Finistère Penn-Ar-Bed n° 107 (pdf - 4,16 Mo) - Conseil Général du ...

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07.07.2013 Views

© Y. Gladu Claire Bouteloup Mémoires engloutie 6 FINISTÈRE PENN-AR-BED I N°107 1978- 2008, trente ans pour un triste anniversaire : celui du naufrage du pétrolier Amoco Cadiz sur les roches de Portsall. Plus de 360 kilomètres de côtes souillées entre Le Conquet et Bréhat par la plus grande marée noire par échouement de pétrolier dans le monde (220 000 tonnes de brut). 30 ans après les faits, Claire Bouteloup, dans le cadre d’une thèse de doctorat, a entrepris de rassembler et d’analyser les réactions de la population, grâce à de nombreux entretiens. Une somme de témoignages que le Cedre lui a proposé de publier dans un livre, Amoco Cadiz, Mémoires Vives et qui surprend par la richesse des récits. La mémoire refait surface avec force détails et anecdotes… l Les réactions recueillies au cours de votre enquête démontrent, s’il en était besoin, combien la population est attachée à son territoire et à son environnement. Au moment du naufrage, en 1978, “de la souillure de la mer, au viol de l’identité culturelle bretonne”, l’atteinte provoquée par la catastrophe n’a pas été vécue de la même façon par tout le monde… L’environnement est l’axe d’analyse privilégié de mon travail. J’ai discuté avec une vingtaine de personnes et consulté la presse, des films, chansons, poèmes… afin de retrouver les dimensions humaines de ce dur “combat”. Comment est vécue la marée noire, ce qui mobilise ces maires, scientifiques, professionnels, etc., les valeurs

Dans ce procès de 14 ans, la notion de “dommage écologique” figurait parmi les revendications. En quoi était-elle différente du “préjudice écologique” qui a été reconnu pour la première fois dans le procès de l’Erika ? C’est une question un peu difficile, puisque je travaille encore dessus : c’est un des résultats attendus de ma thèse ! Il faut préciser que “dommage” et “préjudice” ont des significations précises en matière juridique : le préjudice est le résultat de la reconnaissance juridique du dommage. En matière d’environnement, on trouve deux types de préoccupations : défendre la nature et défendre des liens entre hommes et nature. En revanche, les conceptions de l’environnement mis en avant dans les revendications peuvent différer. Dans l’affaire Amoco, l’environnement est avant tout collectif et évoque d’un côté, une nature à part de l’homme (faune, écosystèmes), de l’autre, l’environnement d’une population attachée à un territoire. Dans l’affaire Erika, la dimension collective est bien présente, et généralisée à l’Humanité (la nature “patrimoine commun de l’humanité”, nécessaire à sa survie) et aux générations futures. Mais, de plus, un environnement vécu par les personnes de manière sensible, individuelle, intime qu’ils défendent, les ressorts affectifs, la manière dont ils s’y prennent pour se faire entendre et écouter ; les difficultés auxquelles ils doivent faire face et les choix qu’ils effectuent… Des professionnels de la mer, des élus, des riverains, des associatifs peuvent avoir des conceptions contrastées de l’environnement : l’environnement nature (faune, flore, habitats, écosystèmes) ; l’environnement territoire de vie d’une communauté (avec une forte dimension culturelle) ; l’environnement ressource et source d’activités d’une population ; l’environnement paysage et cadre de vie… Mais on revient toujours à l’importance que cet environnement à multiples facettes a pour ces hommes et ces femmes, individuellement et collectivement. Claire Bouteloup : “Ce recueil de témoignages est un retour d’expérience humain de revendications sociales et environnementales, avec leurs blessures, leurs colères, leurs indignations, leurs envies. Avec les objectifs, les essais, les contraintes, les échecs, les réussites.” apparaît. À ces diverses conceptions de l’environnement correspondent des évaluations économiques différentes… ou pas. Le travail sur les chaînes trophiques réalisé sur l’Amoco n’a pas été suivi dans l’affaire Erika. En revanche, plusieurs méthodes ont été proposées au procès : nous suivons la manière dont le juge les a saisies, comprises, acceptées… Les marées noires qui ont suivi, comme celle de l’Erika en 1999 ou celle du Prestige en 2002 ont montré que ces catastrophes étaient toujours possibles. La mobilisation s’organise différemment aujourd’hui ? Le risque zéro n’existe pas. Il s’agit de diminuer la probabilité d’occurrence et la gravité de l’impact. Pour ce qui est des mobilisations, à chaque marée noire semblent correspondre des personnages emblématiques, ceux qui se sont battus. À côté des associations d’environnement et des collectivités, on trouve des professionnels. En défendant leur activité, ils se retrouvent à défendre un environnement, un territoire, et deviennent médiatiquement des porte-parole des victimes : ce sont les ramasseurs de coquillages pour l’Aegean Sea, les paludiers pour l’Erika ; les mytiliculteurs et les ligneurs basques pour le Prestige. L’organisation du “combat” dépend de la marée noire, des victimes directes, mais aussi de la société touchée : il y a des territoires dans lesquels les associations sont de culture plus ou moins contestataire. Des territoires à identité plus ou moins fortement présente et revendiquée. Des habitudes et capacités à travailler ensemble ou pas (entre professionnels et associations par exemple). Sans compter que notre culture influe aussi sur notre manière de concevoir nos liens à l’environnement. Enfin, chaque mobilisation vise certains changements. Mais toutes se rejoignent sur le nécessaire renforcement de la prévention, que ce soit par réglementation en amont, punition dissuasive, etc. Le côté traumatique d’un tel accident en fait une opportunité d’action pour les “revendiquants” et fait pression sur les pouvoirs publics. Aussi, la législation évolue-t-elle un peu à chaque fois, aux niveaux national et européen, parfois international, vers davantage de contrôles, de préparation à la lutte… Et certains acteurs, qui ont montré leurs compétences dans le feu de l’action, sont parfois intégrés ensuite dans les dispositifs officiels. ■ , mais encore vives Amoco Cadiz, 1978 2008, Mémoires Vives Riche de nombreux témoignages enregistrés lors d’entretiens réalisés 3 ans après les faits, l’ouvrage passe d’abord en revue les suites directes du naufrage et les nombreuses réactions auxquelles il a donné lieu à grande échelle : les opérations de nettoyage, mais aussi le mouvement social qui a émergé. Un second volet focalise sur la dynamique du combat engagé par les maires. Un troisième volet s’intéresse aux initiatives des scientifi ques universitaires et des associations naturalis- tes ayant apporté leurs contributions au combat des élus. ■ w 160 pages – Edité au Centre de documentation , de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre) – 715 rue Alain Colas – 29218 Brest cedex 2 tél. 02 98 33 10 10 – courriel : contact@cedre.fr - site : www.cedre.fr N°107 I FINISTÈRE PENN-AR-BED 7

Dans ce procès de 14 ans, la notion<br />

de “dommage écologique” figurait<br />

parmi les revendications. En quoi<br />

était-elle différente <strong>du</strong> “préjudice<br />

écologique” qui a été reconnu pour<br />

la première fois dans le procès de<br />

l’Erika ?<br />

C’est une question un peu difficile,<br />

puisque je travaille encore dessus :<br />

c’est un des résultats atten<strong>du</strong>s de<br />

ma thèse ! Il faut préciser que “dommage”<br />

et “préjudice” ont des significations<br />

précises en matière juridique :<br />

le préjudice est le résultat de la reconnaissance<br />

juridique <strong>du</strong> dommage. En<br />

matière d’environnement, on trouve<br />

deux types de préoccupations : défendre<br />

la nature et défendre des liens<br />

entre hommes et nature. En revanche,<br />

les conceptions de l’environnement<br />

mis en avant dans les revendications<br />

peuvent différer. Dans l’affaire Amoco,<br />

l’environnement est avant tout<br />

collectif et évoque d’un côté, une<br />

nature à part de l’homme (faune,<br />

écosystèmes), de l’autre, l’environnement<br />

d’une population attachée à<br />

un territoire. Dans l’affaire Erika, la dimension<br />

collective est bien présente,<br />

et généralisée à l’Humanité (la nature<br />

“patrimoine commun de l’humanité”,<br />

nécessaire à sa survie) et aux générations<br />

futures. Mais, de plus, un environnement<br />

vécu par les personnes de<br />

manière sensible, indivi<strong>du</strong>elle, intime<br />

qu’ils défendent, les ressorts affectifs,<br />

la manière dont ils s’y prennent<br />

pour se faire entendre et écouter ; les<br />

difficultés auxquelles ils doivent faire<br />

face et les choix qu’ils effectuent…<br />

Des professionnels de la mer, des élus,<br />

des riverains, des associatifs peuvent<br />

avoir des conceptions contrastées de<br />

l’environnement : l’environnement<br />

nature (faune, flore, habitats, écosystèmes)<br />

; l’environnement territoire de<br />

vie d’une communauté (avec une forte<br />

dimension culturelle) ; l’environnement<br />

ressource et source d’activités<br />

d’une population ; l’environnement<br />

paysage et cadre de vie… Mais on revient<br />

toujours à l’importance que cet<br />

environnement à multiples facettes<br />

a pour ces hommes et ces femmes,<br />

indivi<strong>du</strong>ellement et collectivement.<br />

Claire<br />

Bouteloup :<br />

“Ce recueil de<br />

témoignages<br />

est un retour<br />

d’expérience<br />

humain de<br />

revendications<br />

sociales et<br />

environnementales,<br />

avec leurs<br />

blessures,<br />

leurs colères,<br />

leurs indignations,<br />

leurs<br />

envies. Avec<br />

les objectifs,<br />

les essais, les<br />

contraintes,<br />

les échecs, les<br />

réussites.”<br />

apparaît. À ces diverses conceptions<br />

de l’environnement correspondent<br />

des évaluations économiques différentes…<br />

ou pas. Le travail sur les chaînes<br />

trophiques réalisé sur l’Amoco n’a<br />

pas été suivi dans l’affaire Erika. En revanche,<br />

plusieurs méthodes ont été<br />

proposées au procès : nous suivons<br />

la manière dont le juge les a saisies,<br />

comprises, acceptées…<br />

Les marées noires qui ont suivi,<br />

comme celle de l’Erika en 1999 ou<br />

celle <strong>du</strong> Prestige en 2002 ont montré<br />

que ces catastrophes étaient toujours<br />

possibles. La mobilisation s’organise<br />

différemment aujourd’hui ?<br />

Le risque zéro n’existe pas. Il s’agit de<br />

diminuer la probabilité d’occurrence<br />

et la gravité de l’impact. Pour ce qui<br />

est des mobilisations, à chaque marée<br />

noire semblent correspondre des personnages<br />

emblématiques, ceux qui se<br />

sont battus. À côté des associations<br />

d’environnement et des collectivités,<br />

on trouve des professionnels. En défendant<br />

leur activité, ils se retrouvent<br />

à défendre un environnement, un<br />

territoire, et deviennent médiatiquement<br />

des porte-parole des victimes :<br />

ce sont les ramasseurs de coquillages<br />

pour l’Aegean Sea, les paludiers<br />

pour l’Erika ; les mytiliculteurs et les<br />

ligneurs basques pour le Prestige. L’organisation<br />

<strong>du</strong> “combat” dépend de la<br />

marée noire, des victimes directes,<br />

mais aussi de la société touchée : il<br />

y a des territoires dans lesquels les<br />

associations sont de culture plus ou<br />

moins contestataire. Des territoires à<br />

identité plus ou moins fortement présente<br />

et revendiquée. Des habitudes<br />

et capacités à travailler ensemble ou<br />

pas (entre professionnels et associations<br />

par exemple). Sans compter que<br />

notre culture influe aussi sur notre<br />

manière de concevoir nos liens à l’environnement.<br />

Enfin, chaque mobilisation<br />

vise certains changements. Mais<br />

toutes se rejoignent sur le nécessaire<br />

renforcement de la prévention, que<br />

ce soit par réglementation en amont,<br />

punition dissuasive, etc. Le côté traumatique<br />

d’un tel accident en fait une<br />

opportunité d’action pour les “revendiquants”<br />

et fait pression sur les<br />

pouvoirs publics. Aussi, la législation<br />

évolue-t-elle un peu à chaque fois,<br />

aux niveaux national et européen,<br />

parfois international, vers davantage<br />

de contrôles, de préparation à la lutte…<br />

Et certains acteurs, qui ont montré<br />

leurs compétences dans le feu de<br />

l’action, sont parfois intégrés ensuite<br />

dans les dispositifs officiels. ■<br />

, mais encore vives<br />

Amoco Cadiz, 1978<br />

2008, Mémoires Vives<br />

Riche de nombreux témoignages enregistrés<br />

lors d’entretiens réalisés 3 ans après les faits,<br />

l’ouvrage passe d’abord en revue les suites directes<br />

<strong>du</strong> naufrage et les nombreuses réactions<br />

auxquelles il a donné lieu à grande échelle : les<br />

opérations de nettoyage, mais aussi le mouvement<br />

social qui a émergé. Un second volet focalise sur la dynamique<br />

<strong>du</strong> combat engagé par les maires. Un troisième volet s’intéresse aux<br />

initiatives des scientifi ques universitaires et des associations naturalis-<br />

tes ayant apporté leurs contributions au combat des élus. ■<br />

w <strong>16</strong>0 pages – Edité au Centre de documentation , de recherche et d’expérimentations sur les<br />

pollutions accidentelles des eaux (Cedre) – 715 rue Alain Colas – 29218 Brest cedex 2<br />

tél. 02 98 33 10 10 – courriel : contact@cedre.fr - site : www.cedre.fr<br />

N°<strong>107</strong> I FINISTÈRE PENN-AR-BED 7

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