Commodités et Latrines publiques - Apophtegme
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Paris mon village<br />
TABLEAU DE PARIS<br />
par Louis Sébastien Mercier<br />
Collection Bouquins, chez Robert Laffont<br />
Dans son “Tableau de Paris”, Louis Sébastien Mercier revient à plusieurs<br />
reprises sur l’état sanitaire de sa ville vers la fin du XVIIIe siècle.<br />
Voici deux de ces chapitres illustrés “hors-texte” !<br />
LATRINES PUBLIQUES<br />
Elles manquent à la ville. On est fort embarrassé dans ces rues populeuses, quand le besoin vous<br />
presse; il faut aller chercher un privé au hasard dans une maison inconnue. Vous tâtez aux<br />
portes <strong>et</strong> avez l’air d’un filou, quoique vous ne cherchiez point à prendre (35).<br />
Autrefois le jardin des Tuileries, le palais de nos rois, était un rendez-vous général. Tous les<br />
chieurs se rangeaient sous une haie d’ifs, <strong>et</strong> là ils soulageaient leurs besoins. Il y a des gens qui<br />
m<strong>et</strong>tent de la volupté à faire c<strong>et</strong>te sécrétion en plein air: les terrasses des Tuileries étaient<br />
inabordables par l’infection qui s’en exhalait. M. le comte d’Angiviller, en faisant arracher ces ifs, a<br />
dépaysé les chieurs qui venaient de loin tout exprès. On a établi des latrines <strong>publiques</strong>, où chaque<br />
particulier satisfait son besoin pour la pièce de deux sols; mais si vous vous trouvez au faubourg<br />
Saint-Germain, <strong>et</strong> que vos viscères soient relâchés, aurez-vous le temps d’aller trouver<br />
l’entrepreneur? L’un se précipite dans une allée sombre, <strong>et</strong> se sauve ensuite; <strong>et</strong> l’autre est obligé, au<br />
coin d’une borne, d’offenser la pudeur publique; tel autre se sert d’un fiacre ou d’une vinaigr<strong>et</strong>te; il<br />
transforme le siège de la voiture en siège d’aisance: ceux qui se sentent encore des jambes, courent<br />
à demi-courbés au bord de la rivière.<br />
Aujourd’hui les quais qui forment une promenade <strong>et</strong> qui sont un embellissement de la ville,<br />
révoltent également l’œil <strong>et</strong> l’odorat; il n’appartient peut-être qu’à un médecin de se promener de ces<br />
côtés-là: ce serait pour lui un véritable thermomètre des maladies régnantes; il saurait dans quelle<br />
saison de l’année les estomacs manquent de ton; <strong>et</strong> la malpropr<strong>et</strong>é publique tournerait du moins au<br />
profit du génie observateur.<br />
1
Vespasienne appelée “Tasse” par les Parisiens<br />
Promenade anecdotique au faubourg du Roule<br />
Mais les médecins sont devenus orgueilleux; ils ne<br />
regardent plus à la chaise percée; ils se moquent même<br />
des inspecteurs d’urine. Ils dédaignent avec hauteur<br />
une science nouvelle, longuement écrite <strong>et</strong> grandement<br />
caractérisée sur les quais de la capitale. C’est là où se<br />
réfléchit sans voile l’état de tous les ventres actifs <strong>et</strong><br />
passifs; <strong>et</strong> les médecins vont feuill<strong>et</strong>er les livres poudreux<br />
des bibliothèques, tandis qu’ils ont sous les yeux<br />
la vraie démonstration des épidémies, occasionnées<br />
par la nature des aliments, ou par l’inclémence de l’air.<br />
Et d’où vient ce dédain ? Autrefois ils étaient<br />
obligés de voir. On leur demandait plus encore. Voici<br />
les propres mots d’un règlement fait par Henri II:<br />
«Sur les plaintes (dit le roi) des héritiers des personnes<br />
décédées par la faute des médecins, il en sera informé<br />
<strong>et</strong> rendu justice comme de tout autre homicide, <strong>et</strong><br />
seront les médecins-mercenaires tenus de goûter les<br />
excréments de leurs patients, <strong>et</strong> de leur impartir toute<br />
autre sollicitude; autrement seront réputés avoir été<br />
cause de leur mort <strong>et</strong> décès.»<br />
Nous ne renvoyons pas les médecins au règlement<br />
de Henri II ; nous disons seulement qu’ils pourraient<br />
faire dans la capitale les observations les plus détaillées,<br />
les plus amples, les plus suivies, juger des formes<br />
<strong>et</strong> des similitudes, étudier enfin ces physionomies mortes, mais qui parlent encore. Si l’on établit quelque<br />
jour des latrines <strong>publiques</strong>, ils regr<strong>et</strong>teront peut-être alors la science expérimentale décédée, qui s’offrait<br />
pour les instruire; <strong>et</strong> si l’on marque dans le Journal de<br />
Paris la hauteur de la rivière, l’état du ciel, le vent, le degré<br />
du baromètre, pourquoi à ces observations météorologiques<br />
ne joindrait-on pas l’état des quais ?<br />
Les endroits où l’on a mis pour inscription: Défense,<br />
sous peine de punition corporelle, de faire ici ses<br />
ordures, sont justement ceux où se rendent les affairés.<br />
L’inscription, au lieu de les écarter, semble les inviter. Il<br />
ne faut qu’un exemple isolé pour amener trente compagnons.<br />
Tel est le résultat d’une immense population. Toute<br />
séance à table en exige une à la garde-robe; <strong>et</strong> puisqu’il<br />
y a des auberges <strong>publiques</strong>, pourquoi n’y a-t-il pas aussi<br />
des latrines?<br />
Les personnes les plus propres <strong>et</strong> les plus délicates,<br />
dont l’imagination est toujours fleurie, ne vivant point<br />
avec ces hommes impolis, qui satisfont grossièrement les<br />
besoins de nature, les repoussant même loin d’elles <strong>et</strong> de<br />
leur société, sont obligées néanmoins de communiquer<br />
par la vue avec ce qu’ils déposent en plein air. Les excré-<br />
ments du peuple avec leurs diverses configurations sont<br />
incessamment sous les yeux des duchesses, des marquises<br />
2<br />
Sanis<strong>et</strong>te modèle“Decaux”
<strong>Latrines</strong>, vespasiennes <strong>et</strong> autrées édicules<br />
<strong>et</strong> des princesses. O quelle moralité n’y aurait-il pas à faire là-dessus ! Mais, quel dommage! on ne lit<br />
plus Rabelais (39).<br />
Les femmes sur ce point sont plus patientes que les hommes; elles savent si bien prendre leurs<br />
mesures, que la plus dévergondée ne donne jamais le spectacle qu’offre en pleine rue l’homme réputé<br />
chaste. Les observations désirées des médecins, si un jour elles avaient lieu, ne pourraient déterminer,<br />
d’après la notoriété publique dont nous parlons, que les tempéraments masculins; il faudrait<br />
recourir ailleurs pour constater celui des femmes.<br />
Notes 1<br />
35. Constat parallèle chez Restif: « Les incongruités nocturnes « (177e Nuit). Sur l’évolution des mentalités <strong>et</strong> des habitudes<br />
dans ce domaine, voir Dominique Laporte, Histoire de la merde, Bourgois, 1978 <strong>et</strong> R.H. Guerrand, Les Lieux.<br />
Histoire des commodités. La Découverte, 1985. Voir aussi Les Nuits de Paris, Ire partie, note 46, <strong>et</strong> VIIIe partie, note 7.<br />
39. Allusion au treizième chapitre de Gargantua, « Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à<br />
l’invention d’un torchecul ». Le XVIII e siècle entérine en général le jugement de La Bruyère qui voit dans Rabelais « un<br />
monstrueux assemblage d’une morale fine <strong>et</strong> ingénieuse <strong>et</strong> d’une sale corruption ». Sabatier de Castres considère son<br />
succès parmi les hommes des lumières comme un succès de scandale: « Rabelais serait actuellement plongé dans l’oubli<br />
s’il n’eût pas passé toutes les bornes, moyen assuré d’entraîner la multitude <strong>et</strong> de paraître merveilleux aux esprits communs.<br />
» Mais les philosophes du XVIII e siècle sont lecteurs <strong>et</strong> amateurs de Rabelais. Voltaire cite le chapitre du torchecul<br />
<strong>et</strong> Diderot s’amuse à rédiger une l<strong>et</strong>tre au prince Galitsine dans «le ton de maître François Rabelais». Voir Richard<br />
Cooper, «Charmant mais très obscène: some French eighteenth-century readings of Rabelais», Enfightenment essays in<br />
memory of Robert Shakl<strong>et</strong>on, Oxford, 1988.<br />
“Feuillée” ou toil<strong>et</strong>tes collectives<br />
3
Promenade anecdotique au faubourg du Roule<br />
LATRINES<br />
(suite)<br />
Les trois quarts des latrines sont sales, horribles, dégoûtantes: les Parisiens, à c<strong>et</strong> égard, ont<br />
l’œil <strong>et</strong> l’odorat accoutumés aux sal<strong>et</strong>és. Les architectes, gênés par l’étroit emplacement des<br />
maisons, ont j<strong>et</strong>é leurs tuyaux au hasard, <strong>et</strong> rien ne doit plus étonner l’étranger, que de voir un<br />
amphithéâtre de latrines perchées les unes sur les autres, contiguës aux escaliers, à côté des portes,<br />
tout près des cuisines, <strong>et</strong> exhalant de toutes parts l’odeur la plus fétide.<br />
Les tuyaux trop étroits s’engorgent facilement; on ne les débouche pas; les matières fécales<br />
s’amoncellent en colonne, s’approchent du siège d’aisance; le tuyau surchargé crève; la maison est<br />
inondée; l’infection se répand, mais personne ne déserte: les nez parisiens sont aguerris à ces revers<br />
empoisonnés.<br />
Célèbre “Tasse” de Belleville<br />
Que ceux qui ont soin de leur santé, ne j<strong>et</strong>tent jamais leurs excréments chauds dans ces trous qu’on<br />
appelle latrines, <strong>et</strong> qu’ils n’aillent point offrir leur anus entr’ouvert à ces courants d’air pestilentiels<br />
(12); mieux vaudrait y m<strong>et</strong>tre la bouche, car l’acide de l’estomac les corrigerait. Plusieurs maladies<br />
prennent leur origine sur ces sièges dangereux, d’où s’exhalent des miasmes putrides qu’on fait<br />
entrer dans son corps. Les enfants ont horreur de ces trous infectés; ils croient que c’est là la route<br />
de l’enfer: telle était mon opinion dans mon enfance. Heureux les paysans! ils ne se vident qu’au<br />
soleil; ils sont frais <strong>et</strong> gaillards.<br />
4
Paris mon village<br />
Mais chers lecteurs, voulez-vous ne pas contracter de maladies gratuites? ne vous asseyez point<br />
sur ces trous abominables: si vous avez un jardin, que vos déjections se fassent en plein midi, aux<br />
rayons du soleil. Le soleil, par sa chaleur bénigne, leur communiquera un phogistique bienfaisant qui<br />
remontera dans vos entrailles; <strong>et</strong> vous, grossiers Parisiens, qui n’avez point de jardins, <strong>et</strong> qui vivez<br />
par étages les uns sur les autres, <strong>et</strong> sur des planchers composés de plâtre <strong>et</strong> de minces solives, videzvous<br />
dans un vase d’eau fraîche; les esprits animaux sont encore dans vos excréments: prenez garde,<br />
ceci est une loi physique. Raisonnez tout ce qui est du ressort de la santé: il y a une multitude de lois<br />
harmoniques. Eh! qui de vous voudrait m<strong>et</strong>tre ses excréments encore chauds sur un brasier ardent?<br />
Personne: il sentirait par instinct que le feu pourrait offenser ses entrailles. Eh bien! il en est de même<br />
<strong>Commodités</strong> romaines<br />
ici : fuyez, dans une opération journalière, ces cloaques, dont la malignité se resserre dans un tuyau<br />
prolongé, comme pour en redoubler le venin; fuyez ces couleurs fangeuses, ces odeurs rebutantes.<br />
Comment l’habitude a-t-elle pu émousser en vous c<strong>et</strong> instinct qui n’abandonne point les animaux, car<br />
aucun d’eux ne voudrait faire ce que vous faites? Parisiens, qui vivez avec les chats, qui aimez les<br />
5
<strong>Latrines</strong>, vespasiennes <strong>et</strong> autrées édicules<br />
chats, observez-les, <strong>et</strong> imitez leur propr<strong>et</strong>é: vous admirez bien<br />
leurs amours énergiques; pourquoi ne pas vous modeler sur la<br />
leçon de physique qu’ils vous donnent du haut des toits? Ils vont<br />
chercher l’air <strong>et</strong> le soleil, <strong>et</strong> puis, avec les pattes éparpillant la<br />
poussière, ils dérobent à l’œil ce qui doit être caché.<br />
On a trouvé l’art de désinfecter les fosses: c<strong>et</strong> appareil consiste<br />
en un fourneau de reverbères, au cendrier duquel est adapté un<br />
tuyau qui se prolonge dans la profondeur de la fosse, <strong>et</strong> en aspirant<br />
l’air méphitique qui y règne, il force l’air de l’atmosphère de le<br />
remplacer (13).<br />
La vidange des fosses, puits <strong>et</strong> puisards se fait encore <strong>et</strong> par des<br />
pompes anti-méphitiques, <strong>et</strong> par le procédé du ventilateur. Deux<br />
compagnies ont obtenu un privilège exclusif pour ce double procédé,<br />
<strong>et</strong> défense à toutes personnes de faire ladite vidange suivant<br />
l’ancienne méthode.<br />
Le méphitisme était un fléau endémique: il avait occasionné<br />
une foule de ravages dans la capitale; <strong>et</strong> comme il n’avait pas<br />
encore fixé l’attention des naturalistes, le gouvernement ne s’était<br />
pas encore occupé de ces Latrine moyen-âgeuse<br />
événements fâcheux. Les<br />
puits, les fosses, les latrines avaient coûté la vie à nombre<br />
d’infortunés: on les fermait, on les comblait, <strong>et</strong> les malheureux<br />
tombés en asphyxie étaient réputés morts, <strong>et</strong> l’enterrement<br />
suivait de près la léthargie.<br />
Ce n’est que depuis quelque temps qu’on a appliqué la<br />
vertu du feu, de c<strong>et</strong> agent heureux, <strong>et</strong> le plus puissant de tous,<br />
qui rend à l’air le ressort <strong>et</strong> l’activité.<br />
Ainsi les puits <strong>et</strong> les fosses, qui faisaient périr nombre de<br />
malheureuses victimes, sont purifiés aujourd’hui: la chimie a<br />
su découvrir les causes mortelles de l’asphyxie, <strong>et</strong> les a combattues<br />
avec succès. Des principes certains ont opéré la<br />
déméphitisation. On doit aux chimistes de la reconnaissance,<br />
car ils ont sauvé la vie à plusieurs qui auraient péri sans leurs<br />
secours. Le feu a la propriété de ramener tous les éléments à<br />
leur état de pur<strong>et</strong>é <strong>et</strong> d’homogénéité; c’est par ce moyen, tout<br />
à la fois si efficace <strong>et</strong> si simple, qu’on est parvenu à annihiler<br />
Latrine à Carcassonne<br />
le méphitisme.<br />
Notes 2<br />
12). Qu’ils aillent en revanche aux bains du sieur Alibert: « Là se trouve une douche curieuse, unique en Europe, une<br />
douche ascendante, au moyen de laquelle on peut se passer d’une seringue, car un j<strong>et</strong> d’eau en tient lieu, <strong>et</strong> par sa force<br />
rapide <strong>et</strong> ascensionnelle, forme un clystère perpétuel» (voir plus loin dans ce. tome XI) !<br />
13). L’Académie des sciences avait mis ce problème au concours en 1777 <strong>et</strong> avait reçu de nombreuses réponses: «<br />
Lavoisier préconise la désinfection des fosses par la chaux <strong>et</strong> l’acide muriatique. Boissieu suggère l’emploi du vitriol<br />
martial qui tend à absorber l’air puant <strong>et</strong> précipite les boues. Cad<strong>et</strong> de Vaux publie ses moyens efficaces pour neutraliser<br />
les émanations qui se substitueront au dispositif à souffl<strong>et</strong>s introduit en 1755 par la Compagnie du ventilateur. Il<br />
s’agissait en l’occurrence de rendre respirable l’air dans lequel travaillaient les ouvriers des vidanges» (Pierre Saddy,<br />
« Le cycle des immondices », Dix-huitième siècle, 9, 1977). Cad<strong>et</strong> de Vaux place un fourneau au somm<strong>et</strong> du conduit de<br />
ventilation. La compagnie prend le nom de Compagnie du ventilateur <strong>et</strong> des pompes anti-méphytiques.<br />
6
Paris mon village<br />
<strong>Latrines</strong> exotiques (Bengladesh) Apprentissage<br />
La célèbre “pisseuse” de Rouen<br />
Quelques étapes<br />
dans le très noble art<br />
d’uriner,<br />
déféquer,<br />
pisser,<br />
lansquiner...<br />
<strong>Commodités</strong> Tasse : l’attente Édicule au Moyen-Age<br />
7
WC à la turque<br />
<strong>Latrines</strong> de village<br />
<strong>Latrines</strong>, vespasiennes <strong>et</strong> autrées édicules<br />
Du progrès<br />
dans l’art<br />
des<br />
chiottes,<br />
sanitaires,<br />
feuillées,<br />
édicules,<br />
WC,<br />
latrines,<br />
tasses<br />
<strong>et</strong><br />
autres<br />
méthodes<br />
hygièniques<br />
d’évacuer<br />
ses<br />
humeurs<br />
corporelles !<br />
8<br />
<strong>Latrines</strong> bibliques (Sinaï)<br />
<strong>Latrines</strong> de campagne<br />
Cim<strong>et</strong>ière de “Tasses” à l’abandon Urinoir
Paris mon village<br />
Chiottes “capitalistes”<br />
9
Dans la nature<br />
Promenade anecdotique au faubourg du Roule<br />
Chef-d’œuvre r<strong>et</strong>enu pour le Musée Jack Lang<br />
10<br />
En voyage d’agrément<br />
Sans paroles<br />
Organe indispensable
Paris mon village<br />
Mappemonde proposée pa Jack Lang pour faciliter l’accès des cancres à la géographie<br />
Remember... jusqu’où peut conduire l’idéologie<br />
11
Promenade anecdotique au faubourg du Roule<br />
Les porteurs de garde-robes<br />
Vers 1763, M. Gontran Peaupot, industriel dans le textile, avait soumis à M. de Laverdy,<br />
lieutenant de police, un proj<strong>et</strong> sans doute emprunté à Swift qui, dans son ouvrage intitulé Le<br />
grand mystère de méditer sur la Garde-Robe (1729), proposait de faire bâtir <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>enir des<br />
latrines <strong>publiques</strong> dans la cité de Londres.<br />
Le Français aussi voulait établir «des brou<strong>et</strong>tes à demeure, à différents coins de rues, où il y aurait<br />
des lun<strong>et</strong>tes qui se trouveraient prêtes à recevoir ceux que des besoins urgents presseraient tout à<br />
coup».<br />
C<strong>et</strong>te idée ne reçut pas l’accueil bienveillant auquel elle avait droit, car elle ne fut réalisée que huit<br />
ans plus tard, par un autre lieutenant de police: M. de Sartines fit disposer «des barils d’aisance à tous<br />
les coins de rues, pour prévenir les amendes <strong>et</strong> les punitions corporelles dont on est menacé chez tous<br />
les gens de crédit, qui ont l’inhumanité de défendre au public, de par le Roy, de satisfaire aux besoins<br />
naturels». (Le Gaz<strong>et</strong>ier cuirassé, 1771.)<br />
Les barils de M. de Sartines obtinrent un succès mérité; mais on trouva, non sans raison, qu’il<br />
n’avait pas songé à tout, <strong>et</strong> que sa pensée demandait à être complétée. Elle le fut vers 1780. «Un<br />
particulier imagina une garde-robe ployante; il se promenait dans les rues en robe de chambre, tenant<br />
sous son bras sa garde-robe; de temps en temps il criait: «Chacun sait ce qu’il a à faire!» <strong>et</strong> il faisait<br />
payer quatre sous par séance.<br />
C’est un procédé à peu près analogue dont M. de Cad<strong>et</strong> de Gassicourt fut témoin à Vienne, <strong>et</strong> qu’il<br />
décrit en ces termes: «Un usage fort bizarre consistait à entr<strong>et</strong>enir la propr<strong>et</strong>é dans les rues de Vienne.<br />
Quelques spéculateurs philanthropes avaient imaginé de se tenir près des places <strong>et</strong> des édifices<br />
publics, dans des lieux écartés, avec des seaux de bois couverts <strong>et</strong> un grand manteau. Le seau servait<br />
de siège, <strong>et</strong> le manteau, cerclé dans sa partie inférieure, s’éloignait assez du corps de celui qui le<br />
portait, pour perm<strong>et</strong>tre au client de se débarrasser sans être vu des vêtements particuliers qu’il devait<br />
écarter. Deux kreutzers étaient le prix de c<strong>et</strong>te location momentanée.»<br />
Malheureusement, les hommes n’ont jamais su apprécier le progrès. L’un de ces garde-robes<br />
pouvait bientôt dire:<br />
Avec un long manteau j’allais par c<strong>et</strong>te ville<br />
Et portais deux grands seaux où l’on pisse debout;<br />
Mais, voyant aujourd’hui que l’on peut chier partout,<br />
Je ne m’en mêle plus; l’office est inutile.<br />
Grégoire Varennes dans son amusant Journal d’un Coupeur de Têtes, publié à Londres, raconte<br />
comment la ravissante Justine de la Mole arrachée de son couvent à l’âge de quinze ans sauva sa tête<br />
<strong>et</strong> sa vertu en se m<strong>et</strong>tant au service de la Mildiou, ancienne harengère devenue mère maquerelle.<br />
C<strong>et</strong>te forte femme au verbe haut était protégée par un membre éminent du Comité du Salut Public<br />
auquel elle fournissait des filles.<br />
Justine souhaitant conserver son pucelage jusqu’à des jours meilleurs, supplia la matrone de<br />
l’utiliser auprès de ses relations haut placées comme «officière volante de garde-robe particulière».<br />
Sa mission, consistant à perm<strong>et</strong>tre à ses pratiques d’uriner ou de déféquer discrètement au cours<br />
de leurs déplacements, connut tant de succès, qu’elle devint en quelques mois une célébrité, <strong>et</strong> que<br />
nul haut-de-chausse ou culotte républicaine, n’échappât à son habil<strong>et</strong>é.<br />
12
Paris mon village<br />
13
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