ENTRE Nous 12 • <strong>Spirit</strong> le CaraCtère Urbain alain monnier dans son loft à deux pas de la place de la trinité.
Place de la Trinité / Alain Monnier / Flammarion / 19 € Chronique à retrouver en page 52. À 40 ans, alain monnier s’est lancé en écriture, discrètement mais sûrement. de textes caustiques en fables futuristes, l’ingénieur de formation a construit une œuvre littéraire aussi foisonnante qu'enthousiasmante. avec Place de la Trinité, son onzième roman, il s'offre un joyeux chassé-croisé amoureux toulousain. Propos recueillis par isabel desesquelles - Photo Cassandra da Chicha alaiN moNNier ou L’objet du désir Vous travaillez à vingt mètres de la place de la Trinité. Cela signifie quoi pour un écrivain d’écrire sur le lieu où il vit ? J’écris chez moi, mais il est vrai qu’à plusieurs reprises, j’ai relu et corrigé le texte, assis à une terrasse de la place. Il ne s’agit pas de retranscrire à tout prix mais de s’inspirer très librement. La place de la Trinité de mon roman n’est pas exactement celle que nous connaissons et pourtant, c’est un peu elle. Le titre, le lieu de mon histoire, se sont imposés. Signé Parpot, Parpot le bienheureux, Givré et aujourd’hui, Place de la Trinité sont autant de romans qui s’ancrent à Toulouse. Vous le faites exprès ? Non, et je ne cherche pas davantage à faire une fresque de la ville. Je vis ici depuis trente ans, mes histoires naissent dans ces rues, c’est un univers familier où j’aime à retrouver mes personnages. Et puis, je pense que pour rencontrer un lecteur, il faut soi-même se sentir de quelque part. Je ne crois pas au citoyen du monde, je crois au lopin de terre. On retrouve dans votre roman, des personnes bien réelles, emblématiques de ce coin de Toulouse. Je pense à ce « monsieur charmant, à la fine moustache grise taillée aux ciseaux, en bordure de lèvre, sourire vaillant et politesse surannée » que l’on aimait saluer au Piccadilly, ce bar aujourd’hui disparu. Comme le nom des rues, ces deux ou trois silhouettes que l’on peut reconnaître construisent une ambiance, elles font partie du décor, mais pour ce qui est des protagonistes principaux, je ne cherche jamais à reprendre des personnes que je connais. Je m’y suis déjà essayé, le résultat est d’une extraordinaire platitude. Un personnage est un patchwork fait de détails, de situations puisées autour de moi. C’est cette multiplicité qui permet l’invention et évite la pâle copie d’un ami ou d’un voisin. Dans Place de la Trinité, un homme, Adrien, donne rendez-vous à une femme qui ne vient pas. Il décide de l’attendre jusqu’à ce qu’elle vienne… L’attente serait-elle le vrai personnage du livre ? Dans le livre, il y a l’attente réelle, celle d’Adrien, il y a l’attente symbolique de Pétrarque qui aura désiré Laure quarante ans, pour rien, comme on pourrait le penser un peu vite aujourd’hui. Et enfin, il y a une autre attente, celle du retour sur terre de six astronautes perdus dans l’espace. Écrire sur l’attente, revient, pour moi, à écrire sur l’art de bien vivre ou de mal vivre. On passe notre temps à attendre. Que ce soit un train, une lettre, un résultat de scanner, des jours meilleurs, les vacances, et bien-sûr celle ou celui dont on dit qu’il est fait pour nous. Mon héros est un champion de l’attente ! Tout comme vous ? Disons que je suis assez doué en la matière. En ces temps d’unions jetables et de speeddating, votre Adrien est singulier. Ce qu’il veut, lui, c’est espérer le plus longtemps cette femme qui se refuse. Quitte à ne pas bouger. Adrien n’est pas franchement un héros de l’époque. Il est plus proche de Pétrarque que de Bill Gates. C’est un amoureux, pas un amant. Ce qu’il veut, c’est préserver la rareté, la discrétion, une intimité généreuse. À un moment, Adrien va se poser la question : pourquoi désirer Louise? En quoi je me dois de la posséder? Son attente va transformer son désir. Vient alors la question du bonheur. Et selon vous, c’est... Passer une après-midi avec un livre place de la Trinité à Toulouse ! Plus sérieusement, la définition du bonheur que je préfère est celle de Saint Augustin, « le bonheur c’est continuer à désirer ce que l’on a déjà ». Dans votre vie, vous avez au moins deux identités. Alain Monnier, l’écrivain, et cet autre qui travaille à la Chambre de Commerce de Toulouse. Comment cohabitent-elles ? C’est vrai que je cloisonne mes deux vies. À l’aube, je suis avec Alain Monnier, puis après un court trajet en vélo, je redeviens cet homme qui doit trouver des solutions concrètes dans une entreprise. Avec le crépuscule, heureusement, Alain Monnier l’écrivain revient. Pour débuter un roman certains poursuivent une première phrase, d’autres un titre... Et vous, comment cela vient-il ? C’est mystérieux. Si on le savait, on ne traverserait pas ces longues plages de vide et d’inquiétude. Je ne suis ni philosophe, ni essayiste. Ma manière de réfléchir, c’est raconter des histoires, me forcer à me mettre « à la place de ». Souvent un élément du quotidien va mettre le feu aux poudres, un incident, un frigo qui ne marche pas, une phrase entendue dans un bar. Le plus difficile est de trouver le style qui donne le ton au livre. D’un livre à l’autre, vous construisez une œuvre dont les héros vous ressemblent de plus en plus. Diriez-vous, comme Flaubert avec Emma, qu’Adrien c’est vous? Non... Mais il doit y avoir un peu d’Adrien en moi. POuR ReNCONTReR uN leCTeuR, Il FauT sOI-mÊme se seNTIR De QuelQue PaRT. Je Ne CROIs Pas au CITOYeN Du mONDe. le CaraCtère Urbain <strong>Spirit</strong> • 13