Les Aventures de Kalon - akira.ruc.dk
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Kalon et l’Ile Hozours 470 Mais lorsque le“Requin”passa devant le roc tant redouté, au flanc duquel s’ouvrait la sinistre caverne de Syllabe, un triste spectacle s’offrit aux yeux de nos guerriers. Des monceaux de tripailles en putréfaction attiraient force mouettes, d’immenses macules de fluides malodorants tapissaient la paroi à pic, et de l’ouverture pendait, au bout d’un cou large comme un grand chêne, le crâne moisissant de la terrible créature, dont déjà, en maint endroits, apparaissait le crâne. Le roc lui-même semblait avoir subi des outrage insensés, transpercé de nombreuses et profondes perforations, comme si quelque dieu marin s’était acharné dessus à l’aide d’un trident long de cent pas. – Hankulette ! S’exclama Belthurs, ce qui marquait un grand étonnement dans le patois des marins. – On dirait qu’on a bien fait de passer par là. Adieu, donc, Syllabe, monstre marin des... – Oui, seigneur Melgo, mais qui a bien pu le mettre dans cet état ? Si nous devons le combattre... – Ah, bien sûr, je comprends votre inquiétude. Cependant, M’ranis arme nos bras. Non ? – Si vous le dites. Soudain, un grand faucon de mer vint à la proue du“Requin Victorieux”et, après un tournoiement coulé, plongea juste devant l’étrave avec un petit “shtrouff”, sans reparaître. – Mauvais présage. ∗ ∗ ∗ Il fallut encore trois heures de laborieux louvoyages pour qu’au détour d’un bloc déchiqueté et couvert de moules apparaisse la massive silhouette de l’île Hozours. Mesurant moins de trois lieues de long entourée de falaises et d’éboulis qui se prolongeaient jusque dans les embruns blancs d’une mer dangereuse, elle ne semblait guère propice à l’établissement des industries humaines, et à peine aux industries caprines. Sur les pentes grisâtres d’une montagne conique rendue sinistre et menaçante par le plafond bas de lourds nuages – un volcan bonnasse qui avait exhalé sa dernière scorie bien avant que l’humanité ne délaisse la chasse au mammouth – ne poussaient que quelques taches de verdure pelée, sans doute quelque variété de chardon vivace ou de buisson piquant et plus dur que les pierres. Un deuxième dôme pointait vers le sud-est, bien plus petit, et entre les deux, une vallée vérolée de terrasses cultivées descendait en pente douce jusqu’à un port minuscule et blanc comme neige, selon l’usage commun à toute la mer des Cyclopes. Le seul élément remarquable de ce panorama était l’amas de construction qui couronnait la plus petite des deux éminences, et qui surplombait donc le port, comme pour le protéger. L’architecture en était massive, faite d’épais murs légèrement inclinés et de colonnes carrées soutenant des voûtes triangulaires, le tout étant bâti à partir d’énormes blocs de pierre polis avec un soin maniaque. Des passerelles de bois et des escaliers reliaient les multiples chapelles, cellules et autres bâtiments qui formaient le monastère, et qui ceignaient une tour haute comme au moins vingt hommes,
Kalon et l’Ile Hozours 471 carrée à la base, octogonale dans sa partie centrale, et terminée par un clocher circulaire et ajouré de fentes verticales au travers desquelles on pouvait se convaincre de percevoir un éclat argenté. – Ils n’ont pas sonné le carillon ! Notre île est livrée aux yeux du monde, ils n’ont pas sonné le carillon ! Patros, qui était remonté sur le pont pour voir sa patrie, était catastrophé. Sans doute la dissimulation était-elle si ancrée dans les habitudes des hozoursiens que le fait de voir son île lui causait un profond traumatisme mystique. Melgo s’approcha de lui, posa sa main sur son épaule d’un air protecteur et lui dit : – Allons, allons, elle n’est pas si laide que ça. – Mais vous ne comprenez pas, l’île Hozours est VISIBLE ! – Et bien tant mieux, ce sera plus facile d’accoster. C’est curieux, je ne vois personne, nous sommes pourtant suffisamment avancés pour qu’ils nous voient sans peine. – Seigneur Melgo, l’interrompit Belthurs, martial, Seigneur, dois-je procéder au débarquement ? – Ben, si vous estimez que c’est judicieux... – Si l’ennemi nous a vus, il est inutile d’attendre la nuit pour attaquer, ce serait lui donner du temps pour organiser sa défense. Il nous faut être audacieux et frapper comme le tigre, prendre la proie à la gorge, ne pas lui laisser le loisir de souffler, de réfléchir. – Et toi Kal... – Raaaah ! Baston ! Le barbare se retourna vers les bancs de la chiourme, brandit son épée et brama : – A MORT ! Une clameur se répandit à bord du “Requin Victorieux”, suivi bientôt par les soldats des deux autres nefs. Au diable donc les subtiles tactiques militaires, l’assaut allait être frontal, brutal et sans pitié. Toutes voiles dehors et les rameurs souquant jusqu’à en suer à grosses gouttes, les galères de débarquement, de front, se glissèrent entre les rochers affleurants et contournèrent la petite jetée pour se glisser dans le port. Aux aguets, les marins du pont épiaient les falaises et les bâtiments, mais sans y voir le moindre signe d’activité. D’aucuns pensèrent que les défenseurs s’étaient dissimulés, en embuscade, d’autres se signèrent en redoutant qu’un maléfice ait frappé cette terre oubliée. La galère de débarquement M’ranite avait un fond plat permettant d’approcher au plus près des côtes, et une large passerelle rabattable à l’avant, formant une protection, puis un point de passage pour les assaillants. Hélas, ces dispositifs ne furent d’aucune utilité, car seules deux barques de pêcheurs et trois autres nefs indéterminées occupaient le quai, glougloutant dans le silence oppressant. Le “Requin Victorieux” accosta sagement le long du quai, un marin fut désigné volontaire pour sauter à terre et accrocher le navire à une bitte de pierre noire, tâche dont il s’acquitta avec une visible hésitation. Non, ce n’était pas le débarquement héroïque qu’ils avaient rêvé. Point de pataugements dans le sable humide, sac sur la tête, sous les tirs des ennemis, point de reptation interdunale, point d’assaut sanglant sur les falaises, bref, rien qui puisse orner de façon flatteuse le CV d’un officier. La troupe débarqua dans un silence
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Mais lorsque le“Requin”passa <strong>de</strong>vant le roc tant redouté, au flanc duquel s’ouvrait<br />
la sinistre caverne <strong>de</strong> Syllabe, un triste spectacle s’offrit aux yeux <strong>de</strong> nos<br />
guerriers. Des monceaux <strong>de</strong> tripailles en putréfaction attiraient force mouettes, d’immenses<br />
macules <strong>de</strong> flui<strong>de</strong>s malodorants tapissaient la paroi à pic, et <strong>de</strong> l’ouverture<br />
pendait, au bout d’un cou large comme un grand chêne, le crâne moisissant <strong>de</strong> la<br />
terrible créature, dont déjà, en maint endroits, apparaissait le crâne. Le roc lui-même<br />
semblait avoir subi <strong>de</strong>s outrage insensés, transpercé <strong>de</strong> nombreuses et profon<strong>de</strong>s perforations,<br />
comme si quelque dieu marin s’était acharné <strong>de</strong>ssus à l’ai<strong>de</strong> d’un tri<strong>de</strong>nt<br />
long <strong>de</strong> cent pas.<br />
– Hankulette ! S’exclama Belthurs, ce qui marquait un grand étonnement dans<br />
le patois <strong>de</strong>s marins.<br />
– On dirait qu’on a bien fait <strong>de</strong> passer par là. Adieu, donc, Syllabe, monstre<br />
marin <strong>de</strong>s...<br />
– Oui, seigneur Melgo, mais qui a bien pu le mettre dans cet état ? Si nous<br />
<strong>de</strong>vons le combattre...<br />
– Ah, bien sûr, je comprends votre inquiétu<strong>de</strong>. Cependant, M’ranis arme nos<br />
bras. Non ?<br />
– Si vous le dites.<br />
Soudain, un grand faucon <strong>de</strong> mer vint à la proue du“Requin Victorieux”et, après<br />
un tournoiement coulé, plongea juste <strong>de</strong>vant l’étrave avec un petit “shtrouff”, sans<br />
reparaître.<br />
– Mauvais présage.<br />
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Il fallut encore trois heures <strong>de</strong> laborieux louvoyages pour qu’au détour d’un bloc<br />
déchiqueté et couvert <strong>de</strong> moules apparaisse la massive silhouette <strong>de</strong> l’île Hozours.<br />
Mesurant moins <strong>de</strong> trois lieues <strong>de</strong> long entourée <strong>de</strong> falaises et d’éboulis qui se prolongeaient<br />
jusque dans les embruns blancs d’une mer dangereuse, elle ne semblait<br />
guère propice à l’établissement <strong>de</strong>s industries humaines, et à peine aux industries<br />
caprines. Sur les pentes grisâtres d’une montagne conique rendue sinistre et menaçante<br />
par le plafond bas <strong>de</strong> lourds nuages – un volcan bonnasse qui avait exhalé<br />
sa <strong>de</strong>rnière scorie bien avant que l’humanité ne délaisse la chasse au mammouth<br />
– ne poussaient que quelques taches <strong>de</strong> verdure pelée, sans doute quelque variété<br />
<strong>de</strong> chardon vivace ou <strong>de</strong> buisson piquant et plus dur que les pierres. Un <strong>de</strong>uxième<br />
dôme pointait vers le sud-est, bien plus petit, et entre les <strong>de</strong>ux, une vallée vérolée<br />
<strong>de</strong> terrasses cultivées <strong>de</strong>scendait en pente douce jusqu’à un port minuscule et<br />
blanc comme neige, selon l’usage commun à toute la mer <strong>de</strong>s Cyclopes. Le seul<br />
élément remarquable <strong>de</strong> ce panorama était l’amas <strong>de</strong> const<strong>ruc</strong>tion qui couronnait<br />
la plus petite <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux éminences, et qui surplombait donc le port, comme pour le<br />
protéger. L’architecture en était massive, faite d’épais murs légèrement inclinés et<br />
<strong>de</strong> colonnes carrées soutenant <strong>de</strong>s voûtes triangulaires, le tout étant bâti à partir<br />
d’énormes blocs <strong>de</strong> pierre polis avec un soin maniaque. Des passerelles <strong>de</strong> bois et <strong>de</strong>s<br />
escaliers reliaient les multiples chapelles, cellules et autres bâtiments qui formaient<br />
le monastère, et qui ceignaient une tour haute comme au moins vingt hommes,