Joseph Amiot et les derniers survivants de la ... - Chine ancienne
Joseph Amiot et les derniers survivants de la ... - Chine ancienne Joseph Amiot et les derniers survivants de la ... - Chine ancienne
Joseph Amiot, la Mission française à Pékin (1750-1795) violente secousse. Six ans après l’annonce officielle de la suppression de l’Ordre, ils se suivirent dans la tombe, à quelques mois de distance 1 . Ainsi, la p.142 mission de Pékin perdait, de 1774 à 1781, cinq de ses plus illustres savants ! Le père Bourgeois, supérieur de la résidence, se fit, le 1 er novembre 1774, l’écho de la douleur intense de ses religieux, dans une lettre pleine d’une émotion pénétrante, à un de ses confrères d’Europe, le père Duprez. Nous la citons en partie parmi tant d’autres, également admirables de pensée et de style, adressées en Europe, à cette époque, par les missionnaires de Chine, et presque toutes restées inédites. On ne peut les lire sans être douloureusement ému jusqu’au plus profond de l’âme. « Ah ! cher Duprez 2 , écrit-il dans sa lettre, où en sommes-nous ? Vous êtes détruits, et nous, nous ne tarderons pas à l’être. Pour trouver des jésuites, il faudra les chercher dans le ciel ; ils ont disparu de dessus la terre. Cher ami, ce que j’écris ici me paraît comme un songe. Quoi ! notre chère, notre sainte Compagnie n’est plus ! Se fasse p.143 à cette idée qui voudra, qui pourra. Pour moi, je vous le déclare, je mourrai plein de cette pensée ; et, alors comme maintenant, elle me pénétrera d’une douleur qui ne s’exprime pas. Vous me connaissez ; il vous sera aisé de croire ce que vous dis. » Le père Bourgeois écrit au même Père, le 15 mai 1775 : « J’ose, aujourd’hui, vous épancher mon cœur ; je crains d’augmenter la sensibilité du vôtre. Je me contente de gémir devant Dieu. Ce tendre Père ne 1 Le père Bourgeois écrivait au père Duprez, le 15 oct. 1780 : « La fatale destruction de la Compagnie donna au père Cibot le premier coup de la mort » ; et dans sa notice inédite sur le père d’Ollières, il dit : « La destruction de la Compagnie qu’il aimait si tendrement lui avait fait au cœur une plaie qui ne s’était pas fermée ; il fut frappé d’apoplexie. » Le père Pfister, dans sa notice sur le père Paul-Louis Collas, écrit : « La suppression de la Compagnie, les malheurs de la mission, la mort du père d’Ollières, avec qui il était entièrement lié, l’impressionnèrent tellement qu’il mourut moins d’un mois après son ami. » 2 Le père Duprez, jésuite, appartenait à la province de Champagne et avait longtemps habité dans les mêmes maisons que le père Bourgeois. En dernier lieu, avant le départ du père Bourgeois pour la Chine, il vivait avec lui à l’université de Pont-à-Mousson. Ils étaient intimement unis ; séparés, ils s’écrivaient fréquemment, et les archives S. J.. conservent beaucoup de lettres adressées par le père Bourgeois, de Pékin, à son vieil ami. Elles contiennent l’histoire de la mission française, surtout de 1774 à 1790. 128
Joseph Amiot, la Mission française à Pékin (1750-1795) s’offensera pas de mes larmes ; il sait qu’elles coulent de mes yeux malgré moi. La résignation la plus entière ne peut en tarir la source. Ah ! si le monde savait ce que nous perdons, ce que perd la religion en perdant la Compagnie, lui-même partagerait notre douleur. Je ne veux ni me plaindre, ni être plaint. Que la terre fasse ce qu’elle voudra. J’attends l’éternité, je l’appelle, elle n’est pas loin. Les climats et la douleur abrègent des jours, qui n’ont déjà que trop duré. Heureux ceux des nôtres qui se sont réunis avant 1773 aux Ignace, aux Xavier, aux Louis de Gonzague, aux Régis et à cette troupe innombrable des saints qui marchent avec eux à la suite de l’Agneau, sous l’étendard du glorieux nom de Jésus ! » Cette grande douleur puisait une consolation réconfortante dans le témoignage d’une conscience pure, sans reproche. « Notre conscience, disait le père Amiot, qui ne nous reproche aucun crime, n’est pas une conscience fausse. Nous sommes coupables, p.144 puisqu’on nous châtie, mais les fautes pour lesquelles on nous châtie, sont apparemment de la nature de celle que nous contractons en naissant. Nous sommes coupables sans le vouloir, sans le savoir, sans même nous douter lorsque nous le sommes devenus. Consolons-nous donc ; adorons les desseins de la divine Providence ; soumettons-nous à ses décrets et baisons la main qui nous frappe. » Le père Amiot adressait, le 1 er novembre 1774, cette lettre à M. de la Tour, intendant de la manufacture de porcelaine de Sèvres. Le 12 octobre précédent, il avait envoyé à M. Bertin une épitaphe des missionnaires français, enterrés à deux lieues de Pékin, au cimetière de Tch’eng-fou-sé, appartenant aux jésuites de la résidence de Saint-Sauveur. Composée par lui, à la demande et au nom de ses confrères, écrite sur un papier fort et collée sur bois, puis déposée dans la chapelle funéraire du cimetière, elle est restée jusqu’à nos jours comme un monument authentique de la plainte touchante, mais résignée, des religieux de Chine, sacrifiés avec leurs frères du monde entier à la haine implacable de leurs 129
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<strong>Joseph</strong> <strong>Amiot</strong>, <strong>la</strong> Mission française à Pékin (1750-1795)<br />
violente secousse. Six ans après l’annonce officielle <strong>de</strong> <strong>la</strong> suppression <strong>de</strong><br />
l’Ordre, ils se suivirent dans <strong>la</strong> tombe, à quelques mois <strong>de</strong> distance 1 . Ainsi,<br />
<strong>la</strong> p.142 mission <strong>de</strong> Pékin perdait, <strong>de</strong> 1774 à 1781, cinq <strong>de</strong> ses plus illustres<br />
savants !<br />
Le père Bourgeois, supérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> rési<strong>de</strong>nce, se fit, le 1 er novembre<br />
1774, l’écho <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur intense <strong>de</strong> ses religieux, dans une l<strong>et</strong>tre pleine<br />
d’une émotion pénétrante, à un <strong>de</strong> ses confrères d’Europe, le père Duprez.<br />
Nous <strong>la</strong> citons en partie parmi tant d’autres, également admirab<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
pensée <strong>et</strong> <strong>de</strong> style, adressées en Europe, à c<strong>et</strong>te époque, par <strong>les</strong><br />
missionnaires <strong>de</strong> <strong>Chine</strong>, <strong>et</strong> presque toutes restées inédites. On ne peut <strong>les</strong><br />
lire sans être douloureusement ému jusqu’au plus profond <strong>de</strong> l’âme. « Ah !<br />
cher Duprez 2 , écrit-il dans sa l<strong>et</strong>tre, où en sommes-nous ? Vous êtes<br />
détruits, <strong>et</strong> nous, nous ne tar<strong>de</strong>rons pas à l’être. Pour trouver <strong>de</strong>s jésuites,<br />
il faudra <strong>les</strong> chercher dans le ciel ; ils ont disparu <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssus <strong>la</strong> terre. Cher<br />
ami, ce que j’écris ici me paraît comme un songe. Quoi ! notre chère, notre<br />
sainte Compagnie n’est plus ! Se fasse p.143 à c<strong>et</strong>te idée qui voudra, qui<br />
pourra. Pour moi, je vous le déc<strong>la</strong>re, je mourrai plein <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pensée ; <strong>et</strong>,<br />
alors comme maintenant, elle me pénétrera d’une douleur qui ne s’exprime<br />
pas. Vous me connaissez ; il vous sera aisé <strong>de</strong> croire ce que vous dis. »<br />
Le père Bourgeois écrit au même Père, le 15 mai 1775 : « J’ose,<br />
aujourd’hui, vous épancher mon cœur ; je crains d’augmenter <strong>la</strong> sensibilité<br />
du vôtre. Je me contente <strong>de</strong> gémir <strong>de</strong>vant Dieu. Ce tendre Père ne<br />
1 Le père Bourgeois écrivait au père Duprez, le 15 oct. 1780 : « La fatale <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Compagnie donna au père Cibot le premier coup <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort » ; <strong>et</strong> dans sa notice inédite sur<br />
le père d’Ollières, il dit : « La <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> <strong>la</strong> Compagnie qu’il aimait si tendrement lui<br />
avait fait au cœur une p<strong>la</strong>ie qui ne s’était pas fermée ; il fut frappé d’apoplexie. » Le père<br />
Pfister, dans sa notice sur le père Paul-Louis Col<strong>la</strong>s, écrit : « La suppression <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
Compagnie, <strong>les</strong> malheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission, <strong>la</strong> mort du père d’Ollières, avec qui il était<br />
entièrement lié, l’impressionnèrent tellement qu’il mourut moins d’un mois après son ami. »<br />
2 Le père Duprez, jésuite, appartenait à <strong>la</strong> province <strong>de</strong> Champagne <strong>et</strong> avait longtemps<br />
habité dans <strong>les</strong> mêmes maisons que le père Bourgeois. En <strong>de</strong>rnier lieu, avant le départ du<br />
père Bourgeois pour <strong>la</strong> <strong>Chine</strong>, il vivait avec lui à l’université <strong>de</strong> Pont-à-Mousson. Ils étaient<br />
intimement unis ; séparés, ils s’écrivaient fréquemment, <strong>et</strong> <strong>les</strong> archives S. J.. conservent<br />
beaucoup <strong>de</strong> l<strong>et</strong>tres adressées par le père Bourgeois, <strong>de</strong> Pékin, à son vieil ami. El<strong>les</strong><br />
contiennent l’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission française, surtout <strong>de</strong> 1774 à 1790.<br />
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