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1. Jules Laforgue, Notre petite compagne 2. Louis Aragon, Elsa

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<strong>1.</strong> <strong>Jules</strong> <strong>Laforgue</strong>, <strong>Notre</strong> <strong>petite</strong> <strong>compagne</strong><br />

Si mon Air vous dit quelque chose,<br />

Vous auriez tort de vous gêner ;<br />

Je ne la fais pas à la pose ;<br />

Je suis La Femme, on me connaît.<br />

Bandeaux plats ou crinière folle,<br />

Dites ? quel Front vous rendrait fou ?<br />

Jřai lřart de toutes les écoles,<br />

Jřai des âmes pour tous les goûts.<br />

Cueillez la fleur de mes visages,<br />

Buvez ma bouche et non ma voix,<br />

Et nřen cherchez pas davantage…<br />

Nul nřy vit clair ; pas même moi.<br />

Nos armes ne sont pas égales,<br />

Pour que je vous tende la main,<br />

Vous nřêtes que de naïfs mâles,<br />

Je suis lřEternel Féminin !<br />

Mon But se perd dans les Etoiles !….<br />

Cřest moi qui suis la Grande Isis !<br />

Nul ne mřa retroussé mon voile.<br />

Ne songez quřà mes oasis….<br />

Si mon Air vous dit quelque chose,<br />

Vous auriez tort de vous gêner ;<br />

Je ne la fais pas à la pose :<br />

Je suis La Femme ! on me connaît.<br />

<strong>2.</strong> <strong>Louis</strong> <strong>Aragon</strong>, <strong>Elsa</strong><br />

Tandis que je parlais le langage des vers<br />

Elle sřest doucement tendrement endormie<br />

Comme une maison dřombre au creux de notre vie<br />

Une lampe baissée au coeur des myrrhes verts<br />

Sa joue a retrouvé le printemps du repos<br />

Ô corps sans poids posé dans un songe de toile<br />

Ciel formé de ses yeux à lřheure des étoiles<br />

Un jeune sang lřhabite au couvert de sa peau<br />

La voila qui reprend le versant de ses fables<br />

Dieu sait obéissant à quels lointains signaux<br />

Et cřest toujours le bal la neige les traîneaux<br />

Elle a rejoint la nuit dans ses bras adorables<br />

Je vois sa main bouger Sa bouche Et je me dis<br />

Quřelle reste pareille aux marches du silence


Qui mřéchappe pourtant de toute son enfance<br />

Dans ce pays secret à mes pas interdit<br />

Je te supplie amour au nom de nous ensemble<br />

De ma suppliciante et folle jalousie<br />

Ne třen va pas trop loin sur la pente choisie<br />

Je suis auprès de toi comme un saule qui tremble<br />

Jřai peur éperdument du sommeil de tes yeux<br />

Je me ronge le coeur de ce coeur que jřécoute<br />

Amour arrête-toi dans ton rêve et ta route<br />

Rends-moi ta conscience et mon mal merveilleux<br />

3. <strong>Louis</strong> <strong>Aragon</strong>, <strong>Elsa</strong> au miroir<br />

Cřétait au beau milieu de notre tragédie<br />

Et pendant un long jour assise à son miroir<br />

Elle peignait ses cheveux dřor Je croyais voir<br />

Ses patientes mains calmer un incendie<br />

Cřétait au beau milieu de notre tragédie<br />

Et pendant un long jour assise à son miroir<br />

Elle peignait ses cheveux dřor et jřaurais dit<br />

Cřétait au beau milieu de notre tragédie<br />

Quřelle jouait un air de harpe sans y croire<br />

Pendant tout ce long jour assise à son miroir<br />

Elle peignait ses cheveux dřor et jřaurais dit<br />

Quřelle martyrisait à plaisir sa mémoire<br />

Pendant tout ce long jour assise à son miroir<br />

À ranimer les fleurs sans fin de lřincendie<br />

Sans dire ce quřune autre à sa place aurait dit<br />

Elle martyrisait à plaisir sa mémoire<br />

Cřétait au beau milieu de notre tragédie<br />

Le monde ressemblait à ce miroir maudit<br />

Le peigne partageait les feux de cette moire<br />

Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire<br />

Cřétait un beau milieu de notre tragédie<br />

Comme dans la semaine est assis le jeudi<br />

Et pendant un long jour assise à sa mémoire<br />

Elle voyait au loin mourir dans son miroir<br />

Un à un les acteurs de notre tragédie<br />

Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit<br />

Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits<br />

Et ce que signifient les flammes des longs soirs<br />

Et ses cheveux dorés quand elle vient sřasseoir<br />

Et peigner sans rien dire un reflet dřincendie


4. Paul Éluard, Tu te lèves<br />

Tu te lèves l'eau se déplie<br />

Tu te couches l'eau s'épanouit<br />

Tu es l'eau détournée de ses abîmes<br />

Tu es la terre qui prend racine<br />

Et sur laquelle tout s'établit<br />

Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits<br />

Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l'arc-en-ciel,<br />

Tu es partout tu abolis toutes les routes<br />

Tu sacrifies le temps<br />

À l'éternelle jeunesse de la flamme exacte<br />

Qui voile la nature en la reproduisant<br />

Femme tu mets au monde un corps toujours pareil<br />

Le tien<br />

Tu es la ressemblance.<br />

5. Paul Éluard, L’amoureuse<br />

Elle est debout sur mes paupières<br />

Et ses cheveux sont dans les miens,<br />

Elle a la forme de mes mains,<br />

Elle a la couleur de mes yeux,<br />

Elle s'engloutit dans mon ombre<br />

Comme une pierre sur le ciel.<br />

Elle a toujours les yeux ouverts<br />

Et ne me laisse pas dormir.<br />

Ses rêves en pleine lumière<br />

Font s'évaporer les soleils,<br />

Me font rire, pleurer et rire,<br />

Parler sans avoir rien à dire.<br />

6. Paul Éluard, Je t’aime<br />

Je t'aime pour toutes les femmes<br />

Que je n'ai pas connues<br />

Je t'aime pour tout le temps<br />

Où je n'ai pas vécu<br />

Pour l'odeur du grand large<br />

Et l'odeur du pain chaud


Pour la neige qui fond<br />

Pour les premières fleurs<br />

Pour les animaux purs<br />

Que l'homme n'effraie pas<br />

Je t'aime pour aimer<br />

Je t'aime pour toutes les femmes<br />

Que je n'aime pas<br />

Qui me reflète sinon toi-même<br />

Je me vois si peu<br />

Sans toi je ne vois rien<br />

Qu'une étendue déserte<br />

Entre autrefois et aujourd'hui<br />

Il y a eu toutes ces morts<br />

Que j'ai franchies<br />

Sur de la paille<br />

Je n'ai pas pu percer<br />

Le mur de mon miroir<br />

Il m'a fallu apprendre<br />

Mot par mot la vie<br />

Comme on oublie<br />

Je t'aime pour ta sagesse<br />

Qui n'est pas la mienne<br />

Pour la santé je t'aime<br />

Contre tout ce qui n'est qu'illusion<br />

Pour ce cœur immortel<br />

Que je ne détiens pas<br />

Que tu crois être le doute<br />

Et tu n'es que raison<br />

Tu es le grand soleil<br />

Qui me monte à la tête<br />

Quand je suis sûr de moi<br />

Quand je suis sûr de moi<br />

Tu es le grand soleil<br />

Qui me monte à la tête<br />

Quand je suis sûr de moi<br />

Quand je suis sûr de moi<br />

7. Paul Verlaine, Beauté des femmes<br />

Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles<br />

Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal,<br />

Et ces yeux, où plus rien ne reste dřanimal<br />

Que juste assez pour dire : « assez » aux fureurs mâles !


Et toujours, maternelle endormeuse des râles,<br />

Même quand elle ment, cette voix ! Matinal<br />

Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal,<br />

Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles !…<br />

Hommes durs ! Vie atroce et laide dřici-bas !<br />

Ah ! que du moins, loin des baisers et des combats,<br />

Quelque chose demeure un peu sur la montagne,<br />

Quelque chose du cœur enfantin et subtil,<br />

Bonté, respect ! Car, quřest-ce qui nous ac<strong>compagne</strong>,<br />

Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il ?<br />

8. Paul Verlaine, Mon rêve familier<br />

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant<br />

D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime<br />

Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même<br />

Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.<br />

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent<br />

Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème<br />

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,<br />

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.<br />

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.<br />

Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore<br />

Comme ceux des aimés que la Vie exila.<br />

Son regard est pareil au regard des statues,<br />

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a<br />

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.<br />

9. Paul Verlaine, A une femme<br />

A vous ces vers de par la grâce consolante<br />

De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,<br />

De par votre âme pure et toute bonne, à vous<br />

Ces vers du fond de ma détresse violente.<br />

Cřest quřhélas ! le hideux cauchemar qui me hante<br />

Nřa pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,<br />

Se multipliant comme un cortège de loups<br />

Et se pendant après mon sort quřil ensanglante !


Oh ! je souffre, je souffre affreusement, si bien<br />

Que le gémissement premier du premier homme<br />

Chassé dřEden nřest quřune églogue au prix du mien !<br />

Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme<br />

Des hirondelles sur un ciel dřaprès-midi,<br />

- Chère, - par un beau jour de septembre attiédi.<br />

10. Charles Baudelaire, Un cheval de race<br />

Elle est bien laide. Elle est délicieuse pourtant !<br />

Le Temps et lřAmour lřont marquée de leurs griffes et lui ont<br />

cruellement enseigné ce que chaque minute et chaque baiser<br />

emportent de jeunesse et de fraîcheur.<br />

Elle est vraiment laide ; elle est fourmi, araignée, si vous<br />

voulez, squelette même ; mais aussi elle est breuvage, magistère, sorcellerie ! en somme, elle<br />

est exquise.<br />

Le Temps nřa pu rompre lřharmonie pétillante de sa démarche<br />

ni lřélégance indestructible de son armature. LřAmour nřa pas<br />

altéré la suavité de son haleine dřenfant ; et le Temps nřa<br />

rien arraché de son abondante crinière dřoù sřexhale en fauves<br />

parfums toute la vitalité endiablée du Midi français : Nîmes,<br />

Aix, Arles, Avignon, Narbonne, Toulouse, villes bénies du soleil, amoureuses et charmantes !<br />

Le Temps et lřAmour lřont vainement mordue à belles dents ;<br />

ils nřont rien diminué du charme vague, mais éternel, de sa poitrine garçonnière.<br />

Usée peut-être, mais non fatiguée, et toujours héroïque, elle<br />

fait penser à ces chevaux de grande race que lřœil du véritable<br />

amateur reconnaît, même attelés à un carrosse de louage ou à un lourd chariot.<br />

Et puis elle est si douce et si fervente ! Elle aime<br />

comme on aime en automne ; on dirait que les approches de<br />

lřhiver allument dans son cœur un feu nouveau, et la servilité<br />

de sa tendresse nřa jamais rien de fatiguant.<br />

1<strong>1.</strong> Charles Baudelaire, Le serpent qui danse<br />

Que jřaime voir, chère indolente,<br />

De ton corps si beau,<br />

Comme une étoffe vacillante,<br />

Miroiter la peau !<br />

Sur ta chevelure profonde<br />

Aux âcres parfums,<br />

Mer odorante et vagabonde<br />

Aux flots bleus et bruns,


Comme un navire qui sřéveille<br />

Au vent du matin,<br />

Mon âme rêveuse appareille<br />

Pour un ciel lointain.<br />

Tes yeux, où rien ne se révèle<br />

De doux ni dřamer,<br />

Sont deux bijoux froids où se mêle<br />

Lřor avec le fer.<br />

A te voir marcher en cadence,<br />

Belle dřabandon,<br />

On dirait un serpent qui danse<br />

Au bout dřun bâton.<br />

Sous le fardeau de ta paresse<br />

Ta tête dřenfant<br />

Se balance avec la mollesse<br />

Dřun jeune éléphant,<br />

Et ton corps se penche et sřallonge<br />

Comme un fin vaisseau<br />

Qui roule bord sur bord et plonge<br />

Ses vergues dans lřeau.<br />

Comme un flot grossi par la fonte<br />

Des glaciers grondants,<br />

Quand lřeau de ta bouche remonte<br />

Au bord de tes dents,<br />

Je crois boire un vin de Bohême,<br />

Amer et vainqueur,<br />

Un ciel liquide qui parsème<br />

Dřétoiles mon coeur !<br />

1<strong>2.</strong> Jacques Prévert, Où je vais, d’où je viens<br />

Où je vais, d'où je viens<br />

Pourquoi je suis trempée.<br />

Voyons, ça se voit bien.<br />

Il pleut.<br />

La pluie, c'est de la pluie<br />

Je vais dessous, et puis,<br />

Et puis c'est tout.<br />

Passez votre chemin<br />

Comme je passe le mien.<br />

C'est pour mon plaisir<br />

Que je patauge dans la boue.<br />

La pluie, ça me fait rire.


Je ris de tout et de tout et de tout.<br />

Si vous avez la larme facile<br />

Rentrez plutôt chez vous,<br />

Pleurez plutôt sur vous,<br />

Mais laissez-moi,<br />

Laissez-moi, laissez-moi , laissez-moi, laissez-moi.<br />

Je ne veux pas entendre le son de votre voix,<br />

Passez votre chemin<br />

Comme je passe le mien.<br />

Le seul homme que j'aimais,<br />

c'est vous qui l'avez tué,<br />

Matraqué, piétiné...<br />

achevé.<br />

J'ai vu son sang couler,<br />

couler dans le ruisseau,<br />

dans le ruisseau.<br />

Passez votre chemin<br />

comme je passe le mien.<br />

L'homme que j'aimais<br />

est mort, la tête dans la boue.<br />

Ce que j'peux vous haïr,<br />

vous haïr.. c'est fou... c'est fou... c'est fou.<br />

Et vous vous attendrissez sur moi,<br />

vous êtes trop bons pour moi,<br />

beaucoup trop bons, croyez-moi.<br />

Vous êtes bons... bons comme le ratier est bon pour le rat...<br />

mais un jour... un jour viendra où le rat vous mordra...<br />

Passez votre chemin,<br />

hommes bons... hommes de bien.<br />

13. Jacques Prévert, Je suis comme je suis<br />

Je suis comme je suis<br />

Je suis faite comme ça<br />

Quand jřai envie de rire<br />

Oui je ris aux éclats<br />

Jřaime celui qui m'aime<br />

Est-ce ma faute à moi<br />

Si ce nřest pas le même<br />

Que jřaime chaque fois<br />

Je suis comme je suis<br />

Je suis faite comme ça<br />

Que voulez-vous de plus<br />

Que voulez-vous de moi<br />

Je suis faite pour plaire<br />

Et nřy puis rien changer<br />

Mes talons sont trop hauts<br />

Ma taille trop cambrée


Mes seins beaucoup trop durs<br />

Et mes yeux trop cernés<br />

Et puis après<br />

Quřest-ce que ça peut vous faire<br />

Je suis comme je suis<br />

Je plais à qui je plais<br />

Quřest-ce que ça peut vous faire<br />

Ce qui mřest arrivé<br />

Oui jřai aimé quelquřun<br />

Oui quelquřun mřa aimée<br />

Comme les enfants qui sřaiment<br />

Simplement savent aimer<br />

Aimer aimer...<br />

Pourquoi me questionner<br />

Je suis là pour vous plaire<br />

Et nřy puis rien changer.<br />

14. Jacques Prévert, Déjeuner du matin<br />

Il a mis le café<br />

Dans la tasse<br />

Il a mis le lait<br />

Dans la tasse de café<br />

Il a mis le sucre<br />

Dans le café au lait<br />

Avec la <strong>petite</strong> cuiller<br />

Il a tourné<br />

Il a bu le café au lait<br />

Et il a reposé la tasse<br />

Sans me parler<br />

Il a allumé<br />

Une cigarette<br />

Il a fait des ronds<br />

Avec la fumée<br />

Il a mis les cendres<br />

Dans le cendrier<br />

Sans me parler<br />

Sans me regarder<br />

Il s'est levé<br />

Il a mis<br />

Son chapeau sur sa tête<br />

Il a mis son manteau de pluie<br />

Parce qu'il pleuvait<br />

Et il est parti<br />

Sous la pluie


Sans une parole<br />

Sans me regarder<br />

Et moi j'ai pris<br />

Ma tête dans ma main<br />

Et j'ai pleuré<br />

15. Guillaume Apollinaire, Les femmes<br />

Dans la maison du vigneron les femmes cousent<br />

Lenchen remplis le poêle et mets l’eau du café<br />

Dessus ─ Le chat s’étire après s’être chauffé<br />

─ Gertrude et son voisin Martin enfin s’épousent<br />

Le rossignol aveugle essaya de chanter<br />

Mais lřeffraie ululant il trembla dans sa cage<br />

Ce cyprès là-bas a l’air d’un pape en voyage<br />

Sous la neige ─ Le facteur vient de s’arrêter<br />

Pour causer avec le nouveau maître d’école<br />

─ Cet hiver est très froid le vin sera très bon<br />

─ Le sacristain sourd et boiteux est moribond<br />

─ La fille du vieux bourgmestre brode une étole<br />

Pour la fête du curé La forêt là-bas<br />

Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue<br />

Le songe Herr Traum survint avec sa soeur Frau Sorge<br />

Kaethi tu n’as pas bien raccommodé ces bas<br />

─ Apporte le café le beurre et les tartines<br />

La marmelade le saindoux un pot de lait<br />

─ Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît<br />

─ On dirait que le vent dit des phrases latines<br />

─ Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît<br />

─ Lotte es-tu triste O petit coeur ─ Je crois qu’elle aime<br />

─ Dieu garde ─ Pour ma part je n’aime que moi-même<br />

─ Chut A présent grand-mère dit son chapelet<br />

─ Il me faut du sucre candi Leni je tousse<br />

─ Pierre mène son furet chasser les lapins<br />

Le vent faisait danser en rond tous les sapins<br />

─ Lotte l’amour rend triste ─ Ilse la vie est douce<br />

La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus<br />

Devenaient dans lřobscurité des ossuraires<br />

En neige et repliés gisaient là des suaires<br />

Et des chiens aboyaient aux passants morfondus


Il est mort écoutez La cloche de lřéglise<br />

Sonnait tout doucement la mort du sacristain<br />

Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint<br />

Les femmes se signaient dans la nuit indécise<br />

16. Guillaume Apollinaire, 1909<br />

La dame avait une robe<br />

En ottoman violine<br />

Et sa tunique brodée d'or<br />

Était composée de deux panneaux<br />

S'attachant sur l'épaule<br />

Les yeux dansants comme des anges<br />

Elle riait elle riait<br />

Elle avait un visage aux couleurs de France<br />

Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges<br />

Elle avait un visage aux couleurs de France<br />

Elle était décolletée en rond<br />

Et coiffée à la Récamier<br />

Avec de beaux bras nus<br />

N'entendra-t-on jamais sonner minuit<br />

La dame en robe d'ottoman violine<br />

Et en tunique brodée d'or<br />

Décolletée en rond<br />

Promenait ses boucles<br />

Son bandeau d'or<br />

Et traînait ses petits souliers à boucles<br />

Elle était si belle<br />

Que tu n'aurais pas osé l'aimer<br />

J'aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes<br />

Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux<br />

Le fer était leur sang la flamme leur cerveau<br />

J'aimais j'aimais le peuple habile des machines<br />

Le luxe et la beauté ne sont que son écume<br />

Cette femme était si belle<br />

Qu'elle me faisait peur


17. Alfred de Musset, L’Andalouse<br />

Avez-vous vu, dans Barcelone,<br />

Une Andalouse au sein bruni ?<br />

Pâle comme un beau soir dřautomne !<br />

Cřest ma maîtresse, ma lionne !<br />

La marquesa dřAmaëgui !<br />

Jřai fait bien des chansons pour elle,<br />

Je me suis battu bien souvent.<br />

Bien souvent jřai fait sentinelle,<br />

Pour voir le coin de sa prunelle,<br />

Quand son rideau tremblait au vent.<br />

Elle est à moi, moi seul au monde.<br />

Ses grands sourcils noirs sont à moi,<br />

Son corps souple et sa jambe ronde,<br />

Sa chevelure qui lřinonde,<br />

Plus longue quřun manteau de roi !<br />

Cřest à moi son beau corps qui penche<br />

Quand elle dort dans son boudoir,<br />

Et sa basquina sur sa hanche,<br />

Son bras dans sa mitaine blanche,<br />

Son pied dans son brodequin noir.<br />

Vrai Dieu ! Lorsque son oeil pétille<br />

Sous la frange de ses réseaux,<br />

Rien que pour toucher sa mantille,<br />

De par tous les saints de Castille,<br />

On se ferait rompre les os.<br />

Quřelle est superbe en son désordre,<br />

Quand elle tombe, les seins nus,<br />

Quřon la voit, béante, se tordre<br />

Dans un baiser de rage, et mordre<br />

En criant des mots inconnus !<br />

Et quřelle est folle dans sa joie,<br />

Lorsquřelle chante le matin,<br />

Lorsquřen tirant son bas de soie,<br />

Elle fait, sur son flanc qui ploie,<br />

Craquer son corset de satin !<br />

Allons, mon page, en embuscades !<br />

Allons ! la belle nuit dřété !<br />

Je veux ce soir des sérénades<br />

À faire damner les alcades<br />

De Tolose au Guadalété.


18. Alfred de Musset, À Mademoiselle<br />

Ainsi, quand la fleur printanière<br />

Dans les bois va s'épanouir,<br />

Au premier souffle de zéphyr<br />

Elle sourit avec mystère ;<br />

et sa tige fraîche et légère,<br />

sentant son calice s'ouvrir,<br />

Jusque dans le sein de la terre<br />

Frémit de joie et de désir.<br />

Ainsi, quand ma douce Marie<br />

Entrouvre sa lèvre chérie,<br />

Et lève, en chantant, ses yeux bleus<br />

Dans l'harmonie et la lumière<br />

Son âme semble toute entière<br />

Monter en tremblant vers les Cieux<br />

Oui, femme, quoi qu'on puisse dire<br />

Vous avez le fatal pouvoir<br />

De nous jeter par un sourire<br />

Dans l'ivresse ou le désespoir.<br />

Oui, deux mots, le silence même,<br />

Un regard distrait ou moqueur,<br />

Peuvent donner à qui vous aime<br />

Un coup de poignard dans le coeur.<br />

Oui, votre orgueil doit être immense,<br />

Car, grâce a notre lâcheté,<br />

Rien n'égale votre puissance,<br />

Sinon, votre fragilité.<br />

Mais toute puissance sur terre<br />

Meurt quand l'abus en est trop grand,<br />

Et qui sait souffrir et se taire<br />

S'éloigne de vous en pleurant.<br />

Quel que soit le mal qu'il endure,<br />

Son triste sort est le plus beau.<br />

J'aime encore mieux notre torture<br />

Que votre métier de bourreau<br />

19. Alfred de Musset, À Ninon<br />

Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,<br />

Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?<br />

Lřamour, vous le savez, cause une peine extrême ;


Cřest un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;<br />

Peut-être cependant que vous mřen puniriez.<br />

Si je vous le disais, que six mois de silence<br />

Cachent de longs tourments et des voeux insensés :<br />

Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance<br />

Se plaît, comme une fée, à deviner dřavance ;<br />

Vous me répondriez peut-être : Je le sais.<br />

Si je vous le disais, quřune douce folie<br />

A fait de moi votre ombre, et mřattache à vos pas :<br />

Un petit air de doute et de mélancolie,<br />

Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ;<br />

Peut-être diriez-vous que vous nřy croyez pas.<br />

Si je vous le disais, que jřemporte dans lřâme<br />

Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :<br />

Un regard offensé, vous le savez, madame,<br />

Change deux yeux dřazur en deux éclairs de flamme ;<br />

Vous me défendriez peut-être de vous voir.<br />

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,<br />

Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ;<br />

Ninon, quand vous riez, vous savez quřune abeille<br />

Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ;<br />

Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.<br />

Mais vous ne saurez rien. - Je viens, sans rien en dire,<br />

Mřasseoir sous votre lampe et causer avec vous ;<br />

Votre voix, je lřentends ; votre air, je le respire ;<br />

Et vous pouvez douter, deviner et sourire,<br />

Vos yeux ne verront pas de quoi mřêtre moins doux.<br />

Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :<br />

Le soir, derrière vous, jřécoute au piano<br />

Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,<br />

Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses,<br />

Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.<br />

La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,<br />

Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,<br />

De mille souvenirs en jaloux je mřempare ;<br />

Et là, seul devant Dieu, plein dřune joie avare,<br />

Jřouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous.<br />

Jřaime, et je sais répondre avec indifférence ;<br />

Jřaime, et rien ne le dit ; jřaime, et seul je le sais ;<br />

Et mon secret mřest cher, et chère ma souffrance ;<br />

Et jřai fait le serment dřaimer sans espérance,<br />

Mais non pas sans bonheur ; - je vous vois, cřest assez.


Non, je nřétais pas né pour ce bonheur suprême,<br />

De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.<br />

Tout me le prouve, hélas ! jusquřà ma douleur même…<br />

Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,<br />

Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?<br />

20. Émile Nelligan, Devant deux portraits de ma mère<br />

Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien,<br />

Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille,<br />

Le front couleur de lys et le regard qui brille<br />

Comme un éblouissant miroir vénitien !<br />

Ma mère que voici n'est plus du tout la même ;<br />

Les rides ont creusé le beau marbre frontal ;<br />

Elle a perdu l'éclat du temps sentimental<br />

Où son hymen chanta comme un rose poème.<br />

Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi,<br />

Ce front nimbé de joie et ce front de souci,<br />

Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années.<br />

Mais, mystère du coeur qui ne peut s'éclairer !<br />

Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées !<br />

Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer !<br />

2<strong>1.</strong> Anna de Brancovan, comtesse de Noailles, Poème de l’amour<br />

Jadis je me sentais unique,<br />

Je vivais sous mes propres lois.<br />

Aujourd'hui j'échange avec toi<br />

La vie orageuse et mystique.<br />

Songe, à ce transfert magnifique !<br />

Par ce tendre appauvrissement<br />

Je n'ai plus rien qui soit vraiment<br />

Ma solitude et ma défense;<br />

Et même quand la nuit commence,<br />

Solitaire, avec le fardeau<br />

De ta vague et pesante absence,<br />

Le glissant enchevêtrement<br />

Des sombres cheveux sur mon dos<br />

N'appartient plus à mon repos,<br />

Mais me rattache à toi. - Je pense<br />

À ta suave bienfaisance,<br />

Quand tu jettes à demi-mot,


À travers la grâce et l'offense,<br />

Sur mon coeur bandé de sanglots,<br />

Un chant moins long que mon écho...<br />

2<strong>2.</strong> Anna de Brancovan, comtesse de Noailles, Poème de l’amour<br />

Je croyais que l'amour c'était toi seul. J'entends<br />

Soudain l'étrange et pur silence du printemps !<br />

Le soir n'arrive point à l'heure coutumière :<br />

Ce doux prolongement de rêveuse lumière<br />

Est comme un messager qui dans le drame accourt<br />

Et puis d'abord se tait. - Je croyais que l'amour<br />

C'était toi seul, avec, serrés sur ton visage,<br />

La musique, les cieux, les climats, les voyages.<br />

Mais plus énigmatique, et plus réelle aussi,<br />

Le doigt levé, ainsi que, Saint Jean, de Vinci,<br />

Écoutant je ne sais quelle immense nouvelle,<br />

L'heure, qui se maintient et lentement chancelle,<br />

Me fixe d'un regard où les siècles ont mis<br />

Le secret fraternel à mon esprit promis...<br />

Le vent s'essaye et tombe. Au loin un chien aboie.<br />

Toi qui fus la douleur dont j'avais fait ma joie,<br />

Toi par qui je portais, mendiant, un trésor,<br />

Qui fus mon choix soudain et pourtant mon effort,<br />

Toi que mon coeur vantait, en appelant sa chance<br />

Cette ardente, servile, oppressante souffrance<br />

De sentir tout mon être entravé par ton corps,<br />

Toi qui fus mon salut et mon péril extrême,<br />

Se, pourrait-il ce soir que, plus fort que toi-même,<br />

L'éternel univers fût vraiment ce que j'aime ?...<br />

23. Anna de Brancovan, comtesse de Noailles, Poème de l’amour<br />

Je ne veux pas souffrir du doute,<br />

Ni que tu m'épargnes, ni même<br />

Que, concevant combien je t'aime,<br />

Tu m'ac<strong>compagne</strong>s sur ma route.<br />

Quels efforts pourraient comprimer<br />

Ton ennui, ton désir, tes voeux ?<br />

Si quelqu'un te plaît, va l'aimer !<br />

Aborde ces yeux, ces cheveux,<br />

Dévaste ce nouveau visage,<br />

Goûte ce coeur riant ou sage,<br />

Cours vers ton allègre espérance !<br />

Tu connaîtras la différence


De la feinte et de la paresse<br />

D'avec mon incessante ivresse !<br />

- Un jour j'aurai ta préférence.<br />

Il n'est pour moi d'autre rivale<br />

Qu'une ardeur à la mienne égale !<br />

Qu'importe à mon coeur qui t'imprègne<br />

De sa tendre et secrète rage<br />

Qu'une femme que je dédaigne<br />

Puisse te plaire davantage !<br />

24. Renée Vivien, Sois Femme<br />

Très chère, sois plus femme encore, si tu veux<br />

Me plaire davantage et sois faible et sois tendre,<br />

Mêle avec art les fleurs qui parent tes cheveux,<br />

Et sache třincliner au balcon pour attendre.<br />

Ce quřil est de plus grave en un monde futile,<br />

Cřest dřêtre belle et cřest de plaire aux yeux surpris,<br />

Dřêtre la cime pure, et lřoasis, et lřîle,<br />

Et la vague musique au langage incompris.<br />

Quřun changeant univers se transforme en ta face,<br />

Que ta robe sřallie à la couleur du jour,<br />

Et choisis tes parfums avec un art sagace,<br />

Puisquřun léger parfum sait attirer lřamour.<br />

Immobile au milieu des jours, sois attentive<br />

Comme si tu suivais les méandres dřun chant,<br />

Allonge ta paresse à lřombre dřune rive,<br />

Etre sous les cyprès à lřombre du couchant.<br />

Sois lointaine, sois la Présence des ruines<br />

Dans les palais détruits où frisonne lřhiver,<br />

Dans les temples croulants aux ombres sibyllines,<br />

Et souffre de la mort du soleil sur la mer.<br />

Comme une dont on hait la race et quřon exile,<br />

Sois faible et parle bas, et marche avec lenteur.<br />

Expire chaque soir avec le jour fébrile,<br />

Agonise dřun bruit et meurs dřune senteur.<br />

Étant ainsi ce que mon rêve třaurait faite,<br />

Reçois de mon amour un hommage fervent,<br />

O toi qui sais combien le ciel est décevant<br />

Aux curiosités fébriles du poète !


Et je retrouverai dans ton unique voix,<br />

Dans le rayonnement de ton visage unique,<br />

Toute lřancienne pompe et lřancienne musique<br />

Et le tragique amour des reines dřautrefois.<br />

Tes beaux cheveux seront mon royal diadème,<br />

Mes sirènes dřhier chanteront dans ta voix.<br />

Tu seras tout ce que jřadorais autrefois,<br />

Toi seule incarneras lřamour divers que jřaime.<br />

25. Racine, Phèdre (Acte I, scène 3)<br />

Phèdre est tombée amoureuse d’Hippolyte, son beau-fils (c’est le fils de son mari Thésée, fils<br />

d’Égée et roi d’Athènes). Elle fait cet aveu à Œnone, sa nourrice et confidente…<br />

Phèdre<br />

Mon mal vient de plus loin. À peine au fils dřÉgée<br />

Sous les lois de lřhymen 2 je mřétais engagée,<br />

Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,<br />

Athènes me montra mon superbe ennemi.<br />

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;<br />

Un trouble sřéleva dans mon âme éperdue ;<br />

Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;<br />

Je sentis tout mon corps, et transir 3 et brûler.<br />

Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,<br />

Dřun sang quřelle poursuit tourments inévitables.<br />

Par des vœux assidus je crus les détourner :<br />

Je lui bâtis un temple, et pris soin de lřorner ;<br />

De victimes moi-même à toute heure entourée,<br />

Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.<br />

Dřun incurable amour remèdes impuissants !<br />

En vain sur les autels ma main brûlait lřencens :<br />

Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,<br />

Jřadorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,<br />

Même au pied des autels que je faisais fumer.<br />

Jřoffrais tout à ce dieu, que je nřosais nommer.<br />

Je lřévitais partout. Ô comble de misère !<br />

Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.<br />

Contre moi-même enfin jřosai me révolter :<br />

Jřexcitai mon courage à le persécuter.<br />

Pour bannir lřennemi dont jřétais idolâtre,<br />

Jřaffectai les chagrins dřune injuste marâtre ;<br />

Je pressai son exil, et mes cris éternels<br />

Lřarrachèrent du sein, et des bras paternels.<br />

Je respirais, Œnone. Et depuis son absence,<br />

Mes jours moins agités coulaient dans lřinnocence ;<br />

Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,<br />

De son fatal hymen je cultivais les fruits.<br />

Vaines précautions ! Cruelle destinée !


Par mon époux lui-même à Trézène amenée,<br />

Jřai revu lřEnnemi que jřavais éloigné :<br />

Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.<br />

Ce nřest plus une ardeur dans mes veines cachée :<br />

Cřest Vénus toute 4 entière à sa proie attachée.<br />

1 Famille.<br />

2 Mariage.<br />

3 Être saisi de froid.<br />

4 On marquait lřaccord au XVII e siècle.<br />

26. Racine, Phèdre (Acte II, scène 5)<br />

Après sa confession à Œnone, Phèdre déclare son amour à Hippolyte : elle évoque d'abord<br />

Thésée tel qu'il était quand il aborda en Crète, mais en reportant ce souvenir sur Hippolyte et<br />

substituant au couple Ariane-Thésée celui de Phèdre-Hippolyte :<br />

PHEDRE<br />

Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée.<br />

Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,<br />

Volage adorateur de mille objets divers,<br />

Qui va du Dieu des morts déshonorer la couche ;<br />

Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,<br />

Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,<br />

Tel qu'on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous vois.<br />

Il avait votre port, vos yeux, votre langage,<br />

Cette noble pudeur colorait son visage,<br />

Lorsque de notre Crète il traversa les flots,<br />

Digne sujet des vœux des filles de Minos.<br />

Que faisiez-vous alors ? Pourquoi sans Hyppolyte<br />

Des héros de la Grèce assembla-t-il l'élite ?<br />

Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors<br />

Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?<br />

Par vous aurait péri le monstre de la Crète,<br />

Malgré tous les détours de sa vaste retraite.<br />

Pour en développer l'embarras incertain,<br />

Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.<br />

Mais non, dans ce dessein je l'aurais devancée :<br />

L'amour m'en eût d'abord inspiré la pensée.<br />

C'est moi, Prince, c'est moi dont l'utile secours<br />

Vous eût du Labyrinthe enseigné les détours.<br />

Que de soins m'eût coûté cette tête charmante !<br />

Un fil n'eût point assez rassuré votre amante.<br />

Compagne du péril qu'il vous fallait chercher,<br />

Moi-même devant vous j'aurais voulu marcher ;<br />

Et Phèdre, au Labyrinthe avec vous descendue,<br />

Se serait avec vous retrouvée ou perdue.


[…]<br />

Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.<br />

Hé bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur.<br />

J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,<br />

Innocente à mes yeux je m'approuve moi-même,<br />

Ni que du fol amour qui trouble ma raison<br />

Ma lâche complaisance ait nourri le poison.<br />

Objet infortuné des vengeances célestes,<br />

Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.<br />

Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc<br />

Ont allumé le feu fatal à tout mon sang,<br />

Ces Dieux qui se sont fait une gloire; cruelle<br />

De séduire le cœur d'une faible mortelle.<br />

Toi-même en ton esprit rappelle le passé.<br />

C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.<br />

J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine.<br />

Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.<br />

De quoi m'ont profité mes inutiles soins ?<br />

Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.<br />

Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.<br />

J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.<br />

Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,<br />

Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.<br />

Que dis-je ? Cet aveu que je viens de te faire,<br />

Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?<br />

Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,<br />

Je te venais prier de ne le point haïr.<br />

Faibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime !<br />

Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi-même.<br />

Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour.<br />

Digne fils du héros qui t'a donné le jour,<br />

Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.<br />

La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !<br />

Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper.<br />

Voilà mon cœur. C'est là que ta main doit frapper.<br />

Impatient déjà d'expier son offense,<br />

Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.<br />

Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,<br />

Si ta haine m'envie un supplice si doux,<br />

Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée,<br />

Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.<br />

Donne.<br />

27. Pierre Corneille, Rodogune (Acte II, scène 1)<br />

Cléopâtre<br />

395 Serments fallacieux, salutaire contrainte,<br />

Que mřimposa la force et quřaccepta ma crainte,


Heureux déguisements dřun immortel courroux,<br />

Vains fantômes dřÉtat, évanouissez-vous !<br />

Si dřun péril pressant la terreur vous fit naître,<br />

400 Avec ce péril même il vous faut disparaître,<br />

Semblables à ces vœux 1 dans lřorage formés,<br />

Quřefface un prompt oubli quand les flots sont calmés.<br />

Et vous 2 , quřavec tant dřart cette feinte a voilée,<br />

Recours des impuissants, haine dissimulée,<br />

Digne vertu des rois, noble secret de cour,<br />

Éclatez, il est temps, et voici notre jour.<br />

Montrons-nous toutes deux, non plus comme sujettes,<br />

Mais telle que je suis et telle que vous êtes.<br />

Le Parthe est éloigné, nous pouvons tout oser :<br />

410 nous nřavons rien à craindre et rien à déguiser ;<br />

Je hais, je règne encor. Laissons dřillustres marques<br />

En quittant, sřil le faut, ce haut rang des monarques :<br />

Faisons-en avec gloire un départ éclatant,<br />

Et rendons-le funeste à celle qui lřattend.<br />

Cřest encor, cřest encor cette même ennemie<br />

Qui cherchait ses honneurs dedans mon infamie,<br />

Dont la haine à son tour croit me faire la loi,<br />

Et régner par mon ordre et sur vous et sur moi.<br />

Tu mřestimes bien lâche, imprudente rivale,<br />

420 Si tu crois que mon cœur jusque-là se ravale,<br />

Quřil souffre quřun hymen quřon třa promis en vain<br />

Te mette ta vengeance et mon sceptre à la main.<br />

Vois jusquřoù mřemporta lřamour du diadème ;<br />

Vois quel sang il me coûte, et tremble pour toi-même :<br />

Tremble, te dis-je ; et songe, en dépit du traité,<br />

426 Que pour třen faire un don je lřai trop acheté.<br />

1 Prières.<br />

2 Cléopâtre sřadresse à sa haine.<br />

28. Georges Feydeau, La <strong>petite</strong> révoltée (extrait n°1)<br />

Ah ! cřest trop fort ! je suis en rage !<br />

Me traiter de cette façon !<br />

Vous figurez-vous quřà mon âge,<br />

Maman me chasse du salon !<br />

Oui, cřest le mot ! maman me chasse<br />

Sans crainte de mřhumilier.<br />

Mais à la fin, cela mřagace,<br />

Et je suis lasse de plier !<br />

Je suis une bonne nature,<br />

Je patiente, mais… tout doux !<br />

Il ne faut pas que cela dure<br />

Ou je me fâche, voyez-vous !<br />

Enfin, à vous tous jřen appelle !<br />

Nřai-je pas raison franchement ?


Me voici grande demoiselle :<br />

Pourquoi me traiter en enfant ?<br />

Ce quřon mřa fait, cřest une honte,<br />

Cřest une atteinte à mon honneur !<br />

Je sens le rouge qui me monte.<br />

Mais lřon verra si jřai du cœur !…<br />

Tantôt à la porte lřon sonne,<br />

ŕ Jřétais avec mère au salon -<br />

Et soudain, voilà que la bonne<br />

Annonce : « Monsieur Montalon ! »<br />

« Monsieur Montalon ! fait ma mère,<br />

Vite, fillette, viens třasseoir,<br />

Et tiens-toi bien, car cřest le père<br />

Du jeune homme de lřautre soir ! »<br />

« Et tiens-toi bien, car cřest le père<br />

Du jeune homme de lřautre soir ! »<br />

Pourquoi me dit-elle ça, mère ?<br />

Quel rapport ça peut-il avoir ?<br />

Enfin monsieur Montalon entre…<br />

Si vous saviez comme il est fait !<br />

Vieux, chauve, petit, un gros ventre !<br />

Non, je nřai rien vu de si laid !<br />

Et pourtant, le fils, ce me semble,<br />

Du père est le portrait frappant !<br />

Cřest drôle que lřon se ressemble,<br />

Et que lřon soit si différent !<br />

Car le fils, ne vous en déplaise,<br />

Est vraiment un joli garçon<br />

Mais je mřétonne quřil me plaise,<br />

Quand je vois monsieur Montalon.<br />

Bref, quand maman, selon lřusage,<br />

Eut fait la présentation,<br />

Je le vois qui me dévisage,<br />

Avec grande obstination !<br />

Je me sentais embarrassée,<br />

Et cela se comprend vraiment !<br />

Se voir ainsi dévisagée,<br />

Je vous assure, cřest gênant !<br />

Lorsquřil mřeut bien considérée,<br />

Le vieux réfléchit un instant<br />

Puis, dřune voix très altérée,<br />

Dit en sřadressant à maman :<br />

« Ah ! mademoiselle est charmante,<br />

Madame, et jřai certain projet<br />

Dont vous serez ma confidente…<br />

Je veux vous parler en secret ! »<br />

[...]


29. Georges Feydeau, La <strong>petite</strong> révoltée (extrait n°2)<br />

[…]<br />

Non, mais que peuvent-ils bien faire ?<br />

Ce vieux est des plus indiscrets<br />

De tenir si longtemps ma mère<br />

Pour lui raconter ses secrets.<br />

Que peut-il avoir à lui dire ?<br />

Cela mřintrigue franchement !<br />

Sřil voulait que je me retire,<br />

Cřest que cřétait intéressant !<br />

Si jřécoutais par la serrure ?…<br />

Quoi ! cřest un moyen excellent.<br />

Chez les femmes, je vous assure<br />

Que tout le monde en fait autant<br />

…<br />

Ah ! mon Dieu ! que viens-je dřentendre ?<br />

« Cher monsieur, ma fille est à vous ! »<br />

Non… ce nřest pas… jřai cru comprendre…<br />

Monsieur Montalon ! mon époux !<br />

Quoi ! moi, je deviendrais la femme<br />

De cette vieille antiquité !<br />

Non, par exemple, je réclame,<br />

Jřai ma <strong>petite</strong> volonté.<br />

Donc, maintenant lřon me marie<br />

Sans seulement me consulter ?<br />

Ah ! cřest trop fort ! quelle infamie !<br />

Je finis par me révolter.<br />

A quoi peut bien penser ma mere<br />

De me donner un tel mari !<br />

Il est au moins… quinquagénaire !<br />

Vraiment cřest un joli parti !<br />

Enfin me voyez-vous : « madame<br />

Montalon ! » Quel nom singulier !<br />

Ce serait beau pour une femme !<br />

Cřest un vrai nom de cordonnier !<br />

Oh ! tout nřira pas de la sorte<br />

Et je lutterai sřil le faut !<br />

Je ne crains rien, moi, je suis forte,<br />

Il faudra me prendre dřassaut !<br />

Elle écoute à la porte.<br />

« … Je puis répondre de ma fille,<br />

Car je sais quřelle aime Gaston,<br />

Et je suis aise, en ma famille<br />

De voir entrer un Montalon !… »<br />

Hein ! quoi !… ce nřétait pas le père !<br />

Cřétait donc moi qui me trompais !<br />

Est-ce bien possible ! oh ! ma mère,<br />

Comme je te calomniais !


Oui, tu dis bien, Gaston, je lřaime,<br />

ŕ Je puis lřavouer entre nous -<br />

Pour lui mon amour est extreme<br />

Et je le rêvais pour époux !<br />

Enfin, je vais être sa femme !<br />

Lřon mřappellera : « Montalon ! »<br />

Non, voyez-vous, ce que je blâme,<br />

Cřest quřil ait un si vilain nom !<br />

… Mais bah ! les noms cela se change,<br />

On nřa quřà mettre un « de » devant.<br />

« Montalon » tout court, cřest étrange,<br />

Mais « de Montalon » cřest charmant !<br />

Enfin je vais être madame,<br />

Et je vais épouser Gaston !<br />

Ma foi, je nřy tiens plus… et dame !<br />

Tant pis, je retourne au salon.<br />

Fausse sortie.<br />

Mesdames ! avant que je sorte,<br />

Un conseil dans lřintimité :<br />

Nřécoutez jamais à la porte,<br />

Ce nřest pas un bon procédé !<br />

Ou bien alors, je vous propose<br />

De bien écouter… jusquřau bout !<br />

Car, à se tromper lřon sřexpose,<br />

Si lřon nřa pas entendu tout !<br />

30. Racine, Andromaque (Acte V, scène 1)<br />

HERMIONE, seule.<br />

Où suis-je? Qu'ai-je fait? Que dois-je faire encore?<br />

Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore?<br />

1395 Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais.<br />

Ah! Ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais?<br />

Le cruel! De quel œil il m'a congédiée!<br />

Sans pitié, sans douleur au moins étudiée.<br />

L'ai-je vu se troubler et me plaindre un moment?<br />

1400 En ai-je pu tirer un seul gémissement?<br />

Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,<br />

Semblait-il seulement qu'il eût part à mes larmes?<br />

Et je le plains encore! Et, pour comble d'ennui,<br />

Mon cœur, mon lâche cœur s'intéresse pour lui<br />

1405 Je tremble au seul penser du coup qui le menace,<br />

Et, prête à me venger, je lui fais déjà grâce.<br />

Non, ne révoquons point l'arrêt de mon courroux :<br />

Qu'il périsse! Aussi bien il ne vit plus pour nous.<br />

Le perfide triomphe et se rit de ma rage<br />

1410 Il pense voir en pleurs dissiper cet orage;


Il croit que, toujours faible et d'un cœur incertain,<br />

Je parerai d'un bras les coups de l'autre main.<br />

Il juge encor de moi par mes bontés passées.<br />

Mais plutôt le perfide a bien d'autres pensées.<br />

1415 Triomphant dans le temple, il ne s'informe pas<br />

Si l'on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas.<br />

Il me laisse, l'ingrat! Cet embarras funeste.<br />

Non, non, encore un coup : laissons agir Oreste.<br />

Qu'il meure, puisqu'enfin il a dû le prévoir,<br />

1420 Et puisqu'il m'a forcée enfin à le vouloir.<br />

A le vouloir? Hé quoi! C'est donc moi qui l'ordonne?<br />

Sa mort sera l'effet de l'amour d'Hermione?<br />

Ce prince, dont mon cœur se faisait autrefois<br />

Avec tant de plaisir redire les exploits,<br />

1425 A qui même en secret je m'étais destinée<br />

Avant qu'on eût conclu ce fatal hyménée,<br />

Je n'ai donc traversé tant de mers, tant d'États,<br />

Que pour venir si loin préparer son trépas,<br />

L'assassiner, le perdre? Ah! Devant qu'il expire...<br />

3<strong>1.</strong> Victor Hugo, Ruy Blas (Acte II, scène 2)<br />

La Reine, seule.<br />

À ses dévotions ? Dis donc à sa pensée !<br />

Où la fuir maintenant ? Seule ! Ils m'ont tous laissée.<br />

Pauvre esprit sans flambeau dans un chemin obscur !<br />

Rêvant.<br />

Oh ! Cette main sanglante empreinte sur le mur !<br />

Il s'est donc blessé ? Dieu ! Ŕ mais aussi c'est sa faute.<br />

Pourquoi vouloir franchir la muraille si haute ?<br />

Pour m'apporter les fleurs qu'on me refuse ici,<br />

Pour cela, pour si peu, s'aventurer ainsi !<br />

C'est aux pointes de fer qu'il s'est blessé sans doute.<br />

Un morceau de dentelle y pendait. Une goutte<br />

De ce sang répandu pour moi vaut tous mes pleurs.<br />

S'enfonçant dans sa rêverie.<br />

Chaque fois qu'à ce banc je vais chercher les fleurs,<br />

Je promets à mon Dieu, dont l'appui me délaisse,<br />

De n'y plus retourner. J'y retourne sans cesse.<br />

Ŕ Mais lui ! Voilà trois jours qu'il n'est pas revenu<br />

Ŕ Blessé ! Ŕ Qui que tu sois, ô jeune homme inconnu<br />

Toi qui, me voyant seule et loin de ce qui m'aime,<br />

Sans rien me demander, sans rien espérer même,<br />

Viens à moi, sans compter les périls où tu cours ;<br />

Toi qui verses ton sang, toi qui risques tes jours<br />

Pour donner une fleur à la reine d'Espagne ;<br />

Qui que tu sois, ami dont l'ombre m'ac<strong>compagne</strong>,<br />

Puisque mon cœur subit une inflexible loi,


Sois aimé par ta mère et sois béni par moi !<br />

Vivement et portant la main à son cœur.<br />

Ŕ Oh ! Sa lettre me brûle !<br />

Retombant dans sa rêverie.<br />

Et l'autre ! L'implacable<br />

Don Salluste ! Le sort me protège et m'accable.<br />

En même temps qu'un ange, un spectre affreux me suit ;<br />

Et, sans les voir, je sens s'agiter dans ma nuit,<br />

Pour m'amener peut-être à quelque instant suprême,<br />

Un homme qui me hait près d'un homme qui m'aime.<br />

L'un me sauvera-t-il de l'autre ? Je ne sais.<br />

Hélas ! Mon destin flotte à deux vents opposés.<br />

Que c'est faible, une reine, et que c'est peu de chose !<br />

Prions.<br />

Elle s'agenouille devant la madone.<br />

Ŕ Secourez-moi, madame ! Car je n'ose<br />

É lever mon regard jusqu'à vous !<br />

Elle s'interrompt.<br />

Ŕ Ô mon Dieu !<br />

La dentelle, la fleur, la lettre, c'est du feu !<br />

Elle met la main dans sa poitrine et en arrache une lettre froissée, un bouquet desséché de<br />

<strong>petite</strong>s fleurs bleues et un morceau de dentelle taché de sang qu'elle jette sur la table ; puis<br />

elle retombe à genoux.<br />

Vierge, astre de la mer ! Vierge, espoir du martyre !<br />

Aidez-moi ! Ŕ<br />

S'interrompant.<br />

Cette lettre !<br />

Se tournant à demi vers la table.<br />

Elle est là qui m'attire.<br />

S'agenouillant de nouveau.<br />

Je ne veux plus la lire ! Ŕ ô reine de douceur !<br />

Vous qu'à tout affligé Jésus donne pour soeur !<br />

Venez, je vous appelle ! Ŕ<br />

Elle se lève, fait quelques pas vers la table, puis s'arrête, puis enfin se précipite sur la lettre,<br />

comme cédant à une attraction irrésistible.<br />

Oui, je vais la relire<br />

Une dernière fois ! Après, je la déchire !<br />

Avec un sourire triste.<br />

Hélas ! Depuis un mois je dis toujours cela.<br />

Elle déplie la lettre résolument et lit.<br />

" Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là<br />

Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;<br />

Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ;<br />

Qui pour vous donnera son âme, s'il le faut ;<br />

Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. "<br />

Elle pose la lettre sur la table.<br />

Quand l'âme a soif, il faut qu'elle se désaltère,<br />

Fût-ce dans du poison !<br />

Elle remet la lettre et la dentelle dans sa poitrine.<br />

Je n'ai rien sur la terre.


Mais enfin il faut bien que j'aime quelqu'un, moi !<br />

Oh ! s'il avait voulu, j'aurais aimé le roi.<br />

Mais il me laisse ainsi Ŕ seule Ŕ d'amour privée.<br />

La grande porte s'ouvre à deux battants. Entre un huissier de chambre, en grand costume.<br />

3<strong>2.</strong> Pierre Corneille, L'illusion comique (Acte III, scène 4)<br />

Lyse:<br />

L'ingrat ! Il trouve enfin mon visage charmant,<br />

Et pour se divertir il contrefait l'amant !<br />

Qui néglige mes feux m'aime par raillerie,<br />

Me prend pour le jouet de sa galanterie,<br />

Et par un libre aveu de me voler sa foi,<br />

Me jure qu'il m'adore, et ne veut point de moi.<br />

Aime en tous lieux, perfide, et partage ton âme ;<br />

Choisis qui tu voudras pour maîtresse ou pour femme ;<br />

Donne à tes intérêts à ménager tes voeux ;<br />

Mais ne crois plus tromper aucune de nous deux.<br />

Isabelle vaut mieux qu'un amour politique,<br />

Et je vaux mieux qu'un coeur où cet amour s'applique.<br />

J'ai raillé comme toi, mais c'était seulement<br />

Pour ne t'avertir pas de mon ressentiment.<br />

Qu'eût produit son éclat, que de la défiance ?<br />

Qui cache sa colère assure sa vengeance ;<br />

Et ma feinte douceur prépare beaucoup mieux<br />

Ce piège où tu vas choir, et bientôt, à mes yeux.<br />

Toutefois qu'as-tu fait qui te rende coupable ?<br />

Pour chercher sa fortune est-on si punissable ?<br />

Tu m'aimes, mais le bien te fait être inconstant :<br />

Au siècle où nous vivons, qui n'en ferait autant ?<br />

Oublions des mépris où par force il s'excite,<br />

Et laissons-le jouir du bonheur qu'il mérite.<br />

S'il m'aime, il se punit en m'osant dédaigner,<br />

Et si je l'aime encor, je le dois épargner.<br />

Dieux ! à quoi me réduit ma folle inquiétude,<br />

De vouloir faire grâce à tant d'ingratitude ?<br />

Digne soif de vengeance, à quoi m'exposez-vous,<br />

De laisser affaiblir un si juste courroux ?<br />

Il m'aime, et de mes yeux je m'en vois méprisée !<br />

Je l'aime, et ne lui sers que d'objet de risée !<br />

Silence, amour, silence : il est temps de punir ;<br />

J'en ai donné ma foi : laisse-moi la tenir.<br />

Puisque ton faux espoir ne fait qu'aigrir ma peine,<br />

Fais céder tes douceurs à celles de la haine :<br />

Il est temps qu'en mon coeur elle règne à son tour,<br />

Et l'amour outragé ne doit plus être amour.


33. Georges Rodenbach, Litanies d’amour<br />

Je lui disais souvent : vous êtes ma Madone<br />

Et mon âme est un lis dřargent que je vous donne.<br />

Jřai pleuré mes péchés comme font les pécheurs<br />

Et je suis maintenant digne de vos blancheurs.<br />

Jřai le ferme propos, le propos salutaire<br />

De ne plus retomber en péché volontaire.<br />

Je ne veux plus aimer dřautre vierge que vous<br />

Et je suis lřenfant de chœur qui vous sert à genoux,<br />

Je suis lřenfant de chœur qui passe, qui sřincline<br />

Sous votre souvenir vêtu de mousseline.<br />

Quelque fois je vous donne, et cela mřest charmant,<br />

Des noms de litanie avec recueillement.<br />

Je voudrais bien encore appuyer sur les pointes<br />

De vos souliers brodés, appuyer mes mains jointes.<br />

Et jřenluminerai selon le rituel<br />

Un poème dřamour qui nous soit un missel,<br />

Un missel où, parmi de longues banderoles,<br />

Des strophes tout en fleurs ouvriront leurs corolles,<br />

Où vous verrez sous lřor fluide des ciels fins,<br />

Mes aveux prosternés comme des séraphins,<br />

Où je vous vêtirai dřune robe de moire<br />

Pour que le temps futur vous garde en sa mémoire,<br />

Et quřà vous voir si belle en des rameaux verts<br />

Sur le mystique autel quřauront bâti mes vers<br />

Dřautres hommes plus tard, ô ma vierge ingénue,<br />

Vous aiment comme moi sans vous avoir connue.<br />

34. Léopold Sédar Senghor, Oeuvres Poétiques (Extrait)<br />

Femme nue, femme noire<br />

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté<br />

J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux<br />

Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi,


Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné<br />

Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle<br />

Femme nue, femme obscure<br />

Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais<br />

lyrique ma bouche<br />

Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du<br />

Vent d'Est<br />

Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur<br />

Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée<br />

Femme noire, femme obscure<br />

Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux<br />

flancs des princes du Mali<br />

Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta<br />

peau.<br />

Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire<br />

A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains<br />

de tes yeux.<br />

Femme nue, femme noire<br />

Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel<br />

Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les<br />

racines de la vie.<br />

35. Chloe Douglas, Oh là là!<br />

La dame presque parfaite,<br />

est faite de perles énormes,<br />

et de lignes sophistiquées,<br />

et de mots économes.<br />

Elle se balance sur ses hanches de cuir,<br />

et sobrement polit ses bouts de doigts,<br />

sans renverser une seule goutte<br />

de son gobelet de champagne blanc.<br />

La dame presque parfaite,<br />

a une frange droite comme il faut,<br />

elle pratique une danse de soie<br />

autour de gens transparents.<br />

Dans ses étoffes bien coordonnées<br />

elle est raide dřambition,<br />

et son regard isolé<br />

trahit une larme épuisée.


La dame presque parfaite<br />

et Řtout comme il le fautř,<br />

pourtant, et ŘOh là làř,<br />

dans son sac à main,<br />

tout ce qui lui appartient !<br />

Et oui la dame presque parfaite,<br />

aux mouchoirs mouillés,<br />

et aux verres de bleuets,<br />

avec du mascara épais<br />

et une peau dorée.<br />

A lřintérieur de son sac à main,<br />

Son royaume secret en rouge brillant,<br />

une vie détériorée et presque vide,<br />

ŘOh là là !Ř elle regarde ses vers inachevés.<br />

36. Chloe Douglas, La paresse inspirée<br />

Une jeune fille nonchalante<br />

rêve au bout dřun chemin.<br />

Son visage de soie caresse le vent.<br />

Sans raison, ni idée<br />

elle frôle lřimpitoyable haie.<br />

Son doigt piqué dřun profond rouge,<br />

elle reste immobile sans alarme, ni amertume.<br />

Elle est hypnotisée par lřincroyable lumière,<br />

qui pénètre les érables avec toute sa vitalité.<br />

Comme une héroïne dřun conte lointain,<br />

elle commune avec la nature,<br />

elle chante sans fin.<br />

Capturée dans la chaleur<br />

rien ne va briser ce songe dřété.<br />

Et voilà quřarrive un changement,<br />

un chevalier sur son étalon blanc<br />

emporte sa muse à lřidée suivante.<br />

37. Marie Krysinska , Ève<br />

À Maurice Isabey.<br />

Ève au corps ingénu lasse de jeux charmants<br />

Avec les biches rivales et les doux léopards<br />

Goûte à présent le repos extatique,<br />

Sur la riche brocatelle des mousses.<br />

Autour dřelle, le silence de midi<br />

Exalte la pamoison odorante des calices,


Et le jeune soleil baise les feuillées neuves.<br />

Tout est miraculeux dans ce Jardin de Joie:<br />

Les branchages sřétoilent de fruits symboliques<br />

Rouges comme des cœurs et blancs comme des âmes;<br />

Les Roses dřAmour encore inécloses<br />

Dorment au beau Rosier;<br />

Les Lys premiers nés<br />

Balancent leurs fervents encensoirs<br />

Auprès<br />

Des chères coupes des Iris<br />

Où fermente le vin noir des mélancolies;<br />

Et le Lotus auguste rêve aux règnes futurs.<br />

Mais parmi les ramures,<br />

Cřest la joie criante des oiseaux;<br />

Bleus comme les flammes vives du Désir,<br />

Roses comme de chastes Caresses<br />

Ornés dřor clair ainsi que des Poèmes<br />

Et vêtus dřailes sombres comme les Trahisons.<br />

Ève repose,<br />

Et cependant que ses beaux flancs nus,<br />

Ignorants de leurs prodigieuses destinées,<br />

Dorment paisibles et par leurs grâces émerveillent<br />

La tribu docile des antilopes,<br />

Voici descendre des plus hautes branches<br />

Un merveilleux Serpent à la bouche lascive,<br />

Un merveilleux Serpent quřattire et tente<br />

La douceur magnétique de ces beaux flancs nus,<br />

Et voici que pareil à un bras amoureux,<br />

Il sřenroule autour<br />

De ces beaux flancs nus<br />

Ignorants de leurs prodigieuses destinées.<br />

38. François Coppée, La Mémoire<br />

Souvent, lorsque la main sur les yeux je médite,<br />

Elle mřapparaît, svelte et la tête <strong>petite</strong>,<br />

Avec ses blonds cheveux coupés courts sur le front.<br />

Trouverai-je jamais des mots qui la peindront,<br />

La chère vision que malgré moi jřai fuie ?<br />

Quřest auprès de son teint la rose après la pluie ?<br />

Peut-on comparer même au chant du bengali<br />

Son exotique accent, si clair et si joli ?<br />

Est-il une grenade entrřouverte qui rende<br />

Lřincarnat de sa bouche adorablement grande ?<br />

Oui, les astres sont purs, mais aucun, dans les cieux,<br />

Aucun nřest éclatant et pur comme ses yeux ;<br />

Et lřantilope errant sous le taillis humide<br />

Nřa pas ce long regard lumineux et timide.<br />

Ah ! devant tant de grâce et de charme innocent,


Le poète qui veut décrire est impuissant ;<br />

Mais lřamant peut du moins sřécrier : ŖSois bénie,<br />

O faculté sublime à lřégal du génie,<br />

Mémoire, qui me rends son sourire et sa voix,<br />

Et qui fais quřexilé loin dřelle, je la vois !ŗ<br />

39. Esther Granek, Les ménagères<br />

Au début de leur destin<br />

cřétait pourtant des filles bien.<br />

Elles sont entrées en fonction<br />

comme on entre en religion.<br />

Les ménagères.<br />

Autour dřelles elles font briller<br />

le parquet le bois le verre<br />

et secouent leur derrière<br />

en mouvemements bien cadencés.<br />

Les ménagères.<br />

Mais dans le lit conjugal<br />

elles sont catins cřest normal.<br />

Leur programme est bien fourni<br />

pour le jour et pour la nuit.<br />

Les ménagères.<br />

Leurs proportions corporelles<br />

sřavachissent avec les ans.<br />

Et de leurs pauvres cervelles<br />

on sourit depuis longtemps.<br />

Les ménagères.<br />

De la carne quřelles cuisinent<br />

elles ont bientôt pris la mine.<br />

De la poussière qui les ceint<br />

elles ont déjà pris le teint.<br />

Les ménagères.<br />

Rêvassant dans leurs torchons<br />

elles voyagent à leur façon<br />

et se disent quřavec le temps<br />

tout ira plus facilement.<br />

Les ménagères.<br />

Les vřlà au bout du rouleau.<br />

Elles sont usées jusquřaux os.<br />

Point dřstatue pour les héros.<br />

Et pour leurs droits cřest zéro.<br />

Les ménagères.<br />

Et cřest là leur Univers.<br />

Mais il y a une récompense :<br />

Grand cordon dřla Serpillière<br />

et un coup dřpied où je pense.<br />

Les ménagères.


Au début de leur destin<br />

cřétait pourtant des filles bien…<br />

40. Jacques Viallebesset, Le coeur d’une femme<br />

Je ne veux pas pour toi les déchirures des ronces<br />

Ni les étangs glauques des illusions ou lřon sřenfonce<br />

Efface de ton âme les noirs tourbillons<br />

Une étoile flamboie au milieu de ton front<br />

Abandonne les cauchemars au fond de leur nuit<br />

Lřamertume blême de la tristesse est un désert<br />

Je veux un ciel clair et des poitrines au cœur chantant<br />

Des poumons vibrant comme des arbres en plein vent<br />

Je ne veux pas pour toi lřombre portée de la souffrance<br />

Sur le pur visage embué de ton enfance<br />

Arraches de toi les barreaux de la cage<br />

Le fardeau de douleur est un trop lourd bagage<br />

La vie est là qui frémit et palpite dans là sève<br />

Chaude vie plus forte que les illusions<br />

Une vie jamais vécue voilà ce que je veux<br />

Où les oiseaux viennent chanter dans tes cheveux<br />

Je ne veux pas pour toi lřétendue du dérisoire<br />

Ni les lèvres murées par tant de pierres noires<br />

Tu as trop arpenté déjà les labyrinthes du malheur<br />

Pour quřenfin ton cœur soit parsemé de fleurs.<br />

4<strong>1.</strong> Robert Desnos, Lumière de mes nuits Youki<br />

Te souviens-tu des nuits où tu apparaissais<br />

Sur le rectangle clair des vitres de ma porte ?<br />

Où tu surgissais dans les ténèbres de ma maison<br />

Où tu třabattais sur mon lit comme un grand oiseau<br />

Fatigué de passer les océans et les plaines et les forêts.<br />

Te souviens-tu de tes paroles de salut<br />

Te souviens-tu de mes paroles de bienvenue<br />

de mes paroles dřamour ?<br />

Non, il ne třen souvient pas,<br />

On ne se souvient pas du présent, personne…<br />

Or, il est nuit,<br />

Tu surviens, tu arrives, tu třabats sur mon lit<br />

Je suis ton serviteur et ton défenseur soumis<br />

à ta loi et toi soumise à mon amour.<br />

Il est minuit il est midi<br />

Il est minuit et quart<br />

Il est minuit et demie<br />

Il est minuit à venir ou midi passé<br />

Il est midi sonnant<br />

Il est toujours midi sonnant pour mon amour


Pour notre amour<br />

Tout sonne tout frémit et tes lèvres<br />

Et sur mon lit tu třabats entre minuit<br />

et quatre heures du matin comme un grand albatros<br />

Échappé des tempêtes.<br />

4<strong>2.</strong> Robert Desnos, La belle que voilà<br />

quand lřâge aura flétri ces yeux et cette bouche<br />

quand trop de souvenirs alourdiront ce coeur<br />

quand il ne restera pour bercer dans sa couche<br />

ce corps aujourdřhui beau que des spectres moqueurs<br />

quand la poussière infecte en recouvrant les choses<br />

vêtira dřun linceul les désirs abolis<br />

quand lřamour plus fané quřen un livre une rose<br />

ne sera plus quřun nom sous des portraits pâlis<br />

quand il sera trop tard pour nřêtre plus cruelle<br />

quand lřécho des baisers et lřécho des serments<br />

Décroîtront comme un pas la nuit dans une ruelle<br />

ou le sifflet dřun train vers le noir firmament<br />

quand sur les seins pendants le ventre qui se ride<br />

Les mains aux doigts séchés durcies par les passions<br />

Et lasses dřessuyer trop de larmes acides<br />

Referont le bilan de leur dégradation<br />

Quand nul fard ne pourra mentir à ce visage<br />

Sřil se penche au miroir jadis trop complaisant<br />

Pour se désaltérer comme au lac dřun mirage<br />

Aux rêves du passé revécus au présent<br />

La belle que voilà restera belle encore<br />

Par la vertu dřun feu reflété constamment<br />

aux vitres dřun château dont les salles sonores<br />

seront hantées par ceux qui furent ses amants<br />

La belle que voilà ainsi quřune fontaine<br />

Dont le flot toujours pur sur les marbres disjoints<br />

Sřécoule en entraînant dřineffables sirènes<br />

Pour perdre sa splendeur ne renoncera point<br />

Rien ne disparaîtra des ciels qui se reflètent<br />

Malgré la peau fripée et malgré les reins plats<br />

Restera jalousée et présente à la fête<br />

Jeune éternellement la belle que voilà<br />

Tant de coeurs ont battu jadis à son attente


quřune flamme est enclose en ce corps sans raison<br />

quřindigne de ces feux elle reste éclatante<br />

Ainsi quřà lřincendie survivent les tisons.<br />

43. Raymond Queneau, Si tu t'imagines<br />

Si tu t'imagines<br />

si tu t'imagines<br />

fillette fillette<br />

si tu t'imagines<br />

xa va xa va xa<br />

va durer toujours<br />

la saison des za<br />

la saison des za<br />

saison des amours<br />

ce que tu te goures<br />

fillette fillette<br />

ce que tu te goures<br />

Si tu crois <strong>petite</strong><br />

si tu crois ah ah<br />

que ton teint de rose<br />

ta taille de guêpe<br />

tes mignons biceps<br />

tes ongles d'émail<br />

ta cuisse de nymphe<br />

et ton pied léger<br />

si tu crois <strong>petite</strong><br />

xa va xa va xa va<br />

va durer toujours<br />

ce que tu te goures<br />

fillette fillette<br />

ce que tu te goures<br />

les beaux jours s'en vont<br />

les beaux jours de fête<br />

soleils et planètes<br />

tournent tous en rond<br />

mais toi ma <strong>petite</strong><br />

tu marches tout droit<br />

vers sque tu vois pas<br />

très sournois s'approchent<br />

la ride véloce<br />

la pesante graisse<br />

le menton triplé<br />

le muscle avachi<br />

allons cueille cueille<br />

les roses les roses<br />

roses de la vie<br />

et que leurs pétales


soient la mer étale<br />

de tous les bonheurs<br />

allons cueille cueille<br />

si tu le fais pas<br />

ce que tu te goures<br />

fillette fillette<br />

ce que tu te goures.

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