Joseph Amiot et les derniers survivants de la ... - Chine ancienne

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06.07.2013 Views

Joseph Amiot, la Mission française à Pékin (1750-1795) On peut se demander pourquoi Pékin avait échappé à la proscription. Les Lettres édifiantes et les autres correspondances de Chine nous en donnent la raison. Kang-hi n’avait pas compris dans son arrêt de proscription les jésuites résidant à la capitale, à cause de leur savoir et des services qu’ils rendaient à l’empire comme géographes, historiens, astronomes, physiciens, musiciens, peintres et mécaniciens. Il leur savait gré d’avoir relevé avec tant de soin et de patience la carte de la Chine et de la Tartarie. Son fils, Yong-tcheng, en dépit de sa haine contre les Européens et en particulier contre les missionnaires, épargna les jésuites de Pékin, parce qu’il ne pouvait se passer d’eux, comme négociateurs et interprètes, pour défendre les intérêts de l’empire contre les prétentions du czar Pierre Ier et celles du roi de Portugal. p.034 Enfin, l’empereur Kien-long disait en 1746 : « Les missionnaires de Pékin sont utiles à l’empire, ils nous rendent de grands services, nous les gardons. Ceux qui sont dans les provinces, ne servent à rien ; il faut s’en défaire. » La liberté accordée aux missionnaires de Pékin « constituait assurément un bienfait immense, car elle leur permettait, écrit le père Loppin, de cultiver les fidèles, d’instruire les catéchumènes, de procurer le baptême à un grand nombre d’enfants moribonds ; et quelques religieux, qui continuaient à travailler au palais impérial, se ménageaient par là un accès, auprès du prince, pour pouvoir implorer sa protection dans le besoin. 1 » Il faut ajouter que les communions, quoique moins nombreuses qu’aux années de paix, s’élevaient cependant à plus de cinq mille chaque année, dans la seule église de la mission française. palais même de l’empereur, où il y a dix ou onze jésuites, sans compter quatre jésuites chinois, qui sont partagés dans les diverses missions aux environs de la capitale, d’où il n’est pas permis aux Européens de sortir ». Les Pères portugais avaient à leur service un prêtre chinois, qui s’occupait activement de leurs missions du Pé-tchi-li. 1 Même lettre du père Loppin au père Radominski. 62

Joseph Amiot, la Mission française à Pékin (1750-1795) Il n’en était pas moins vrai que la liberté dont jouissait le christianisme dans le Pé-tchi-li et à la capitale, était une simple tolérance, qu’un caprice de l’empereur pouvait faire cesser du soir au lendemain ; tous les Chinois et les Tartares, tous les grands de la cour et les mandarins le savaient. Personne n’ignorait la haine vivace qu’il portait au nom chrétien ; il la manifestait assez haut, en toute circonstance, il ne s’en cachait pas. Aussi, étant donné le caractère craintif et peu généreux du Chinois, ses instincts bas et intéressés, fallait-il s’attendre à ce que raconte le père Gaubil, dans sa lettre du 22 octobre 1753, au révérend père général Ignace Visconti : « Peu de Chinois, dit-il, cherchent la vraie voie du salut, ils ne veulent ni lire les livres de religion, ni entendre parler de la doctrine chrétienne. Parmi les néophytes, la foi ne semble pas assez ferme, les princes du sang et les grands ne veulent pas recommander à l’empereur les Européens en tant que chrétiens. Chaque fois que nous avons essayé nous- mêmes de le faire, nous avons éprouvé un refus. L’empereur qui a décoré du titre de mandarin quatre des Européens de Pékin, pense avoir fait en faveur des Européens tout ce que peut faire un empereur chinois. Il n’a pas l’idée d’accorder un autre bienfait à la religion chrétienne. » Le père Gaubil termine sa lettre par ces paroles attristées : « Voilà où en est à Pékin la question religieuse ! A moins d’un miracle, la mission française semble incliner vers sa ruine. 1 » @ 1 Le père Gaubil au général Visconti : « Imperator permittit Pékini libertatem religionis ; sed quia omnes sinæ, et barbari benè sciunt ejus in christianum nomen odium et fixum systema, perpanci quærunt veram salutis viam, nec libros religionis legere volunt, nec audire de christiana religione. Inter ipsos christianos, non videtur sat firma fides, nec ullus seu regulus seu magnas audet Europæos quà christianos imperatori commendare. Quoties hoc curavimus fieri, toties semper repulsum passi fuimus, quia imperator ex Europæis qui sunt Pékini quatuor mandarini gradu decoravit, existimat se in Europæorum gratiam fecisse quidquid ab imperatore sina potest fieri ; nullum aliud beneficium pro nostrâ religione cogitat. En eo sunt statu res religionis, ut sine peculiari miraculo missio videatur vergere in ultimam ruinam. » (Arch. S. J.) Le père Amiot dans sa lettre de 1752, le père Loppin dans sa lettre au père Radominski et le père des Robert dans ses lettres aux révérends Pères généraux (Notice, pp. 88-98), ne sont pas aussi pessimistes, sans être très rassurants. 63

<strong>Joseph</strong> <strong>Amiot</strong>, <strong>la</strong> Mission française à Pékin (1750-1795)<br />

Il n’en était pas moins vrai que <strong>la</strong> liberté dont jouissait le christianisme<br />

dans le Pé-tchi-li <strong>et</strong> à <strong>la</strong> capitale, était une simple tolérance, qu’un caprice<br />

<strong>de</strong> l’empereur pouvait faire cesser du soir au len<strong>de</strong>main ; tous <strong>les</strong> Chinois<br />

<strong>et</strong> <strong>les</strong> Tartares, tous <strong>les</strong> grands <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>et</strong> <strong>les</strong> mandarins le savaient.<br />

Personne n’ignorait <strong>la</strong> haine vivace qu’il portait au nom chrétien ; il <strong>la</strong><br />

manifestait assez haut, en toute circonstance, il ne s’en cachait pas.<br />

Aussi, étant donné le caractère craintif <strong>et</strong> peu généreux du Chinois, ses<br />

instincts bas <strong>et</strong> intéressés, fal<strong>la</strong>it-il s’attendre à ce que raconte le père<br />

Gaubil, dans sa l<strong>et</strong>tre du 22 octobre 1753, au révérend père général Ignace<br />

Visconti : « Peu <strong>de</strong> Chinois, dit-il, cherchent <strong>la</strong> vraie voie du salut, ils ne<br />

veulent ni lire <strong>les</strong> livres <strong>de</strong> religion, ni entendre parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> doctrine<br />

chrétienne. Parmi <strong>les</strong> néophytes, <strong>la</strong> foi ne semble pas assez ferme, <strong>les</strong><br />

princes du sang <strong>et</strong> <strong>les</strong> grands ne veulent pas recomman<strong>de</strong>r à l’empereur <strong>les</strong><br />

Européens en tant que chrétiens. Chaque fois que nous avons essayé nous-<br />

mêmes <strong>de</strong> le faire, nous avons éprouvé un refus. L’empereur qui a décoré<br />

du titre <strong>de</strong> mandarin quatre <strong>de</strong>s Européens <strong>de</strong> Pékin, pense avoir fait en<br />

faveur <strong>de</strong>s Européens tout ce que peut faire un empereur chinois. Il n’a pas<br />

l’idée d’accor<strong>de</strong>r un autre bienfait à <strong>la</strong> religion chrétienne. »<br />

Le père Gaubil termine sa l<strong>et</strong>tre par ces paro<strong>les</strong> attristées : « Voilà où<br />

en est à Pékin <strong>la</strong> question religieuse ! A moins d’un miracle, <strong>la</strong> mission<br />

française semble incliner vers sa ruine. 1 »<br />

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1 Le père Gaubil au général Visconti : « Imperator permittit Pékini libertatem religionis ;<br />

sed quia omnes sinæ, <strong>et</strong> barbari benè sciunt ejus in christianum nomen odium <strong>et</strong> fixum<br />

systema, perpanci quærunt veram salutis viam, nec libros religionis legere volunt, nec<br />

audire <strong>de</strong> christiana religione. Inter ipsos christianos, non vid<strong>et</strong>ur sat firma fi<strong>de</strong>s, nec ullus<br />

seu regulus seu magnas aud<strong>et</strong> Europæos quà christianos imperatori commendare. Quoties<br />

hoc curavimus fieri, toties semper repulsum passi fuimus, quia imperator ex Europæis qui<br />

sunt Pékini quatuor mandarini gradu <strong>de</strong>coravit, existimat se in Europæorum gratiam fecisse<br />

quidquid ab imperatore sina potest fieri ; nullum aliud beneficium pro nostrâ religione<br />

cogitat. En eo sunt statu res religionis, ut sine peculiari miraculo missio vi<strong>de</strong>atur vergere in<br />

ultimam ruinam. » (Arch. S. J.)<br />

Le père <strong>Amiot</strong> dans sa l<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> 1752, le père Loppin dans sa l<strong>et</strong>tre au père Radominski <strong>et</strong> le<br />

père <strong>de</strong>s Robert dans ses l<strong>et</strong>tres aux révérends Pères généraux (Notice, pp. 88-98), ne sont<br />

pas aussi pessimistes, sans être très rassurants.<br />

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