alfa decembre.qxp
alfa decembre.qxp
alfa decembre.qxp
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
DÉBAT<br />
Le Canada abrite-t-il une cinquième colonne qui veut l’islamiser? Les laïcs sont-ils<br />
atteints de paranoïa? Les musulmans voient-ils l’islamophobie chaque fois qu’on s’intéresse<br />
à eux? Ce vieux débat, récurrent, mis côte à côte, éclaire, chacun selon son angle<br />
de vision, cette éternelle problématique. Autour d’une même question, la place de la religion<br />
dans la société, et son corollaire, le comportement de ses sectateurs, les opinions<br />
divergent, parfois durement. Hassan Jamali et Lamine Foura ne sont pas d’accord et disent<br />
pourquoi.<br />
Où sont les intellectuels<br />
maghrébins laïcs?<br />
Pendant que tous les projecteurs sont orientés vers la communauté<br />
maghrébine, on remarque qu’un certain nombre de journalistes et d’intellectuels<br />
maghrébins qui se disent démocrates et laïcs flirtent avec les intégristes.<br />
Parmi eux, Lamine Foura, très visible dans les médias, qui déclare, à la<br />
une d’un journal montréalais et à chaque occasion :<br />
«Pourquoi une femme voilée dans la rue de Montréal dérange plus qu’une<br />
femme à moitié nue»? C’est exactement l’argument favori des intégristes qui classent les<br />
femmes en deux catégories : les vertueuses et les putes!<br />
Lamine Fourra, souvent invité à donner son opinion sur l’islam et les accommodements<br />
raisonnables, aime aussi utiliser les arguments des islamistes qui nient le caractère laïc<br />
de l’État québécois et répètent que la France a mis 200 ans pour devenir laïque et que<br />
la laïcité à la française est radicale et inadaptée au Québec. Amina Benrhazi a porté<br />
plainte au Conseil de la Presse contre un journaliste de Radio-Canada qui l’accusait<br />
(faussement) d’incitation à la haine et l’islamophobie, à cause de propos humoristes<br />
dans lesquels il évoquait une revendication des Suédoises de pouvoir se baigner les<br />
seins nus dans les piscines publiques. Le mis-en-cause aurait répondu, sur un ton<br />
ironique, que ce type de revendications ne risquait pas de se produire au Québec compte<br />
tenu que la tendance actuelle, initiée par les pratiquants de l’Islam, y était plutôt de se<br />
baigner tout habillé. J’ai pensé que seuls les intégristes n’avaient pas le sens de l’humour<br />
!<br />
Mohamed Lotfi, dans une émission de télévision, a critiqué le journaliste Jean François<br />
Lépine (considéré pro palestinien) à propos d’un reportage réalisé, en collaboration avec<br />
un journaliste algérien, sur la propagande islamiste dans un certain nombre de<br />
mosquées de Montréal.<br />
Dans les deux cas, ces intellectuels dits démocrates et laïcs contribuent à donner un<br />
coup de main aux islamistes qui militent dans le but de réduire au minimum la liberté<br />
d’expression et faire peur à tous ceux qui osent critiquer les dogmes religieux ou se<br />
moquer des comportements d’un certain nombre de musulmans.L’affaire de l’introduction<br />
de la charia en Ontario illustre bien l’opportunisme et l’hypocrisie de ces intellectuels.<br />
Lorsque l’ancienne procureure générale de l'Ontario, Marion Boyd, recommande, dans<br />
un rapport transmis au gouvernement de l’Ontario, l’autorisation d’implanter des tribunaux<br />
islamiques en Ontario, aucun de ces mêmes intellectuels ne s’est prononcé contre.<br />
Mais lorsque Fatima Houda-Pepin (la seule femme maghrébine à l’Assemblée<br />
nationale du Québec) a proposé une motion contre l’implantation des tribunaux<br />
islamiques qui a obtenu l’unanimité à l’Assemblée nationale du Québec le 26 mai 2005,<br />
ces mêmes intellectuels (à l’exception de Lamine Foura) ont mené une campagne de<br />
salissage vigoureuse contre la député, sous prétextes que la motion visait l’islam et<br />
aucune autre religion. L’un d’eux, Mohmed Lotfi écrivait : «La résolution adoptée le 2 juin<br />
dernier à l’Assemblée Nationale vise une communauté en particulier au lieu d'aborder le<br />
problème dans sa globalité. En France, si le voile est interdit à l'école, c'est pour se conformer<br />
à une loi qui interdit tout ''signe ostensible de religion''. Je ne peux pas reprocher<br />
à Madame Houda Pépin son ambition de devenir la prochaine Ministre de l'Immigration,<br />
mais avec un tel manque de nuance, elle risque plutôt de perdre la confiance de<br />
plusieurs membres de sa propre communauté». Pourtant, Mme Boyd avait reçu le mandat<br />
de revoir la loi ontarienne, à la lumière de la requête de l’ Islamic Institute for Civil<br />
Justice, qui souhaite avoir recours aux préceptes de la chari’a dans les causes concernant<br />
le droit de la famille et des successions. Et le débat ne concerne que les musulmans.<br />
On se souvient que la loi Stasi interdisant les signes religieux dans les écoles en<br />
France n’a pas mentionné le hidjab, mais tous ceux qui l’ont critiquée ont dit qu’il s’agissait<br />
de poudre aux yeux puisque se sont les musulmans qui étaient seulement visés. On<br />
aurait entendu le même argument si la motion votée par l’Assemblée nationale faisait<br />
la même chose en mentionnant les tribunaux religieux au lieu de tribunaux islamiques.<br />
N’oublions pas que grâce à la ténacité et la détermination de Fatima Houda-Pepin, le<br />
gouvernement ontarien a rejeté les recommandations de Boyd. Le 20 mai 2007, l’ex-candidate<br />
péquiste de La Pinière (le comté de Houda-Pepin), Salwa Hassoun, signe à la une<br />
du journal montréalais Sada Al-Mashrek un article au vitriol accusant Fatima Houda-<br />
Pépin d’inciter à la haine. Aujourd’hui, plus que jamais, la communauté maghrébine a<br />
besoin des voix démocratiques et de laïcs courageux et honnêtes qui représentent un<br />
nombre important de gens qui sont attachés aux valeurs démocratiques et laïques, à la<br />
liberté d’expression et qui refusent que leur religion soit utilisée à des fins politiques ou<br />
comme tremplin pour la réalisation d’ ambitions personnelles.<br />
Hassan Jamali<br />
16 <strong>alfa</strong> Gratuit. Mensuel. N0 116. Décembre 2008. 11ème année. 28 pages<br />
Aux maitres de la pensée<br />
unique au nom de la laïcité.<br />
Dans le contexte islamophobe qui est le nôtre depuis quelques années, il<br />
est un discours très payant pour tous ceux qui sont en mal d'une notoriété<br />
à bon marché. Il suffit, en effet, de surfer avec la vague en faisant porter<br />
la responsabilité exclusive de l'échec de l'intégration de notre communauté<br />
maghrébine à cette même communauté, à sa frange pratiquante et<br />
à ses intellectuels. Pour tout dire, nous aurions aimé ignorer ce discours<br />
s'il n'avait comme seule conséquence que la promotion des intérêts de<br />
certains, à l'instar de Hassan Jamali qui croit ainsi pouvoir entretenir ses<br />
liens avec les pouvoirs publics pour préserver des bénéfices telle la subvention récurrente<br />
qui lui sert à publier son livre.<br />
Il est d’ailleurs intéressant pour le lecteur de savoir que ce livre, un guide de l’emploi,<br />
destiné supposément à faciliter l’intégration des immigrants au marché du travail, ne sert,<br />
en réalité, qu’à supporter l’approche des pouvoirs publics qui consiste à pousser les nouveaux<br />
arrivants à remplir les classes des CEGEP et des universités québécoises en<br />
manque d’étudiants en leur faisant croire que leur échec d’intégration est lié seulement<br />
à leur incompétence. Malheureusement, les préjudices de ce discours ne s'arrêtent pas<br />
là. Outre le fait d'absoudre les pouvoirs publics de leur responsabilité face à cet échec,<br />
il renforce les préjuges établis dans la société québécoise envers notre communauté<br />
maghrébine.<br />
En fait, Hassan Jamali, avec sa dernière missive, nous permet de mettre à nu l'approche<br />
typique de ces personnes en mal de visibilité médiatique ou de gain politique.<br />
Celle-ci est aussi simple que le raisonnement simpliste sur lequel elle s'appuie. D'abord,<br />
diaboliser les pratiquants de la communauté musulmane afin de pouvoir s'attribuer le rôle<br />
du bon musulman, le musulman modéré, occidentalisé, celui qui, plus royaliste que le roi,<br />
monte aux barricades non pas pour défendre les valeurs occidentales, dont nous doutons<br />
qu'il saisie réellement, mais bien plutôt pour soutenir les versions les plus<br />
extrémistes qui s'expriment au nom de ces valeurs. Ensuite, digne des pseudo-démocrates<br />
des pays d'origine et des pseudo-libéraux des pays d'accueil, ces musulmans<br />
islamophobes, à court d’arguments, taxent de lâches ou de complices de l’islamisme<br />
tous ceux qui ne sont pas d'accord avec leur position en faveur d'une laïcité radicale et<br />
intégriste.<br />
Le plus ironique dans toute cette affaire c'est le fait, limpide pour la majorité des membres<br />
de notre communauté, que ces accusateurs effrontés n'ont aucune leçon à donner.<br />
En effet, avant de jeter la pierre aux autres, qu'ils nous expliquent d'abord leur silence<br />
complice devant la discrimination systémique à l'emploi qui touche la communauté qu'ils<br />
prétendent maintenant vouloir protéger du monstre islamiste. Pourraient-ils expliquer, par<br />
la même occasion, leur mutisme coupable face à l'islamophobie qui prend de plus en<br />
plus d'ampleur au Québec et au Canada comme le démontrent plusieurs études et<br />
sondages récents ? Qu'ils nous disent, par ailleurs, où étaient-ils lorsque le gouvernement<br />
libéral a proposé le projet de loi 53, visant la réduction de l'immigration maghrébine<br />
dont le nombre croissant est devenu dérangeant. Qu'ils nous éclairent donc au nom de<br />
quelle logique la pratique religieuse musulmane est devenue synonyme d’un monstre -qu'ils<br />
croient percevoir derrière le voile de chaque femme – et qui serait de surcroît plus<br />
dangereux pour l'intégration positive de la communauté maghrébine que la discrimination<br />
qui laisse 30% de nos jeunes, hommes et femmes, sans emploi, hors du marché du<br />
travail, à la marge de notre société.<br />
Enfin, nous tenons à rappeler à Hassan Jamali (et à ses semblables) que notre<br />
engagement médiatique, contrairement au sien, ne se préoccupe pas de plaire à<br />
quiconque. En dépit des accusations gratuites qu'il profère, notre engagement s'inscrit<br />
fermement dans deux aspects qui nous paraissent aussi complémentaires que nécessaires.<br />
Le premier vise à servir notre communauté, et ce, en dénonçant les injustices<br />
dont elle souffre, que cela plaise ou non. Le deuxième aspect de notre action citoyenne<br />
consiste à promouvoir les valeurs de notre société d'accueil. Seulement, contrairement<br />
aux pseudo-démocrates, nous voulons procéder ici dans le respect de nous-mêmes,<br />
c'est-à-dire en faisant en sorte que nos positions soient en cohérence avec ces mêmes<br />
valeurs. Or, pour les besoins d'une telle cohérence, les intellectuels de notre communauté,<br />
sauf quelques exceptions, savent que la liberté de la pratique religieuse au<br />
Québec et au Canada est assurée par les valeurs fondamentales et démocratiques qui<br />
régissent notre société. Aussi, nous respectons le droit des membres pratiquants de<br />
notre communauté musulmane à jouir des mêmes droits que tous nos autres concitoyens,<br />
de la même manière que nous respectons et défendons le droit des membres<br />
non pratiquants de notre communauté musulmane à jouir du droit de ne pas se soumettre<br />
aux pratiques religieuses sans qu’ils ne soient montrés du doigt. C'est dans ce sens,<br />
que nous ne cesserons pas de poser la question suivante : en quoi une femme musulmane<br />
qui choisit de son plein gré de porter le voile dérange-t-elle tant Hassan Jamali et<br />
ses maîtres à penser ? En espérant que, avec un peu de chance, l'accusateur aura compris<br />
que lorsque nous nous demandons en quoi cette femme dérange-t-elle davantage<br />
qu'une femme à moitié nue, nous ne pensons guère à la question de la pudeur, mais<br />
nous soulignons plutôt « le deux poids deux mesures » face au respect de la liberté de<br />
celle-ci et de celle-là.<br />
Lamine Foura<br />
www.laminefoura.com