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minraii LE <strong>23</strong> SEPTEMBRE 19<strong>23</strong> • "»'» • miiiiiiiiimïiiiii niiiinmiiiniiinniiirauiiniinii 7 iiiiiiiiiiiiïiiiiiiiiiiiiniiiiin iiiiiiiHiiiniiiiiiiiniinniminiiimiiiiiiiiiiriiiiiii EXCELSIOR-DIMANCHE «iminai<br />
tu racontes pourquoi tu as causé toutes ces<br />
peines, pourquoi tu as tué ces gens, et pourquoi,<br />
enfin, tu as cheminé jusqu'ici pour réclamer la<br />
loi.<br />
Imber se leva faiblement et se dodelina en<br />
avant et en arrière. Il se mit à parler d'une voix<br />
basse et un peu grondante, mais Howkan<br />
l'interrompit.<br />
— Cet homme est un vieux fou, dit-il en<br />
anglais à l'homme au front carré. Sa conversation<br />
est stupide ; il parle comme un enfant.<br />
— Nous voulons entendre ses paroles qui<br />
ressemblent à celles d'un enfant, dit l'homme<br />
qui venait d'être interpellé. Et nous voulons<br />
les entendre, sans en perdre une seule, telles<br />
qu'elles sortiront de sa bouche. Comprenezvous<br />
?<br />
Howkan avait compris, et un éclair passa<br />
dans les yeux d'Imber, car il avait vu clairement<br />
le jeu du fils de sa sœur vis-à-vis du<br />
représentant de la loi.<br />
Et alors commença l'histoire épique d'un<br />
patriote endurci, qu'on aurait dû graver dans le<br />
bronze pour les générations futures.<br />
U<br />
* & A<br />
N étrange silence pesait sur la foule. Le<br />
juge au front carré prit sa tête dans ses<br />
mains et scruta son âme et celle de sa<br />
race. On entendait seulement les intonations<br />
graves d'Imber, alternant rythmiquement avec<br />
la voix perçante de l'interprète, et, de temps<br />
à autre, comme un glas, le juron obstiné de<br />
l'homme aux cheveux roux.<br />
— " Je suis Imber, de la tribu des Truites ".<br />
Ainsi commençait la traduction de Howkan.<br />
Sa barbarie innée reprenait ses droits et, à<br />
mesure qu'il se laissait gagner par le rythme et<br />
le timbre sauvage de l'histoire du vieil Indien,<br />
il perdait le vernis de civilisation acquis à la<br />
mission.<br />
" ... Mon père était un Otsbaok, un rude<br />
homme. Le soleil et l'allégresse réchauffaient<br />
la terre au temps de mon enfance. Les gens ne<br />
désiraient pas monts et merveilles, n'écoutaient<br />
pas l'appel de nouveaux besoins et les mœurs<br />
de leurs pères étaient les leurs. Les femmes<br />
trouvaient grâce aux yeux des jeunes hommes<br />
et ceux-ci les regardaient avec plaisir. Les<br />
bébés étaient suspendus aux seins des femmes,<br />
dont les maternités successives avaient élargi<br />
les hanches. Les hommes étaient des hommes,<br />
en ces temps-là. Dans la paix et l'abondance,<br />
dans la guerre comme dans la famine, ils<br />
restaient des hommes.<br />
" Il y avait alors beaucoup plus de poissons<br />
dans l'eau qu'aujourd'hui, et aussi plus de<br />
viande dans la forêt. Nos chiens étaient des<br />
loups, protégés par leurs peaux épaisses et<br />
endurcis au froid et à la tempête. Et il en était<br />
de même de nous, car nous ne redoutions ni<br />
l'un ni l'autre. Et quand les Pellys pénétrèrent<br />
dans notre terre, nous les tuâmes et laissâmes<br />
des nôtres. Parce que nous étions des hommes,<br />
nous autres de la tribu des Truites, et nos<br />
aïeux et nos pères avaient combattu contre les<br />
Pellys et fixé les limites de notre terre.<br />
" Un jour apparut le premier blanc. Il se<br />
traînait comme ça, sur les genoux et les mains,<br />
dans la neige. II avait la peau collée aux os.<br />
Aucun d'entre nous ne se rappelait avoir vu<br />
pareil homme, et nous nous demandions à<br />
quelle tribu il appartenait, et à quelle terre. Et<br />
il était faible, très faible, comme un petit<br />
enfant. Aussi nous lui offrîmes une place à notre<br />
feu, de chaudes fourrures pour se coucher et de<br />
la nourriture comme on en donne aux jeunes<br />
enfants.<br />
" 11 était accompagné d'un chien, trois fois<br />
plus gros que les nôtres, et très affaibli lui aussi.<br />
Ce chien avait un poil ras qui ne le garantissait<br />
pas du tout du froid, et la queue était à tel<br />
point gelée que le bout s'en détacha. Nous lui<br />
offrîmes à manger, à cet étrange animal, nous<br />
le fîmes s'étendre près du feu et nous le<br />
défendîmes contre nos chiens, qui autrement<br />
l'auraient massacré. Et, grâce à la viande d'élan<br />
et au saumon séché au soleil, l'homme et le<br />
chien reprirent leurs forces ; ils s'engraissèrent<br />
et se montrèrent arrogants. L'homme parlait<br />
haut.se moquait des vieux hommes et des jeunes<br />
et regardait les filles avec effronterie. Le chien<br />
se battit avec les nôtres et, malgré son poil ras<br />
• et sa mollesse, il en tua trois le même jour.<br />
" Quand nous posâmes à notre hôte des<br />
questions sur les gens de son pays, il répondit :<br />
" J'ai beaucoup de frères ', puis il fit entendre<br />
un rire qui sonnait faux. Une fois ses forces<br />
tout à fait revenues, il s'éloigna, et Noda, la<br />
fille du chef, le suivit.<br />
" Ce n'était que le commencement. Survint<br />
un second homme blanc, accompagné de chiens<br />
au poil ras, qu'il laissa derrière lui après son<br />
départ. 11 emmena six de nos plus forts chiens<br />
contre lesquels il avait troqué, avec Koo-So-<br />
Tee, le frère de ma mère, un pistolet merveilleux<br />
qui tirait six coups très rapides. Koo-So-<br />
Tee était déjà très fier. Ce fut bien autre chose<br />
lorsqu'il eut le pistolet. Il se moquait de nos<br />
flèches et de nos arcs. " Bon pour les femmes ",<br />
disait-il, et il partait à la rencontre de l'ours<br />
Ma flèche chanta dans l'air, tout droit, jusqu'à sa gorge, et il apprit ce que je voulais de lui. Le deuxième homme,<br />
qui tenait les pagaies à l'arrière, amenait son rifle à mi-épaule lorsque le premier ,de mes javelots le transperça.<br />
dent de chasser la " gueule chauve "au pistolet,<br />
mais, alors, comment aurions-nous pu le savoir,<br />
lui et nous ? Il marcha donc, très brave, contre<br />
l'ours et lui envoya six coups de feu très<br />
rapides. La gueule chauve ne fit que grogner<br />
et le broya dans son étreinte. Comme le contenu<br />
d'un œuf brisé, ou comme le miel qui coule<br />
du nid des abeilles, la cervelle de Koo-So-Tee<br />
dégoutta sur le sol. C'était un-bon chasseur, et<br />
il n'avait pas son pareil pour rapporter de la<br />
viande à sa squaw et à ses enfants. Sa mort<br />
nous fut sensible et nous fit penser que ce qui<br />
est bon pour les hommes blancs ne l'est pas<br />
pour nous. Et c'est la vérité : les blancs peuvent<br />
être nombreux et gras, mais leurs actes nous<br />
ont rendus rares et maigres.<br />
D ! autres blancs vinrent au cours des<br />
années et, séduits par l'argent et les présents,<br />
nos jetines hommes partirent avec eux. Parfois,<br />
ils revenaient avec d'étranges récits des dangers<br />
et fatigues qu'ils avaient encourus dans les<br />
terres au-delà des Pellys. Parfois aussi, on ne<br />
les revoyait plus. '<br />
"Et nous disions : s ils font aussi bon<br />
marché de leur «je, ces hommes blancs, c'est<br />
qu'ils en possèdent jilusieurs ; mais nous nous<br />
faisons rares, nous autres de la tribu des<br />
Truites, et les jeunes gens ne s'en iront plus.<br />
Ils continuèrent à nous abandonner ; les<br />
femmes s'y mirent aussi, et notre courroux<br />
ne connut plus de bornes.<br />
" 11 est vrai que nous mangions de la farine,<br />
du porc salé et que nous buvions du thé qui<br />
était un vrai délice ; seulement, quand nous ne<br />
pouvions nous en procurer, nous en souffrions,<br />
nous devenions avares de paroles et prodigues<br />
de colère. En sorte que nous finîmes par désirer<br />
avidement les choses que les blancs apportaient<br />
dans leur commerce. Le Commerce ! le<br />
: Commerce ! On n'entendait que ce mot-là !<br />
erizzly à gueule chauve, pistolet en main. Tout Un hiver, nous troquâmes notre viande contre<br />
r i 1 , il « i î<br />
le monde sait maintenant qu'il n'est pas pru- ' des pendules qui ne marchaient pas. des<br />
montres aux i ressorts brisés, des limes aux<br />
dents usées et des pistolets sans cartouches.<br />
Alors vint la famine. Nous nous retrouvâmes<br />
sans viande et vingt d'entre nous moururent<br />
avant le printemps.<br />
" Maintenant que nous sommes faibles ',<br />
disions-nous, " les Pellys vont fondre sur nous<br />
et renverser nos frontières. Mais de notre<br />
sort, les Pellys avaient eu leur part et ils étaient<br />
trop faibles pour nous attaquer. i<br />
" Mon père, Otsbaok, un rude homme, était<br />
devenu vieux et très sage. Il parla au chef :<br />
— Regarde ! nos chiens ne valent rien.<br />
Ils n'ont plus de force. Leurs fourrures<br />
épaisses s'en sont allées et ils meurent de froid<br />
sous le harnais. Allons au village et tuons-les<br />
Gardons seulement les chiennes-louves et<br />
avec les loups sâuvages de là forêt,' nous<br />
aurons des chiens poilus et solides.<br />
" On écouta ses paroles-. Et la Tribu des<br />
Truites fut renommée pour-ses chiens, qui<br />
n'avaient pas d'égaux dans le pays. Mais nous,<br />
les hommes, nous n étions pas renommés<br />
pour nous-mêmes. La fleur de nos jeunes<br />
gens et de nos femmes étaient partis avec les<br />
blancs, au hasard des pistes et des fleuves,<br />
vers des régions lointaines. Les jeunes gens<br />
revenaient parfois s asseoir pendant quelque<br />
temps à notre feu, mais leur langage et leurs<br />
manières étaient devenus grossiers. Ils absorbaient<br />
des mauvaises boissons, passaient de<br />
longs jours et de .longues nuits à jouer, le<br />
cœur plein d inquiétude, jusqu'au jour où,<br />
répondant à l'appel des blancs, ils repartaient<br />
avec eux vers des endroits inconnus. Ils<br />
avaient à jamais perdu l'honneur et le respect<br />
d'eux-mêmes. Ils raillaient les coutumes<br />
traditionnelles et riaient au nez des chefs et<br />
des shamans.<br />
"Aussi vrai que je le dis, nous autres,<br />
hommes de la tribu des Truites, nous étions<br />
devenus une race abâtardie. Nous vendions '<br />
nos chaudes fourrures et nos peaux pour du<br />
tabac, du whisky, des franfreiuches de coton<br />
sous lesquelles nous grelottions. La maladie<br />
de la toux s'abattit sur nous ; hommes et<br />
femmes, nous n'arrêtions pas de tousser et<br />
de transpirer durant les- longues nuits, et les<br />
chasseurs sur la piste crachaient du sang<br />
dans la neige. La bouche pleine de caillots,<br />
1s mouraient les uns après les autres. Les<br />
femmes portaient peud'eiifants, et ceux qu'elles<br />
mettaient au monde étaient débiles et sacrifiés<br />
d'avance à cette maladie.<br />
" Cependant — et voici où la chose devient<br />
étrange — les blancs viennent comme l'haleine<br />
de la mort ; tous leurs procédés conduisent<br />
à la mort : et ils ne meurent pas. A eux le<br />
whisky, le tabac, les chiens à poil ras ; à eux<br />
les nombreuses maladies, la toux et la bouche<br />
écumante de sang ; à eux, enfin, les pistolets<br />
qui tirent six coups très rapides et ne valent<br />
rien. Ces nombreux fléaux ne les empêchent<br />
pas d'engraisser, de prospérer, d'abattre une<br />
lourde main sur le monde entier et d'en fouler<br />
aux pieds les populations. Et leurs femmes<br />
sont délicates et fragiles comme de petits<br />
enfants, mais elles ne se brisent jamais et<br />
elles enfantent des hommes. Et de toute cette<br />
faiblesse, maladie et douceur, naissent la<br />
force, le pouvoir, l'autorité. Eux sont les<br />
diables, ou les dieux, suivant le cas. Je n'en<br />
sais rien. Que sais-je, moi, le vieil Imber de<br />
la tribu des Truites ?<br />
" Ainsi la viande dans la forêt diminua de<br />
plus en plus. C'est vrai : le fusil du blanc<br />
est sans pareil et tue à une très grande distance;<br />
mais, à quoi bon le fusil, lorsqu'il n'y a plus<br />
de viande à tuer? Aux jours de mon enfance,<br />
l'élan abondait sur chaque colline, et chaque<br />
année, le caribou venait par bandes innombrables.<br />
Mais, à présent, le chasseur a beau<br />
prendre la piste pendant dix jours, pas un<br />
élan ne réjouira sa vue, et le caribou familier<br />
n'a pas reparu. Je le répète : à quoi sert le<br />
fusil tuant à longue portée, quand il ne reste<br />
plus rien à tuer?<br />
" Et moi, Imber, je songeais à tout cela,<br />
tandis que je voyais les Truites et les Pellys,<br />
et toutes les tribus du pays, disparaître comme<br />
avait disparu la viande de la forêt. Je m'absorbai<br />
longtemps dans ces réflexions. Je pris conseil<br />
des shamans et des vieillards, tous hommes<br />
sages. Je m'écartai du village afin de ne pas<br />
être dérangé par ses bruits, et je ne mangeai<br />
pas de viande pour que le poids de mon ventre<br />
ne gênât pas mon ouïe et ma vue. Je m'assis<br />
de longues heures, sans dormir, dans la forêt,<br />
les yeux grands ouverts, les oreilles patiemment<br />
tendues, dans l'espoir du signe, du mot,<br />
qui allait peut-être venir. Et j'errai seul dans<br />
la nuit noire jusqu'à la berge du fleuve, où<br />
j'entendais les plaintes'du vent et les sanglots<br />
de l'eau. J'étais venu demander la sagesse aux<br />
ombres des vieux shamans, parmi les arbres<br />
et les choses mortes.<br />
" Et, à la fin, comme dans une vision, les<br />
chiens détestables à poil court s'approchèrent<br />
de moi et j'aperçus la voie à suivre. Par la<br />
sagesse d'Otsbaok, mon père, un rude homme,<br />
le sang de nos chiens-loups n'avait pas été<br />
souillé ; par suite, ils avaient conservé la chaleur<br />
de leur peau et la force au harnais. Je<br />
retournai donc au village et fis cette harangue<br />
aux hommes : " C'est une tribu, ces hommes<br />
blancs, dis-je. Une très grande tribu et sans<br />
doute ne reste-t-il plus de viande dans leur<br />
pays. Ils sont venus parmi nous dans l'intention<br />
de se faire une nouvelle patrie. Mais ils nous<br />
affaiblissent et nous périssons. Ce sont des<br />
gens très voraces. Déjà, ils nous ont supprimé<br />
notre viande et il serait bon, si nous voulons<br />
vivre, d'agir envers eux comme nous avons<br />
agi envers leurs chiens.<br />
E<br />
T je poursuivis mon discours. Je leur con-<br />
seillai la lutte. Les hommes de la tribu des<br />
Truites prêtaient tous l'oreille. Les uns<br />
disaient ceci, les autres cela, et d'aucuns parlaient<br />
de choses tout à fait en dehors et sans la<br />
moindre importance. Pas un n'eut le courage<br />
de réclamer des actes et la guerre. Laissant de<br />
côté les jeunes, mous comme l'eau et effrayés,<br />
je regardais les vieux hommes assis en silence,<br />
et je voyais, dans leurs yeux, des flammes<br />
aller et venir. Et plus tard, quand le village<br />
se fut endormi, et à l'insu de tous, j'attirai<br />
les vieux loin dans la forêt et leur parlai<br />
encore. Et alors nous fûmes tous d'accord.<br />
Nous évoquâmes les bons jours passés, notre<br />
terre libre ; les époques d'abondance, et la<br />
joie, et le soleil ; nous nous appelâmes frères<br />
et nous jurâmes d'observer le secret le plu3<br />
absolu : de nettoyer la terre de l'engeance<br />
malfaisante qui l'avait envahie. Nous étions<br />
des fous, c'est simple à voir, mais comment<br />
pouvions-nous le comprendre, nous autres,<br />
vieillards de la tribu des Truites ?<br />
" Et pour leur donner du cœur au ventre,<br />
j'accomplis le premier exploit. Je montai la<br />
garde sur le Yukon jusqu'à ce que je vis<br />
descendre la première pirogue. Deux hommes<br />
(Lire la suite page 15.)