ENTRE ACTES 42 • <strong>Spirit</strong> Le caractère urbain Othello © Tania Kelley
2012, année politique. Le tnt profite de l’appel aux urnes pour ausculter « L’ivresse du pouvoir ». qui mieux que shakespeare pouvait en rendre compte ? avec l’Othello du berlinois thomas ostermeier et le Macbeth de Laurent Pelly, violence, folie et ambition s’invitent sur le plateau. La poésie aussi. Par Stéphanie Pichon Jeux de massacres dans Shakespeare, point d’élection, ni de joute électorale. Ici les campagnes sont plutôt guerrières, et le pouvoir se conserve par le sang, le meurtre et les intrigues. Pourtant ces pièceslà, en l’occurrence Othello mis en scène par le Berlinois Thomas Ostermeier, et Macbeth, la toute nouvelle création du codirecteur du TNT, résonnent étrangement dans notre présent. Assez pour que le théâtre national toulousain les rassemble sous la thématique « L’ivresse du pouvoir », qui comptera aussi deux pièces de Jean Genet. « Dans Macbeth il est question de barbarie, d’assassinats, de rebelles, cela fait forcément écho à une actualité récente dans le monde arabe. La fin de Kadhafi, c’est exactement la mort de Macbeth ! », estime Laurent Pelly. traHiSon, raCiSme et intriGueS Dans Othello, Ostermeier a choisi un Iago plus fourbe que jamais, maître du double jeu et de la manigance, rongé par l’ambition au point de faire sombrer définitivement le général Othello, son supérieur qui ne l’a pas promu. Le metteur en scène de la Schaubühne a choisi de faire d’Othello « le noir », là où Shakespeare l’avait décrit comme « Le maure de Venise ». Peu importe finalement, (d’ailleurs le comédien, Sebastian Nakajew, est blanc comme un linge !), puisqu’ici la vraie question est celle du racisme exacerbé, d’un étranger rejeté par une société qui, au moindre faux pas, lui balance son altérité à la figure. Une fois de plus, Ostermeier cultive ce théâtre à l’allemande si engagé dans le jeu, si énergique grâce à une scénographie qui compose avec des éléments, des couleurs, de la vidéo et de la musique. Un cocktail explosif de trahison, jalousie et ambition, qui entraîneront Othello le rationnel, dans la spirale de la folie. abSurdité et violence Le Macbeth de Laurent Pelly n’est pas moins perdu, bien que tyran. Poussé par sa femme, il bascule dans une criminalité qui n’a d’autre but que de conserver le pouvoir. Réunissant 14 comédiens, dont Thierry Hancisse, pensionnaire de la Comédie Française, dans le rôle-titre, Laurent Pelly prend les commandes de la mise en scène, mais aussi de la scénographie et des costumes pour une pièce de la démesure, absurde et violente, habitée de forces surnaturelles. « C’est d’un suspense et d’une modernité incroyable », souffle Laurent Pelly. « Dire que ça a été écrit en 1606 ! On pourrait aujourd’hui faire un film noir splendide à partir de ce scénario ». Un scénario où l’amour du pouvoir s’accompagne de sang et de larmes. Dans les urnes françaises, le combat devrait être moins sanglant. Mais tout aussi impitoyable. Le 17.03, 16h, conférence-débat « L’énigme du pouvoir, entre domination et servitude volontaire » avec Eugène Enriquez, et Vincent de Gaulejac, Petit Théâtre, entrée libre sur réservation 05 34 45 05 05. Othello, mise en scène de Thomas Ostermeier, les 3 et 4.02 Macbeth, mise en scène de Laurent Pelly, du 29.02 au 24.03, 7 à 23 €, TNT, www.tnt-cite.com interview laurent Pelly, codirecteur du tnt Monter Macbeth en pleine année électorale, cela s’est imposé ? J’avais d’abord pensé à Ubu Roi qui s’inspire d’ailleurs beaucoup de Macbeth, dont c’est une sorte de parodie. Puis j’ai pensé à le monter en diptyque avec Macbeth. Mais c’était trop lourd matériellement. Finalement je me suis lancé dans Macbeth, l’une des plus belles pièces du répertoire. Chaque ligne est passionnante. Il y a une richesse infinie et en même temps beaucoup de simplicité. Dans cette pièce, c’est la course au pouvoir par le crime, a eu pouvoir pour le pouvoir, qui conduit à la folie. Comme toujours chez Shakespeare, on mêle l’humain et le grave, la tragédie et l’humour. Le théâtre a-t-il encore quelque influence sur le cours des choses politiques ? Non. Mais le théâtre a encore tout à dire, comme la littérature ou le cinéma. Comment avez-vous imaginé la mise en scène de ce monument ? Sur cette pièce je fais aussi la scénographie et les costumes. C’est la première fois que je prends en charge une scénographie aussi importante. Il a fallu inventer un monde absurde et dérisoire. J’ai choisi l’idée d’un labyrinthe aux murs mobiles qui symbolise le cauchemar dans lequel est enfermé Macbeth. Cela évoque aussi l’idée d’une forteresse, d’un ennemi extérieur. Avez-vous ancré la pièce dans une époque ? Par le biais des costumes, j’ai choisi un entredeux, quelque part entre la période médiévale et l’époque actuelle. Pour les soldats par exemple, je garde le heaume et quelques armes d’époque, mais j’y ajoute un uniforme d’aujourd’hui. le ThÉâTRe a eNCORe TOuT à DIRe Le caractère urbain <strong>Spirit</strong> • 43