />
arrivée au Vénézuela, il s'établit dans ses<br />
propriétés, qu'il s'occupait* de faire valoir,<br />
mais sans s'absorber tellement dans l'agriculture<br />
qu'il ne trouvât le temps de lire beaucoup<br />
et de méditer sur ces questions de liberté<br />
des peuples qui lui étaient de plus en plus<br />
chères. Sa jeune femme, qu'il, adorait, tomba<br />
malade et mourut au bout de cinq mois à<br />
peiné de mariage. Le coup fut dur pour Bolivar,<br />
et, afin d'oublier, il se remit à voyager,<br />
orienté plus -que jamais vers les idées libertaires.<br />
Il revint en France, mais resta stupéfait<br />
en constatant les changements qui s'étaient<br />
produits dans les esprits depuis son dernier<br />
séjour. Bonaparte n'était plus le soldat de<br />
la République qu'il avait tant admiré, et il<br />
ne pouvait admettre de l'y voir coiffé de la<br />
couronne impériale. Ce spectacle l'indigna<br />
à tel point qu'il renvoya avec dédain les cartes<br />
que l'ambassade d'Espagne lui faisait tenir<br />
pour assister à la cérénomie du couronnement.<br />
Non seulement il refusa de s'y rendre, mais<br />
il passa, enfermé dans sa chambre, cette jour<br />
née, qu'il qualifiait de honteuse. Une per<br />
sonne vient frapper à sa porte : c'est son<br />
ancien professeur, qu'il retrouva avec joie<br />
et avec lequel il se remit à philosopher, étudiant<br />
avec lui Spinosa, Montesquieu et Jean-<br />
Jacques Rousseau.<br />
JLe hasard, grand maître du monde, le mit,<br />
par JULES CHAMCEL<br />
r Il va y avoir bientôt cent ans que mourût Bolivar. Ce fut le libérateur<br />
et l'organisateur de cette "Amérique latine dont l'essor grandissant est<br />
le plus beau couronnement de l'œuvre de celui qui voua sa vie à<br />
l'unité de sa patrie.<br />
en ce moment critique de son existence, en<br />
présence d'un écrivain politique . nommé<br />
Humbold, qui avait particulièrement étudié<br />
l'histoire des colonies espagnoles, et ce savant<br />
estimait que ces colonies étaient arrivées au<br />
point où elles pouvaient et devaient exiger<br />
leur indépendance. On devine l'effet que produisit<br />
sur le jeune exalté ces théories qui<br />
s'accordaient si bien avec ses espoirs personnels.<br />
— Il ne manque à nos colonies, pour réus-<br />
dans la mère patrie. A ce moment, Bolivar<br />
était colonel d un de ces régiments d'infanterie<br />
qui venaient d'être créés pour lutter<br />
contre l'Espagne. Ce n'était cependant pas<br />
avec les deux ou trois mille soldats dont disposaient<br />
les révoltés qu'on pouvait entreprendre<br />
utilement la lutte ; aussi les révoltés<br />
songèrent à s'assurer l'appui de l'Angleterre.<br />
Bolivar est envoyé à Londres, non pour y<br />
soutenir la cause de l'indépendance, mais<br />
simplement pour demander aux Anglais de<br />
SIMON BOLIVAR, NÉ A CARACAS EN 1783, MORT EN 1830<br />
sir, qu'un homme, lui dit Humbold, et vous<br />
serez celui-là.<br />
— Je le serai ! répondit simplement Bolivar.<br />
A la suite de cet entretien mémorable, qui<br />
venait d'orienter définitivement sa vie, le<br />
jeune homme ne se lança pas légèrement à<br />
l'aventure. Il prit tout son temps et, avant<br />
d'essayer la moindre tentative, voulut aller<br />
aux Etats-Unis pour y étudier l'œuvre de<br />
son grand prédécesseur, Washington. Ce fut<br />
au cours de ce voyage qu'il alla voir le pape,<br />
qui lui tendit sa mule à baiser.<br />
— Jamais! refusa l'orgueilleux jeune<br />
homme.<br />
Son ambassadeur-, qui l'avait accompagné<br />
dans sa visite, était fort marri de cet esclandre,<br />
mais Pie VII le calma.<br />
— Laissez faire ce jeune Américain, dit-il<br />
en souriant.<br />
Quatre années se passèrent, quatre années<br />
durant lesquelles Bolivar se prépara à accomplir<br />
ce qu'il considérait comme sa mission,<br />
attendant avec patience l'occasion favorable<br />
pour agir. Cette occasion se présenta en 1810,<br />
quand Bonaparte envahit 1 Espagne. Ce fut<br />
cette guerre, en effet, qui devait amener,<br />
par contre-coup, l'indépendance de l'Amérique<br />
espagnole, par suite de l'anarchie qu'elle créa<br />
se joindre aux troupes des colonies espagnoles,<br />
afin d'en fermer l'entrée aux Français. Wellington,<br />
trop heureux d'avoir une occasion<br />
d'entrer en lutte avec la. France, accepta<br />
cette proposition, mais l'Espagne, qui en<br />
comprit les dangers, refusa toute coopération<br />
avec des révoltés. Ce fut une grosse faute<br />
politique qui précipita les événements. Bolivar<br />
arriva à décider le vieux général Miranda<br />
à se mettre à la tête d'un mouvement d!émancipation,<br />
et, avec lui, il débarqua à la Luaira,<br />
au mois de décembre 1810. Le Vénézuela<br />
fut proclamé indépendant, et, aussitôt, la<br />
lutte commença pour la conquête de Valencia.<br />
Au moment où Bolivar allait se mettre en<br />
route vers ce pays à la tête de ses troupes, survint<br />
un tremblement de terre qui causa l'effroi<br />
parmi ses soldats superstitieux et leur enleva<br />
toute énergie, car ils voyaient, dans ce boule<br />
versement de la nature, un avertissement du<br />
ciel. Mais Bolivar est lancé et" rien ne<br />
l'arrêtera.<br />
— Si la nature, crie-t-il à la foule, s'oppose<br />
à notre désir d'indépendance, nous vaincrons<br />
aussi la nature 1<br />
Les premiers résultats de sa campagne ne<br />
répondirent pas à cette belle confiance, car,<br />
eu cette année 1812, le général espagnol<br />
Monteverde ne connut que des victoires et<br />
arriva à reprendre peu à peu tout le territoire<br />
vénézuélien. Il entra à Caracas le 29 juillet. Les<br />
représailles furent terribles : fusillades, prisons,<br />
mais Bolivar arrive à échapper à ces périls et<br />
s'embarque à Curaçao. Nullement découragé,<br />
regroupe tous les révolutionnaires et<br />
réclame un chef unique, indispensable pour<br />
conduire la guérre. Ce chef unique, ce ne fut<br />
pas lui, mais un certain général Labatut qui,<br />
jaloux de Bolivar, essaya de lui nuire en lui<br />
confiant des postes sans gloire et en le maintenant<br />
dans des emplois inférieurs. Mais l'homme<br />
était de taille à se défendre. Sans tenir compte<br />
des ordres qui lui étaient donnés, il s'embarqua<br />
sur des canots avec deux cents hommes bien<br />
armés et s'empara de Ténériffe. Ce haut fait<br />
militaire ne fut que le commencement d'une<br />
série de victoires ininterrompues; aussis on<br />
armée gïossit tous les jours, le succès appelle<br />
le succès. Bolivar défait les Espagnols à Chiriquana,<br />
prend des navires de guerre, des canons,<br />
des fusils, et ce fut, dès lors, une marche triomphale.<br />
Le libérateur était devenu le chef<br />
îeureux, celui à qui tout réussit; tout le monde<br />
veut le suivre, et, quand le général Labatut<br />
prétend accuser son subordomié de rébellion,<br />
on ne l'écoute même pas. Il n'y a plus qu'un<br />
maître désormais : c'est Bolivar. Il fait traverser<br />
la Cordillère à ses. soldats, arrive en<br />
trombe à Cunta et met en déroute l'armée<br />
espagnole. La Nouvelle Grenade tout entière<br />
fut libérée, mais Bolivar tenait, par-dessus<br />
tout, à libérer également le Vénézuela, sa<br />
patrie. Comme tout chef victorieux, Bolivar<br />
eut à lutter contre les rivalités et les trahisons,<br />
mais il avait le peuple pour lui, ce qui lui<br />
permit de lancer cette fameuse proclamation<br />
dont on lui a reproché la sauvage cruauté :<br />
» Tout Espagnol, écrivait-il, qui ne conspirera<br />
pas contre la tyrannie et qui ne travaillera<br />
pas en faveur de notre noble cause par tous les<br />
moyens en son pouvoir, sera considéré comme<br />
un ennemi et impitoyablement fusillé. »<br />
C'était, on le voit, un terrible appel à la<br />
lierre à mort, évidemment discutable an point<br />
le vue morale, mais qui s'excusait par les<br />
cruautés des Monteverde, des Zuozola ; d'ailleurs,<br />
l'effet de cette proclamation fut considérable,<br />
puisque Bolivar entrait, lé 2 <strong>août</strong>,<br />
triomphalement à Valencia. Ce n'était pas<br />
tout de conquérir, il fallait aussi garder ces<br />
territoires, il fallait administrer ces peuples<br />
auxquels il ne suffisait pas de dire : vous êtes<br />
libres, mais dont il fallait assurer la liberté. Ce<br />
fut alors que ce jeune général de trente ans se<br />
transforma brusquement en administrateur.<br />
Il décréta la liberté du commerce sous les yeux<br />
de l'ennemi, attira les étrangers et commença<br />
la préparation d'une constitution, mais il ne<br />
put la terminer. Monteverde avait reçu des<br />
renforts et attaquait de nouveau. Bolivar le<br />
bat à Las Trincheras et il entre à Caracas en<br />
triomphateur, aux cris, si doux à son cœur, de :<br />
« Vive le libérateur ! " Ces hommages ne grisèrent<br />
pa^l'homme épris de l'égalité et il se<br />
charge de rappeler ces concitoyens à la raison<br />
par la proclamation suivante :<br />
«Je vous ai donné des lois provisoires, j'ai<br />
organisé le Trésor public ; enfin, je vous ai<br />
donné un gouvernement, mais, citoyens, je ne<br />
suis pas le souverain, et ce sont,vos représentants<br />
qui doivent faire les lois. Un soldat<br />
heureux n'acquiert aucun titre à gouverner<br />
sa patrie. »<br />
ATURELLEMENT, l'assemb'lée, réunie, décida<br />
N à l'unanimité que le général Bolivar, à qui<br />
tout le monde rendait hommage, tant pour son<br />
courage que pour ses capacités, serait nommé<br />
chef des révoltés. Après un nouveau refus,<br />
Bolivar accepta ces fonctions dans une période<br />
particulièrement difficile car il n'y avait<br />
aucune entente entre les provinces, et la guerre<br />
recommençait contre les Espagnols.<br />
Le libérateur se replongea dans la lutte avec<br />
acharnement, cumulant à la fois les fonctions<br />
de général, de chef de bande et de dictateur.<br />
Veut-on un exemple de son héroïsme et de ses<br />
qualités militaires ? A Aregua, il trouve la<br />
route interceptée par les -royalistes. Sans<br />
hésiter, il'se met lui-même à la tête de cinq<br />
cents nommes et commande de sa plus forte<br />
voix :<br />
— Ouvrez le feu à droite et à gauche.<br />
L'ennemi croit se trouver en présence d'une<br />
uissante armée et bat en retraite. Aussitôt,<br />
Eolivar passe fièrement avec ses cinq cents<br />
hommes, personne ne pouvant se figurer qu'un<br />
général en chef serait assez hardi pour traverser<br />
ainsi presque seul les rangs de l'ennemi.<br />
Grâce à cette manœuvre, Bolivar arriva à<br />
conquérir Luyana et le cours de l'Orénoque.<br />
L'effet de ses succèsfutconsidérableenEurope ;<br />
aussi le libérateur jugea le moment venu de<br />
réaliser son .grand projet, c'est-à-dire la réunion<br />
d'un congrès des représentants des provinces<br />
gagnées à la cause républicaine. A l'ouverture<br />
de ce congres, à Angoustoura, son premier<br />
soin est de se démettre de ses fonctions.<br />
a L'exercice du pouvoir par une même personne,<br />
disait-il, à été souvent la fin des gouvernements<br />
démocratiques. Rien n'est plus<br />
dangereux que de laisser l'autorité entre les<br />
mains d'un seul homme; le peuple s'habitue à<br />
{Lire la suite pag* jf, 3* colonne.)